[Critique] Suzume : face à l'amer
-
Avec son nouveau film-phénomène (plus de 10 millions de spectateurs au Japon), Makoto Shinkai continue de travailler une matière thématique et artistique toujours plus vibrante, qui ne se plie qu’en apparence aux obligations liées à son statut récemment acquis de géant de l’animation japonaise.
Si le nom de Makoto Shinkai est aujourd’hui quasiment devenu une marque, à l’instar de celui de Hayao Miyazaki, il demeure fascinant de songer au parcours atypique du réalisateur, autodidacte ayant développé dans ses sublimes courts (Voices of a Distant Star) et moyens-métrages (5 centimètres par seconde, The Garden of Words) des motifs originaux et personnels où se mêlaient considérations métaphysiques et romantisme à fleur de peau. Mais ses débuts dans le domaine du long le verront tenter de se fondre dans la masse commerciale de l’animation nippone, avec des œuvres (La Tour au-delà des nuages, Voyage vers Agartha) plus formatées où son idiosyncrasie avait tendance à se diluer.
Et c’est finalement en laissant s’épanouir ses thématiques dans le cadre d’un film d’animation grand public qu’il explosera à la face du monde : en 2016, Your Name fracasse le box-office japonais et rapporte pas loin de 400 millions de dollars à travers le monde. La magie Shinkai a enfin contaminé la planète. Mais en guise de magie, son film suivant, Les Enfants du temps (2019), déroulera derrière son faste visuel, un récit étonnamment sombre. Le cinéaste y avouait à demi-mot la fin de ses illusions face aux problématiques environnementales et encourageait son public à vivre le plus intensément possible tant qu’il en avait encore la possibilité. Forcément, on se demandait dans quel état d’esprit Shinkaï allait aborder son nouveau long-métrage, annoncé en décembre 2021.
RÉENCHANTÉ
Suzume, 17 ans, vit avec sa tante sur l’île de Kyüshü, au sud-ouest du Japon. Sa rencontre avec un énigmatique jeune homme, Shôta, va la lancer dans un périple à travers le pays à la recherche de portes par lesquelles une entité essaye d’envahir notre réalité, causant à chaque tentative des tremblements de terre plus ou moins dévastateurs…
La vision de Suzume pose immédiatement une troublante question : Makoto Shinkai ne serait-il pas en train de faire et refaire le même film depuis Your Name ? Des personnages adolescents, des catastrophes naturelles, une quête de sens dans un Japon qui semble constamment au bord d’une irrémédiable destruction…
Mais en fait de formule, c’est bien une pure obsession d’auteur qui traverse ces trois longs métrages qui, chacun à sa façon, proposent au public japonais de s’échapper le temps d’un film de pur divertissement. pour mieux se confronter à ses peurs les plus refoulées. Car le sujet des catastrophes naturelles travaille forcément les habitants d’un pays situé à la jonction de quatre plaques tectoniques et où se concentre 1/5e des tremblements de terre d’une magnitude supérieure à 6 détectés dans le monde… Du séisme du Kantô en 1923 à celui de Tôhoku en 2011, l’Histoire de l’Archipel est intimement et fatalement liée aux pulsions telluriques de la planète… tout comme l’œuvre de Makoto Shinkai, donc.
Mais si Your Name et Les Enfants du temps empruntaient des tangentes pour aborder le sujet douloureux du séisme du 11 mars 2011, Suzume, lui, le fait de façon bien plus frontale. Paradoxalement, le poids mortifère qu’aurait pu conférer cette franchise narrative à l’entreprise ne se fait jamais sentir. À l’inverse des Enfants du temps, qui n’hésitait pas à dresser un portait désenchanté de la jeunesse japonaise et de ses perspectives d’avenir, le film mêle rythme exalté et humour constant pour mieux faire passer l’amertume de sa pilule, sans pour autant négliger une certaine forme de subversion des clichés de l’animation nippone grand public. C’est ainsi que le héros masculin, archétype du beau gosse ténébreux à mèche rebelle, est rapidement transformé en une irrésistible chaise d’enfant à trois pieds.
De même, un adorable chat — qu’on dirait pensé pour vendre de la peluche par paquebots entiers — se révèle être l’agent du chaos qui menace le pays. Sans aller jusqu’à faire de Shinkaï une sorte de révolutionnaire undercover des marronniers de la japanime, sa réflexion autour des réflexes mercantiles de l’industrie insuffle un indispensable supplément d’âme à ce qui aurait pu n’être qu’un « blockbuster à message ».
