Cinéma & Séries

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    Dispo 😉

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    Très attaché au fantastique et à l’horreur (on l’a vu au générique de La Cité des monstres d’Alex Winter et Tom Stern, La Nuit de l’épouvantail de Jeff Burr ou encore Uncle Sam de William Lustig), Bob Murawski a monté la plupart des films les plus emblématiques de Sam Raimi depuis L’Armée des ténèbres. Également connu pour son travail sur Chasse à l’homme de John Woo ou Démineurs de Kathryn Bigelow. Nous l’avons soumis à l’exercice de l’interview carrière…

    Vous êtes un vrai fan de cinéma d’horreur, n’est-ce pas ?

    Oui, je l’ai toujours été. J’ai grandi en lisant des magazines comme Famous Monsters ou plus tard Fangoria. L’horreur est mon genre préféré et à l’adolescence, je ne regardais que ça. Quand je suis devenu monteur, j’ai eu la chance de participer à des projets très cool. J’ai été engagé sur pas mal de petits budgets à mon arrivée à Los Angeles, mais le premier gros film sur lequel j’ai travaillé, c’est Darkman de Sam Raimi.

    J’avais vu Evil Dead à l’université, le jour de sa sortie, quand j’étais au lycée dans le Michigan. Plus tard, j’ai ouvert mon propre ciné-club à la fac et on a organisé une projection du film en 16 mm. On a eu beaucoup de succès car Evil Dead avait été produit par des étudiants de Michigan State University. J’étais donc un énorme fan du premier opus, mais beaucoup moins du second. (rires) Je mourais quand même d’envie de rencontrer Sam.

    L’un de mes potes d’université avait bossé avec lui sur Evil Dead 2 et il a été engagé sur Darkman en tant que premier assistant-monteur. Il m’a fait venir sur le projet car ils avaient besoin de trouver des stock-shots pour les séquences où le héros est emporté par une rage incontrôlable. Vous savez, ces moments où on entre dans ses yeux, il y a des explosions, des éclairs et plein d’images très bizarres. J’ai monté toutes ces scènes.

    Au début de L’Armée des ténèbres, une musique évoque Les Nerfs à vif de Bernard Herrmann. Avez-vous utilisé ce thème dans la piste temporaire ?

    Je vois de quoi vous voulez parler. Je crois en effet qu’on a utilisé ce morceau. Globalement, il y avait beaucoup de Bernard Herrmann, de Jerry Goldsmith, de John Williams et même d’Ennio Morricone dans la piste temporaire. J’ai passé beaucoup de temps sur ce temp score et c’était d’ailleurs assez difficile à gérer à l’époque de la pellicule. Tout était sur la même piste : les dialogues, les bruitages et la musique.

    La première version ne comportait que du dialogue et il fallait ajouter des éléments au fur et à mesure. Je me souviens que j’avais aussi utilisé des extraits de Hellraiser et Hellraiser 2 de Christopher Young (emprunts évidents dans la scène du cimetière – NDR). Des années plus tard, quand on a eu besoin de trouver un compositeur pour Intuitions, j’ai dit à Sam : « Eh, tu te souviens de la musique géniale qu’on avait dans L’Armée des ténèbres ? C’était de Christopher Young. On devrait l’appeler. ».

    On a collaboré avec lui à de nombreuses reprises après ça. Chris est l’un des meilleurs compositeurs en activité à Hollywood, c’est un grand artiste ; c’est dommage qu’on l’entende de plus en plus rarement.

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    – Bruce Campbell dans L’Armée des ténèbres.

    Chris Young nous a envoyé des extraits des sessions de travail de Jusqu’en enfer et c’est absolument passionnant à écouter.

    Jusqu’en enfer était un projet très cool et son score est fabuleux. La scène du parking a demandé beaucoup de travail : Sam l’a story-boardée méticuleusement et j’ai utilisé beaucoup de Morricone sur le temp score. Chris a composé un thème principal dantesque basé sur le violon tzigane.

    Il s’est quand même fâché après moi quand il a vu la scène du parking… Pour ce moment où l’héroïne essaie d’attraper le levier de vitesses afin d’envoyer la voiture s’écraser contre le mur, il avait créé un morceau très élaboré. Sam et moi demandons toujours aux compositeurs des pistes séparées, une pour les cordes, une pour les cuivres, une pour les bois, une pour les percussions, afin d’avoir un peu plus de contrôle et de latitude au mixage. Si un effet sonore s’intègre mal, on peut baisser le volume des cuivres ou des cordes.

    La bande sonore de cette scène était très chargée, j’ai donc décidé d’utiliser uniquement une ligne de basses isolée que je trouvais super cool ! (rires) Ç’a été très frustrant pour Chris, mais ça fonctionnait beaucoup mieux comme ça. Dans les années 90, on aurait dû enlever toute la musique. Aujourd’hui, au moins, on peut en garder une partie…

    J’ai essayé de faire travailler Chris sur beaucoup de films, y compris sur Kong: Skull Island, où j’ai été engagé comme monteur additionnel, ou encore Godzilla II roi des monstres. Chris a rencontré chacun des deux réalisateurs, il a proposé des idées formidables, et pour une raison qui m’échappe, ils ne l’ont pas pris. Ces cinéastes plus jeunes sont attirés par d’autres styles.

    Regarder Chris travailler avec un orchestre, c’est quelque chose de fascinant. S’il est confronté à un problème, il va par exemple suggérer de remplacer le cor par une clarinette pour rendre la mélodie plus douce. Il a toujours des solutions immédiates. Et franchement, j’adore ses mélodies.

    C’est un art en voie de disparition, car les jeunes compositeurs ne composent plus de mélodies. Les scores sont de plus en plus atonaux, ils finissent même par se rapprocher du sound design.

    Ça me rappelle mon expérience sur Démineurs. J’avais essayé d’amener Chris avec moi, mais Kathryn Bigelow a préféré engager Marco Beltrami. Il est plutôt doué, mais son score ressemblait vraiment à du sound design. L’approche de Chris aurait été très différente.

    Vous avez travaillé avec John Woo sur Chasse à l’homme, produit par Sam Raimi et Rob Tapert.

    Sam et Rob ont développé le projet avec le scénariste Chuck Pfarrer, qui avait travaillé sur Darkman.

    Ce sont eux qui ont eu l’idée d’engager John Woo à la réalisation. Contrairement à ce que prétendent les rumeurs, Sam n’a jamais été envoyé sur le tournage pour surveiller John.

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    – Alison Lohman et Lorna Raver dans Jusqu’en enfer.

    Comment aviez-vous découvert le cinéma de Woo ?

    J’avais vu Le Syndicat du crime 1 et 2 des années plus tôt. C’est Quentin Tarantino qui me les avait montrés, quand on traînait pas mal ensemble. Ensuite j’ai découvert Une balle dans la tête par moi-même.

    The Killer a eu droit à une sortie en salles et je suis allé le voir plusieurs fois. J’étais un énorme fan de John et je n’aurais jamais imaginé pouvoir travailler avec lui un jour. Sam et Rob ont exaucé mon rêve avec Chasse à l’homme.

    Avez-vous assisté au tournage ?

    Oui, j’étais tout le temps à La Nouvelle-Orléans. Nous avions installé une salle de projection dans notre hôtel pour regarder les rushes chaque soir. C’était époustouflant. Sur Chasse à l’homme, Sam avait convaincu John d’utiliser des story-boards, ce qu’il n’avait jamais vraiment fait auparavant. Il a engagé un artiste du nom de Doug Lefler, qui avait déjà participé à Darkman et L’Armée des ténèbres.

    Je tiens à préciser que John est très bon pour filmer à plusieurs caméras. Il est capable de filmer des séquences très élaborées sous différents angles, d’une manière que je n’avais encore jamais vue ailleurs. Chaque axe est traité comme une caméra A, que ce soit au niveau du placement, du blocage ou de la chorégraphie. Ces caméras bougent en même temps, avec deux ou trois équipes séparées.

    John faisait toujours attention à pouvoir couper facilement de l’une à l’autre, et il faisait en sorte qu’une caméra n’entre jamais dans le champ de l’autre. On a aussi eu la chance d’avoir Russell Carpenter comme directeur de la photographie, qui a ensuite tourné True Lies et Titanic.

    Que s’est-il passé exactement entre John Woo et le studio ?

    Les influences principales de John sont Sam Peckinpah et Martin Scorsese, c’est-à-dire des cinéastes américains. Ses effets de ralentis viennent directement de La Horde sauvage ! Je n’ai pas eu de mal à m’adapter à ça car je connaissais bien son œuvre.

    Malheureusement, le studio a perçu ça comme un style hongkongais et ils ont utilisé cet argument contre nous. Ils disaient que le public américain n’allait pas aimer ces effets typiques du cinéma de Hong Kong et qu’il fallait enlever les ralentis et les fondus. C’était tellement raciste et ignorant de leur part !

    Une version pirate s’échange depuis des années sous le manteau et elle est beaucoup plus longue et violente.

    Quelqu’un l’a volée sur ma table de montage.

    Je vous confirme que cette version est beaucoup plus représentative de ce qu’on voulait faire avec Chasse à l’homme. Ce n’était en aucun cas un director’s cut, mais c’était meilleur que la version finalement sortie en salles. Le studio et Jean-Claude Van Damme nous ont mis des bâtons dans les roues et se sont ligués contre John.

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    – Jean-Claude Van Damme en mode balayette dans Chasse à l’homme de John Woo.

    Van Damme également ?

    Il voulait que Chasse à l’homme soit un carton.

    Il prétendait être un fan de John Woo mais quand il a entendu les exécutifs dire que les Américains n’aimeraient pas ce style, il est devenu leur allié. Il a insisté pour qu’on fasse quelque chose de plus générique et standardisé. Et bien sûr, il voulait plus de plans de lui dans le film et plus de coups de pied. Il se croyait encore dans une production Cannon.

    À un moment, le studio a pris les commandes et ils ont commencé à éliminer tout ce que John aimait – par exemple, Lance Henriksen en train de jouer du piano. JCVD allait voir toutes les projections-tests et dès que le public appréciait quelque chose qui n’était pas lié à son personnage, il nous demandait de le supprimer. Des scènes avec Lance ou Wilford Brimley ont été raccourcies pour cette raison.

    Il manquait tellement de confiance en lui et il avait un tel ego, c’était dingue. Il en est devenu méchant et manipulateur, et ça a fini par ruiner le film.

    Quel dommage !

    Oui, surtout pour John Woo, dont c’était la première expérience hollywoodienne. La violence a aussi posé problème, car on n’arrivait pas à obtenir un R.

    La MPAA nous collait un NC-17 à chaque fois qu’on passait devant la commission. La première fois, il a fallu que je coupe les plans sanglants, qui n’étaient pourtant pas excessifs. Ensuite, il a fallu que je réduise le nombre d’impacts de balles et de coups de feu. J’ai même dû couper des muzzle flashes (la lumière qui apparaît au bout du canon d’une arme à feu au moment du tir – NDR) pour enfin avoir un R.

    On a dû faire huit allers-retours avec la MPAA. John ne comprenait pas tout ce cirque. J’essayais de lui expliquer qu’on devait faire les coupes nous-mêmes, afin qu’elles soient un minimum cohérentes et il s’agaçait contre moi. Si Universal avait pris les commandes, le film aurait été encore plus massacré. Toute la postproduction de Chasse à l’homme a été horrible.

    Parlons de quelque chose de plus positif, alors. La séquence du train de Spider-Man 2 est probablement l’une des meilleures scènes d’action jamais conçues.

    Merci beaucoup ! Ce fut un sacré défi. On a démarré le tournage par cette scène, avant le début officiel des prises de vues. Sam m’a fait venir dès la préproduction pour que je travaille sur les prévisualisations, les story-boards et les animatiques.

    La scène a progressivement pris de l’ampleur à partir de là. Nous avons filmé des arrière-plans à Chicago – oui, l’action est censée se dérouler New York, mais la plupart des immeubles que vous voyez à l’écran sont de Chicago.

