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  • [Dossier] Ennio Morricone

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    À l’heure où le documentaire Ennio célèbre la mémoire d’ Ennio Morricone en évoquant les plus grandes heures de sa carrière, Il nous a paru indispensable de nous pencher sur les zones d’ombre de sa filmographie, ses escapades dans les « Mauvais genres » qui nous tiennent tant à cœur.

    De par la longévité du bonhomme, nous avons tous une histoire avec Ennio Morricone. Une histoire qui touche à l’intime, où sa musique devient un peu la compagne de notre vie, de certains de ses moments les plus marquants. Pour l’auteur de ces lignes, elle commence au tout début des années 1970, avec le 45 tours d’Il était une fois dans l’Ouest qu’écoute en boucle un oncle fan de western. Suivront une compilation interprétée par Geoff Love et son orchestre, parallèlement à la découverte des films de Sergio Leone à la télévision, puis de la série Marco Polo, de Peur sur la ville, de Queimada, de 1900

    Puis vint le déferlement émotionnel ressenti à la vision d’Il était une fois en Amérique en salle, puis l’exaltation procurée par l’incroyable ouverture des Incorruptibles et le plaisir éprouvé bien des années plus tard en plongeant tardivement dans les premières œuvres de Dario Argento. Avec le recul, on se dit qu’on a eu une chance folle d’avoir été initié aux délices de la musique de film par un tel mastro, et on plaint ceux qui l’ont été par Pirates des Caraïbes… Mais la musique de Morricone a ceci de particulier qu’elle embrasse plusieurs générations et a su créer un lien presque organique avec chacun de ses auditeurs : ce n’est pas un hasard si les fans du compositeur sont aussi passionnés, aussi complétistes, au point d’acheter dix fois de suite la même B.0. parce que chacune de ses rééditions propose une nouvelle variation sur le thème principal. Mais si l’artiste est connu dans le monde entier pour certains de ses chefs-d’œuvre absolus, l’exploration des zones plus obscures de sa discographie permet de mettre en lumière un corpus rarement évoqué, celui du Morricone du bis italien et autres trésors furieusement mad !

    Au delà des Dollars

    Sergio Corbucci, Giulio Petroni, Sergio Sollima, Duccio Tessari : lorsqu’il ne collabore pas aux westerns de Sergio Leone, Morricone ne s’associe qu’avec les ténors du genre. Et si aucun des scores signés pour les réalisateurs précités n’atteint la puissance de la trilogie des dollars, d’Il était une fois dans l’Ouest ou d’Il était une fois la révolution, il n’en demeure pas moins que Morricone reste, y compris dans ses œuvres mineures, le maître du western italien. Comme chez Leone, il déploie des instrumentations singulières : carillons, klaxons, célesta, harmonium, guimbarde sicilienne, crépitements de guitares, sifflements le plus souvent assurés par Alessandro Alessandroni, vocalises célestes d’Edda Dell’Orso (venus l’un comme l’autre de l’ensemble choral I Cantori Moderni), cris gutturaux…

    Dans une atmosphère évoquant la sauvagerie de l’Ouest, la solitude de grands espaces et les voyages vers des horizons inaccessibles, la musique est là pour parler à la place des héros taiseux chers au genre. Un opéra de la violence aux thèmes mémorables qui passent par toutes les émotions, toutes les couleurs de la poussière et du sang. La complainte à la Dimitri Tiomkin de Mon colt fait la loi, la beauté poignante et tragique du Retour de Ringo, les envolées à la Leone de Colorado, le chœur à l’indienne et les guitares roucoulantes de Navajo Joe, les sifflements sépulcraux du Mercenaire, l’ambiance funéraire du Dernier face à face, la guitare démoniaque et les psalmodies chorales de La Mort était au rendez-vous, les accents presque médiévaux du méconnu mais prodigieux Ciel de plomb, la froideur envoûtante et pourtant nostalgique du Grand silence avec son sitar indien…

    Lorsque Morricone se fait plus épique, cela donne La Bataille de San Sebastian, dont le love theme est, avec L’Estasi dell’oro du Bon, la brute et le truand, l’une des pièces les plus sublimes de l’œuvre du compositeur. Le grotesque s’invite dans la dinguerie liturgique d’On m’appelle Providence ou dans le thème irrésistible de Sierra torride (western américain mais avec Clint en mode Leone) et de son cousin 5 hommes armés, et vire au burlesque dans On m’appelle Malabar. Mais l’humour musical, chez Morricone, n’est jamais synonyme de facilité ou de ridicule : c’est encore une fois pour lui l’occasion de signer des mélodies accrocheuses, comme dans Far West Story, où il retrouve les accents d’Il était une fois la révolution avec le thème de Sonny associé à l’affolante Susan George ou dans Un génie, deux associés, une cloche.

    Et quand il s’attaque à un hommage quasi parodique tel que Mon nom est personne, Morricone livre l’un de ses thèmes les plus séduisants, plein de tendresse, de jeunesse et de malice (il en reprendra la formule en France pour Le Ruffian), tandis que le reste du score navigue entre emprunts bien sentis à Wagner et musiques de duels n’ayant rien à envier à celles composées pour Leone, d’ailleurs producteur du film. Avec Elmer Bernstein et Jerry Goldsmith, Morricone forme ainsi la Sainte Trinité du western et sa musique transcende les images plus qu’elle ne les accompagne, grâce à un style à la fois romanesque et solaire, viril et tourmenté, agressif et ricanant, aussi révolutionnaire que les westerns zapatistes qu’il illustra avec un entrain de sale gosse indiscipliné.

    Mio caro Giallo

    Si les partitions composées par Ennio Morricone pour la « trilogie animale » de Dario Argento ne constituent que le sommet de l’iceberg de son œuvre giallesque, elles n’en sont pas moins très représentatives de l’approche qu’il utilisera sur les autres représentants du genre présents dans sa filmographie : un thème pourvu d’une très belle mélodie (faisant à l’occasion intervenir Edda Dell’Orso) maïs rarement repris au sein même du score, lequel déploie quant à lui un style expérimental, atonal et presque bruitiste, avec parfois des accents free jazz. Une musique difficile d’accès, voire pas forcément agréable à écouter sans les images, où percussions, instruments à vent, cordes pincées et claviers désaccordés s’affrontent et se chevauchent, parfois rejoints par des sons électroniques.

    La musique est ici uniquement destinée à traduire la peur et la paranoïa, le sadisme et la violence. Elle parle à la fois pour les victimes et pour leurs agresseurs, créant une atmosphère suffocante en contraste total avec les caresses émotionnelles et sensuelles prodiguées par les thèmes principaux. Difficile de ne pas être saisi par la profonde mélancolie des thèmes du Chat à neuf queues et de Mais… qu’avez-vous fait à Solange ?, avec son chant quasi leonien, ou par l’insondable tristesse, presque bertoluccienne, de Je suis vivant !, sommet de la collaboration du compositeur avec le réalisateur Aldo Lado. Morricone retrouvera notamment ce dernier sur Qui l’a vue mourir ?, où le compositeur opte cette fois pour une autre de ses figures de style giallesques favorites : l’air de comptine (également présent dans L’Oiseau au plumage de cristal et Folie meurtrière), histoire de marquer les traumas d’enfance des tueurs ou la mort de fillettes innocentes.

    Le travail du m*****o dans le giallo est donc habité par le deuil, la mort et la folie, mais pas que. Élément essentiel du genre, l’érotisme est également de mise à travers des mélodies chaloupées à la volupté troublante (Le Venin de la peur, La Tarentule au ventre noir, Photos interdites d’une bourgeoise) où trompette, soupirs de plaisir et clavecin épousent à merveille les formes généreuses des actrices et leurs regards humides. Parfois, sensualité et tristesse s’étreignent, comme dans Frissons d’horreur. Ailleurs, comme dans Spasmo, un lyrisme presque sacré domine la partition. Versatile dans ses approches, le M*****o peut aussi bien flirter avec son style polar (Journée noire pour un bélier est assez proche de Sans mobile apparent) ou délivrer un score entièrement avant-gardiste (Gli occhi freddi della paura).

    On l’aura compris, le giallo chez Morricone est à la fois cérébral et frontal. Le compositeur se consacre au genre de la fin des années 1960 au milieu des années 1970, n’y revenant que vingt ans plus tard à l’occasion du Syndrome de Stendhal pour Dario Argento. Il livre un thème ensorcelant qui ranime les grandes heures de leur collaboration avec ses allures de comptine déviante, son lamento vocal et ses violons tourmentés. Mais cette fois, le thème irrigue toute la partition. Terminons non pas avec un giallo mais avec un fumetti, à savoir Danger Diabolik, merveille de pop psychédélique dont l’espièglerie et la légèreté possèdent un charme enivrant. De quoi regretter que Morricone n’ait pas plus souvent collaboré avec Mario Bava.

    French Connection

    Très inspirés par le giallo, les polars français Peur sur la ville et Sans mobile apparent permettent à Morricone de prolonger son travail sur les productions italiennes du genre, signant pour l’occasion deux pépites en or massif. Dans Peur sur la ville, il traduit admirablement le mélange de genres auquel se livre Henri Verneuil, avec un inoubliable thème sifflé et l’harmonica pour le côté western du flic tête brûlée joué par Jean-Paul Belmondo, et un staccato rythmique obsédant pour marquer le suspense cher au polar urbain. Le personnage du tueur Minos, lui, se voit associé à des cordes lancinantes et à un air de carrousel.

    À l’inverse des giallos purement italiens, le thème principal est souvent repris et soumis à de multiples variations. Même chose pour celui de Sans mobile apparent avec son atmosphère de chaleur écrasante, ses cuivres tordus, sa trompette et son sifflement liés au caractère solitaire du policier cette fois interprété par le regretté JeanLouis Trintignant. Une sorte de ballade languissante et torride qui s’éveille lentement pour évoluer vers une musique plus proche de Peur sur la ville. Lui aussi très marqué par l’influence du thriller transalpin, I… comme Icare met en avant un clavecin et un orgue dans un thème au parfum de pouvoir corrompu et de menace implacable. Si étrangement, Morricone n’a que très peu œuvré dans le poliziottesco, il aura tout de même offert au genre une poignée d’œuvres séminales.

    Pour La Cité de la violence de Sergio Sollima, son style se teinte de rock grâce aux wah-wah d’une guitare électrique en feu et à des percussions déchainées. Le compositeur retrouve Sollima à l’occasion de La Poursuite implacable (plus connu sous son titre original Revolver), dont la rythmique très appuyée et les sursauts de cuivres auront une grande influence non. seulement sur La Rançon de la peur, mais aussi et surtout sur le thème d’ouverture des Incorruptibles (William Friedkin, pour sa part, reprendra le thème tel quel dans son téléfilm Les Hommes du C.A.T.).

    L’agressivité est donc au cœur des partitions polardeuses de Morricone, mais elle peut aussi céder la place à l’ironie, comme avec la guimbarde d’Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon ou, de façon encore plus assumée, dans Le Carnaval des truands de Giuliano Montaldo, où les coin-coin de la trompette, la batterie et des vocalises écervelées se livrent à une sarabande endiablée pleine d’humour et de soleil. Le Marginal, le plus bis des Bébel des années 1980, fait appel à une guitare basse presque funky et des percussions pop pour sonner plus moderne, tandis que La Proie de l’autostop s’oriente vers le blues avec une couleur typiquement western s’inscrivant dans la lignée de La Bête tue de sang-froid d’Aldo Lado, qui utilisait quant à lui un harmonica sous acide. On est bien loin de la partition terriblement sombre composée par Morricone pour Le Sang du châtiment de Friedkin, ou renaît la profonde tristesse de certains de ses thèmes glallesques avec une sensation de deuil qui contamine l’ensemble du score,

    Nous sommes légion

    Inutile de se voiler la face : ce n’est pas dans le cinéma fantastique que Morricone s’est montré le plus à l’aise. Déjà, en 1965, sa musique pour Les Amants d’outretombe, avec son romantisme morbide suranné et sans saveur, ne se distingue guère du tout-venant gothique. Ses réussites dans le genre se comptent donc sur les doigts d’une main. Dans L’Exorciste II : l’hérétique, le magnifique thème pour chant et guitare associé à Regan, auquel vient répondre le chant tribal païen du démon Pazuzu, fait preuve d’une telle empathie pour sa jeune héroïne qu’il élève le film bien au-delà du statut de simple séquelle. Son cousin Holocaust 2000 teinte son ambiance de polar d’accents sataniques et sentimentaux.

    Pour The Thing, Morricone crée un score minimaliste et angoissant qui épouse la parano ambiante et l’immensité glacée du décor, en symbiose avec la musique de John Carpenter lorsqu’il teinte son orchestre de sonorités et de rythmes synthétiques. Pas assez semble-t-il, puisque le réalisateur de The Fog éjecte la majorité du travail de Morricone, ne conservant que quelques morceaux essentiels pour remplacer le reste par les siens. « Je n’ai eu que très peu de contacts avec John Carpenter » confiait Morricone au magazine Soundtrack ! dans les années 1990, « de sorte que j’ai accepté d’écrire différents types de musiques afin qu’il puise dedans celles qui lui semblaient le mieux convenir à sa conception du film. En réalité, mes morceaux synthétiques n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’il fait. Le seul point commun, c’est qu’ils font appel à du synthétiseur, que j’ai dû utiliser parce que je n’avais jamais travaillé avec lui et que je devais prendre en compte ce qu’il avait fait sur ses autres films. »

    Beaucoup moins connu, Wolf prend le risque de mélanger un style très film noir avec saxophone, trompette et accents glamour à une sensation de danger permanent apportée par les violons et des cuivres bestiaux traduisant l’animalité des personnages, le tout rehaussé par un motif synthétique malheureusement un peu à côté de la plaque. Il n’empêche : Wolf reste l’un des scores les plus intéressants de la période nineties de la carrière hollywoodienne de Morricone. C’est aussi à cette époque qu’il signe sa dernière B.0. en date pour Argento, à savoir Le Fantôme de l’Opéra, dont le romantisme plaintif tente de donner un peu de consistance à l’histoire d’amour impossible du film.

    Epic Ennio

    S’il est préférable d’oublier poliment les expérimentations électroniques du compositeur dans la science fiction (L’Humanoïde, la version italienne de la série Cosmos 1999 dont trois épisodes sont assemblés pour une diffusion en salles), il s’illustre en revanche avec superbe dans l’heroic fantasy avec Kalidor : la légende du talisman : un thème principal propulsif, un motif d’action épique directement hérité de Conan le barbare (et pour cause, le film est une suite non officielle de Conan le destructeur), pour une partition dont le lyrisme renversant épouse à merveille la force et la beauté de son héroïne Red Sonja.

    Morricone essaiera sans grand succès de retrouver cette formule magique sur Hundra, amusante bisserie où Brigitte Nielsen cède la place à la non moins sculpturale Laurene Landon, mais la musique se borne à du recyclage bas de gamme de Kalidor auquel vient s’ajouter un thème pseudo classique qui ne semble être là que pour rehausser la pauvreté esthétique du film. Enfin, même si le film appartient plus au cinéma d’aventure qu’à l’imaginaire, impossible de ne pas évoquer la beauté nautique d’Orca, dont le thème résume admirablement la splendeur de l’océan et la souffrance de son personnage principal, une orque lancée après un pêcheur pour venger la mort de sa compagne et de sa progéniture.

    De la mer au désert, il n’y a qu’un pas que Morricone franchit allègrement dans la production Cannon Sahara et la série Le Secret du Sahara. Malgré des intrigues ouvertement inspirées par les aventures d’Indiana Jones, le M*****o préfère évoquer la chape de plomb du soleil, les dunes à perte de vue et les sentiments amoureux des personnages plutôt que de célébrer l’action et les péripéties à outrance. Ces partitions hypnotiques aux mélodies puissantes, baignant dans de discrètes couleurs locales, n’ont donc pas grand-chose à voir avec du John Williams. Le Trésor des quatre couronnes et L’Île sanglante se montrent bien plus paresseux avec leurs thèmes passe-partout interchangeables même si, entendons nous bien, la musique reste fort agréable à l’oreille.

    Si on ne devait garder qu’une seule musique d’aventure d’Ennio Morricone, ce serait sans aucun doute celle de Marco Polo, qui enchaîne les morceaux stupéfiants de beauté et de souffle épique dans un long poème symphonique surgi tout droit de la Renaissance. Avec John Barry et John Williams, Morricone reste l’un des plus grands mélodistes de l’Histoire de la musique de film et son œuvre immortelle n’a pas fini de conquérir les cinéphiles mélomanes. On envie ceux qui ne l’ont pas encore découverte…

    Par Cédric DELELÉE

  • [Dossier] Death Games Movies

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    @violence je te suis complètement pour Battle Royale :bisou:

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    À ceux qui se demandaient comment les Daniels allaient surenchérir dans l’absurdité après Swiss Army Man , les cinéastes opposent l’orgie mutante d’ Everything Everywhere All at Once et noient tous les doutes dans l’océan de leur imagination a priori sans limites. Ils reviennent pour nous sur leur processus de création.

    - Le script d’ Everything Everywhere All at Once offre une base dramatique solide sur laquelle vous ajoutez une profusion d’idées toutes plus folles les unes que les autres, mais aussi toujours organiquement liées à votre propos. Comment avez-vous réussi à structurer tout ça ?*

    Daniel Scheinert - Il y a eu beaucoup de tâtonnements. (rires) Nous avons écrit tout un tas de versions avant de réaliser qu’à nos yeux, cette base dramatique n’était pas assez forte. Après avoir passé autant de temps à développer toutes ces idées de science-fiction, c’est devenu un point crucial. Notre but n’était pas de livrer un film absolument personnel ou émouvant, mais cette épaisseur dramaturgique est devenue une nécessité pour donner une cohésion à l’ensemble.

    Daniel Kwan- Nous avons dessiné beaucoup de diagrammes. Je suis quelqu’un de très visuel, donc nous nous sommes mis à imaginer ces espèces de plans - du genre plan de métro - pour chaque univers.

    D.S - On a recouvert un mur de post-it !

    D.K - … et tous ces univers étaient disposés en cercles concentriques. On commence avec cette famille, puis on agrandit le canevas selon une forme de toile d’araignée… C’était une approche très chaotique, mais aussi assez scientifique. (rires)

    D.S - Ce qui nous a été le plus utile, c’est le fait de nous entrainer à pitcher le film à l’oral. Une fois, des amis nous ont servi de cobayes, et ça nous a pris 2h30 - plus longtemps que le film ! — juste pour faire ce pitch. Mais ça nous a permis de vérifier que l’aspect émotionnel fonctionnait.

    - Réussir à connecter en permanence tous ces éléments a dû être un véritable cauchemar…

    D.S - Parfois, oui, mais nous avions déjà pas mal expérimenté sur le montage sur des formats plus courts, et nous savions que ça pouvait marcher. Ce n’est pas la première fois que nous imaginons des gimmicks qui permettent de donner vie à des concepts qui peuvent paraître flous sur le papier.

    D.K - Durant l’écriture, on a souvent le sentiment de se noyer dans le flot de nos idées, d’en perdre le contrôle, mais c’est aussi là qu’on se dit qu’on tient quelque chose d’intéressant ! (rires)

    - D’une certaine manière, vous procédez dans le sens inverse de Swiss Army Man, qui était une idée tarée illustrée de façon sérieuse. Là, vous proposez une histoire sérieuse parasitée par un déluge d’idées tarées.

    D.S - Oui, nous voulions aller dans une autre direction, avec plus de deux personnages. et des personnages vivants. (rires) Mais il y a aussi pas mal de similitudes, car on aime juxtaposer des émotions et des idées différentes. Les deux films reposent sur des traitements inattendus.

    D.K - D’une certaine façon, Swiss Army Man a été plus compliqué à faire parce qu’il ne comportait qu’une seule histoire, assez simple qui plus est, et la marge d’erreur était donc bien plus restreinte. Dans Everything Everywhere All at Once, il se passe tellement de choses que même si vous n’aimez pas un univers en particulier, une blague ou un autre aspect, le mouvement est permanent. Je pense que c’est pour ça que le public reste ouvert et pardonne beaucoup au film.

    - Jusqu’à quel point avez-vous développé chaque univers ?

    D.S - Nous avons passé beaucoup de temps à essayer de les différencier. Nous savions que ce serait marrant à faire, que nous n’avions pas à nous cantonner à un seul style de mise en scène ou à une seule palette de couleurs. Nous avons donné la permission à chaque département de se lâcher, de jouer avec les possibilités de chaque univers. Nous avons également essayé de nous appuyer sur des esthétiques qui nous ont marqués, et le film est devenu une déclaration d’amour aux cinéastes et aux artistes que nous adorons. On y trouve des bouts de Wong Kar-Wai, des clips de Michel Gondry

    D.K - Ces références n’étaient pas le point de départ du projet, elles sont venues bien après, durant la production. Chaque univers devait avoir son importance narrative. Celui où le personnage de Michelle Yeoh est une star de cinéma, où elle rencontre son mari dans un autre contexte, vient du fait qu’il était difficile de s’impliquer dans leur relation de base, celle de l’univers de départ. Ils ont vécu ensemble si longtemps, ils se sont éloignés l’un de l’autre. Je me disais que j’aimerais pouvoir voyager dans le temps et assister à leur première rencontre, les voir tomber amoureux. Et je ne voulais pas recourir aux flashes-back, même s’il yen a quelques-uns dans le film. C’est là qu’est venue l’idée de les faire se croiser après qu’ils se sont perdus de vue : ça « débloque » l’aspect sentimental de leur relation. Même si on s’amuse avec tous ces genres, leur utilisation vient avant tout des besoins des personnages.

    - Votre film est une incroyable déclaration d’amour à vos comédiens principaux, Michelle Yeoh et Ke Huy Quan. À quel stade de la production ont-ils été impliqués ?

    D.S -On a écrit le script pour Michelle Yeoh, et on avait bien évidemment peur qu’elle refuse, ou de découvrir quelqu’un de désagréable en la rencontrant… Et ç’a été tout le contraire. Elle est arrivée à bord en 2018, et le film n’aurait jamais vu le jour si elle n’avait pas réagi avec autant d’enthousiasme. Pour le rôle de Waymond, nous avons fait passer des auditions, et Ke s’est présenté. J’ai d’abord cru qu’il s’était déguisé comme le personnage pour nous faire marrer, mais il est exactement pareil dans la vraie vie : simple, souriant, tellement adorable que tu as parfois envie de lui demander d’arrêter d’être trop gentil ! (rires) Il était parfait pour le rôle. 11 est arrivé cinq mois avant le début du tournage, et quand il a rencontré Michelle, les choses ont pris un tour encore plus exaltant car ils se sont parfaitement entendus, comme avec le reste de la famille d’ailleurs. C’était un miracle de pouvoir le faire jouer à nouveau, il est tellement talentueux. C’est terrible qu’il ait arrêté la comédie pendant vingt ans.

