Cinéma & Séries

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  • Tinto Brass, maniériste de l’érotisme

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    Perso je ne vois que par Caligula de par sa réputation sulfureuse et son acteur principal que j’adore… le reste je n’ai pas trop accroché non plus.

    Vous oubliez la période du western spaghetti qui déglingait sa maman sur la table de cuisine et surtout la période des Giallo !

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    Petit retour sur la carrière de Bong Joon Ho, qui en une vingtaine d’années aura marqué le paysage cinématographique mondial par une œuvre éclectique à la croisée des genres. Le tout en ayant réussi à dépasser de nombreux clivages pour imposer un style personnel à même de se renouveler.

    Lorsqu’il se lance dans la conception de son premier long métrage, Barking Dog, au tournant du nouveau millénaire, Bong Joon Ho est probablement loin de s’imaginer qu’il allait participer, avec ses amis Park Chan-wook et Kim Jee-woon, au nouvel essor du cinéma sud coréen à l’international, déjà amorcé par Kim Ki-duk et Hong Sang-soo. À cette époque Joon Ho est un ancien étudiant en sociologie ayant attrapé le virus du cinéma dès son plus jeune âge via les productions de la Hammer et les oeuvres de Hitchcock et Peckinpah diffusées sur la chaine américaine AFKN établie en Corée.

    Jusqu’à ce que la découverte du Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot déclenche sa vocation de cinéaste. Bien des années après, des réalisateurs comme Kim Ki-young (La servante) et Shôhei Imamura (Pluie noire) viendront compléter son panorama cinématographique. Le comique de Barking Dog semble au premier abord très éloigné des oeuvres et cinéastes cités plus tôt.


    – Barking Dog

    Cependant c’est bien l’aspect sarcastique qui permet à Bong Joon Ho d’injecter son style personnel à cette histoire d’enseignant sous pression. Le cinéaste montre déjà son savoir-faire pour mettre en valeur un décor aussi banal qu’une résidence urbaine, tout en jouant la carte du baroque en matérialisant à l’écran les pensées de Hyeon-nam, une ouvrière aspirant à la célébrité, à la manière du britannique Edgar Wright sur sa série Spaced. Comme tout premier essai cinématographique prometteur, Barking Dog permet à Bong Joon Ho de prolonger les thématiques déjà à l’oeuvre dans ses courts métrages Incohérence et Baeksekin tournés en 1994, les rapports de classe et l’isolement urbain en tête. Ce long métrage est également l’occasion pour le réalisateur de rencontrer les premiers membres de sa « famille de cinéma » : Bae Doona et Byun Hee-bong.

    Cependant les déconvenues avec la production et l’échec au box office local pousseront Joon Ho à rejeter le film au point de refuser encore aujourd’hui toute dédicace liée à ce premier essai, pourtant très honorable. Malgré sa sélection dans divers festivals internationaux Barking Dog demeure à ce jour l’oeuvre la plus méconnue de son auteur. En France le film sortira directement en DVD par l’entremise de Jean-Pierre Dionnet et sa collection Asian Star.


    – Memories Of Murder

    Cependant, le cinéaste ne va pas tarder à rebondir avec son second long métrage : Memories of Murder. À l’origine de ce premier chef d’oeuvre, l’histoire vraie d’un tueur en série ayant violé et assassiné une dizaine de femmes entre 1986 et 1991 dans un rayon de deux kilomètres à Hwaseong, dans la province de Gyeonggi, au nord ouest du pays. Le tournage sur les lieux mêmes du drame dépasse le simple cadre de la reconstitution, pour se muer en véritable enquête pour le cinéaste et son équipe qui espéraient pouvoir découvrir la véritable identité de l’assassin. Cette obsession imprègne grandement le résultat final au point d’en devenir communicatif. Bien que reposant sur des mécaniques codées comme le duo de flics que tout oppose et le suspense autour des mises à mort, le film révolutionne de l’intérieur le genre en faisant table rase du thriller apocalyptique à la Seven pour se recentrer sur un environnement provincial réaliste où l’enquête se retrouve mise à mal par le contexte socio-politique de l’époque obligeant les enquêteurs à composer avec ces contraintes qui les dépassent.

    Bien que le film traite des affres de la Corée du sud, ce qui ressort avant tout est l’humanisme brisé des personnages et l’ambiance mélancolique qui continue de hanter le spectateur bien après le visionnage. Le succès du film au box office coréen à l’été 2003 et dans de nombreux festivals internationaux, dont celui du film policier de Cognac l’année suivante, impose le nom de Bong Joon Ho sur la scène internationale et sera avec Old Boy de Park Chan-wook sorti au même moment, une véritable porte d’entrée vers le cinéma sud-coréen pour toute une génération de spectateurs et cinéphiles. Un classique instantané, qui anticipe la démarche de David Fincher sur Zodiac et va infuser sur le reste de la production mondiale comme en témoigne La isla mínima d’Alberto Rodriguez ou la première saison de True Detective signée Cary Joji Fukunaga. Memories of Murder marque également la 1ère collaboration de Bong Joon Ho avec celui qui deviendra son acteur fétiche : Song Kang-ho.


    – Memories Of Murder

    Pour son troisième film, Joon Ho change à nouveau de registre pour se tourner vers le Kaiju Eiga, le film de monstre géant, avec The Host. En partant d’un fait divers survenu en 2000, le déversement de Méthanal dans la rivière Han, le réalisateur imagine l’attaque d’un monstre géant sur les rives de Seoul. À l’origine c’est Weta Workshop, la compagnie néo zélandaise de Peter Jackson et Richard Taylor, qui doit s’occuper du monstre, mais accaparé par [censored] Kong, Taylor aiguille Joon Ho vers ses confrères américains de The Orphanage. Cependant Weta sera crédité à titre honorifique pour la réalisation d’une maquette du monstre servant de modèle aux techniciens des effets visuels. Un joli coup de pouce qui marque pour Bong Joon Ho les débuts d’une logistique de production internationale qui se poursuivra à plus grande échelle dans les années suivantes.

    Le film ne déroge pas aux précédents efforts du cinéaste via la famille Park, un groupe dysfonctionnel, à l’instar des flics de Memories of Murder. De la première attaque du monstre au bord de la rivière, à l’affrontement final entre Gang-du et la créature enflammée, en passant par la tentative d’évasion de la jeune Hyun-seo, The Host multiplie les morceaux de bravoure, tout en jouant sur les ruptures de ton, passant d’un humour paillard et satirique au drame poignant au sein d’une même scène. Joon Ho parvient de nouveau à livrer une oeuvre extrêmement personnelle et respectueuse de ses modèles, Ishiro Honda et Steven Spielberg en tête, tout en montrant l’un des monstres les plus réussis du cinéma contemporain. The Host fait de nouveau du réalisateur le roi du box office local et attire de nouveau l’attention à l’international.

    En 2006 la Quinzaine des réalisateurs de Cannes lui réserve un accueil chaleureux, tandis que les Cahiers du cinéma le classeront parmi les 10 meilleurs films de la décennie. Cependant le film va marquer le début d’un véritable schisme dans les cercles cinéphiliques. La majorité d’entre eux, qui deviendront par la suite des blogueurs et influenceurs cinéma présents activement sur les réseaux sociaux, préféreront la partie « réaliste » de la filmographie du réalisateur jugeant, à tort, son approche de la science fiction peu encline à la subtilité doublée d’une vision populiste des choses. Peu de temps avant la sortie de The Host, le cinéaste officialise son nouveau projet, une adaptation de la bande dessinée française Le Transperceneige de Jacques Lob, Jean-Marc Rochette et Benjamin Legrand, qui devra attendre 7 ans pour voir le jour.


    – Mother

    En attendant, le cinéaste enchaine sur deux autres projets. Le premier est une participation au film à sketchs Tokyo !, pensé comme un moyen de relancer la carrière du français Leos Carax. Si le segment Merde que signe ce dernier récolte toutes les louanges, c’est pourtant Bong Joon Ho qui signe la meilleure histoire avec Interior Design. À travers la rencontre entre un hikikomori et une livreuse de pizza, le cinéaste parvient à transmettre en quelques plans savamment pensés la sensation d’un monde désertique et un sentiment de solitude infinie. Le réalisateur parvient à dépasser le cadre du simple exercice de style pour livrer une petite pépite qui n’aurait pas dépareillé dans l’anthologie Black Mirror qui ne verra le jour que 3 ans plus tard.

    L’année suivante, en 2009, Joon Ho propose Mother, l’histoire d’une veuve vivant avec son fils dont elle cherche à prouver l’innocence dans une histoire de meurtre. Une oeuvre inclassable entre chronique sociale et polar, sans qu’aucun de ces deux genres n’entre en contradiction avec l’autre. Un véritable exercice d’équilibriste, reposant sur une structure cyclique où le plan d’ouverture est également le dernier, mais dont le sens diffère. La comédienne Kim Hye-Ja, habituée aux fictions familiales, joue à merveille un rôle à contre-emploi. Mother est également l’occasion d’aborder sans détour les déshérités et les laissés pour compte de la société sud-coréenne, sans jamais faire preuve d’une quelconque condescendance. Ce film est également l’occasion pour le cinéaste de prolonger les questionnements autour de l’animalité et des relations fusionnelles mère-enfant, tel que le laissait déjà entrevoir The Host. Mother est à ce titre intéressant tant certaines de ses figures visuelles seront extrapolées dans les films suivants, formant un véritable réseaux de correspondances d’œuvre en œuvre. Comme si la fin d’un film appelait l’ouverture du suivant.


    – Snowpiercer

    À l’instar de leurs confrères hong-kongais des années 90, les années 2010 vont voir les plus célèbres représentants du cinéma sud-coréen tenter l’aventure américaine. Après avoir refusé l’offre de Sam Raimi de réaliser le remake d’Evil Dead, Park Chan-wook répond à l’appel de Ridley et Tony Scott pour mettre en image un exercice de style mésestimé : Stoker. De son côté Kim Jee-woon tente sans succès de relancer la carrière d’Arnold Schwarzenegger avec Le Dernier rempart. Bong Joon Ho se montre plus malin et choisit une coproduction internationale tournée loin d’Hollywood pour son adaptation du Transperceneige. Snowpiercer prend de nombreuses libertés avec le matériau de base pour mieux cerner le fond thématique, où le parcours de Curtis et ses compagnons dans ce microcosme sociétal prend les traits d’une réflexion sur la manière dont le libre arbitre peut s’exprimer dans une société simulacre d’elle même.

    Un propos qui tend à rapprocher l’œuvre du cinéaste sud-coréen des sœurs Wachowski, qui n’hésiteront pas à faire de Bae Doona une comédienne récurrente de leur filmographie. L’approche ludique de l’ensemble fait de Snowpiercer le digne héritier d’une science fiction enragée et jouissive héritée de John Carpenter et George Miller, tout étant plus spectaculaire et mis en scène que de nombreux de blockbusters contemporains. Cependant, si Snowpiercer rencontre de nouveau le succès en Corée du sud en août 2013, son exploitation sur le sol américain se verra mise à mal par le producteur-distributeur Harvey Weinstein qui, après des menaces de remontage, finira par sortir le film dans un réseau réduit de salles. Du propre aveu de Joon Ho c’est cette affaire qui le poussera à rejoindre Netflix pour son film suivant, Okja, déclenchant une polémique stérile lors de sa sélection en compétition au Festival de Cannes 2017.


    – Okja

    Loin d’être une œuvre mineure comme ce fut dit et répété, encore aujourd’hui, Okja apparait comme une synthèse de l’œuvre de Bong Joon Ho qui revisite toutes les obsessions ayant jalonné sa filmographie, tout en s’adressant au jeune public plus à même de comprendre intuitivement les tenants et aboutissants d’une fable écologique évitant tout manichéisme. Après ces deux expériences internationales payantes sur le plan artistique, Joon Ho qui déclarera ne plus vouloir attendre autant d’années pour retourner, revient de nouveau à une échelle modeste pour Parasite sur lequel tout a été dit. La palme d’or, au delà d’une belle revanche sur l’accueil réservé par le public Cannois à Okja, venant récompenser une carrière exemplaire ayant réussi à s’affranchir de toutes les cases et diktats pour proposer un véritable idéal de cinéma.

    On ne peut que souhaiter à son réalisateur de continuer encore et longtemps sur cette voie.

    – Source : Furyosa
    – Par Yoan Orszulik
    – Remerciements : Nicolas Gilli, Rafael Lorenzo, Aurélien Gouriou-Vales et Daniel Pelligra.

  • Hollywood se prépare à tourner des films sans acteurs

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    Tiens, si vous ne connaissez pas, je vous recommande le film Le congrès, sur cette thématique. vraiment remarquable, très très intéressant, et ce film est sorti il y a 10 ans. mi film mi film animé.

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    Perso ce qui commence à me saouler et m’inquiéter pour le futur, c’est qu’on voit de plus en plus de contenu original sur certaines plateformes disparaitre du catalogue.
    Avant une création originale restait à vie sur la plateforme en question et tu pouvais éventuellement t’abonner pour rattraper ton retard sur tel ou tel truc. Dorénavant, si la création n’est pas assez rentable ( en terme d’audience, de revenus quoi), non seulement le truc est annulé, mais il disparait du catalogue, Disney a fait le coup très récemment avec pas mal de séries et docs pour faire des économies, et tout ce contenu a pour l’instant disparu d’internet.

    Je trouve ça assez dangereux pour notre culture commune, et plus que jamais, bah vive les trackers privés ou semi privés qui conservent tout.

  • Le piratage officiel de Barbie interdit en Russie

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    En Russie, où diverses factions sont en désaccord sur la meilleure manière d’autoriser le piratage des films hollywoodiens, de nouveaux jokers sont entrés en jeu. Le Fonds pour le cinéma, soutenu par le gouvernement, affirme que le piratage comporte des « risques pour la réputation » et que ce serait « inapproprié » à l’heure actuelle. Un chef du cinéma furieux a accusé le fonds et le gouvernement de protéger les détenteurs de droits d’auteur occidentaux. Il dit que la Russie a besoin de copies piratées de Barbie dans les cinémas, le plus tôt possible.

    Si la piraterie avait ses propres Jeux olympiques, les concurrents russes seraient parmi les favoris pour remporter l’or, du moins c’est ce que dicte le stéréotype.

    Pourtant, au cours des 18 derniers mois, les multiples menaces visant à légaliser le piratage des films occidentaux ont non seulement échoué, mais n’ont jusqu’à présent abouti à aucune conclusion évidente. De l’ancien président Dimitri Medvedev qui appelait au piratage massif par dépit, aux réticents qui n’avaient pas de films à projeter mais des familles à nourrir, la valeur des films hollywoodiens était là.

    On ne sait pas exactement à quel moment le débat a changé, mais au moins dans les médias, il semble y avoir un élan contre l’idée selon laquelle le piratage de contenus occidentaux serait bénéfique pour la Russie. Cela a semblé prendre beaucoup plus de temps que prévu, mais la prise de conscience qu’un contenu occidental gratuit pour tous nuirait à la demande de contenu local est finalement arrivée, au beau milieu de rien d’extraordinaire sur le front du piratage.

    Le plan de piratage reçoit peu de soutien

    Parmi les partisans du piratage de contenus occidentaux sanctionné par l’État se trouve Alexei Sinitsyn , premier vice-président du Comité de politique économique du Conseil de la Fédération.

    Après avoir été frappés par les sanctions occidentales , Sinitsyn et le chef du département Andrei Kutepov ont préparé un projet de loi qui priverait les titulaires de droits étrangers de la protection du Code civil s’ils refusaient d’accorder des licences pour que leurs films soient projetés légalement en Russie.

    Les propositions prévoyaient l’expédition de films étrangers sans licence via la Biélorussie et la délivrance d’un certificat de distribution russe, indépendamment des formalités administratives. Le ministère de la Culture n’a pas apprécié cette idée , apparemment parce que cela violerait les droits exclusifs des titulaires de droits étrangers.