– Daijin, un être surnaturel aux immenses pouvoirs aux airs de… mignon petit chatHYPER-EXPRESSIONISME
Au sein de ce projet déjà passionnant en soi, Shinkaïi revisite l’un des thèmes les plus personnels et les plus fascinants de sa filmographie : la communication par-delà l’espace et le temps.
(ATTENTION SPOILERS) Si la « boucle narrative » qu’achève de former le climax émotionnel de Suzume n’est pas nouvelle en soi - il est aisé d’y voir un écho évident à Interstellar, qui piochait lui-même allègrement dans Voices of a Distant Star -, elle apporte une variation pleine de sens dans le cadre du « Shinkai-verse ». Là où le réalisateur mettait auparavant en contact deux personnages distincts à travers des mécanismes science-fictionnels détournés en purs dispositifs romantiques et spleenesques, il s’aventure cette fois en territoire purement spirituel tout en montrant un personnage entrer en contact avec… lui-même. Une manière pour Shinkai d’encourager son pays et ses concitoyens à conserver la mémoire de son propre passé tout en lui chuchotant à l’oreille de garder un peu d’espoir pour son futur (FIN DES SPOILERS).Car Suzume, authentique road movie plus jubilatoire que contemplatif, dispense un vibrant attachement aux lieux et aux habitants que traverse et rencontre son héroïne, à mesure que celle-ci remonte vers le nord-est et son ancien foyer détruit par le séisme du 11 mars 2021… Et ici plus que jamais, la virtuosité esthétique et kinétique de Shinkaïi se fond avec le propos, d’autant que sa caméra virevoltante, ses jeux de lumière et sa gestion de la profondeur de champ sont cette fois transcendés par un cadre rendu encore plus cinégénique grâce à l’emploi d’un Cinémascope triomphant.
La maîtrise du cinéaste est désormais telle qu’il en arrive à convoquer un éblouissant paradoxe artistique : sa recherche d’un idéal d’hyperréalisme animé débouche sur un quasi-expressionnisme où la conjonction de toutes les techniques à sa disposition (animation, lumière, mise en scène, musique…) cristallise une recherche forcenée des émotions les plus pures et intenses. Suzume pourrait donc bien être l’acmé du style Shinkaïi. Et si ce n’est pas le cas, eh bien, on peine à mesurer la déflagration sensorielle que pourrait constituer son prochain film…
– Par Laurent Duroche
– Mad Movies # 370 -
Pas du tout ma came, mais apparemment ça plais pas mal
-
-
Suzume : notre coeur tremble pour le film d’animation de Makoto Shinkai
Ce printemps signe le retour de Makoto Shinkai dans les salles obscures. Après Your Name ou encore Les Enfants du Temps, le réalisateur s’est imposé comme un incontournable dans le cœur des amateurs d’animation japonaise. Dire que son prochain long métrage est attendu de pied ferme par les aficionados est un euphémisme. Au Japon, Suzume est le troisième film le plus rentable de 2022. Mieux encore ? Il bat tous les records et se positionne comme le 14ème film le plus fructueux de tous les temps au Japon.
Ainsi, après une sortie plébiscitée dans les salles obscures japonaises, il était temps que le road-trip survitaminé de Suzume et Sota débarque dans les cinémas français. Le rendez-vous est fixé aujourd’hui, mercredi 12 avril 2023. En attendant, vous pouvez découvrir notre avis sur cette nouvelle pépite signée Makoto Shinkai.
Comme bien d’autres réalisateurs, Makoto Shinkai a ses thèmes de prédilection. Ainsi, Suzume ne va pas surprendre les amateurs du travail du cinéaste. On retrouve un soupçon de fantastique, beaucoup de spiritualité ou encore la menace de catastrophes naturelles qui vont éradiquer le Japon de la carte du monde.
Néanmoins, Makoto Shinkai apporte un léger vent de fraîcheur avec Suzume. Contrairement à ses dernières œuvres, le côté fantastique du long métrage est totalement assumé dès les premières minutes.
Sur sa petite île de l’archipel nippon, Suzume croise la route de Sota, qui est à la recherche de ruines. Lorsqu’elle se décide de le suivre dans les montagnes, le jeune fille tombe sur une étrange porte au milieu d’anciens thermes.
Curieuse, elle ouvre la porte et découvre un monde magique qu’elle a déjà vu dans ses rêves. Essayant de s’y rendre, en vain, elle finit par abandonner. Mais l’ouverture de cette étrange porte n’est pas sans conséquences. D’autres portes mystiques s’ouvrent de part et d’autre du Japon. Pour le bien de l’humanité, il va falloir toutes les fermer avec l’aide de Sota.