    - Quelle image aviez-vous de Michelle Yeoh en tant que cinéphiles ?

    D.K - Mon père vient de Hong Kong, il a émigré à New York quand il avait 5 ou 6 ans. Il y avait un cinéma à Chinatown qui ne jouait que des films de Hong Kong et il a grandi avec les productions de la Shaw Brothers. Quand a débarqué la génération des Jackie Chan, Jet Li ou Michelle Yeoh, avec tous ces films géniaux, il ne ramenait que ça à la maison, d’autant que ma mère ne voulait voir que des longs-métrages en chinois. Je crois que la première fois que j’ai vu Michelle Yeoh, c’était dans Police Story III. Quand j’ai dit à mon père qu’on tournait avec elle, il est devenu fou ! Je crois qu’il en sait plus sur sa vie qu’elle-même - d’ailleurs, ils se sont rencontrés, et elle est plutôt d’accord, (rires) Je pense n’avoir jamais vu mon père aussi heureux qu’à la fin de la projection du film. Maintenant, Michelle est une bonne amie, une tante exemplaire pour mes enfants. C’est une personne merveilleuse, on a vraiment de la chance.

    D.S - Je regardais beaucoup de films quand j’étais gamin, et c’est la découverte du cinéma de Hong Kong qui m’a donné envie de devenir réalisateur. Le premier truc que j’ai tourné, c’était un film de kung-fu dans le jardin de mes potes. (rires) Il y a un vraiment un enthousiasme contagieux dans ce cinéma.

    - Parmi vos influences, vous citez Satoshi Kon, et il est clair qu’on retrouve chez vous cette même lisibilité, cette fluidité dans le déferlement d’informations balancées aux spectateurs.

    D.K - Le travail de Satoshi Kon est absolument dingue, et ce qui ne trompe pas, c’est à quel point il a « inspiré » tant de réalisateurs. De notre côté, nous cherchions à retrouver la même énergie, à nous inspirer de son approche du surréalisme pour créer des images inédites. Nos cerveaux carburent à plein régime parce que nous faisons partie de la première génération à avoir grandi avec Internet. On traite les informations à une telle vitesse qu’il m’arrive de m’ennuyer devant des films, j’ai besoin d’être plus stimulé, pour le meilleur et pour le pire. Everything Everywhere All at Once reflète cette époque. D’une certaine façon, nous avons voulu voir ce qu’un public contemporain était capable d’encaisser, ce qu’il pouvait retenir d’une telle narration, c’est quasiment un stress-test ! C’est hallucinant de voir à quel point le public est capable de se prendre ce déluge d’images en pleine poire et d’apprécier l’expérience. Même si tout n’est pas assimilé, la réaction émotionnelle est la bonne. Aujourd’hui, trop de spectateurs intellectualisent ce qu’ils regardent, au lieu de simplement ressentir les émotions. On a voulu inverser ce rapport.

    - L’équipe du film compte beaucoup d’autodidactes, notamment dans les domaines des effets spéciaux et des cascades. Comment cela a-t-il influencé le projet d’un point de vue artistique ?

    D.S - Nous avons débuté en bricolant des courts-métrages que nous balancions sur YouTube et Vimeo. À l’époque, on a croisé beaucoup d’aspirants réalisateurs qui, comme nous, profitaient de ces nouvelles technologies, des tutoriaux qu’on trouvait sur le Net, etc. Les producteurs nous ont dit qu’il allait falloir énormément d’argent pour monter Everything Everywhere All at Once, et quand nous avons découvert le montant du budget dont nous allions disposer, nous nous sommes retrouvés face à deux choix : soit couper beaucoup de pages, soit bosser en mode système D, revenir aux méthodes que nous utilisions à l’époque de nos premiers courts. Nous avons embarqué tous nos amis sur le projet, bidouillé les effets spéciaux sur nos ordinateurs personnels… Les cascadeurs étaient à la fois professionnels et amateurs ; les chorégraphes, par exemple, viennent de YouTube, ils mettaient en scène des combats dans leur jardin ! Je suis persuadé qu’au-delà des économies budgétaires, ça donne au film un côté particulier, presque « fait à la maison ».

    D.K - Les contraintes sont un atout, en particulier dans un film aussi dingue que celui-ci. On ne pouvait pas avoir des effets spéciaux élaborés, réalistes. Nous nous sommes plutôt attachés à concevoir des choses marrantes, intéressantes, voire esthétiques, en nous inspirant du motion design, des films des années 1980 comme S.0.S. fantômes. Nous n’avons jamais essayé d’entrer en compétition avec les productions Marvel et leurs ressources illimitées. Pour les combats, on ne disposait pas de centaines de belligérants, avec des mouvements de caméra déments… Mais on pouvait se permettre d’avoir au moins deux excellents artistes martiaux. C’est ce qui nous a fait tomber amoureux des films de Hong Kong : leur simplicité, leur confiance absolue dans les interprètes. On voulait revenir à ça.

    - Cet aspect fait de bric et de broc est bien plus organique qu’un énième blockbuster doté de CGI parfaites…

    D.K - Il y a aujourd’hui une obsession similaire pour le photoréalisme dans le jeu vidéo. Pour beaucoup, cette qualité serait le seul marqueur technologique du medium. C’est oublier la beauté qu’il peut y avoir dans un style très spécifique, dans une texture qui n’essaie pas d’imiter quoi que ce soit, mais qui au contraire a son identité propre. J’ai l’impression qu’on trouve les mêmes problématiques dans les films aujourd’hui.

    - Si l’on en juge par certaines réactions très touchantes qu’on peut lire en ligne, Everything Everywhere All at Once est sorti à un moment décisif pour la communauté asiatique américaine, à une période où celle-ci est souvent prise pour cible.

    D.K - On ne pensait vraiment pas que ce serait le cas, non seulement pour la communauté asiatique américaine, mais aussi pour la diaspora asiatique en genéral. À travers le monde, des spectateurs asiatiques s’identifient au film d’une façon à laquelle on ne s’attendait pas. C’est bien sûr l’un de ses thèmes, mais nous ne voulions pas pour autant que cela prenne le dessus sur le reste. Et c’est Ça, je crois, qui motive cet engouement : Everything Everywhere All at Once n’est pas vendu comme un film sur la communauté asiatique, c’est un élément de l’intrigue comme un autre. Je pense que le récit conserve un côté universel et montre que des personnages asiatiques peuvent inspirer des sentiments qui entrent en résonnance avec tout le monde. Nous sommes ravis que le film sorte enfin en France, même si on se dit que ce qu’on est sans doute trop immatures pour vous !

    Propos recueillis par François CAU
    Merci à Tristan Du Laz, Gwendolyn Elliott et Jean-François Gaye

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    À l’heure où la Chine menace de faire disparaitre les branches les moins «idéologiquement alignées» du patrinoine cinématographique hongkongais, Spectrum Films fait acte de résistance. L’éditeur français nous gratifie d’une splendide édition du rejeton terminal de la classification Category III : Ebola Syndrome de Herman Yau, fascinante capsule des années 1990 devenue emblème de la radicalité d’antan.

    Depuis ses premiers travaux comme metteur en scène, à l’orée des années 1990, Herman Yau n’a jamais cessé de tourner. Il sort toujours entre un et cinq films par an, malgré les montagnes russes traversées par l’industrie hongkongaise au fil des décennies. Des polars, des comédies, des drames sociaux, des blockbusters, des films d’arts martiaux, de triades, et bien évidemment des productions extrêmes tombant dans la fameuse Category III, grande foire aux atrocités et aux déviances créée par la refonte du système de censure local à la fin des années 1980.

    Sa filmographie riche de plus de 70 titres est celle d’un véritable mercenaire, hyperactif et particulièrement complexe à circonscrire. C’est ce que confirme Arnaud Lanuque, envoyé spécial en direct de Hong Kong à qui l’on doit la moitié des bonus inédits du Blu-ray d’Ebola Syndrome que sort aujourd’hui Spectrum Films.

    Yau est le touche-à-tout ultime. Il a des standards très particuliers, il me disait en interview qu’à partir du moment où il y a un élément dans le scénario qu’il trouve intéressant, même si tout le reste est à jeter, il est prêt à le faire. C’est sa philosophie. Et il ne se restreint pas à la mise en scène, il a signé de nombreux articles dans des magazines. Il est en outre l’auteur de la thèse de référence sur la censure à Hong Kong, c’est un docteur honoris causa.

    Bien avant d’accéder à ce titre prestigieux, Herman Yau se forme sur le tas, d’abord comme directeur de la photographie. Ses toutes premières réalisations se fondent indistinctement dans la masse de l’effervescence hongkongaise du moment. No More Love No More Death (1993), préquelle du With or Without You de son mentor Taylor Wong, verse trop dans l’esthétisation poseuse pour convaincre, ou faire oublier sa bande originale envahissante. Best of the Best (1992) mélange drame bancal, romance avec galoches sous la pluie et polar mou pour s’achever en heroic bloodshed pompier. Don’t Fool Me (1991) propose une variation pas franchement galvanisante sur le thème d’Un fauteuil pour deux avec Andy Lau et Tony Leung Chiu Wai, mais possède un atout de taille: la présence, en second rôle cabotin, d’un Anthony Wong aux cheveux longs, au sourire goguenard et au regard dément. Herman Yau exploite son potentiel dans Taxi Hunter (1993), où Wong venge la mort de sa femme enceinte en massacrant les chauffeurs de taxi indélicats (et leur clientèle avec), puis le starifie la même année dans le mémorable The Untold Story.

    EBOLA ORIGINS

    Le script de The Untold Story s’inspire vaguement d’un fait divers survenu en 1985 à Macao (le massacre d’une famille propriétaire d’un restaurant), dont les scénaristes prennent pour acquis certains éléments relevant de la légende urbaine (l’assassin aurait fait manger des bouts de ses victimes aux usagers du lieu). Cette histoire sordide est l’excuse parfaite pour verser dans une méchanceté totale, où le personnage d’Anthony Wong n’apparaît finalement que comme le produit de son environnement. Torturé par des flics ineptes et des compagnons de cellule sadiques, il finit par avouer ses crimes dans un flash-back traumatisant. L’acteur laisse éclater tout son potentiel, tant en équarrisseur qu’en détenu humilié.

    Son visage est pris de spasmes, se fend des pires sourires jamais captés par une caméra. Il bondit de victime en victime avec enthousiasme, gourmandise, comme un démon replet. En tout autres temps et pays, ce genre de performance vous grille à vie, pousse à se retirer dans une grotte reculée jusqu’à la mort. Dans le monde merveilleux du cinéma hongkongais de cet Âge d’Or, Anthony Wong est couronné du Prix d’interprétation Masculine aux HK Film Awards de 1994 et accède à la célébrité. Herman Yau s’en retourne de son côté à sa productivité stakhanoviste. Le gentillet Cop image (1994) déçoit malgré son Anthony Wong binoclard fan de polars américains. Don’t Shoot Me, l’m just a Violinist et Fearless Match (1994) amusent autant qu’ils ennuient. Si City Cop (1995) laisse augurer d’une forme de retour en grâce, All of a Sudden (1996) douche ces maigres espoirs. Cette réappropriation hongkongaise des thrillers érotiques américains d’alors, classée Category I, témoigne néanmoins d’une curieuse rémanence de la Sale ambiance de The Untold Story. Personnages veules et manipulateurs, sexe crapoteux, musique aux riffs de guitare bizarrement agressifs: Herman Yau plante les graines de son classique à venir.

    En 1995, le producteur Wong Jing, margoulin s’il en est, couche sur une feuille de papier recto verso l’une des innombrables idées qui lui passent par la tête : un mélange entre The Untold Story et Alerte ! de Wolfgang Petersen, blockbuster US de 1995 où une petite ville américaine est frappée par un virus manifestant tous les symptômes d’Ebola, mais que les scénaristes ont baptisé Motaba. Par pudeur, sûrement. Wong Jing lance Herman Yau sur le coup, lequel lui recommande son amie Chau Ting, avec qui il avait aimé collaborer sur No More Love No More Death. La scénariste s’acquitte de la tâche dans les impossibles délais impartis, au plus grand ravissement de Wong Jing, éberlué de lire « un texte aussi horrible de la plume d’une femme aussi élégante », dixit l’intéressée dans son interview pour l’édition Spectrum.

    Ebola Syndrome est tourné à toute berzingue, selon les standards de l’époque, en 17 jours - étape en Afrique du Sud comprise. Le marché de niche des œuvres déviantes labellisées Category III s’étiole peu à peu, le film sera son chant du cygne zénithal, une monstruosité à peine croyable découverte par beaucoup de spectateurs internationaux dans des VCD importés à l’image dégueulasse et aux sous-titres envahissants (attributs techniques qui contribuaient à rendre l’expérience de visionnage encore plus interlope). La légende est en marche, même si ses maîtres d’œuvre sont loin de s’en douter.

    CRACHE TEST

    Sa réputation sulfureuse de match retour belliqueux de The Untold Story éclate dès sa sortie, relayée en France par les défricheurs taquins de HK Magazine, mais le film n’impressionne guère le box-office local. L’apogée de la Category III se joue devant un public anesthésié et blasé. La renommée du film grandit surtout à l’étranger, d’abord comme un secret d’initiés à la fois honteux et jubilatoire. De nombreux cercles cinéphiles comptent en leur sein des aventuriers de l’extrême prenant un malin plaisir à raconter ses scènes les plus atroces, du massacre inaugural de Kai à la vision hallucinante d’un Anthony Wong possédé et -crachant du sang sur des badauds en hurlant « Ebola ! _Ebola ! », en passant par toute une série d’abjections filmées plein cadre.

    Des exactions à peine raccourcies de deux minutes cradingues pour la sortie en salles. Le Blu-ray de Spectrum Films propose à la fois ce montage censuré et la version intégrale, sur deux disques séparés. Dans sa lapidaire introduction pour la version écourtée, Herman Yau a cette expression assez vague quand il revoit Ebola Syndrome, il se rappelle « ce que c’est que d’être jeune ». Pour en savoir plus, mieux vaut donc se tourner vers le vieil entretien (toujours dans l’édition Spectrum) accordé par le réalisateur et un Anthony Wong particulièrement mal luné: tirant la tronche derrière des lunettes noires, l’acteur déclare avoir fait le film juste pour le fric et disparaît du cadre au bout de cinq minutes. Hilare face aux réactions de son compère, Yau tente néanmoins de répondre le plus sincèrement possible.

    Selon lui, Ebola Syndrome a été réalisé dans un élan purement impulsif, dans le flot de son habituel rythme de travail frénétique. Ses sous-textes relèveraient d’une somme d’intentions inconscientes de sa part et de celles de Wong Jing, Chau Ting et Anthony Wong. Le commentaire audio, en date de la fin des années 2000, en apprend plus. Le comédien y apparait plus détendu, content de partager ses souvenirs avec son camarade Herman Yau. Les deux hommes relèvent des erreurs techniques accentuées par la qualité d’image, pointent des maladresses que l’expérience ne leur ferait plus commettre. Ils s’étonnent de la violence du film, s’amusent de sa complaisance tout autant que de la résonance qu’il a su trouver auprès du public étranger. Ils ne manquent pas de répéter qu’une telle production ne pourrait être mise en scène aujourd’hui.

    Pourtant, à la même époque que celle de l’enregistrement de ce commentaire, Yau réalise Gong Tau (aussi connu sous le titre Voodoo), un film d’horreur glauque et sale pensé comme une réminiscence des films de magie noire dont le cinéma hongkongais s’est fait une spécialité entre les années 1970 et l’arrivée officielle de la Category III. Sexe violent, cadavre dégueulbif de nourrisson, représentation du Leyak indonésien (la fameuse tête volante avec les entrailles pendantes), Herman Yau ne ménage pas ses efforts pour choquer le spectateur de 2007… mais le feu sacré n’y est plus. La réalisation, le script, la photo et le montage souffrent tous du même manque d’inspiration, de la même volonté de sucer la roue du torture porn à l’américaine et de son esthétique, ou plutôt de son absence d’esthétique. C’est peu dire que Mark Cheng n’est pas Anthony Wong. Pire que tout, Gong tau ne raconte rien, si ce n’est la difficulté de réaliser un tel film après la Rétrocession de Hong Kong à la Chine.

    BRIS BURNAIRE

    La même gymnastique de pensée se devine dans les propos de Herman Yau, de Chau Ting et même du chorégraphe James Ha dans les bonus du Blu-ray. Pour des raisons évidentes, les interviewés marchent sur des œufs et ne prêtent aucune intention discursive à Ebola Syndrome, dépeint au fil de l’eau comme un petit film mal élevé montrant, de façon certes exagérée, la revanche d’un homme exploité. La réalité est bien évidemment toute autre. Si l’acidité sulfurique du film n’a rien perdu de sa corrosivité 25 ans après sa sortie, c’est bien parce qu’il est l’expression d’une pure colère.

    Ebola Syndrome est le film du ras-le-bol, du rejet de l’Humanité, du lâcher-prise, de l’agressivité et du racisme généralisés, de l’exploité transformé en barbare, de l’oppression au carré. La Category Ill enjoignait à coucher sur pellicule les pires atrocités afin de secouer un public désireux d’extérioriser ses craintes d’un avenir incertain ? En voici l’excroissance ultime, ordurière et vulgaire au dernier degré, synthétisée par la réplique préférée de Kai, « Vous me cassez les couilles », annonciatrice d’une ignominie imminente.

    Pour Amaud Lanuque, « le film reflète le côté hard rocker contestataire de Herman Yau. C’est une manière d’assouvir toutes les frustrations d’une fraction de la population, parce que les conditions de travail à Hong Kong ne sont pas vraiment joyeuses. Tu es obligé de rester au bureau tant que tes supérieurs sont là, tu as peu de jours de congés, tu n’est pas forcément bien payé, sans filet social. Et là, tu as ce personnage qui se fout de toutes les règles, qui fout des roustes à ses patrons et les assassine. C’est un exutoire absolu. »

    Les victimes de Kai sont aussi bien occidentales que chinoises, colons, expatriés, locaux, allez tous vous faire foutre. Dans la continuité des œuvres les plus corsées de Herman Yau depuis Taxi Hunter et The Untold Story, les forces de l’ordre font preuve d’un degré de compétence tout relatif. Les gars en bleu, tant du côté sud-africain qu’hongkongais, mettent un temps fou à additionner 1+1, interviennent trop tard et n’importe comment. Il en va de même dans The Sleep Curse, le dernier Category III réalisé par Yau en 2017. Interrompu en plein boulottage de cadavre, Anthony Wong y est accompagné vers la sortie par deux agents. Il prend le temps de cracher un glaviot sanguinolent sur le sol, sourire en coin.

    De temps à autre, pour qui veut bien le voir, le binôme retrouve sa jeunesse, dont Ebola Syndrome demeure l’étendard souillé de sperme, de pus, de sang et de vomi.

    Par François CAU
    Merci à Antoine Guérin et Arnaud Lanuque

  • Ces blockbusters Chinois que vous n'avez jamais vu

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    @Pollux Bonne idée 🙂

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    Début 2001 Le Pacte des loups rameutait plus de cing milions de Spectateurs dans les salles françaises. À Hollywood, on se serait empressé d’exploiter cette manne providentielle. Christophe Gans et ses producteurs seront au contraire snobés par le système hexagonal, et le cinéma de genre local se gardera bien de suivre la mesure. Deux décennies plus tard, le long-métrage à droit à une impressionnante restauration AK. Actuellement en préproduction d’un nouveau Silent Hill, Christophe Gans a accepté de revenir sur cette œuvre bien plus riche et jouissive qu’on a bien voulu le dire…

    Pour être honnête, je n’avais pas revu Le Pacte des loups depuis près de quinze ans avant de découvrir cette restauration.

    On a l’impression de le connaître car il est là depuis longtemps, mais même pour moi, Ç’a été une drôle d’expérience de le revoir. Les œuvres vieillissent, elles ont leur vie propre, et certains films qu’on a aimés sont devenus des vieux croulants. (rires) Ça n’empêche pas d’avoir de la tendresse pour eux. On m’a invité un matin à aller voir Le Pacte des loups au Grand Action en prévision de la restauration. Je ne l’avais pas revu depuis vingt ans. Bien sûr, j’avais regardé quelques extraits lors de diffusions télévisées, mais c’était la première fois que je le revoyais en entier. C’était aussi la première fois que j’ai pu le regarder sans me faire le making of dans ma tête. Quand on est réalisateur, on se souvient des coulisses de chaque scène : « Là je me suis engueulé avec lui », « Là j’ai du faire un compromis », « Là il y avait les producteurs qui râlaient »… La première chose qui m’a frappé, c’est que l’intrigue fonctionne, l’enquête en particulier, qui nous conduit jusqu’à la révélation finale.

    On pense beaucoup au Chien des Baskerville.

    Oui, c’était vraiment la base du projet : un hommage au Chien des Baskerville et à Terence Fisher. En 2001, le côté arts martiaux et l’influence HK affichée à l’écran semblaient être les éléments les plus attirants du film. La maturité aidant, cette ambiance Hammer est aujourd’hui bien plus envoûtante. C’est Le Chien des Baskerville filtré par Le Dernier des Mohicans de Michael Mann. C’étaient mes deux références évidentes. J’ai une passion pour Fisher que j’ai de nouveau pu mettre en exergue dans La Belle et la Bête. Et Le Dernier des Mohicans avait été un choc en 1992. D’ailleurs je l’ai revu récemment, et j’ai été complètement bluffé par sa somptuosité. J’ai eu tellement de plaisir à le revoir que je l’ai relancé après le générique de fin. Je me suis dit : « Voilà exactement ce qu’est un chef-d’œuvre. ». C’est un film extraordinaire. Enfin bref, l’intrigue du Pacte des loups fonctionne, et c’est dû au script formidable de Stéphane Cabel. C’était un très bon scénario. Je me suis permis de travailler ou gonfler trois personnages. L’'Indien évidemment, qui à l’origine n’était qu’un porteur de valises. Ensuite, le personnage de Monica, l’espionne du Pape, que j’ai inventée — c’était ma façon de proposer une sorte d’Angélique Marquise des Anges pour les années 2000, Et enfin, j’ai aussi inventé la muette qui a des crises d’épilepsie. À travers ces trois personnages, on trouve ma signature.

    Quand on revoit Le Pacte des loups, on est justement frappé par la complexité des personnages féminins. On est d’ailleurs dans une dichotomie assez forte entre un libertinage très marqué - et presque inconcevable aujourd’hui -et une mise en avant de la force des femmes.

    Il y a même un moment qui n’est pas woke du tout: on a le point de vue de Vincent Cassel, et la caméra descend vers le sexe d’une prostituée. C’est incroyable ! (rires)

    Honnêtement, Monica Bellucci n’a jamais été aussi bien filmée.