    Selon un rapport publié mardi, ces propositions de piratage se heurtent à de nouvelles objections, tant juridiques que morales.
    Fonds cinéma : nous nous opposons au plan

    Le Fonds du cinéma ( Фонд Кино ) est un organisme par lequel le gouvernement russe finance des films et des émissions de télévision au profit de l’État. La ligne officielle est que le Cinema Fund soutient le cinéma local et « fournit les conditions » pour créer des films de haute qualité « qui répondent aux intérêts nationaux ».

    Il est intéressant de noter que la position du Cinema Fund sur l’échec du plan de piratage de Sinitsyn, exposée dans une lettre consultée par Izvestia , suggère que le piratage manifeste des films occidentaux n’est pas considéré comme acceptable.

    “La mise en œuvre de tout mécanisme visant à légaliser l’affichage de contenus audiovisuels sans le consentement des titulaires des droits d’auteur (“piratage”) crée des risques juridiques et de réputation supplémentaires, [et] semble actuellement inappropriée”, écrit Fedor Sosnov, directeur exécutif du Cinema Fund.
    Valeurs morales vs bons films

    Il s’avère que le droit d’auteur n’est qu’une des raisons qui motivent la décision du Cinema Fund de s’opposer au piratage des contenus étrangers.

    La lettre de Sosnov indique qu’autoriser la distribution de films étrangers risque de « donner accès à des contenus sur le territoire de la Fédération de Russie qui sont contraires aux principes fondamentaux de la politique de l’État visant à préserver et à renforcer les valeurs spirituelles et morales russes traditionnelles ».

    Étant donné que l’évasion est la raison pour laquelle les gens aiment les films en Occident (et peut-être pourquoi un seul film soutenu par le Cinema Fund a généré des bénéfices en 2022), Roman Isaev du Conseil de l’Association des propriétaires de cinéma est clair : les Russes veulent des films étrangers à succès et si les cinémas locaux ne peuvent pas les proposer, ils ne survivront pas.

    “Le Fonds du cinéma et le ministère de la Culture ont une position bien établie et formulée en matière de protection des intérêts des détenteurs de droits d’auteur occidentaux, conformément aux conventions de Genève et de Vienne pour la protection des droits d’auteur”, a déclaré Isaev.

    “Pour une raison quelconque, ils croient que dans la situation géopolitique actuelle et la pression exercée sur la Russie, notre pays doit absolument soutenir et respecter toutes les exigences en matière de protection du droit d’auteur.”
    L’industrie cinématographique russe au bord du gouffre

    Dans des commentaires publiés par NSN, Comscore, membre de l’AVK, a déclaré que si l’industrie cinématographique russe veut survivre, elle a besoin d’une injection d’au moins 40 milliards de roubles. Pour remettre sur pied correctement, environ 60 milliards de roubles (environ 629 millions de dollars)

    « Le spectateur détermine le succès ou l’échec d’un film particulier et l’état de l’industrie dans son ensemble. Il souhaite que les superproductions mondiales, telles qu’elles sont projetées dans les cinémas des pays de la CEI, apparaissent à l’agenda de l’actualité, en particulier les sensationnels “Barbie” et “Oppenheimer”, ajoute Isaev.

    « Les cinémas russes ne peuvent pas les proposer. Une partie du public ira voir un film russe ou des films étrangers légalement disponibles, mais la plupart regarderont une copie pirate sur Internet.»

    Les litiges relatifs aux droits d’auteur ont tendance à se compliquer à mesure que les enjeux augmentent, mais personne en Russie ne se sent suffisamment en confiance pour s’attaquer à l’éléphant dans la pièce. Le cinéma ne s’est pas effondré dans les heures précédant le jeudi 24 février 2022, et les réponses à la « situation géopolitique » ne seront pas trouvées lors du générique de clôture de Barbie, payé ou non.

    Source: https://torrentfreak.com/putins-cinema-fund-rejects-movie-piracy-fuming-cinema-boss-demands-barbie-230830/

  • [Rencontre] Les papillons noirs - Olivier Abbou

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    Enfin eu le temps de la mater. Très bonne série

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    Les prophéties d’anéantissement de l’Humanité sont aussi vieilles que les principaux textes religieux, avec pour étrange projet de maintenir l’harmonie par la menace de représailles divines. Dès lors que les avancées technologiques ont permis de concrétiser ces visions (avec comme exemple le plus récent le Oppenheimer de Christopher Nolan, la fiction a pris le relai de la croyance pour entretenir ce que les politiciens de la Guerre froide ont appelé « l’équilibre de la terreur » – soit une certaine idée de la paix pour éviter de plonger la planète dans un long hiver nucléaire

    Les 6 et 9 août 1945, l’armée américaine largue deux bombes atomiques, sur les villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki. Les allocutions du président Truman et leurs échos médiatiques ne s’étendent pas sur le nombre de morts ou sur les effets à court, moyen et long termes des radiations ; seules comptent la puissance et l’efficacité des impacts, puis la reddition nipponne. Le cataclysme de ces destructions rejoint de fait la liste des traumatismes liés à la Seconde Guerre mondiale, et dans l’imaginaire populaire occidental, la bombe A n’est finalement qu’un obus sous stéroïdes prenant la forme d’un champignon lors de son explosion.

    Cette dissonance est illustrée par le documentaire Atomic Café de Jayne Loader, Kevin et Pierce Rafferty (1982), montage de films de propagande vantant les mérites de l’arsenal nucléaire et alignant les messages de prévention tous plus lunaires les uns que les autres. L’apothéose est atteinte avec le fameux clip Duck and Cover, entré dans la légende et mille fois parodié, où il est conseillé à de jeunes enfants, en cas d’explosion nucléaire, de « s’allonger et de se couvrir la tête avec les mains ».

    Cette candeur ingénue se retrouve dans les premiers longs-métrages américains qui se hasardent à évoquer le sujet. Le charmant Monstre des temps perdus d’Eugène Lourié (1953) réveille une grosse bestiole préhistorique à la suite d’un essai nucléaire dans un cercle arctique reconstitué en studio à la sauvette, avec ce qui ressemble fort à de gros blocs de polystyrène.

    La créature, animée par Ray Harryhausen, déboule à New York, se coince dans le grand huit du parc d’attractions de Coney Island où un héros intrépide lui balance un isotope radioactif dans la tronche. Happy end, la population locale est plus affectée par les dégâts matériels et par un virus des temps jadis, contenu dans le sang du dinosaure, que par une quelconque retombée nucléaire.


    – Godzilla de Ishirô Honda.

    En 1959, Le Dernier rivage de Stanley Kramer fait mine de prendre le sujet à bras-le-corps. Après un échange de tirs nucléaires ayant ravagé tout l’hémisphère Nord, l’équipage d’un sous-marin américain accoste en Australie. Le continent est encore épargné par les retombées radioactives et les troufions y coulent des jours paisibles, tout de même un peu troublés par le souvenir de la destruction globale et par les remords d’un simili Robert Oppenheimer dépressif joué par Fred Astaire.

    Un signal radio trompeur embringue les soldats pour une ultime virée sur les côtes américaines où les effets des déflagrations atomiques sont pudiquement figurés par des mégapoles vides. Le film annonce la flopée de films post-apocalyptiques anticipant les conséquences les plus pessimistes de la Guerre froide – dans le genre, la taquinerie impose de conseiller le visionnage du français de l’étape, Malevil de Christian de Chalonge (1981), sidérante préfiguration de The Walking Dead avec des radiations dans le rôle des zombies, Michel Serrault en Rick Grimes et Jean-Louis Trintignant en Negan.

    Avec Le Dernier rivage, Stanley Kramer fait de son mieux pour que le désespoir de son récit l’emporte, mais la mise en garde demeure timide, en partie éclipsée par la place conséquente accordée à la romance entre Ava Gardner et Gregory Peck.

    LA SUBVERSION DU JAPON

    En 1954, le studio Tôhô sort le premier Godzilla, produit dans la foulée du succès du Monstre des temps perdus au box-office japonais. Au côté pulp du film d’Eugène Lourié, cette production oppose une gravité à la hauteur de sa résonance avec l’Histoire nipponne. L’ami Fabien Mauro le rappelle très justement dans son livre-somme sur le kaiju eiga (Kaiju, envahisseurs & apocalypse chez Aardvark Editions) : le début du film fait écho à des essais nucléaires américains dans le Pacifique sud au début de l’année 1954, dont des pêcheurs japonais subirent les radiations mortelles.

    Les scènes de destruction s’attachent à montrer le désarroi des populations locales, prises au piège du gigantesque monstre réveillé par les explosions atomiques – la plupart de ces séquences et plans anxiogènes disparaîtront du montage américain du long-métrage. Lorsqu’une arme encore plus destructrice que la bombe A est créée pour venir à bout de la menace, l’accent est mis sur l’immense responsabilité induite par une telle invention à travers la performance, impeccable de justesse, de Takashi Shimura.


    – Le documentaire Atomic Café de Jayne Loader et Kevin & Pierce Rafferty.

    Avec La Dernière guerre de l’apocalypse de Shûe Matsubayashi (1961), la Tôhô élude tout élément métaphorique et fonce droit au but dans un vaste élan mélodramatique.Le Japon achève à peine sa reconstruction post-Seconde Guerre mondiale qu’un enchaînement d’incidents internationaux, avec comme épicentre la tension entre les deux Corées, laisse entrevoir la possibilité d’une destruction planétaire.

    Le film suit à la fois les négociations politiques infructueuses et la vie d’une petite famille tokyoïte, condamnée à l’inéluctable. Dans les dix dernières minutes, les missiles partent et rasent les plus grandes villes de la planète. Les Tamura partagent un ultime dîner avant d’être rayés de la carte. Un champignon atomique explose juste à côté du mont Fuji, la capitale japonaise est recouverte de lave. Un message final enjoint l’Humanité à ne pas concrétiser ce carnage.

    Les deux décennies suivantes verront les productions japonaises décliner ces deux modèles narratifs jusqu’à les dévitaliser. Le remède à cette atonie viendra d’une production aussi dingue dans son fond que dans sa forme, The Man Who Stole the Sun de Kazuhiko Hasegawa (1979), scénarisée par Leonard Schrader, grand frère de Paul exilé au Japon.

    Le film suit un professeur narcoleptique sur le point de donner naissance, dans son laboratoire de fortune, à la première bombe atomique nipponne. Le pays bruisse de revendications, de misère et de pressions sociales accrues, subit un taux de suicide record, mais notre homme compte se servir de son arme pour imposer la diffusion nocturne de matchs de baseball et la venue des Rolling Stones près de chez lui.

    Pire que l’arme nucléaire : sa trivialisation par un type qui s’en sert comme ballon de foot. Plus absurde que le terrorisme : une absence totale d’idéologie autre que la prime jouissance du pouvoir.


    – The Man Who Stole the Sun de Kazuhiko Hasegawa.

    La mise en scène et le montage empruntent aux techniques du cut-up, multiplient les incartades psychédéliques. The Man Who Stole the Sun passe d’un genre à l’autre sur des impulsions saugrenues, rappelle in fine son protagoniste au drame sous l’effet des radiations et des réminiscences de traumatismes nationaux. La confrontation finale, à la hauteur barjo de cette œuvre outrancière, laisse un goût de sang au fond de la bouche.

    La parole japonaise se libère plus franchement sur les horreurs des bombes atomiques dans le cinéma des années 1980, avec comme point de bascule l’adaptation animée en deux temps du manga Gen d’Hiroshima en 1983. L’histoire, inspirée de la propre expérience de l’auteur Keiji Nakazawa, de la survie d’un gosse et de quelques proches après le bombardement. La première moitié surprend par ses prises de position pacifistes, voyant le père du héros critiquer ouvertement le gouvernement japonais dans sa poursuite de la guerre.

    Le film de Mamoru Masaki reprend le character design rond et enfantin du manga original, alimentant non sans talent un contraste saisissant entre cette approche graphique et la dureté d’un contexte où la faim et les inégalités dominent.

    Puis soudain, l’horreur totale. La bombe tombe et le montage n’épargne rien de ses effets les plus destructeurs sur une série de quidams littéralement vaporisés, qui d’un petit papy appuyé sur sa canne, qui d’une mère de famille et son bébé, dont aucune souffrance ne nous est épargnée.

    Gen survit miraculeusement, voit avec horreur un premier flot de survivants irradiés, les yeux pendant hors de leurs orbites, traverser un champ de ruines. « Est-ce que l’enfer ressemble à ça ? » se demande-t-il, et toute la seconde moitié du film ne cesse de lui répondre par l’affirmative, dans un cauchemar visuel et psychologique permanent, rivalisant en intensité dramatique avec Le Tombeau des lucioles d’Isao Takahata.


    – Point limite de Sidney Lumet.

    COMMENT J’AI APPRIS À M’EN FAIRE

    Un événement va faire sortir l’Occident de son angélisme et lui faire prendre conscience du péril de la course aux armes nucléaires : la crise des missiles de Cuba, deux semaines suspendues en octobre 1962 au cours desquelles le monde s’attend à disparaître dans un échange d’amabilités atomiques.

    Stephen [censored] retranscrit parfaitement cette attente de la fin du monde dans 22/11/63 : quand bien même son héros, voyageur temporel, connaît l’issue de l’événement, il flotte dans ces pages une atmosphère de désespoir existentiel à couper au couteau, que peinera à reproduire son adaptation sérielle ratée.

    Ce virage tonal émerge dans le second film de Frank Perry, Ladybug Ladybug (1963). Le futur réalisateur du Plongeon y donne déjà dans la perturbation de routine, dans le grattage de surface jusqu’à la révélation de plaie béante.

    Dans l’école d’un beau petit village américain, une alarme se déclenche, et pas n’importe laquelle : celle censée annoncer l’arrivée d’un missile nucléaire. La maîtresse tente de savoir s’il peut s’agir d’une erreur, rassure les bambins comme elle le peut, organise leur rapatriement à domicile. La bluette en noir et blanc laisse affleurer des inquiétudes grandissantes, des instincts de survie peu ragoûtants, assène quelques baffes inattendues avant le coup de boule final.


    – Dr Folamour de Stanley Kubrick.

    Point limite de Sidney Lumet (1964) ressemble quant à lui à la version sérieuse du Dr Folamour de Stanley Kubrick – ce dernier fit d’ailleurs des pieds et des mains pour que son film sorte en premier, arguant que les romans à l’origine des deux films entretenaient de trop grandes similitudes.

    Fail Safe (en version originale) joue sur l’un des grands schémas classiques des films paranoïaques : l’erreur matérielle, technique, humaine – ou les trois en même temps – menant à une escalade incontrôlable des événements puis au malentendu final, prélude au grand saut dans le vide nucléaire.

    Un ordinateur envoie des avions américains rayer Moscou de la carte suite à une fausse alerte, les gouvernements américain et soviétique font de leur mieux pour stopper l’inévitable. Le président des États-Unis fait une promesse atroce à son homologue russe : si jamais Moscou est touchée, il ordonnera à ses troupes de faire subir le même sort à New York en contrepartie.

    Six mois plus tôt, Sidney Lumet zébrait le quotidien de son Prêteur sur gages de flashes-back intenses de l’Holocauste, dans des inserts brutaux contrastant avec ses déboires parmi les paumés du Harlem d’alors.

    Quand Point limite honore enfin son titre, le réalisateur capte des passants new-yorkais inconscients de ce qui les attend, en arrêts sur image successifs, pour une scène finale qui n’a rien perdu de sa puissance en soixante ans. Le film souffrait jusque-là de la comparaison avec la géniale comédie pré-apocalyptique de Stanley Kubrick, il la rattrape in extremis dans cette dernière ligne droite.


    – La Bombe de Peter Watkins.

    Les deux œuvres empruntent des chemins différents pour arriver au même constat : la fin de toute chose ne tient désormais qu’à un fil. Exception faite de ces auteurs dont l’inquiétude transparaît à l’écran, la série B américaine n’en continue pas moins de traîter le sujet de façon irréaliste, voire de développer une sorte de fétichisme plutôt curieux, parfois lucide sur son ambivalence.

