Propulsé au rang de nouveau wonder boy de la fiction télé US par le succès public et critique de Chernobyl, Craig Mazin est aujourd’hui aux manettes de l’adaptation d’un des plus grands chefs-d’œuvre vidéoludiques de ces dernières années, aux côtés du créateur du jeu lui-même, Neil Druckmann. Une expérience dont il parle avec un enthousiasme très communicatif.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez terminé pour la première fois le jeu The Last of Us ? Avez-vous eu des considérations distinctes en tant que gamer et en tant qu’auteur de fiction professionnel ?
En tant que joueur, je me rappelle avoir été très fortement marqué par le déroulement du jeu en général. J’ai été submergé par des sentiments très forts, et ce dès l’incroyable scène d’ouverture. Et puis j’ai terminé le jeu. Et là, je suis resté assis, un peu hagard, en me disant : « What the fuck ? Mais comment ont-ils fait ça ? ». Ce que Naughty Dog et Neil Druckmann ont accompli avec The Last of Us est d’une bravoure incroyable, que ce soit dans les choix créatifs ou narratifs. Les gens ont un peu tendance à oublier qu’à l’époque, faire de l’héroïne de votre jeu une gamine de 13/14 ans, ce n’était vraiment pas commun. Et finir l’histoire sur cette simple ligne de dialogue, wow, c’était du jamais vu !
Et en plus, cette audace se doublait d’une exécution artistique incroyable. J’étais juste béat d’admiration. Et bien sûr, dans un petit coin de ma tête, je me suis tout de suite dit : « J’adorerais adapter ça en fiction live, mais bon, ne rêve pas, ça n’arrivera jamais. ». Et pendant longtemps, en effet, ça n’est pas arrivé ! (rires) Mais au bout d’un moment, Neil a abandonné cette idée folle qu’il avait d’adapter le jeu sous la forme d’un film de cinéma. Et un jour, on a eu la chance de pouvoir s’asseoir à la même table et de discuter de la possibilité d’en faire une série télé.
Comment s’est déroulée cette première rencontre avec Neil Druckmann ?
Nous nous sommes rencontrés lors d’une sorte de « blind date » organisée par une amie commune, Shannon Woodward, qui incarne Dina dans The Last of Us: Part II. Je savais que Neil et Naughty Dog avaient récupéré les droits d’adaptation du jeu. Je savais aussi que Neil état très fan de Chernobyl. Je suis donc allé le voir dans les locaux de Naughty Dog – j’ai d’ailleurs pu admirer le mur où sont affichées toutes les récompenses qu’ils ont reçues ! J’ai rencontré des gens de l’équipe et vu qu’à l’époque, ils travaillaient sur le deuxième jeu, Neil m’a montré un aperçu de ce dernier ! Je trépignais littéralement.
Puis on est allés manger un bout et on a très vite discuté de la façon dont on pourrait adapter The Last of Us en série. Nos échanges ont tout de suite été très naturels. À la fin de ce déjeuner – et même si nous n’en étions qu’au stade préliminaire de notre réflexion –, je pense que nous avons tous les deux senti qu’une vraie confiance s’était installée. Et je crois qu’à peine une semaine plus tard, nous sommes allés dans les bureaux de HBO pour leur dire : « Voilà, c’est la série que nous voudrions faire. Qu’en pensez-vous ? ». Ils ont répondu : « Ça a l’air très bien ! ». Et depuis, nous n’avons cessé de travailler en tandem.
Neil et vous avez clairement choisi de vous concentrer sur les personnages et la narration en laissant de côté certains des passages d’action les plus frappants du jeu. Vous risquez même de frustrer les fans, par exemple avec le dernier plan du pilote qui évoque clairement la scène des buildings détruits… que vous ne montrez finalement pas. C’était une façon d’indiquer les priorités de votre travail d’adaptation ?
Nous n’avions pas vraiment l’intention d’indiquer des intentions d’adaptation précises. Notre réflexion était très simple : ne garder que les éléments qui, selon nous, allaient plaire au public. Les scènes d’action du jeu sont par nature des séquences de gameplay, et bien sûr, elles sont pour beaucoup dans le plaisir que le joueur prend à vivre cette aventure. Mais la télévision est un medium passif et nous abordons ce récit uniquement du point de vue d’une narration télévisuelle. C’est une chose que nous avons toujours eue en tête. Le gameplay d’un jeu est en grande partie basé sur la répétition d’actions afin de s’améliorer et de maîtriser les mécanismes ludiques. Dans le jeu The Last of Us, on prend un pied pas possible à s’accroupir, ramper, trouver le moyen le plus furtif et efficace de tuer les ennemis.