    Je l’ai filmée comme Daliah Lavi dans Le Corps et le fouet. D’ailleurs il y a un plan, quand elle est couchée, qui est une reproduction à l’identique d’un plan de Mario Bava.

    L’égorgement à l’éventail est très marquant aussi.

    Ça évoque les héroïnes du cinéma japonais, évidemment, Junko Fuji, Meiko Kaji et les autres. Je suis un peu comme Quentin Tarantino à ce niveau-là. On s’est beaucoup fréquentés à l’époque où Samuel Hadida produisait True Romance, et on ne parlait que de ça! C’est vrai que d’une certaine manière, tout ce fétichisme autour des héroïnes japonaises, ou des héroïnes des films de cape et d’épée italiens, a été constitutif de la sexualité des fans de cinéma. C’est comme ça qu’on imagine les femmes. Dans Le Pacte des loups, il y a un côté érotomaniaque.….

    … qui ressort notamment avec ce plan sublime sur la poitrine de Monica Bellucci qui se transforme en paysage.

    Certains me disaient à l’époque : « Il ne faut pas faire ça. ». Quand j’ai montré le film à des amis américains, ils m’ont dit que c’était dément. « Personne n’a jamais osé faire ça ! » Mais en France, plein de gens ont essayé de me faire douter à ce propos.

    C’est l’une des images les plus fortes du film.

    J’ai une passion pour la peinture et la photographie surréalistes, et j’ai trouvé que c’était très beau d’avoir un corps de femme qui devienne un paysage. C’est un peu comme ces très beaux dessins de Belinski ou Caza qu’on trouvait en couverture des recueils de la collection « Fiction ». On voyait des corps de femmes qui ressemblaient à des paysages, avec dessus des cathédrales. (rires) C’était mon trip total ! Je me souviens de la façon dont ce plan a été tourné. On a fait ça avec une caméra endoscopique, sur une table dans un hangar en briques où il faisait très froid. Monica est arrivée, elle s’est mise nue, elle s’est tournée vers les techniciens et leur a dit avec son accent italien : « Regardez bien parce que c’est la dernière fois que vous verrez ça. ». (rires) J’ai ensuite bougé la caméra endoscopique sur les vallons du corps de Monica. Il faut savoir que de par sa formation de mannequin, elle est capable de projeter un résultat. Elle arrive à imaginer ce que donnera le plan. Je lui ai expliqué mon idée et elle m’a dit : « Oui, il faut le faire, c’est vachement bien ! ». Pour revenir sur une autre chose qui m’a frappé en revoyant le film, c’est le nombre de personnes qui sont parties.

    Nous n’osions pas l’évoquer… Et encore récemment avec Gaspard Ulliel et Jacques Perrin.

    Jean-François Stévenin, Jean Yanne, Samuel Hadida… Huit acteurs sont partis, sans compter ceux qui sont derrière la caméra.

    Comme Benoît Lestang

    J’ai forcément revu le film avec une certaine mélancolie, une sentimentalité à laquelle je ne m’attendais pas. Le Pacte des loups a toujours été difficile à porter pour moi, car à l’époque, il a d’abord été reçu à travers l’événement qu’il représentait. Je sortais d’une expérience heureuse qui était Crying Freeman. C’est le premier film que je souhaite à tous les cinéastes. Tu arrives avec un long-métrage original que tout le monde trouve sympa, personne n’a rien à redire, il fait 900.000 entrées, joli petit succès, mais en même temps pas un triomphe qui peut jeter de l’ombre sur quiconque… Ça ne remet rien en question. Quand j’ai fait Crying Freeman, je me suis dit : « Oh putain, L’est sympa le cinéma ! ». Tout le monde était content, j’entendais : « C’est cool, il a fait son film avec des yakuzas dans les forêts du Canada, ça a fonctionné. ». Mais quand Le Pacte des loups est sorti, il y a des gens qui ne m’ont plus jamais adressé la parole. J’ai aussi su ce jour-là que ma tranquillité de cinéaste, c’était fini. J’étais le mec qui avait fait ce machin, et les gens le regardaient à travers le prisme de l’événement : c’était le film de tous les excès. Tout le monde avait un avis extrêmement tranché et parfois violent.

    Même Mad Movies à l’époque.

    Absolument. C’est donc un film que j’ai dû mettre de côté. Les seuls endroits où je pouvais en parler tranquillement, c’était à l’étranger. Là, les gens le prenaient pour ce qu’il était, c’est-à-dire un blockbuster français, qui s’amuse avec l’Histoire de France et plein de genres différents. Ici, j’ai entendu des trucs du style : « Ça a volé le succès à des films plus exigeants. ». C’est la vieille problématique française, du genre : « L’As des as a volé le succès d’'Une chambre en ville. ». Ça n’a aucun sens ! Je me suis toujours protégé en disant que Le Pacte des loups a été un coup de bol monstrueux. Six mois plus tôt ou plus tard, ça aurait pu ne pas du tout marcher.

    Étrangement, ce succès n’a pas débouché sur une nouvelle vague de Superproductions françaises.

    C’est dû à la manière dont le business fonctionne en France. Un film comme ça est difficile à faire, et ça se voit. Je ne veux pas faire de généralités, mais beaucoup de personnes que j’ai croisées dans ce business ne veulent pas se faire chier. On a souvent dit de manière très injuste que ce qui avait tué le cinéma de genre en France, c’était la Nouvelle Vague. C’est une aberration. Ce qui a tué le cinéma de genre en France, malgré l’amour que j’ai pour Louis de Funès, c’est Le Gendarme de Saint-Tropez. Pour les producteurs, tout devient clair : on peut tourner pour trois francs six sous sur une plage avec une bande de comiques et faire un carton monstrueux. À quoi bon se faire chier à aller faire des costumes, des décors, des cascades, des explosions, à employer plein de corps métiers différents ? C’est ça, le vrai tournant du cinéma français. À partir de ce jour-là, tout le monde a rêvé de refaire Le Gendarme de Saint-Tropez, c’est-à-dire un film que tu fais les doigts de pied en éventail, tranquille, pour un investissement mineur, et qui rapporte énormément. Nous sommes encore dans ce règne là, et je crois que nous n’en sortirons pas.

    Ce qui frappe en revoyant Le Pacte des loups, au-delà de tout ce que le film revendique dans son rapport au genre, c’est l’exigence de chacun de ses costumes et décors. La caractérisation des personnages passe à travers leur tenue, les accessoires, le production design, la lumière, leur place dans le cadre… C’est presque maladif.

    Oui, c’est même fétichiste. Je suis fétichiste dans mon rapport au cinéma. Pas seulement le mien, mais aussi celui des autres. Pour moi, tout fait sens. Sur Le Pacte des loups, je faisais en sorte que la crinière de chaque cheval soit en harmonie avec les cheveux de l’acteur qui le montait. Il y a des détails qui réapparaissent dans la version 4K et qui avaient disparu dans l’étalonnage numérique d’origine. Notamment le fait que Monica Bellucci change de couleur d’yeux à chaque scène.

    C’est pour moi un personnage changeant, multifacettes, et j’ai repris un truc que j’avais déjà utilisé sur Crying Freeman, où le héros change de couleur d’yeux quand il est en état d’hypnose. Monica a donc des yeux argent, des yeux sombres, même des yeux vaguement rouges dans certaines scènes, pour lui donner un aspect vampirique. Je me suis souvenu de ça en revoyant le film : j’avais commandé un jeu de six paires de lentilles de contact à l’époque. C’est un détail qui a son importance, et qui montre que pour moi, tout devait faire sens, même d’une manière totalement subliminale. Mes films sont très volontiers ce que j’appellerais « anti-psychologiques ».

    J’aime bien le cinéma psychologique, mais je préfère le cinéma pur, c’est à-dire le cinéma où tout est transmis par l’image. Les détails, les couleurs, les costumes véhiculent donc, comme tu l’as dit, l’état d’esprit du personnage. Donc si l’état d’esprit change, la couleur d’yeux change. Évidemment, le cinéma français est largement bâti sur la « psychologisation », et ce jusqu’à ia névrose et la Caricature.

    Grégoire de Fronsac est vraiment un homme de la Renaissance: il s’intéresse à la science, à l’art, à la littérature… Ce personnage est en totale adéquation avec le film. Le Pacte des loups serait d’ailleurs stylistiquement incohérent sans ce protagoniste, et sans cette bête protéiforme.

    Oui et l’une des scènes emblématiques est celle de la truite velue, De Fronsac y montre une fabrication. Il est déjà sur la piste, déjà dans la bonne direction. Effectivement, la bête est un assemblage hétéroclite d’éléments rapportés composant une espèce d’animal mythique qui n’existe que parce que les gens ont l’intention d’y croire. Mais en fait, ce n’est qu’un lion martyrisé enfermé dans une carapace. Ce qui a le plus de prix dans le film, et ce qui montre le plus où va ma sympathie, c’est le plan sur l’œil de la bête, et la langue qui vient lécher la main de Fronsac juste avant que celui-ci ne lui donne le coup de grâce.

    Ces deux plans, maïs aussi l’extraordinaire performance de Philippe Nahon, qui projette dans la scène quelque chose de sublime. On en a fait un ogre, maïs il était tout le contraire. Il y a toujours un truc qui fonctionne dans le cinéma de genre : tu prends un mec connu pour des rôles de salauds, et tu lui fais jouer un type sympa ; tu prends un mec qui joue toujours des héros, et tu en fais une ordure ! Ça marche à tous les coups ! (rires) J’aime vraiment cette scène parce qu’elle résume parfaitement le message que je voulais faire passer, c’est-à-dire que l’homme peut être ignoble, mais la nature et les animaux ne le sont jamais. Pendant le tournage, je parlais beaucoup de Dressé pour tuer de Samuel Fuller, qui est le film qui raconte parfaitement Ça ! On a pris une bête, on l’a martyrisée, on en a fait ce monstre.

    On a souvent dit de manière très injuste que ce qui avait tué le cinéma de genre en France, c’était la Nouvelle Vague. C’est une aberration. Ce qui a tué le cinéma de genre en France, malgré l’amour que j’ai pour Louis de Funès, c’est Le Gendarme de Saint-Tropez

    Le design de l’armure de la bête est intéressant, car même en voyant la créature en plan large, on ne comprend pas totalement sa physionomie. La carapace de la bête reflète la vulgarité de l’homme.

    Oui, c’est fait de bric et de broc ! C’est une chimère fabriquée dans un magasin de bizarreries. D’ailleurs, le héros lui-même est condamné à un moment à reproduire ça.

    ll crée une version romantique de la bête.

    Oui, une espèce de loup avec un masque rouge. La bête qui est exposée au roi est une fabrication d’un vrai taxidermiste, qui d’ailleurs était passionné par l’idée que la bête du Gévaudan ait été une fabrication humaine.

    On peut détecter là un commentaire extradiégétique sur le métier de creature designer…

    Oui, le héros dessine des monstres tout le temps ! Dans mes films, il y a toujours des peintures, des artistes… Même dans le film sur lequel je travaille actuellement, le héros est un peintre. (rires) C’est une façon de parler de mon travail, car tout est toujours dessiné à l’avance, tout est en 2D avant d’être transposé à l’écran. C’est la phase que je préfère dans la fabrication d’un film. Quelqu’un dessine quelque chose, puis quelqu’un ajoute un détail, quelqu’un enlève autre chose pour clarifier les lignes. Et au final, on obtient un design qui donne sa personnalité au long-métrage. Il doit y avoir des chocs picturaux à l’intérieur d’un film ; le cinéma est à la croisée de pas mal d’arts, mais l’art pictural est très important.

    Restauration 4K: Retour en Gévaudan !

    Vendu par Samuel Hadida sur les marchés internationaux comme le « Matrix en costumes », Le Pacte des loups appartient effectivement à la même famille cinéphitique que les essais des Wachowski ou de Quentin Tarantino. Mais cette anomalie majeure dans l’Histoire du cinéma français a toutefois une carte à faire valoir sur le plan narratif : la nature protéiforme et bricolée de sa bête tragique justifie pleinement sa pluralité stylistique et tonale, tout comme le fait que le héros (Samuel Le Bihan en successeur évident de Belmondo) est décrit comme un véritable homme de la Renaissance, passionné à la fois par la science, la littérature, l’art et les femmes.

    Affichant un érotisme rafraîchissant par les temps qui courent, des tableaux horrifiques puisant autant chez Spielberg, Bava et Fisher que chez les frères Grimm (cf la superbe séquence de la bergère), un sens de la chorégraphie hérité de The Blade de Tsui Hark et du 13ème guerrier de John McTiernan (références confirmées par Gans) et même quelques idées connectées aux cultures du manga et du jeu vidéo (le combat final, entre Kawajiri et Soulcalibur), Le Pacte des loups tient étonnamment bien la route deux décennies après sa sortie, à plus forte raison dans sa nouvelle copie 4K.

    En 2001, le long-métrage s’était prêté à un étalonnage numérique encore au stade expérimental. La seule copie HD disponible depuis lors n’était qu’un gonflage artificiel d’un intermédiaire basse définition, Gans ayant peur de se confronter au matériau d’origine. Metropolitan aura réussi à l’en convaincre, et on les remercie : facilité par la photographie somptueuse de Dan Laustsen (Crimson Peak, Silent Hill) le travail de restauration est exemplaire et guide le spectateur vers des détails jusqu’ici seulement effleurés, comme la couleur d’yeux changeante de Monica Bellucci, les dessins de Grégoire de Fronsac ou le soin apporté à chaque costume, chaque draperie et chaque accessoire. Le nouveau mixage Dolby Atmos est à la hauteur de ce spectacle visuellement foisonnant.

    Notons pour finir que la copie remasterisée correspond bien au directors cut, dont les huit minutes supplémentaires développent les personnages de Jean-François, Marianne et Sylvia, sans toutefois modifier le sens global ni gommer l’ambiguïté de l’épilogue.

    Propos recueillis par Alexandre PONCET
    Merci à Zvi David Fajol

  • Buzz l'éclair réussi l'exploit de se faire censurer

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    C’est un baiser cochon, c’est pour ça. :hihi:

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    Ben moi, c’est pas plus de 2 épisodes par jour, pour garder le suspense :colgate:

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    Le réalisateur de The Witch hérite d’un budget conséquent et d’un casting quatre étoiles pour illustrer la vengeance d’un prince viking assoiffé de sang. Malgré un processus créatif contrarié, le résultat tient tout autant de la fable philosophique que du poème barbare.

    Combien de fois avons-nous accompagné dans ces pages les premiers pas d’un jeune cinéaste doté d’une vision affirmée, jusqu’au moment fatidique où celui-ci a fini par se frotter au système des studios ?

    Un schéma qui se reproduit aujourd’hui avec Robert Eggers, petit prodige dont le The Witch avait ensorcelé en 2015 critiques et fans de la chose horrifique. Celui-là même qui pour son second effort, The Lighthouse (2019), avait choisi la voie de la radicalité artistique humide et rugueuse. Et qui, aujourd’hui, signe donc une épopée viking en partie produite par Universal, budgétée à 60 puis 95 millions de dollars (en raison d’une interruption de tournage causée par la pandémie).

    Bien sûr qu’on avait la bave aux lèvres. Dans nos rêves naïfs les plus fous, on imaginait voir débarquer le chef-d’œuvre du cinéma épique moderne. En oubliant un peu vite qu’aujourd’hui plus que jamais, la liberté créative est inversement proportionnelle à la somme engagée pour lui permettre d’éclore. En avril 2022, soit un mois avant la sortie mondiale de son film, Eggers avouait sa nervosité au micro de The New Yorker, expliquant que suite aux scores mitigés des projections tests de The Northman (un peu plus de 60 % de taux de satisfaction du public là où le studio exigeait 75 %, avec des commentaires du style « Il faut avoir une maîtrise en histoire viking pour comprendre quelque chose à ce film »), il est contraint de revoir son montage afin de rendre son histoire plus accessible.

    Histoire que voici : après avoir assisté au meurtre de son roi de père et au rapt de sa reine de mère par son propre oncle, le jeune Amleth est recueilli par un clan de mercenaires. Au fil des années, il devient une machine à tuer sans émotion, avant de se résoudre enfin à accomplir sa vengeance. Mais ses fantasmes de représailles sanglantes vont se heurter à la realité d’un monde plus complexe qu’il ne le pensait.

    VENGEANCE AVEUGLE

    Du coup, à quoi il ressemble ce « chef-d’œuvre du cinéma épique moderne » passé à la moulinette des sneak previews ? Oh, juste à une version viking de Conan le barbare qui aurait mangé du John Boorman et du Tarkovski. On en convient, la formule a tout de la facilité journalistique un brin paresseuse. Mais que voulez-vous : Eggers lui-même parle volontiers de son amour pour le film de John Milius, et a parfois cité l’Andreï Roublev de Tarkovski comme une influence déterminante (on va y revenir). Quant à Boorman, on le mentionne juste pour mettre notre grain de sel dans la sauce, en ayant tout de même en tête que la façon dont Eggers parvient à entremêler ses élans mystiques et ses accès de brutalité dans un même geste organique rappelle pas mal l’Excalibur du réalisateur de Délivrance. Quant aux évidents élans shakespeariens du film, leur source n’est pas forcément à trouver du côté du poète anglais, mais bien de la légende viking dont celui-ci s’est inspiré pour écrire Hamlet… même si l’on détecte des traces de Lady Macbeth dans le beau personnage de reine aussi machiavélique qu’humaine fiévreusement incarnée par Nicole Kidman.

    Conforme à la passion qu’entretient Eggers pour les grands mythes fondateurs, The Northman convoque donc des figures majeures issues de cultures diverses, piochées dans les répertoires britanniques, scandinaves, ou même — de façon plus surprenante — latins. Ainsi, l’un des chapitres du film voit Amleth se livrer à un travail de sape moral à l’encontre du village dirigé par son ennemi juré, ce qui fait à la fois du personnage un héros doué d’une malice digne de l’Homme sans nom de Sergio Leone (la référence au western spaghetti vent d’ailleurs brièvement contaminer la musique via l’utilisation d’une guimbarde), mais aussi une émanation du monstre Grendel du poème épique Beowulf. Un rapprochement loin d’être innocent, la façon dont le film agrège ses références donnant en fait les clés de son sous-texte.

    Eggers honore certes l’amplitude mythologique de son sujet par des séquences opératiques mises en scène avec une indéniable ferveur (les visions fantastiques montrant la Norne, la Valkyrie ou l’Arbre des Rois). Mais dans le même temps, il n’occulte jamais la dimension presque simpliste de son héros, qu’il décrit à plusieurs reprises comme une créature guidée par des instincts purement animaux (en d’autres termes, un berserker), et qu’il ne cesse de confronter à un monde bien plus complexe que celui dessiné par ses aspirations revanchardes. En laissant l’amour fissurer le ciment de ses convictions au contact de la sorcière slave Olga (Anya Taylor-Joy, bien sûr) et en découvrant la vérité sur la mort de son père de la bouche de sa mère, Amleth comprend trop tard qu’il est le jouet de constructions culturelles qui l’ont poussé à reproduire des schémas comportementaux dominés par la répression et la violence.

    Une révélation que seules des femmes sont à même de susciter au sein d’une civilisation cimentée par un virilisme triomphant… La mention d’Andreï Roublev par Eggers prend alors tout son sens : le film de Tarkovski narrait en essence la prise de conscience par un artiste de l’impossibilité de laisser s’exprimer sa sensibilité dans monde ravagé par la cruauté et la cupidité. De la même façon, Amleth comprend peu à peu que la nature primaire de sa quête vengeresse ne lui permettra pas de s’accomplir au sein d’un monde agité par les tumultueuses subtilités des passions humaines…

    LE BRUIT ET LA FUREUR

    Le vrai tour de force de The Northman est donc d’apporter une vision profondément nuancée du récit de vengeance sans jamais nous spolier des visions guerrières et sensations exaltantes promises par le genre (et de l’assaut en plan-séquence d’un village à un affrontement dantesque au cœur d’un volcan, celles-ci sont nombreuses). Au diapason d’un Alexander Skarsgärd proprement transcendé (ses accès de fureur semblent faire trembler le film tout entier), la mise en scène d’Eggers propulse le spectateur au sein de cet univers minéral où se mêlent le sang et la boue.

    À plusieurs reprises, il débute d’ailleurs une séquence par une composition fixe quasi naturaliste avant de déplacer lentement sa caméra à la poursuite d’un élément en mouvement (un corbeau, une embarcation…), déplacement qui finira par révéler des visions d’une singulière ampleur. Une façon de faire cohabiter dans un même espace l’intime et le spectaculaire, le pulsionnel et le réflexif. Au lieu de favoriser une dimension philosophique au détriment d’une autre plus épique, The Northman nous fait donc admirer toutes les facettes du prisme du récit héroïque en nous laissant le choix de notre grille de lecture.

    Dès lors, et face aux défauts très mineurs du film -principalement une émotion qui tarde un peu trop à prendre corps -, on se prend à se demander à quoi pouvait donc ressembler le montage initial d’Eggers… En l’état, The Northman est bel et bien une grande élégie barbare qui investit tous les champs du possible cinématographique avec autant de subtilité que de générosité.

    Son échec douloureux dans les salles américaines est certainement un très mauvais signe. Mais sa seule existence est, en soi, une bénédiction.

    Par Laurent DUROCHE
    SOURCE: Mad Movies papier

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    Robert Eggers n’est pas seulement un cinéaste fascinant, c’est aussi un interlocuteur passionnant, dont le franc-parler tranche avec les conventions de la promotion hollywoodienne. Rencontre avec un auteur visiblement torturé et en constante remise en question, qu’on ne reverra probablement pas de sitôt à la tête d’un blockbuster…

    Dans The Northman, vous associez constamment vos personnages à des animaux. Il y a d’ailleurs une évolution dans leur animalité. Le héros enfant est décrit comme un dangereux louveteau, puis il devient un croisement entre un loup et un ours. C’est presque Cronenbergien, comme idée !

    C’est un élément qui fait partie intégrante de la mythologie et de la culture des Vikings et qui m’intéressait beaucoup. Il y a bien sûr des histoires de Vikings qui ne s’attardent pas sur cet aspect autant que je l’ai fait dans le film. Tout ce qui touche à l’âge chrétien, notamment, se détourne de ce thème. Mais oui, les guerriers loups et ours de mon film canalisent leurs instincts bestiaux pour commettre leurs atrocités. Au XXI° siècle, nous associons sans doute des valeurs bien plus positives aux animaux et à la nature.

    Comment avez-vous pitche ce film à Focus Features et Universal ?

    Je leur ai dit que j’allais réaliser un film de vengeance viking et la version la plus commerciale et divertissante d’un film de Robert Eggers. Je leur ai présenté le récit comme un mélange de Conan le Barbare et de Hamlet.

    Parlons de Conan le barbare. La structure de The Northman est très proche de celle du chef-d’œuvre de John Milius, en particulier dans le premier acte.