    La fameuse fin de La Planète des singes voyait le personnage de Charlton Heston fustiger ses contemporains et leur recours funeste à l’arsenal nucléaire ; la séquelle du film révèle en bout de course, dans l’enceinte d’une cathédrale, une grande bombe atomique dorée, vénérée par des humains mutants devenus télépathes sous l’effet des radiations. Une reprise de la figure biblique du faux prophète, des extrapolations science-fictionnelles brindezingues, une fusillade désordonnée où gicle le sang rouge ketchup de la fin des années 1960 : la bombe mettra fin à tout ce cirque dans une conclusion bizarrement nihiliste.

    L’ANTICIPATION, LA VRAIE

    Le premier grand signal d’alarme du bloc capitaliste quant aux effets de la bombe atomique viendra du côté de l’Angleterre, de la part d’un auteur fondamental, à l’importance trop minorée.

    Peter Watkins révolutionne la forme du docudrama en 1964 avec Culloden, une reconstitution de la bataille du même nom, à la moitié du XVIIIe siècle, entre soldats britanniques et écossais, à laquelle le réalisateur applique un traitement anachronique : les combattants sont interviewés et suivis comme s’ils étaient accompagnés d’une équipe de télévision en reportage. Les comédiens amateurs regardent longuement l’objectif, les assauts et la répression des officiers de la Couronne sont saisis en caméra portée, dans toute leur brutalité.

    Par ces partis pris de mise en scène, inédits en leur temps, Peter Watkins parvient à appréhender son contexte historique à la perfection, à immerger dans des enjeux immédiatement tangibles.


    – Threads de Mick Jackson.

    Pour son film suivant, La Bombe (The War Game), il part sur une base fictionnelle et imagine l’explosion d’une bombe atomique dans le comté de Kent, en Angleterre, toujours sous un angle documentaire extrêmement réaliste, documenté, implacable dans ses effets de narration et ses articulations.

    Le film décrit la préparation à une telle éventualité, l’état d’urgence instauré par les autorités, les évacuations, le rationnement, le bruit confus des hostilités internationales galopantes, les différents scénarios envisagés. Une ogive nucléaire explose à une vingtaine de kilomètres ; le décompte des victimes, des brûlures et blessures commence.

    L’après s’organise dans un chaos à peine contenu par des forces de police et des pompiers débordés, les effets secondaires de l’impact arrivent sans laisser le temps de souffler. Les émeutes sont réprimées violemment, les exécutions sommaires se multiplient, il ne reste plus en fin de film qu’un lambeau de civilisation dont les survivants n’aspirent plus à rien.

    The War Game est jugé trop « horrifique » par les responsables de la BBC et, sous pression du gouvernement travailliste de Harold Wilson, la chaîne publique britannique annule sa diffusion. Le film connaît une courte exploitation cinématographique, tourne dans une poignée de festivals, se voit également interdit de télévision américaine.

    Il faut attendre 1985, quarante ans après les destructions de Hiroshima et Nagasaki, pour que La Bombe soit enfin diffusé sur BBC2. Ironie cruelle s’il en est, la BBC programme cette même année une œuvre pensée selon le même principe, Threads de Mick Jackson, dont l’horreur viscérale éclipse, par sa radicalité, les mérites du film de Watkins.

    Une bombe explose cette fois-ci du côté de Sheffield, plus au nord. La narration se poursuit une dizaine d’années après le drame, dans un pays à mi-chemin entre des amorces de reconstruction et une atmosphère médiévale, et s’achève sur l’un des plus atroces freeze frames de l’Histoire des freeze frames.

    Threads fut à la fois conçu comme un hommage au film censuré de Watkins et comme une réponse au téléfilm américain Le Jour d’après de Nicholas Meyer (1983), aux prémisses similaires et au traitement beaucoup plus inoffensif.

    Pour compléter ce panorama, il faut impérativement mentionner le film d’animation britannique Quand souffle le vent de Jimmy T. Murakami, situé quant à lui dans la campagne du Sussex et consacré à la survie puis à la mort d’un vieux couple, préparé à la catastrophe mais isolé et démuni face aux assauts de l’hiver nucléaire environnant. Un peu d’humanité, sur fond de David Bowie qui plus est, ne fait pas de mal au milieu de ces tableaux cauchemardesques… même à l’agonie et à la merci des rats.


    – Le Jour d’après de Nicholas Meyer.

    À L’EST, DU NOUVEAU

    Du côté du bloc soviétique, la question est plus épineuse à aborder, l’évocation des conséquences d’une attaque nucléaire pouvant être perçue comme une critique de la politique militaire en la matière. Mais l’art trouve toujours un chemin.

    Le troisième sketch de The Deserter and the Nomads de Juraj Jakubisko (Tchécoslovaquie/Italie, 1968) fait errer les rescapés d’un hiver atomique à travers les landes désertiques dans une atmosphère carnavalesque morbide.

    La zone du Stalker d’Andreï Tarkovski (Russie, 1979) évoque infiniment plus les ruines d’un incident nucléaire que les vestiges d’activité extraterrestre, de façon encore plus nette que dans le roman des frères Strougatski dont il s’inspire, d’autant que ce thème hantera l’ultime film du cinéaste, Le Sacrifice, en 1986.

    Coécrit avec Boris Strougatski, Lettres d’un homme mort de Konstantin Lopushansky (Russie, 1986) s’aventure dans les terres de l’anticipation post-apocalyptique, après un cataclysme qui aurait pu être évité si l’ingénieur capable d’arrêter le premier tir de missiles n’avait été gêné par une simple tasse de café.

    Cette touche d’ironie vient illuminer de façon très fugace un récit ouvertement désespéré, saisi dans des lumières ocre et poussiéreuses, où les survivants se rassurent en s’estimant maudits dès le départ. Le professeur au cœur de l’intrigue entretient des remugles d’espoir en écrivant à son fils probablement mort, tandis que sa femme et les enfants de l’orphelinat voisin crèvent à petit feu.


    – Lettres d’un homme mort de Konstantin Lopushanskiy.

    La question de savoir si le film décrit la fin de l’Humanité ou celle de l’URSS peut également se poser devant le stupéfiant O-Bi, O-Ba: The End of Civilization de Piotr Szulkin (Pologne, 1985). Quand bien même sa microsociété rescapée du carnage nucléaire, repliée dans un bunker sur le point de s’effondrer, reproduit bon nombre de codes de la société capitaliste, l’analogie pourrait tout autant s’appliquer aux couches de corruption du giron de l’URSS.

    Avec un budget que l’œil habitué aux productions hollywoodiennes clinquantes devine restreint, le réalisateur n’en signe pas moins une œuvre fiévreuse, à la colère rentrée face à chaque mensonge, gorgée de visions hantées par la démence comme seule réaction face à l’apathie généralisée.

    Par un hasard à même de mettre les esprits conspirationnistes en surchauffe, Le Sacrifice, Lettres d’un homme mort et O-Bi, O-Ba sont produits à quelques mois de la catastrophe de Tchernobyl, événement clé et traumatique dans l’appréhension des dangers du nucléaire comme dans celle de la future chute de l’URSS.

    Sur ce sujet précis, Le Syndrome chinois de James Bridges (1979) s’inscrit dans la lignée des thrillers paranoïaques américains des années 1970, avec son équipe de télé menée par Jane Fonda et Michael Douglas, poliment mais fermement décidée à lever le voile sur la dissimulation d’une anomalie potentiellement dramatique dans une centrale nucléaire.

    Coïncidence à s’en arracher les poils sur le caillou, la sortie du film précède de deux semaines l’incident de la centrale de Three Mile Island, en Pennsylvanie. Dans ce film comme dans Le Mystère Silkwood de Mike Nichols (1983), inspiré quant à lui de faits réels, l’accent est mis sur l’aberration des économies de production et de sécurisation sur une technologie aussi dangereuse et volatile.

    PUNISHMENT PARKS

    L’actualité brûlante explique aussi l’apparition de films australiens dédiés à ces questions dans les années 1980, avec comme principale figure de proue Terre interdite de Bruce Myles et Michael Pattinson (1987). Un thriller (avec une apparition de Donald Pleasence en lanceur d’alerte à la voix robotique) basé sur les rapports alors tout juste dévoilés d’une commission d’enquête venant d’établir que des essais nucléaires britanniques, effectués dans les années 1950 en Australie, avaient irradié les populations aborigènes.

    Dix ans plus tard, dans ce qui reste la seule touche de respect vis-à-vis du film original, le Godzilla de Roland Emmerich impute l’émergence de sa créature à la reprise des essais nucléaires français, ordonnée à l’époque par Jacques Chirac dans l’atoll polynésien de Mururoa.


    – Godzilla version Roland Emmerich.

    Entre 1983 et 1985, Peter Watkins tourne un film-somme sur cinq continents, Le Voyage, monstrueux documentaire d’une durée totale de 14h30 réparti en une vingtaine d’épisodes de 45 minutes. Il interroge des familles de toutes origines, de tous milieux sociaux, des experts, des scientifiques et des politiques sur la course à l’armement.

    Le film établit la méconnaissance d’alors sur les dangers liés aux radiations, sur les véritables effets des bombardements de Hiroshima et Nagasaki. Il s’y déploie une avalanche de chiffres vertigineux, il s’y démontre l’impréparation généralisée aux catastrophes corollaires, que le réalisateur illustre de reconstitutions troublantes.

    Peter Watkins a évoqué le thème des déchets nucléaires dans le téléfilm The Trap en 1975, il souhaitait consacrer une autre œuvre-fleuve à ces thématiques au tournant du nouveau millénaire, mais son expérience désastreuse avec les producteurs de La Commune (Paris, 1871), reprise pourtant formidable des partis pris de Culloden sur cette période de l’Histoire française, l’en a découragé.

    Faute de voix à la hauteur dans le paysage cinématographique mondial, la bombe atomique et l’expectative d’une extermination nucléaire se sont normalisées et ont fini par intégrer le champ de la fiction au point d’en devenir un élément familier. La saison 8 de American Horror Story, ou plus récemment Demon 79 de l’anthologie Black Mirror, jouent du motif de notre fin programmée avec un certain détachement pop.

    Au terme des neuf saisons de 24 heures chrono, les États-Unis ont subi une explosion atomique dans le désert, une deuxième dans la ville de Valencia, la fusion du cœur d’une centrale, mais franchement ? Ça va, c’est à peine si le sujet est abordé, parce que pas le temps.

    Les échos cinématographiques japonais à la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima, comme The Land of Hope de Sono Sion (2012) ou Sayônara de Kôji Fukada (2015), entérinent même une acceptation de la dégradation du vivant, une tendance à continuer, comme si de rien n’était. Reste encore à voir la place de l’Oppenheimer de Christopher Nolan dans ce processus de banalisation.

    – Par François Cau.
    – Mad Movies #373

  • [Critique] Pearl : a star is porn

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    X marquait non seulement le retour tant espéré de Ti West au grand écran (Voir interview ici), mais aussi le point de départ d’une trilogie de fortune, construite sur le fil, et qui pourrait bien se révéler comme la grande œuvre du cinéaste. Malheureusement privé de sortie salle chez nous, le volet central de ce triptyque, Pearl, débarque en Blu-ray le 16 août. Cette « origin story » de la principale antagoniste de X réussit le pari d’être un grand et beau film sur la folie tout en créant de vertigineux échos qui font encore grandir l’aura de son prédécesseur…

    X n’était pas seulement un cadeau aux gourmets de l’horreur de par ses qualités intrinsèques ; le film de Ti West contenait également une surprise de taille : l’annonce d’une préquelle, tournée presque immédiatement après le premier long-métrage, dans les mêmes décors. Un pari fou – notamment motivé par l’éventuelle perspective d’une aggravation de la pandémie qui bloquait à l’époque la plupart des tournages – rendu possible par les largesses de la firme A24 et sa foi en la vision du cinéaste et de sa comédienne Mia Goth, cette fois co-autrice et productrice.

    C’est en effet en discutant longuement de la backstory de la « méchante » de X, interprétée par Goth sous un épais maquillage en parallèle de son incarnation de la jeune Maxine, que le duo réalise tenir assez de matière pour une autre histoire.

    DÉESSE GOTH Dans la ferme familiale texane, la jeune Pearl se morfond d’ennui. Son mari est parti faire la guerre en Europe, son père est dans un état végétatif après avoir contracté la grippe espagnole qui fait alors rage et sa mère lui impose de multiples corvées avec une discipline de fer. Mais Pearl, elle, ne rêve que d’une chose : devenir danseuse pour le grand écran et mener la vie de rêve des stars qu’elle admire en cachette au cinéma lorsqu’elle parvient à faire une escapade dans la petite ville voisine. Peu à peu, le contraste impitoyable entre ses aspirations et la triste réalité de son existence fait ressortir ses pulsions les plus enfouies…

    Ce seul résumé suffit à comprendre que Pearl est un film très différent de X. Du moins dans ses articulations dramatiques et son appartenance à un genre – l’étude de caractère là où son prédécesseur tenait du slasher réflexif.

    Car ce qui unit les deux œuvres, au-delà de leur coexistence dans un même univers, est bien le style de Ti West. Croyant profondément au pouvoir de la narration comme moteur intrinsèque des mécanismes horrifiques, le réalisateur de The House of the Devil fait ici à nouveau merveille en explorant avec une minutie virtuose les racines psychologiques de son héroïne, véritable baril de poudre dont on voit quasiment à l’œil nu les lattes se disjoindre pour laisser s’échapper une matière particulièrement dangereuse et volatile.

    Le vortex hypnotique de cette glissade incontrôlée vers la folie est bien sûr Mia Goth : la subtilité de sa prestation dans X laisse place ici à une démonstration de force virevoltante et tapageuse. Une performance constamment sur le fil du rasoir, suscitant simultanément fascination, répulsion et empathie pour un personnage qui se révèlera, le temps d’un hallucinant monologue final, d’une touchante lucidité sur sa propre aliénation.

    Les deux films que le cinéaste a demandé de visionner à son actrice et co-autrice avant le tournage sont d’ailleurs révélateurs : Le Magicien d’Oz (Victor Fleming, 1939) et Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (Robert Aldrich, 1962), soit le pinacle de la magie hollywoodienne période Âge d’Or et le summum du psychodrame meurtrier voué aux turpitudes du star system. Le point de raccord entre ces deux références débouche sur un équilibre tonal prodigieux entre la naïveté enfantine et la folie vénéneuse, que Goth incarne pleinement.


    – Pearl (Mia Goth) se rêve star de cinéma devant les animaux de la ferme… la fourche à la main.

    CADRES SUPÉRIEURS

    Il fallait à West ériger un écrin cinématographique à la hauteur du tour de force que livre sa comédienne. Après avoir hésité à tourner le film en noir et blanc, le réalisateur opte pour une approche disneyienne dotée d’une palette vibrante rappelant les fastes du glorieux Technicolor d’antan. Un choix absolument payant, tant la performance bigger than life de Mia Goth et l’intensité des illusions de son personnage appelaient un traitement hyperbolique et profondément sensoriel, assez éloigné du look de X, plus évocateur des roughies américains des seventies.

    Mais ces différentes matières visuelles ne s’opposent pas. Elles construisent une mythologie de l’image qui leur est propre, comme en témoignent les plans d’ouverture respectifs des deux films : à chaque fois, la caméra est située à l’intérieur de la grange et s’avance à travers la porte de cette dernière pour révéler la maison principale.

    Mais dans X, le cadre est ainsi conçu qu’il donne l’impression d’observer un format 4/3, annonciateur des images que tourneront les personnages, pornographes amateurs de leur état. Dans Pearl, la composition de ce plan inaugural impose immédiatement le format CinémaScope. Et la distinction entre le pouvoir d’évocation de ces deux formats nourrira finalement toute la matière dramatique des films.

    Pourtant, West ne se contentera pas de rester sagement à l’intérieur des périmètres que semblent dicter ses choix stylistiques : si Pearl se lance dans des embardées dansantes typiques des musicals hollywoodiens d’antan, il culmine aussi dans un montage horrifique jouant avec des effets de miroir dignes des expérimentations des années 1970, qui construit un pont souterrain entre les deux longs-métrages (tout comme le fait une scène de repas morbide qui cligne à nouveau de l’œil à Massacre à la tronçonneuse).


    – Le Magicien d’Oz de Victor Fleming faisait partie des deux films que Ti West a demandé à son actrice et co-autrice de visionner avant le tournage.