C’est super fun. Mais en tant que spectateur d’une série, on n’a pas envie de voir ce genre de choses non-stop. Nous avons donc décidé de nous concentrer sur les personnages, leurs relations, et la ligne narrative globale. Toutefois, quand nous montrons de l’action, nous tenons à ce que l’impact sur le spectateur soit décisif et que ces séquences racontent toujours quelque chose sur les personnages. Déjà dans le jeu, les épreuves que les héros traversent changent leur personnalité, leur perspective sur les choses. Il était important de conserver cette approche dans notre narration.
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– Neil Druckmann, créateur du jeu, en pleine discussions avec un Clicker durant le tournage de la scène du musée du deuxième épisode.
Comment s’est déroulé le travail de structuration de la saison ? Était-il intimidant de vous emparer d’un tel monument ludique et de faire des choix parfois radicaux ?
Oh oui, très intimidant. Toutefois, la structure du jeu, qui est découpé en chapitres, nous a beaucoup facilité les choses. Nous avons en revanche énormément réfléchi à la conclusion de chacun des épisodes car, bien sûr, nous avons envie que les spectateurs reviennent la semaine suivante. J’étais du coup assez content de voir qu’après la diffusion du pilote, beaucoup de gens étaient énervés à l’idée de devoir patienter une semaine pour voir la suite. (rires) Personnellement, j’adore ce sentiment d’arriver à la fin d’un épisode et de me dire : « Oh non, je vais devoir attendre ! ».
Mais durant tout le processus d’écriture, la seule chose qui m’intimidait vraiment, c’était de devoir montrer mon travail à Neil. Surtout lorsque je commençais ma phrase par : « Écoute, là, j’ai envie de faire un truc assez assez différent… ». En particulier, j’ai pas mal flippé lorsque je lui ai exposé ce que je voulais faire dans l’épisode 3. Là où j’ai eu de la chance, c’est que la plupart du temps, il était partant. Sa philosophie, c’était que si on devait apporter un changement important, il fallait que cela vaille le coup, que ça améliore vraiment l’histoire.
Justement, les différences narratives entre le jeu et la série ont-elles essentiellement été dictées par des nécessités liées à la structure d’une fiction télévisuelle ?
Oui, certaines différences résultent clairement du passage d’un medium à l’autre. J’ai tendance à penser que le processus d’adaptation est un art trop peu reconnu. Mais l’un dans l’autre, je pense que la plupart de ces modifications sont venues d’une envie de concrétiser des choses que Neil n’avait pas pu faire dans le jeu. Dans ce dernier, vous êtes obligé de voir l’histoire à travers les yeux de Joel, puis d’Ellie à certains moments – ce qui, à l’époque, était déjà une idée assez radicale. Votre perspective était liée à l’avatar que vous dirigiez avec votre manette. Joel ou Ellie devaient toujours être présents, même dans les cut scenes. Nous n’avions pas cette obligation et cela nous a ouvert de nouveaux horizons.
Nous avons dû réfléchir aux opportunités que cette liberté nous offrait. Nous avons globalement suivi notre cœur et je pense que la plupart des changements que vous avez pu constater dans la série découlent de ce processus.
À ce titre, l’épisode 3 est clairement l’ajout narratif le plus considérable par rapport au jeu. L’histoire de Bill et Frank permet de raconter cet univers post-apocalyptique selon un autre point de vue, très doux et intimiste. C’est un peu le Left Behind (1) de la série… Qui a eu cette idée ?
C’est un ajout que j’ai tenu à faire. Je me souviens que lorsque j’ai joué au jeu pour la première fois, j’ai été très intrigué par le personnage de Bill. Quand il parle du partenaire qu’il a perdu, on pense plutôt à une sorte d’associé. Et plus tard, on comprend que ce n’était pas de cette façon qu’il fallait interpréter le mot « partenaire ». Le destin que Neil avait imaginé pour Bill et Frank était vraiment tragique et fonctionnait comme un avertissement lancé à Joel : si ce dernier n’arrivait pas à laisser quelqu’un entrer dans sa vie, il risquait de finir comme Bill, un homme qui s’est non seulement isolé du monde, mais aussi de la seule personne qui l’aimait.
