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    Quand un salon devient l’épicentre d’une fabuleuse odyssée temporelle

    Un plan pour tous, tous les plans pour un. C’est l’histoire d’un voyage unique à travers le temps — on voit même des dinosaures! L’histoire de familles dont les peines, les joies et les moments de doutes se font écho à travers les générations.

    Maudits soient les films. Coutumier des expérimentations visuelles dans les œuvres les plus récentes de sa filmographie, Robert Zemeckis en dévoile un grossissement dramaturgique audacieux et ludique avec Here, adapté de la bande dessinée Ici de Richard McGuire. Lequel est rythmé par un dispositif à cases qui capte plusieurs instants de vie, sur différentes époques de l’Histoire, avec différents personnages, depuis le point de vue d’un seul et même angle, et dont hérite ici la mise en scène de ce film. D’une route menant à un manoir en passant par un salon aménagé maintes et maintes fois jusqu’ une forêt ravagée par le feu de l’ère jurassique„. Mais c’est par petites touches numériques que le film va se révéler davantage, imbriquant des cases les unes sur les autres pour mieux faire transparaitre l’hybridité de cette véritable machine à explorer le temps, telle une captation en direct par effet du filmage. Un live des Beatles à la télévision peut alors rencontrer une période plus ancienne, un dégât des eaux présage la perte des eaux dune mère prête à accueillir son nouveau-né, et un fauteuil convertible révolutionnaire va occuper le même espace qu’un canapé en coin.

    La multiplication par l’effet d’unicité, un rapport aux images et à leurs croisements synonymes d’exploration, où la simple faculté de regarder ne cantonne plus le spectateur à son seul rôle d’observateur, mais le pousse à devenir acteur de son propre regard. Une case apparaît et une autre peut autant se suspendre sur ou en dessous delle, greffant la bande dessinée et le cinéma par d’étonnants effets de relief et, surtout, de miroitements entre les différentes situations, époques et histoires. Le film devient de plus en plus proliférant par la substance multiple accordée par la mise en scène, et parvient sans difficulté à raconter à la fois une histoire du temps, mais aussi une histoire de famille gangrénée par la malchance et l’abandon d’ambitions personnelles et familiales. Plus bouleversant encore, le film distille à mesure qu’il avance une esthétique de l’oubli, où la maladie d’Alzheimer qui frappe le personnage joué par Robin Wright croise des images témoins et référentes d’une autre époque, notamment un rocher sur le coin inférieur droit qui fait référence à une période préhistorique. Une fabrique de trajets allers-retours des images qui bouleverse, aussi par l’importance accordée à des références à une période ou même à un simple repère dans le cadre.

    L’exploration temporelle n’est alors qu’une vaste exploration esthétique, où même la question du déplacement des personnages ou des objets au sein même de cet angle de prise de vue porte avec elle son lot d’occurrences et la raison d’un flux ininterrompu. L’exemple parfait est celui du canapé. Dans toutes les époques, tous les personnages sont, à un moment donné, assis et allongés sur un support. Et cette assise du temps sur l’image, de l’angle unique sur la mise en scène, vient puiser sa transformation et l’émotion de son histoire en ce fameux point de passage, propre à tout flux d’images: le canapé, donc.

    Le fauteuil amovible inventeur plein aux as devient le fauteuil placé en face de la télé. Le fauteuil devient aussi canapé, qu’il faut à tout prix changer, car témoin temps passé. Celui-ci aurait pu être le rocher sur lequel les premiers hommes ont pu s’accoupler, ou le coussin d’une calèche où l’on parle d’ambitions politiques. Le canapé devient classy et moderne, possiblement divisible en plusieurs fauteuils par ailleurs. Avant que deux canapés bien blancs et bien propres ne soient placés l’un face à l’autre, dans l’époque la plus proche de la nôtre. Le canapé est convertissable, il est aussi le lieu de consignes d’un père afro-américain à son fils pour bien se comporter face à un policier en cas de contrôle, le lieu de la première relation sexuelle du couple principal du film…

    Ce sont aussi deux chaises simples et mornes, placés au cœur pièce vidée de toute substance, théâtre du départ et de l’arrivée de cette exploration visuelle, et qui vont donner vie au tout dernier mouvement du film: autant au sens propre que figuré, puisque la caméra, à son tour, cherchera à remplir le vide de l’existence par quelques larmes placées sur les joues du souvenir d’un visage bercé par le bonheur. Encore une fois, l’idée de remplir cet a priori du vide par une multitude de sens amovibles en tout temps, comme lorsqu’on monte un puzzle, reproduit son regard sur une toile peinte, montre une première imagerie à un enfant. Ou tout simplement lorsqu’on est permis, un tant soit peu, de se souvenir.

    – Source : https://www.chaosreign.fr/here-les-plus-belles-annees-de-notre-vie-critique-film-robert-zemeckis-quand-un-salon-devient-lepicentre-dune-fabuleuse-odyssee-temporelle/

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    En effet @Psyckofox J’ai bien kiffé aussi ^^

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    Et juste avant de mater TRAP, j’avais revu SIGNS 🙂

    Cette nuit je mate BORDELANDS (2024)

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    @Violence a dit dans [Critique] Mad Fate & City Of Darkness (Soi Cheang) :

    Maté hier soir en vosten.