    FOR ADULTS ONLY

    Ainsi, si Pearl peut absolument se voir indépendamment de X, l’éclairage apporté par cette exploration des racines de la folie meurtrière de la vieille dame du premier opus confère à ce dernier une dimension tout à fait nouvelle, voire inédite dans le genre slasher, puisque chaque meurtre devient le résultat d’une tragédie intime, le triste et grotesque point d’orgue d’une vie faite de rêves inaccessibles et d’une dérive vers l’insanité sexuelle et homicide.

    Les résonances entre les deux films vont d’ailleurs au-delà de personnages et lieux similaires : une séquence en apparence anodine de Pearl montre comment l’héroïne découvre, grâce à un séduisant projectionniste (David Corenswet, tout juste choisi pour incarner le futur Superman de James Gunn), l’un des premiers films pornographiques jamais tournés (les images, authentiques, sont issues de A Free Ride, datant selon les historiens de 1915 ou 1923).

    West introduit ici une autre correspondance forte entre ses deux longs-métrages, où le cinéma X devient le symbole d’une libération des mœurs traditionnellement étouffées par la frustration née de la rigueur religieuse des patelins reculés d’Amérique, mais aussi la promesse d’un cadre de vie plus exotique, plus vivant…

    Une symétrie qui rend encore plus excitante la perspective du dernier volet de la trilogie, MaXXXine, embardée dans le Los Angeles interlope des années 1980 illustrant le destin de l’héroïne de X.

    Il y a fort à parier que le contenu thématique de ce nouvel opus, actuellement en postproduction, devrait faire office de mise en abyme passionnante – une radiographie de la désillusion de la libération des mœurs ? – en apportant un point final à la splendide épopée que constitue ce « triptyX » qui compte d’ores et déjà parmi ce que le cinéma d’horreur américain des années 2020 a produit de plus passionnant.

    – Par Laurent Duroche.
    – MadMovies #373

  • Disney+ introduit son abonnement avec publicité

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    Qui va payer pour avoir des pubs toutes les 5min sérieux

  • LaCinetek

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    Bonsoir je reviens de loin mais je déconseille filmotv aucune appli android.

    donc étant à la recherche de nouveaux films via auvio la plateforme streaming de la rtbf je suis tombé sur sooner qui me donne entière satisfaction des films gratis via l’abonnement ou payant à la carte merci c’est pas non plus tres chère 14 jours gratuit puis 8 euro le mois fin regardez

    Un must have ♥ sympa ce topic merci siegfried !

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    @Psyckofox on pourrait aussi citer le Hardcore de Denis Illiadis ou le Baise-moi de Virginie Despentes

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    Habitué des pages de MadMovies (il nous parlait notamment de Cold Skin dans le numéro 323 et de Gangs of London dans le numéro 343), Xavier Gens n’a pas eu le temps de s’ennuyer ces dernières années. Nous avons retrouvé le cinéaste sur le plateau de son prochain film, un prometteur shark movie produit par Netflix, pour revenir sur les enjeux stylistiques et commerciaux de Farang

    Vous avez commencé à travailler sur Sharks alors que vous tourniez Farang. Toutes proportions gardées, bien sûr, c’est une démarche à la Spielberg !

    C’est une grosse comparaison, je suis très flatté, mais c’est vraiment à mon échelle. Même si Farang est mon projet et que je l’ai coécrit, j’ai voulu garder un côté artisanal et me dire : « OK, on enchaîne, on shoote immédiatement autre chose. ». Il faut savoir faire tourner sa propre boutique afin qu’elle reste vivante d’un projet à l’autre.

    Les films sont mouvants, c’est comme un magma qui ne demande qu’à exploser. Tant que la lave est encore là, tu continues d’avancer. Tant que le plaisir créatif est là, il ne faut pas le laisser s’échapper et j’ai la chance de pouvoir m’exprimer à travers des projets un peu fous, du moins hors système, hors marché. On parle toujours du « marché » et je déteste ce mot. J’aime faire des propositions atypiques et montrer qu’il y a un espace aujourd’hui pour que des choses différentes puissent exister.

    Il y a dix ans, c’était impossible, je n’arrivais pas à trouver ma place, mais aujourd’hui, les geeks ont gagné. On arrive à trouver notre place et on nous demande ! C’est vraiment l’avènement des plateformes qui a provoqué cet appétit pour le genre et la différence.

    Un projet a-t-il fait l’effet d’un déclic dans votre carrière récente ?

    Oui, Papicha. Je l’ai produit indépendamment avec ma boîte et mes associés Grégoire Gensollen et Patrick André. Ça racontait la jeunesse de ma femme, Mounia Meddour, et je voyais le potentiel de cette histoire en tant que film d’auteur, domaine qui est à l’opposé de mon style habituel. Je regarde autant de cinéma de genre que de cinéma dit « classique », donc je me disais qu’il y avait un vrai film à faire là-dessus.

    On a commencé à s’en parler vers 2012. En 2014, Mounia a bouclé une première version du script. Pendant le tournage de Budapest, je lui ai proposé d’aller en Algérie pour faire des repérages et essayer de démarrer la production. On est partis en mode guérilla, tous les deux, on a trouvé des partenaires et le film s’est fait petit à petit. On ne s’attendait pas du tout à la carrière qu’il a pu avoir ensuite. Ç’a été fait avec les tripes, le cœur.

    Quand on a terminé Papicha, il n’a pas été acheté tout de suite. On l’a montré au comité de sélection du Festival de Cannes qui nous a invités dans la catégorie Un certain regard. Ça a donné une vraie carrière au long-métrage, on a ensuite gagné des prix au Festival d’Angoulême et plusieurs Césars en 2020…

    Il a fait 300.000 entrées alors que c’était un tout petit film « hors marché » que personne n’attendait. Ça a complètement rebattu les cartes.

    En parallèle, j’ai fait Gangs of London. Entre Papicha et Gangs…, adoubé par Gareth Evans, j’ai tout de suite vu que je pouvais monter plus facilement mes projets. C’est fou, je l’ai senti du jour au lendemain ! Juste après les César, tout le monde nous appelait car mes projets circulaient déjà depuis un moment dans différentes sociétés. C’est comme si j’étais sous la pile et que soudainement, on m’avait fait passer en haut de cette pile.

    C’est là que Farang est né : le scénario était là depuis un moment, mais tout à coup, on a trouvé le financement. Même chose pour d’autres projets qui arrivent derrière, qui font la queue : mon film de requins, un autre en Afrique du Sud que j’aimerais tourner l’année prochaine et un gros film d’action que je suis en train d’écrire avec Jude Poyer et l’une des scénaristes de Gangs of London.

    Ce qui est génial, c’est que je n’ai plus à me dire que je vais devoir travailler dans une économie ultra réduite. J’ai fait mes premiers films dans avec peu d’argent, mais j’avais des ambitions inadaptées au budget dont je disposais. Souvent, ça pouvait donc être un peu bancal, maladroit, parce qu’il n’y avait jamais suffisamment de moyens et qu’on y allait quand même.

    Aujourd’hui, je peux dire aux producteurs : « Il faut ces moyens-là pour faire ce film de cette manière-là », et j’obtiens généralement ce dont j’ai besoin. Ça donne une liberté et un confort que j’aimerais vraiment conserver, tout en espérant que cela crée un appel d’air pour d’autres réalisateurs.

    Farang est une sorte de prototype dans l’industrie aujourd’hui. On pourrait lui reprocher de ressembler par certains aspects aux productions EuropaCorp d’il y a vingt ans, mais ce genre de films peut non seulement ramener du public dans les salles, mais aussi faire revenir le cinéma de genre sur grand écran pas seulement par le biais de l’horreur, mais aussi du thriller. La France a été un grand pays de thrillers, même si ça s’est étiolé au fil du temps.

    Le film d’action que je prépare avec Jude est très proche de Classe tous risques de Claude Sautet. Il faut à mon avis renouer avec les racines du polar français et se réapproprier ses codes.


    – Xavier Gens (au milieu avec le chapeau), Nassim Lyes (t-shirt blanc) et Jude Poyer (accroupi avec un masque au niveau du cou) posent avec l’équipe des cascadeurs thaïlandais.

    Vous jouez clairement sur le côté français avec le prologue extrêmement social de Farang. Même le combat d’ouverture se montre très réaliste, du moins jusqu’à la chute. Ce n’est pas le même type de chorégraphie que dans le climax dans l’ascenseur.

    Il n’y a qu’un plan annonciateur de ce qui va se passer après et le film bascule à partir de là. Avec Jude Poyer, nous voulions concevoir un combat très réaliste en ne nous permettant qu’un seul gimmick de mise en scène, lorsque les deux personnages tombent ensemble. Ça rappelle les codes du cinéma de Hong Kong.

    Oui, il y a un côté Time and Tide.

    Exactement. Il fallait infuser cet aspect à ce moment précis. La scène se devait d’être brutale et je voulais vraiment garder la chute jusqu’au bout. Cette mort a un impact sur tout le reste de l’histoire, donc il faut qu’on s’en souvienne.

    Il y a tout un cheminement stylistique au fil de Farang.

    J’avais envie de faire un film qui mute au fur et à mesure du récit. L’une des références dont on a parlé avec Jude, c’est Adaptation de Spike Jonze, dont le le style évolue constamment. Je voulais exactement ça : partir d’un film français et basculer doucement vers un registre plus coréen ou indonésien, car je m’inspire ouvertement du travail de Gareth et de sa méthode pour chorégraphier les combats.

    Farang monte aussi crescendo dans la brutalité : il y a des moments qui annoncent la violence, puis des points de basculement.

    La mutation va jusqu’au bout, car on finit par un face-à-face entre Nassim Lyes et Olivier Gourmet, un acteur très typé cinéma d’auteur français, même s’il est de nationalité belge.

    Comme on peut le lire dans le livre qui lui est consacré chez TASCHEN, Kubrick disait que lorsqu’il castait des acteurs dans ses films, il se servait de leur bagage cinématographique. Quand on a choisi Olivier Gourmet, pour moi, il y avait tout le bagage des frères Dardenne qui nous faisait entrer dans une réalité sociale crédible. Dans le cinéma de genre français, pendant longtemps, il y a souvent eu des problèmes de jeu.

    Parce qu’on essayait justement de faire du genre.

    C’est ça. Je me suis affranchi de ces considérations grâce à mes expériences sur Gangs of London et Papicha. Ce dernier, était vraiment un film très français où Mounia, caméra à l’épaule, laissait vivre les situations. Moi, je me prépare tout le temps à fond, mais je l’ai vue se laisser choper par ce qui se passait sur le moment. Elle était tellement décomplexée par rapport à la mise en scène que j’ai décidé de m’inspirer de sa méthode afin de chercher une authenticité, un réalisme dans mes séquences de mise en place en France et en Thaïlande. Ça a aidé à ancrer le genre dans une réalité et le film a pu basculer progressivement par son style sans devenir poussif au niveau des dialogues.

    La manière dont j’ai dirigé Nassim rejoint cette idée : je l’ai poussé vers un jeu « auteurisant » – je ne veux surtout pas que ce soit pris comme un gros mot. Il fallait qu’il soit le plus authentique possible et qu’il s’éloigne au maximum des personnages de comédie qu’il avait incarnés avant. Je lui ai dit de revoir Al Pacino dans L’Impasse de Brian De Palma, qui est dans l’é[censored] en permanence.


    – Farang se paie quelques effets gore dignes de Lucio Fulci !

    Et Pacino n’est généralement pas connu pour donner dans l’é[censored…]

    Sa prestation est d’autant plus belle. Scarface et L’Impasse, c’est le yin et le yang. Ce sont deux films siamois, qui se répondent. Je voulais amener Nassim vers cette typologie de personnage spécifique. Je lui demandais souvent de reprendre avec une voix plus basse, en s’inspirant d’Eastwood. Pas besoin de monter en volume : less is more.

    Quand tu regardes d’autres films français qui ont traité de sujets un peu similaires, tout de suite, on a des grosses cailleras avec des tatouages partout, qui font du rap… On ne peut plus faire ça. Ce genre de facilités propulse le récit dans la caricature, ce qui est, j’insiste, le problème central de notre cinéma de genre.

    Quand on essaie d’imiter quelque chose, on le caricature, en bien ou en mal. Parfois ça donne des merveilles comme les deux premiers OSS 117, mais la plupart du temps, on se plante.

    Il y a eu des jeux d’acteur très stylisés dans l’Histoire du cinéma de genre français, par exemple celui de Jean Marais dans La Belle et la Bête de Cocteau. C’était bien sûr intégré à un univers visuel et une photographie tout aussi stylisés, mais ça fonctionnait. Il y a encore aujourd’hui aux États-Unis des performances ouvertement expressionnistes, par exemple Nicolas Cage dans la plupart de ses rôles. Mais en France, la stylisation du jeu semble être devenue impossible.

    On est très pragmatiques dans le domaine du jeu. Si l’acteur n’y croit pas, nous non plus. Beaucoup de comédiens peuvent regarder le genre de haut. Il faut donc réussir à les amener dans un ancrage beaucoup plus authentique, donc plus auteurisant. Sur Farang, on a toujours été sur un ton premier degré, on a gardé notre identité française ; on n’essayait pas de singer les Américains, ce qui sur Frontière(s) a été mon plus gros défaut.

    Mon but sur Farang était surtout de jouer avec la figure du thriller et de l’emmener ailleurs grâce à mon propre bagage et à mon envie de rebooter mon cinéma. Je me suis un peu cherché au fil des années, j’ai exploré des genres, mais je n’ai pas réussi à signer le film où je m’affirmais vraiment. Je pense que Farang est un nouveau premier long : je me réaffirme sur un univers, sur une manière de filmer, sur une façon de trouver mon ton.

    Je me souviens d’une interview récente entre Iñárritu et Scorsese : le premier a demandé au second à quel moment il avait réussi à définir son univers. Scorsese a répondu qu’à un moment, on le sent parce qu’on est le plus sincère possible et qu’on ne rougit plus en montrant le film à d’autres.

    Quand Iñárritu a fait Birdman, il a appelé Scorsese et lui a dit : « Ça y est, je sais qui je suis. ». Pour lui, Babel ou Amour chiennes appartenaient plus au scénariste qu’à lui. C’est fou, quand même.

    Scorsese vient de déclarer qu’il a enfin compris ce qu’il doit faire avec son cinéma, mais qu’à 80 ans, il est presque trop tard.

    La vérité de notre travail est là : on doit se chercher et comprendre ce qu’on veut raconter. Je suis un jeune metteur en scène, j’ai démarré à 30 ans et forcément, je me cherchais. On tâtonne, on se trompe, parfois on essaie des trucs qui marchent, d’autres fois, ça ne marche pas du tout, mais on continue d’avancer. Farang est vraiment l’accomplissement d’un apprentissage d’une dizaine d’années.

    Un apprentissage demande énormément d’humilité. Nous avons beaucoup échangé au fil des ans, et nous avons toujours eu des discussions très ouvertes concernant vos films, que nous avons parfois aimés, parfois non. Mais il y a toujours eu des débats très sains et des argumentations. On dirait que vous avancez sur le long terme, sans avoir peur d’analyser vos réussites et vos erreurs.

    C’est hyper important. Indispensable. Je suis complètement d’accord. Honnêtement, j’espère arriver à la perfection un jour. C’est un peu comme les Compagnons qui ont besoin d’effectuer 10.000 heures de travail avant de pouvoir créer un chef-d’œuvre.

    Un jour, j’espère pouvoir faire un chef-d’œuvre. Un. Juste un, à la fin de ma carrière. J’en serais ravi.

    Votre projet sur Lapérouse, peut-être ?

    Pour moi, c’est le meilleur candidat.

    Voilà sans doute pourquoi il ne figure pas dans vos projets imminents, un peu comme si vous reculiez l’échéance pour être sûr d’être totalement prêt.

    Il faut savoir attendre pour avoir atteint une maturité suffisante. À 48 ans, j’apprends encore. Quand je vais sur le plateau de Havoc de Gareth Evans en tant que réalisateur de seconde équipe, c’est pour apprendre. Je sais que j’ai plein de choses à découvrir, que je ne connais pas tout.