    Conan a été un vrai choc pour moi pendant mon adolescence. Pendant la préproduction, ou juste avant le tournage, je l’ai revu. Pas pour me préparer, mais j’avais besoin de me repencher dessus. Je dois avouer que j’ai glissé une citation directe, qui est très visible pour les fans.

    Quand il trouve son épée…

    Oui, le casque du squelette tombe. C’était un vrai hommage. Ce qui est intéressant, c’est que mon superviseur des effets spéciaux pratiques Sam Conway a mis au point le trucage pour cette scène où Amleth prend l’épée et provoque l’effondrement de la momie. Or c’est son père, Richard Conway, qui avait conçu cet effet pour Conan le barbare ! (rires)

    C’est un moment très marquant dans The Northman. On comprend immédiatement que vous êtes fan de Conan.

    C’est aussi un pur moment de mythologie viking, et Robert Howard s’est de toute façon énormément inspiré de tout ça.

    Il y a toutefois une énorme différence entre Conan et votre film: John Milius a demandé à Basil Poledouris une partition très opératique, portée avant tout sur l’émotion. Avec vos compositeurs Robin Carolan et Sebastian Gainsborough, vous vous êtes plutôt dirigé vers un score atmosphérique, abrasif et brutal. L’ambiance n’est pas du tout la même.

    Je pense que The Northman est très opératique. On peut même difficilement faire plus opératique, mais effectivement la musique a été un aspect très « difficile ». Quand on travaille sur un film pareil, avec très peu de coupes au montage, on a besoin de beaucoup de musique. Le score est donc beaucoup plus long que sur mes films précédents… et le film est beaucoup plus long lui aussi.
    La musique n’arrête presque jamais, et ce n’est pas quelque chose que j’apprécie généralement. Sur deux heures et quinze minutes de projection, il y a presque deux heures de musique.

    Je ne voulais pas d’un score de série télévisée, qui allait expliquer en permanence au spectateur ce qu’il devait comprendre ou ressentir. La musique nous guide un peu, mais elle crée surtout une pression et une énergie. Les nerds seront quand même contents d’entendre des instruments traditionnels nordiques, accompagnés par des chœurs et un orchestre hollywoodien. Tous les solistes se sont montrés respectueux du style hérité de l’ère viking, et les mélodies sont basées sur cette culture.

    The Northman est en effet très opératique, voire même par moments très théâtral. Lorsque le jeune Amleth quitte son pays en répétant « / will avenge you Father, | will Save you Mother, | will kill you Fjolnir », on se croirait presque sur les planches.

    Contrairement aux romances arthuriennes et aux récits liés à la quête du Graal, qui sont plus portés sur le mysticisme et peuvent être bizarres et difficiles à suivre, les sagas vikings ressemblent au cinéma d’action américain des années 1980. Il existe une histoire où le héros perce une mêlée sur la glace et finit par planter sa hache dans le crâne de son ennemi juré, en lançant l’équivalent nordique de « Voilà ce que j’appelle une migraine. ». On a essayé de trouver un certain équilibre au niveau du ton, mais l’histoire de The Northman devrait divertir pas mal de gens. Ce n’est pas du tout comme The Lighthouse. Pendant l’écriture de ce dernier, j’ai délibérément supprimé des scènes et des détails pour que les spectateurs aient un peu plus de mal à saisir l’intrigue.

    Avez-vous évoqué l’idée de tourner The Northman entièrement en langue viking, dans un esprit proche de ce que Mel Gibson avait pu faire sur Apocalypto ?

    Oui, bien sûr, mais je ne suis pas Mel Gibson et je ne peux pas autofinancer un projet comme celui-là. Les discussions ont donc tourné court. Mon choix de cœur aurait été de tourner tout le film dans une langue ancienne, mais j’ai dû me contenter d’utiliser l’old norse dans le contexte de certains rituels. J’aurais vraiment préféré aller jusqu’au bout, d’autant qu’écrire des dialogues anglais qui puissent évoquer un texte mythologique viking n’a pas été chose aisée.

    Au bout du compte, tous les acteurs parlent en anglais avec un accent nordique, et je n’aime pas particulièrement ce choix. Ça peut sonner un peu absurde, mais c’était la seule solution possible compte tenu des enjeux de la production. C’était soit ça, soit les faire parler avec leur vrai accent, et se retrouver avec des Vikings américains ou britanniques. Dans les années 1970, on se posait moins de questions : tous les acteurs parlaient comme ils le voulaient.

    Sur The Northman, cet accent commun était à mon avis le choix le moins problématique. Cela rappelle John McTiernan, qui a beaucoup joué avec les langues étrangères, notamment dans Le 13ème guerrier, qui est un autre sacré film de Vikings.

    J’ai choisi de ne pas revoir Le 13ème guerrier pendant ma préparation. J’ai tout de même revu Les Vikings de Richard Fleischer, car c’est une œuvre très iconique. Je pense que c’est un vrai bon film, même si voir Kirk Douglas sans barbe est un peu ridicule.

    Parlons un peu technique. Certains plans sont de véritables tours de magie, notamment le plan-séquence sur le volcan en éruption.

    Dans la plupart des plans les plus longs, il y a bien sûr des coupes savamment cachées, en particulier dans la scène du volcan. La fumée nous a beaucoup aidés à les couvrir. Nous avons tourné cette séquence dans une carrière à l’aide d’une énorme grue. Il y avait beaucoup de flammes et de fumée sur le plateau. Pour la lave, ils ont enterré des LED dans le sol, et ces LED bougeaient, nous offrant ainsi des effets de lumière crédibles. On a ensuite remplacé les LED par de la lave en synthèse. Le superviseur des effets visuels est parti observer une véritable éruption volcanique en Islande et a photographié de nombreuses références.

    Le raid sur le village est lui aussi très impressionnant. Amleth rattrape une lance au vol, la renvoie à l’expéditeur, l’armée fonce vers les parois, les escalades, et on suit le massacre sans coupure.

    Cette séquence est l’une des rares choses dans The Northman dont je sois vraiment fier. J’ai revu The Witch il y a peu, à l’occasion d’une ressortie en Blu-ray, et j’ai été profondément déçu par ce que j’ai redécouvert. C’était loin de ce que j’avais imaginé au départ. The Lighthouse, en revanche, correspond à mes attentes. J’ai rarement envie de revoir mes films, mais je peux me poser devant The Lighthouse sans honte.

    Après The Witch, c’était un projet qui proposait une échelle de production idéale. L’échelle de The Northman était à côté de la plaque pour moi. Je n’avais pas l’expérience nécessaire pour tourner un film de cette ampleur. Je suis donc fier de certains aspects, mais comme pour The Witch, je n’arrive pas à me montrer réellement satisfait. Mais oui, la séquence du raid est vraiment réussie.

    Vous paraissez très humble dans votre approche. Vous êtes en train de dire que vous êtes déçu du résultat global ?

    Il faut avoir certaines aspirations.

    Certes, mais on n’entend jamais ce type de discours dans le cadre d’une énorme promo.

    Je ne devrais peut-être pas vous dire tout ça, alors. (rires) Je ne dis pas que The Northman est mauvais, je dis qu’il n’est pas à la hauteur de mes espérances.

    Pourtant, ça ressemble vraiment à un film de Robert Eggers. Il y a même une pointe de sorcellerie dedans.

    Oui, il y a sept sorcières, je crois ! (rires)

    Vous avez pitché la version la plus « divertissante » d’un film de Robert Eggers, mais vous ne pouvez pas vous empêcher d’ajouter de la sorcellerie.

    En effet. Je dois vous avouer : le tournage a été difficile. Vraiment difficile ! Mais la postproduction a été pire. Je n’avais pas le final cut. Mon co-auteur Sjén m’a dit :

    «On est des créatifs intelligents, et si on est incapables d’interpréter les notes du studio de manière à rester un peu fiers du film, c’est qu’on ne travaille pas assez. ».

    Je dois donc le remercier, car il nous a permis d’atteindre la ligne d’arrivée… mais c’est ce que j’ai fait de plus difficile dans toute ma carrière. Je suis fier de The Northman, c’est effectivement un film de Robert Eggers, mais à bien des moments, j’ai cru que je n’allais pas y arriver.

    Vous n’aviez pas le final cut, mais vous avez tout de même réussi à vous écarter autant que possible d’un quelconque style hollywoodien. Le niveau de violence, par exemple, est inouï.

    Je ne suis même pas sûr que le studio ait compris au départ ce que j’allais faire. Sans le COVID, on ne m’aurait sans doute pas autorisé à tourner un film aussi énorme que celui-là avec une seule caméra. Mais ils ont accepté ! (rires) Des films d’action tournés avec une seule caméra, ça n’existe quasiment plus.

    Avez-vous story-boardé l’ensemble du film ?

    Oui, mais je ne crois pas qu’on ait fait de la prévisualisation 3D. Peut-être pour la scène de la tempête en mer, qui est entièrement réalisée en images de synthèse… D’ailleurs, je suis très satisfait du rendu. Je suis généralement allergique aux grands spectacles numériques, j’essaie de filmer le plus d’éléments réels pour ensuite les assembler à l’image. Je crois qu’on a créé des animations 2D assez primitives pour la séquence de la Valkyrie et pour le plan d’ouverture.

    Ce qui est intéressant dans The Northman, c’est que vous laissez planer le doute dans une certaine mesure sur les éléments fantastiques. On peut les voir comme des visions oniriques… mais vous égrenez des détails qui font pencher la balance du côté de la fantasy pure. Au début du dernier acte, un personnage secondaire ne parvient pas à retirer l’épée de son fourreau, donc le maléfice semble bel et bien réel.

    Je suppose que ce plan sur l’épée rompt l’ambiguïté. Oups ! (rires) Ce que je veux dire au spectateur, c’est : si vous y croyez, c’est que c’est vrai. Le héros y croit, de toute façon, donc pour lui c’est vrai. Même si c’est une hallucination qui se manifeste dans la psyché d’un personnage, est-ce que ça rend les choses moins réelles ?

    Le procédé installe en tout cas une atmosphère très étrange, qui culmine avec ce combat final. David Cronenberg avait déjà tourné un combat entre deux adversaires complètement nus dans Les Promesses de l’ombre. Quel est votre rapport à son cinéma ?

    Je ne suis pas forcément son plus grand fan, mais son regard d’auteur m’inspire beaucoup. Il a une voix très puissante. Je ne sais pas. Poussez-moi un peu plus. Allez-y, ne prenez pas de gants.

    Vos combattants sont nus, mais vous semblez vous autocensurer. Une nudité frontale était-elle interdite par le studio ?

    À cause de l’ampleur de la production, je n’avais pas le droit de tourner en nordique ancien, ni de montrer un pénis. Si vous montrez un pénis, vous ne pouvez pas vendre votre film à une compagnie aérienne. Or c’est un marché très important. Je n’étais pas très content quand on m’a annoncé ça, mais j’ai dû ravaler ma fierté. Je crois qu’au final, on ne perd pas grand-chose. Je n’aurais pas voulu que les spectateurs soient constamment tentés de regarder l’anatomie des acteurs. On ne va pas se mentir : on est tous comme ça, et on aurait regardé les pénis plutôt que le combat. Pour le raid avec les berserkers en revanche, j’aurais apprécié que certains agresseurs soient entièrement nus. Ça aurait été vraiment terrifiant.

    La violence dans The Northman n’est jamais glamorisée ou glorifiée. Quand les femmes ou les enfants sont pris pour cible, c’est très factuel, même si vous évitez de vous attarder sur leurs cadavres. C’est presque moral…

    C’est le genre de réactions que j’espérais. Je ne sais pas où se situe The Northman au niveau de la ligne morale. Je suis mal placé pour le dire. J’ai fait au mieux, mais Ç’a été très difficile. Par moment, la violence doit être divertissante ou excitante dans un film comme celui-là, mais on ne veut pas que le public ressorte avec l’envie de tuer son voisin. Avec le raid, mon intention était de créer un contraste avec l’attaque très excitante des berserkers et la séquence suivante, où on a presque honte d’avoir été diverti. Parce que cette violence n’a rien de cool.

    Ce qui nous amène à votre travail sur le point de vue. Cette scène n’est pas la seule à fonctionner à travers un prisme particulier. Il y a ce face à face entre Skarsgärd et Claes Bang entièrement tourné en regards caméra.

    La plupart du temps, on adopte le point de vue du personnage d’Alex, mais j’ai parfois essayé de me projeter dans d’autres protagonistes avant de revenir vers lui. Après tout, le 7° Art est une affaire de point de vue ! J’espère que The Northman sera bien reçu… et surtout que les gens iront le voir sur grand écran, dans un vrai cinéma.

    PROPOS RECUEILLIS PAR Alexandre PONCET.
    Merci à Cédric LANDEMANNE.

    SOURCE: MAd Movies papier

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    Frank Henenlotter, le réalisateur new Yorkais du trash urbain, des cultissimes Basket Case, Brain Damage et Frankenhooker, visibles sur la plateforme Shadowz, nous raconte sa vie, son œuvre dans une longue interview carrière fleuve.

    Enfant, vous regardiez quel genre de fims?

    J’ai commencé à regarder des films à le télévision. J’étais un mauvais garçon, j’avais pas d’amis, Même mes parents me détestaient (il rit). Je me demande encore pourquoi lis ne m’ont pas tué. Mais je regardais tout ce qui passait à la télévision, n’importe quel film. Parce que je trouvais ça trop bizarre, je me foutais de ce que je regardais mais j’étais fasciné par ce que je découvrais. Tout était inhabituel. Quand deux personnages marchaient dans un film, ils ne marchaient pas comme dans le vraie vie. J’étais fasciné aussi par la manière dont ils s’exprimaient, ou encore la manière dont ils se faisaient tirer dessus dans les westerns et tombaient de cheval.

    Évidemment, je ne comprenais rien des artifices. Je crois que le premier film que j’ai vu à la télévision était Le roi des zombies (Jean Yarbrough, 1941). Je n’aimais pas du tout à l’époque, je trouvais les zombies trop nazes. Aujourd’hui, J’adore le film, mais à l’époque, je détestais ça. J’ai grandi à Long Island. Là-bas, il y avait deux cinémas et l’un de deux était un immense cinémas, comme il n’en existe plus aujourd’hui. A l’époque, quand vous étiez enfant, Il était possible d’aller au cinéma tout seul le week-end, le temps de séances spéciales.

    Ah bon?

    Oui, Tous les enfants étaient parqués aux mêmes rangs et ne pouvaient pas s’en échapper, A l’époque, te cinéma en question encourageait les parents à laisser leurs enfants seuls et, pour je ne sais quelle raison, il passait des films d’épouvante. Ne me demandez pas pourquoi, ni comment, je ne sais pas du tout (il rit). N’empêche, c’était merveilleux.

    Alors j’ai pu découvrir d’autres films du même acabit qui ont su créer un impact fantastique comme Le cirque des horreurs (Sidney Hayers**, 1960**). Je n’arrivais pas à croire ce que je voyais, je n’arrêtais pas de crier «Nom de Dieu». Je ne savais rien du sexe mais je savais que des choses étranges se tramaient dans ces films. A cet âge-là, on comprend rapidement les sous-entendus, les ellipses.

    Je reste très marqué par la vision des Maîtresses de Dracula (Terrence Fisher, 1960). À une époque où la télévision ne diffusait que les films avec Rock Hudson et Doris Day, ça détonnait. Le cinéma apportait un intense contraste avec le fait de grandir à Long Island. Par la suite, j’ai connu l’époque des drive-in. Dans les années 90, tous ces cinémas ont commencé à disparaître mais à l’époque, il ÿ en avait partout, absolument partout. Ainsi, je pouvais découvrir des films qui ne passaient pas à la télé. Vous pouvez imaginer l’excitation de découvrir un film comme En quatrième vitesse (Robert Aldrich, 1955) sur grand écran?

    Avant de me rendre dans la salle, je me suis dit: «oui, c’est le film du mec qui a réalisé Qu’est-il arrivé à Baby Jane? Alors ça doit être pas mal.» Une fois dans la salle, wow, j’ai découvert le plus grand film noir jamais réalisé. En sortant, je tremblais presque. Rien vu de semblable. Et ensuite, jeune adulte, j’ai arpenté les cinémas de la 42e rue, un endroit merveilleux quand vous êtes cinéphile.

    Toutes les légendes que l’on raconte sur la 42e rue sont réelles, exagérées ou fausses?

    Il y a évidemment une bonne part de fantasme. On a beaucoup exagéré sur le côté malfamé, moi le premier. Croyez moi, il ne faut pas croire tout ça. Le seul problème que vous aviez lorsque vous alliez dans ces cinémas, c’était l’impossibilité de voir tous les films à l’affiche. Et donc la peur qu’ils disparaissent,

    Qui pouvaient prédire que des décennies plus tard ces films seraient retrouvés? À l’époque, ses films étaient en face de moi et j’avais peur de manquer un chef-d’œuvre. On pouvait voir tout ce qu’on voulait. Mais à l’époque, on était rapidement floués sur la marchandise. Souvent, le contenu ne ressemblait pas à ce qu’il y avait sur l’affiche. Je me souviens m’être rendu sur la 42e rue avec un pote et on avait été attiré par la magnifique affiche d’un film de Jess Franco. En sortant, mon pote s’est exclamé: «Putain, j’ai claqué 2 dollars 50 pour voir ça». Je voyais tous les films à l’affiche et je n’en avais jamais assez. Vous deviez être très attentif car parfois les films restaient à l’affiche un jour.

    Les deux films que j’ai vu pendant longtemps en salle pendant cette période d’euphorie, c’était La vallée des plaisirs (Russ Meyer, 1970) et Le Conformiste (Bernardo Bertolucci, 1970), deux films que j’adore mais qui sont très différents. On considère souvent Citizen Kane comme le meilleur film de l’histoire du cinéma et La Dolce Vita en second et Boulevard du crépuscule etc. Je suis fan de Otto Preminger comme je suis fan de Jess Franco, vous avez besoin de deux. Après tout, vous pouvez manger des légumes et de la viande.

    J’ai rencontré Jess Franco à de nombreuses reprises, il a tout fait, notamment des remakes. Mais jamais il ne copiait pas en faisant ses remakes, il faisait tout à sa sauce avec cette étincelle qui faisait la différence. Je pense aussi à un réalisateur comme Herschel!l Gordon Lewis. Ça n’a pas besoin d’être bon, il suffit qu’il y ait quelque chose de passionnant à prendre.

    Quelles ont été vos grandes découvertes au moment où vous avez créé la collection «Something weird video»?

    Tout ce qui tient de la sexploitation. Je n’ai pas grandi avec ses films et en fouillant dans les archives, j’ai découvert des choses hallucinantes. Pour commencer, ces films n’étaient pas réalisés par des cinéastes mais par des mecs qui louaient une caméra et qui se persuadaient que des filles seraient prêtes à montrer leurs seins. Ils ne faisaient pas ça pour l’art mais pour le vendre. Et puis, c’est rudimentaire.

    L’intrigue d’une sexploitation est simple, ça consiste à montrer des nichons à l’écran. Il y avait à chaque fois quelque chose qui me faisait halluciner et j’avais envie de demander aux gens autour de moi s’ils hallucinaient eux-aussi devant ces films.

    Je pense par exemple à un film homophobe de Floride qui disait du mal des homos mais qui, en même temps, s’avérait quelque peu attiré par le personnage masculin joué par un acteur efféminé. Dans une scène, il se faisait violer à l’arrière d’une voiture et perdu sur la route, il se trouvait près d’un culte démoniaque qui le rejetait parce qu’il avait été violé par des homos et que grosso modo ça pouvait les contaminer. Clairement, le mec qui a fait ce film avait un problème. Le personnage masculin s’échappait du culte comme une femme s’échappant dans les marchéages dans les films d’horreur. Sauf qu’ici, c’est un mec se roulant dans la boue dans un petit short blanc. Non seulement l’acteur l’a fait délibérément mais le cinéaste a pris plaisir à le filmer. Ce qui est très bizarre pour un film anti-gay. Et évidemment, dans le groupe satanique, figure une lesbienne repentie. Ce sont les joies de l’exploitation. le prie pour retrouver d’autres films comme ça.

    Aussi, les films rares ne le sont plus tellement, non?

    Aujourd’hui, n’importe qui peut les télécharger via un fichier torrent. Mais personnellement, je ne sais pas comment font les jeunes cinéphiles. Je ne conçois pas de regarder un film sur un ordinateur,

    D’autant que la frontière est beaucoup plus ténue en ce qui concerne l’exploitation. Lorsque Hollywood fait un film de super-héros, c’est de l’exploitation à gros budget. Quand je cherche un film, j’ai simplement besoin d’une année. C’est très important pour moi afin de savoir si c’est un film pré-code ou post-code. C’est là que l’on réaliste à quel point il est Impossible de faire des remakes de vieux films, tout simplement parce que les enjeux et le contexte social étaient très différents. Tout est lié à l’année où ça a été fait.

    Regardez Frankenhooker, un film sur le crack. À la fin des années 80, le crack était partout à Manhattan. Aujourd’hui, ce n’est plus trop le cas. je reste très curieux de savoir ce que les jeunes spectateurs pensent de l’addiction au crack par exemple, Pour être franc, je reste étonné que mes films soient encore montrés et cela me rend extrêmement humble. A l’époque, j’ai réalisé Basket Case, Elmer le remue-méninges, Frankenhooker pour une durée de vie extrêmement limitée, je pensais qu’ils ne resteraient que six mois à l’affiche d’un cinéma et que tout le monde oublierait ensuite.

    Au générique de Basket Case, on retrouve Jim Muro, le futur réalisateur de Street Trash, crédité comme assistant son.

    Oui, c’est sur Basket Case que nous avons commencé à travailler ensemble, mais nous nous connaissions depuis longtemps. Bien avant que je fasse des films. J’ai connu Jim Muro à l’âge de 14 ans et j’ai très bien connu sa mère. Nous étions tout le temps fourrés au cinéma. A l’époque de Basket Case, je l’ai laissé faire tout ce qu’il voudrait faire et surtout tout ce qu’il voulait apprendre. La force de Jim a toujours été la curiosité, la soif d’apprendre.

    Je me souviendrais toujours de la première fois où je l’ai vu se ramener sur le plateau de tournage avec une steadicam. Au lieu de me réjouir de sa découverte, je lui ai demandé pourquoi il avait dépensé tout son argent dedans. Ce genre d’anecdote prouve à quel point je n’étais pas malin et à quel point il l’était infiniment plus que moi. C’est sans doute pour cette raison qu’il a fait une bien meilleure carrière (il rit).

    Son autre qualité, c’est d’être visionnaire, il savait à quoi allait ressembler le futur du cinéma. Ce qui est drôle, c’est que Street Trash, son premier long métrage, a été réalisé exactement au même endroit où nous avions tourné Brain Damage: chez son père. Puis, au début des années 90, il est parti sur la côte ouest pour devenir steadicamer et il a eu raison, c’est le meilleur steadi-camer au monde.