    Pas mal ce Mad Fate 😉

    Rematé en vostfr. J’aimes toujours autant 😉

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    Idem! un film sympa mais sans plus.
    Je n’ai pas été surpris.
    Je ne veux pas dire que je devinais ce qui allais se passer, c’est juste que les événements ne me surprenaient pas.
    Je deviens peut-être trop blasé…

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    J’ai enfin pris le temps de le voir.
    Assez sympa ce Immaculée.
    J’ai trouvé Sydney Sweeney magistrale.

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    Enfin pris le temps de voir cet excellent Sleep pendant les vacances…

    Au top… putain cet acteur était vraiment génial… RIP

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    Je l’ai enfin vu ce Vincent doit mourir et je reste assez partagé car le film est assez inégal mais il y a de super trouvailles dedans : le film est malaisant par son contexte, l’idée avec Sultan est super, de très belles scènes comme celle de l’autoroute et du combat en fosse sceptique, une belle romance (la scène avec les menottes dans le bateau est très drôle)

    Mention spéciale pour Vimala Pons (qui était déjà super dans Les garçons sauvages de Mandico) que j’ai trouvée encore une fois, très bien dans ce film.

    Pour contre balancer cela, pas mal d’erreurs liés à un premier long comme le manque de rythme, certaisn cadrage ou un manque d’explications scénaristiques (quoi que personne n’a hurlé que Romero n’avais donné aucune (ou très peu) d’explications formelles à sa Nuit des morts vivants…).

    Il y a du bon et du moins bon, c’est pas un film de folie, loin de là, mais l’essai est à souligner vu le contexte du paysage du cinéma français actuel.

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    je suis d’accord… .

    Une bombe comme tout ce qu’à fait Jérémie

    Et l’interview intéressante de Jérémie :

    https://planete-warez.net/topic/4719/interview-jérémie-perrin-mars-express

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    Je suis bien d’accord avec tout ce qui est dit, sauf que, pour ce qui est du montage final, les 10 longues et poussives dernières minutes gâchent, en partie, les 2 heures qui les précèdent. J’espère qu’il y aura une sorte de fin alternative possible dans sa sortie vidéo.

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    X marquait non seulement le retour tant espéré de Ti West au grand écran (Voir interview ici), mais aussi le point de départ d’une trilogie de fortune, construite sur le fil, et qui pourrait bien se révéler comme la grande œuvre du cinéaste. Malheureusement privé de sortie salle chez nous, le volet central de ce triptyque, Pearl, débarque en Blu-ray le 16 août. Cette « origin story » de la principale antagoniste de X réussit le pari d’être un grand et beau film sur la folie tout en créant de vertigineux échos qui font encore grandir l’aura de son prédécesseur…

    X n’était pas seulement un cadeau aux gourmets de l’horreur de par ses qualités intrinsèques ; le film de Ti West contenait également une surprise de taille : l’annonce d’une préquelle, tournée presque immédiatement après le premier long-métrage, dans les mêmes décors. Un pari fou – notamment motivé par l’éventuelle perspective d’une aggravation de la pandémie qui bloquait à l’époque la plupart des tournages – rendu possible par les largesses de la firme A24 et sa foi en la vision du cinéaste et de sa comédienne Mia Goth, cette fois co-autrice et productrice.

    C’est en effet en discutant longuement de la backstory de la « méchante » de X, interprétée par Goth sous un épais maquillage en parallèle de son incarnation de la jeune Maxine, que le duo réalise tenir assez de matière pour une autre histoire.

    DÉESSE GOTH Dans la ferme familiale texane, la jeune Pearl se morfond d’ennui. Son mari est parti faire la guerre en Europe, son père est dans un état végétatif après avoir contracté la grippe espagnole qui fait alors rage et sa mère lui impose de multiples corvées avec une discipline de fer. Mais Pearl, elle, ne rêve que d’une chose : devenir danseuse pour le grand écran et mener la vie de rêve des stars qu’elle admire en cachette au cinéma lorsqu’elle parvient à faire une escapade dans la petite ville voisine. Peu à peu, le contraste impitoyable entre ses aspirations et la triste réalité de son existence fait ressortir ses pulsions les plus enfouies…

    Ce seul résumé suffit à comprendre que Pearl est un film très différent de X. Du moins dans ses articulations dramatiques et son appartenance à un genre – l’étude de caractère là où son prédécesseur tenait du slasher réflexif.

    Car ce qui unit les deux œuvres, au-delà de leur coexistence dans un même univers, est bien le style de Ti West. Croyant profondément au pouvoir de la narration comme moteur intrinsèque des mécanismes horrifiques, le réalisateur de The House of the Devil fait ici à nouveau merveille en explorant avec une minutie virtuose les racines psychologiques de son héroïne, véritable baril de poudre dont on voit quasiment à l’œil nu les lattes se disjoindre pour laisser s’échapper une matière particulièrement dangereuse et volatile.

    Le vortex hypnotique de cette glissade incontrôlée vers la folie est bien sûr Mia Goth : la subtilité de sa prestation dans X laisse place ici à une démonstration de force virevoltante et tapageuse. Une performance constamment sur le fil du rasoir, suscitant simultanément fascination, répulsion et empathie pour un personnage qui se révèlera, le temps d’un hallucinant monologue final, d’une touchante lucidité sur sa propre aliénation.

    Les deux films que le cinéaste a demandé de visionner à son actrice et co-autrice avant le tournage sont d’ailleurs révélateurs : Le Magicien d’Oz (Victor Fleming, 1939) et Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (Robert Aldrich, 1962), soit le pinacle de la magie hollywoodienne période Âge d’Or et le summum du psychodrame meurtrier voué aux turpitudes du star system. Le point de raccord entre ces deux références débouche sur un équilibre tonal prodigieux entre la naïveté enfantine et la folie vénéneuse, que Goth incarne pleinement.