Quand je me suis mis à réfléchir à cet épisode 3, je me suis vite posé une question assez simple : que peut-il se passer quand on a réussi à se créer un environnement sécurisé dans un monde dangereux ? Bill est tranquille : il a sécurisé tous les accès de la petite ville où il vit en solitaire, il s’est assuré une existence confortable… Qu’est-ce qui allait bien pouvoir le mettre en danger ? À ce moment de la série, on sort de deux épisodes assez intenses en matière de drame, d’action et de tension. Je me suis dit que le spectateur méritait de respirer un peu. Et je n’avais pas vraiment envie de montrer Joel qui débarque et discute avec Bill de la façon dont il pourrait récupérer une voiture en état de marche…
On avait une opportunité unique, celle de montrer une apocalypse à travers les yeux de quelqu’un qui a tout compris à la façon d’y survivre. Puis de le déstabiliser en introduisant un autre personnage afin de voir si cette relation pouvait survivre dans cet environnement. L’histoire de Bill et Frank fonctionne un peu comme une pierre de Rosette pour les autres relations que raconte la série. Elle met en scène une façon très différente d’aimer quelqu’un, basée sur la bienveillance, l’attention. Et non pas à travers une volonté farouche de protection qui peut déboucher sur le recours à la violence.
Une fois ceci posé, l’épisode s’est écrit de lui-même. Et lorsqu’est venu le moment de l’envoyer à Neil, j’étais terrifié. Il m’a répondu : « À ce jour, c’est mon épisode préféré ! ». Ce qui montre à quel point il peut être généreux dans le processus créatif, surtout pour quelqu’un qui a imaginé le matériau de base. Dès lors, la création de cet épisode a été un pur bonheur, de l’excellent travail du réalisateur anglais Peter Hoar aux performances extraordinaires de Nick Offerman et Murray Bartlett.
Je tiens toutefois à préciser que si on a surtout tendance à retenir de cet épisode l’histoire de Bill et Frank, il est aussi très important pour Joel et Ellie. C’est là qu’ils vont vraiment devenir le duo que tous les joueurs connaissent, et c’était quelque chose de très excitant pour moi. D’une certaine façon, ce troisième épisode signe la fin du premier acte de la saison et lance le deuxième acte dans la foulée.
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– Bill (Nick Offerman), un survivant qui va voir sa routine bouleversée par une rencontre inattendue dans l’épisode 3…
Parmi les nombreuses qualités de Chernobyl, la plus marquante était certainement le souci de réalisme maniaque de la série. Avez-vous abordé The Last of Us avec un souci similaire, ou comme une expérience totalement différente ?
C’était assez similaire. Bien sûr, il y a clairement une différence entre respecter une réalité historique et respecter la nature d’un matériau dont vous vous inspirez. Mais d’une part, je tenais à ce que The Last of Us s’appuie sur une solide base scientifique, ce qui explique notamment la scène d’ouverture du pilote. Et d’autre part, je considère qu’il est toujours mieux d’ancrer un récit de science-fiction dans une réalité crédible parce que la douleur ressentie par les personnages paraît plus authentique.
La violence a un impact différent. Je ne sais pas si vous avez déjà donné un coup de poing à quelqu’un – moi non en tout cas –, mais de ce que j’en sais, ça fait un putain de mal de chien. Se prendre un coup de poing est douloureux, mais en donner un l’est tout autant ! Pour vous en convaincre, il vous suffit de frapper une grosse pierre, la résistance est assez similaire à celle d’un crâne humain. Et quand on donne un coup de poing à quelqu’un, on a de fortes de chances de se casser la main. Ou au moins d’avoir de sérieuses blessures.
La plupart du temps dans les fictions, les personnages passent leur temps à filer des pains et le lendemain, tout va bien ! Nous, nous aimons quand les blessures durent, quand elles sont visibles. Nous voulions sentir l’âge du corps de Joel, Et plus largement, on voulait parler de choses que personne n’aborde dans les récits post-apocalyptiques. Les menstruations, par exemple. La moitié de la population de la planète est concernée par ce phénomène, alors que faire lorsque l’apocalypse débarque ? On avait vraiment envie de montrer de la manière la plus exacte possible ce que serait la vie quotidienne dans un tel environnement. Cela donne, je pense, encore plus de poids aux événements les plus flippants ou tristes de la série.