    Sur tous les films que nous avons faits ensemble, aucune séquence n’a demandé autant de travail que celle-ci. Beaucoup d’équipes filmaient des petits bouts en parallèle et on améliorait la chorégraphie en permanence. On a dû tout planifier avec le plus grand soin et trouver des solutions pour les nombreux effets.

    Sam avait déjà créé un story-board avant mon arrivée. Je crois que le budget de la scène était de 8 millions de dollars, mais le devis du story-board est sorti à 15 millions ! Il m’a demandé de revoir le déroulement afin de réduire les coûts.

    Il fallait créer un moment tout aussi génial, mais un peu plus court. Des pans entiers de la mise en scène ont été remplacés par un ou deux plans. Au final, ce processus de révision nous a permis de donner à ce passage beaucoup plus de fluidité.

    Pour le temp score, j’ai utilisé une longue piste de Minority Report de John Williams. J’adore Williams pour ça : il a écrit énormément de morceaux très longs qui conviennent parfaitement quand on monte une scène d’action. Il y en a d’excellents dans la prélogie Star Wars.

    Je peux découper ces suites et les adapter à ma séquence tout en profitant des micro-événements et des montées en puissance qu’il dispense tout au long de sa partition. Il y a donc plusieurs climax, plusieurs rebondissements… C’est idéal.

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    – La monumentale scène du métro aérien de Spider-Man 2.

    Il existe une version longue de Spider-Man 2, appelée Spider-Man 2.1, qui n’est guère convaincante…

    Je suis d’accord avec vous, je n’aime pas beaucoup cette version 2.1, et Sam non plus d’ailleurs. C’était l’idée du studio. Spider-Man avait été un tel succès qu’ils sont venus nous voir. Tout le monde était super content et ils voulaient offrir aux fans quelques scènes supplémentaires. Sam a accepté de remettre quelques trucs dans la narration. Qu’est-ce que vous n’avez pas aimé, exactement ?

    Juste un exemple : au milieu de la scène du train, le combat entre Spidey et Doc Ock a été rallongé. Cela déséquilibre totalement l’ensemble et c’est même assez redondant.

    Je pense la même chose. À l’origine, on avait coupé ça parce qu’on ne pouvait pas se le payer. Les effets visuels coûtaient très cher. En définitive, plus c’est court, mieux c’est. J’étais content de supprimer ces quelques plans, ça améliorait la scène.

    Quand le studio est revenu nous voir pour la sortie vidéo, ils ont décidé de payer pour les effets visuels manquants. On a aussi mis une séquence alternative dans l’ascenseur, qui est à la fois plus longue et moins drôle. On a également rallongé la scène de Bruce Campbell, mais ça fonctionne moins bien.

    Il y a une raison pour laquelle ça ne fonctionne pas. Spider-Man 1 et 2 sont très pertinents en termes de structure : les personnages semblent pris dans une gigantesque toile narrative. Comme le héros, le récit se balance constamment d’un enjeu à l’autre. À ce titre, une scène du premier film est fascinante. Quand Peter, juste après avoir croisé Mary Jane, retourne dans l’appartement qu’il partage avec Harry, chaque plan se concentre sur une idée, une émotion, un enjeu ou un thème bien précis. Le récit s’enrichit à chaque nouvelle coupe de montage. Même la scène d’action qui suit, lorsque Spider-Man se prend pour la première fois en photo, n’est qu’une transition qui mène le spectateur vers J. Jonah Jameson.

    Je suis comme vous, j’adore cette séquence et sa concision narrative. Je ne sais même pas s’il y avait des plans supplémentaires qu’on aurait coupés en cours de route. Honnêtement, cette scène doit beaucoup au scénario, plus particulièrement au travail de réécriture d’Alvin Sargent.

    Alvin sait ce qui importe au niveau de la dramaturgie et il sait maximiser l’émotion et le dynamisme de chaque moment. C’est quelqu’un de très humain. Sa contribution au script de l’original, et bien sûr à celui du second, est considérable.

    Il y a une scène très similaire au début de Spider-Man 2 : l’anniversaire de Peter chez Tante May. Encore une fois, chaque plan correspond à un enjeu précis. Dans la version 2.1, la séquence est plus longue et beaucoup moins fluide. L’équilibre n’est plus là.

    Voilà ! En regardant la scène à l’origine, j’avais suggéré des coupes car je considérais qu’on pouvait se passer de certaines informations redondantes. Il faut savoir rester concis. J’ai appris mon métier en analysant les films de Don Siegel, où l’efficacité prime avant tout. Il doit y avoir une raison pour chaque plan. Certains films sont trop écrits, parfois les acteurs improvisent et ajoutent des répliques inutiles…

    On me demande ensuite pourquoi je n’ai pas gardé ça, et je réponds : « Parce que la scène était finie. ».

    Le problème avec beaucoup de films récents, c’est qu’ils sont beaucoup trop longs, beaucoup trop autosatisfaits… Maintenant, n’importe quel film dure deux heures et demie, et ça me rend complètement dingue.

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    – Bob Murawski, Stan Lee et Sam Raimi tissent leur toile.

    Cela donne toute sa valeur au « climax » de Spider-Man 2, qui ne repose pas sur le spectacle, mais sur le drame. Au montage, il y a un enchaînement bouleversant qui, en quatre plans, permet aux deux enjeux principaux du film – la relation entre Peter et Doc Ock et la love story entre Peter et MJ – d’avoir une vraie résolution.

    Le crédit ne me revient pas entièrement, car Sam a vraiment filmé ça d’une certaine manière. On ne parle pas assez de son talent de réalisateur dramatique. Son amour pour les idées visuelles complètement folles, les mouvements de caméra expérimentaux et l’horreur est connu de tous, mais il est vraiment très bon dans le registre de l’émotion. Il sait quand utiliser un travelling avant, il sait choisir ses focales en fonction des enjeux…

    Pour le moment où Alfred Molina devait se tourner, Sam était très attentif au timing de ses mouvements par rapport à la position de la dolly. Ce niveau de timing est assez incroyable.

    Quand on l’observe au travail sur le plateau et quand on regarde les rushes, on le voit chercher prise après prise la synchronisation idéale entre le mouvement de l’acteur et celui de la caméra.Parfois, ça arrive spontanément, mais la plupart du temps, ça demande beaucoup d’effort, de précision et de préparation. Il faut que le focus soit fait au bon moment, aussi. Il arrive que le mouvement soit bon, mais pas le focus. On est d’ailleurs amenés à se disputer dans ces cas-là : Sam peut préférer avoir un focus parfait là où ça me serait complètement égal, ou vice versa.

    Mon boulot, au fond, est de m’assurer que les meilleures prises seront utilisées dans le film. C’est pour ça que mon expérience sur L’Armée des ténèbres a été si frustrante : il avait décidé de sélectionner une petite quantité de prises dès le début et de limiter mon champ d’action. Je devais travailler à partir de bobines présélectionnées et non à partir de l’ensemble des rushes.

    J’aurais adoré pouvoir tout éplucher, car quand on monte un film, il ne fonctionne pas forcément comme on l’avait imaginé à l’étape des story-boards. Les prises de vues devraient dicter le montage, pas les story-boards. Aujourd’hui, Sam voit les story-boards comme un outil prévisionnel, mais il est capable de les jeter à la poubelle si une meilleure idée lui vient pendant le tournage.

    Pour reprendre l’exemple de la scène d’anniversaire de Spider-Man 2, si on décide de supprimer une ou deux lignes de dialogues, la dynamique va changer dans l’enchaînement des plans. On va être amené à utiliser un gros plan plutôt qu’un plan large à un moment, ou quelque chose comme ça.

    C’est un processus en constante évolution et il ne faut pas hésiter à revenir aux rushes à la fin du processus, car on pourrait avoir oublié l’existence de tel ou tel plan.

    Quelques mois avant la sortie de Spider-Man 3, Sony a montré à la presse une bande promo comportant des séquences légèrement différentes. Celle où Peter se réveille dans son costume noir incluait un effet de « spider-sense » – le seul du film – et la caméra fonçait à travers la ville jusqu’à Sandman en train de cambrioler une banque…

    Ce que vous avez vu dans le film correspond au scénario, mais la question est de savoir qui a vraiment pesé sur l’écriture de ce scénario. Le département marketing a peut-être ajouté la scène du spider-sense pour raccourcir l’extrait. Un effet de spider-sense avait effectivement été prévisualisé avant que le script ne soit terminé, mais ensuite, le passage chez le Dr Connors a été ajouté.

    Il y avait tellement de cuisiniers sur Spider-Man 3, tellement de gens qui imposaient des idées sur l’histoire, que le film est devenu très alambiqué. Sur le premier opus, nous pensions que le studio allait mettre son nez partout, car c’était le premier blockbuster de Sam.

    Pour avoir vécu un calvaire sur Darkman, on a été très surpris. Sam a eu une liberté totale, ce qui est franchement étrange. Il a pitché son concept, il a prouvé son amour pour le personnage… À un moment, ils ont résisté à l’idée d’engager Tobey Maguire. Ils voulaient quelqu’un de plus beau, comme Heath Ledger ou Wes Bentley, le gars d’American Beauty. Sam a refusé, il a dit qu’il voulait un nerd, un type normal.

    Il a tourné un screen-test pendant une nuit entière, prouvant que Tobey était aussi à l’aise dans le drame et la romance que dans l’action. Sam lui a même demandé d’arracher sa chemise pour se battre. Une fois Tobey embauché, Sam a pu faire ce qu’il voulait. Spider-Man a été un succès gigantesque, c’est même le premier film à avoir dépassé les 100 millions de dollars de recettes durant son week-end de sortie.

    Sam a été encore plus libre sur Spider-Man 2, qui a reçu de meilleures critiques que l’original. Sur le troisième, tout le monde a commencé à s’approprier le succès des épisodes précédents. Dès lors, chacun voulait être impliqué dans le processus créatif dès le scénario. Les acteurs étaient incontrôlables, notamment Tobey, le studio avait son mot à dire sur tout, les producteurs tiraient la couverture à eux…

    C’est devenu une sorte de bouillabaisse géante et ça a continué comme ça pendant le tournage et la postproduction. Il y avait clairement trop de personnages et trop d’intrigues différentes dans Spider-Man 3.

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    – Stephen Strange (Benedict Cumberbatch) se la joue deadite dans Doctor Strange in the Multiverse of Madness.

    C’est certainement le seul film à être ressorti dans un « editor’s cut ».

    C’est une expression un peu trompeuse. Le studio a dit à Sam qu’il voulait réintégrer des scènes coupées sur le Blu-ray. Sam m’a demandé mon avis parce qu’il ne savait pas trop quoi faire.

    Je lui ai répondu que ce cut alternatif avait deux raisons d’exister. D’une part, on pouvait revenir à une version précédente du montage, avant que le studio ne vienne ajouter plein de choses inutiles filmées en tournage additionnel. D’autre part, on avait l’occasion de restaurer l’intégralité de la bande originale de Christopher Young. Chris avait fini son score, mais le studio ne l’a pas aimé et a demandé à John Debney de réarranger les thèmes originaux de Danny Elfman. C’était un gâchis de temps et d’argent monumental. C’est ce qui a fait pencher la balance.

    Deux jours plus tard, Sam m’a rappelé, un peu effrayé : « Tout le monde va penser que c’est un director’s cut, alors que ce n’en est pas un ! ». Je lui ai dit qu’on n’avait qu’à appeler ça l’« editor’s cut ». Si j’avais vraiment monté un editor’s cut, le film aurait été plus court de quinze bonnes minutes.

    Pour moi, la meilleure version du film est celle qui a été vendue aux compagnies aériennes. À l’époque, il fallait qu’un long-métrage tienne sur une VHS T-120, donc il ne devait pas dépasser les deux heures. J’ai créé moi-même des versions courtes des trois films et je les trouve meilleures que les versions cinéma.

    Qui a réalisé le teaser du premier Spider-Man, dans lequel un hélicoptère est pris dans une toile tissée entre les deux tours du World Trade Center ?