    – Pearl (Mia Goth) se rêve star de cinéma devant les animaux de la ferme… la fourche à la main.

    CADRES SUPÉRIEURS

    Il fallait à West ériger un écrin cinématographique à la hauteur du tour de force que livre sa comédienne. Après avoir hésité à tourner le film en noir et blanc, le réalisateur opte pour une approche disneyienne dotée d’une palette vibrante rappelant les fastes du glorieux Technicolor d’antan. Un choix absolument payant, tant la performance bigger than life de Mia Goth et l’intensité des illusions de son personnage appelaient un traitement hyperbolique et profondément sensoriel, assez éloigné du look de X, plus évocateur des roughies américains des seventies.

    Mais ces différentes matières visuelles ne s’opposent pas. Elles construisent une mythologie de l’image qui leur est propre, comme en témoignent les plans d’ouverture respectifs des deux films : à chaque fois, la caméra est située à l’intérieur de la grange et s’avance à travers la porte de cette dernière pour révéler la maison principale.

    Mais dans X, le cadre est ainsi conçu qu’il donne l’impression d’observer un format 4/3, annonciateur des images que tourneront les personnages, pornographes amateurs de leur état. Dans Pearl, la composition de ce plan inaugural impose immédiatement le format CinémaScope. Et la distinction entre le pouvoir d’évocation de ces deux formats nourrira finalement toute la matière dramatique des films.

    Pourtant, West ne se contentera pas de rester sagement à l’intérieur des périmètres que semblent dicter ses choix stylistiques : si Pearl se lance dans des embardées dansantes typiques des musicals hollywoodiens d’antan, il culmine aussi dans un montage horrifique jouant avec des effets de miroir dignes des expérimentations des années 1970, qui construit un pont souterrain entre les deux longs-métrages (tout comme le fait une scène de repas morbide qui cligne à nouveau de l’œil à Massacre à la tronçonneuse).


    – Le Magicien d’Oz de Victor Fleming faisait partie des deux films que Ti West a demandé à son actrice et co-autrice de visionner avant le tournage.

    FOR ADULTS ONLY

    Ainsi, si Pearl peut absolument se voir indépendamment de X, l’éclairage apporté par cette exploration des racines de la folie meurtrière de la vieille dame du premier opus confère à ce dernier une dimension tout à fait nouvelle, voire inédite dans le genre slasher, puisque chaque meurtre devient le résultat d’une tragédie intime, le triste et grotesque point d’orgue d’une vie faite de rêves inaccessibles et d’une dérive vers l’insanité sexuelle et homicide.

    Les résonances entre les deux films vont d’ailleurs au-delà de personnages et lieux similaires : une séquence en apparence anodine de Pearl montre comment l’héroïne découvre, grâce à un séduisant projectionniste (David Corenswet, tout juste choisi pour incarner le futur Superman de James Gunn), l’un des premiers films pornographiques jamais tournés (les images, authentiques, sont issues de A Free Ride, datant selon les historiens de 1915 ou 1923).

    West introduit ici une autre correspondance forte entre ses deux longs-métrages, où le cinéma X devient le symbole d’une libération des mœurs traditionnellement étouffées par la frustration née de la rigueur religieuse des patelins reculés d’Amérique, mais aussi la promesse d’un cadre de vie plus exotique, plus vivant…

    Une symétrie qui rend encore plus excitante la perspective du dernier volet de la trilogie, MaXXXine, embardée dans le Los Angeles interlope des années 1980 illustrant le destin de l’héroïne de X.

    Il y a fort à parier que le contenu thématique de ce nouvel opus, actuellement en postproduction, devrait faire office de mise en abyme passionnante – une radiographie de la désillusion de la libération des mœurs ? – en apportant un point final à la splendide épopée que constitue ce « triptyX » qui compte d’ores et déjà parmi ce que le cinéma d’horreur américain des années 2020 a produit de plus passionnant.

    – Par Laurent Duroche.
    – MadMovies #373

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    Je l’ai récupéré on verra ce que ca donne

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    J’en ai déjà pas mal causé ici & ici mais cette œuvre magistrale méritait bien plus encore pour en rajouter une couche avec une critique comme il se doit et une interview de Soi Cheang lui-même 🙂

    Alors que chaque nouvelle production hongkongaise un tant soit peu prestigieuse tend à confirmer l’effacement exponentiel des spécificités du cinéma de l’Archipel, son genre roi s’offre un baroud radical et glaçant.
    Limbo de Soi Cheang, polar à la splendeur apocalyptique quasi abstraite, marque l’accession tant attendue de son auteur aux cimes désespérées auxquelles il aspire depuis ses débuts.