Comment Neil Druckmann a-t-il vécu le processus du tournage, notamment lors du deuxième épisode qu’il a lui-même mis en scène ? Revisiter l’histoire des jeux dont il a supervisé la création, voir les acteurs dans leur costume, arpenter les décors… L’expérience est forcément différente des séances de performance capture.
L’une des choses que j’ai adorées durant la fabrication de la série, c’était montrer à Neil les décors, les accessoires… Je me rappellerai toujours du moment où je lui ai fait découvrir l’un de nos Clickers (2), avec l’acteur maquillé et habillé : il en a pleuré. Cela fait tellement longtemps qu’il vit avec cet univers en lui que le voir se concrétiser sous ses yeux lui a causé de vives émotions. Il a été extrêmement touché par l’amour et la dévotion de toute l’équipe envers le matériau de base, et j’étais du coup très ému de le voir ému.
Sa vision de la mise en scène était très intéressante. Durant les séances de performance capture, vous êtes dans un environnement neutre et les comédiens sont recouverts de costumes spéciaux pour enregistrer leurs mouvements. Et une fois que vous avez obtenu ce que vous vouliez, vous utilisez le moteur du jeu pour sélectionner vos angles de caméra, vos éclairages, etc. Vous avez un contrôle total. Mais même s’il avait la possibilité de choisir les angles de vue les plus extravagants, il a préféré adopter un style réaliste en respectant la topographie des lieux virtuels, en utilisant un style très caméra à l’épaule.
En revanche, il n’avait pas à subir la préparation qu’exige un tournage live, où il faut arriver avec tous les angles en tête pour que le tournage puisse se faire dans le temps imparti. Là, vous ne pouvez pas vous planter parce que le lendemain, vous devrez shooter tout autre chose.
C’est très excitant parce qu’il faut constamment réfléchir pour être sûr qu’on a tout ce qu’il faut, qu’on n’a rien oublié. Tout le monde vous presse pour avancer, pour préparer le plan suivant, mais il ne faut jamais oublier que quelques jours ou semaines plus tard, vous allez vous retrouver dans une salle de montage, ce qui ne sera pas le cas de ces personnes qui vous demandent de vous magner ! Alors on essaye d’engranger le maximum de rushes. Et Neil est quelqu’un d’extrêmement talentueux, il s’est tout de suite adapté à ce type de processus.
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– Craig Mazin dirige l’interprète d’Ellie, Bella Ramsey.
La série réussit un exploit assez étonnant : elle est d’une fidélité « philosophique » absolue au jeu, mais existe par elle-même grâce à ses choix de narration et surtout de casting. Certaines de ces décisions ont-elles été dictées par un besoin de différencier les deux expériences ?
Non pas vraiment, car la nature même du processus d’adaptation fait qu’il va y avoir immédiatement d’énormes différences entre les deux versions de l’histoire. En particulier si vous êtes fan du jeu, et c’est manifestement votre cas. Visionner une série vous place dans un espace mental radicalement différent de celui d’un jeu vidéo. Je ne me suis donc jamais demandé s’il fallait faire des choses spécifiques pour séparer la série du jeu. Tout ce que je voulais, c’était capturer les sensations que j’ai moi-même éprouvées lorsque j’ai joué à The Last of Us et les décupler, les enrichir, en mettant à profit des éléments que Naughty Dog n’avait pas pu développer. Rajouter un peu plus de nuances à la palette de cet univers, en quelque sorte.
Lorsque j’avais une idée qui allait dans ce sens, j’appelais Neil pour lui en parler. Parfois, ces idées étaient radicales, parfois moins. Je lui demandais ce qu’il en pensait et la plupart du temps, il me répondait : « Tiens, c’est très intéressant, creusons un peu. ». Il lui arrivait aussi de me dire : « Hmm, je ne sais pas trop… ». (rires) Et il avait raison. Mes moments préférés, c’était quand je lui livrais l’une de ces idées radicales et qu’il ne répondait pas tout de suite. Juste un silence. Puis il disait : « Merde, j’aurais aimé penser à ça quand on a fait le jeu ! ». Je pense que le fait d’être fan, de m’inspirer de ce que j’ai ressenti en jouant au jeu, m’a permis d’arriver avec un point de vue différent.