    Ma rencontre avec Gareth et Jude a été absolument fondatrice. Après avoir travaillé avec eux, je ne peux plus bosser autrement. J’ai vu ce qu’il fallait faire, j’ai mis les mains dans le cambouis et ça a scellé une amitié complètement dingue. On entretient une passion commune pour ce genre de cinéma, on cherche l’excellence, donc on veut apprendre en permanence.

    Pendant le confinement, on regardait les films d’Imamura pour saisir la substantifique moelle de la narration et de l’émotion et ajouter ce qu’on aime dedans, c’est-à-dire de l’action hard boiled ! (rires)


    – La séquence de l’ascenseur, donnant l’illusion d’un plan continu, devrait rester dans les annales du cinéma d’action.

    La séquence de l’ascenseur est assez hallucinante.

    Avec Jude, on voulait créer une nouvelle référence. On a discuté de tous les « beats » narratifs et de l’énergie que la scène devait contenir. La séquence du couloir est une préparation et l’ascenseur doit nous faire mal.

    La préparation est même encore un peu plus longue : il y a la scène du quai juste avant. On peut facilement visualiser la direction que prend le climax, d’abord en avant, puis sur le côté avec le couloir et enfin vers le haut avant la rencontre avec le « boss final ». Cela donne une dynamique intéressante au récit.

    Et avec la rencontre avec Gourmet, je voulais glisser un clin d’œil à Clarence Boddicker dans RoboCop !

    Sage décision. Comme évoqué en début d’interview, vous êtes en train de tourner Sharks alors que nous parlons de Farang. Vous ne vous sentez pas un peu schizophrène ?

    Non, c’est même très clair dans mon esprit. Faire la tournée d’un film, c’est un moment un peu marrant, ça reste un plaisir. C’est juste une situation un peu inhabituelle, en particulier en France. Je ne me comparerai jamais au talent d’un Spielberg, mais c’est un vrai modèle, que ce soit en termes d’organisation professionnelle ou dans son style de narration. Il a littéralement le cinéma dans le sang, ça paraît inné chez lui.

    J’en parlais récemment avec Michel Hazanavicius. Nous, on va galérer un peu plus que lui avant d’atteindre la pureté d’une séquence, avant de réussir à trouver l’angle de prise de vue nécessaire. C’est une quête perpétuelle. Redémarrer un film aussi rapidement après en avoir achevé un autre, c’est une chance immense à ce niveau.

    On peut continuer d’explorer ce qu’il est possible de faire d’un point de vue narratif avec une caméra. Sharks, en plus, est complètement différent de Farang : on est vraiment sur tout autre chose. Et sans que je le veuille vraiment, le film a une teinte Amblin ! On a déjà une heure vingt de montage et on reconnaît cette influence, alors qu’elle n’était pas prévue…

    Propos recueillis par Alexandre Poncet

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    À l’échelle industrielle hollywoodienne, James Wan est une licorne : un créateur de tendances, capable de rebondir après une série d’échecs, de prendre les rênes de blockbusters mastodontes tout en supervisant les multiples séquelles et spin-offs des franchises initiées par ses soins. À la veille de la sortie du cinquième Insidious, à l’avant-veille de celle de La Nonne, il convient de rappeler que derrière la machine de guerre bat un cœur sanguinolent, alimenté par un authentique amour du bis.

    La production du tout premier Saw est entrée dans la légende du cinéma d’horreur. Deux amis australiens, James Wan et Leigh Whannell, tournent un court-métrage d’une dizaine de minutes à même de démontrer le potentiel de leur concept. Whannell y joue déjà le rôle d’un supplicié contraint de fouiller les entrailles d’un infortuné encore vivant pour trouver la clé qui le libérera du mécanisme élaboré par Jigsaw. Et Wan y déploie déjà son amour des poupées inquiétantes, cette esthétique de friches délavées et ce montage agressif qui finiront par caractériser la saga.

    Produit pour moins de 2 millions de dollars, Saw premier du nom explose le box-office à tel point qu’un projet de suite est immédiatement lancé. Leigh Whannell remanie un script original de Darren Lynn Bousman pour l’inscrire dans la continuité de la saga naissante, mais James Wan passe son tour.

    Comme il s’en expliquait en 2010 à l’inestimable Alexandre Poncet au moment de la sortie d’Insidious,

    « Je n’ai rien contre les suites et les remakes, mais dans les deux cas, il faut réussir à apporter quelque chose d’unique et de nouveau. Quand on m’a demandé de tourner Saw II, je n’ai pas su comment m’y prendre. J’avais déjà raconté cette histoire et j’avais l’impression que j’allais me répéter. Si j’avais trouvé une nouvelle direction, je l’aurais fait. »

    Il peut paraître sagouin de ressortir cette citation datant d’une époque où le futur producteur n’a pas encore à son tableau de chasse trois Conjuring, autant d’Annabelle et bientôt cinq Insidious.

    Mais le fait est que James Wan assume toujours ce point de vue dix ans plus tard quand il est interrogé sur une éventuelle suite de M3gan, en amont de la sortie de cette production du studio Blumhouse dont il revendique la paternité de l’idée originale.

    Il évoque pour justifier sa réserve une part de superstition ainsi qu’un besoin de sortir des sentiers battus et de mettre sur pied des projets barjos qu’il aurait envie de voir en salle. Il pourrait y avoir de la langue de bois dans la bouche du metteur en scène de deux énormes succès ayant dépassé le milliard de recettes au box-office mondial (Fast & Furious 7 et Aquaman), mais d’une, son enthousiasme semble inchangé depuis ses toutes premières interviews, et de deux, il a signé contre toute attente l’un des films bis les plus furibards de la jeune décennie des années 2020 avec Malignant.


    – James Wan prépare un plan dans le décor du premier Saw.

    La mort lui va si bien

    Le genre pur et dur était déjà la voie choisie par le cinéaste à la suite du carton de Saw, avec deux productions originales au budget confortable mais relativement modeste de 20 millions de dollars chacune. Dead Silence (2007), coécrit avec Leigh Whannell, le voit rester dans le domaine de l’horreur, mais dans un registre radicalement différent des délires vengeurs de Jigsaw, dont les séquelles n’en finissent plus de prostituer des gimmicks de mise en scène tapageurs.

    Wan entame pour l’occasion sa collaboration avec le directeur de la photographie John R. Leonetti, qu’il retrouvera sur le film suivant, les trois premiers Insidious et le premier Conjuring. Au revoir les couleurs de clou rouillé en vogue dans le torture porn, bonjour les simili-nuits américaines en intérieurs vieillots aux mille détails glauques. La réalisation gagne en lisibilité et en efficacité, le montage fricote avec la tentation du jump scare mais finit par lui préférer une horreur plus suggestive, plus dérangeante, centrée sur la déformation faciale et corporelle. Ce parti pris colle parfaitement à une histoire aux bases grotesques de ventriloque et de poupées maudites.

    La fête est, hélas, en partie salopée par un gros ventre mou à mi-parcours et par les deux têtes d’affiche masculines, les falots Ryan Kwanten et Donnie Wahlberg, à peine rattrapés par des seconds rôles de première bourre comme cette vieille ganache de Bob Gunton.

    Le problème ne se posera plus dans Death Sentence (2007), refonte de l’univers littéraire créé par Brian Garfield à l’origine (lointaine, très lointaine) des films de la saga Un justicier dans la ville. Kevin Bacon y campe un cadre sup’ fermement décidé à démastiquer lui-même le gang responsable de la mort de son fils, quitte à y perdre son humanité, son âme et le peu de famille qu’il lui reste.


    – Wan en pleine discussion avec Kevin Bacon durant le tournage de Death Sentence.

    Leonetti a cette fois-ci pour consigne de composer une image tout en nuances de noir, imprégnée de poussières en suspension et de néons rouges clignotants, dans une fusion cradingue entre le New York des années 1970-80 et les ghettos contemporains. James Wan adapte son style à un récit cru, d’une sécheresse radicale ayant favorisé les interprétations circonspectes.

    Il y a, incontestablement, une forme d’iconisation du personnage principal dans la toute dernière partie, lorsqu’il n’a plus rien à perdre et que sa brutalité atteint son apogée. Mais James Wan et son scénariste Ian Mackenzie Jeffers ne font aucun mystère du prix colossal à payer pour en arriver là, ni de la tétanie frappant le personnage principal lors de l’incroyable séquence de poursuite dans le parking.

    Même si le film doit concéder un semblant de happy end, où un Kevin Bacon zombifié et à deux doigts de clamser sur son canapé regarde une vidéo familiale, difficile d’en retirer la moindre satisfaction ou le moindre soulagement.

    Les productions de James Wan, et dans une certaine mesure celles de Leigh Whannell, s’imprègnent invariablement, à des degrés divers, de l’air du temps. Le virage réactionnaire et punitif de la saga Saw peut en attester : l’heure n’est pas franchement à un regard progressiste sur les questions de criminalité et de justice.

    Dead Silence reprenait déjà à son compte le principe d’une justice d’outre-tombe, l’heure est clairement à la rétribution dans le cinéma de genre américain. Mais contrairement aux premiers méfaits de Jigsaw, la ventriloque vengeresse et le vigilante ne font pas école, tant s’en faut. Les deux films ne rentrent pas dans leurs frais et contrarient la trajectoire toute tracée du wonderboy.


    – James Wan pose dans l’un des décors de Dead Silence.

    Des corridors lointain

    James Wan ne se laisse pas abattre et puise l’inspiration de son prochain film dans son histoire personnelle, comme il le confiait à l’irremplaçable Alexandre Poncet. « Je n’en parle généralement pas trop, mais je descends d’une famille chinoise. Et une grande partie de la culture chinoise se concentre sur la vie après la mort, la réincarnation… Les superstitions font partie de la vie des Chinois.

    Je me souviens d’une histoire effrayante que me racontait ma grand-mère : pourquoi ne faut-il jamais peindre le visage de quelqu’un en train de dormir ? Parce que lorsque vous êtes assoupi, votre âme quitte votre corps et se balade, et quand elle revient, si elle ne reconnaît pas son visage, elle continuera sa route. Et vous ne vous réveillez jamais !

    J’ai commencé à en parler à Leigh Whannell il y a quelques années et on s’est dit que ça donnerait un long-métrage intéressant. On savait qu’on pouvait donner un nouveau souffle au film de maison hantée. Nous avons essayé de prendre les conventions très strictes du genre et de les tordre. » Si vous n’avez pas vu Insidious, fuyez cette révélation : il ne s’agit pas tant d’un film de maison hantée que d’une histoire de possession.

    Dalton, le fils d’une famille plutôt tranquille, est capable de détacher son âme de son enveloppe charnelle et de se balader librement. Forcément, il s’égare lors d’une de ses virées dans le Lointain (« The Further » en version originale), un lieu de transition où les esprits des défunts les plus menaçants baguenaudent dans l’attente d’une âme à posséder.

    Après quelques signaux inquiétants reprenant effectivement les codes du film de maison hantée, la dernière partie de l’intrigue vrille et se consacre à l’exploration de cette dimension parallèle pleine de spectres aux intentions peu catholiques, en tête desquels on retrouve une apparition grabataire vêtue d’une robe de mariée noire ou un démon au visage peinturluré de rouge à lèvres.

    James Wan se retient dans la fantasmagorie psychédélique, d’une part pour des raisons budgétaires (le budget ne dépasse pas la barre des 2 millions de dollars), et surtout pour des questions de rendu, comme il le confiait à l’inénarrable Alexandre Poncet.

    « Dans la première version du film, j’ai expérimenté avec des designs très stylisés, mais ça ne fonctionnait pas du tout. C’était trop différent du reste du long-métrage. J’ai réalisé que ce n’était pas la bonne approche et j’ai décidé de décrire cet autre monde dans une obscurité totale. Je me suis dit que c’était au spectateur de projeter ses propres fantasmes dans cet univers parallèle. »

    Cette économie sert le projet à la perfection, décuple le potentiel terrifiant de ses monstres et permet de se projeter à corps perdu dans le calvaire enduré par un nouveau venu dans la famille cinématographique de James Wan. À savoir le comédien Patrick Wilson, en rupture salutaire de ces énormes machines que furent L’Agence tous risques de Joe Carnahan et Watchmen : les gardiens de Zack Snyder.

    Le film remporte un succès aussi retentissant que Saw en son temps, une suite est négociée, et cette fois-ci, James Wan accepte. Leigh Whannell rempile au scénario et devant la caméra, dans un irrésistible rôle secondaire d’assistant de la médium assurant la liaison entre les deux mondes. L’intrigue reprend directement à la suite du premier film et en offre un ultime acte un rien étiré mais astucieusement complémentaire, dans lequel Wilson joue les possédés avec un plaisir sadique manifeste.

    Whannell garde la main sur les deux films suivants, se lance dans la réalisation avec le Chapitre 3, sans éclat. La faute au manque d’intérêt réel de ces préquelles, notes de bas de page à l’échelle de la saga censées creuser le personnage de la spirite incarnée par Lin Shaye. Le nouvel opus, Insidious: The Red Door, marque non seulement le passage de Patrick Wilson derrière la caméra, mais surtout le retour de la famille Lambert, dix ans après les événements du premier film. Peut-être l’ellipse dont la saga a besoin.


    – Wan sur le tournage du deuxième épisode d’une de ses franchises phares, Insidious.

    #Le bon diable sans confession

    À l’époque de la sortie du premier Insidious, James Wan confiait des secrets de sa cuisine interne de production au micro du redoutable Alexandre Poncet. « Les histoires de fantômes et de maison hantée ne se démodent pas. Les films d’exorcisme non plus, je ne sais pas pourquoi. Les peurs religieuses, liées au Diable et à l’Enfer… Pour l’anecdote, on a fait des études pour la promotion d’Insidious et on s’est rendu compte que ce type d’intrigues marchait particulièrement bien sur un public catholique ! (rires) »

    En parallèle du développement du second Insidious, James Wan tombe sur un script inspiré des authentiques investigations dans le domaine du paranormal du couple Lorraine et Ed Warren, respectivement médium et démonologue. En promotion, le réalisateur avoue suivre leurs exploits depuis sa prime jeunesse ; il rencontre la vraie Lorraine, lui confie un rôle symbolique.

    Les époux sont interprétés par Vera Farmiga et Patrick Wilson, certes endimanchés dans des fringues vintages, mais tout de même gorgés de leur glamour de stars, disposés à transcender leurs modèles dans des films rejouant leurs plus fameuses enquêtes.
    Et c’est une partie du problème éthique que peut poser la série de films – oui, tout de suite, les grands mots. La mention « Inspiré de faits réels » a toujours été une arme commerciale de catégorie non mortelle, certes, mais volontiers putassière.

    Les frères Coen s’en sont amusé avec Fargo, œuvre totalement fictionnelle contrairement à ce que prétend le carton introductif ; Michael Bay en a abusé comme un drogué en manque devant un sachet de son poison favori dans No Pain No Gain, son hommage tout personnel au cinéma des mêmes frères Coen.

    Entre ces deux extrêmes, l’intention varie, et dans le cas de la franchise Conjuring, l’inspiration tirée d’authentiques faits divers interroge d’autant plus que les personnages des époux Warren tirent de leur foi religieuse une partie non négligeable de leurs convictions dans le caractère surnaturel des événements. Le troisième Conjuring, sous-titré Sous l’emprise du Diable en français, prête plus franchement le flanc à une suspicion d’élan bondieusard de la part du cinéma d’horreur américain.


    – Wan sur le tournage du deuxième épisode d’une de ses franchises phares, Conjuring.