    Le département marketing a créé ce court-métrage. L’idée vient d’eux. Sam et moi avons vu les rushes et nous nous sommes dit : « Eh, c’est cool, pourquoi ne pas intégrer ça au film ? Ça nous appartient, après tout ! ».

    Le montage montrant Spidey combattre le crime au milieu du film devait se conclure par une version courte de cette scène, peut-être six plans seulement. Ça fonctionnait bien avec le tempo général et c’était une ponctuation très dramatique. Sam n’avait pas d’ego : il n’avait pas réalisé la scène, mais il était ouvert à toutes les idées. Si le marketing lui livrait des plans cool, pourquoi ne pas s’en emparer ?

    C’était donc dans le film, et après le 11-Septembre, on a décidé de l’enlever.

    Pouvez-vous nous parler du duel musical de Doctor Strange in the Multiverse of Madness ?

    C’était une idée de dernière minute. Sam l’a proposée de façon très spontanée et c’était vraiment cool. L’équipe discutait des options possibles pour le combat et il a donné ça en exemple : « Que se passerait-il si l’un des deux envoyait des notes en direction de son adversaire, qui les renverrait à la manière d’une symphonie ? Et à chaque renvoi, ça deviendrait une autre forme de musique ! ».

    Souvent, les combats de super-héros ont une forme très aléatoire. Les personnages s’envoient des accessoires lambda au visage ou traversent des murs. Il faut réussir à construire ces séquences sur la durée, à leur donner une certaine personnalité, à faire en sorte que chaque plan découle du précédent. D’ailleurs, avez-vous vu Doctor Strange en 3D ?

    Oui, en Dolby Cinema.

    Cool. Je trouve que c’est la meilleure version. Je ne suis généralement pas fan des conversions 3D, mais un type génial de chez Disney a pris en charge le projet et il a vraiment essayé d’obtenir le meilleur rendu possible.

    Ironiquement, il ne nous a pas vraiment expliqué ce qu’il voulait faire. Sam n’aime pas la stéréoscopie, donc il n’aurait sans doute pas changé quoi que ce soit à sa mise en scène s’il avait été impliqué dans le processus. Pour lui, c’est un peu comme du pan and scan, on change l’image de son film. Moi au contraire, j’adore la 3D, et l’univers de Doctor Strange s’y prête à merveille.

    – Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    – Merci à Howard Berger.
    – MadMovies #370

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    Il serait temps. Toutes les bonnes choses ont une fin 🙂

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    Remarqué avec le film d’horreur lovecraftien The Hole in the Ground, acheté en 2018 par A24, l’Irlandais Lee Cronin est contacté par Sam Raimi alors qu’il présente son ouvrage à Sundance. Le croyant un temps trop doux pour prendre le relai de Fede Alvarez, Robert Tapert accepte finalement de suivre l’instinct de son associé et confie à Cronin les rênes du cinquième long-métrage de la saga Evil Dead…

    Evil Dead Rise comporte le plus beau main title design qu’ont ait vu depuis bien longtemps. Tout est parfait, avec ce logo et ce titre, et on parle bien trop rarement de cet art. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Annie Atkins ?

    Je suis content que vous m’en parliez. Quand on fait un film, tous les détails comptent, de la première image à la fin du générique de clôture. Tout contribue à l’expérience. J’essaie d’être assez précis quand j’écris un scénario, donc l’émergence du titre hors de l’eau était déjà décrite ainsi dès la première version. Ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé en postproduction. Dans le script, on peut lire que des lettres rouges gigantesques s’élèvent dans le ciel et donnent une idée de ce que le film sera. On a longtemps eu une version temporaire de ce titre au montage.

    Annie Atkins vit tout comme moi à Dublin et j’avais déjà travaillé avec elle sur mon film The Hole in the Ground. Je me suis dit qu’elle serait parfaite pour ce job. On en a beaucoup parlé au préalable, puis on a bloqué un style et un look. Le timing était très important, de même que l’espacement des lettres. En plus, il fallait que le titre interagisse avec l’environnement : on voit en effet le reflet des lettres dans la surface du lac et elles bloquent le soleil, ce qui change légèrement la couleur du plan. Annie a un œil génial ; elle a écouté mes idées et m’a guidé dans le choix des polices qui serviraient le mieux cette introduction.

    La composition est entièrement basée sur le concept du titre, on n’a pas cadré au hasard et décidé d’ajouter les lettres aléatoirement. Je voulais que la fin du prologue soit audacieuse, opératique et culottée à plusieurs niveaux. Il fallait taper métaphoriquement du poing sur la table et dire au public : « Vous allez vivre une sacrée expérience en regardant ce film. ». C’est d’ailleurs l’objectif de l’introduction dans son ensemble : elle est là comme une sorte de teaser et donne un avant-goût du parcours de montagnes russes qui va suivre. L’idée est de clouer le spectateur sur son siège avant de vraiment débuter l’intrigue.

    Vous répétez rarement deux fois le même plan dans Evil Dead Rise. Certes, l’histoire est globalement contenue dans un immeuble, un couloir et un appartement, mais vous nous guidez à travers le récit en renouvelant constamment votre approche visuelle.

    C’est ce que j’appelle le « rafraîchissement visuel ». Ça sonne un peu comme un cliché, mais chaque plan raconte un nouveau bout d’histoire et ajoute un peu de dynamisme au récit. J’ai compris très tôt que ce film allait avoir besoin d’énergie. C’était primordial pour créer une « poussée » proche du rollercoaster. Quand on analyse une idée, on essaie de l’appréhender en un tableau gigantesque, composé de plein de petites vignettes. C’est comme un montage photographique. On se demande où on va mettre la caméra à tel ou tel moment, et plus on avance dans la préparation, plus on peut préciser les détails. Donc, ce rafraîchissement était important.

    Je sais qu’il y a des réalités pragmatiques dans la création d’un film et on est tous amenés à faire du coverage (captation d’une même scène via de multiples angles afin de s’assurer d’avoir tout le matériel requis au montage – NDR). Mais quand j’arrive sur un plateau, au milieu de mon équipe d’artistes et de techniciens, je me dis aussitôt que le coverage est la mort du cinéma. C’est une facilité, une sécurité. Autant que possible, j’essaie d’éviter d’y avoir recours.

    Mon directeur de la photographie Dave Garbett en a déjà parlé en interview et il est d’accord avec moi. Notre collaboration est basée sur ce principe : chaque image est l’occasion d’apporter un élément nouveau. Voilà d’ailleurs pourquoi nous avons beaucoup employé l’objectif à foyer partagé sur Evil Dead Rise. Pour certains plans, nous avions besoin de profiter d’un gros plan et d’une réaction dans le même cadre.

    Couper au montage aurait diminué l’énergie. Je voulais condenser le maximum de détails à l’écran, car cela donne lieu à une expérience plus immersive. Le spectateur a vraiment l’impression de faire partie de ce monde. Si, dans la vie réelle, on se retrouvait dans cette histoire, à vivre ce que vivent les personnages, ça ressemblerait à une sorte de rêve fou et fiévreux. On aurait l’impression d’être drogué. En juxtaposant toutes ces couleurs, toute cette énergie, tous ces sons et toutes ces images, on pouvait s’approcher de cette sensation de cauchemar éveillé.

    Vos décors sont incroyablement chargés. Même avant l’intervention de l’élément fantastique, cela donne à l’image une atmosphère claustrophobique. La lumière est faible et l’appartement est rempli de meubles, d’accessoires et de bibelots, ce qui contraste avec le vide de l’immeuble, qui va bientôt être démoli.

    On a parlé de tout ça en préproduction. Faire un film Evil Dead, c’est aspirer à créer le meilleur spectacle horrifique possible. Mais avant de se lancer dans le parcours de train fantôme, il faut trouver des motivations dans le script et comprendre pourquoi on prendra telle ou telle décision.

    Dans les précédents Evil Dead, personne ne vivait dans le chalet et cela donnait à l’histoire un aspect exotique et relativement crédible. Mais dans Evil Dead Rise, on parle d’une famille contemporaine qui vit dans le même endroit depuis dix, voire quinze ans. Il y a donc des couches de vie qui se sont superposées au fil du temps.

    Il y a même des détails dans le décor sur lesquels on n’a jamais vraiment eu l’occasion d’insister à l’écran. Vers le début du film, quand Ellie et Beth ont une conversation sans les enfants, Beth est sur le sofa et Ellie est debout dans l’encadrement de la porte. En regardant attentivement, vous verrez la taille des enfants, avec les années correspondantes.

    La relation entre les deux sœurs peut être lue de différentes façons. Ellie accuse sans cesse Beth de n’être qu’une groupie, car elle travaille dans le monde du spectacle et dans le milieu du rock. Ce qui la met systématiquement en rage. Est-ce une manière pour vous d’anticiper d’inévitables accusations de fanboyisme alors que vous vous retrouvez à la tête d’un projet aussi culte qu’Evil Dead ?

    J’adore cette interprétation ! Honnêtement, je n’y avais pas pensé en ces termes. C’était surtout pour moi un élément dramatique : Ellie est fière de sa sœur, mais elle est également jalouse de sa liberté. C’est pour ça qu’elle essaie tout le temps de la diminuer, même inconsciemment.

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    – Lily Sullivan, l’interprète de l’héroïne Beth qui va devoir protéger ses neveux contre leur mère possédée.

    Vous avez tourné en anamorphique, ce qui est plutôt intéressant car l’immeuble est vertical, et compte tenu du format, vos plans d’établissement deviennent forcément baroques. Vous exploitez toutefois la verticalité du cadre avec la scène du couloir, et vous resserrez le ratio lorsqu’on voit tout le massacre à travers le judas.

    Dans mon précédent film, j’avais tourné une scène entière en plan fixe et toute la violence intervenait hors champ. Ça peut sembler facile, mais ça confère à ce moment une certaine puissance. The Hole in the Ground disposait d’un budget bien plus faible, donc je ne pouvais pas aller très loin dans mes ambitions, mais cette idée de mise en scène me plaisait vraiment.

    Avec Evil Dead Rise, j’ai essayé de trouver une occasion de jouer sur ce point de vue restreint, un peu comme une signature. Quand on ne voit pas tout, les autres sens s’éveillent. Dans Evil Dead Rise, c’est un peu différent : il y a des moments qu’on cache au spectateur, mais aussi des passages viscéraux, comme celui où l’enfant est projeté contre le mur avec un bras en moins.

    Le but, c’est que le spectateur se dise que l’action dépasse largement ce qu’il voit dans les limites du cadre. Le judas devient presque un personnage lui-même au fil de l’intrigue. Je n’avais pas de cave, donc il me fallait une ouverture vers un espace parallèle à celui de l’appartement. Ce qui transformait ce dernier en une sorte de sanctuaire et s’inscrivait parfaitement dans l’esprit de la saga Evil Dead.

    L’emploi de l’anamorphique est aussi dû à des limitations. Je ne pouvais pas m’amuser avec une forêt entière, mais je voulais tout de même créer un vrai film de cinéma, avec une certaine ampleur. C’est marrant : parfois mes neveux me demandent de prendre des photos avec mon smartphone, et je le tiens instinctivement en position horizontale. Ça les rend dingues, car ils veulent tout en vertical pour pouvoir diffuser ça sur Instagram. Je n’arrive pas à penser de la sorte.

    Quand je vois quelqu’un filmer en vertical, j’ai envie de lui arracher son smartphone des mains…

    (rires) Des touristes m’ont arrêté dans la rue il y a quelques jours pour me demander de prendre une photo d’eux devant un mur fleuri. J’ai tenu le smartphone à l’horizontale et ils ont commencé à me dire : « Non non, en vertical. » « Eh, je vous fais une faveur, laissez-moi prendre la photo. »

    Enfin bref, je voulais donner à Evil Dead Rise une certaine échelle, même en intérieur. Nos yeux ont un champ de vision très large. Quand je me balade dans mon appartement, je peux presque voir tous les murs sans tourner la tête. Je voulais capturer ça tout en faisant ressentir l’enfermement des personnages. Il est facile d’installer une focale anamorphique sur une caméra, mais il faut qu’il y ait un raisonnement derrière.

