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    Après un premier long-métrage jamais sorti et un second noyé dans les abîmes de la VOD, Nikhil Nagesh Bhat puise dans SON vécu, prend les codes du cinéma d’action de Bollywood à revers pour finalement remporter la mise, Il revient pour nous sur la création de cette bête de festivals, sur son rapport à la violence, sur la place du train dans tout ça.

    Aussi bien dans les films d’action, les comédies romantiques que le cinéma d’auteur, le train occupe une place fondamentale dans les cinématographies indiennes. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

    En Inde, les trains sont quasiment la colonne vertébrale du pays tout entier : c’est le moyen de transport de la plupart de la population depuis plus d’un siècle. Et c’est toujours le cas, bien que les voyages en avion soient devenus plus abordables. À l’époque de l’Inde britannique, une partie non négligeable du combat pour l’indépendance a pu être menée grâce aux trains, le réseau routier n’étant pas aussi développé qu’’aujourd’hui. Beaucoup d’Indiens n’utilisent que ce moyen de transport : Ça fait partie de la culture.

    Lorsque je faisais mes études à 2.000 kilomètres de la ville où j’habitais, je voyageais en train. Au-delà de ça, ça reste le moyen de transport le moins cher. Toutes les castes, toutes les religions, toutes sortes de personnes s’y retrouvent sous le même toit. Elles partagent le même espace, mangent la même nourriture, tout en parlant souvent dans des langues différentes. C’est une mise en abyme de l’Inde, un marqueur culturel fondamental, dont vous pouvez relever une infinité de références dans nos films. Les trains font partie intégrante de nos vies et de notre développement : toutes les villes les plus importantes du pays ont été construites autour des réseaux ferroviaires.

    Quand il s’agit de convoquer des représentations iconiques du train dans le cinéma indien, des films dans lesquels a joué Amitabh Bachchan des années 70 et du début des années 80, de sa période « jeune homme en colère », viennent immédiatement en tête, comme Sholay (Ramesh Sippy, 1975) ou Coolie (Manmohan Desai, 1983). Avez-vous des exemples antérieurs ?

    C’est vrai que dans le domaine du thriller, les films d’Amitabh Bachchan ont réellement eu un impact fort, surtout Sholay, pour sa mise en scène et sa façon d’appréhender le train comme un personnage à part entière. Mais il y a beaucoup d’autres exemples : je pense à des films portés par Raj Kapoor comme Chori Chori (Anant Thakur, 1956 - NDR), Half Ticket (Kalidas, 1962 - NDR), ou encore Pakeezah (Kamal Amrohi, 1972 - NDR), qui en ont offert des représentations pertinentes.

    Le prochain blockbuster de Sunny Deol, Lahore 1947 (réalisé par Rajkumar Santoshi), est déjà vendu sur la foi de son grand final, présenté par ses producteurs comme la plus grande scène d’action jamais filmée à bord d’un train. Au sortir de la projection de Kill, on leur souhaite bon courage.

    (rires) De ce que j’en sais, c’est une h’stoire qui repose avant tout sur l’émotion. Au moment de la Partition, il y a eu un exode important de personnes venant du Pakistan en Inde et vice versa. Des événements horribles se sont déroulés à bord de ces trains, avec parfois des wagons entiers de cadavres qui arrivaient en Inde ou au Pakistan. C’est un sujet très grave, pour n’importe quel Indien, et apparemment, le film avec Sunny Deol entend lui rendre justice.

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    – Nikhil Nagesh Bhat en train de donner des indications de jeu à son acteur principal.

    L’intrigue de Kill vous est venue d’un incident dont vous avez été le témoin. Ressentiez-vous le besoin de raconter cette histoire ?