    Vous vous rendez compte, il a bossé avec James Cameron sur des films comme Abyss, Titanic. Pourquoi voudriez vous qu’il revienne à la réalisation de films? Il n’a plus à se plaindre, il n’a aucun besoin de reconnaissance, il a d’ores et déjà une carrière que la plupart des artistes trouveraient enviable. Bref, je suis très fier de lui et de son parcours.

    Vous n’en avez pas marre d’être considéré comme le parangon du cinéma new-yorkais underground des années 80?

    Chaque journaliste qui m’interviewe me demande comment c’était le cinéma underground new-yorkais des années 80. C’est la question que l’on m’a plus souvent posée. Le mythe a bien été entretenu, j’imagine. Tout le monde souhaite que le New York des années 80 sait un lieu hautement culturel où tout le monde se connaissait et vivait des expériences intenses.

    Si je cherchais à vous embobiner, je vous donnerais la réponse la plus romantique qui soit, en vous assurant droit dans les yeux: «Oh oui, on sortait ensemble, c’était super les concerts du Velvet Underground avec Richard Kern etc.» Je vais donc être honnête avec vous: je ne connaissais personne, Les artistes d’alors étaient conscients qu’il y avait une effervescence, mais c’est tout. Par exemple, contrairement à ce que l’on peut lire à gauche et à droite, Abel Ferrara et moi ne nous connaissions pas dans le New York des années 80. Nous nous sommes rencontrés des années après. C’était cool mais furtif, à chaque fois. Essayez d’avoir une conversation avec Abel et vous comprendrez ce que je veux dire (il rit).

    Je me souviens juste qu’au moment de réaliser Basket Case, un ami m’a dit qu’un autre réalisateur tournait Driller Killer. C’était évidemment Abel Ferrara et je me souviens juste avoir été très très jaloux du titre de son film. Driller Killer, ça sonne si excitant. Maintenant, il se peut qu’une autre hypothèse soit possible : ils se connaissaient tous, eux, et je ne faisais pas partie du groupe ( il rit).

    En revanche, oui, nous faisons du pur underground au moment de tourner Basket Case. Nous n’avions pas de moyens, nous devions juste veiller à ne pas se faire voler le matos pour qu’on nous le revende ensuite. Sur le tournage, nous avions quelques éclairages, quelques chaises, une caméra 70mm… Que j’ai paumé d’ailleurs. En plein pendant le tournage, j’avais posé la caméra et oublié de la récupérer. Faut jamais me confier quoi que ce soit, je paume toujours des trucs.

    Quel est votre regard sur le cinéma Hollywoodien?

    Pessimiste, évidemment. J’ai le sentiment que ces grosses productions ne sont plus calibrées pour le public américain mais pour le public chinois, C’est fou, Il y a encore dix ans, Hollywood ne pensait qu’aux Américains; désormais, Hollywood drague la Chine. La première idée de l’industrie Hollywoodienne aujourd’hui, c’est de toucher un public à l’autre bout du monde pour vendre plus de billets. Cela fait maintenant des années qu’il n’y a plus rien de neuf. A part des films super-héros, il reste quoi? Est-ce qu’il y a eu un classique Hollywoodien récent? Est-ce que le cinéma américain actuel s’adresse à un public adulte? Combien proposent des idées?

    Savoir comment les super-héros vont nous sauver des super-méchants, je ne pense pas que ce soit franchement l’enjeu le plus excitant du moment. Prenez les films de monstre des années 50. Ce qui m’a toujours attiré avec ces films-là, c’est le surréalisme, l’incroyable surréalisme qui en émanait. Aujourd’hui, ce sont des produits. Hollywood exploite un genre jusqu’à l’épuisement: les slasher il y a dix ans, les films de zombies maintenant. Jusqu’à quand on va encore bouffer du zombie? Les films actuels m’ennuient. Les seuls qui me passionnent sont ceux en 3D. Chaque fois qu’un film sort en 3D, je me rends au cinéma. C’est pourquoi je tombe dans le panneau des films de super-héros. J’ai toujours aimé les films en 3D, précisément ceux qui ont été fait entre 1953 et 1954. Il n’y avait pas d’effets CGI donc pas de manipulation visuelle. J’adore Le crime était presque parfait, L’Homme au masque de cire et Kiss me Kate. Particulièrement le dernier.

    Ce n’est pas le film musical que vous imaginez, au prime abord. C’est drôle, audacieux et, des acteurs à l’équipe technique, ils se sont éclatés à faire ça. Après, il reste beaucoup de mauvais films en 3D. Je reste aussi très bluffé par la manière dont ils ont converti d’anciens films en 3D. Le Magicien d’Oz en 3D, c’est superbe. Jurassic Park, Titanic, aussi.

    C’est grâce au rappeur R.A. The Rugged Man Thorburn que vous avez pu réaliser votre dernier film, Bad Biology (2008)…

    Oui, c’est l’un de mes meilleurs amis. le l’ai connu au moment où je travaillais pour Something Weird Video, où j’avais laissé tomber la mise en scène. Quand j’ai connu R.A. The Rugged Man Thorburn, il n’était pas bien. Maintenant, il va super bien. je l’ai récemment revu avec sa fille qui avait alors six mois. Adorable. Elle n’arrête pas de crier.

    Nous venions d’univers très différents, je lui ai partagé mon amour du cinéma, je l’ai introduit au cinéma de Buster Keaton. Comme ceux qui découvrent Buster Keaton pour la première fois, il a adoré, il m’a demandé à en voir plus. Pareil pour Fellini, Je lui ai montré Satyricon. Lorsque je l’ai revu, des années après la découverte, il m’a confié: «Plus je revois Satyricon, plus j’adore».

    Ainsi, à l’époque où j’étais chez Something Weird Vidéo, il m’a accosté: «si j’ai un peu de pognon, ça t’intéresserait de refaire un film?» Je lui ai répondu «oui» sans y croire réellement. Et finalement, si. En fait, la vraie réflexion derrière Bad Biology, c’était de dire: «que pourrions nous proposer comme film unique?»

    Du genre un film que le spectateur ne puisse pas découvrir de meilleure version si un jour un remake a lieu. Dans ce cas, vous revenez au sexe parce qu’il faut de l’audace pour l’aborder frontalement. On voulait faire un film de sexploitation contemporain. A chaque fois que je racontais ce que l’on pouvait faire, R.A, The Rugged Man Thorburn n’arrêtait pas de rire et comme il connaissait mes goûts en cinéma, il voulait absolument voir ce que ces délires allaient donner sur grand écran. C’était assez excitant à faire.

    Ce qui a coûté le plus cher, c’est de louer la caméra. J’ai tourné avec une équipe réduite et je pense que c’est la meilleure façon de tourner, je ne vois pas l’intérêt de tourner avec une grande équipe. Quand j’ai fait Basket Case 2, nous étions 65 sur le plateau. Les questions quand on fait du cinéma restent toujours les mêmes: où est-ce que je pose la caméra et comment je compose mon plan? Sur Bad Biology, nous étions 11 sur le tournage, en incluant le casting.

    »* Selon vous, à quoi ressemblera le cinéma en 2050?]**

    Bonne question, je n’y ai jamais pensé. Je m’en fous un peu car, en 2050, je serai mort. Il y aura probablement moins de films et je ne sais pas si on continuera à réaliser les films restants avec des budgets aussi exorbitants. C’est dégueulasse hein cet argent que les équipes de films dépensent dans des superproductions, non?

    Interview par Thomas AGNELLI

    SOURCE: chaosreign.fr

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    Chasseur de nuit

    Avec l’ensorcelant Zeros and Ones (édité en Blu-ray par Metropolitan) le New Yorkais exilé à Rome poursut l’exploration de ses thèmes fétiches : goût pour là QUIL. métamorphoses de l’image, ambiances paranoïaque… || passe aux aveux sur son besoin irrépressible de tourner, même en plein confinement.

    Comment est né Zeros and Ones ?

    Cela faisait longtemps que je réfléchissais à une histoire parlant de contre-espionnage, avec des agents secrets et des soldats américains présents en Europe. Je pensais à quelque chose qui serait presque dans le genre de L’Armée des ombres de Melville : vous savez, un film sur les résistants pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Il y avait aussi l’idée d’un complot terroriste visant le Vatican, semblable à l’attaque contre le World Trade Center. Mais je n’arrivais pas à réunir ces éléments dans ma tête, jusqu’à ce que la pandémie survienne. Nous étions alors en train de tourner le documentaire Sportin’ Life, où il y a pas mal de plans nocturnes de Rome. En faisant des allers et retours à la salle de montage, je marchais moi-même dans ces rues la nuit, et c’est là que l’histoire de Zeros and Ones s’est mise en place.

    Quel est le sens du titre ?

    Les personnages sont dans une guerre, et il y a des gagnants et perdants, comme lors d’un match de football . De plus, les O et les 1 sont les constituants du numérique. Vous voyez donc une compétition au sein d’une image qui résulte d’une équation mathématique.

    Et justement, le numérique vous permet de montrer la nuit, que vous avez toujours filmée de manière incroyable…

    Écoutez, nous avons tourné dans le quartier de Rome où je vis depuis huit ans : je me rendais toujours à pied sur le plateau. Je connais donc très bien ces rues. Bien sûr, chaque nuit était différente, chaque endroit était différent. Mais avec le directeur photo Sean Price Williams, qui avait déjà éclairé Sportin’ Life, nous avons laissé l’atmosphère venir à nous. Nous nous sommes ouverts aux lieux et aux situations, pour pouvoir exprimer leur nature, ce que nous y trouvions de beau et de cinématographique.

    De toute façon, c’est l’Europe. À Rome comme à Paris, il y a eu de super architectes, qui se sont appliqués à ce que les immeubles aient un bel aspect dans la lumière de nocturne. C’est pareil pour la nourriture: ici, même avec la mauvaise volonté, vous ne pourrez jamais faire un mauvais repas. Que ce soit dans une gare ou un aéroport, la lumière de Rome est à nulle autre pareille. Bien sûr, tu l’utilises en y mettant ta propre vision. Mais, mec, tu as déjà beaucoup de matière avec quoi travailler.

    Vous avez voulu avoir un principe de mise en scène nouveau pour chaque nouvel endroit ? Par exemple, le club de boxe est filmé avec des grands-angulaires…

    Ah, vous parlez de la torture du waterboarding ? En fait, il y a deux caméras dans le film, la seconde étant celle tenue par le personnage principal. Il shoote aux deux sens du terme, car il a à la fois un flingue et une caméra. Avec cette dernière, il tourne des images de surveillance, qui ont par définition un champ très large, car il s’agit de rassembler le maximum d’informations. Nous n’avons pas eu peur d’inclure dans le montage ces images dénuées de stylisation.

    Je comprends qu’on abandonne beaucoup de choses quand on ne tourne plus en pellicule, mais l’avantage du numérique est la possibilité de manipuler les images. Ici, nous avons employé tous les outils disponibles, comme cette mini-caméra vidéo Bolex que Sean a choisie pour des raisons précises. En effet, il connaît son affaire pour rendre la nuit magique.

    Les plan généraux sur la ville font penser à ceux de votre film New Rose Hotel

    Vous savez, Sean a débuté dans l’équipe de Ken Kelsch, le directeur photo de New Rose Hotel. Ce dont vous parlez fait donc partie de son répertoire, de son histoire. Lorsque nous avons fait New Rose Hotel, c’étaient les débuts de la vidéo. Nous avons néanmoins tourné en pellicule, mais nous avons ajouté une sorte de conscience vidéo. En effet, les thèmes étaient la surveillance, l’espionnage comme façon d’outrepasser la loi. « Thèmes » n’est pas le bon mot, mais vous voyez ce que je veux dire.

    New Rose Hotel parle d’espionnage industriel, tandis que Zeros and Ones évoque le terrorisme et les fake news. Pour vous, cela résume l’évolution du monde pendant les 25 ans qui séparent les deux films ?

    New Rose Hotel racontait clairement une opération capitaliste, mais quand le personnage joué par Christopher Walken parle de l’« edge », c’est un truc politique qui va au-delà de l’argent. Il s’agit de pouvoir, de contrôle, de manipulation, tout comme dans Zeros and Ones. Nous vivons cela en ce moment même, avec la guerre en Ukraine. Quelle stratégie y a-t-il derrière le fait de tuer des femmes et des enfants ? Ce type est-il un mégalomane comme dans la nouvelle de William Gibson qui a inspiré New Rose Hotel ?

    En concevant Zeros and Ones , vous avez aussi pensé à votre film Body Snatchers, l’invasion continue ?

    À quel niveau ?

    Pour l’ambiance de paranoïa dans un contexte militaire…

    Ah oui, j’ai beaucoup pensé à ce que j’avais fait dans Body Snatchers pour recréer la vie dans l’armée. C’est marrant car Phil Neilson, qui joue le partenaire d’Ethan Hawke dans Zeros and Ones, est un ancien Marine. Il avait déjà été très impliqué dans Body Snatchers, car si vous voulez montrer le contexte militaire, c’est comme pour tout : vous devez le dépeindre correctement. Les uniformes et comment les soldats les portent, comment ils tiennent les armes, comment ils se comportent les uns envers les autres.

    Car Zeros and Ones ne montre pas une guerre entre espions, c’est du putain de meurtre au sens propre. Ces gens ne sont pas des gangsters, ce sont des mercenaires, ou même des soldats américains qui agissent sans couverture. Ils marchent dans la rue la tête haute, et font ce qu’ils veulent. Car la police n’est pas là, et personne ne va garder trace de leurs agissements. Ainsi, s’ils décident de tuer des nanas ou de passer un type au waterboarding, ils le font. Jusqu’à faire exploser le putain de Vatican ! Même chose dans le film que je fais en ce moment, Padre Pio, qui parle d’une autre guerre.

    De quoi s’agit-il ?

    Padre Pio est un saint italien, un prêtre qui a reçu des stigmates. Cela s’est passé au début du XXème siècle, juste après la Première Guerre mondiale, au même moment que l’émergence du régime fasciste. Le film est une combinaison de choses politiques et de choses religieuses. Shia LaBeouf joue le rôle de Padre Pio.

    C’est intéressant car dans Zeros and Ones, le frère jumeau terroriste peut apparaître comme un marxiste ou un anarchiste, mais il se réfère aussi à Dieu…

    Vous savez, c’est un révolutionnaire, un rebelle. Il est contre l’armée, il est un libre penseur, il prêche pour l’égalité, la liberté, la poursuite du bonheur. C’est comme ce qui arrive dans le monde en ce moment même. L’Ukraine voulait sa liberté, et l’autre type a immédiatement riposté. C’est aussi simple que cela : quand on tue des femmes et des enfants, que ce soit au nom de la droite ou de la gauche, c’est du fascisme. Je pense donc qu’à présent, tout le monde doit prendre position. Je ne vais pas prendre les armes et aller là-bas, même si c’est une option possible. Mais c’est LE moment de vérité. Ne vous inquiétez pas de la Troisième Guerre mondiale : elle est déjà là, il est trop tard pour l’empêcher.

    Ethan Hawke joue le double rôle du soldat US et du jumeau révolutionnaire, mais au début et à la fin du film, il donne aussi un témoignage personnel par webcam, disant notamment qu’il n’avait rien compris au scénario. À l’inverse, dans le livret du Blu-ray, l’actrice Dounia Sichov assure que le script était très précis.

    Dounia avait déjà été actrice dans plusieurs de mes films, et comme elle est aussi monteuse, elle m’avait servi de guide pour le montage. Elle est donc plus proche de ma démarche. Quant à Ethan, j’avais travaillé avec lui à la préparation de 4h44 dernier jour sur Terre, car il devait jouer dedans à l’origine.

    Ce que j’aime dans son discours, c’est qu’il a totalement adhéré à l’effort de groupe. Qu’importe ce qu’il a compris ou pas, du moment qu’il aime l’idée du film et les gens qui le font. Par un hasard fou, son propre frère est un militaire des forces spéciales, et cela lui a permis de saisir son double rôle. Nous avons parlé de cet aspect, mais au fond, je ne l’ai pas dirigé. En fait, même si je suis ce qu’on appelle en anglais un « director », je ne dirige jamais les acteurs. (rires) Mais Ethan a été très généreux et ouvert avec les autres comédiens, dont certains ne sont pas des professionnels.

    Par exemple, l’un des rôles est joué par la femme qui était chargée des repérages des extérieurs. Enfin, Ethan était d’accord avec moi pour dire que, comme nous allions être en confinement pendant un bon moment, il fallait commencer à tourner. Je crois que c’est ce qui a concrétisé le scénario. Je sais d’instinct quand il est temps d’arrêter d’écrire, pour sortir dans la rue et se mettre à tourner.

    Mais ces adresses de Hawke à la caméra étaient prévues dès le départ ?

    Pas de un tout. Ethan a enregistré le premier clip pour aider a réunir le budget du film. Or, cela collait bien avec la période de la pandémie, pendant laquelle beaucoup de choses se sont faites par vidéoconférence. J’ai donc réutilisé ces images, car je cherche toujours des biais. Dans chacune de mes œuvres, j’ai employé des tas de matériaux : des images sorties d’Internet, des bouts de prises situés après le mot « Coupez ! », des répétitions enregistrées par hasard…

    Tout ce qui peut apporter une putain de contribution au film ! Et plus tard, j’ai pensé que nous pouvions terminer Zeros and Ones avec Ethan qui donne sa vision de ce que nous venons de voir. En effet, il y a en quelque sorte trois personnages : le soldat, le frère rebelle, et Ethan lui-même. Le frère s’exprime, maïs pas le soldat, car il est justement entraîné à ne pas révéler d’informations, faute de quoi il se ferait tuer. J’avais ainsi envie de voir Ethan parler une dernière fois. Directement, sans foutaises.

    Il parle notamment de son rapport aux réalisateurs, lesquels ont perdu de l’influence dans le Hollywood actuel. Le temps paraît loin où un grand studio pouvait produire un film comme votre Body Snatchers…

    De toute façon, Hollywood a toujours été la capitale mondiale du divertissement. Ils ne pensent qu’à l’histoire racontée. Mais une histoire peut être trompeuse, se mettre en travers du chemin. C’est très bien d’être un narrateur, mais je m’intéresse moins à ce qui va arriver dans la séquence suivante qu’à ce qui arrive a l’instant présent. Tout comme la lumière de Rome, j’Europe est ainsi devenue un abri pour moi. Je n’ai pas envie de dépenser de l’énergie à me battre pour avoir le droit de faire des films, à expliquer à tout le monde ce qu’est le boulot de réalisateur.

    C’est aussi simple que cela : je veux vivre dans une culture où le cinéma est jugé important, où ce que je fais est soutenu. Je n’aurais pas cela à New York, où c’est chacun pour soi. Mon pays est jeune, il a 350 ans. La ville de Rome, elle, a 3000 ans. Elle est donc naturellement plus évoluée en termes de culture. Cela ressent dans l’air que tu respires, la nourriture que tu manges.

    Vous parliez tout à l’heure d’effort de groupe. Joe Delia est encore et toujours votre compositeur…

    Et Joey est présent du début à la fin de la création de chaque film. Non pas qu’il écrive à proprement parler, mais il est là au moment de la première idée, à l’étape du scénario… Il est aussi l’une des rares personnes qui regardent les rushes : nous les lui envoyons chez lui à New York.

    À partir de là, nous n’avons aucun plan préétabli. Joey joue en toute liberté, avec Tony Garnier, un bon ami à nous qui est le bassiste de Bob Dylan, et Danny Toan, un guitariste au style inimitable. Fondamentalement, la bande originale est l’œuvre de trois musiciens. Je n’utilise pas tous les morceaux qu’ils m’envoient, mais ils sont vraiment à la source du montage. Parfois, je décide du placement de la musique avant même de m’occuper des images.

    Delia était déjà là sur le film que vous avez réalisé avant votre premier long-métrage officiel : le porno 9 Lives of a Wet Pussy. Cela vous fait quel effet qu’il soit ressorti en Blu-ray aux États-Unis ?

    Déjà, c’est fou que des gens s’y intéressent encore. Ensuite, eh bien nous avons fait ce film, et il appartient à mon œuvre. Je dois assumer mon travail, frère, que puis-je te dire ? Le problème avec 9 Lives…, c’est que les deux meilleures scènes n’y sont plus. À l’époque, la copie d’un film porno passait de ville en ville. Celle de la côte Est jouait à New York, puis à Philadelphie, Washington, Charleston, Savannah, Miami… Et les projectionnistes coupaient souvent des scènes pour les mettre dans leur collection personnelle — ils se seraient fait choper s’ils l’avaient fait avec un film hollywoodien, mais là, ils pouvaient. Naturellement, ils coupaient les meilleurs moments, et c’est ainsi que deux scènes de 9 Lives… ont été perdues pour toujours.

    Je ne dirai pas ce qu’étaient ces séquences, sinon qu’il s’agissait d’extérieurs nuit. Le truc, c’est qu’une révolution s’est produite avec Barry Lyndon. Kubrick a inventé des objectifs à très grande ouverture permettant de tourner à la lumière des bougies, sans éclairage électrique. Et les laboratoires ont aussi créé une technique de développement de la pellicule à basse exposition.

    Avant cela, vous ne pouviez pas tourner de nuit dans les rues de New York Sans éclairage d’appoint. Mais après 1975, c’est devenu possible, grâce à ces objectifs et à ce traitement du négatif en laboratoire. Cela a alors été le début du Cinéma indépendant à New York, et ailleurs.

    Propos recueillis par Gilles Esposito
    Merci à Nicolas Rioult et Diana Phillips

    Source: Mad Movies (magazine papier)

  • Laurent GERRA - Sans modération - 2018

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    @pollux a dit dans Laurent GERRA - Sans modération - 2018 :

    le mien ne fait que 2 heures et rien à propos d’Enrico

    Le sketch traite de la haute-couture islamique, burkini, burqa, hijab et autres types de vêtements pour femmes.

    A la limite, je peux très bien comprendre pourquoi il est manquant dans une version du spectacle, mais si jamais, on peut le trouver sur Tirexo.

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    Pour qui n’as pas vu Onoda - 10 000 nuits dans la jungle, je vous conseille chaudement de vous jeter dessus rapidement 😉
    En attendant, petite interview fort intéressante de son réalisateur: Arthur Harari

    Présenté en ouverture d’Un certain regard au Festival de Cannes, Onoda raconte l’histoire ahurissante d’un soldat japonais qui passe trente ans dans la jungle en se persuadant que la guerre n’est toujours pas finie. A travers les thèmes qui traversent son film: l’héroïsme, l’idiotie, la mort, le temps qui passe, la quête de sens, le réalisateur Arthur Harari évoque aussi ses influences et sa conception du cinéma.

    On savait qu’il existait plusieurs cas de soldats japonais qui n’ont pas arrêté de faire la guerre. Qu’est-ce qui vous a intéressé précisément dans le cas d’Onoda?