    Le propos du film tourne tout de même autour de l’opportunité de déclarer un meurtrier innocent car possédé au moment du passage à l’acte…

    Interrogé sur le sujet par l’insubmersible Cédric Delelée pendant la promotion du long-métrage, Patrick Wilson balaie poliment toute suspicion :

    « Qu’on joue un mormon ou quelqu’un qui croit en autre chose qu’en Dieu, on étudie la question, certes, mais on laisse ses convictions religieuses de côté. Elles n’entrent pas en ligne de compte, à moins bien sûr que ce soit utile pour le rôle. En ce qui me concerne, je n’ai pas été élevé dans la religion catholique et dans la vie de tous les jours, je ne pense pas au Diable, au Mal, à ce genre de concepts. Mais ça fait tellement partie intégrante des personnages d’Ed et Lorraine, leur foi est tellement forte et profondément ancrée en eux – tellement [censored] en quelque sorte – que c’est encore plus facile de se glisser dans leur peau, parce que leur croyance est quelque chose de clair et net. »

    James Wan et Leigh Whannell adoptent le même point de vue. Une fois assimilé par les conventions cinématographiques, le réel devient une dimension parallèle, un Lointain où toutes les réinterprétations peuvent et doivent être possibles au nom du spectacle. Partons du principe que le Diable et ses légions existent, transformons cette donnée en terrain de jeu aux multiples possibilités.

    C’est précisément ce que traduisent les déclinaisons de l’univers Conjuring, à savoir les franchises Annabelle (sur une poupée maléfique) et La Nonne (sur… vous avez compris), en réalité deux démons déguisés sous des apparences délibérément trompeuses. Et cette approche fait des petits, puisque c’est dans ce sillage que s’inscrit le récent et hilarant L’Exorciste du Vatican, avec la même ambiguïté entre inspiration de faits réels et zumba horrifique dépoitraillée.

    Reste à voir sur le long terme si cette approche entretient une vague idéologico-réactionnaire, comme le maintient Christophe Gans depuis plus d’une vingtaine d’années… ou si elle participe in fine à l’appréhension de la Bible comme un ancêtre du bis.

    #Si SI la famille

    James Wan crée sa société de productions Atomic Monster en 2014, justement pour développer l’univers cinématographique autour des époux Warren. Il met le pied de ses collaborateurs réguliers à l’étrier de la mise en scène. John R. Leonetti, David F. Sandberg, Michael Chaves, Gary Dauberman et Corin Hardy signent leur premier long-métrage dans ce giron… et font invariablement n’importe quoi dès qu’ils s’en éloignent. Votre Honneur, merci de verser les pièces à conviction I Wish – faites un vœu (2017) et les deux Shazam (2019 et 2023) au dossier.

    Au même moment, la carrière de James Wan passe plusieurs vitesses d’un coup avec son installation aux commandes de la franchise Fast & Furious.

    Sous sa direction, le septième épisode va enfin sortir du placard et assumer le grand n’importe quoi dans lequel le cinquième épisode trempait timidement le gros orteil. Les braqueurs de lecteurs DVD du film original de Rob Cohen deviennent des espions kamikazes à la solde des services secrets américains, parachutés d’un avion militaire sur un convoi protégé par la fine fleur des artistes martiaux internationaux, sautant de tour en tour à Abu Dhabi au volant d’une Lykan HyperSport, voguant d’explosion en explosion pour finalement se balancer des bouts de parking sur la tronche afin de clore les débats.

    La volonté de sérieux papal imbécile du précédent volet laisse place au plaisir régressif recherché par les fans de la franchise, le box-office double quasiment pour atteindre le chiffre absurde de 1,5 milliard de dollars et l’exploit ne s’arrête même pas là. Lorsque la production est frappée par la mort de Paul Walker, face à la pression financière monumentale, James Wan parvient à trouver la meilleure façon possible de faire partir son personnage et réalise ce qui reste à ce jour le sommet émotionnel de la saga, toutes proportions gardées bien sûr.

    Le concept de famille, grommelé à travers cette difficulté articulatoire caractéristique du jeu de Vin Diesel, prend enfin corps, au point de réussir à émouvoir les non-détenteurs de permis les plus cyniques. Attention, plus que jamais, la marque Fast & Furious exalte des valeurs américaines faisandées et témoigne de la mort cérébrale irrémédiable et inflationniste du blockbuster contemporain, celle-là même que les grands cinéastes du Nouvel Hollywood prédisent depuis une bonne décennie. Mais au moins, ce grand huit dans les enfers artistiques a le mérite d’être distrayant dans sa démesure et sa connerie cosmique.


    – James Wan en mode prince de la ville sur le tournage de Fast & Furious 7.

    Univers sales !

    Il en va de même pour son Aquaman (2018), virée perdue d’avance dans un univers cinématographique DC Comics en crise et refonte permanente. Le film aligne une direction artistique chaotique à même de rendre des aveugles épileptiques, une gestion aseptisée et nonsensique de son univers sous-marin, des rajeunissements numériques parmi les plus odieux vus dans un film de super héros (ce qui n’est pas peu dire) et une reprise de la chanson Africa de Toto par Pitbull passible de procès devant la Cour pénale internationale.

    Malgré ces tonnes de plomb dans l’aile, par ce que les croyants appelleraient un miracle et les pragmatiques un minimum de recul et de travail, James Wan accouche d’un film DC à peu près regardable, où sa patte de réalisateur parvient à surnager dans des scènes d’action passables mais amusantes. Aquaman dépasse lui aussi le milliard de recettes mondiales, l’univers Conjuring explose ses seuils de rentabilité les uns après les autres.

    À ce stade de sa carrière, James Wan se trouve sur le toit du monde, il a probablement droit de vie et de mort sur certains sous-fifres, pour ce qu’on en sait. Contre toute attente industrielle, il s’en retourne à ses premières amours avec deux projets vendus sur des éléments de langage féministes – tout comme les inquisiteurs en prosélytisme religieux, les pourfendeurs du wokisme sont invités à se la coller sur l’oreille pour la fumer plus tard à la vue du résultat.

    Si M3gan de Gerard Johnstone y va plutôt mollo sur les effusions graphiques mais compense par un mauvais esprit savoureux, Malignant, le grand retour de James Wan à l’horreur, s’avère bien gratiné comme il faut. Il y a même de quoi se décrocher la mâchoire devant la révélation visuelle du pot aux roses et son sidérant climax, parmi les plus invraisemblables scènes d’action horrifiques de ce jeune millénaire.

    Le film n’a, hélas, pas rencontré le succès escompté. La suite d’Aquaman a souffert de multiples reports et aléas de production dus à la pandémie, et le film pâtit déjà de rumeurs infamantes sur sa qualité, liées en grande partie au retentissement du procès entre son actrice Amber Heard et son ex-époux Johnny Depp.

    Même si le score d’Aquaman et le royaume perdu, toujours programmé pour la fin décembre 2023, devrait définitivement enterrer les films DC pour les années à venir (en attendant les débuts de l’ère James Gunn), ce ne serait pas une lourde perte.

    En tant que producteur, James Wan à déjà dans son escarcelle une vingtaine de projets à divers stades d’avancement, avec pêle-mêle des suites pas vraiment attendues (Mortal Kombat 2), des reboots/remakes intrigants (Knight Rider, Dylan Dog, Salem, The Last Train to New York), du Stephen [censored] (The Tommyknockers, The Monkey), des projets originaux (Cosmetic, Below), sans compter l’exploitation toujours vaillante de ses propres franchises (Saw X, The Conjuring: Last Rites…). Et même en cas d’incident industriel, rien, visiblement, ne saurait empêcher Wan de rebondir à nouveau dans une direction délicieusement saugrenue.

    Par François Cau
    Propos de James Wan recueillis par Alexandre Poncet
    Propos de Patrick Wilson recueillis par Cédric Delelée

  • Disney prévoit de filmer tous ses grands classiques

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    sans compter marion cotillard dans la reine des neiges :smile:

  • [DDL 4K] pourquoi pas de piste FR en 7.1 ?

    Déplacé
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    qu’est ce que je disais, merci ashura sans compter le bluray z1 avec des pistes fr plus que limite pour ne pas dire autre chose :x

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    Son nouveau film, Mad Fate, commence à peine la tournée des festivals internationaux que Soi Cheang planche déjà sur la postproduction du suivant, le prometteur Kowloon Walled City. C’est donc dans une certaine ébullition qu’il prend le temps de revenir sur sa carrière. Sa webcam le capte comme l’un de ses personnages : en contre-plongée, sous des néons semi-aveuglants, entre deux clopes et deux gorgées de café.

    Vous avez débuté votre carrière de réalisateur à une époque de transition après la rétrocession. Dans quelles conditions avez-vous découvert l’industrie cinématographique hongkongaise ?

    C’était clairement la fin d’un âge d’or. Il n’y avait pas de grosses productions, les films étaient en grande partie des versions revisitées de succès passés. Il y avait néanmoins des tentatives de renouveau dans le domaine du thriller, un genre qui avait le double avantage de ne pas coûter trop cher et d’avoir un public enthousiaste. J’ai d’abord tourné des films relevant plutôt du cinéma d’auteur, sans avoir de plan de carrière en tête. Après, j’ai grandi avec le cinéma de Hong Kong, les ressorts de son cinéma policier me sont familiers, c’est un genre qui me plaît. J’ai fini par me dire que j’en maîtriserais bien les codes.

    Au même moment, Johnnie To crée sa société de production, la Milkyway Image, et remue le polar hongkongais dans tous les sens. Que pensez vous de son apport en la matière, et comment s’est déroulée votre collaboration sur Accident et Motorway ?

    Johnnie To a abordé le genre sous une grande variété d’angles différents, de façon unique, souvent à contresens des modes de l’époque. Il ne pense pas qu’en termes commerciaux, il se sert du genre pour exprimer ses idées au public. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec lui, il a eu un grand impact sur ma Carrière.

    Sous l’aile de Johnnie To, vous assumez un élément crucial de votre filmographie, qui apparaît plus nettement à partir de Love Battlefield : cette gravité presque mélodramatique, une forme de romantisme de la fatalité.

    Un film reflète nécessairement l’état d’esprit de son auteur ou de son metteur en scène. Il m’est arrivé d’être autant perdu que les personnages, cela dépend des périodes. Pour ce qui est de la fatalité, je ne sais pas si je m’y reconnais, cela voudrait dire qu’il faudrait tout le temps recommencer ce qu’on fait de la même façon, sans alternative. Je préfère m’égarer en cherchant mon chemin que de reproduire le même trajet. C’est comme ça qu’Accident et Motorway ont été écrits et filmés.

    La première fois que votre nom est apparu sur les radars français, c’était en 2006 avec Dog Bite Dog. Comment expliquez-vous le retentissement de ce film en particulier ?

    Mon film précédent, Home Sweet Home, n’a pas marché. J’avais le poids de l’échec sur les épaules, mais Ça ne s’est pas traduit par du désespoir, plutôt par une forme de colère. Je me suis retrouvé sur ce projet coproduit avec le Japon, donc avec une pression commerciale moindre. Pendant toute la phase de préparation, je bouillonnais, et j’ai voulu conserver cet état d’esprit pour l’injecter dans le film. C’est ce qui a fait, je pense, qu’il ne ressemble pas à mes longs-métrages précédents.

    Dans les années 2010, vous avez tourné trois films Monkey [censored, des blockbusters coproduits entre la Chine et Hong Kong inspirés de La Pérégrination vers l’Ouest. Qu’avez-vous retiré de ces expériences ?]

    Je n’ai pas vraiment participé au développement ou à l’aspect créatif de ces films. Ils ont remporté un grand succès commercial, ce qui m’a aidé pour la suite de ma carrière.


    – Lau Cham (Lam Ka-Tung) harcèle inlassablement Wong To, responsable d’un accident qui à brisé sa famille

    Pendant et après ces trois réalisations, vous tournez SPL 2 et Limbo, les œuvres les plus violentes et intenses psychologiquement de votre filmographie. Ce durcissement est-il lui aussi une réaction à quelque chose ?

    Oui, il y a un lien de cause à effet. Il y a besoin d’un certain équilibre dans la production d’un film, et même si les Monkey [censored] m’ont beaucoup apporté professionnellement, je me reconnais bien plus dans SPL 2 et Limbo. Après ces trois blockbusters produits sur le continent, j’avais très envie de retravailler à Hong Kong sur un projet qui me parlerait à un niveau personnel.

    Limbo va encore plus loin que SPL 2 dans la noirceur, dans le désespoir. À tel point qu’on peut se demander s’il vous sera possible de repousser d’autres limites.

    (rires) Ce n’est pas un objectif en soi. Ce ton collait à l’histoire du film et je trouve qu’il y a quand même une touche d’espoir ; le but n’était pas d’enfoncer le spectateur dans les ténèbres totales. Pour ce film comme pour les autres et les suivants, encore une fois, tout dépend de mon état d’esprit.

    Limbo réussit également à surpasser Diamond Hill, Home Sweet Home ou Dog Bite Dog dans la représentation d’un univers urbain marginal, en déliquescence.

    Tous ces films documentent l’évolution de Hong Kong à travers mon regard de réalisateur. Dans les années 1980, les spectateurs retiraient de la ville l’image d’une cité dynamique, prospère, dont les habitants avaient une vie assez riche. Mais ce n’était qu’une façade ; la réalité était tout autre. Je suis sensible à la misère qu’on peut voir dans les rues, au désespoir, et il me semblait important d’apporter ce contrepoint, de montrer ce qui est généralement caché.

    Votre démarche rappelle certains polars hongkongais du début des années 1980, filmés à | l’arrache dans la citadelle de Kowloon, comme Long Arm of the Law de Johnny Mak.

    J’adore Long Arm of the Law, mais il adopte un point de vue beaucoup plus réaliste que Limbo, et son histoire de criminels continentaux clandestins reflète un authentique phénomène de cette période là. Limbo prend plus de libertés créatives par rapport à son contexte.


    – Will Ren (Mason Lee) un jeune flic chargé de retrouver un insaisissable tueur en série.

    La photographie de Cheng Siu-Keung est magnifique, et le noir et blanc lui donne une force supplémentaire. Quand et comment avez-vous fait ce choix ?

    Le tournage a pris un certain temps, et au moment de la postproduction, même si je n’avais pas de souci avec les couleurs ou la lumière, il me restait une insatisfaction, un manque. J’ai testé le passage au noir et blanc, ça amenait une fusion entre les personnages et les décors sans amoindrir la puissance du jeu des acteurs. Ce mélange est cohérent avec ce que je cherchais à exprimer. Je suis infiniment reconnaissant à la production et à la distribution d’avoir accepté de sortir cette version en noir et blanc, je trouve que le film y gagne vraiment.

    Comment avez-vous abordé la question de la violence infligée au personnage de Wong To, à l’écriture puis à la mise en scène ?

    Je me suis attaché à proposer un point de vue original sur ce personnage. Wong To a commis des erreurs, des crimes dont elle se sent coupable au point de vivre un véritable enfer. Elle cherche le pardon, mais le seul fait de le demander la plonge dans une autre sorte d’enfer, elle doit se confronter à ses actions sans savoir si elle obtiendra gain de cause auprès de celui à qui elle a fait du mal. Il fallait que je pousse le personnage au point limite de sa résistance ; je comprends que ça puisse susciter le débat.

    La sortie de Limbo en salles françaises est une excellente nouvelle, à une période où les productions de Hong Kong arrivent rarement jusqu’à nos frontières. Il y a en outre, chez de nombreux observateurs, une peur de voir cette industrie disparaître, avec de moins en moins de films produits et de plus en plus de contraintes de production. Ce constat vous paraît-il fondé ou trop pessimiste ?

    Le passé est le passé, on ne peut pas revenir en arrière. Les années 1970, 1980 et 1990 ont été des décennies exceptionnelles, surtout pour un territoire aussi restreint. C’est incroyable qu’un tel nombre de films ait pu être produit, et quoi qu’il arrive, ces œuvres vont rester. La question de l’avenir, toute l’industrie l’a en tête depuis quatre ou cinq ans. Une chose est sûre, il faut continuer, reprendre le flambeau et faire des films, ne pas se reposer sur des souvenirs et trouver de nouveaux paradigmes.

    – Propos recueillis par : François Cau.
    – Merci à Mathias Chouvier, Jean-François Gaye et Qin Lau.
    – Traduction : Liu Qing.
    – Mad Movies #373

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    J’en ai déjà pas mal causé ici & ici mais cette œuvre magistrale méritait bien plus encore pour en rajouter une couche avec une critique comme il se doit et une interview de Soi Cheang lui-même 🙂

    Alors que chaque nouvelle production hongkongaise un tant soit peu prestigieuse tend à confirmer l’effacement exponentiel des spécificités du cinéma de l’Archipel, son genre roi s’offre un baroud radical et glaçant.
    Limbo de Soi Cheang, polar à la splendeur apocalyptique quasi abstraite, marque l’accession tant attendue de son auteur aux cimes désespérées auxquelles il aspire depuis ses débuts.