    Comme je vous le disais, j’ai fait mes études loin de chez moi, dans la ville de Pune. J’habitais à Patna, qui était donc à environ 2.000 kilomètres, et je faisais trois ou quatre allers-retours par an. La répartition par wagon que vous voyez dans le film est un phénomène datant d’une quinzaine d’années ; quand je faisais ces voyages, autour de 1995, beaucoup de personnes se retrouvaient en classe générale, ce qui était mon cas en tant qu’étudiant - si j’avais pris un billet en première, mon père m’aurait foutu dehors ! (sourire) Ce jour-là, j’ai embarqué vers 23h30.

    Le matin, le train était censé s’arrêter à la gare d’Allahabad, où j’avais prévu de prendre mon petit déjeuner. Je me suis réveillé et j’ai constaté qu’on était encore loin d’Allahabad, que le train était arrêté dans une gare abandonnée. Quand je suis sorti, j’ai vu beaucoup de policiers, et j’ai fini par comprendre que le wagon juste à côté du mien, la première classe, avait été la cible d’une trentaine de voleurs. Dans la nuit, le wagon avait été réservé pour les invités d’un mariage, et quelqu’un avait dû faire fuiter l’information. Ils ont été frappés, certains passagers ont reçu des coups de couteau, les voleurs ont pris tous les bijoux, les vêtements, l’argent… Les victimes étaient rassemblées à l’extérieur, elles étaient horrifiées, elles redoutaient de remonter à bord. Pendant ces deux ou trois heures durant lesquelles le train était arrêté dans cette gare de fortune, j’ai pu voir toute la détresse de ces passagers, et ça m’a hanté pendant un long moment. En 2016, lors d’un voyage en train pour aller tourner un film, tout m’est revenu. C’est à ce moment-là que j’ai décidé d’écrire une histoire autour de cet incident.

    Qu’avez-vous retiré du fait de vous inspirer d’une expérience personnelle, d’un point de vue artistique ?

    Ce fut cathartique, mais pas de la façon attendue. J’ai réalisé un film en 2008 (Saluun - NDR), et ce film n’est jamais sorti. Il a tourné dans quelques festivals, mais il n’a jamais vraiment vu la lumière du jour. À la suite de ça, j’ai connu huit années difficiles où personne ne voulait produire mes films. On me reprochait le fait que je n’avais pas réalisé de films, ce que je contestais, en soulignant que celui que j’avais réalisé n’était jamais sorti… C’était sans fin. J’ai fini par tourner un second long-métrage, l’un  des premiers Netflix Originals d’Inde, qui est sorti en 2018 (Brij Mohan Amar Rahe!). Mais ça ne m’a pas vraiment ouvert plus de portes. Toute la frustration accumulée a nourri l’écriture de Kill, et la catharsis s’est opérée à ce niveau-là.

    L’un des partis pris les plus audacieux du script réside dans l’écriture des antagonistes. Qu’est ce qui vous a poussé dans cette direction ?

    Je voulais que les spectateurs ressentent une forme de réalisme, qu’ils vivent le film comme s’ils faisaient partie des passagers, et c’est aussi pour ça que l’action est amenée de cette façon. Il fallait que lorsqu’un personnage meurt, on ressente sa douleur et celle de ses proches, quel que soit ce personnage, même s’il s’agit d’un antagoniste. Voir quelqu’un être blessé où mourir, ce n’est pas réjouissant : c’est l’une des pires choses qui soient, et il fallait que ça soit tangible. L’inspiration vient en outre d’un de mes films préférés, Aliens, le retour. J’ai vu une interview qui évoquait le fait que l’histoire tourne autour de deux mères : ce n’est pas une créature contre une astronaute, mais deux mères qui essaient de protéger leurs progénitures. L’émotion se développe des deux côtés. Cette lecture du film m’a fasciné, et elle m’est restée. C’est une idée à partir de laquelle je voulais expérimenter et Kill m’en a donné l’occasion.

    Et vous avez poussé ce principe encore plus loin dans votre film suivant, Apurva. Diriez-vous que les deux films se répondent ?