    C’est la pureté avec laquelle on peut raconter cette histoire, même en une phrase, qui me semblait parler à la fois à tout le monde et aussi à moi de manière très intime. Notamment sur la question de l’intégrité, même si je n’avais pas ce mot-là en tête. Ce qui me fascine, c’est la capacité du personnage à s’accrocher de manière presque absurde, au-delà de la raison. Tel que je l’ai imaginé, on peut se demander si Onoda n’est pas atteint d’une forme d’idiotie presque philosophique. Et dans cet acharnement, dont il est impossible de dire si c’est bien ou mal, il y a quelque chose qui met en arrêt. Je crois aussi que ça ramène à des choses un peu mythologiques, mais aussi à Becket, dans ce qui relève de l’absurde. Le film ne traite pas tellement l’histoire du point de vue de l’absurdité, mais c’est là quand même. Il y a quelque chose de l’épure de la condition humaine peut-être. Tout ça se mêlait pour aboutir à l’évidence que c’était une histoire pour le cinéma.

    Il est tentant de penser que vous avez trouvé de quoi réaliser votre version très personnelle d’Au coeur des ténèbres.

    Même si je n’y ai pas pensé en ces termes-là, le roman m’a énormément marqué, indépendamment de la version de Coppola qui est extraordinaire. Dans l’édition que j’ai lue, l’histoire était couplée avec un texte court de Conrad qui s’intitule Jeunesse. C’est un récit de marin qui raconte sa première traversée, c’est profondément nostalgique et mélancolique, mais avec une vigueur très forte. Et comme toujours chez Conrad, on ne sait jamais s’il est question d’illusion ou de désillusion. Il y a une phrase sublime qui exprime la prise de conscience que notre jeunesse ne reviendra plus et que c’était la plus belle des choses, même si elle reposait sur le pouvoir absolu de l’illusion sur nous.

    Mais il n’y a aucun regret à s’être illusionné. Il y a quelque chose de ça dans Onoda: le temps, ou l’expérience du temps produit cet effet-là. Onoda reste fidèle à une forme d’illusion, une fois pour toutes, et sans doute, quand il finit par partir, il ne sortira jamais du sentiment que c’était mieux de s’illusionner. Ça a à voir aussi avec l’expérience du cinéma: on suspend notre âge adulte, notre savoir, le temps d’un film. Je pense réellement qu’aller au cinéma, c’est suspendre sa maturité. On en fait toujours usage en tant qu’adulte, parce qu’on voit les films différemment, en faisant appel à son intelligence, à son esprit critique. Mais on fait plusieurs expériences, et la première d’entre elles, c’est de redevenir un enfant. Voir ce qui arrive en voulant être mystifié. Vouloir croire en quelque chose. Certains n’aiment pas ça, mais personnellement, je reviens toujours vers ce que j’aimais quand j’étais gamin. Et chez Onoda, il y a quelque chose de l’enfance.

    Il y a quelque chose d’intemporel dans le film. Sans trop dévoiler, il commence dans les années 70, et on se dit qu’il aurait très bien pu être tourné il y a 50 ans.

    Onoda et ses camarades sont les sujets d’une histoire de l’humanité qui dépasse à la fois le moment et le lieu où ils sont. Je n’ai pas du tout cherché à recréer quelque chose de vintage, mais au contraire de donner cette impression de ne plus savoir d’où vient le film, ni même qui l’a fait. Je voulais qu’il n’y ait pas de signe de contemporanéité affirmée. Mais quand on écoute la musique, il y a des sonorités qui n’auraient pas pu exister avant, parce qu’elles sont électroniques, même si discrètes. Ce qui peut paraître classique, c’est le recours à la mélodie, à des thèmes identifiables. D’ailleurs un des ces thèmes est médiéval et un autre est emprunté à Glück. De même, le traitement de l’image, qui est numérique, doit beaucoup aux outils d’aujourd’hui.

    Vous décrivez une réalité très japonaise tout en suggérant que l’histoire aurait pu se passer ailleurs.

    C’était délibéré. Je ne voulais pas expliquer cette histoire par le fait qu’ils sont japonais et qu’ils ont le sens de l’honneur et du sacrifice, et qu’il n’y a que des Japonais pour agir ainsi. Représenter cette histoire à travers un prisme japonisant est un piège qui aurait empêché d’ouvrir le film. Par ailleurs, je ne sais pas ce que c’est qu’un Japonais. Je suis allé au Japon pour les besoins du film, mais je ne connais toujours pas la société japonaise. Je ne me considère absolument pas légitime pour porter un discours sur ce sujet. Une des choses qui m’a excité, c’est que les valeurs, ou les motivations d’Onoda, sont transversales, transnationales et même transhistoriques: le courage, la valeur, la parole donnée, la croyance, l’illusion ne sont pas des inventions japonaises. Elles sont là. Je n’imaginais pas raconter l’histoire autrement.

    AU FOND, ONODA SE PIÈGE LUI-MÊME POUR TROUVER QUELQUE CHOSE DE BEAU, UNE AVENTURE ESTHÉTIQUE, PRESQUE TRANSCENDANTE, DANS LAQUELLE IL TROUVE UN NOUVEAU RAPPORT AVEC LE MONDE. PARCE QUE LA RÉALITÉ N’EST PAS SUFFISANTE, DU COUP IL FAUT L’AUGMENTER. JE ME SENS PROCHE DE LUI EN CE SENS. POUR MOI, LA RÉALITÉ N’EST JAMAIS SUFFISANTE. LES FILMS PERMETTENT DE TROUVER CE QUI MANQUE.

    Le film pose la question de l’héroïsme, mais d’une façon pas tout-à-fait classique. Contrairement aux héros de tragédie qui doivent passer par la mort pour entrer dans la légende, Onoda ne meurt pas, mais il accède quand même a cette dimension de façon oblique. Son rapport à la mort est très particulier, puisqu’il n’a pas le droit de mourir.

    Oui, c’est un rapport complètement tordu! Là, pour le coup, la tradition japonaise valorise le sacrifice par la mort dans un certain nombre de cas et en particulier quand l’honneur est perdu. Lui est héritier de cette tradition et en même temps, il découvre quelque chose de totalement nouveau et opposé, c’est-à-dire se sacrifier sans mourir. Donc survivre coûte que coûte, ce qui va non seulement faire de lui un vieux héros, parce qu’il ne peut que vieillir, mais aussi quelqu’un qui fait des choses pour des raisons qu’il est seul à connaître. Il envoie ses amis à la mort, il tue des gens qu’il ne devrait pas tuer. Il a subi une espèce d’envoûtement, dont il faut le délivrer à la fin. Donc il est forcé à une forme d’héroïsme absurde, qui l’empêche de prouver sa valeur autrement qu’en échappant à la mort, donc en la fuyant. Il n’est héroïque que parce qu’il est encore là trente ans après. C’est très discutable cette question de l’héroïsme. Et très gênant.

    C’est particulièrement gênant quand on sait que les nationalistes ont fait d’Onoda un héros à son retour au Japon.

    Oui, dans un contexte extrêmement complexe. C’est vrai qu’il s’est laissé récupérer, et qu’il a fini par être assez d’accord avec ça. Mais il a aussi impressionné beaucoup de gens au Japon et en dehors du Japon, qui n’étaient pas nécessairement nationalistes ou nostalgiques de la guerre. L’année dernière, bien après avoir fini Onoda, j’ai découvert Le Crabe Tambour de Pierre Schoendoerffer, et j’ai été stupéfait en découvrant que le film s’ouvre sur un écran de télé qui montre Onoda débarquant au Japon à l’aéroport. Le film est magnifique, il parle de la mélancolie désespérée de ce que c’est qu’être un militaire, et quand on voit Rochefort découvrant Onoda à la télé, on a l’impression qu’il assiste au retour d’Ulysse, ça va bien au-delà de l’idéologie. Mais il ne faut pas être naïf non plus, il y a vraiment une part d’idéologie chez Onoda.

    Pour revenir à la mort, est-ce que ça ne l’arrange pas, cette injonction de ne jamais mourir? Il a raté sa vocation de pilote, mais lorsqu’on lui donne l’occasion de se rattraper en tant que kamikaze, il refuse!

    Parce qu’il est humain! Personne, qu’il soit japonais ou autre, n’a envie de mourir. Donc oui, ça l’arrange. Avec l’aide de son mentor, qui a très bien compris à qui il a affaire, Onoda trouve un endroit où il peut essayer d’être un héros. Ce qu’il veut, c’est atteindre une certaine hauteur, voire la dépasser, mais si possible sans mourir. Et on lui donne cette possibilité, donc il fait preuve d’un mélange de courage et de lâcheté, même si ne pas vouloir mourir n’est pas vraiment une lâcheté, c’est naturel. Encore une fois, rien n’est pur.

    Le mentor est génial, parce qu’il repère les faiblesses du personnage et les exploite en lui donnant des injonctions paradoxales: «Tu dois obéir aveuglément, et en même temps tu ne dois obéir qu’à toi-même». Et Onoda dit oui, sans réfléchir, et il est parti pour 30 ans…

    Onoda intériorise complètement cette dualité, ce paradoxe, et le plus fou, c’est qu’il y arrive. Par exemple, la croyance que l’armée japonaise va revenir le chercher, parce qu’on le lui a dit, cette croyance finit par se concrétiser. Il y a donc une espèce de fable sur la croyance et la ténacité, et aussi l’idiotie, en tant que suspension de l’esprit critique et de l’intelligence. On ne peut pas exactement dire qu’il a eu tort. Il finit par tordre la réalité selon sa croyance. Ce qui m’avait intéressé c’est que le supérieur hiérarchique, quand il a été contacté par le jeune touriste, a dit: «Mais je ne crois pas lui avoir donné cet ordre!». C’est compliqué de juger de sa bonne ou de sa mauvaise foi, le contexte japonais étant très compliqué: il n’y avait plus d’autorité militaire, lui en plus avait été lié à une école secrète qui avait disparu, donc personne n’avait voulu assumer la responsabilité de ces dernières formations, N’empêche, Onoda est le seul de cette école qui est resté trente ans. Pourquoi? Il y avait peut–être effectivement quelque chose qui l’arrangeait. Il ne voulait peut-être pas être au Japon. Il voulait être le maître quelque part. Ce sont des pistes possibles. Je n’ai pas de réponse.

    Quand on revient le chercher une première fois avec son père et son frère, non seulement il n’y croit pas, mais il croit déceler un code secret pour lui donner de nouvelles directives. Cette façon de donner du sens ressemble beaucoup à de la paranoïa.

    C’est un rapport à la réalité qui est de l’ordre du refus, et en même temps ça le rend extrêmement inventif. Les choses n’étant pas ce qu’elles ont l’air d’être, il faut réinventer en permanence des manières de s’illusionner. Et comme il est autonome, puisqu’il est son propre officier, il donne les ordres et il les exécute. Et comme ils sont deux, il y a une sorte d’amplification de la folie. Il ne croirait pas autant s’il n’y avait pas quelqu’un pour l’accompagner. Quand il décortique le haïku, il trouve une forme de stimulation intellectuelle dans cette façon de créer du sens là où il n’y en a pas assez. Ça entretient leur vitalité.

    Et ce moment où ils réinventent la géopolitique, avant d’aller sur la plage, c’est un moment de plénitude. Ils ne se sont jamais sentis aussi bien. Au fond, Onoda se piège lui-même pour trouver quelque chose de beau, une aventure esthétique, presque transcendante, dans laquelle il trouve un nouveau rapport avec le monde. Parce que la réalité n’est pas suffisante, du coup il faut l’augmenter. Je me sens proche de lui en ce sens. Pour moi, la réalité n’est jamais suffisante. Les films permettent de trouver ce qui manque. Si j’ai voulu faire des films, c’est parce que les voir ne me suffit pas, j’ai besoin de faire partie du processus qui consiste à augmenter la réalité.

    Il y a chez vous un motif récurrent, c’est celui de la dualité, mais vous ne l’utilisez pas pour séparer artificiellement ce qui devrait être uni, mais pour rassembler ce qui est apparemment opposé.

    Je crois que c’est ce qu’on appelle la dialectique. Une chose n’est pas opposée à une autre, il n’y a que des combinaisons. Le fait de séparer les choses et de les opposer ne rend pas compte de la réalité. Il y a un principe de dualité dans chaque chose, mais les éléments ne sont pas opposés, ils sont en permanence en train de se redéfinir pour permettre de former un tout. Après avoir fait Diamant noir et Onoda, je pense que c’est de cette façon que le monde fonctionne.

    Ça se traduit à tous les niveaux de la fabrication du film, pas seulement au stade de l’écriture. Il s’est passé quelque chose de cet ordre-là avec les chansons dans le film. Au départ, il y avait seulement une chanson, celle que le major Taniguchi commente comme étant une métaphore de la guerre secrète, où il s’agit de réinventer en permanence les paroles. Et donc c’est la chanson matrice de la thématique. Mais il y a aussi cette autre chanson qui lance le film, que le jeune homme diffuse dans la jungle et qui va finir par faire revenir Onoda.

    Cette chanson n’avait pas ce rôle dans le scénario, mais au montage, on s’est rendu compte qu’on pouvait s’en servir de manière excitante entre les mains de ce jeune touriste qui est assez malin puisqu’il trouve un moyen de communiquer avec Onoda d’une façon sensible plutôt qu’intellectuelle. Cette trouvaille nous a permis aussi d’équilibrer comme il fallait la structure du film: Onoda et le jeune homme sont complémentaires. Le premier a besoin du second pour se libérer et le second a besoin du premier pour devenir lui-même une sorte de héros. Cette figure de la dualité ou du paradoxe est un outil assez excitant et riche.

    Parmi les films que vous citez comme influences, Feux dans la plaine (Kon Ichikawa, 1959) paraît essentiel. On peut se demander si vous ne l’avez pas délibérément cité pour certaines scènes.

    En fait, j’ai vu Feux dans la plaine après avoir écrit le scénario. Ce qui ne m’a pas empêché d’être frappé non seulement par le film, mais effectivement par des points de convergence, notamment une des scènes les plus dingues du film d’Ichikawa: le personnage arrive dans un village a priori déserté, il trouve du sel, et il tombe sur un couple et il tue la femme.

    Ça m’a stupéfait parce que j’avais écrit une scène similaire où Onoda tue une femme. Mais ce n’est pas une citation. Si quelque chose a pu infuser dans la mise en scène, c’est une proposition graphique comme on en voit trop peu. Dans Feux dans la plaine, il y a cette alliance presque gênante de beauté et d’horreur. Je n’ai jamais fait l’expérience de le violence, mais j’ai l’impression que lorsqu’elle surgit, c’est extrêmement rapide, incisif, bordélique, incontrôlable, et parfois c’est nous qui la commettons. On trouve ça aussi chez Samuel Fuller que j’adore, et dont l’influence est plus consciente. Avec mon frère qui est chef op du film, on a vu beaucoup de films de Fuller, parce qu’on se posait la question de savoir comment mettre en scène la guerre étant donné que nous ne l’avons pas vécue. Il y a donc quelque chose à prendre chez eux qui l’ont connue, même si c’est sublimé. Fuller a beau être très réaliste, c’est un grand esthète aussi.

    Fuller disait que si on voulait filmer la guerre de façon réaliste, ce serait anti cinématographique parce qu’à la guerre, on ne fait qu’attendre! Alors que dans Onoda , on a beau savoir que les décennies vont s’écouler, on ne s’ennuie pas.

    De ce point de vue, j’ai été très aidé par l’histoire réelle, parce qu’il se passait souvent des choses, et Onoda n’était pas tout seul. Mais c’est vrai que le défi du film a été d’incarner la durée ahurissante, tout en évitant la contemplation et l’ennui, et essayer de surprendre sans arrêt. Pour finir par arriver à rien, puisque Onoda reste tout seul à pouvoir provoquer les évènements. Seule l’arrivée de ce jeune homme finit par lancer la libération et la dernière partie, mais il y avait cette idée que l’histoire était remplie par la réinvention permanente des choses. Il fallait quand même figurer l’attente en tant qu’élément de l’histoire, mais pas en faire la matière du film.

    Pour revenir à Feux dans la plaine , avez-vous vu la version de Shinya Tsukamoto en 2014?

    Oui, je l’ai vu avant de tourner Onoda, après avoir écrit le scénario. J’avais été alerté par un site internet et c’était le premier film de lui que je voyais alors qu’il en a fait des assez dingues. Passer après le film de Kon Ichikawa est très courageux de sa part, surtout quand on connaît les conditions de tournage. J’ai rencontré à Paris un Japonais qui avait bossé sur la version de Tsukamoto. Et le film a pu se faire grâce à une armée de jeunes bénévoles qui bossaient comme des dingues et n’avaient jamais pour la plupart mis les pieds sur un plateau de cinéma. Ils faisaient les prothèses de bras qui sautent, ils maquillaient, c’était une entreprise participative un peu libertaire.

    Et les conditions étaient vraiment dures: Tsukamoto a tourné sur une île équatoriale, c’est-à-dire sous un climat vraiment pénible, étouffant, moite, rempli d’insectes. D’ailleurs sa jungle est vraiment impressionnante, et correspond beaucoup plus aux Philippines et aux îles de l’Asie du Sud Est. Nous, on a tourné au Cambodge, sous un climat tropical beaucoup plus clément. Le paysage n’est pas exactement conforme à l’endroit où s’est passée l’histoire. Mais de même que j’ai essayé de m’approprier l’histoire du personnage, on a réinventé un paysage, une île, parce que le cinéma, c’est toujours faire avec ce qu’on choisit.

    Il y a dans Onoda quelque chose d’impressionnant qui rappelle Eastwood , quand il a filmé la partie japonaise de Iwo Jima , les acteurs sont justes alors qu’Eastwood ne parle pas japonais. De votre côté, comment avez-vous fait pour diriger des acteurs japonais?

    Je suis d’accord sur Eastwood et ce film en particulier, il dirige bien ses acteurs. De mon côté, je ne parle pas du tout japonais, et j’étais un peu terrorisé à l’idée de diriger des acteurs sans savoir s’ils jouaient faux ou non. Donc on a pris beaucoup de temps pour travailler, déjà sur le scénario, et sur la traduction.

    Ensuite on a beaucoup répété avec les acteurs. Je les avais choisis pour qu’ils ne jouent pas de manière codée, pour leur capacité à ramener les personnages à eux. Je leur disais tout le temps de jouer avec leur propre voix, et ils ont très bien saisi ça. Je leur avais montré quelques films, notamment les westerns de Monte Hellman. Il y a un dépouillement qui donne l’impression de voir des gens et non pas des personnages. C’était un modèle.

    Dans un registre complètement différent, un film me vient à l’esprit, Sous les drapeaux, l’enfer de Kinji Fukasaku. Il date de 1974, l’année où termine Onoda, et il est construit sur deux temporalités, 45 et 74, donc c’est très troublant par rapport à mon récit. C’est l’histoire d’une femme, veuve d’un homme qui n’est jamais rentré de la guerre, et qui ne comprend pas pourquoi elle ne bénéficie pas de la pension à laquelle elle a droit. Donc elle fait son enquête, et finit par aller interroger tous les survivants du bataillon de son mari pour découvrir qu’il était un déserteur.

    A travers une construction hyper moderne et une mise en scène ahurissante, Fukasaku arrive à représenter à la fois la guerre dans des flash-backs incroyables, et la société japonaise des années 70, avec la misère, la saleté le mal-être, et cette femme qui fait le lien entre tout. Le film est génial, mais tellement excessif que je ne pouvais rien y puiser. En terme de ton, je suis plus proche de Mizoguchi, pour l’équilibre, la sobriété, et le lent mouvement vers les bouleversements. Il était un modèle pour moi, mais je n’ai pas demandé aux acteurs de jouer comme ça, je leur ai demandé plutôt de jouer comme des occidentaux. C’était aussi une manière pour moi de jeter un pont avec eux pour les amener vers ce qui me tenait à cœur.

    Interview par Gérard DELORME

    Présenté en ouverture de la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2021

    SOURCE: chaos.fr

  • [Dossier] Les films à twist

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    En restant dans les Coréens, on pourrait citer le twist de J’ai rencontré le diable en première partie de film qui est excellent. Ou quand la revanche prends un air jamais vu ailleurs

    Celui de The Strangers aie aie aie

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    Un film en train de se faire : c’est ainsi que Climax est décrit par son auteur, qui insiste sur la part croissante d’improvisation et de travail collectif qui entre dans sa méthode.

    Quelle a été la genèse de Climax , que la rumeur a d’abord annoncé comme un documentaire sur la danse ?

    Au départ, je pensais que ce serait davantage un docu-fiction, un film peut-être plus godardien, plus libre, avec des changements de style permanents. Car nous avions très peu de temps de tournage, et en outre, je savais que nous allions énormément improviser. Mais finalement, je me suis laissé prendre par la narration elle-même.

    Pourtant, même si j’adore voir les gens danser en boîte de nuit – quand ils dansent bien –, je ne suis pas du tout porté sur la comédie musicale. Bon, quand je vais dans un restaurant indien du 10e arrondissement, je reste souvent scotché sur les extraits de film qui passent toujours sur les écrans, tellement les mouvements sont inhabituels pour un Occidental. Mais par exemple, je trouve que la danse contemporaine est très conceptuelle, ce qui peut devenir assez chiant. Les danses de rue me parlent beaucoup plus.

    Tu connaissais déjà les styles pratiqués par tes danseurs ?

    Mal. Je connaissais un peu le krump, car on en voit dans le film Rize de David LaChapelle. Mais j’ai surtout découvert le voguing en allant dans un ballroom à Ivry. En voyant tous ces gens qui étaient en grande majorité noirs, presque tous homos ou lesbiennes, et qui hurlaient de joie et se déguisaient, je me suis dit : « Putain, cela faisait des années que je n’avais pas été dans une fête aussi joyeuse et aussi drôle que celle-là. ».

    C’était à la fois bon enfant et très transgressif. Or, je crois que pour réussir un film, il faut que tu t’amuses avec les membres de ton équipe, et aussi que tu aimes les gens que tu as devant ta caméra. J’ai donc eu envie de prendre ces artistes, et de les mélanger à des représentants d’autres écoles, comme le waacking, l’electro, le hip-hop ou la danse acrobatique. Pendant les répétitions, ils se sont observés mutuellement, et une émulation s’est ainsi créée. De fait, je n’ai jamais eu aussi peu de conflits professionnels sur un tournage.

    En plus de cette diversité de styles de danse, il y a un mélange d’orientations sexuelles qui, pour une fois, n’est pas m’as-tu-vu. Au contraire, c’est donné comme une évidence…

    Je trouve qu’en termes de liberté d’expression, la société n’a pas fait seulement qu’avancer. Par exemple, des magazines comme Hara-Kiri ne pourraient plus exister aujourd’hui. En revanche, oui, la société a avancé du côté de l’homosexualité, la bisexualité, la pansexualité, etc. Mais si Climax reflète cela, c’est parce que les acteurs ont eux-mêmes créé leur personnage. Ils ont décidé des vêtements qu’ils porteraient à l’écran, et aussi de leur nom – à l’exception d’une dont je voulais qu’elle s’appelle Psyché.