    Sa fille morte et sa femme dans le coma, la mine déconfite et les nerfs en vrac, Cham Lau n’a clairement plus rien à perdre. Will Ren, à l’opposé, a tous les attributs de la jeune recrue ingénue, bien disposée à suivre les règles scrupuleusement avec, tout au plus, une rage de dents insistante pour noircir le tableau. Le premier est interprété par Gordon Lam, acteur discret mais redoutable, trésor caché du cinéma de genre hongkongais des 20 dernières années, capable de retourner le premier Infernal Affairs cul par-dessus tête dans sa conclusion. Le second est campé par Mason Lee, fils du réalisateur taïwanais Ang Lee, belle gueule diaphane avec encore tout à prouver. Leur association pour traquer un tueur en série japonais pourrait nous rejouer l’éternelle rengaine du duo de flics mal assortis, unissant leurs forces pour faire tomber le salopard. Le chemin emprunté par Soi Cheang et ses deux scénaristes (dont Au Kin-Yee, collaboratrice régulière de Johnnie To) sera beaucoup plus retors. Cham Lau et Will Ren vont cumuler les bévues, les improvisations malvenues, les sorties de route incontrôlées. Le premier passe une partie non négligeable de son temps à harceler Wong To, la junkie responsable de l’accident fatal de sa petite famille ; le second s’avère incapable de gérer son partenaire, d’appréhender les événements, quand il ne perd pas tout bonnement son arme de service. Et pendant ce temps, l’infâme Akira Yamada (Hiroyuki Ikeuchi) a tout loisir d’épancher ses penchants pour les amputations. L’introduction en flash-forward douche le moindre espoir d’une résolution dans les clous. Limbo contourne toutes les satisfactions libératrices liées au polar pour n’en retenir qu’une immense noirceur, épicentre de son vortex cinématographique.


    – Wong To (Yase Liu), broyée entre la vengeance d’un flic obsessionnel et la folie d’un tueur en série

    SIN CITY

    Sur le papier, Limbo se situe dans la droite lignée des films policiers à haute teneur dramatique suçant la roue du S.P.L. de Wilson Yip, comme The Crash ou The Insider de Dante Lam. Soi Cheang a d’ailleurs montré dès son Love Battlefield (2004) un certain penchant pour le mélo pur et dur, saisi avec force ralentis sur fond de musique élégiaque au beau milieu d’échanges de gnons ou de coups de feu. Cette appréhension personnelle du genre pouvait faire dévisser un projet artistiquement plus fragile comme Motorway ; elle colle ici parfaitement à une œuvre tout entière dévolue à filmer une ville au stade terminal de la déliquescence. Chaque plan se surcharge d’une infinité de câbles, de panneaux, de détritus, dans des compositions flirtant avec les descriptions des bas-fonds de mégapoles dont sont friands les grands classiques de la littérature cyberpunk. Saisissante dans ses variations de couleurs métalliques, la photographie de Cheng Siu-Keung, opérateur de tous les Johnnie To majeurs, gagne encore en ampleur dans la version noir et blanc que le distributeur Kinovista a le bon goût de sortir sur les écrans français. Les amateurs de cinéma hongkongais croient connaître la ville quasiment sous toutes ses coutures, quartier par quartier ; rien ne les prépare au choc de cette décomposition orchestrée avec un soin maniaque dans l’agencement du chaos. L’univers urbain de Limbo a des airs de purgatoire à ciel ouvert, où il ne paraît pas du tout incongru de trouver des cadavres ou des bouts de corps cachés sous des monticules de gravats, réminiscences d’une civilisation effondrée. Pour une respiration fugace dans une rue à peu près salubre, les personnages finissent invariablement par s’enfoncer dans des intérieurs délabrés et des souterrains où se terrent les survivants de multiples cataclysmes sociaux, politiques ou personnels. Hong Kong était une idée, un idéal, un laboratoire expérimental à cheval entre deux conceptions du monde, il n’en reste que des miettes. Plus le film avance, plus il nous enfonce dans cette décrépitude. Le dernier acte noie ce qui peut encore l’être sous des trombes d’eau, dans ce même déluge dont rêvait à haute voix le Travis Bickle de Taxi Driver. La musique de Keniji Kawai complète ce tableau visuellement monstrueux de notes funestes.


    – Un exemple de l’incroyable adéquation entre des décors dantesques et une photo monochromatique sidérante

    MARTYRS

    Dès lors, peu importe les à-coups déstabilisants d’un script piégeux, les impasses, les culs-de-sac ou même - offense d’ordinaire à peine pardonnable -cette irruption d’une photo de la mère du tueur censée expliquer son attitude. Les personnages ne tiennent qu’à une caractérisation archétypale, dont l’évolution est contrariée et malmenée par la toute-puissance sensorielle de leur descente aux enfers. Gordon Lam joue le flic torturé ultime et Hiroyuki Ikeuchi, après ses rôles dans le premier Ip Man et le Manhunt de John Woo, confirme son statut de salopard japonais préféré du cinéma hongkongais. Mais la performance la plus remarquable reste incontestablement celle de Liu Yase, dans un rôle périlleux de punchingball de l’antihéros puis de victime suppliciée par le tueur. L’intensité à fleur de peau de son incarnation, la précision de sa captation dans des cadres toujours plus complexes et évocateurs, jusqu’au déchaînement final, évitent soigneusement toute complaisance dans la représentation de ce puits de douleur sans fond. Toute la filmographie de Soi Cheang, dans ses multiples expérimentations, l’a mené vers cet accomplissement artistique d’une puissance d’autant plus sulfureuse au regard de son contexte. À compter de la rétrocession de 1997, la Chine devait laisser 50 ans de transition à Hong Kong pour intégrer le giron continental à son rythme. À mi-parcours, les répressions de contestations ou la gestion de la crise Covid trahissent une volonté de mise au pas à marche forcée, dont les conditions imposées à la production cinématographique locale se font inévitablement l’écho. Limbo est ce hurlement d’une société malmenée contre son gré, sans réelle échappatoire, mais qui ne se rendra pas sans se débattre de toutes ses forces. Même les allergiques à la lecture politique ne pourront s’empêcher d’être happés par ce tour de force phénoménal, à la lisière de l’horreur.