    Ils entretiennent des similitudes, mais ils s’opposent tout autant : Apurva est un survival, dans lequel une femme résiste à ses agresseurs sur une durée de 24 heures, alors que rien ne l’avait préparé à une telle éventualité ; Kill est une histoire de revanche, avec un membre de commando entraîné pour ce type de situation. On ressent le même genre d’émotions à la vision des deux films, bien que les personnages les amènent dans des directions différentes. Je dirais aussi que dans Apurva, il n’y a pas vraiment de gore: le film est très violent, mais il n’est pas sanglant.

    Les gerbes de sangetles retouches numériques, les montages et mises en scène d’aujourd’hui tendent beaucoup vers une insensibilisation au gore. Dans Kill et Apurva, toutefois, la violence est franchement ressentie.

    Merci beaucoup. Mon but dans ces deux films était de ne pas rendre la violence sensationnelle, ne pas la glorifier, ni même la dramatiser. Je voulais la montrer comme un renoncement, une perte d’humanité. C’est une tendance du cinéma indien et de beaucoup de films hollywoodiens d’utiliser la violence comme une forme de style, comme une fin en soi. La violence est devenue une déclaration d’intention esthétique. C’est quelque chose qui me rebute, et c’est pour ça que je tiens autant à l’aspect émotionnel du récit.

    Comment gardiez-vous l’équilibre ? N’y a-t-il pas eu des moments où vous vous disiez que vous alliez trop loin ?

    Il n’y avait pas vraiment de méthode. J’avais en réalité tout couché sur le papier en amont, chacune des quarantedeux morts du film, comment elle devait s’exécuter et se chorégraphier. Je fonctionnais à l’instinct pour savoir si c’était trop ou pas. À l’origine, le script comptait dix morts supplémentaires. En discutant avec le chorégraphe des scènes d’action, Oh Se-yeong, j’ai réalisé que c’était trop, que ce serait épuisant à voir. On faisait des previz sur chaque chorégraphie, et je décidais au coup par coup s’il fallait les réduire ou non. C’était un processus instinctif, qui s’est poursuivi au montage, même si en fin de compte, 95 % de ce qui a été filmé se retrouve à l’écran.

    Spoiler

    Je n’ai pas rogné parce que je savais qu’à partit du moment où le personnage principal bascule et devient un monstre, tout pourrait se justifier. Il passe par des états de culpabilité, de deuil pour succomber à la rage. Mais je crois que le film n’est pas encore sorti en France, donc je ne préfère pas m’étendre sur cet aspect. (sourires)

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    – Nikhil Nagesh Bhat apprend à ses comédiens à se mouvoir dans un espace pour le moins exigu.

    Les chorégraphes des scènes d’action ont tous les deux travaillé sur des films du Spy Universe“), des blockbusters hindis avec un sens du spectaculaire plutôt fantasque, presque à l’opposé des partis pris de Kill.

    Oh Se-yeong et Parvez Shaïkh sont des chorégraphes fantastiques. Oh Se-yeong a travaillé sur des productions indiennes mais aussi sur Snowpiercer, le Transperceneige ou Avengers : l’ère d’Ultron ; c’est un chorégraphe sud-coréen de renommée internationale. À la lecture du script, il a tout de suite compris le type d’action que je recherchais. Lui et Parvez Shaïkh ont toujours respecté les intentions de départ, à savoir de l’action viscérale, au rendu très personnel. D’autant que la contrainte du décor ne laissait pas vraiment le choix.

    Comment avez-vous géré cette contrainte, justement ?

    On s’est adaptés de scène en scène, au fil du tournage. Aucun d’entre nous n’avait travaillé sur un film d’action de ce type auparavant. J’avais demandé au production designer, Mayur Sharma, un décor laissant de la place pour les mouvements des comédiens et des caméras. Il fallait que tous les murs puissent bouger, se manipuler. Il avait déjà construit des décors de train, mais jamais avec ce type d’impératifs. Il a fait des recherches, m’a présenté une maquette d’une trentaine de centimètres, en me disant : « Voilà comment les murs vont bouger. »