    Dès les logos d’ouverture, vous dites aux spectateurs qu’ils vont devoir faire attention à ce qui se déroule sur les côtés, ou derrière : le bourdonnement d’une mouche passe à travers toutes les enceintes avant de disparaître.

    C’était une sorte de message, mais aussi une opportunité d’ancrer le film dans la continuité des précédents. Bruce Campbell m’a donné un disque dur avec des numérisations des enregistrements sonores originaux. J’ai intégré plusieurs de ces effets dans mon histoire, de différentes façons. La mouche vient de là.

    Le film regorge d’effets gore extrêmes qui impliquent, une fois n’est pas coutume, une enfant et des adolescents. En coulisse, comment avez-vous géré cela sur le plan psychologique, notamment avec la petite Nell Fisher ?

    Les parents sont essentiels dans le processus, ils doivent comprendre les nécessités et les réalités du tournage. La communication avec les enfants est elle aussi très importante : il faut leur parler des effets spéciaux le plus tôt possible. Nell Fisher, qui joue Kassie, avait 9 ans pendant le tournage, mais elle était incroyablement intelligente.

    Dans The Hole in the Ground et dans plusieurs de mes courts-métrages, j’avais déjà travaillé avec des enfants. Ce que j’ai appris, c’est qu’on doit les intégrer à l’équipe et les impliquer dans le développement. Quand les gars des effets spéciaux préparent des gags avec beaucoup de sang, il faut inviter les gosses à appuyer sur un bouton. Ça devient une fête de Halloween, ils s’amusent et ils veulent être là quand quelque chose d’horrible va être filmé. Ils voient le côté rigolo sur le plateau, et pas forcément le plan final sur le combo.

    Votre hommage à Shining est excellent.

    Il y a des œuvres qui vous marquent quand vous êtes jeune et auxquelles vous ne pouvez plus échapper par la suite. La filmographie de Sam en fait partie ; il figure sur mon mont Rushmore cinéphilique. Et bien sûr, il y a Shining. Je savais que j’allais avoir besoin d’un ascenseur dans l’immeuble, donc je devais absolument le remplir de sang. Il aurait presque été impoli de ne pas le faire. Dans Shining, on voit ce qui arrive après, mais dans Evil Dead Rise, on voit ce qui se déroule dedans !

    – Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    – Merci à Étienne Lerbret.
    – Mad Movies #370

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    Brendon Durey est le directeur du studio néo-zélandais Filmfx, collaborateur privilégié de Rob Tapert et Sam Raimi depuis les séries Hercule et Xena au milieu des années 1990. Déjà présent en coulisses de Ash vs Evil Dead, Durey a volontiers repris du service sur Evil Dead Rise…

    Quel est exactement votre rôle en tant que superviseur des effets spéciaux ?

    Le département des effets spéciaux – ou des effets mécaniques comme on le nomme parfois – s’occupe de tout ce qui ne concerne pas les monstres en latex ou les trucages numériques. Notre boulot principal concerne la météo et les atmosphères : nous créons la pluie, le vent, la neige ou le brouillard. Nous nous occupons aussi des flammes, des effets pyrotechniques et des trucages physiques impliquant des mouvements hydrauliques, pneumatiques ou des pompes diverses. Sur des films d’horreur, on doit par exemple pomper du sang un peu partout.

    Dans la plupart des pays, le département des maquillages va souvent créer les saignements sur les personnages, mais en Nouvelle-Zélande cette mission nous revient presque systématiquement. Nous travaillons donc directement avec les maquilleurs et installons des systèmes dans les prothèses. Je ne veux surtout pas prétendre que nous concevons les maquillages : ce domaine ne nous concerne pas du tout. C’est un art très spécifique, et je ne sais absolument pas faire ça.

    Vous devez travailler très étroitement avec les autres départements, car tout est lié…

    Absolument. Le production designer d’Evil Dead Rise, Nick Bassett, a été incroyable, soit dit en passant. La première fois que j’ai bossé avec lui, c’était sur Hercule contre Arès en 1998. Nous sommes restés amis et nous avons souvent collaboré depuis, en montant les échelons chacun de notre côté.

    Depuis une douzaine d’années, Nick est le production designer attitré de Rob Tapert en Nouvelle-Zélande et leur méthodologie est bien rodée. Quand on connaît les gens depuis plusieurs décennies, les choses avancent plus vite et plus efficacement.

    Pouvez-vous nous parler de votre travail en préproduction d’Evil Dead Rise ?

    Durant ma première réunion avec Lee, après avoir lu le scénario, je lui ai expliqué ma méthodologie pour le sang et le vomi : si un personnage donne un coup de couteau à un autre et qu’une giclée de sang lui arrive au visage, il ne faut pas attendre le jour du tournage pour savoir quel look on veut obtenir.

    Nous faisons des tests sur des mannequins pour chaque effet d’éclaboussure afin de définir la pression et la quantité de sang exactes. Il est important d’établir tout ça avant le début des prises de vues, car nettoyer le plateau coûte très cher.

    Comment préparez-vous votre faux sang ?

    Nous avons développé notre propre recette au fil des années. Elle a été utilisée sur Ash vs Evil Dead et Spartacus. Sur Hercule et Xena, on avait déjà pu faire des expériences avec le faux sang. Nous avons aujourd’hui une méthode de fabrication très efficace. La base, c’est le sirop de maïs à haute teneur en fructose, une matière extrêmement sucrée. On le stocke dans des containers de 20 litres. On le fait bouillir, puis on ajoute de l’eau. La clé pour obtenir un faux sang crédible, c’est la viscosité.

    Nous avons mis au point des tests pour nous assurer que cette viscosité soit conforme à l’effet que nous recherchons. Nous fabriquons d’ailleurs différents types de faux sang, chacun avec une viscosité et une couleur particulières. L’une de nos mixtures présente un rouge très éclatant, qui correspond à du sang frais. Nous avons un mélange plus sombre pour du sang qui aurait été versé il y a longtemps.

    Certains réalisateurs demandent aussi une hémoglobine plus sombre. Une fois le faux sang standard cuisiné, nous en fournissons des échantillons aux départements des maquillages, des costumes et des décors. Car quand le sang vole dans les airs, c’est notre job. Mais quand il est renversé sur le sol, c’est le job des décorateurs ; quand il éclabousse un costume, c’est le job des costumiers ; quand il est appliqué sur le visage de quelqu’un, c’est celui des maquilleurs. Ce sont souvent ces derniers qui choisissent la couleur et la teinte finale du faux sang.

    Ce qui est clair, c’est que nous devons en produire des quantités astronomiques. Sur Evil Dead Rise, nous en avons préparé six tonnes et demie…

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    Vous avez battu un record, non ?

    Cette quantité était nouvelle pour nous. Engager une armée de techniciens pour préparer des portions de 20 litres aurait coûté une fortune, donc nous nous sommes tournés vers une usine alimentaire : nous avons pu utiliser leur équipe et leurs cuves industrielles pour créer la quantité dont nous avions besoin.

    Nous avons quand même dû acheter des IBC (intermediate bulk containers – NDR), c’est-à-dire des réservoirs industriels en plastique qui sont utilisés pour déplacer de grands volumes de liquides. Nous en avons rempli six et demi, nous les avons fait livrer au studio, et nous les avons stockés dans un container réfrigéré jusqu’au moment où nous avons dû les utiliser.

    Avez-vous travaillé sur la séquence où du sang coule du nez et des yeux d’une adolescente ?

    Oui, on s’est inspirés du clip When the Party’s Over de Billie Eilish, dans lequel une matière noire sort des yeux de l’artiste. Nous avons collé des petits tubes le long des tempes de Gabrielle Echols et nous les avons tirés jusqu’à la base des yeux et vers les narines. Puis les artistes des effets visuels ont effacé numériquement ces tubes.

    C’est extrêmement efficace, car on regarde le sang et non les tempes ou les joues. On est focalisé sur l’élément réel et non sur ce qui est faux.

    Oui, et ces artistes sont devenus très bons pour effacer ce genre de choses. À l’inverse, les interactions entre des liquides et la surface de la peau sont très difficiles à simuler à l’aide d’effets digitaux.

    Le vomi a-t-il été simulé de la même façon ?

    Oui, nous avons installé un coquetier en silicone à l’intérieur de la bouche de l’actrice et lui avons fixé un tube sur la joue jusqu’au milieu de la lèvre inférieure, en direction de la bouche. Nous avons pompé notre faux vomi dans sa bouche et celui-ci a rebondi à l’extérieur, donnant l’illusion d’un spray réaliste. C’était très inconfortable pour l’actrice, mais elle a pu s’entraîner à placer le coquetier d’une certaine façon afin de résister à la pression…

    C’était vraiment une guerrière : vous vous imaginez, vous, en nuisette et maquillée en monstre, en train de dégobiller des litres de faux vomi devant 40 personnes ?Je crois qu’elle a expulsé 50 litres dans cette scène, alors que l’estomac humain est limité à 7…

    Êtes-vous un fan de L’Exorciste ?

    Oui, je l’ai toujours été. Je comprends pourquoi vous me posez la question ! Ça faisait partie des références qu’on a étudiées pour Evil Dead Rise. Nous avons aussi revu Stand by Me et Monty Python, le sens de la vie.

    Comment a été tournée la séquence de la salle de bains, lorsqu’Ellie se retrouve au plafond ?

    C’est mon ami Stuart Thorp, le coordinateur des cascades, qui s’est chargé de cet effet. Avec son équipe, ils ont mis au point un système d’attaches spécifiquement pour cette séquence. Le département des décors a également construit une salle de bains inversée qui a été utilisée pour les plans les plus complexes. Ils ont donc filmé la tête en bas.

    – Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    – Merci à Étienne Lerbret.
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    Le tout petit film bricolé au fin fond des bois par Sam Raimi il y a plus de 40 ans a accouché d’une saga qui excite toujours autant les fans d’horreur. Le nouveau-né Evil Dead Rise cristallise les mutations d’une désormais franchise qui a traversé les modes bille en tête. Alors, groovy ou non ?

    Au Festival de Sitges 1982, un petit film d’horreur fauché tourné entre potes fait sensation. Son titre : Evil Dead. À l’époque, le long-métrage n’a été projeté qu’à trois reprises : en avant-première mondiale discrète dans une salle du Michigan le 15 octobre 1981, au Marché du Film de Cannes en mai 1982 et au Festival du Film Fantastique d’Édimbourg en août 1982. Le début du début de la légende.

    Sam Raimi et son producteur/pote Rob Tapert sont donc présents en Espagne, en mode humble et rigolard, pour présenter leur petite péloche tournée en total « hémoglobinorama ». Et fantasment déjà sur la suite qu’ils rêvent de donner à leur Evil Dead. Sans vraiment se rendre compte que leur film va devenir le point d’orgue de l’Âge d’Or « goresque » des années 1980 (Re-Animator, Braindead, tout ça). Ni imaginer que leur petit film bricolé mutera en une simili-franchise qui fera encore fantasmer les horror fans presque 50 ans plus tard…

    Toujours plus DEAD

    Entre 1992, l’année de L’Armée des ténèbres, et le remake de 2013, 21 ans s’écoulent. Deux décennies où Sam Raimi est partit « spider-maniser » sa carrière tout en surveillant du coin de l’œil son bébé qui continue de (sur)vivre. Notamment à travers une adaptation en comédie musicale, des jeux vidéo, des comics et autres jeux de société. Et des projets fous qui restent lettre morte.

    La New Line annonce ainsi en 2004 un crossover intitulé Freddy vs. Jason vs. Ash. Soit une partouze de tronçonneuse, de griffes et de machette. Mais Raimi n’est pas très chaud (le projet prendra finalement la forme d’une courte série de comics parue en 2007). En 2012, Evil Dead a même droit à sa parodie porno, Evil Head, avec baise en boucle dans la cabane et gros câlin avec un arbre possédé.


    – Ellie (Alyssa Sutherland), maman devenue deadite suite à la découverte d’un livre maudit.

