Le Parlement européen a donné son feu vert final mardi à un paquet législatif important, qui a pour ambition de limiter le pouvoir des grandes plateformes en ligne et de les rendre davantage responsables du contenu auquel elles servent de vitrine. Il “propulse dans le 21e siècle notre cadre règlementaire du monde online et y siffle la fin du ‘wild west’”, promettait l’élu CD&V Tom Vandenkendeleaere, qui fait partie du premier groupe politique du Parlement (le PPE), en amont de la plénière.
Il s’agit de deux textes, l’un surnommé DMA pour “Digital Markets Act” (législation sur les marchés numériques), l’autre DSA pour “Digital Services Act” (législation sur les services numériques). Ces deux propositions législatives ont été lancées par la Commission en décembre 2020. Les co-législateurs (Conseil et Parlement) ont trouvé un compromis sur le premier en mars dernier, et sur le second le mois suivant.
Le texte sur les marchés numériques cible les gros acteurs (chiffre d’affaires de plus de 7,5 milliards ou capitalisation boursière d’au moins 75 milliards) qualifiés de “contrôleurs d’accès” (gatekeepers), qui opèrent des réseaux sociaux, navigateurs et moteurs de recherche, sites web de partage de vidéo ou encore messageries. Les Gafam sont donc clairement visés, mais l’application pourrait être plus large. En fonction de la rencontre des critères, une plateforme de réservation comme Booking, par exemple, pourrait également y entrer, a noté l’eurodéputé PTB Marc Botenga (La Gauche) en marge du vote.
Le texte impose une série d’obligations pour tenter d’éviter les comportements anti-concurrentiels et renforcement de quasi-monopoles, en assurant que le consommateur ait (davantage qu’aujourd’hui, ou de façon plus claire) le choix des services qu’il utilise et de ce qu’il autorise en termes de récolte et utilisation de données. L’utilisateur doit ainsi pouvoir se débarrasser facilement des applications et services pré-installés ou proposés “par défaut” par ces “gatekeepers”. Ceux-ci doivent aussi demander clairement autorisation de l’internaute pour pouvoir utiliser ses données à des fins de publicités ciblées. Les moteurs de recherche et autres ne pourront plus favoriser leurs propres services en réponse à une recherche.
Les obligations sont assorties d’une menace d’amende en cas de non-respect. L’UE tente ainsi de changer son fusil d’épaule, car ces dernières années elle agissait surtout, sous la baguette de la Commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager, en enquêtant a posteriori, parfois des années plus tard, sur les agissements anticoncurrentiels des géants du calibre de Google ou Amazon.
Si la législation a rassemblé une très large majorité des voix, elle ne fait pas pour autant l’unanimité dans tous ses aspects. Marc Botenga, qui s’est abstenu à deux reprises, regrette par exemple que l’interopérabilité structurelle demandée par le Parlement pour les systèmes de messagerie les plus courants (Messenger, WhatsApp, etc.) ait été mise de côté. Une certaine forme d’interopérabilité a bien été retenue, pour favoriser l’émergence des petits acteurs, mais superficielle et à la demande, note-t-il. Pas de quoi éviter, selon lui, les effets de verrouillage. “J’ai peur que l’on s’enferme dans un modèle qui va sanctifier les monopoles plutôt que de les entraver”, commentait l’eurodéputé quelques jours avant la plénière.
Le texte sur les services numériques, davantage axé sur le contenu, fait quant à lui naître des craintes pour la liberté d’expression chez certains élus. Il implique que les fournisseurs de services numériques, surtout les plus grands, soit plus transparents sur leurs algorithmes de recommandation de contenu et leur politique de modération. Mais aussi qu’ils donnent à l’internaute la possibilité de consulter du contenu recommandé sans profilage. Les plateformes accessibles aux mineurs devront faire respecter une interdiction de la publicité ciblant ce public.
Pour la libérale Hilde Vautmans (Open Vld, groupe Renew), ces nouvelles règles étaient “indispensables”. “Ce qui est illégal et est combattu offline doit également l’être online. C’est logique”, a-t-elle commenté en marge du vote. De “grandes plateformes comme Meta” devront effectuer une sorte d’évaluation des risques d’usage, entre autres par rapport aux enfants et aux violences liées au genre, s’est-elle réjouie.
Pour le N-VA Geert Bourgeois (groupe ECR), la législation, qui requiert des plateformes de détecter et de réagir rapidement aux signalements de contenu problématique, comporte cependant un risque de censure. Comme elles seront tenues pour “responsables” du contenu proposé, elles risquent d’écrémer plus que nécessaire et de devenir des arbitres privés de ce qui peut figurer en ligne, estime-t-il en substance. “En laissant tourner un moulin d’algorithmes, on aboutit à des choses aberrantes”, dont un exemple connu est le mannequin Bella Hadid, qui affirme qu’Instagram bloque ses messages pro-Palestine, exposait Geert Bourgeois avant la plénière.
Le Conseil doit désormais formellement valider les textes, ce qui est attendu à la mi-juillet (DMA) et en septembre (DSA).
Désolé pour ce pavé passablement indigeste, mais important.