    - Interprétation : Gordon Lam, Mason Lee, Liu Yase…

    | Zhi chi. 2021. Hong Kong/Chine. Réalisation Soi Cheang. Sortie le 12 juillet 2023 (Kinovista).

    – Mad Movies #373

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    Le tout petit film bricolé au fin fond des bois par Sam Raimi il y a plus de 40 ans a accouché d’une saga qui excite toujours autant les fans d’horreur. Le nouveau-né Evil Dead Rise cristallise les mutations d’une désormais franchise qui a traversé les modes bille en tête. Alors, groovy ou non ?

    Au Festival de Sitges 1982, un petit film d’horreur fauché tourné entre potes fait sensation. Son titre : Evil Dead. À l’époque, le long-métrage n’a été projeté qu’à trois reprises : en avant-première mondiale discrète dans une salle du Michigan le 15 octobre 1981, au Marché du Film de Cannes en mai 1982 et au Festival du Film Fantastique d’Édimbourg en août 1982. Le début du début de la légende.

    Sam Raimi et son producteur/pote Rob Tapert sont donc présents en Espagne, en mode humble et rigolard, pour présenter leur petite péloche tournée en total « hémoglobinorama ». Et fantasment déjà sur la suite qu’ils rêvent de donner à leur Evil Dead. Sans vraiment se rendre compte que leur film va devenir le point d’orgue de l’Âge d’Or « goresque » des années 1980 (Re-Animator, Braindead, tout ça). Ni imaginer que leur petit film bricolé mutera en une simili-franchise qui fera encore fantasmer les horror fans presque 50 ans plus tard…

    Toujours plus DEAD

    Entre 1992, l’année de L’Armée des ténèbres, et le remake de 2013, 21 ans s’écoulent. Deux décennies où Sam Raimi est partit « spider-maniser » sa carrière tout en surveillant du coin de l’œil son bébé qui continue de (sur)vivre. Notamment à travers une adaptation en comédie musicale, des jeux vidéo, des comics et autres jeux de société. Et des projets fous qui restent lettre morte.

    La New Line annonce ainsi en 2004 un crossover intitulé Freddy vs. Jason vs. Ash. Soit une partouze de tronçonneuse, de griffes et de machette. Mais Raimi n’est pas très chaud (le projet prendra finalement la forme d’une courte série de comics parue en 2007). En 2012, Evil Dead a même droit à sa parodie porno, Evil Head, avec baise en boucle dans la cabane et gros câlin avec un arbre possédé.


    – Ellie (Alyssa Sutherland), maman devenue deadite suite à la découverte d’un livre maudit.

    Remake

    L’année suivante, Fede Alvarez remet la pendule (celle dont les aiguilles tournent à toute vitesse dans le film original) à l’heure avec un remake produit par Sam Raimi, Rob Tapert et Bruce Campbell. Evil Dead version XXIe siècle est plutôt bien accueilli pour sa radicalité sanglante et son ambiance très premier degré (pas d’humour slapstick à l’horizon). De quoi ravir les nouveaux venus, mais laisser quelque peu de côté certains fans restés bloqués sur leur vision nostalgique de la saga.

    Deadites en série

    En 2015, Raimi décide de reprendre cette dernière en main avec les trois saisons de la série made in Starz Ash vs Evil Dead dont il réalise le pilote, histoire de montrer que malgré son passage (sa trahison, diront certains) du côté des blockbusters, il n’a rien perdu de son côté sale gosse.

    Anges et deadites

    Dix ans plus tard (aujourd’hui, donc) entre en scène un nouvel opus qui aura mis un bon bout de temps à prendre forme. Evil Dead Rise est annoncé durant le Comic-Con 2019 pour une sortie programmée directement sur HBO Max en été 2022. Mais la Warner n’ayant cessé de changer de politique – et de direction – suite à la pandémie, le long-métrage est finalement calé pour une sortie mondiale – en salles de chez salles, avec des fauteuils, un grand écran et tout et tout – en avril 2023. À raison, les fantasticophiles sont méfiants et aux aguets. Car ils en ont subi, des suites et des remakes pourris de films fantastiques cultes des années 1970-80 (La Malédiction, Fog, Carrie, Poltergeist… la liste est longue !).

    Et voilà qu’un trailer bien méchant, mis en ligne début janvier, met le feu aux poudres. Pour éviter la redite, ce cinquième Evil Dead s’éloigne de la cabane dans les bois pour aller faire un petit tour à Los Angeles. Où une certaine Beth se pointe chez sa sœur aînée Ellie qui, mère célibataire, gère comme elle le peut ses trois mômes dans son appartement pourrave. Suite à un tremblement de terre qui a ébranlé les fondations de l’immeuble, les deux frangines découvrent au sous-sol un vieux livre poussiéreux qui va transformer Ellie en suppôt de Satan. Beth va devoir s’improviser mère-courage de substitution pour protéger ses nièces et son neveu de leur génitrice devenue démone sadique, hystérique et accro à l’arrachage de peau.

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    – Possession en pleine nature avant le déplacement de l’intrigue en milieu urbain.