    Remake

    L’année suivante, Fede Alvarez remet la pendule (celle dont les aiguilles tournent à toute vitesse dans le film original) à l’heure avec un remake produit par Sam Raimi, Rob Tapert et Bruce Campbell. Evil Dead version XXIe siècle est plutôt bien accueilli pour sa radicalité sanglante et son ambiance très premier degré (pas d’humour slapstick à l’horizon). De quoi ravir les nouveaux venus, mais laisser quelque peu de côté certains fans restés bloqués sur leur vision nostalgique de la saga.

    Deadites en série

    En 2015, Raimi décide de reprendre cette dernière en main avec les trois saisons de la série made in Starz Ash vs Evil Dead dont il réalise le pilote, histoire de montrer que malgré son passage (sa trahison, diront certains) du côté des blockbusters, il n’a rien perdu de son côté sale gosse.

    Anges et deadites

    Dix ans plus tard (aujourd’hui, donc) entre en scène un nouvel opus qui aura mis un bon bout de temps à prendre forme. Evil Dead Rise est annoncé durant le Comic-Con 2019 pour une sortie programmée directement sur HBO Max en été 2022. Mais la Warner n’ayant cessé de changer de politique – et de direction – suite à la pandémie, le long-métrage est finalement calé pour une sortie mondiale – en salles de chez salles, avec des fauteuils, un grand écran et tout et tout – en avril 2023. À raison, les fantasticophiles sont méfiants et aux aguets. Car ils en ont subi, des suites et des remakes pourris de films fantastiques cultes des années 1970-80 (La Malédiction, Fog, Carrie, Poltergeist… la liste est longue !).

    Et voilà qu’un trailer bien méchant, mis en ligne début janvier, met le feu aux poudres. Pour éviter la redite, ce cinquième Evil Dead s’éloigne de la cabane dans les bois pour aller faire un petit tour à Los Angeles. Où une certaine Beth se pointe chez sa sœur aînée Ellie qui, mère célibataire, gère comme elle le peut ses trois mômes dans son appartement pourrave. Suite à un tremblement de terre qui a ébranlé les fondations de l’immeuble, les deux frangines découvrent au sous-sol un vieux livre poussiéreux qui va transformer Ellie en suppôt de Satan. Beth va devoir s’improviser mère-courage de substitution pour protéger ses nièces et son neveu de leur génitrice devenue démone sadique, hystérique et accro à l’arrachage de peau.

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    – Possession en pleine nature avant le déplacement de l’intrigue en milieu urbain.

    Lee Cronin, qui a pris de la bouteille quatre ans après son très bof The Hole in the Ground, assure derrière la caméra : il reste techniquement fidèle à la charte Evil Dead (les cadrages tordus) tout en assombrissant l’ambiance avec une photo maladive et blafarde (dans la lignée de celle de L’Exorciste) et en rendant des hommages divers. À Evil Dead 2, forcément (la séquence de l’œil), mais aussi à l’ascenseur sanglant de Shining.

    Et le sang, justement, coule à flots. Notamment via l’utilisation enthousiaste d’armes blanches et d’ustensiles de cuisine (cf. la séquence de la râpe à fromage, ustensile déjà employé à mauvais escient dans le méchant Farm House de George Bessudo), et une séquence finale ultra gore versant dans un grand-guignol plus contemporain. Reste que depuis la démocratisation de l’horreur graphiquement explicite (notamment à la télévision avec The Walking Dead), l’impact sur le spectateur n’est clairement plus aussi intense qu’à l’époque du premier Evil Dead, qui avait essuyé les plâtres avec ses déversements de sang non coagulé.

    Ce RISE sur le gâteau

    Mais ne boudons pas notre plaisir : Cronin signe un film parfaitement dosé entre l’hommage sincère, la réinterprétation maligne et le gore outrancier, et parvient à trouver un équilibre convaincant entre les deux extrêmes de la franchise (l’attitude rigolarde des Raimi et le sérieux imperturbable du Alvarez). Signe des temps, la saga se pare même d’un brin de postmodernisme en incluant dans son univers des caractérisations de personnages et des influences visuelles (une séquence en particulier lorgne du côté de Junji Itô) dans l’air du temps, là où ses précédentes itérations avaient plutôt tendance à fonctionner en vase clos.

    L’avenir dira si cette ouverture sur le monde est le signe d’un renouvellement ou du début de la fin. Mais ce qu’on attend avant tout d’un Evil Dead, c’est d’être un film d’horreur qui en jette. Et ce Rise en est un. Merci à lui.

    – Par Christophe Lemaire
    – Mad Movies #370

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    ah un petit côté sailor moon avec le poti chat ça pourrait me plaire vivement !

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    attendons j’ai adoré “belle” de je sais pas qui et des ghibli en générale 🙂 Merci pour ces articles !

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    @Ashura

    J’ai bien aimé son jeu dans En passant pécho où il incarnait “Cokeman”, un amateur de stupéfiants complètement givré.

    Il gérait pas mal, ça peut être intéressant de le voir dans ce genre de rôle, en espérant qu’il s’est bien préparé physiquement. Pas trop mal dans Made In France aussi.

    Je lui laisse sa chance, c’est LE film qui pourrait le faire décoller.

    Wait and See

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    @Pluton9 de l’argent facile :ange:

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    Ils vont avoir le temps de diffuser les films de 2022 ^^

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    Il y a quelques mois, le BIFFF fêtait sa 400 édition en invitant le réalisateur de La Famille Addams et des Men in Black. Avec un humour acide, il nous livre son credo technique, poursuivi de ses débuts comme directeur photo des frères Coen à des blockbusters dont la production a parfois viré à des histoires de fous.

    Vous débutez pratiquement en étant le directeur photo de Sang pour Sang des frères Coen. L’idée était de mêler les contrastes du film noir classique à une ambiance texane poisseuse ?

    Joel Coen avait été inscrit à l’université du Texas, à Austin. pendant un an. Le scénario de Sang pour Sang a donc été écrit en fonction d’endroits qu’il connaissait et conçu pour être tourné avec un budget très bas. L’atmosphère en est très claustrophobe : il y a peu de scènes avec une nombreuse figuration. Mais je vais vous raconter le point principal. Au premier jour de tournage. c’était pour chacun de nous la première fois que nous élions sur un plateau professionnel. Je n’avais jarnais été directeur photo sur un long-métrage. Joel n’avait rien réalisé en dehors son école de cinéma, et son frère Ethan avait abandonné ses études de philosophie et travaillait comme dactylo.

    La bonne chose là-dedans, c’est que nous n’avions rien à perdre, hein ? En ce qui me concerne, une fois diplômé d’une école de cinéma, j’ai acheté une caméra 16 mm car je pensais que cela me donnerait le titre d’opérateur. J’ai ensuite rencontré Joel Coen dans une fête et il m’a raconté comment Ethan et lui allaient lever de l’argent pour Sang pour sang. Ils allaient d’abord en tourner la bande-annonce,
    comme si le film était déjà terminé, puis la montrer à de possibles investisseurs. Et quand j’ai dit à Joel que je possédais une caméra, il m’a répondu que j’étais engagé ! Nous avons ainsi tourné cette bande-annonce qui était esthétiquement réussie, et au bout d’un an, nous avons réuni 750.000 dollars.

    Cependant, mon état d’esprit était le suivant : je n’étais pas beau gosse, je n’étais pas un bon acteur, mais je voulais quand même me faire remarquer. Pour ce faire, j’ai développé un style où la caméra semble douée d’une vie propre. Dans Sang pour sang, il y a un travelling qui longe un comptoir de bar. Or, un poivrot y est assis, et la caméra saute donc par-dessus ce dernier, puis continue à avancer. Tous les trucs de ce genre ont été conçus par Joel, Ethan et moi en préproduction, chaque plan étant dessiné sur storyboard. Car nous sommes tous trois des maniaques du contrôle et nous étions d’accord pour dire que le pire endroit pour prendre des décisions est sur le plateau, pendant que le reste de l’équipe traîne ou joue au frisbee. Cette entente s’est prolongée sur Arizona Junior, le film suivant.

    Après avoir lu le scénario, j’ai appelé Ethan Coen pour lui dire : « Que dirais-tu si je l’éclairais comme si c’était un livre d’images pop-up ?» Joel et lui ont adoré l’idée, de sorte que non seulement les mouvements de caméra sont complètement farfelus, mais j’ai en plus pris un matériel qu’on n’utilise plus aujourd’hui, de grandes lampes à charbon produisant des arcs électriques. Grâce à cela, les acteurs étaient tellement éclairés qu’ils avaient l’air d’être découpés sur l’arrière-plan. Par chance, les frères Coen et moi avons toujours eu un point de vue similaire, y compris sur Miller’s Crossing, le dernier film que nous avons fait ensemble.

    Miller’s Crossing a un style de photo assez différent, car c’est un film d’époque…

    Nous l’appelions « le film beau », pour le distinguer du côté farfelu des précédents. Ceux-ci avaient été tournés avec des objectifs grand-angles, qui ont souvent un effet comique. Or, même si Miller’s Crossing a des aspects drôles, notamment dans les dialogues, ce n’est pas une comédie. J’ai donc pris des focales plus longues, et surtout, j’ai utilisé une pellicule peu sensible, car elle donnait un grain
    très fin et des noirs très riches.

    Cela nécessitait bien sûr beaucoup de lumière, en particulier pour les extérieurs nuit. J’ai ainsi insisté pour avoir des éclairages très puissants, que j’ai obtenus grâce au soutien des Coen. C’était adorable, car beaucoup de réalisateurs n’auraient pas appuyé mes exigences. Ma collaboration avec Joel et Ethan est la meilleure que j’ai eue, et Miller’s Crossing est le plus beau film que
    j’ai fait comme directeur photo.

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    – Le classieux Millers Crossing des frères Coen, cadré et éclairé par Barry Sonnenfeld.

    Vous avez aussi éclairé Misery de Rob Reiner, qui se déroule essentiellement dans la chambre où un écrivain est séquestré par une admiratrice psychopathe. Vous avez veillé à varier la lumière en fonction de l’heure supposée et de l’atmosphère de la scène ?

    À l’exception de quelques jours d’extérieurs que j’ai dirigés moi-même car j’étais aussi réalisateur de seconde équipe, Misery a été entièrement tourné en studio. Le décorateur a ainsi suggéré d’utiliser un Translight. Il s’agit d’une photo de paysage que vous agrandissez et que vous mettez contre la fenêtre en l’éclairant par-derrière. Ce décorateur avait prévu deux Translight, un pour la journée et l’autre pour la nuit. Mais je l’en ai dissuadé en lui disant que la nuit était complètement noire dans les bois, et que ce ne serait pas crédible si on en voyait trop.

    J’ai donc fait faire deux Translight, l’un ensoleillé et l’autre avec un ciel couvert. Le second servait aussi pour les fins de journée, si vous le sous-éclairiez. L’ambiance devenait alors plus sinistre, menaçante. Par ailleurs, j’avais filmé une série de tests avec Kathy Bates, pour montrer ce que différents objectifs feraient à son visage. Rob Reiner, dont ce n’était pas le rayon car il était surtout un directeur d’acteurs, m’avait dit que c’était une perte de temps puisqu’elle était de toute façon une comédienne géniale. Mais quand il a vu le résultat, il a immédiatement adopté cette idée de varier les focales.

    Car plus l’angulaire était large, plus Kathy avait l’air folle. Il y a une raison pour laquelle vous choisissez un objectif plutôt qu’un autre. Cela dépend de ce que vous essayez de raconter dans l’histoire. Mais je ne sais pas combien de réalisateurs et de directeurs photo se rendent compte que les objectifs sont des outils, de même que les mouvements de caméra. Vous devez y avoir recours si cela peut introduire du comique, ou bien de la tension. Personnellement, j’aime les travellings avant ou arrière. En revanche, je dissuade toujours les réalisateurs de faire des panoramiques.