    Il a ensuite travaillé sur une maquette de trois mètres et demi, sur trois cabines puis deux Wagons, jusqu’à arriver au résultat final. Il en est allé de même pour les maquillages et les prothèses : d’abord, on se disait que la plupart des effets seraient en images de synthèse, avant de prendre conscience du temps et de l’argent que ça représentait. Quasiment tout ce que vous voyez à l’écran est réel : c’est l’œuvre du studio Dirty Hands, un travail de quatre mois d’une grande méticulosité. De notre côté, nous avions un grand tableau récapitulatif de chaque arme utilisée, de chaque blessure. C’est la méthode qu’on a fini par adopter, pour s’y retrouver. Puis il y avait les éclaboussures de sang : là aussi, j’ai préféré me passer des effets numériques.

    Kill semble tellement ancré dans la culture indienne par son décor, la caractérisation de ses personnages et une certaine radicalité que l’annonce d’un projet de remake américain a pu sembler absurde, voire perdue d’avance. Êtes-vous plus optimiste ?

    Pour moi, la singularité du film ne tient pas tant à ses spécificités indiennes qu’à sa charge émotionnelle. Si cet aspect est respecté, peu importe le pays où ça se passe, ça marchera. Un père aimera son enfant n’importe où dans le monde, des amants s’aimeront et se disputeront n’importe où dans le monde. On en revient aux mêmes émotions primaires, qui fonctionnent partout. Parfois, vous regardez un film auquel il peut manquer un ou plusieurs degrés de sophistications techniques, mais ça ne vous empêche pas d’être embarqué par l’émotion.

    Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

    J’écris. Pour être honnête, j’ai pris goût au sang (sourire), donc je planche sur un autre film d’action, un autre film basé sur une vengeance.

    C’est un thème qui traverse les cinématographies indiennes de part en part, ces dernières années…

    Je pense que ça vient du fait que la société indienne fait face à une telle densité de population que les chances de réussite sont rares, limitées à peu de personnes. Et le reste de la population se sent laissée de côté. Ce ressentiment, cette impression d’être un outsider, est profondément ancrée dans la psyché du système indien. Il y a toujours cette volonté de s’élever de sa condition, de saisir la moindre occasion. Et quand ça ne se passe pas bien, il y aura toujours ce sentiment d’avoir été floué, et l’envie de prendre sa revanche. C’est du moins comme Ça que je me l’explique.

    – Propos recueillis et traduits par François Cau.
    – Merci à Aude Dobuzinskis, Jean-François Gaye et Amanda Kichler.
    – Mad Movies #385

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    L’auteur de Civil War nous explique ses techniques pour rendre la guerre aussi laide que dans la réalité et le spectateur un peu moins con que quand il est entré dans la salle.

    Tout d’abord, je dois vous dire que j’ai été très impressionné par votre film. En matière d’impact visuel et émotionnel, j’ai beaucoup pensé aux Fils de l’homme.

    Oh, c’est très gentil ! Figurez-vous que pendant le tournage, on se posait la question de savoir quel genre de long-métrage on était en train de faire, à quoi il allait ressembler. Et en fait, l’un des seuls films qui revenaient sur le tapis, c’était Les Fils de l’homme. Je suis donc ravi de cette comparaison.

    Comment avez-vous eu l’idée de réaliser Civil War, qu’est-ce qui vous y a poussé ? Un événement en particulier, la situation politique mondiale en général ?

    J’ai écrit Civil War environ quatre ou cinq mois après l’arrivée de la Covid. L’élection américaine allait alors avoir lieu en novembre de cette année-là. Ce qui m’a poussé à l’écrire n’était pas lié à un événement précis, mais plus à la condition dans laquelle le monde se retrouvait. Et je pense que la Covid a constitué pour moi une chance de me poser un peu et de réfléchir. Je l’ai attrapée dès le mois de mars quand elle a déferlé et je suis tombé très malade, ce qui fait que pendant environ huit semaines, je ne me suis préoccupé que de ma santé et pas du tout de ce qui se passait dehors. Une fois que j’en étais guéri, tout le monde était confiné, plus personne ne sortait ; c’était un peu comme si nous avions tous été mis à la retraite, c’était un environnement très étrange. Un tel cadre était donc propice à la réflexion. Je dirais deux choses. D’abord, je suis persuadé qu’il n’y a rien de prémonitoire dans le film. Toutes les idées qu’il véhicule viennent en fait d’une conversation globale qui se tenait durant cette période et que je voyais se refléter dans les bulletins d’informations ou dans des entretiens que j’ai pu avoir au téléphone avec des amis depuis environ six ans.