    Ainsi, quand j’ai tourné les propos face caméra qui ouvrent le film, je leur ai dit que ce n’était pas une interview d’eux, mais une interview de leur personnage. Ma seule indication, c’était que l’action se passait en 1995, et qu’ils ne pouvaient donc faire référence à un morceau de musique ou à un film sorti après. Bref, quand ils parlent de leur rapport à la danse, ils le font à la première personne. Mais pour le reste, ils ont inventé tous les détails.

    Par exemple, alors que la plupart étaient en couple dans la vie, certains ont décidé que leur personnage ne le serait pas. J’ai ainsi tourné 10 ou 15 minutes d’interview avec chacun, puis, au montage, j’ai sélectionné les phrases les plus drôles ou les plus touchantes, et celles qui correspondaient le mieux à l’histoire globale. Même chose pour les scènes d’aparté entre deux ou trois acteurs. Je leur disais : « Vous allez discuter des autres danseurs du groupe – comment vous les voyez, à qui vous voulez fracasser la tête, qui vous voulez baiser… ».

    Par exemple, quand Kiddy Smile parle de cul au jeune puceau, c’est lui qui a inventé le texte. D’ailleurs, jusqu’au milieu du tournage, je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire faire à Kiddy à la fin. Mais il s’entendait tellement bien avec l’autre que je lui ai dit : « Lui, c’est le petit, et toi le Daddy. Tu vas le protéger et le ramener dans la chambre. ».

    Voilà, Climax comporte des tas de choses qui se sont imposées naturellement pendant le tournage. Et souvent, j’ai juste demandé aux acteurs ce qu’ils voulaient faire. Notamment, je savais qu’à un moment, un danseur allait être tellement lourd que Sofia Boutella allait devenir odieuse avec lui et partir avec d’autres. Initialement, je pensais qu’elle partirait avec un ou deux potes à lui.

    Mais bien qu’elle soit très portée sur les hommes, Sofia m’a dit : « Hum, non, ce ne serait pas plus drôle si je m’enfermais avec une fille ? ». Je lui ai demandé laquelle elle voulait, elle m’en a désigné une, et nous sommes allés la voir pour lui demander : « Ça te dit de finir au lit avec Sofia ? ». Comme elle est très, très lesbienne, elle s’est écriée : « Ouais, ouais ! ». Elle avait gagné le gros lot. (rires) Initialement, je n’avais pas du tout prévu cette conclusion.

    Pourquoi avoir mis, au milieu d’une troupe d’anonymes, une actrice assez connue comme Sofia Boutella ?

    À vrai dire, je n’avais jamais vu aucun de ses films au moment où nous avons commencé le tournage. Je savais juste qu’elle me fascinait en tant que personne, car je l’avais rencontrée à l’époque où elle était danseuse, et elle était super sympathique. Je ne pouvais donc pas préjuger de ses talents d’actrice. Mais franchement, elle m’a ébloui, notamment pour l’état dans lequel elle se met quand l’autre fille lui annonce qu’elle est enceinte.

    Nous avons tourné 16 prises, et Sofia a été géniale de la première à la dernière. Pourtant, au départ, elle ne comprenait pas ce que je voulais lui faire jouer, puisqu’elle est habituée à avoir un scénario, à apprendre des dialogues… Mais il faut accepter cela si tu veux tourner avec moi, car je crois que plus jamais de ma vie, je n’aurai des dialogues à faire respecter à la lettre. Si j’en écris, c’est uniquement pour trouver des financements. Finalement, Sofia a sauté dans l’avion pour venir sur le plateau, et Dieu merci.

    **Comment doit-on prendre la mention « Un film français et fier de l’être » au générique ?

    Au premier degré. Cela souligne que Climax n’aurait pas pu être fait ailleurs, de même que Hara-Kiri n’aurait pas pu exister dans un autre pays. Car en France, on a quand même un espace de liberté un peu plus grand qu’ailleurs, pour faire des films… avec un peu d’humour noir. Ce n’est donc pas le réalisateur qui se dit « français et fier de l’être » – en outre, je ne suis pas français.
    En revanche, le film l’est, et à trois exceptions près, les gens à l’image le sont aussi.

    Toutefois, ces derniers sont avant tout des électrons libres qui s’amusent, et Climax ne recèle ainsi aucun discours sur la race, l’immigration, etc. Si des personnages sont identifiés comme musulmans, c’est seulement parce que l’histoire nécessitait que certains protagonistes ne boivent pas d’alcool.

    Bon, effectivement, le film pose d’une certaine manière la question : « C’est quoi, la maison France ? Ou la maison Europe ? ». Mais on peut aussi le lire comme l’histoire de gens qui ont peur de sortir de l’utérus de leur mère. En fait, toute la partie symbolique de Climax s’est mise en place de manière un peu inconsciente, pendant le tournage.

    Par exemple, ce n’était pas du tout prévu qu’y ait de la neige dehors. Au départ, ce devait être un orage, et nous avions commandé des machines à pluie et à vent. Or, il a neigé au troisième jour du tournage, et j’ai donc vite demandé à l’interprète de la fille enceinte si elle était d’accord pour ramper dans la poudreuse. Comme elle a accepté, nous avons récupéré un drone à la dernière seconde, et improvisé ce plan qui est encore plus joli que prévu. Car visuellement, la neige, c’est super.

    Ce plan inaugural dans la neige annonce que tout finira mal. Quel est exactement ce fait divers dont tu dis t’être inspiré ?

    J’ai choisi de ne pas rentrer dans les détails, car cette affaire n’a pas été jugée et personne ne sait qui était le responsable du dérapage collectif. Cela aurait donc été difficile de la traiter directement, car nous aurions alors joué avec la vie des gens ayant subi les conséquences néfastes de ces événements.

    Disons que je me suis librement inspiré de l’affaire, pour en tirer un de ces films situés dans un lieu clos idyllique qui part en couille et devient l’enfer sur Terre, comme Airport ou La Tour infernale. Ouais, Climax est comme un film de danse qui serait aussi un film-catastrophe, ou encore un suspense ultra réaliste à la Cristian Mungiu ou à la Farhadi.

    Car dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Baccalauréat, Une séparation ou Le Client, les personnages prennent à chaque fois la mauvaise décision malgré leurs bonnes intentions, si bien que toutes les cinq minutes, la situation devient dix fois pire !

    Ici, les deux ambiances sont départagées en deux parties distinctes, séparées par un morceau de générique…

    Comme j’avais besoin de marquer une ellipse le temps que la substance produise son effet, j’ai mis le générique au milieu du film. D’autant qu’au départ, je comptais traiter chacune des deux parties en un seul plan-séquence. J’avais en effet l’idée de deux blocs assez similaires au niveau cinématographique, mais très différents dans le contenu.

    Le second est une histoire de destruction collective, inspiré de films d’horreur des années 70-80 comme Zombie de Romero ou Frissons de Cronenberg, où tout le monde devient fou et se met à attaquer les autres par paranoïa ou par désir de domination.

    Comment es-tu passé de l’idée des deux plans-séquences à la forme définitive ?

    Tant qu’on n’est pas obligé de marquer une ellipse, c’est mieux de faire des longs plans, car il y a un grand plaisir à avoir une continuité temporelle. Mais à un moment, je me suis dit que si je voulais choper les danses libres et les improvisations dialoguées des acteurs, pour en garder ensuite les meilleurs moments, il allait falloir que je fasse du montage.

    Bref, ce que je voyais à l’image est passé avant le parti pris conceptuel, car quand la réalité émotionnelle ressurgit pendant le montage, tu dois te rendre à l’évidence. À l’arrivée, le film a ainsi l’air très construit, alors que l’idée de départ tenait beaucoup plus du foutoir godardien. Par ailleurs, aujourd’hui, plus personne n’est impressionné par les longs plans-séquences comme à l’époque où Hitchcock a fait La Corde.

    En revanche, beaucoup de gens me félicitent pour la première chorégraphie, où les danseurs sont super synchronisés. Mais je leur réponds que cette prouesse est due à la chorégraphe Nina McNeely, pas à moi. Là, j’étais juste un technicien de grue.

    Euh… c’est quand même excellent filmé. Concrètement, comment étaient tournées les séquences de danse ?

    C’était moi qui tenais la caméra, tandis que Benoît Debie faisait la lumière. Ensuite, nous analysions le plan ensemble, avec aussi mon assistant, la chorégraphe, et enfin les danseurs eux-mêmes qui étaient tous collés au moniteur après chaque prise. Chacun faisait des suggestions pour améliorer les choses : « Là, il faut aller plus vite », « Là, il vaudrait mieux que tel danseur ou danseuse passe plus près de la caméra », « Là, tu n’as pas assez l’air défoncé », etc.

    Nous avons ainsi tourné jusqu’à 16 prises d’un plan. Au bout d’un certain nombre, les choses étaient en place, mais bizarrement, c’était là que le temps commençait à être indispensable, car tu peux alors pousser les gens jusqu’à l’épuisement. En effet, c’était souvent quand les gens étaient fatigués, par le manque de sommeil, par l’heure qu’il était ou par l’effort de la danse, qu’ils devenaient vraiment bons pour jouer quelqu’un de complètement déboîté.

    Quand un acteur fait une fausse crise de crack ou de LSD à 19h, ce n’est pas crédible. Filme la même personne plus tard et cela marchera, car les comportements illogiques semblent beaucoup plus naturels à une ou deux heures du matin.

    Parlons de la drogue…

    D’abord, je reste assez abstrait quant à ce qu’il y a réellement dans la sangria. On suppose que c’est du LSD, mais on ne le sait pas au juste. De la même manière, on ne sait pas dans quelle mesure les gens ont bu ou pas. Car dans les cas de transe collective, tu as souvent des gens qui n’ont rien pris et qui se mettent dans le même état de psychose que ceux qui ont absorbé la substance. C’est un grand classique : au niveau comportemental, la folie est contagieuse.

    Tu as effectué des recherches sur ces états de transe ?

    Oui, et ce que j’ai filmé peut effectivement ressembler à des transes collectives du genre champignons hallucinogènes, ou à des rituels chamaniques. Mais cela rappelle aussi beaucoup ces fêtes où les gens sont vraiment bourrés, et deviennent plus lourds et odieux à chaque minute qui passe.

    Comme je sors beaucoup, j’ai parfois vu certains de mes meilleurs amis ou copines se comporter très mal. Le lendemain, ils ne se souviennent de rien, car le cerveau humain est très fort pour effacer les moments te donnant une mauvaise image de toi-même.

    Du coup, j’ai préparé une compil’ des plus bizarres des vidéos circulant sur le Net montrant des gens totalement bourrés ou défoncés en train de faire les plus grosses conneries, de façon joyeuse ou cauchemardesque. Avant le tournage, j’ai montré cela à tous les danseurs, et chacun à sa manière, ils ont imité ces vidéos pour représenter un état de psychose induite.

    On regarde ces danseurs hallucinés avec une étrange distance…

    Avec Enter the Void, j’avais déjà adopté le point de vue subjectif d’un mec défoncé et qui fait des hallucinations, et je n’allais pas refaire le même film. Du coup, je savais très clairement que pour Climax, je ne voulais pas d’effets reproduisant des états altérés de la perception, qu’elle soit visuelle ou sonore.

    En revanche, je tenais à ce qu’il y ait de la musique non-stop du début à la fin. Mais c’est justifié, puisque cette musique provient du décor. Voilà, c’est comme si Climax était un documentaire. Vu de l’extérieur, mais au plus près possible.

    En même temps, les mouvements de caméra se font plus frénétiques à mesure que le chaos se répand…

    Oui, mais une caméra qui tourne à 360 degrés n’est pas un état altéré de la conscience. Je n’ai pas fait de dédoublements de l’image, je n’ai pas joué sur le flou/net. Et on ne voit à aucun moment le visage d’un personnage se transformer en insecte, comme cela t’arrive souvent quand tu prends du LSD.

    Prends le moment où, après avoir effectué sa danse psychotique, Sofia court dans la salle de bain et pousse un cri en se regardant dans la glace : c’est clair qu’elle a aperçu un monstre, mais tu ne sais pas exactement quelle vision elle a eue. On se doute juste que ce ne doit pas être très joli !

    SOURCE: Mad Movies

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    À en croire l’accueil dithyrambique réservé à son premier long Hérédité, Ari Aster (Hérédité, Midsommar) s’impose comme un cinéaste dont on n’a pas fini d’entendre parler.

    Un succès que l’Américain prend avec un certain recul, puisqu’il aurait d’ores et déjà refusé tous les projets que Hollywood lui a présentés afin de se consacrer à des travaux plus personnels.

    Ironiquement, la plus grande force d’ Hérédité est aussi une enclave d’un point de vue commercial, puisqu’il s’agit d’une oeuvre en marge des canons hollywoodiens, surtout dans le genre horrifique où pullulent des films, disons, plus spectaculaires et calibrés. N’aviez-vous pas peur d’avoir du mal à trouver des producteurs ?

    Pour être honnête, je m’attendais à ce que ce soit plus difficile. La raison pour laquelle j’ai décidé de me frotter au film d’horreur, c’est que j’ai essayé de développer tout un tas de scripts qui étaient trop ambitieux pour me permettre de trouver le budget nécessaire en tant que réalisateur débutant. J’ai eu le sentiment qu’il me serait plus facile de faire avancer les choses en m’essayant à l’horreur.

    Cela faisait longtemps que je cherchais à réaliser un film, et il m’a toujours paru essentiel de livrer quelque chose de plus singulier et pertinent que le type de productions horrifiques que vous avez mentionné. Ce sont souvent des œuvres cyniques qui se contentent de respecter une formule connue de tous, souvent faite de jump scares…

    Mon but était donc de raconter une histoire capable de résonner dans l’esprit des gens, et dont l’aspect horrifique se nourrirait des personnages. En gros, faire un film d’horreur minimaliste sur le thème de la tristesse.

    Sans dévoiler la fin, on a l’impression que tout découle du dernier plan, que le concept initial provient de cette seule image.

    Eh bien oui, en quelque sorte. Je désirais conclure le film d’une manière un peu symétrique. Mais oui, tout mène à cette fin, d’autant que je voulais que, lors d’un second visionnage, le spectateur constate que les choses étaient inévitables, que chaque événement menait inéluctablement à un autre événement. C’est ce que souligne le premier plan, ainsi que l’image finale.

    En effet, vous montrez souvent vos personnages comme des marionnettes dépourvues de libre arbitre ou, du moins, privées de la capacité de changer leur destin. C’est pour ça que la mère trouve refuge dans l’élaboration de poupées qu’elle manipule à loisir ?

    Tout à fait. Le thème récurrent de la maison de poupées sert de métaphore aux événements. Les membres de la famille sont tous comme prisonniers d’une maison de poupées. Le film parle aussi d’hérédité et de la difficulté de contrôler sa vie, surtout lors du dernier acte.

    Parlez-nous de la façon dont vous avez choisi vos acteurs. Visiblement, il n’était pas dans vos intentions de décrire une famille hollywoodienne typique…

    Lors de l’écriture du scénario, je cherchais vraiment à créer une dynamique familiale forte avant même de m’attaquer à l’aspect horrifique. D’ailleurs, le premier montage du film durait une heure de plus, et nous avons dû couper beaucoup de moments dramatiques liés aux intrigues parallèles.

    Lorsqu’il a fallu trouver les acteurs pour incarner ces personnages, les gens d’A24 ont proposé Toni Collette car ils voulaient vraiment travailler avec elle. Quand je l’ai rencontrée, je lui ai donné une biographie d’une trentaine de pages sur son personnage, qui commençait au moment de sa naissance et se terminait lorsque le film débute.

    Je pense que ça m’a d’ailleurs aidé moi aussi à mieux comprendre mon héroïne. Gabriel Byrne est arrivé ensuite, ce qui m’a fait extrêmement plaisir, car il apporte une vraie présence, un vrai poids. Il donne du réalisme aux choses.

    Il représente un peu le point de vue du public.

    Oui. Il tente de maintenir le cap alors que tout s’effondre autour de lui. Les enfants étaient un vrai défi pour moi, car beaucoup d’acteurs auraient rendu ces rôles trop « joués ». C’est facile d’en faire des tonnes quand on interprète quelqu’un qui souffre d’un trouble mental. À ce titre, Alex Wolff, qui joue l’aîné Peter, possède un vrai don. Je n’étais pas certain que nous réussirions à dénicher les comédiens adéquats pour les rôles des deux enfants, mais lorsque Milly Shapiro a débarqué, elle m’a également bluffé. C’est une comédienne dotée d’une vraie expérience, puisqu’elle a fait ses armes à Broadway, et en tant qu’actrice venue du théâtre, elle a vraiment assuré.

    Quelles étaient vos lignes directrices, d’un point de vue artistique, pour vous différencier des productions horrifiques commerciales dont nous parlions ? L’un de vos « trucs » est notamment l’utilisation d’un bourdonnement lourd qui donne un aspect anxiogène à de simples scènes de dialogues.

    Je suis très fier de l’aspect « sonore » du film. J’ai collaboré de façon très étroite avec le sound designer. Ce bruit sourd dont vous parlez est une trouvaille du compositeur Colin Stetson, et que l’on a appelé le « contre-pouls ».

    Je crois que ce son provient d’un saxophone, mais je n’en suis pas sûr. C’était une bonne manière d’intensifier et de prolonger le sentiment de malaise ressenti par le spectateur. Je suis donc content que vous l’ayez remarqué ! (rires) Sinon, pour ce qui est de sortir des sentiers battus, j’ai fait tout mon possible pour proposer un film original. D’abord, je ne l’ai jamais considéré comme un film d’horreur. Quand je pitchais le projet, au tout début, je disais qu’il s’agissait d’un drame familial virant au cauchemar. Ce que je voulais, c’était privilégier les personnages afin que l’horreur naisse de leur personnalité et de ce qu’ils vivent.

    D’un point de vue visuel, la photographie du film est extrêmement travaillée. On n’est pas très loin d’un rendu « velouté » typique de la pellicule.

    Merci. Nous avons tourné en numérique avec la ALEXA. Je pense que ce « velouté » est le résultat des teintes vertes que nous avons ajoutées durant l’étalonnage. En tout cas, je peux vous dire que nous avons eu des objectifs faits spécialement pour nous !

    Avec mon chef-opérateur Pawel Pogorzelski, nous voulions utiliser des focales fixes, mais chaque lot d’objectifs comportait des qualités et des défauts. Nous avons donc demandé la fabrication de nouveaux objectifs qui combinaient les qualités des différentes optiques que nous avions essayées. Et nous sommes vraiment satisfaits du rendu que nous avons obtenu.

    J’adore les capacités des caméras numériques, mais je déteste leur rendu. Aujourd’hui, il est possible de l’éviter tout en profitant des capacités très poussées de ces caméras. De plus, je suis quelqu’un qui aime tourner beaucoup de prises, souvent très longues, et c’est agréable de ne pas avoir à se trimballer des tonnes de pellicule toute la journée.

    L’avantage avec un film d’horreur ou une comédie, c’est que l’on sait tout de suite si le public accroche ou non. Comment s’est déroulée la première projection à Sundance ?

    C’était vraiment très surprenant, car les scènes qui ont beaucoup secoué le public n’étaient pas forcément celles auxquelles je m’attendais. J’avais très peur que les gens détestent le film lorsque je l’ai présenté à Sundance, mais au moment de la seconde projection, j’étais bien plus détendu, car la première m’avait retiré tout ce poids des épaules.

    L’expérience a donc été formidable. Il est vrai qu’avec un film d’horreur ou bien une comédie, on sait immédiatement si le film fonctionne ou pas, car le public se manifeste immédiatement. Pour la comédie, c’est simple : soit le public rit, soit il ne rit pas. Avec un long-métrage comme Hérédité – où il y a beaucoup de tension –, les réactions du public sont également assez évidentes lors des passages les plus horrifiques, ce qui est vraiment satisfaisant pour un cinéaste.

    Parlons de vos courts-métrages. Sont-ils différents de ce que vous avez fait sur Hérédité ?

    Eh bien, j’ai tourné des courts pendant près de dix ans. J’étais inscrit à l’AFI (American Film Institute – NDR), où j’ai appris le métier de réalisateur. Tous mes courts ont été faits avec la collaboration du même chef-opérateur, Pawel Pogorzelski donc, qui est également l’un de mes plus proches amis. Je les décrirais comme malicieux, car ils se frottent à certains tabous.

    Certains sont plus des « films », dans le sens où ils racontent une histoire, comme The Strange Thing About the Johnsons, qui est une déconstruction de la cellule familiale américaine… D’une manière ou d’une autre, je dirais que tous ces courts sont liés au cinéma de genre, car je voulais jouer avec les conventions, et j’espère qu’Hérédité s’impose comme la continuité de cette démarche. En tout cas, je sais que certains comme The Strange Thing… ou Munchausen sont visibles en ligne, si jamais cela intéresse quelqu’un de voir les courts par lesquels j’ai commencé.

    08/06/2018
    Merci à Michel Burstein
    Source: mad Movies

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    Étant un ultime fan de cette légende de la japanimation (je me souviens encore faire mes copies de cassettes vidéos avec 2 magnétoscopes 😆 ), je ne pouvais que vous faire partager ce dossier, qui même datant de 2019, est extrêmement bien écrit et juste.

    Enjoy !

    Netflix à mis en en ligne en 2019, la version remasterisée de Neon Genesis Evangelion, la série animée dépressive et légendaire de Hideaki Anno vers laquelle son auteur n’a de cesse de revenir.

    Les fans de Game of Thrones n’ont rien inventé. En mars 1996, la conclusion précipitée d’un jalon crucial de la pop culture déclenche déjà les foudres de son auditoire. Le dernier épisode de la série animée Neon Genesis Evangelion, avec son design épuré, ses plans manifestement finis à la hâte et son propos à la fois évanescent et très littéral, laisse plus d’un spectateur sur le carreau.

    Les promesses gigantesques de la série semblent s’évacuer dans un déconcertant exercice de catharsis, dans un entre-deux entre le coaching motivationnel et la psychanalyse. Son auteur, Hideaki Anno, reçoit à la suite de la diffusion un nombre invraisemblable d’insultes et de menaces de mort manuscrites, ère pré-digitale oblige.

    De fait, le créateur et son équipe se sont pliés à une cadence intenable pour boucler l’intrigue dans les délais impartis par son calendrier de diffusion télévisuelle, ce qui explique en partie l’allure minimaliste de cet épilogue. Pour calmer la déception criarde des fans et capitaliser un peu plus sur la franchise, le studio Gainax met en chantier une nouvelle fin sous forme de deux films sortis l’année suivante.