    La mise en scène consiste à trouver le bon cadrage et à gérer les entrées et sorties des acteurs, mais les panoramiques me semblent toujours paresseux et arbitraires. Bref, j’ai toute une philosophie sur les objectifs et les mouvements de caméra, mais le point principal est le suivant : la caméra n’est pas un simple appareil d’enregistrement, elle doit être un personnage de l’histoire.

    C’est grâce à cette expérience de seconde équipe que vous êtes passé à la réalisation avec La Famille Addams ?

    Non, je n’ai jamais décidé d’être réalisateur. J’étais très heureux d’être à la caméra car j’avais la maîtrise de mon travail. Et je voyais tous ces réalisateurs qui ne pouvaient rien maîtriser puisqu’ils devaient traiter avec ces gens difficiles que sont les acteurs. Mais deux semaines avant la fin du tournage de Misery, un dimanche, la réception de mon hôtel m’a appelé pour me dire : « Scott Rudin a déposé un scénario, il vous demande de le lire et de le rejoindre dans deux heures. ». Il s’agissait de La Famille Addams, et cela faisait sens que je le réalise car j’ai grandi avec l’œuvre originale, pas la série télé, mais les comic strips de Charles Addams. Ces derniers étaient très visuels : l’humour était dans les dessins et on ne saisissait pas le gag tout de suite.

    Cependant, le scénario que j’ai lu était nul, car il était plein de plaisanteries verbales. Or, j’aime seulement les comédies où tout le monde joue la réalité de la scène, et où c’est la scène elle-même qui est absurde. Par exemple, Morticia Addams suit sa propre logique, elle est juste drôle par elle-même.

    Poussé par mon épouse, j’ai donc énuméré à Rudin toutes les raisons pour lesquelles le scénario n’était pas bon. Il m’a répondu qu’il était d’accord et que c’était justement pour cela que je devais réaliser le film. Il m’a donc dit : « Si je peux persuader Orion Pictures de t’engager, tu le dirigeras, et je te promets d’améliorer le scénario. ». Je lui ai rétorqué ironiquement : « Bien sûr, Scott, un grand studio va soudain me bombarder metteur en scène. ». Mais en fait, il a vraiment réussi à me faire engager par Orion. Et s’il y avait un film idéal pour que je débute à la réalisation, c’était celui-là.

    On y trouve en effet ce qui va être votre marque de fabrique : un mélange de décors rétro et de machineries délirantes, qui s’apparente au steampunk. Ainsi, l’intérieur du manoir Addams semble infiniment plus grand que son architecture extérieure…

    Mouais, je ne pense pas que nous ayons fait du steampunk. Ce que je peux vous dire, c’est que j’adore jouer avec les proportions, comme c’était aussi le cas de Charles Addams. Nous avons d’ailleurs volé quelques images directement issues de ses dessins. L’une a donné lieu à la scène où Gomez Addams calme sa colère en jouant avec son train miniature. Un raccord nous amène à l’intérieur d’un wagon, et le visage de Gomez apparaît à travers la vitre. C’est une image complètement surréaliste, qui a l’air d’épouser le point de vue d’un minuscule passager. Et d’une manière générale, c’est vrai que l’intérieur de la maison n’a pas les mêmes proportions que l’extérieur.

    Je vais vous raconter quelque chose qui va peut-être vous intéresser. Pour La Famille Addams et sa suite Les Valeurs de la famille Addams, nous avions des chefs-décorateurs différents, et leurs versions de l’intérieur de la maison n’avaient rien en commun. Celle du premier opus a été conçue par un gars appelé Richard Macdonald, et elle était très romantique, avec des escaliers incurvés. Comme ces plateaux avaient été détruits par Paramount, nous avons engagé sur Les Valeurs… Ken Adam, qui avait signé les décors de mon film préféré, Dr. Folamour. Sa version desintérieurs ressemble beaucoup plus aux comic strips de Charles Addams. C’est plus sévère, moins meublé,
    tout en lignes droites.

    Ken Adam a été le directeur artistique de nombreux James Bond…

    C’était l’un des plus grands production designers britanniques, et il a aussi fait les décors de Barry Lyndon. Sur mes films suivants, et aussi sur des séries télé que j’ai supervisées, j’ai souvent travaillé avec Bo Welch. Il est très talentueux et il conçoit les décors avec l’esprit d’un réalisateur. Certaines des meilleures choses des Men in Black, qui ont été portées à mon crédit, sont en fait l’ceuvre de Bo. Ma théorie est donc celle-ci : puisque vous allez récolter les lauriers de toute façon, pourquoi ne pas engager les meilleurs ?

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    –Barry Sonnenfeld sur les tournages de La Famille Addams (avec Lloyd et Christina Ricci) et de Men in Black2.

    C’est pour cela que vous n’avez jamais cumulé les postes de réalisateur et directeur photo ?

    Je vais vous en dire la raison. Quand j’ai été engagé sur La Famille Addams, j’ai fait des recherches sur d’autres directeurs photo devenus réalisateurs. À l’époque, mon préféré était Gordon Willis, et il n’a mis en scène qu’un seul long-métrage, Fenêtres sur New York. Qui en a entendu parler ? De la même manière, John A. Alonzo, qui a éclairé Chinatown, n’a réalisé qu’un seul film. Il y a des tas d’autres exemples, et dans chaque cas, ils avaient promu leur cadreur au poste de directeur photo, ce qui voulait dire qu’ils ne voulaient pas vraiment abandonner la caméra. Sans doute ont-ils continué à commander leurs anciens subordonnés, leur indiquant où mettre les éclairages. Et aucun d’eux n’a réussi comme réalisateur, alors qu’ils étaient tous meilleurs que moi.

    J’ai donc estimé que, pour avoir la moindre chance de m’en sortir, je devais engager des directeurs photo tellement bons que je n’aurais plus à me soucier de la lumière. Ainsi, je n’allais pas me retrouver à penser à déplacer un éclairage là-bas pendant qu’une actrice me posait des questions sur les motivations de son personnage. Dans le cas de La Famille Addams, j’ai engagé Owen Roizman, qui avait été le chef-opérateur de French Connection et d’autres films à nombreux Oscars.

    Je lui ai juste dit que j’allais concevoir les plans à l’avance et choisir les objectifs. Ma troisième exigence était qu’Anjelica Huston, qui jouait Morticia, ait sa propre lumière, indépendante du reste de l’éclairage. Ainsi, elle ressemblerait à une photo où elle était perpétuellement belle. Owen a adoré l’idée et je lui ai dit qu’il était engagé.

    Sur Wild Wild West, vous avez pris le grand Michael Ballhaus…

    Là, c’était une erreur.

    Pourquoi ?

    (rires) Je savais que cela vous intriguerait. Michael pensait qu’un western devait être tourné au format Scope, et dans un cas normal, il aurait eu raison. Mais ici, nous avions cette araignée mécanique géante, qui est un élément très vertical. Si nous avions été en Scope, il aurait donc fallu la filmer de plus loin. Ou alors, nous aurions dû faire des travellings de bas en haut, et je déteste ces mouvements autant que je déteste les panoramiques. J’ai ainsi choisi un format moins large que le Scope, mais Michael en a été furieux et il a été désespérément lent pendant tout le tournage. Pour autant, il y a eu de nombreux autres problèmes sur ce film.

    D’abord, je ne suis pas sûr que le public était au courant que la série télé originale (en France : Les Mystères de l’Ouest — NDR) combinait le western et la science-fiction. De plus, je crois que l’araignée avait une taille disproportionnée en regard de ce qui pouvait être construit à l’époque, même avec la caution de la science-fiction. Enfin, et surtout, il n’y avait aucune alchimie entre Will Smith et Kevin Kline.

    Oui, chacun tire la couverture à lui en matière de comique. Lors de la master class que vous avez donnée ici au BIFFF, vous avez justement expliqué que sur les Men in Black, vous avez au contraire persuadé Tommy Lee Jones de rester toujours impassible, ce qui lui permettait de récolter les fruits des pitreries de Will Smith. Cela fonctionne bien, mais je me souviens d’avoir été surtout marqué par l’opus 3, dont la fin est étonnamment émouvante…

    J’aime aussi le premier Men in Black, qui a une fin presque aussi émouvante, quand Tommy dit à Will : «Je n’ai pas engagé un partenaire, j’ai engagé un remplaçant. ».

    Je n’aime pas vraiment le 2, mais j’adore effectivement le 3, qui est complètement l’idée de Will Smith. Un soir pendant le tournage de Men in Black 2, il m’a lancé : « Je sais ce que sera le troisième film. ». Et il m’a raconté cette histoire où son personnage retournait dans le passé pour trouver l’assassin de Tommy Lee Jones, et découvrait que ce dernier l’avait au fond élevé.

    Ce qui est fascinant là-dedans, c’est que cette conclusion n’était absolument pas prévue quand nous avons fait les deux films précédents, mais que ceux-ci contiennent des détails la préfigurant. Si vous vous souvenez bien, dans une scène du 1, Will demande à Tommy : « Hé, tu n’as jamais passé cette machine à flash sur moi ? ». L’autre dit que non. Mais en fait, si : il t’a
    effacé la mémoire après t’avoir élevé, parce qu’il avait accidentellement causé la mort de ton père. C’est assez génial, et je trouve que Will Smith est excellent dans Men in Black 3, de même que Josh Brolin, qui joue Tommy Lee Jones jeune. Pourtant, ce film a été très emmerdant à faire.

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    –Barry Sonnenfeld durant le tounage compliqué de Wild Wild West

    Quel était le problème ?

    Sur les trois Men in Black, j’ai eu une relation très difficile avec le producteur Walter Parkes. Il avait la prétention d’être scénariste et c’était un désastre. Un désastre ! Le pire a été sur Men in Black 3, car nous avons tourné le premier tiers avant de fermer les portes pendant quatre mois, le tout alors que le scénario n’était pas terminé. En effet, la patronne de Sony avait peur que Will Smith parte jouer dans un autre film si la production n’était pas lancée tout de suite. Mais comment un réalisateur, en particulier un réalisateur de comédies, peut-il travailler sans savoir où il va ?

    Dans ces conditions, vous n’êtes pas en mesure d’introduire un élément qui va déclencher un effet comique plus tard. Deux semaines avant le tournage du final, il y avait encore deux versions antagonistes de la séquence. Will et moi pensions que les agents devaient protéger une fusée dont le méchant Boris l’Animal voulait empêcher le décollage. À l’inverse, Walter Parkes estimait que la fin devait voir l’Animal essayer d’aller dans l’espace. Mais comment pouvais-je concevoir les cascades sans savoir si les héros avaient pour but de permettre à la fusée de décoller ou bien de l’en empêcher ?

    Dieu merci, Will Smith a fini par dire : « C’est comme cela et pas autrement, terminé les discussions, je ne veux plus voir Walter sur le plateau. ». Sans cela, nous serions encore en train de tourner ce film dix ans plus tard. C’est le genre d’histoires de dingue qui se passent à Hollywood. Pour autant, vous avez toujours conservé le style dont nous parlions au début… Je sais que cela paraît fou de dire qu’un objectif peut être drôle, mais les grands-angulaires le sont. C’est un peu moins le cas aujourd’hui, car les nouveaux modèles conçus par ordinateur engendrent moins de déformations de l’image. Il n’empêche que quand vous faites un gros plan avec un grand-angle, la caméra doit être physiquement très près de l’acteur. Et le public ressent confusément cette proximité.

    J’ose ainsi dire que Men in Black 3 est le meilleur film en 3D jamais tourné, qu’il dépasse Avatar. Car Jim Cameron est un gars très réservé, qui adore les sous-marins et la plongée ; il voit le monde à distance, à travers un hublot, si bien que sa 3D part de l’écran pour aller derrière. À l’inverse, ma 3D s’étend devant l’écran à cause des objectifs grand-angles que j’utilise. Les spectateurs ont ainsi l’impression que les acteurs sont dans la même pièce qu’eux. Encore une fois, la technique ne sert pas à enregistrer l’histoire, mais à la raconter. Et j’ai toujours essayé de faire en sorte que la caméra soit un personnage à part entière dan mes films.