    Tout était lié à la polarisation de la politique et à la façon dont laquelle une certaine forme de communication avait été brisée. Qui plus est, bien que le film se passe en Amérique, tout ce qu’il dit est également vrai à propos de mon pays (Alex Garland est britannique - NDR) concernant cette polarisation. On croit toujours que ça ne pourra pas empirer, mais ça empire. Et ça s’applique de différentes manières à d’autres pays d’Europe et à travers le monde. On peut constater cette montée du populisme aussi bien en Amérique du Sud et en Asie qu’en Europe et aux États-Unis. Cela dit, il y a eu débat au moment où j’ai présenté le projet aux producteurs et aux financiers en juillet pour savoir si l’action devait se passer en Amérique ou en Grande-Bretagne. On a fini par le situer aux USA parce que c’est un pays unique dans le sens où le reste du monde ne cesse de l’observer. Quand il y a une élection présidentielle aux États-Unis, si vous arrêtez quelqu’un dans la rue en Europe ou en Asie pour lui demander qui sont les deux candidats, il y a de bonnes chances pour qu’il le sache. En revanche, si vous demandez qui est le Premier ministre britannique, personne ne le sait ! Donc, si vous voulez vraiment évoquer la polarisation et le danger des politiques populistes, les États-Unis sont le pays le plus indiqué car ça parle à tout le monde.


    – Le réalisateur Alex Garland se tient devant une épave d’hélicoptère, élément central d’une leçon donnée par Lee à Jessie.

    Dans le film, le Texas et la Californie sont alliés contre le reste des États-Unis, ce qui est assez surprenant compte tenu de leurs positions politiques très éloignées l’une de l’autre. Par ailleurs, on ne sait pas ce qui a déclenché cette guerre.

    Le film montre un président anticonstitutionnel qui est également quelqu’un de violent. Il attaque ses propres citoyens, ce qui donne une idée assez précise du bonhomme. Quant au Texas et à la Californie, ils pensent que leurs polarisations politiques respectives n’ont guère d’importance comparées aux actes d’un président à la tête d’une constitution fasciste et brutale qui écrase le peuple. Ils mettent leurs opinions de côté pour faire bloc. Mais dire que cette alliance serait impossible reviendrait à dire que les polarisations politiques sont plus puissantes que la corruption, la violence et le fascisme, ce qui serait une position difficilement compréhensible. Vous savez, j’ai tendance à ne pas énoncer de vérités dans mes films, à ne pas épeler les choses. Je veux établir une communication avec les spectateurs, qui se demandent : «Mais pourquoi les choses se passent-elles ainsi ? », ce qui peut les amener à discuter entre eux. Pour ce qui est de savoir ce qui a déclenché la guerre, je pourrais donner une raison quelconque, mais si je veux être vraiment honnête, je dois dire au public :

    Vous savez déjà pourquoi les États-Unis sont frappés par une guerre civile, vous n’avez pas besoin de moi pour vous l’expliquer. Vous connaissez l’histoire des USA et la situation dans laquelle le pays se trouve actuellement. Vous avez donc en main toutes les réponses à vos questions et celles-ci s’appliquent également à votre propre pays.

    À l’exception de quelques allumés, je n’ai jamais rencontré personne -en tout cas, en face à face, pas sur les réseaux sociaux -qui n’exprime pas une certaine forme de peur de la polarisation politique si le sujet est abordé.