    Hideaki Anno s’acquitte de la tâche dans ce qui reste le plus impressionnant doigt d’honneur créatif de la fin de siècle. Dans un premier temps, Neon Genesis Evangelion : Death & Rebirth condense en un peu plus d’une heure l’intrigue des 24 épisodes de 20 minutes de la série dans un montage cut, collage épileptique truffé de panneaux et de répétitions sursignifiantes, capable dans le même temps de s’offrir des pauses contemplatives jusqu’au malaise (le moment précédant la mort de Kaworu s’y éternise le temps de décupler son impact).

    Death & Rebirth utilise des scènes inédites comme pour tordre le souvenir du show, triture le matériau de base pour donner un nouveau sens souvent destructeur aux images originales – le plus fameux et redoutable exemple étant sans aucun doute la séquence où Gendo Ikari reprend les commandes de l’EVA 01 des mains de son fils pour le forcer à anéantir son camarade : le montage plus ramassé, au gré duquel Shinji supplie son père d’arrêter dans une série de soubresauts, transforme presque la scène en viol incestueux.

    Et parce qu’a priori, le ton est encore un peu trop à la déconne, Hideaki Anno entame Neon Genesis Evangelion : The End of Evangelion, sa nouvelle conclusion alternative, avec une scène atroce où Shinji, toujours plus extrême dans la haine de soi, se masturbe sur le corps inanimé d’Asuka à l’hôpital. Ce prologue dérangeant et dérangé trouvera un écho dans la toute dernière réplique prononcée par le même Shinji après une apocalypse de visions traumatiques :

    « Ça me dégoûte » ou « Je me dégoûte » selon les traductions. Bonne ambiance. Un seul message demeure limpide à l’éclairage de cette deuxième conclusion : parfois, les fans devraient se méfier de ce qu’ils désirent, surtout avec un artiste aussi entier que Hideaki Anno et une œuvre aussi complexe et insaisissable que Neon Genesis Evangelion.

    LA DÉPRÉSSION COMME UN MECHA

    En 1991, Hideako Anno termine la production de la série animée Nadia, le secret de l’eau bleue. Ce fabuleux hommage à Jules Verne, initialement développé par Hayao Miyazaki, est le genre d’accomplissement artistique dont rêvent tous les réalisateurs.

    La période post-partum vire à la sinistrose, la sinistrose laisse place à un colossal épisode dépressif, accompagné de plusieurs tentatives de suicide. Les troubles dont souffrait Hideaki Anno depuis plusieurs années s’abattent sur lui en nuées, et le réalisateur ne sort de son état qu’au terme de quatre ans de soins et de lutte acharnée pour reprendre le dessus.

    Neon Genesis Evangelion est le produit direct de sa maladie, laquelle reviendra pointer le bout de son nez souffreteux aux deux tiers de la production. Dans ses seize premiers épisodes, Evangelion a des airs de série mecha quasi lambda, à l’animation particulièrement léchée. La maladresse sociale du personnage principal le rend vaguement attachant, les personnages secondaires intriguent autant qu’ils amusent – Shinji partage sa colocation avec une semi-alcoolique et un pingouin domestiqué, sources de gags de promiscuité et autres quiproquos rigolos.

    Quelques indices épars sèment le trouble sans trop révéler pourquoi, comme si la série avançait masquée. De la nature incertaine de la menace (des kaijus protéiformes affublés du sobriquet d’« anges », liés à une cosmogonie à haute teneur mystico-symbolique) à l’appréhension pour le moins trouble du refoulement hormonal de son héros adolescent, quelque chose ne va pas dans cette mécanique narrative pourtant largement familière des consommateurs d’anime.

    Les EVA, ces étranges robots géants, ne sont pas tant des habitacles que les prolongements monstrueux de leur pilote, et les AT-Field, les champs de protection des golgoths, des projections de leurs peurs et insécurités. Parfois, la seule façon de se débarrasser d’un ange est de s’abandonner à la démence et de déclencher ce faisant le mode « berserk » des EVA, au gré duquel les géants de fer deviennent des créatures plus organiques, avides de dévorer leur proie dans une orgie sanguinolente.

    Rey, Asuka et Shinji vivent dans le monde clos de l’enclave de l’agence paramilitaire NERV, au cœur d’une cité tokyoïte réaménagée en champ de bataille fonctionnel et dénuée de toute âme qui vive – plus tard, dans les longs-métrages du cycle Rebuild of Evangelion, Hideaki Anno y matérialisera la population de la mégalopole japonaise, signe d’une (petite) ouverture au monde.

    Neon Genesis Evangelion décrit les interactions gênées entre ses différents protagonistes, les isole de plus en plus, compense chaque moment de complicité entre ses héros par un drame ou une vision cauchemardesque. Peu à peu, le poids de leur mission les écrase sans laisser place à la plus petite respiration. Le show abandonne ses oripeaux de production mecha classique pour virer au requiem de passions tristes, où l’ennemi revient à chaque fois sous une forme différente pour mieux tromper les moyens de le combattre, où les relations sont foutues d’avance et tout doit crever pour espérer renaître.

    SOUDAIN LE VIDE

    À l’entame du dernier tiers, quand chacun a pris ses aises dans cet univers sériel, quelque chose se brise lorsque Shinji tient enfin tête à son géniteur, sérieux candidat au titre de pire père de fiction, et lui annonce son (faux) départ. Cette contestation de l’autorité remet toute la logique dramaturgique de la série en cause, et surtout, elle nous confronte brutalement à son absurdité. Ce faisant, Neon Genesis Evangelion colle au plus près de son pitch : la survie du monde dépend d’adolescents de 14 ans, les seuls a priori capables de piloter ces engins de mort à l’origine aussi nébuleuse que les anges qu’ils combattent. Des êtres par nature fragiles, en proie au doute, aux responsabilités beaucoup trop grandes pour leurs frêles épaules. Ainsi de Rey, et de sa pleine conscience d’être interchangeable et sacrifiable à merci, d’Asuka, la forte tête à la déchéance cruelle, et bien évidemment de Shinji, cet enfoiré de geignard contraint de sauver le monde et de « ne pas reculer », pour citer son mantra répété dans les pires situations.

    Venez pour les joutes de créatures géantes, restez pour la torture bien retorse de personnages dépouillés de leur libre arbitre. Pour qui s’investit émotionnellement dans le parcours de ses personnages, Neon Genesis Evangelion est un vampire psychique capable de détruire toute stabilité mentale sur son passage.

    Pour qui reste en surface, hermétique à cet univers volontiers abstrus, le choc sera purement graphique. Certaines images de la série se gravent dans le cortex pour n’en plus sortir, à la fois pour leur extrême violence diégétique et pour leur beauté obscène. Ainsi de la mort du bienveillant Kaworu Nagisa, de la destruction des clones de Rei, mais aussi de ces plans de Shinji dans le métro, tête baissée, casque sur les oreilles.

    Restez vigilants : le spleen de la série cueille à la moindre baisse de garde. Non par une quelconque complaisance dans des abîmes ténébreux, entre le théâtre de la cruauté et la mélancolie adolescente, mais par sa faculté à viser émotionnellement juste sur des détails inattendus, des valeurs de plan et des changements de perspective à même de capter l’intime et l’aliénation dans un même mouvement.

    C’est sans doute ce qui a désarçonné dans le dernier épisode diffusé originellement, au-delà de ses partis-pris graphiques en rupture profonde avec l’identité visuelle du show. Après moult tergiversations qui ont participé à la confection précipitée de cette ultime livraison, Hideaki Anno s’était décidé à délivrer une métaphore sur les voies qui l’avaient sorti de son état dépressif. Le public lui a opposé une fin de non-recevoir. Il lui a donc répondu avec le stupéfiant The End of Evangelion (lui aussi disponible sur Netflix).

    L’HISTOIRE SANS FIN

    Selon la production, le film transpose avec un surcroît d’ambition la première version des épisodes 24 et 25 que l’équipe n’avait pu fournir pour les diffusions finales, faute de temps et de budget. En l’état, le long-métrage a tout de même de gros airs de réaction épidermique au rejet du public.

    Anno va jusqu’à inclure subrepticement des messages de protestation et de menaces dans un montage mêlant plusieurs prises de vues réelles d’environnements urbains anxiogènes. The End of Evangelion est le double maléfique du 25e épisode de la série : infiniment plus abouti au niveau visuel, il marque l’aboutissement du détournement profane de l’iconographie religieuse de la saga pour la porter vers des sommets graphiques à peine croyables. Et dans le même temps, il souille le peu d’innocence dont le show pouvait se prévaloir.

    Les personnages sont résignés à l’issue funeste de l’Humanité. Shinji prend in fine la décision inverse à celle du 25e épisode, qui s’achevait sur une séquence lumineuse, et se retrouve prisonnier d’un sort alternatif désespéré. Les anges s’empalent le cœur jusqu’à se faire exploser, le corps d’une Rei géante se disloque, la planète Terre se vaporise dans le cosmos. Shinji se réveille sur une plage, sous les cadavres des anges flottant dans un ciel couleur sang. À ses côtés, le corps inerte d’Asuka, qu’il commence à étrangler. Lorsqu’elle lui caresse le visage, il s’interrompt et éclate en sanglots. Vous vouliez une autre fin ? La voici. Démerdez-vous avec et faites de beaux rêves.

    Et oui, pardon, c’est un spoiler, quand bien même cette courte description ne vous prépare en rien au choc suscité par cette dérive métaphysique et sensorielle. The End of Evangelion s’empare des attentes des spectateurs qui ont engendré sa création pour entrer en mode berserk et dévaster le paysage beaucoup trop tranquille de l’animation mondiale dans un hurlement désespéré.

    Que reste-t-il de ce geste inédit aujourd’hui ? Une poignée de leçons que le landernau pop culturel s’empêche de retenir de toutes ses forces, avec la même obstination qui l’a poussé à rejeter la fin initiale de la série. Un auteur a tout à perdre à se plier aux vœux de la majorité. Un objet plus esthétiquement léché ne s’avérera pas plus satisfaisant pour autant. Il faut apprendre à vivre avec la déception de ne pas voir toutes ses attentes honorées. Et si vous rejetez la conclusion d’une œuvre, c’est peut-être qu’elle n’était pas faite exclusivement pour vous.

    YOU CAN (NOT) REBUILD

    Une décennie s’écoule. Hideaki Anno revoit l’intégralité de la série en 2006 et décide de revisiter son monde dans une tétralogie de films baptisée Rebuild of Evangelion. Le premier épisode, Evangelion : 1.0 You Are (Not) Alone (2007), coréalisé comme le suivant par Kazuya Tsurumaki et Masayuki, remake les six premiers épisodes de la série sans grande sortie de route, place quelques pions stratégiques pour les bifurcations à venir.

    La mise en scène, brillante et froide, s’accorde à la splendeur des images, venge Anno des frustrations limitatives rencontrées durant la production de la série. Les caractérisations de personnages apparaissent plus sèches, et ces derniers moins aimables – l’auteur ne dévoile pas encore son jeu.

    Evangelion : 2.0 You Can (Not) Advance (2009) et Evangelion : 3.0 You Can (Not) Redo (2012) s’affranchissent de la tutelle du show et partent dans leurs propres directions narratives, greffent de nouveaux personnages, en réinventent d’autres.

    Le troisième film démarre quatorze années après le Troisième Impact, le cataclysme retardé par la série jusqu’aux derniers épisodes. Il fige néanmoins ses héros dans leur apparence et leur âge adolescents, une astuce dialectique visant à la fois à rassurer les fans et à leur renvoyer une image d’éternelle stagnation. Assez proche dans son lyrisme singulier de The End of Evangelion, ce troisième volet du récit alternatif reflète la maturation de Hideaki Anno par rapport à sa maladie, une forme d’acceptation diffuse qui pourrait être remise en question dans l’ultime film, mis en hiatus le temps de la production de Shin Godzilla (2016) coréalisé par Anno et son comparse Shinji Higuchi.

    En attendant cette troisième conclusion, la vision de Neon Genesis Evangelion avec l’œil de l’année 2019 s’impose, comme elle devrait s’imposer tous les cinq ans ou à chaque nouvelle étape décisive de sa vie pour la redécouvrir à chaque fois sous un jour différent.

    La série et ses prolongements alternatifs offrent un spectre de lectures aussi large que celui de vos changements d’humeur. Ses multiples refontes et relectures permettent à chacun d’y trouver son compte en préférant telle version ou interprétation.

    Evangelion ne demande qu’à être redécouvert et réapproprié. N’y allez pas en vous attendant à un divertissement de première légèreté, bien calé dans votre zone de confort netflixienne. Plus chafouin que Black Mirror, plus perché que The OA, plus singulier que l’intégralité des catalogues animés des services de VOD, Neon Genesis Evangelion boxe seul dans sa catégorie.

    Son influence se ressent encore aujourd’hui, dans l’émotion graphique à fleur de peau d’un jeu vidéo comme Gris, dans la profonde tristesse des fans de la première heure quand de nouvelles générations bouffent leur madeleine de Proust sans vergogne et rejouent des matchs dont tout le monde est déjà sorti à la fois perdant et gagnant. C’est l’une des autres grandes leçons de la série, peu appliquée par les communautés de fans : une madeleine, c’est fait pour être partagé et boulotté à plusieurs.

    SOURCE: Mad Movies

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    Grand Prix de Gérardmer 2020, Saint Maud suit le parcours très dérangeant d’une infirmière mystique jusqu’à l’extrême. La réalisatrice Rose Glass nous raconte les coulisses de ce très prometteur premier long métrage, visible sur MyCanal.

    Pour votre premier long-métrage, était il évident que vous deviez à la fois écrire le script et réaliser le film ?

    Oui. J’ai aussi écrit les scripts de tous mes courts métrages. Je ne me considère pas comme une scénariste, je n’aime pas écrire particulièrement, mais si je le fais, c’est par obsession du contrôle.

    En France, le culte de l’auteur va très loin: il est fréquent que lorsqu’un producteur reçoit un script qui lui plaît, il demande au scénariste de le réaliser.

    Ça se comprend. Je crois que la plupart de mes films préférés sont écrits et réalisés par la même personne. Il y a aussi le fait que la nature de mes histoires est un peu particulière, et j’aurais donc du mal à la communiquer à quelqu’un d’autre. Mais pour Saint Maud, ce qui m’a causé le plus de difficultés, c’est bien l’écriture du scénario.

    Et le passage du court au long s’est révélé beaucoup plus complexe que je ne l’imaginais. Le fait d’écrire à temps plein a été un changement massif. Vous êtes seul avec vos pensées en permanence. C’est très éprouvant. A la fin, je m’étais jurée de ne jamais recommencer.

    Saint Maud raconte l’histoire de quelqu’un qui essaie de trouver sa place dans la société, malgré un comportement étrange, déterminé par ses croyances. Quelle est votre position vis-à-vis de la foi?

    Je ne suis pas du tout pratiquante, même si j’ai été élevée dans une école catholique. Donc cet environnement que je décris m’est très familier. Probablement par réaction, je me suis éloignée de la religion pendant longtemps.

    Lorsque j’ai recommencé à m’y intéresser, mon point de vue avait changé. Je pense que les religions organisées ont des effets bénéfiques tout comme elles sont potentiellement très dangereuses.

    Mais c’est moins la religion qui m’intéresse que la foi et la psychologie qui la sous-tend. A la fin du film, Maud accomplit un acte incroyable en disant “Dieu m’a poussé à le faire” et le spectateur normal a beau se dire “Je ne ferais jamais ce genre de chose”, je crois que le comportement de Maud est potentiellement en chacun de nous. C’est seulement une question de circonstances.

    D’autre part, pour que l’histoire soit vraisemblable, je n’ai pas voulu me référer précisément à une religion organisée. Maud a créé sa propre religion à base de christianisme et d’éléments de son invention. Il y a quelque de très universel à vouloir trouver en soi-même une part de transcendance. Le besoin de spiritualité est universel.

    Votre approche est d’autant plus crédible que la nature dogmatique de la religion ne laisse pas beaucoup de place à la réflexion personnelle.

    Les religions ont du mal à accepter que ce qui est à l’intérieur de chacun peut se manifester de toutes les façons possibles. Elles prétendent détenir la vérité, alors qu’elles ne font qu’aboyer devant le même arbre en exploitant cette idée d’une force universelle qui nous connecte tous. Leur force vient de ce qu’elles puisent dans quelque chose qui est à l’intérieur du cerveau humain, mais que nous n’avons pas encore compris.

    Le problème de la religion, c’est qu’elle est organisée par des hommes qui veulent contrôler d’autres hommes, alors que l’idée de Dieu, quand elle est laissée à l’appréciation de chacun, obéit à des sensibilités et à des motivations variées. Et il peut y avoir un conflit entre une vision et l’autre.

    A la base, il s’agit d’une jeune femme qui imagine des choses dans sa tête alors que son environnement est très banal. Je me suis donc sentie libre d’aller aussi loin que je voulais en termes d’intensité, de bizarrerie.

    Vous avez décidé du titre avant ou après l’écriture du script?

    Au milieu! Pendant longtemps, le titre de travail était juste Maud, jusqu’au moment où je me suis rendue compte qu’il y avait déjà un million de titres de film avec le nom d’une femme, et en plus c’était un nom pas facile à mémoriser. J’ai trouvé que Saint Maud exprimait ce que cherchait Maud, même si c’était d’une façon un peu abstraite.

    En France le distributeur n’a pas changé l’orthographe du titre, qui suggère un personnage masculin, mais ça peut aussi bien désigner le nom d’un lieu. C’est très mystérieux…

    En fait, Maud essaie de devenir une sainte et plus tard, elle agit littéralement dans ce sens. Mais il y a manifestement une large part d’ironie.

    **La mise en scène alterne entre le point de vue de Maud et un regard plus objectif. Comment avez-vous trouvé un équilibre?

    C’était un des principaux défis de trouver cet équilibre. Je voulais d’un côté qu’on soit très fortement connecté à elle à travers le style et l’écriture qui nous gardent à ses côtés tout le temps. Ces moments intimes sont filmés d’une façon assez subjective qui nous fait partager son sentiment qu’elle est en train d’accomplir une mission très importante.

    L’impression s’inverse lorsque nous apprenons ce qui lui est arrivé, et nous commençons alors à la voir comme les autres gens: une infirmière dépressive et assez instable. L’intérêt consiste à essayer de comprendre comment elle en est arrivée là.

    Par moments elle a des hallucinations. Vous êtes-vous demandé à quel point ces moments devaient être clairement perçus comme des illusions et non comme la réalité?

    Le problème de dosage s’est clairement posé à l’occasion de deux scènes clé. Dieu est-il réellement en train de lui parler ou alors est-elle en pleine crise psychotique ? Nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas être plus clairement objectif, mais le résultat aurait été trop mécanique. J’ai préféré garder son point de vue autant que possible. Ce que j’ai trouvé intéressant dans l’ambiguïté de ce qui lui arrive, c’est le contexte. Si cette histoire était arrivée au moyen-âge, peut-être que les gens auraient cru qu’elle entendait des voix et l’auraient canonisée.

    Aujourd’hui, des psychologues pourraient très bien diagnostiquer Jeanne d’Arc comme souffrant d’une sorte d’épilepsie. Quoiqu’il en soit, l’expérience subjective que traverse le personnage ne change pas. C’est pourquoi l’explication scientifique m’intéresse moins que la chaîne de causalité qui nous pousse à agir de certaine façon. Un esprit non cadré peut s’égarer dans des régions très dangereuses.

    Parmi les influences, vous citez Répulsion de Roman Polanski et Les diables]** de Ken Russell, mais aussi Persona de Bergman. Que vous a inspiré ce film en particulier ?

    Il y a un lien évident avec le fait que Maud, qui est infirmière, s’occupe d’une personne créative. Mais on peut étendre à quelques autres films de Bergman qui sont construits autour de l’idée de deux femmes dans une maison. De cette base très simple, il nous emmène dans des explorations passionnantes sur le sens de la vie en passant par des ambiances extrêmement étranges, excitantes, oniriques, ou surréalistes. C’est ce que j’aime dans ses films. Et aussi le potentiel de ces interactions entre des personnages coincés dans des espaces réduits comme dans des cocottes minute.

    L’endroit où habite un personnage est sensé refléter son propre état d’esprit. Aviez-vous ça en tête lorsque vous avez conçu le décor de l’appartement de Maud?

    Tout-à-fait, et c’est vrai pour tous les décors du film. Nous avons essayé de donner à chacun une identité spécifique en lien avec ce moment du récit. La maison d’Amanda, en tout cas dans l’esprit de Maud, est celle d’une sorte de déesse oubliée. L’appartement de Maud s’inspire des réduits qui servaient d’habitations à certains ermites et qu’ils ne quittaient jamais comme s’ils étaient cloîtrés. Cet appartement est un peu comme une cellule.

    Il fait peur. Vous n’hésitez pas quand il s’agit d’installer une ambiance.

    Je ne me retiens pas. Etant donné les limites de l’histoire, j’avais besoin d’accentuer ses aspects mélodramatiques. A la base, il s’agit d’une jeune femme qui imagine des choses dans sa tête alors que son environnement est très banal. Je me suis donc sentie libre d’aller aussi loin que je voulais en termes d’intensité, de bizarrerie.

    Y a-t-il une grande différence entre ce que vous avez imaginé visuellement et le résultat?

    Non, j’ai eu de la chance de ce point de vue. Je n’avais jamais auparavant travaillé avec aucun membre de l’équipe, ce qui était délicat au départ. Mais le directeur de la photo Ben Fordesman et la décoratrice Paulina Rseszowska ont apporté des suggestions brillantes. Je voulais tourner en pellicule et la production m’a dit que ce n’était pas possible, mais nous avons trouvé un moyen pour contourner l’obstacle et obtenir l’aspect granuleux que nous voulions.

    Le tournage lui-même a été plutôt agréable et s’est déroulé sans problème. Un facteur qui a joué en notre faveur, c’est que nous n’avons pas dépassé le budget, grâce ou à cause d’un script très court, presque trop. A la suite d’une erreur de formatage, le scénario qui devait faire 90 pages s’est retrouvé réduit à 80. Mais pendant le montage, la production nous a accordé deux journées supplémentaires pour tourner les plans qui manquaient.

    Votre prochain sera-t-il encore un film d’horreur?

    Non, mais ce ne sera pas un gentil film à voir en famille pour se sentir bien. Ce que je touche finit toujours dans un registre plutôt macabre. Ce sera une romance, mais pas très jolie.

    Propos recueillis par Gérard Delorme.
    Interview par Gérard DELORME

    Source: chaosreign.fr

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    @Psyckofox

    Absolument d’accord avec toi, le premier était bof bof, le deuxième une tuerie et le troisième un cran en dessous.

    Je l’ai vite oublié cette trilogie mis à part le 2ème opus pour les mêmes raisons que toi.