    Sa fille morte et sa femme dans le coma, la mine déconfite et les nerfs en vrac, Cham Lau n’a clairement plus rien à perdre. Will Ren, à l’opposé, a tous les attributs de la jeune recrue ingénue, bien disposée à suivre les règles scrupuleusement avec, tout au plus, une rage de dents insistante pour noircir le tableau. Le premier est interprété par Gordon Lam, acteur discret mais redoutable, trésor caché du cinéma de genre hongkongais des 20 dernières années, capable de retourner le premier Infernal Affairs cul par-dessus tête dans sa conclusion. Le second est campé par Mason Lee, fils du réalisateur taïwanais Ang Lee, belle gueule diaphane avec encore tout à prouver. Leur association pour traquer un tueur en série japonais pourrait nous rejouer l’éternelle rengaine du duo de flics mal assortis, unissant leurs forces pour faire tomber le salopard. Le chemin emprunté par Soi Cheang et ses deux scénaristes (dont Au Kin-Yee, collaboratrice régulière de Johnnie To) sera beaucoup plus retors. Cham Lau et Will Ren vont cumuler les bévues, les improvisations malvenues, les sorties de route incontrôlées. Le premier passe une partie non négligeable de son temps à harceler Wong To, la junkie responsable de l’accident fatal de sa petite famille ; le second s’avère incapable de gérer son partenaire, d’appréhender les événements, quand il ne perd pas tout bonnement son arme de service. Et pendant ce temps, l’infâme Akira Yamada (Hiroyuki Ikeuchi) a tout loisir d’épancher ses penchants pour les amputations. L’introduction en flash-forward douche le moindre espoir d’une résolution dans les clous. Limbo contourne toutes les satisfactions libératrices liées au polar pour n’en retenir qu’une immense noirceur, épicentre de son vortex cinématographique.


    – Wong To (Yase Liu), broyée entre la vengeance d’un flic obsessionnel et la folie d’un tueur en série

    SIN CITY

    Sur le papier, Limbo se situe dans la droite lignée des films policiers à haute teneur dramatique suçant la roue du S.P.L. de Wilson Yip, comme The Crash ou The Insider de Dante Lam. Soi Cheang a d’ailleurs montré dès son Love Battlefield (2004) un certain penchant pour le mélo pur et dur, saisi avec force ralentis sur fond de musique élégiaque au beau milieu d’échanges de gnons ou de coups de feu. Cette appréhension personnelle du genre pouvait faire dévisser un projet artistiquement plus fragile comme Motorway ; elle colle ici parfaitement à une œuvre tout entière dévolue à filmer une ville au stade terminal de la déliquescence. Chaque plan se surcharge d’une infinité de câbles, de panneaux, de détritus, dans des compositions flirtant avec les descriptions des bas-fonds de mégapoles dont sont friands les grands classiques de la littérature cyberpunk. Saisissante dans ses variations de couleurs métalliques, la photographie de Cheng Siu-Keung, opérateur de tous les Johnnie To majeurs, gagne encore en ampleur dans la version noir et blanc que le distributeur Kinovista a le bon goût de sortir sur les écrans français. Les amateurs de cinéma hongkongais croient connaître la ville quasiment sous toutes ses coutures, quartier par quartier ; rien ne les prépare au choc de cette décomposition orchestrée avec un soin maniaque dans l’agencement du chaos. L’univers urbain de Limbo a des airs de purgatoire à ciel ouvert, où il ne paraît pas du tout incongru de trouver des cadavres ou des bouts de corps cachés sous des monticules de gravats, réminiscences d’une civilisation effondrée. Pour une respiration fugace dans une rue à peu près salubre, les personnages finissent invariablement par s’enfoncer dans des intérieurs délabrés et des souterrains où se terrent les survivants de multiples cataclysmes sociaux, politiques ou personnels. Hong Kong était une idée, un idéal, un laboratoire expérimental à cheval entre deux conceptions du monde, il n’en reste que des miettes. Plus le film avance, plus il nous enfonce dans cette décrépitude. Le dernier acte noie ce qui peut encore l’être sous des trombes d’eau, dans ce même déluge dont rêvait à haute voix le Travis Bickle de Taxi Driver. La musique de Keniji Kawai complète ce tableau visuellement monstrueux de notes funestes.


    – Un exemple de l’incroyable adéquation entre des décors dantesques et une photo monochromatique sidérante

    MARTYRS

    Dès lors, peu importe les à-coups déstabilisants d’un script piégeux, les impasses, les culs-de-sac ou même - offense d’ordinaire à peine pardonnable -cette irruption d’une photo de la mère du tueur censée expliquer son attitude. Les personnages ne tiennent qu’à une caractérisation archétypale, dont l’évolution est contrariée et malmenée par la toute-puissance sensorielle de leur descente aux enfers. Gordon Lam joue le flic torturé ultime et Hiroyuki Ikeuchi, après ses rôles dans le premier Ip Man et le Manhunt de John Woo, confirme son statut de salopard japonais préféré du cinéma hongkongais. Mais la performance la plus remarquable reste incontestablement celle de Liu Yase, dans un rôle périlleux de punchingball de l’antihéros puis de victime suppliciée par le tueur. L’intensité à fleur de peau de son incarnation, la précision de sa captation dans des cadres toujours plus complexes et évocateurs, jusqu’au déchaînement final, évitent soigneusement toute complaisance dans la représentation de ce puits de douleur sans fond. Toute la filmographie de Soi Cheang, dans ses multiples expérimentations, l’a mené vers cet accomplissement artistique d’une puissance d’autant plus sulfureuse au regard de son contexte. À compter de la rétrocession de 1997, la Chine devait laisser 50 ans de transition à Hong Kong pour intégrer le giron continental à son rythme. À mi-parcours, les répressions de contestations ou la gestion de la crise Covid trahissent une volonté de mise au pas à marche forcée, dont les conditions imposées à la production cinématographique locale se font inévitablement l’écho. Limbo est ce hurlement d’une société malmenée contre son gré, sans réelle échappatoire, mais qui ne se rendra pas sans se débattre de toutes ses forces. Même les allergiques à la lecture politique ne pourront s’empêcher d’être happés par ce tour de force phénoménal, à la lisière de l’horreur.

    - Interprétation : Gordon Lam, Mason Lee, Liu Yase…

    | Zhi chi. 2021. Hong Kong/Chine. Réalisation Soi Cheang. Sortie le 12 juillet 2023 (Kinovista).

    – Mad Movies #373

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    À l’occasion de la sortie sur Prime Vidéo de la relecture sérielle du Faux-semblants de David Cronenberg, voyons double et penchons-nous sur la figure des jumeaux. Mais plutôt que de revenir sur les films présents dans n’importe quel best of de la gémellité horrifique (du Faux-semblants précité à Basket Case en passant par le récent Goodnight Mommy), il nous a semblé plus opportun de nous attarder sur des titres plus méconnus ou pas assez célébrés. Mais attention aux spoilers !

    Honneur aux anciens, entamons ce voyage dans la gémellité horrifique du côté de la Hammer. Ultime chapitre de la trilogie Karnstein initiée avec The Vampire Lovers et La Soif du vampire, Les Sévices de Dracula (1971) – titre auquel on préférera l’original, Twins of Evil, vu que Dracula n’apparaît pas dans le film – met en scène deux sœurs jumelles bien plus vicieuses que les demoiselles de Rochefort.

    Habituées à une existence oisive dans la cité des Doges, Maria et Frieda, devenues orphelines, sont recueillies par leur oncle Gustav (Peter Cushing), un fanatique religieux qui brûle des jeunes filles suspectées de sorcellerie dans une petite ville autrichienne. Pas du tout disposée à vivre sous le joug d’un tonton puritain, Frieda plonge tête baissée dans la gueule du loup, à savoir celle de l’aristocrate libertin Karnstein, comte de son état. Elle ignore que celui-ci a scellé un pacte avec son ancêtre Carmilla, qui a fait de lui un nosferatu. Bien entendu, Frieda ne tarde pas à subir le même sort.

    Nanti d’une direction artistique qui en met plein la vue et d’une réalisation dynamique signée John Hough (La Maison des damnés), Twins of Evil vaut principalement pour son érotisme gothique (Coppola se souviendra des nuisettes transparentes dans son Dracula), avec en premier lieu la plastique de ses héroïnes incarnées par Mary et Madeleine Collinson, deux vraies jumelles venues de l’île de Malte dont le plus grand fait d’armes est d’avoir posé dans Playboy (aujourd’hui, on a droit à Marlène Schiappa…).

    Maria et Frieda ont beau être parfaitement identiques (ce qui sert de ressort dramatique à plusieurs reprises), elles sont d’un caractère très différent : là où Maria est sage, réservée et romantique (voir sa relation avec le jeune professeur joué par David Warbeck dix ans avant L’Au-delà), Frieda est rebelle, mystérieuse et impulsive, ce qui ne l’empêche pas d’adorer sa sœur et d’être torturée à l’idée que ses pulsions la poussent à la mordre.


    – Martin Potter et Judy Geeson dans Goodbye Gemini.

    D’un point de vue thématique, il s’agit là d’une des productions les plus riches de la Hammer : en effet, difficile de voir dans l’oncle et ses sbires le camp du Bien face à un comte certes décadent mais victime d’une malédiction familiale. Quant à Frieda, elle trouve une vraie liberté en rejoignant les rangs des vampires, au risque de mettre en danger la vie de Maria. Tout l’intérêt du film réside dans cette ambiguïté et dans ces trois personnages, bien plus que dans ceux de Maria et du professeur dont elle s’entiche, plus modérés et donc moins complexes.

    Également réalisé par un habitué de la Hammer (Alan Gibson, à qui l’on doit Dracula 73 et Dracula vit toujours à Londres), Goodbye Gemini (1970) va beaucoup plus loin dans l’aspect sexuel. Étudiants issus d’une famille très aisée, les jumeaux Jackie (Judy Geeson, L’Étrangleur de la place Rillington) et Julian (Martin Potter, Fellini Satyricon) débarquent à Londres et s’installent dans la maison où ils sont censés séjourner. Ou plutôt en prennent possession, puisqu’ils ont tôt fait de se débarrasser de leur propriétaire pour être tranquilles.

    On comprend très vite que sous leurs airs innocents, ni le frère ni la sœur ne sont très équilibrés. Jackie se promène partout avec un ours en peluche qui lui sert de confident et sa relation avec Julian dégage un fort parfum d’inceste, celui-ci ne lui cachant pas être sexuellement attiré par elle.

    En jouant les noctambules dans les clubs de la ville, ils font la connaissance de Clive (Alexis Kanner, le numéro 48 de la série Le Prisonnier), un mac criblé de dettes qui cherche à soutirer de l’argent aux jumeaux. Après l’avoir drogué, il emmène Julian dans un bordel et le prend en photo en train de se faire violer par deux travestis afin de le faire chanter. Mais on ne s’en prend pas impunément à des jumeaux psychopathes…


    – Daphne Zuniga dans Vœux sanglants.

    Goodbye Gemini prend pour toile de fond le Swinging London de la fin des sixties pour raconter une histoire d’amour méchamment tordue prenant place dans un milieu underground queer rarement décrit à l’époque. Cette modernité thématique se reflète dans une mise en scène stylisée riche en angles de caméra audacieux mis en valeur par la photographie du grand Geoffrey Unsworth (2001, l’odyssée de l’espace).

    Film étrange, plus suggestif que démonstratif – ce qui ne l’empêche pas de laisser une forte impression –, Goodbye Gemini est certes un peu daté mais reste un modèle de romantisme déviant.

    MEURTRES EN CASCADE

    Terrain de jeu idéal des twists improbables, le slasher s’empare avec délices de la figure des jumeaux. Dans Vœux sanglants (The Initiation, 1984), Kelly (Daphne Zuniga, La Mouche 2), amnésique depuis qu’elle a été blessée à la tête lorsqu’elle avait neuf ans, vient d’entrer à l’université et souffre de cauchemars récurrents où elle voit un homme brûler vif dans la maison de son enfance.

    Contre l’avis de ses parents, elle décide de se livrer à une expérience menée par un séduisant professeur (James Read, le pote de Patrick Swayze dans Nord et sud), laquelle est censée lui permettre de comprendre la signification de ce rêve. Entre deux séances, elle se prépare à effectuer avec quelques camarades un rituel d’initiation dans le but d’intégrer la sororité de sa fac. Ledit rituel consiste à pénétrer par effraction dans une sorte de Galeries Lafayette texan dont son père est propriétaire et à voler l’uniforme du veilleur de nuit.

    Pendant ce temps, à plusieurs kilomètres de là, l’infirmière en chef d’un asile est assassinée et des patients s’échappent. Ce n’est que le premier d’une série de meurtres dont le père et les amis de Kelly sont à leur tour victimes. À la fin de l’histoire, l’héroïne se retrouve face à l’auteur du massacre qui n’est autre que Terry, une sœur jumelle maléfique qu’elle n’a jamais connue puisqu’elle était enfermée dans l’asile.


    – Deborah Foreman dans Week-end de terreur.

    Seule qualité du film : il est littéralement impossible de voir venir ce twist sorti de nulle part puisque les raisons qui poussent Terry à dessouder tout le monde à l’aide d’un arsenal allant de l’outil de jardinage au harpon en passant par un arc sont assez nébuleuses. La scène où les sœurs se rencontrent enfin donne par ailleurs l’occasion à Daphne Zuniga de jouer la folie avec une étonnante économie de moyens : elle gesticule en écarquillant les yeux et en faisant des grimaces tout en s’esclaffant très fort. Effet comique garanti.

    Dans Week-end de terreur (April Fool’s Day, 1986), des étudiants sont invités à venir passer le spring break dans le manoir des parents de leur amie Muffy (Deborah Foreman, Waxwork) sur leur île privée. Mais l’affaire s’engage plutôt mal : à peine sont-ils arrivés qu’un des marins qui les accompagne lors de la traversée est grièvement blessé dans un accident.

    Une fois installés, ils sont victimes de quelques poissons d’avril imaginés par Muffy. Rien de bien méchant, jusqu’à ce que les invités commencent à être massacrés les uns après les autres et qu’on retrouve la tête de Muffy dans la cave. Comme dans Vœux sanglants, on apprend alors que Muffy a une jumelle prénommée Buffy (!) : échappée d’un asile, elle a tué tout le monde en se faisant passer pour sa sœur après avoir décapitée cette dernière.

    C’est du moins ce qu’on essaie de nous faire croire, puisque le film nous révèle que tout cela n’est qu’une énorme farce et la répétition générale d’une pièce de théâtre grand-guignol dont les participants ont été mis dans la confidence au fur et à mesure de leur prétendu trépas.

    Tous les codes du slasher étant respectés – voire carrément parodiés sans qu’on s’en rende compte –, la manipulation du spectateur est totale et fonctionne du tonnerre, soutenue par des « meurtres » bien sentis (mention à la victime pendue par les pieds qui se balance au bout d’une corde et ne peut échapper aux morsures d’un serpent) et le talent du réalisateur Fred Walton (Terreur sur la ligne) pour créer une atmosphère de plus en plus stressante, épaulé par un score au diapason signé Charles Bernstein.


    – Mark Soper dans Blood Rage.

    Passé complètement inaperçu en raison d’une sortie repoussée quatre ans durant alors que le slasher était en train de tourner de l’œil, Blood Rage de John Grissmer (1987) possède un point de départ stimulant : gamin, Terry a assassiné un adolescent et a laissé accuser son frère jumeau Todd, qui n’a pas supporté la pression et a sombré dans un état catatonique. Enfermé dans un asile depuis dix ans (c’est fou ce qu’il peut y avoir comme jumeaux dans ce genre d’établissements), ce dernier réussit à s’évader.