    Vous avez déclaré en interview que selon vous, Civil War était en quelque sorte le prolongement de Men, votre film précédent. Pouvez-vous développer ?

    J’ai dit ça dans le sens où ce sont des films qui refusent de dire au public ce qu’il doit penser. Vous savez, j’ai 53 ans, je travaille depuis un moment dans le milieu du cinéma moderne, et j’ai la sensation qu’une grande partie du cinéma actuel est obsédée par la volonté de dire aux spectateurs : « Telle est ma position, et c’est celle que vous devez adopter. » Ou bien encore : « Ne vous inquiétez pas, vous trouverez dans mon film toutes les réponses aux questions que vous vous posez. » On en revient à ce qu’on disait tout à l’heure. Je pense qu’un film, ça ratisse large, chacun interprète les choses de façon différente. En voyant Anatomie d’une chute, j’ai ressenti un immense sentiment de soulagement, car j’ai l’impression d’avoir été traité en adulte. Il y a beaucoup d’aspects du film qui m’ont plu, dont les performances des acteurs avec notamment celle du petit garçon et de cette actrice bouleversante. Mais ce que j’ai le plus apprécié, c’est d’avoir été considéré comme un spectateur adulte. J’espère appartenir à cette race de cinéastes — en tout cas, c’est mon ambition.

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    – Opération camouflage pour des snipers de l’armée de l’Ouest au style… peu discret

    Quelle est la différencs entre travailler pour un studio comme A24 et d’autres structures de production, que ce soient celles des majors ou d’autres sociétés indépendantes ?

    La première des choses, c’est que c’est très relaxant. Avec le temps, j’ai appris que quand vous avez des idées un peu spéciales, il faut les imposer en contrebande. Par exemple, dans un film de zombies où les zombies se mettent à courir, si vous voyez à quoi je fais allusion (Alex Garland est le scénariste de 28 Jours plus tard - NDR). Il ne faut pas dévoiler votre jeu si vous avez envie de faire passer certaines choses. Sinon c’est mort.

    Avec A24, il n’y a pas besoin de travestir vos intentions : ils se foutent qu’elles soient commerciales ou non. C’est quelque chose d’incroyablement libérateur. Je crois également, et n’y voyez aucun cynisme, qu’ils sont très doués en matière de business. Ils ont compris qu’il existe un public pour des films qui n’ont pas à suivre un cahier des charges imposé par l’héritage des grands studios, des films qui n’essaient pas de prévoir ce que le public acceptera ou pas. Les structures indépendantes qui appartiennent aux grands studios n’échappent pas à la règle.

    Pour vous donner un exemple, Ex Machina devait être produit pour Focus Features, qui appartient à Universal : ils ont toutefois lâché le projet, après nous avoir expliqué très poliment que le film était très bien fait, mais qu’il était trop chiant. (rires) Ça avait le mérite d’être honnète. Enfin, ils n’ont pas dit que c’était chiant, mais que le rythme du film était trop « européen », ce qui revient au même. Alors qu’avec A24, leur attitude, c’est plutôt : «OK, on aime bien votre projet, allons-y. » Ils ne se posent pas la question de savoir si ça va plaire ou pas, si ça va marcher ou pas; ils y vont et advienne que pourra. Bizarrement, d’autres studios ont commencé à faire pareil, à « mettre l’argent sur la table », comme on dit à Hollywood. En faisant des films provocants et controversés, plus épicés que la moyenne, A24 a créé l’air de rien un nouveau business model qui semble fonctionner car il existe un public pour ça.

    À propos du choix des musiques dans Civil War, on entend de la country, du rap, des styles très représentatifs des US sous leurs formes les plus diverses, comme si vous aviez voulu brosser un portrait musical du pays. Qu’est-ce qui vous a guidé dans le choix des morceaux ?