    Lee Cronin, qui a pris de la bouteille quatre ans après son très bof The Hole in the Ground, assure derrière la caméra : il reste techniquement fidèle à la charte Evil Dead (les cadrages tordus) tout en assombrissant l’ambiance avec une photo maladive et blafarde (dans la lignée de celle de L’Exorciste) et en rendant des hommages divers. À Evil Dead 2, forcément (la séquence de l’œil), mais aussi à l’ascenseur sanglant de Shining.

    Et le sang, justement, coule à flots. Notamment via l’utilisation enthousiaste d’armes blanches et d’ustensiles de cuisine (cf. la séquence de la râpe à fromage, ustensile déjà employé à mauvais escient dans le méchant Farm House de George Bessudo), et une séquence finale ultra gore versant dans un grand-guignol plus contemporain. Reste que depuis la démocratisation de l’horreur graphiquement explicite (notamment à la télévision avec The Walking Dead), l’impact sur le spectateur n’est clairement plus aussi intense qu’à l’époque du premier Evil Dead, qui avait essuyé les plâtres avec ses déversements de sang non coagulé.

    Ce RISE sur le gâteau

    Mais ne boudons pas notre plaisir : Cronin signe un film parfaitement dosé entre l’hommage sincère, la réinterprétation maligne et le gore outrancier, et parvient à trouver un équilibre convaincant entre les deux extrêmes de la franchise (l’attitude rigolarde des Raimi et le sérieux imperturbable du Alvarez). Signe des temps, la saga se pare même d’un brin de postmodernisme en incluant dans son univers des caractérisations de personnages et des influences visuelles (une séquence en particulier lorgne du côté de Junji Itô) dans l’air du temps, là où ses précédentes itérations avaient plutôt tendance à fonctionner en vase clos.

    L’avenir dira si cette ouverture sur le monde est le signe d’un renouvellement ou du début de la fin. Mais ce qu’on attend avant tout d’un Evil Dead, c’est d’être un film d’horreur qui en jette. Et ce Rise en est un. Merci à lui.

    – Par Christophe Lemaire
    – Mad Movies #370

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    ah un petit côté sailor moon avec le poti chat ça pourrait me plaire vivement !

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    @Violence hâte de le voir j('ai juste mater quelques passages vite fait

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    @Violence arrête de me le rappeler :bye_cry:

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    Que l’on aime ou non la trilogie de Green, celle-ci affiche une vision politisée devenue bien trop rare dans le cinéma d’horreur…

    Quatre années se sont écoulées depuis le second massacre de Haddonfield, au terme duquel Michael Myers s’est évanoui sans laisser la moindre trace. Ayant fait le deuil de sa fille Karen, Laurie Strode a abandonné les armes et tourné le dos à la peur. Elle s’est acheté un nouveau pavillon où elle subvient aux besoins de sa petite fille Allyson, devenue infirmière dans la clinique locale. Un jour, Laurie croise le chemin de Cory, un jeune mécanicien soupçonné d’avoir commis un crime atroce à l’adolescence et harcelé depuis par les habitants de la ville. S’interposant avant qu’il ne soit lynché par un groupe de jeunes, Laurie décide de présenter Cory à Allyson…

    Si Michael Myers brille par son absence dans ce synopsis, le fameux tueur au masque de William Shatner n’en projette pas moins son ombre sur l’ensemble du long-métrage. Myers se répand dans la dramaturgie tel un poison invisible, contaminant par la peur et la paranoïa une ville qui n’a jamais pu refermer le chapitre le plus lugubre de son Histoire. Ironiquement, le trauma de Laurie Strode s’est lui aussi propagé tel un virus à travers la population de Haddonfield, qui associe désormais l’agresseur et sa victime et ne leur réserve qu’une montagne de haine.

    Un protagoniste idéal

    Outre sa volonté d’inverser les codes de la saga (le baby-sitter serait-il cette fois-ci coupable ?), le prologue de Halloween Ends laisse entrevoir d’autres possibilités créatives. Un peu comme si le premier opus de Carpenter et le troisième signé Tommy Lee Wallace avaient engendré un avorton hybride, à la fois parfaitement intégré à la ligne narrative globale et suffisamment décalé pour réserver son lot de surprises.


    Allyson (Andi Matichak), la petite-fille de Laurie Strode (Jamie Lee Curtis), et l’énigmatique Corey (Rohan Campbell).

    Interprété par un Rohan Campbell Rohan Campbell magnétique, dont les traits renvoient à Michael Rooker et Willem Dafoe du temps de leur jeunesse, Cory captive immédiatement par son ambiguïté et sa vulnérabilité, des traits de caractère que David Gordon Green et ses trois coscénaristes (Danny McBride, Chris Bernier et Paul Brad Logan) additionnent aux traumas et aux repères fragiles d’Allyson.

    Dans leurs interactions, mais aussi dans les quelques échanges entre Jamie Lee Curtis et Will Patton, on reconnaît le naturalisme de Joe et Stronger (une autre quête post-traumatique), tandis que d’autres séquences s’inscrivent dans une esthétique plus hollywoodienne, déjà explorée dans Que le meilleur gagne et Délire express.

    Ruptures de ton

    Comme le laissait entendre la série Red Oaks, qui mettait à égalité Aliens, le retour et la Nouvelle Vague, David Gordon Green s’épanouit avant tout dans le mélange des genres et les juxtapositions tonales. Halloween Ends le démontre avec plus ou moins de bonheur, le cinéaste poussant parfois ses curseurs jusqu’au point de rupture. Tout en s’efforçant de dresser un portrait crédible de Haddonfield, commenté par une voix off à la limite du film d’auteur archétypal, Green accumule les jump scare presque cartoonesques, par exemple lorsque Rohan Campbell apparaît soudainement dans le dos de Jamie Lee Curtis en plan large, choc sonore à l’appui.