Pour réparer sa bêtise, Suzume embarque dans un drôle de roadtrip à la poursuite d’un chat aussi mignon que maléfique avec un Sota transformé en chaise sous le bras. Si vous vouliez du fantastique, vous allez être servi.
Outre le fantastique, les catastrophes naturelles (et leurs enjeux) sont au cœur de Suzume. Eh oui, les terrifiants vers géants qui s’échappent des portes magiques sont la cause des séismes que subit constamment le Japon. Ils sont retenus par deux pierres de voûte, jusqu’à ce qu’elles disparaissent. Les problèmes commencent…
Il est évident que Makoto Shinkai s’est largement basé sur une légende japonaise, comme il avait déjà pu le faire dans ses précédents métrages. Ainsi, dans la mythologie nippone, le namazu est un énorme poisson-chat (ou dragon) qui serait à l’origine des tremblements de terre. Il est habituellement contenu par le dieu Takemikazuchi, sauf quand ce dernier relâche son attention.
Le film est notamment marqué par les multiples séismes qui secouent régulièrement le Japon, notamment celui survenu en mars 2011 sur la côte Pacifique du Tōhoku au Japon. Plus d’une décennie depuis cet événement, l’archipel est loin d’avoir oublié cette catastrophe et Suzume en est une énième preuve.
Là encore, le poids du monde repose sur les épaules d’adolescents. En l’occurrence, Suzume et Sota. Toutefois, le scénario de Suzume est plus dense que Les Enfants du Temps. Loin d’être creux, le long métrage a (beaucoup) des choses à dire et on ne s’ennuie pas une seule seconde pendant les deux heures du film.
Outre la dimension surnaturelle de Suzume, le film nous propose un roadtrip énergique à travers le Japon. Depuis l’île où vit Suzume avec sa tante jusqu’à Tōhoku en passant par Tokyo, l’adolescente et sa chaise qui parle vont vivre un voyage inoubliable et mouvementé. Sur la route, ils vont rencontrer de multiples personnes. Comme des porte-bonheurs au milieu de chaos. Et finalement, c’est peut-être l’intérêt majeur du long métrage.
Makoto Shinkai peuple Suzume de personnages plus attachants les uns que les autres. Parmi eux, nous rencontrons Chika, une jeune fille qui se lie d’amitié avec Suzume, Rumi et ses enfants qui prennent la jeune fille sous leurs ailes ou encore Serizawa, un ami de Sotu qui s’inquiète pour lui sous son air de cool kid. Ces alliés d’un temps permettront de renforcer notre attachement aux personnages principaux. Tout en apportant une dose de légèreté bien agréable.
Comme on ne change pas une équipe qui gagne, c’est (encore une fois) Masayoshi Tanaka qui travaille sur le design des personnages de Suzume et on ne va pas s’en plaindre
Mais Suzume ne rencontre pas que des personnes vivantes au cours de son périple. En effet, le deuil est au coeur du long métrage. Les portes qu’elle doit refermer sont toujours situées dans des endroits abandonnés. Ainsi, pour pouvoir réussir son devoir, il faut entendre les voix de ceux qui sont passés par là. Ce roadtrip étrange est l’occasion pour l’adolescente de faire le deuil de ces personnes qu’elle n’a jamais connues, mais aussi de sa mère et, finalement, de la petite fille qu’elle était autrefois. De quoi nous émouvoir plus que de raison.
Comme à son habitude, Makoto Shinkai nous en met plein la vue et plein les oreilles. Difficile de ne pas admirer la qualité de l’animation de Suzume. Selon certains plans du long métrage, on en vient presque à douter : est-ce réellement un film d’animation ? Ainsi, visuellement, le réalisateur ne nous déçoit pas. En même temps, on en attendait pas moins de lui.
Le cinéaste a, par ailleurs, appris de ses erreurs. Si la bande-son des Enfants du Temps était très (trop) similaire à celle de Your Name, Suzume s’offre une partition plus personnelle. Bien que le groupe Radwimps soit toujours au rendez-vous, la bande-son, le compositeur Kazuma Jinnouchi est également de la partie. Voilà une bonne idée.
Source: https://www.presse-citron.net/avis-critique-suzume-makoto-shinkai/
-
ah un petit côté sailor moon avec le poti chat ça pourrait me plaire vivement !