    – Propos recueillis par Gilles Esposito.
    – Merci à Jonathan Lenaerts, Elise Dozo, Youssef Seniora et Thibault van de Werve.
    – Mad Movies #364

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    @Ashura

    Perso avec ma femme on a grave kiffé

    Humour noir très sympa, très bons acteurs et ça part méchamment en live. J’ai adoré.

    Je la mets dans petite liste de pépites Netflix car faut se méfier mais il y en a

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    ca a l’air SYMPA, je valide

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    Plus que toute autre mégapole américaine, New York est une véritable ville-monde, un agrégat mouvant et insaisissable de multiples cultures et évolutions sociétales dont le cinéma de genre a su se faire le témoin privilégié. Pour bien préparer la délocalisation de la franchise Scream dans les rues de la ville qui ne dort jamais, rien de tel qu’une petite visite guidée dans ses œuvres miroirs les plus emblématiques, en compagnie de New-Yorkais de souche ou de cœur.

    Dans la deuxième moitié du roman La Promesse des ténèbres de Maxime Chattam, les personnages descendent à de multiples reprises dans les profondeurs souterraines de la ville de New York à la rencontre des « mole people », les habitants clandestins d’une authentique ville sous la ville – les amateurs de bisseries estampillées eighties peuvent se hasarder à jeter un œil au foutraque C.H.U.D. (acronyme de « Cannibalistic Humanoid. Underground Dwellers ») de Douglas Cheek.

    Fidèle à son modus operandi, Chattam a poussé l’investigation aussi loin que possible pour nourrir son récit. « Un fixeur m’a embarqué avec lui. Je ne suis pas descendu aussi loin que mon personnage, mais c’était hallucinant, ne serait-ce que d’avoir rencontré les mole people. » Si l’écrivain ne redoute pas de sonder les abysses de la ville, il trouve tout autant son bonheur et son inspiration à la surface.

    « La dernière fois que je suis retourné à New York, c’était à la frontière de Brooklyn et du Queens, dans un tout petit coin perdu qui donnait parfois l’impression d’être au fin fond de l’Amérique rurale. Il y avait un mec avec son cheval, un dépôt de bus où on dit que la mafia planque des corps – je m’en suis servi dans le roman Un(e)secte… New York c’est tout : les espaces verts, les décharges à ciel ouvert, les friches industrielles incroyables. C’est une ville qui se construit et se reconstruit à une vitesse folle ; c’est une multiplicité de villes en une. Rien que dans Manhattan, il y a une disparité hallucinante. »

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    – Harry Belafonte dans Le Monde, la chair et le Diable de Ranald MacDougall.

    « Quelques années plus tôt, en allant dans Alphabet City sur l’avenue D, il y avait encore des junkies et des dealers sur le boulevard. On remontait quelques rues et on se retrouvait dans un endroit où le moindre appartement se vendait plusieurs millions de dollars. Il y a des villes comme Paris qui pompent votre énergie et d’autres qui vous portent. New York est l’une des dernières villes américaines de ce genre, elle bouillonne, elle se nourrit des différentes cultures et immigrations qui la composent. Quand on vous donne une bonne adresse, si elle date d‘il y a trois ans, elle est presque certainement obsolète. Certains quartiers résistent encore, comme celui qu’on voit dans Little Odessa de James Gray, mais le New York de French Connection ou American Gangstern’existe plus. »

    De fait, peu de villes peuvent se targuer de nourrir autant d’imaginaires à la fois. La simple vision du pont de Brooklyn convoque à elle seule soixante ans d’Histoire du cinéma. Lorsque la caméra de Steven Spielberg fige le mouvement du plan final de Munich (2005) sur une vue des tours jumelles du World Trade Center, le choc de les redécouvrir sur grand écran quatre ans après leur destruction fait office d’épilogue et de complément éloquent au dialogue qui a précédé.

    Des films comme Le Monde, la chair et le Diable de Ranald MacDougall (1959) ou Je suis une légende de Francis Lawrence (2007) surmontent l’horreur de leur postulat en fantasmant une New York vidée de ses habitants, comme un parc d’attractions à ciel ouvert.

    LES PRINCES DE LA VILLE

    Quand il s’agit de désigner la voix la plus représentative de New York, les mêmes noms reviennent invariablement : Martin Scorsese, Spike Lee et Abel Ferrara. Des metteurs en scène profondément liés à la ville, qui en ont arpenté les pavés et filmé les rues tant en configuration commando que dans la légalité et le confort de tournages dans les règles de l’art.

    Ils ont de fait installé dans l’imaginaire collectif des images d’Épinal parmi les plus marquantes de la ville. La canicule de Brooklyn dans Do the Right Thing, les rues ravagées de Taxi Driver ou After Hours, la photographie chaude et bleutée de Bojan Bazelli pour China Girl ou [censored] of New York font désormais partie de l’ADN de la cité, avec comme marqueur temporel commun l’excitation de la période.

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    – Melanie Griffith dans New York, 2 heures du matin d’Abel Ferrara.

    Entre la fin des années 1970 et celle des années 1980, ces trois cinéastes signent leurs films les plus emblématiques, ceux qui vont définir leur identité artistique et auxquels le public n’aura de cesse de les ramener. Scorsese tombera en désamour de sa ville lors des tournages cauchemardesques d’À tombeau ouvert et Gangs of New York.

    Ferrara filmera l’assainissement idéologique de la mégapole (New York, 2 heures du matin) avant d’en faire le théâtre de l’apocalypse (4h44 dernier jour sur Terre) et d’y déployer sa vision pour le moins controversée de la décadence des élites dans un titre à l’ironie cinglante (Welcome to New York), avant de s’exiler en Italie.

    Quant à Spike Lee, il signe son film new-yorkais définitif avec La 25e heure (2002, aussi connu sous le titre 24 heures avant la nuit) et son fameux monologue central d’Edward Norton, bouillonnant de colère, de racisme et de ressentiment face caméra. Une mise à jour cinglante du flux de pensée du Travis Bickle de Taxi Driver écrite par David Benioff (le futur cocréateur de Game of Thrones) en pleine gueule de bois post-11-septembre 2001.

    Moins spectaculaire que ces trois génies tapageurs, Sidney Lumet a filmé New York pendant plus d’un demi-siècle, de 12 hommes en colère (1957) au non moins fabuleux 7h58 ce samedi-là (2007). Dans les mineurs Les Feux du théâtre (1958) et Une espèce de garce (1959), il épouse le point de vue de ses jeunes personnages féminins et cède à une certaine fascination de carte postale, mais commence déjà à révéler les zones d’ombre derrière les folles promesses.

    Le pas tout à fait réussi Vu du pont (1962) s’aventure au-delà du strass et décrit le quotidien de dockers italiens à Brooklyn. Le mélange d’acteurs américains, français et italiens colle a priori parfaitement à l’ambition du projet, mais l’alchimie ne prend pas.

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    – Al Pacino dans Cruising de William Friedkin.

    C’est avec le phénoménal Le Prêteur sur gages (1964) que Sidney Lumet trouve le ton juste. Rod Steiger y campe un survivant de la Shoah émigré aux États-Unis où il exerce le métier qui donne son titre au film. Il voit défiler les clients dans le besoin, côtoie la misère avec un détachement émotionnel total, jusqu’à ce que des souvenirs des camps de concentration viennent le hanter de plus en plus régulièrement. Lumet capte un moment clé d’une ville en pleine débâcle industrielle, où les différentes communautés tendent à se replier sur elles-mêmes tout en continuant à coexister.

    La caméra s’attarde plus volontiers que dans ses précédentes productions sur les extérieurs, dans les rues de Harlem. La mise en scène et le montage sortent enfin de la réserve des films précédents, Lumet multiplie les cadres audacieux, l’intrusion des flashes-back violente la narration, la photographie joue superbement des contrastes.

    Dans la décennie suivante, le cinéaste enfonce le clou avec le visionnaire Un après-midi de chien (1975) et son immense diptyque sur la corruption des corps constitués, Serpico (1973) et Le Prince de New York (1981).
    Il y met en scène des personnages faillibles mais intègres, avalés tout cru par le pourrissement tentaculaire et endémique de leur environnement.

    LES RATS DE MANHATTAN

    À cette période cruciale, Sidney Lumet fait d’Al Pacino le visage de la ville, à la fois flic et voyou, taiseux et fort en gueule, italien et américain. William Friedkin s’empare de l’acteur et pousse les thématiques de la dualité et de la transformation dans des extrêmes rarement atteints avec Cruising (1980), l’immersion d’un policier undercover dans le milieu gay SM new-yorkais où sévit un tueur en série.

    Pacino relève le défi en prenant le parti de l’improvisation et s’abandonne dans une performance destinée à devenir iconique à rebours, une fois le parfum de scandale évaporé. Son personnage ne peut rester longtemps à l’écart sans attirer l’attention, il doit prendre part aux agapes en sous-sol, ne pas trop laisser traîner son regard, se mettre la tête à l’envers, danser comme un possédé. Comme tout flic undercover de cinéma, il se perd. Est-il hétéro, gay, flic, tueur ?

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    – Joe Spinell dans Maniac de William Lustig.

    Friedkin joue avec les pertes de repères comme un artificier fou avec des bocaux de nitroglycérine. Chaque coin de rue est un coupe-gorge, chaque clubber est un suspect, chaque flic est un ripou, en particulier cette incroyable trogne de Joe Spinell, le Maniac de William Lustig sorti la même année. Autre film de tueur en série, autre embardée dans les rues de New York, la nuit, où tout un chacun peut se faire trucider sans aucune raison.

    Dès la fin des années 1960, la ville souffre d’un processus de désindustrialisation massif. Le chômage explose, les quartiers se vident, les tensions sociales valsent avec les revendications des droits civiques. Au milieu des années 1970, New York frôle la banqueroute. Le président Gérald Ford en personne intervient pour injecter des liquidités et maintenir ne serait-ce qu’un semblant de service minimum. La ville accepte d’ouvrir ses portes à des investisseurs moyennement fiables pour gérer son parc immobilier, parmi lesquels un certain Donald Trump.

    Durant cette période de crise, la criminalité explose et le cinéma de genre s’en fait le témoin. Les films de Lustig vont même plus loin et accusent sans ambages, de Vigilante à la trilogie Maniac Cop, les autorités judiciaires et policières de laxisme et de corruption dans des films défouloirs.

    Le compère scénariste de Lustig sur la trilogie du flic défiguré, Larry Cohen, lâche d’abord sur la ville une épidémie d’assassinats de masse dans Meurtres sous contrôle (1976) puis un dieu serpent aztèque dans Épouvante sur New York (1982). Les films de Frank Henenlotter, Frère de sang, Elmer le remue-méninges et Frankenhooker évoquent quant à eux la came et la prostitution dans les mêmes décors urbains crades, poisseux, à la limite du décor post-apocalyptique.

    En 1982, Lucio Fulci vient tourner son fou furieux L’Éventreur de New York, avec son tueur à la voix de canard, ses femmes sexuellement actives toujours à deux doigts de se faire agresser, ses forces de police soucieuses de ne pas faire de vagues. John Carpenter fait de Manhattan la zone de non-droit ultime dans New York 1997 (1981).

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    – Patty Mullen dans Frankenhooker de Frank Henenlotter.