    L’inévitable jeu des références est lui aussi bicéphale. On a droit d’une part à des citations directes de John Carpenter : des extraits de The Thing constellent l’ouverture, une séquence dans une casse automobile emprunte quelques cadres et éclairages à Christine, et les fameux plans fixes sur des intérieurs vides qui concluaient le Halloween de 1978 sont repris ici, cette fois-ci de jour. Dans le même temps, on sent une volonté de s’aventurer sur des terrains moins confortables que ceux du slasher lambda, Green lorgnant discrètement sur des classiques tels que Henry, portrait d’un serial killer ou La Balade sauvage.

    Cette pluralité tonale n’est pas surprenante pour un film écrit à huit mains, mais elle n’annule en aucun cas la richesse thématique de l’œuvre. Et si la personnalité potache de Danny McBride peut se reconnaître dans une poignée de séquences (le meurtre du médecin et de son assistante, au hasard), ou dans des idées horrifiques teintées d’un humour extrêmement noir (cf. la langue sur le tourne-disque), Halloween Ends prête rarement à rire.


    Les habitants de Haddonfield subissent à nouveau les assauts sauvages de The Shape…

    Divisant par deux le bodycount de l’épisode précédent (qui atteignait tout de même les 30 mises à mort, un record probable dans le genre), le film cristallise la mélancolie et les frustrations de l’Amérique actuelle et justifie d’autant plus la scène de lynchage tant décriée du second opus.

    Comme évoqué dans l’interview de Jamie Lee Curtis, la trilogie révèle avec ce dernier chapitre un commentaire politique assez complexe, qui amène Green à questionner le rapport de ses concitoyens aux armes, à l’autodéfense, à la justice et plus généralement à l’autre. Personne n’est ici réellement innocent ; en dépit de bonnes intentions, c’est après tout Laurie qui déclenche de nouveau la mécanique du Mal en tendant un couteau à cran d’arrêt à une victime d’agression.

    Attention SPOILERS

    Brouillant en permanence la moralité de ses protagonistes, Halloween Ends fait de Michael Myers un catalyseur dont l’aura suffit à éveiller les plus vils instincts d’une communauté qui pourrait, en d’autres circonstances, couler des jours paisibles. Métaphoriquement, Green et ses coauteurs semblent rapprocher cet être sans visage d’un dictateur déchu dont l’influence continue de s’étendre grâce à la brutalité de ses actes passés.

    La procession finale, terriblement malaisante, appuie cette idée, la désintégration du corps rappelant la volonté du gouvernement américain de faire disparaître la dépouille d’Oussama Ben Laden. Cette « libération sans victoire » convoque clairement les fantômes d’une nation qui, suite au 11 septembre, n’a jamais vraiment su se reconstruire, et permet d’accepter un climax volontairement anti-spectaculaire. On conseillera à quiconque en ressortirait frustré de revisiter Halloween, 20 ans après de Steve Miner, un slasher autrement plus direct, ludique et codifié, mais qui avait moins de choses à dire sur son époque…

    Par Alexandre Poncet

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    Le précieux auteur de The Innkeepers, Ti West revient à sa méthode singulière : faire mine de broder un exercice de style pour mieux nous livrer à des vertiges insoupçonnés, ici portés par des images qui flirtent avec l’impensable.

    Voilà un retour aussi désiré qu’inespéré. Depuis 2016 et In a Valley of Violence, cet étrange western où les pistoleros s’épuisaient à jacasser au lieu de tirer, on n’avait plus guère de nouvelles de l’excellent Ti West. Seuls les maniaques des génériques télévisuels savaient qu’il n’avait pourtant pas chômé, enchaînant la réalisation d’épisodes pour diverses séries.

    Toujours est-il que les fans d’horreur ont été aux anges en apprenant que le bougre avait signé un nouveau long-métrage intitulé X, et que l’excitation a viré au délire quand les échos les plus flatteurs ont commencé à circuler à son propos. Disons-le tout net, le résultat comble les espoirs qu’il avait suscités. Néanmoins, il le fait d’une manière plutôt retorse.

    À vrai dire, la vision de X est typique d’une expérience que tous les cinéphiles ont vécue. Le cœur battant, vous vous apprêtez à découvrir une œuvre très attendue (ou bien un incunable dont vous aviez longtemps rêvé), persuadé d’être d’emblée terrassé par des images inouïes. Sauf que, même si ce n’est pas la douche froide, la première impression est mitigée : OK, le film est cool, mais il n’a pas l’air inoubliable. Patience, cependant. Peu à peu émergent une atmosphère lancinante qui va crescendo, des thématiques malsaines qui laissent pantois, des rebondissements sidérants qui ne sont pas ceux que vous aviez imaginés, si bien que vous commencez à comprendre pourquoi la chose était tant vantée.

    Et terrassé, vous l’êtes à la fin de la projection – peut-être encore plus dans les heures qui suivent, quand le film se met à sérieusement vous hanter.


    Maxine (Mia Goth), une jeune actrice porno prête à tout pour devenir célèbre.

    Lente glissade

    Tel est le voyage que X offre au spectateur, et on peut parier que West avait prévu son coup tellement il embraye avec des oripeaux vintage seventies et des clins d’œil appuyés au séminal Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper.

    Alors que les quatre chiffres « 1979 » s’étalent en grand sur l’écran, une camionnette quitte les faubourgs de Houston avec six jeunes gens à son bord. Direction un coin de campagne reculée du Texas où les citadins ont loué un charmant cottage à un vieillard colérique, lequel habite le corps de ferme attenant avec sa fantomatique épouse, prénommée Pearl…

    L’originalité est que le sextuor est en fait composé de strip-teaseuses, de queutards et d’aspirants-cinéastes qui comptent tourner là, à l’insu des deux vioques, un porno qu’ils espèrent lucratif. Les prises de vues débutent illico, et la pellicule impressionnée est montrée via des images en 16 mm et au format 4/3 intercalées dans des scènes se déroulant en coulisse ou dans la maison des ancêtres.

    Animé par des correspondances visuelles, ce long montage parallèle a évidemment un côté insolent et ludique, opposant les ébats fougueux des jeunes et la vie figée des vieux. Mais de manière plus profonde, la collision des deux salles-deux ambiances fomente les noces du sexe et de l’effroi, qui semblent s’enrouler lentement l’un sur l’autre.

    On retrouve alors la patte de West, dont les meilleurs films (The House of the Devil, The Innkeepers) devraient être enseignés dans les écoles pour expliquer la différence entre un simple exercice de style et une œuvre minimaliste qui ouvre pourtant des perspectives vertigineuses.


    Des strip-teaseuses, des queutards et des aspirants-cinéastes composent un original sextuor de proies.

    X est de la même eau, et son atmosphère sans pareille est résumée dans une scène en apparence gratuite. La jeune actrice Maxine se baigne dans un étang où, sans s’en rendre compte, elle est suivie par un alligator qui glisse doucement sur l’onde et manque de la croquer. Bien sûr, le saurien, qu’on avait un peu oublié, ressurgira plus tard lors d’une séquence cruciale. Cependant, sa première apparition installe la sensation d’une menace avançant inexorablement.

    Cela trouve un écho dans le caractère immobile d’une nature écrasée de chaleur et dans la démarche forcément hésitante des fermiers, qui ont l’air d’être quasi centenaires. Mais la montée progressive de la tension affecte aussi les protagonistes, que West dépeint avec son talent coutumier. C’est là que l’idée du film dans le film dépasse le stade du gadget « méta ». Le personnage du réalisateur est un passionné voulant tourner « un bon porno », et une certaine discussion fait une référence explicite à Psychose, redoublée ensuite par l’image d’une auto immergée dans les eaux noires d’un marigot.

    Eh bien, d’une certaine manière, X va être effectivement contaminé par Psychose. Non pas que West refasse le coup de Hitchcock, qui avait tué le personnage principal présumé en cours de route : il n’en opère pas moins un basculement retentissant, quand l’élan libidinal du tournage déclenche une subite précipitation des enjeux dramatiques.

    La timide preneuse de son déclare son envie de baiser devant la caméra, le pornographe ne l’entend pas de cette oreille et, surtout, les deux vioques se révèlent comme des êtres bien plus complexes que les réacs bondieusards dont ils avaient les atours. Cette mutation inopinée des caractères lance le signal d’un dernier acte en forme de bain de sang qu’on dirait frénétique s’il ne reconduisait le style de ce qui précède.

    Les protagonistes étant éparpillés aux quatre coins de la ferme, les montages parallèles font à nouveau autorité, et cette fois, leurs raccords expérimentaux tressent ensemble des scènes dérangeantes jusqu’à nous mener sur les rivages de la folie, là où règnent des images impensables situées à deux doigts de la nécrophilie.


    Le vieux Howard (Stephen Ure) fait face à Wayne (Martin Henderson), producteur du film peu catholique tourné à son insu.

    Double trouble

    En cela, X décolle de l’horreur texane pour s’aventurer sur les terres du bis italien, qui est parfois cité littéralement : la chambre de Pearl, pleine d’antiques étoffes et de poupées, évoque Mario Bava ; tel meurtre lorgne à l’évidence vers la célèbre énucléation de L’Enfer des zombies de Lucio Fulci.

    Mais il y a autre chose, qui nous taraudait depuis le début du film. Ce truc indéfinissable dans l’apparence physique de Pearl. Le générique de fin dévoile le pot aux roses : la fascinante Mia Goth, interprète de Maxine, a aussi tenu le rôle de la mamie au look de momie, ayant dû pour cela subir des heures et des heures de maquillage. Mais cela ne fait qu’attester ce que nous sentions confusément, à savoir que la jeune et la vieille sont des doubles l’une de l’autre, par-delà les décennies.

    Grâce à cela, Ti West transcende vraiment ses habiles références pour nous plonger dans des zones diablement troubles dont il a le secret… et dont on n’a pas entendu le dernier mot. En effet, il a été révélé que le cachottier a profité du tournage de X pour mettre en boîte une préquelle intitulée Pearl où Mia Goth incarne la jeunesse du personnage, sans maquillage cette fois. Et il travaille actuellement sur une conclusion à la trilogie, appelée MaXXXine.

    C’est peu de dire que nous sommes impatients de voir ces deux derniers volets, de même qu’il nous tarde de savoir ce que le cinéaste livrera ensuite, s’il reste fidèle au grand écran. Pour l’amour du ciel, Ti, ne retourne pas aux séries.

    Par Gilles Esposito

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    Déjà dispo dans les bonnes crèmeries 😉