Bella Ramsey est phénoménale dans le rôle d’Ellie. Comment s’est déroulée son audition ? Y a-t-il eu un moment, un déclic, où vous vous êtes dit : « OK, c’est elle. » ?
Nous avons fait passer beaucoup d’auditions, je pense que nous avons vu plus d’une centaine de comédiennes entre 9 et 25 ans. En tant que scénariste, je trouve que le processus est parfois difficile, car lorsque certaines performances ne sont pas vraiment concluantes, on a tendance à se dire que c’est peut-être de notre faute, que le matériau qu’on a écrit n’est pas si bon que ça. Ça a tendance à me déprimer ! (rires) Mais lors de certaines auditions, je me suis aussi dit : « Hey, ce n’est pas si mal ! », et on avait le sentiment que ça pouvait coller.
Puis est arrivée l’audition d’Ella. Je ne connaissais pas son nom et lorsque j’ai vu sa bouille, je me suis juste exclamé : « Tiens, c’est Lyanna Mormont de Game of Thrones ! J’aime bien Lyanna Mormont ! Je l’adore même ! ». Mais je ne me suis pas non plus dit : « Oh mon Dieu, pourquoi n’avons-nous pas pensé plus tôt à Lyanna Mormont ? ». (rires) J’étais intrigué : « OK, voyons voir ce que va nous faire Lyanna Mormont… ». Nous avons donné à chaque actrice deux scènes à faire. Dès la première scène de Bella, j’étais déjà convaincu, je n’avais pas besoin d’en voir plus.
Mais j’étais aussi terrifié à l’idée d’être le seul à penser ça, j’avais peur que personne ne soit du même avis que moi. J’ai appelé Neil, je lui ai juste dit : « Mec, il faut que tu voies ça. ». C’est tout ; je ne voulais pas lui survendre Bella. Il m’a rappelé après avoir visionné la scène et m’a dit : « C’est bon, on a trouvé Ellie. ». C’était l’évidence. Bella est restée elle-même sans rien forcer. Elle ne connaissait même pas le jeu. Elle a fait naturellement preuve de la sagesse et de l’intelligence dont le personnage avait besoin. Elle est très drôle, mais elle dégage aussi une certaine vulnérabilité.
La Ellie que les fans du jeu connaissent et adorent existe grâce à la merveilleuse performance d’Ashley Johnson. On avait peur de ne pas pouvoir retrouver un même niveau de jeu pour la série. Bella a réussi l’impossible. Je crois qu’Ashley avait vingt-sept ans quand elle a incarné Ellie pour la première fois. Et si elle a réussi à se transformer en une gamine de quatorze ans simplement à travers ses prouesses vocales, on pouvait ressentir la maturité d’une personne plus âgée.
Bella a réussi à retranscrire ce trait de personnalité. Elle avait dix-sept ans lorsque le tournage de la série a débuté, donc trois ans de plus que le personnage. Elle est physiquement plus menue que son équivalent vidéoludique. Ce qui est incroyable, c’est qu’on a l’impression qu’elle est à la fois plus jeune et plus vieille qu’Ellie. C’est difficile à expliquer. Je suis très excité à l’idée que les gens puissent enfin découvrir sa performance. Cela fait trois ans que je suis admiratif de son travail, et ça m’a fait du mal de voir tous ces avis négatifs lorsque nous avons annoncé qu’elle incarnerait Ellie…
Bien sûr, en tant que fan, je comprends la peur qu’on peut éprouver à l’idée que votre jeu préféré soit gâché par un choix de comédien ou comédienne. Mais il n’est pas nécessaire d’être cruel pour autant… Depuis le début de la diffusion de la série, les gens comprennent enfin ce que j’ai ressenti il y a trois ans lorsque j’ai vu cette audition.
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– Les comédiens Pedro Pascal et Anna Torv dans les rôles de Joel et Tess.
Spoiler
[ATTENTION, SPOILERS] À propos d’Ashley Johnson, le rôle que vous lui avez donné dans la série est très symbolique et particulièrement émouvant. Pensiez-vous déjà à elle en écrivant cette scène ?