    Larry Fessenden, taulier du studio indépendant new-yorkais Glass Eye Pix, est un pur enfant de cette époque. Né en 1963 au New York Hospital, il traîne ses guêtres au club mythique CBGB, fréquente dès son plus jeune âge les cinémas de la 42e rue immortalisés par Taxi Driver. « Ils passaient surtout des pornos et des films d’horreur. Je me rappelle d’une séance d’Amityville à la fin des années 1970 : au beau milieu du film, quelqu’un s’est levé et a crié “Des rats !” Une petite colonie de rongeurs remontait l’allée, il fallait lever les jambes… »

    « À l’époque, c’était le lieu clé pour la prostitution et les peep-shows, en plein cœur de la ville. Puis Disney a commencé à racheter tout l’immobilier dans les années 1990, et maintenant il s’y joue des comédies musicales comme Le Roi Lion, il n’y a plus que des panneaux publicitaires géants, des touristes avec leur téléphone portable. J’ai assisté à la gentrification de New York. J’ai grandi près d’un parc où vivaient des sans-abris. En 1988, la police a débarqué et les a tous passés à tabac, il y a eu des manifestations, des émeutes. Et dix ans plus tard, au même endroit, je poussais mon fils sur une balançoire. »

    LES LOUPS DE WALL STREET

    Les débuts de Larry Fessenden derrière la caméra sont eux aussi étroitement liés à la ville. « J’étais caméraman et monteur. J’ai toujours voulu être cinéaste mais au début des années 1980, ce n’était pas évident de trouver la meilleure façon de percer. J’ai commencé à travailler avec des artistes et des performers, j’allais dans des clubs et je les filmais. Je garde beaucoup d’affection pour la culture artistique new-yorkaise. Bien avant que la sexualité ne soit un sujet de fétichisation, il y avait de la nudité, de la folie et de la vie dans le champ de la performance, avec des travestis, des drag queens. »

    « L’un de mes premiers films est consacré à une gogo danseuse qui voyait son métier comme une forme d’empouvoirement pour les femmes. Puis j’ai fini par réaliser Habit, une histoire de vampire dans les rues de New York dans un style réaliste à la Cassavetes. La ville est le territoire idéal pour ce genre de mise en scène, j’adore tourner dans les rues, les couleurs, les éclairages… Le seul souci, c’est qu’Abel Ferrara a sorti The Addiction à peu près au même moment. On a eu la même intuition, la même vision de New York comme ville idéale pour des vampires cherchant à passer inaperçus ! »

    En dehors de cette idée de départ, Habit ne partage en réalité que peu de points communs avec le film de Ferrara. Larry Fessenden y traîne son irrésistible dégaine d’artiste déphasé d’appartements insalubres en rues louches, de parcs municipaux inquiétants en soirées arrosées. Il s’en dégage une énergie addictive, atout caractéristique des metteurs en scène new-yorkais les plus inspirés.

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    – L’Éventreur de New York ou la décadence new-yorkaise selon Lucio Fulci.

    Pendant un peu moins de deux heures, le spectateur a l’impression d’être sur place, de faire partie des meubles, de saisir l’ambiance à peine arrivé dans un nouveau décor. Surtout, Habit capture la ville juste avant une mutation de taille. L’ère reaganienne et la vitalité boursière de Wall Street ont attiré une nouvelle population plus aisée faite de cadres branchés, de noctambules et de flambeurs, castes que les sociologues ont regroupées sous l’appellation « yuppies », contraction de « young urban professional ».

    Cet animal mutant des années 1980 n’a jamais été mieux représenté que dans Embrasse-moi, vampire de Robert Bierman (1989) sous les traits d’un Nicolas Cage en feu. L’acteur incarne Peter Loew, un agent littéraire infect, féru de clubs à la mode, de cocaïne et de coups d’un soir. C’est à la suite d’une telle soirée qu’il commence à entretenir l’obsession absurde d’avoir été mordu par une vampire. Il se prépare à son inévitable transformation sans que rien ne lui donne raison en dehors de sa propre lubie.

    À la fin de cette capsule temporelle que Bret Easton Ellis a sans doute vue plusieurs fois avant de commencer à écrire American Psycho, Nicolas Cage erre dans des rues couvertes de tags, hagard et taché de sang, parlant tout seul et souriant comme un dément. La scène a été filmée à distance, quasiment en caméra cachée ; les passants le dévisagent d’un air inquiet ou en riant…

    Après le temps des yuppies vint l’ère Rudy Giuliani, du nom de cet avocat arrivé à la mairie de New York en 1994. Son programme électoral reposait sur une seule image, claire et nette : le bon vieux coup de balai. Son administration mène l’offensive tambour battant contre les délits mineurs dans le but d’envoyer un message de tolérance zéro. Les résultats sont là, la criminalité est en baisse, Rudy boy est réélu, les beaux jours et la prospérité carnassière reviennent.

    En atteste la vulgarité remarquable de L’Associé du Diable de Taylor Hackford, où le Malin en personne, joué par Al fucking Pacino, se repaît tout autant du luxe des penthouses de Manhattan que de la crasse tenace des rues en contrebas. Deux ans plus tard, en 1999, le Diable revient à New York sous les traits de Gabriel Byrne dans La Fin des temps de Peter Hyams. La photographie, également signée Hyams, travaille essentiellement les nuances d’obscurité, comme si les ténèbres avaient décidé de tout avaler. Arrive alors le nouveau millénaire.

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    – Peter Loew (Nicolas Cage) en plein délire dans Embrasse-moi, vampire de Robert Bierman.

    LES ÉLITES CÔTIÈRES CONTRE LE PAYS PROFOND

    Larry Fessenden se souvient parfaitement du 11-Septembre. « J’étais dans la 4e rue avec ma femme, on entend parler de cette histoire d’avion dans le World Trade Center, on pensait qu’il s’agissait d’un planeur ou quelque chose comme ça. Mais tout de même, ça semblait bizarre. Elle est partie de son côté, elle m’a dit en rigolant : “À tout à l’heure j’espère !” Et là, des rumeurs commencent à circuler à propos d’un deuxième avion. J’ai entendu quelqu’un hurler, j’ai regardé en direction du World Trade Center, il n’y avait plus qu’une seule tour. Tu veux que je te cite un autre grand film sur New York ? Cloverfield. Ça ressemblait vraiment à ça, cette ambiance de fête interrompue : on emprunte tous les trajets qu’on peut, on passe par le centre-ville pour finir à Central Park ; on ressent vraiment la ville. »

    Hollywood est pris d’effroi. Les images des Twin Towers sont retirées du Spider-Man de Sam Raimi, de Zoolander, Les Aventures de Mister Deeds et même Stuart Little 2. La fin de Men in Black II est entièrement refilmée sur la Statue de la Liberté.

    Après une décennie particulièrement généreuse en films catastrophe, le 7e Art américain marche sur des œufs et les séries prennent le relai de la fiction rentre-dedans ou cathartique. Le temps que la situation se décante, New York devient un décor urbain interchangeable avec le tout venant des mégapoles américaines.

    Une poignée de films comme Inside Man de Spike Lee ou L’Attaque du métro 123 de Tony Scott rappellent encore, à l’occasion, les particularités sociales et géographiques de la cité, mais l’humeur n’y est plus. Larry Fessenden adore sa ville mais ne peut s’empêcher d’afficher une forme de défaitisme. « Toutes les crises, qu’il s’agisse du 11-Septembre, des attentats de 1993 ou plus récemment du Covid, ont participé à définir l’identité de la cité. Mais à chaque désastre, l’état d’esprit entrepreneurial entre en scène, nettoie ce qui dépasse et s’échine à rendre tout plus générique, plus attractif pour les touristes. »

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    – New York assiégée dans Cloverfield de Matt Reeves.

    Dans l’opinion publique américaine, New York acquiert peu à peu une image totalement opposée à celle des années 1970-1980 : celle de la quintessence de la gentrification, avec une population de bobos élitistes déconnectés du reste du pays.

    C’est justement sur cette vue de l’esprit que repose l’une des exceptions notables à cette sinistrose créative : Bushwick (2017) de Jonathan Milott et Cary Murnion. Dans des plans-séquences haletants, ce quartier de Brooklyn est pris d’assaut par des assaillants paramilitaires qui se révéleront être des Américains issus d’états souhaitant faire sécession. Leur but : prendre possession d’un bastion démocrate supposé « facile à envahir car multiculturel » et faire pression sur le gouvernement. Seulement voilà : New York ne compte pas se rendre sans combattre.

    « L’idée nous est venue quand Obama était président » explique Cary Murnion. « Beaucoup de voix racistes s’élevaient à travers le pays pour exprimer leur volonté de ne pas accepter Obama comme leur président et de fonder leur propre union. Nous voulions jouer sur les clichés liés au multiculturalisme, au fait d’avoir une législation plus stricte sur le port d’armes. Il nous semblait tout aussi important de montrer autre chose que la sempiternelle ligne d’horizon des immeubles de Manhattan. Si on sort des représentations traditionnelles, on peut arriver à surprendre. »

    NEW YORK SERA TOUJOURS NEW YORK

    Et le défi est relevé. Bushwick parvient à saisir par ses images de chaos urbain, à créer une tension de tous les instants, à susciter un semblant d’euphorie avant de rappeler, non sans cruauté, l’impasse du fantasme de guerre civile auquel tant d‘individualités consacrent leurs rêves humides. Les communications téléphoniques sont brouillées, le seul contact avec le monde extérieur se fait par des transistors.

    Des acteurs investis (Brittany Snow et Dave Bautista) sont traqués par un commando, traversent des rues délabrées dans une urgence absolue : l’esprit des années 1970 n’est pas mort, il respire toujours dans cette mise à jour glaçante. « On n’a pas utilisé un seul fond vert » poursuit Cary Murnion. « Tout a été tourné sur place, dans les vraies ruelles de Brooklyn, avec les habitants qui nous regardaient par leur fenêtre. On a tourné bloc par bloc. »

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    – Dave Bautista dans Bushwick de Jonathan Milott et Cary Murnion.

    Il a tout de même fallu recourir à la magie digitale en postproduction afin d’effacer des récalcitrants, comme l’explique Jonathan Milott. « Les New-Yorkais sont tellement habitués aux tournages qu’ils savent très bien que les équipes n’ont pas le droit de vous empêcher de passer. Elles peuvent vous demander de ne pas interrompre la prise, mais si vous êtes pressé, en retard pour le boulot, libre à vous de traverser et de ruiner le plan. La plupart du temps, les gens s’arrêtent, mais il peut arriver qu’en plein milieu d’une fusillade, un type en costard surgisse comme si de rien n’était. Et ça nous est arrivé sur le premier plan, dans le métro, une longue prise qui part du quai et remonte la station jusqu’aux marches extérieures. On arrive à la toute fin du plan, tout se passe à merveille et cette femme déboule et fout la prise en l’air. Voilà, c’est New York ! »

    Sorti un an après l’élection de Donald Trump, Bushwick (visible en France sur Netflix) a été accueilli comme une exagération dystopique. C’était avant la tentative d’invasion du Capitole le 6 janvier 2021, l’explosion des statistiques relatives au terrorisme domestique d’extrême droite et la déclaration de la politicienne trumpiste Marjorie Taylor Greene sur une éventuelle sécession. S’ils réalisaient le film aujourd’hui, les réalisateurs devraient sûrement « aller encore plus loin, et pourquoi pas, avoir une pluralité de points de vue comme dans À l’Ouest, rien de nouveau. »

    En ce qui concerne la ville en elle-même, Jonathan Milott partage le point de vue de Larry Fessenden. « Le processus de gentrification est arrivé à un point tel que les artistes ou les bas salaires ne peuvent plus vivre à New York. Et ça lui fait perdre de sa saveur. Toutes les villes américaines se ressemblent, aujourd’hui. On y trouve les mêmes restaurants, les mêmes cafés, les mêmes galeries d’art, les mêmes cinémas qui passent les mêmes films. »

    Il trouve néanmoins espoir dans les films des frères Safdie, Good Time et Uncut Gems. Cary Murnion abonde : « Ça va faire vingt ans qu’on se farcit des représentations élitistes de New York dans les films et les séries, alors que ce n’est pas un juste reflet de la réalité de la ville. J’attends le nouveau New York 1997 avec impatience. »

    – Par François Cau.
    – Propos recueillis par François Cau.
    – Merci à Evan Cavic, Maxime Chattam, Larry Fessenden, Clémence Gueudré, Jonathan Milott, Cary Murnion et Hannah Plotneck.*
    – Mad Movies #368

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    Et oui en effet, sans ses personnes bien connues des cinéphiles, le cinéma ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.

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    @Violence hâte de le voir j('ai juste mater quelques passages vite fait

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    @Violence arrête de me le rappeler :bye_cry:

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    @Violence Merci de l’info, j’ai toujours pas vue 1 seul épisode je me là réserve pour cette été …:creve_chaud: