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    Venu du théâtre, passé par la réalisation de courts-métrages pratiquant déjà le mélange des genres avec hardiesse, Stéphan Castang déboule dans le paysage cinématographique à la force de ses poings bagués. Il s’autorise une pause dans son marathon festivalier et promotionnel pour défendre son premier long, sourire en coin et café en intraveineuse.

    Trois films français coup sur coup, Acide, Le Règne animal et donc Vincent doit mourir, ont une scène clé avec un déchaînement de violence pendant un embouteillage. Comment l’expliquez vous ?

    Je n’ai pas vu le film de Just Philippot, mais ça m’a frappé quand j’ai vu Le Règne animal. Le long de Thomas Cailley m’a surpris au-delà de ça, parce que je trouvais qu’il y avait beaucoup de cousinages entre nos approches. Lui, c’est Pierre Bachelet (la chanson Elle est d’ailleurs a son importance dans le scénario du Règne animal - NDR), moi, c’est Dave (idem pour Vanina dans Vincent… — NDR) - chacun ses névroses…… (rires) Pour revenir à l’embouteillage, c’est une figure de style, le type de scènes que l’on voit souvent dans un cinéma plutôt anglo-saxon, et je pense qu’il y a une envie de s’y coller, de voir comment on peut s’en emparer. Je crois que ce qu’il y a de commun aux trois films, c’est le chemin entre la vie urbaine et le retour à la nature, du moins à la campagne. Donc forcément, c’est irrésistible de se prêter à l’exercice.


    – La scène de l’embouteillage tourné dans le pays de Retz à nécessité un dispositif complexe, mis qui c’est avéré payant.

    En voyant ces trois films, il se dégage l’impression d’une nouvelle-nouvelle-nouvelle vague de cinéma de genre français à part entière, cette fois-ci plus en phase avec son temps. Est-ce que cet élément vous a interpellé à la lecture du script ?

    Pas vraiment. Justement, le travail de réécriture qu’on a fait avec Dominique Baumard a consisté à l’amener à ça, tout en conservant une dimension un peu plus universelle. Dans le script de Mathieu Naert, il n’y avait que Vincent qui était victime du phénomène. Pour moi, c’était limitatif, on était presque dans une chose qui relevait de la culpabilité : si ça s’acharne uniquement sur lui, c’est bien qu’il y a une raison. Je trouvais plus intéressant qu’on soit sur un démarrage où on se dit que ce type est taré, puis qu’à un moment une rencontre l’ancre dans le réel. Il n’est pas taré, c’est le monde qui est taré. Quand les producteurs m’ont fait lire le scénario, je pensais en garçon poli que j’allais le lire pour le refuser, car j’adhère plutôt à l’idée bien française de filmer ce que j’écris. Maïs il y avait une chose que je trouvais extrêmement intelligente, c’était une manière très concrète et sans psychologie - et donc finalement très cinématographique — de parler de la violence. Je ne me pose pas la question du genre, je m’en fous ; un film est un film, ça peut être à la fois drôle, dramatique, il peut y avoir de l’action. Je n’aime pas vraiment être sur une étagère.

    La démarche des productions Capricci dans le domaine du cinéma de genre a cette singularité d’associer des réalisateurs à des scripts dont ils ne sont pas les auteurs. Il est encore trop tôt pour avoir du recul sur cette démarche, mais est-ce que je peux tout de même vous demander ce que vous en pensez ?

    C’est intéressant parce que ça va a contrario des habitudes, ce qui est toujours une bonne chose - et particulièrement quand il s’agit d’habitudes du cinéma français. D’autant plus que Capricci est plutôt ancré dans le cinéma d’auteur, où c’est encore davantage une pratique qui dérange. Je ne peux parler que pour mon cas, mais je trouve que ça a des vertus. À l’arrivée, j’ai tout de même l’impression d’avoir fait un film assez personnel tout en partant du travail de quelqu’un d’autre, et ce déplacement là est intéressant parce que j’ai pu à la fois creuser mes propres névroses à partir de celles d’un autre. Le cinéma est avant tout un travail de troupe, d’équipe. Ce qu’on appelle le cinéma d’auteur ou la politique des auteurs se référait au départ à des réalisateurs comme Hawks ou Hitchcock, pour défendre une écriture purement cinématographique, ceux-ci n’étant pas les auteurs des scénarios — c’est étrange d’ailleurs comment au fil du temps, c’est devenu complètement autre chose.

    Il y a un débat, essentiellement critique, autour de la nouvelle-nouvelle-nouvelle vague de cinéma de genre français, qui est accusée de ne pas assumer le fantastique, de s’en servir pour finalement faire du cinéma d’auteur déguisé.

    Je vais y avoir droit aussi. Il y a une expression qui disqualifie automatiquement : «C’est un film de genre à la française. » Tout est dit. On voit bien ce qui se cache derrière ça. C’est énoncé parfois par des gens dont j’estime le regard, mais je trouve étrange de se poser en défenseur, en cerbère de la porte des films de genre. On a reproché à La Nuée son mélange de film social et de film de genre ; je trouvais que c’était intéressant. Qu’on aime ou pas, c’est un débat, mais de dire que ce n’est pas un film de genre… Le fait de disqualifier ça enferme, ça traduit une volonté que les choses ne bougent pas. On va faire des films où on va essayer — d’imiter les Américains, et être de toute façon toujours plus mauvais qu’eux pour faire ce type de films.

    Il a été reproché à Acide de Just Philippot de ne pas respecter les règles du genre. Et justement, le phénomène au cœur de Vincent doit mourir est animé par des événements arbitraires et aléatoires.

    Oui, j’ai déjà lu des articles qui dérouillaient bien le film sur cette question là. J’avoue que ça me fait beaucoup rire, et en même temps je comprends. D’habitude, on a des règles, on sait comment ça marche et on s’y tient, j’aimais justement que ce ne soit pas si clair que ça, ça m’amusait. C’est peut-être une des influences de la Covid. Mathieu a écrit le scénario avant, j’ai commencé à travailler à nouveau dessus justement en faisant gaffe de ne pas être sous influence, je n’avais pas envie de faire un film sur ce sujet, ça m’aurait semblé complètement con. Mais inconsciemment, le caractère illogique déteint. Vous avez compris comment ça marchait, la Covid ?

    Non.

    Voilà. Et donc pourquoi faudrait-il, en proposant un postulat de fiction fantastique, qu’on soit plus logique, et donc plus rassurant, que le merdier que nous avons traversé ? Il est beaucoup plus inquiétant qu’on ne sache pas, qu’on ne comprenne pas quand ça marche et quand ça ne marche pas. Je tenais à cette scène du barrage avec les gendarmes : on se dit que ça va dégénérer, et en fait il ne se passe rien. Mais ça permet de créer une tension, d’avoir cet état d’insécurité. Si les règles sont bien posées, on sait ce qui va arriver, on avance avec des bornes tout le long du film. Je sais que ça dérange les partisans des codes, des règles du genre. Ce sont deux visions du monde, je ne peux pas leur reprocher de ne pas aimer le film à cause de ça.

    Vous aimez que les spectateurs soient déconcertés ?

    C’est ce que je préfère au cinéma. Je n’impose aucune hiérarchie à ma cinéphilie ; il n’y a pas d’objets nobles et d’objets impurs, ça va de Robert Bresson à Stuart Gordon. Ce que j’aime, c’est ne pas savoir où on va, qu’il y ait une expérience physique devant un film. Avec Mad Max: Fury Road, j’étais ravi : je n’ai pas le permis de conduire, mais j’ai conduit pendant deux heures, j’étais en sueur ! C’est une des multiples vertus du genre : il permet de proposer une autre expérience du réel, de notre présent, de parler autrement du bordel dans lequel nous vivons sans être obligés d’apporter des réponses sociales. C’est ça aussi qui m’intéressait, d’être dans un film où les corps allaient agir. Le genre permet aussi de ne pas être sur la question du pourquoi, mais du comment. Vincent ne se pose à aucun moment la question de ce qu’il a fait, il n’est que sur des questions pratiques, d’adaptation, de survie. Ce sont des questions qui permettent de ne pas être dans un cinéma d’intention mais dans le mouvement.


    – Tournage dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.

    Il y a un aspect fascinant, c’est la façon dont vous arrivez à doser la violence, entre un effet comique incongru et la brutalité. Comment avez-vous abordé cet élément ?

    L’humour était essentiel. Je sentais à la lecture du script qu’il y avait des situations où il suffisait qu’on pousse les potards pour que ça soit drôle. C’est un traitement que j’ai appliqué dans mes courts métrages : faire que ce soit drôle, mais que le rire ne soit pas obligatoire ; si on décide de ne pas en rire, ça n’empêche pas l’expérience du film. Ça exige donc des actrices et acteurs de jouer vraiment au premier degré. Je leur demande de ne pas apprendre le texte de certaines scènes pour qu’ils ne pensent pas à la ligne de dialogue mais à la situation, ce qui peut leur permettre d’inventer des choses irrésistibles pour peu qu’ils soient dans une forme de lâcher-prise. Je pense à la scène de déposition chez les flics au début, ce que les comédiens ont improvisé est incroyable, et ça marche parce qu’ils ne la jouent pas comme un gag. On se demande pourquoi on rit, ce qui nous fait accepter la violence parce qu’on ne sera pas dans une forme de complaisance dans le glauque ou dans le démonstratif. Pour la violence, il fallait que ce soit sale, je ne voulais pas qu’on soit dans le fun, dans une forme de virtuosité.

    Pour qui a déjà vu des combats dans des bars ou y a participé de façon très involontaire, les gens se foutent sur la gueule, il n’y a pas de pêches comme on voit dans les films, ça griffe, ça se tire les cheveux, les vêtements. C’étaient des réflexions que j’avais avec deux partenaires précieux, Manu Dacosse, le chef op, et Manu Lanzi, le régleur des cascades. C’était l’enjeu : il fallait que ce soit réglé, chorégraphié, mais il fallait que ce soit sale, sans malgré tout, avoir peur du trop. D’où la scène dans la merde, à laquelle je tenais énormément. À la base, c’était presque un hommage à Invasion Los Angeles de Carpenter, il fallait une scène de combat hyper longue. Mes névroses ont fait que c’était dans une fosse septique. Pourquoi ? Je ne sais pas, ça doit être une réminiscence de Salo. Avec le chef déco Samuel Charbonnot, on s’est dit qu’il fallait vraiment que ce soit L’Enfer de Dante - les dimensions de cette fosse, ça n’existe pas, nulle part. Au niveau du travail de la caméra, on a surtout utilisé des plongées, et il y a aussi une mutation par rapport à l’esthétique générale du film. Et pour nous, au tournage, c’était une bascule : Karim Leklou et Guillaume Bursztyn ont fait preuve d’une générosité dingue. Parce que ça a été une surprise pour eux, la taille de la fosse septique. Ils ont répété le combat sur des tapis, à plat, sans se douter des conversations que j’avais avec le chef déco… Mais ils ont fait leur chorégraphie vaille que vaille, jusqu’à l’épuisement. On s’est dit qu’on faisait vraiment n’importe quoi, et on n’avait pas d’autre choix que de continuer et faire de pire en pire. (sourire)

    Cette année, Karim Leklou est déjà monumental dans Goutte d’or de Clément Cogitore, mais dans votre film, il est tout aussi stratosphérique.