Oh oui ! Cette storyline s’est immiscée dans la série lors des très nombreux interrogatoires auxquels j’ai régulièrement soumis Neil. Souvent, c’étaient des questions très concrètes : « Comment peut-on rejoindre la FEDRA ? Où dorment les Fireflies ? Qu’est-ce qu’ils mangent ? ». Et parfois, je posais des questions plus profondes : « OK, Ellie est orpheline. Mais elle a forcément eu une maman. Comment est-elle morte ? Pourquoi ? ». Et Neil m’a répondu : « OK, voici l’histoire, on a toujours eu envie de la raconter mais on n’a jamais trouvé le bon moment. ».
Il avait pensé à en faire un comic-book, mais le projet ne s’est jamais concrétisé. Il m’a donc tout raconté et je me suis exclamé : « On le fait ! On le met dans la série ! ». Et tout de suite après, on s’est regardés et on a tous les deux dit : « Ashley. ». Et voilà. J’ai tellement hâte que les spectateurs découvrent sa performance, elle est tellement géniale, vous n’avez pas idée à quel point. [FIN DES SPOILERS]
Elle est aussi excellente dans la websérie Critical Role (3).
OK, donc vous savez à quel point elle est géniale. (rires) Ce que j’adore dans Critical Role, c’est qu’on voit tout de suite à quel point Ashley est une belle personne. Elle fait partie des gens les plus gentils et humbles que j’ai rencontrés et elle se donne à fond dans son travail. Même chose pour Troy Baker, qui joue Joel dans le jeu. Troy a incarné à peu près tous les personnages iconiques des plus gros jeux vidéo sortis ces dernières années (4). Et quand vous discutez avec lui, il ne sonne pas comme Joel, pas plus qu’il ne sonne comme Talion (le héros des jeux La Terre du Milieu – l’ombre du Mordor & L’Ombre de la Guerre – NDR). Alors qu’Ashley sonne comme Ellie. Quand je suis avec elle, je suis avec Ellie.
Suite au succès du pilote de la série, il y a de fortes chances pour que Neil et vous ayez déjà des idées pour la saison 2. Et même si une adaptation du jeu The Last of Us: Part II donnerait à coup sûr un mémorable moment de télévision, vous donnez-vous la liberté de vous en éloigner pour explorer d’autres façons de raconter cet univers ?
En effet, nous venons tout juste de commencer à y réfléchir. Du coup, je n’ai pas vraiment de réponse à vous donner. Quoi que nous fassions, nous resterons fidèles à la philosophie qui nous a guidés durant cette saison, à savoir que nous ne nous interdirons jamais de changer des choses si cela permet d’améliorer l’histoire. Mais nous n’avons pas encore défini les limites que nous nous imposerons. Il y a des choses dans la saison 1 que nous n’avions pas prévues au départ, comme l’épisode 3.
L’important, c’est que nous ne cessions jamais de nous donner la possibilité de changer d’avis, de tenter de nouvelles choses et de nous imposer des challenges. On ne sait jamais sur quoi ça peut déboucher. Mais je tiens tout de même à dire que j’adore The Last of Us: Part II. Et je pense que le jeu contient beaucoup d’histoires qui valent le coup d’être racontées.
(1) Left Behind est le titre du premier DLC narratif de The Last of Us, qui racontait les circonstances tragiques durant lesquelles Ellie découvre sa condition…
(2) Créatures résultant d’un stade avancé d’infection au virus cordyceps, responsable de l’apocalypse mise en scène dans la série.
(3) Critical Role est une websérie mettant en scène des parties de Dungeons & Dragons pratiquées par un cast d’acteurs spécialisés dans le doublage. Ashley Johnson est membre permanente du show – qui a été adapté en série animée sur Prime Vidéo –, ainsi que Laura Bailey, qui incarne le personnage d’Abby dans The Last of Us: Part II.
(4) En plus de jouer Joel dans les The Last of Us, Troy Baker compte à son actif les personnages de Samuel Drake dans la saga Uncharted, Erron Black et Shinnok dans Mortal Kombat X et 11, Magni dans God of War, John Jones dans Fortnite, Batman dans Batman: The Telltale Series et Lego Dimensions, Ocelot dans Metal Gear Solid V: The Phantom Pain, etc.
Propos recueillis par Laurent Duroche
Merci à Olivia Malka et Tilly Miller
Mad Movies #368