    Devenu entre-temps le fils chéri de leur maman (Louise Lasser, Mort sur le gril), Terry (Mark Soper, Côte ouest) y voit l’occasion rêvée pour recommencer à tuer puisque tout portera à croire que Todd (Mark Soper, Côte ouest, suivez un peu) est le coupable.

    Et il ne fait pas les choses à moitié, puisque Blood Rage aligne un bodycount impressionnant tandis que la mère des jumeaux perd peu à peu la raison. Sa relation avec Terry constitue d’ailleurs l’aspect le plus réussi du film, le jeune homme souffrant de toute évidence d’un sacré complexe d’Œdipe puisque voir sa maman avec des hommes (elle n’est ni très farouche ni très pudique) déclenche immanquablement chez lui des envies de meurtre.

    Il était déjà question de pulsions incestueuses et de gémellité dans Scalpel (False Face, 1977), le film précédent du réalisateur, où un chirurgien esthétique veuf et psychopathe (Robert Lansing, L’Empire des fourmis géantes) refait le visage d’une strip-teaseuse défigurée par son mac pour qu’elle ressemble à sa propre fille (Judith Chapman, Les Feux de l’amour). Celle-ci a en effet fui sa maison après que son père l’a surprise en train de faire l’amour avec son petit ami et a tué ce dernier.


    – Judith Chapman dans Scalpel.

    S’il n’est pas question ici de vraies sœurs jumelles, il n’empêche que le docteur enseigne à sa protégée tout ce qu’il peut pour qu’elle devienne la copie conforme de son enfant, non seulement dans le but de toucher une part de l’héritage destiné à la jeune femme, mais aussi de la mettre dans son lit pour enfin vivre son fantasme pervers.

    Son plan se déroule comme prévu jusqu’à ce que sa vraie fille refasse surface… Si Blood Rage reste plaisant à suivre, mais arrive un peu après la bataille et ne s’anime vraiment que lors des meurtres, Scalpel n’a rien à envier aux giallos de machination les plus tordus du bis italien ; il est donc fort regrettable que la carrière de John Grissmer se soit résumée à ces deux films et qu’il se soit tourné vers l’enseignement.

    Quant à Bo et Vincent, les jumeaux de La Maison de cire (House of Wax, 2005), ce sont des siamois qui ont été séparés à la naissance, l’opération laissant Vincent affreusement défiguré. Pourtant, le plus sadique des deux est Bo, qui a gardé une apparence normale et manipule son frère pour l’aider à remplir le musée qu’ils ont hérité de leur mère avec des cadavres de touristes plongés dans la cire. Dans la dernière scène, on comprend que les jumeaux étaient en fait des triplés. Premier film de l’honorable artisan Jaume Collet-Serra, La Maison de cire est aussi son meilleur.

    TWISTED SISTERS

    American Mary (2012) a beau ne pas être centré sur la gémellité, ce récit de body horror – qui ressemble à ce qu’aurait pu donner un épisode de Nip/Tuck réalisé par Clive Barker – mérite amplement sa place dans cette liste. En effet, l’étudiante en médecine héroïne du film (Katharine Isabelle, Ginger Snaps) pratique des opérations de chirurgie plastique illégales pour arriver à payer son loyer.


    – Brian Van Holt dans La Maison de cire (2005).

    Elle opère par exemple l’amie d’une strip-teaseuse qui a modifié son apparence pour ressembler à Betty Boop (avec un résultat assez terrifiant) et souhaite qu’on lui retire les seins, ses organes génitaux et qu’on lui couse l’utérus pour ressembler à une poupée Barbie.

    Parmi ses patients, on trouve également deux jumelles gothiques qui se promènent avec des cavités creusées dans la chair et des dents limées. Venues de Berlin, elles souhaitent qu’on les ampute du bras gauche afin d’être collées l’une à l’autre. Un double rôle qui a ceci de particulier d’être interprété par les réalisatrices du film, les sœurs Jen et Sylvia Soska, à qui l’on doit le récent Rage, remake du film de David Cronenberg.

    De son côté, Ryan Murphy semble avoir un faible pour les jumeaux, comme en attestent plusieurs saisons de la série American Horror Story. Dans la première, Murder House, ce sont deux frères, Troy et Brian, qui s’introduisent dans la maison maudite : assassinés par Infantata, le bébé mort-vivant qui occupe les lieux, ils deviennent des fantômes condamnés à errer dans la demeure et à faire peur à ceux qui la visitent ou s’y installent – un peu comme des versions masculines des jumelles Grady de Shining.

    À la fin de la saison, Connie Britton donne naissance à des jumeaux mais seul l’un des deux survit (et deviendra l’Antéchrist). Dans la saison 4, Freakshow, Dot et Bette (Sarah Paulson) sont des siamoises avec deux têtes et un seul corps kidnappées par le psychopathe Dandy, ravi d’avoir sous la main deux filles pour le prix d’une…


    – Lisa et Louise Burns se préparent pour une prise durant le tournage de Shining.

    DEAD OR ALIVE

    Dans la famille des jumeaux imaginaires mais pas complètement, La Part des ténèbres (The Dark Half, 1993) mérite mieux que sa réputation peu flatteuse.

    Thad Beaumont est un romancier qui ne connaît le succès que lorsqu’il écrit des romans d’horreur sous le pseudonyme de George Stark. Prisonnier de cet auteur imaginaire qui lui pèse, il décide de faire croire à sa mort, mais Stark se manifeste sous une forme physique identique à celle de Thad et assassine plusieurs personnes de son entourage.

    Suspecté des meurtres suite aux relevés d’empreintes effectués par la police, Thad apprend que Stark n’est pas qu’une invention puisqu’il s’agit de son frère jumeau parasite, mort lorsque sa mère a accouché et ressuscité par ses romans. Mais l’état de Stark se dégrade et le seul moyen pour lui de ne pas retourner au néant est de forcer Thad à écrive un livre le décrivant comme un être réel.

    Après une lutte à mort entre les jumeaux, Stark sera emporté par une nuée d’oiseaux psychopompes, des créatures issues de la mythologie qui viennent chercher les âmes de ceux dont l’existence défie l’ordre naturel.

    Sans être un sommet de l’œuvre de George Romero – et loin de valoir le roman de Stephen [censored] dont il est tiré –, le film bénéficie d’une ambiance parfois glaçante, de l’interprétation habitée de Timothy Hutton et d’une des musiques les plus incantatoires de Christopher Young.

    Un peu oublié dans la filmo de Brian De Palma car occulté par ses réussites ultérieures, Sœurs de sang (Sisters, 1972) reste pourtant difficile à surpasser dans le sous-genre qui nous occupe.


    – Timothy Hutton dans La Part des ténèbres.

    Jeune mannequin douce et séduisante, Danielle Breton (Margot Kidder) ramène chez elle un homme qu’elle poignarde après une nuit d’amour. Témoin de la scène depuis sa fenêtre, sa voisine journaliste avertit la police mais le corps reste introuvable.

    En menant son enquête, elle découvre que Danielle avait une sœur siamoise, Dominique, morte lors d’une opération de séparation qui a mal tourné. En faisant revivre sa jumelle, Danielle trouve le moyen de concentrer sa part d’ombre – sa défunte sœur, donc – et de l’exorciser en tuant, même si elle ne garde aucun souvenir du meurtre puisqu’elle ne pense pas l’avoir commis.

    Le récit ne dit jamais vraiment si l’héroïne souffre d’un trauma schizophrénique ou si Dominique est vraiment un être maléfique qui a infecté Danielle. C’est ce qui fait toute la force de ce thriller furieusement hitchcockien où le génie du cinéaste explose dans chaque scène impliquant Margot Kidder, la future Lois Lane livrant une performance inoubliable, à la fois émouvante et malsaine.

    La frénésie gothique de la musique de Bernard Herrmann achève de faire de Sœurs de sang une pièce maîtresse du genre, forte d’un twist qui peut paraître aujourd’hui très prévisible, mais qui produisit un effet tétanisant à l’époque.

    En 2006, Douglas Buck livrera avec Sisters une relecture finalement plus proche de la body horror chère à Cronenberg que du film de De Palma, pour un résultat moyennement convaincant en raison d’une mise en scène sans relief et d’un casting aux fraises.

    EVIL BRO

    Mais le film le plus mémorable ayant trait au côté obscur de la gémellité reste sans aucun doute L’Autre (The Other, 1972), sur lequel il convient de s’attarder quelque peu.

    Produit et adapté par l’auteur Tom Tryon de son propre roman et réalisé par Robert Mulligan (Du silence et des ombres), le film se passe dans l’Amérique rurale des années 1930 et s’intéresse à des frères jumeaux âgés de dix ans, Niles et Holland (Chris et Martin Udvarnoky), qui vivent dans une ferme du Connecticut.

    Depuis la mort de leur père dans un mystérieux accident, leur mère (Diana Muldaur, Star Trek : la nouvelle génération) a sombré dans la dépression et ne quitte plus sa chambre, tandis que leur grande sœur Torrie (Jenny Sullivan, V) est allée habiter un peu plus loin avec son mari (John Ritter).


    – Margot Kidder en double dans Sœurs de sang.

    Si leur oncle est venu prendre la direction de la ferme familiale, c’est de leur grand-mère Ada (Uta Hagen, Ces garçons qui venaient du Brésil) que les jumeaux sont les plus proches. En particulier Niles, à qui la vieille dame a enseigné un « jeu » qui, selon elle, est une tradition familiale. Celui-ci consiste à se concentrer pour faire un voyage astral dans le corps d’autres créatures vivantes.

    Interdits de séjour dans la cave où leur père a trouvé la mort, les jumeaux tentent pourtant d’aller y jouer, mais leur cousin Russell les surprend et menace de les dénoncer. Holland cache alors une fourche dans une botte de foin et Russell finit empalé sous les yeux horrifiés de Niles, qui n’ose pas trahir son frère. Mais Holland ne va pas s’arrêter en si bon chemin…

    Inondé par une atmosphère solaire de romantisme gothique que magnifie la photographie du grand Robert Surtees (qui retrouve ici le chatoiement pastoral de L’Arbre de vie), porté par un score à la fois bucolique et anxiogène de Jerry Goldsmith, L’Autre réussit l’exploit d’être à la fois un thriller psychologique asphyxiant et un film d’horreur pur et dur riche en symboles : l’animal dans lequel Niles projette son esprit est un corbeau et donc un charognard, le garçon se retrouve piégé parmi les freaks d’une fête foraine, le blason familial représente un oiseau de proie…

    Autant de signaux qui se doublent d’éléments issus du conte de fées : ainsi, il est question d’une bague maudite, Ada est montrée comme une bonne fée aveugle au Mal qu’elle a sous les yeux et la mère des jumeaux comme une princesse évanescente prisonnière d’un donjon.

    D’abord langoureux et rassurant, le rythme du film ne cesse de se resserrer et son découpage de s’assécher, jusqu’à créer une sensation d’urgence et de peur panique. Celle-ci culmine dans un twist que Mulligan révèle dans un mouvement de caméra presque sensuel, dont la volupté tranche avec le reste de la mise en scène, mais qui fait écho au seul autre moment du récit où le cinéaste joue sur l’élégance formelle, à savoir une séquence de vol astral dont le lyrisme donne le vertige.

    Au-delà de sa formidable réussite esthétique, L’Autre peut aussi se voir comme un film jumeau de Psychose et annonce à bien des égards La Malédiction. Productrice du film, la Fox confiera d’ailleurs la musique du chef-d’œuvre satanique de Richard Donner à Goldsmith. Mais le rapport entre l’enfance et le Mal reste beaucoup plus subtil dans L’Autre, grâce à une approche plus psychanalytique que purement fantastique.


    – Chris Udvarnoky, l’un des deux jumeaux du troublant L’Autre.

    Le film doit aussi forcément beaucoup à Tom Tryon. Ancien acteur, celui-ci n’a jamais caché son goût pour les marginaux et a fait son coming-out après un mariage raté, à une époque où la pratique n’était pas vue d’un très bon œil à Hollywood. Il continuera de signer des romans d’épouvante dont les thématiques en disent long sur la personnalité torturée du bonhomme.

    Il est d’ailleurs permis de voir dans le voyage astral effectué par Niles une métaphore du travail d’acteur effectué par Tryon avant qu’il ne s’oriente vers l’écriture, et de deviner les angoisses que ce refoulement provoquait chez lui.

    Professeur d’art dramatique de Tryon, Sanford Meisner lui enseigna d’ailleurs une méthode consistant à sortir de soi-même en utilisant son imagination. Exactement comme Niles qui, guidé par Ada, projette son énergie dans quelqu’un d’autre. Ce qui lui permet en réalité de plonger en lui-même et de trouver des choses enfouies qu’il ne peut atteindre lorsqu’il est « éveillé », et donc conscient de son propre corps.

    Le danger réside alors dans le fait de mélanger sa personnalité avec celle de son hôte, au risque de perdre son identité alors qu’elle est à peine forgée – l’absence du père n’aidant pas le jeune garçon à « devenir un homme ». À ce titre, L’Autre est autant un film sur le deuil que sur la gémellité ou la schizophrénie.

    On loue d’ailleurs plus souvent la sensibilité de Mulligan que ses qualités de metteur en scène, alors que c’était un cinéaste admirable. Il suffit de voir avec quelle aisance il parvient à ne jamais inclure Niles et Holland dans le même plan tout en donnant l’impression qu’ils sont toujours filmés ensemble – un véritable tour de magie opéré par la grâce d’un montage à la fluidité invisible mais bluffante.

    L’Autre est un cauchemar minéral obsédant qui éclipse la plupart des films d’épouvante et donne l’impression de voir du Stephen [censored] adapté par le Vincente Minnelli de Celui par qui le scandale arrive, à ceci près que l’époque où se déroule le film (la Grande Dépression) ne semble avoir nulle prise sur les événements, comme si la ferme des jumeaux se situait dans une forme de dimension parallèle. Une impression tenace, qui rend L’Autre à la fois insaisissable et envoûtant, séducteur et maléfique. Voilà un film qui possède le charme du Diable.

    FAUX-SEMBLANTS LA SÉRIE

    Nouvelle adaptation du roman ayant inspiré le chef-d’œuvre de David Cronenberg, cette série produite par Prime Vidéo et chapeautée par Alice Birch (The Wonder) choisit le gender swap pour livrer un propos féministe axé sur la maternité, là où le film était basé sur l’autodestruction des jumeaux Elliot et Beverly Mantle et leur exploration du corps des femmes.

    Les frères deviennent donc des sœurs gynécologues qui cherchent à faire avancer la science dans le domaine de l’accouchement et de la ménopause, et qui concluent un pacte avec une milliardaire cupide pour ouvrir leur labo. L’une de leurs idées les plus intéressantes est de retirer des tissus de l’utérus de jeunes femmes pour ensuite leur regreffer à l’âge de 40 ans, afin qu’elles puissent enfanter sans problème et retrouver une libido de lolita. Malheureusement, cet aspect n’est jamais développé, pas plus que d’autres pistes narratives qui disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues.

    Le récit, où tous les hommes sont soit des lâches, soit des faibles, soit des porcs, préfère se concentrer sur la relation entre Beverly, introvertie, douce et studieuse, et Elliot, toxico, vulgaire, rebelle et un brin nympho. Comme chez Cronenberg, une actrice vient se mettre entre les jumelles et mettre en péril leur existence fusionnelle.

    Confiée à Sean The Nest Durkin (également producteur) ou encore Karyn Jennifer’s Body Kusama, la mise en scène ne décolle jamais et patauge dans des tunnels de dialogues censés choquer le bourgeois, tandis que Rachel Weisz surjoue Elliot et sous-joue Beverly avec une absence de nuances assez sidérante.

    Mieux vaut donc se replonger dans l’atmosphère funèbre et asphyxiante du Cronenberg et revoir la fabuleuse interprétation de Jeremy Irons plutôt que s’infliger cette nouvelle version mécanique et désincarnée, qui donne l’impression qu’Alex Garland et Yorgos Lanthimos ont accouché d’un prématuré conçu un soir de cuite.

    –Par Cédric Delelée.
    – Merci à Maeva Corbel.
    – Mad Movies #372

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    Merci !!