    Je ne suis plus sûr d’être totalement objectif, mais je pense que c’est un de nos plus grands acteurs. Je le trouve passionnant parce que je ne sais pas par où ça passe, je ne vois pas les coutures. Il est à la fois M. Tout-le-Monde et extrêmement singulier, il a une douceur, mais aussi une très grande brutalité. Il est planté en terre, il est là, d’aujourd’hui. Et avec ses partenaires de jeu, c’est quelqu’un qui passe la balle, ce qui était essentiel parce que les seconds rôles sont très importants, car ils dévoilent une facette de Vincent. Il a enfin une dimension burlesque, ce qui était fondamental. Il a complètement pigé la tonalité et l’équilibre du film. Je ne fais pas répéter, je pense que ça use des moments d’invention ; ce que je trouve intéressant au cinéma, c’est qu’on peut justement capter le moment où l’acteur invente. En revanche, on a beaucoup parlé avant, on a beaucoup regardé le scénario pour construire et déconstruire, voir ce qu’il ne fallait pas faire. J’ai fait ce même travail avec Vimala Pons, à part — je ne voulais pas user leur rencontre pour qu’on la voie à l’image. On a surtout répété les scènes de combat avec Manu Lanzi.

    Vous avez évoqué la question de la Covid. Est-il possible d’appréhender la communauté des Sentinelles comme des complotistes antivax ?

    On peut les voir comme des complotistes. Là-dessus, je n’ai pas de jugement. Après, il y a des choses qu’il convient de condamner, mais je ne pense pas que ce soit le rôle d’un film. Pour dire où est le Bien ou le Mal, il y a des églises, des synagogues, des mosquées selon sa névrose, mais moi, je sais que ça me gonfle toujours Avec l’infographiste, clairement, pour le site des Sentinelles. on s’est inspirés d’un site complotiste. Mais Je lui disais, sur le contenu du site, mets-le en écriture inclusive, qu’on ne soit pas dans le cliché justement, que ce soit plus compliqué que ça. Quand on entend Élisabeth Lévy à la radio, là c’est autre chose : c’est un frottement avec le réel, les commentaires habituels dès qu’il y a un problème, la recherche d’un bouc émissaire. Il fallait que le hors champ annonce la propagation, c’était un moyen de procéder, et de rendre un hommage au travail et à la carrière d’Élisabeth Lévy. (sourire)

    De plus en plus, le cinéma français, par consanguinité avec les groupes télévisuels présents dans les financements, intègre des présentateurs et éditorialistes qui viennent jouer leur propre rôle, mais votre film établit une distance.

    Il y a un modèle là-dessus, c’est Paul Verhoeven, en particulier ce qu’il a fait dans RoboCop et Starship Troopers. C’est une façon d’avoir à la fois le micro et le macro, ça permet de faire des ellipses, d’aller à l’essentiel de l’expérience que doivent procurer les films. Je n’avais pas envie d’intégrer la télé parce qu’il y a déjà beaucoup d’écrans, je préférais que ce soit de l’audio, du hors-champ, qu’on puisse se construire les images soi-même. Puis soyons honnêtes, c’est bien moins compliqué à faire aussi. Le générique de début est également une façon de mettre en scène cette idée, à travers l’aspect visuel inspiré de Saul Bass et la musique de John Kaced, un compagnon de longue date que je considère quasiment comme un coscénariste du film à part entière.

    – Propos recueillis par François Cau.
    – Merci à *Monica Donati. *
    – Mad Movies #376

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    Je l’ai enfin vu ce Vincent doit mourir et je reste assez partagé car le film est assez inégal mais il y a de super trouvailles dedans : le film est malaisant par son contexte, l’idée avec Sultan est super, de très belles scènes comme celle de l’autoroute et du combat en fosse sceptique, une belle romance (la scène avec les menottes dans le bateau est très drôle)

    Mention spéciale pour Vimala Pons (qui était déjà super dans Les garçons sauvages de Mandico) que j’ai trouvée encore une fois, très bien dans ce film.

    Pour contre balancer cela, pas mal d’erreurs liés à un premier long comme le manque de rythme, certaisn cadrage ou un manque d’explications scénaristiques (quoi que personne n’a hurlé que Romero n’avais donné aucune (ou très peu) d’explications formelles à sa Nuit des morts vivants…).

    Il y a du bon et du moins bon, c’est pas un film de folie, loin de là, mais l’essai est à souligner vu le contexte du paysage du cinéma français actuel.