    Oui, c’est exactement ça. C’est d’ailleurs assez typique de la façon dont un film fonctionne. Si j’avais choisi des morceaux trop contemporains, à Coup sûr, ça n’aurait pas marché parce que ça aurait daté ke film et ça aurait donné l’impression qu’il se passe en ce moment. Or, de toute évidence, ce n’est pas le cas, et ça aurait brisé le contrat signé avec le public, qui consiste à lui dire : « Imaginez que ça puisse arriver. » J’ai donc opté pour des morceaux assez anciens, comme du rap des années 90 ou de la country du début des années 70, qui sont des périodes cruciales dans l’histoire de la musique américaine. Et la question que je me suis sans cesse posée, c’est bien sûr : « Quelle est la véritable fonction de la musique dans le film ? » D’une part, oui, elle est très représentative des États-Unis. Mais de l’autre, que doit-elle provoquer ? Doit-elle être séduisante, triste, joyeuse, agressive, discordante ? Doit-elle déstabiliser de manière délibérée ? J’ai donc fait très attention à ça. Cependant, je n’aurais pas pu utiliser de la musique européenne, Ça aurait foutu en l’air la crédibilité de l’environnement du film.

    Les personnages principaux appartiennent à plusieurs générations de photographes de guerre. En vous renseignant sur ce métier, avez-vous constaté une évolution significative dans la manière dont les plus jeunes abordent le métier par rapport à leurs aînés ?

    On voit en effet trois générations de reporters de guerre dans le film, mais les choses s’inversent dans le sens où la plus jeune utilise un appareil photo argentique. Je pense qu’on vit une époque où les journalistes sont très mal vus, on a fait d’eux des méchants. C’est quelque chose qui me dérange profondément, en partie parce que j’ai grandi dans un milieu journalistique - mon père dessinait des cartoons dans un journal et tous ses amis étaient des journalistes —, mais aussi parce qu’une démocratie ne peut pas exister sans liberté de la presse. Donc, si on commence à faire d’eux de mauvaises personnes, on détruit tout un État, c’est un acte totalement fou et irresponsable. Le film fait écho de façon délibérée à une forme de journalisme à l’ancienne où le but était de témoigner de ce qui se passe sans y prendre part. Il y a d’ailleurs une phrase qui dit : « Nous n’intervenons pas, nous enregistrons pour que d’autres puissent se faire une opinion. Notre rôle ici n’est pas d’émettre un jugement, mais d’observer. C’est notre rôle dans l’équation. »

    Et je pense qu’il s’agit là d’une forme de journalisme qui se perd, dans le sens où nos médias se sont transformés en tribunes d’opinions politiques. Peu m’importe qu’ils soient de droite ou de gauche. On fait face à quelque chose de très problématique : les gens ont besoin de pouvoir faire confiance à quelqu’un ou quelque chose, et c’est extrêmement dangereux de se borner à renforcer leurs opinions. Prenons par exemple quelqu’un dont la sensibilité le porte à gauche : s’il n’absorbe que des informations émises par des médias de gauche, il n’est confronté à aucune opinion différente de la sienne, et le danger est là. C’est pour cette raison que j’ai voulu parler de journalistes plutôt typiques des années 60 ou 70 et d’une certaine idéologie du métier.

    Que ce soit sur Fox ou sur CNN, cette idéologie est aujourd’hui corrompue. On se retrouve avec deux chaînes qui s’en prennent l’une à l’autre, et avec des spectateurs qui font pareil avec ceux d’en face. Mais pour moi, les journalistes ont une responsabilité bien plus importante que de choisir l’un de ces deux camps.

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    – Lee foule le camp principal de l’armée de l’Ouest, établi à Charlottesville.

    Dans le film, la journaliste jouée par Kirsten Dunst craint que son message d’avertissement ne soit pas entendu. Est-ce une crainte que vous partagez concernant la réception de votre film ?

    Oui, absolument, et c’est pour ça qu’elle dit : « Je pensais que mon job était d’envoyer un avertissement chez nous, et que celui-ci était “ne faites pas ça”. Et voilà ou nous en sommes. » L’une des choses que je trouve les plus alarmantes, mais aussi les plus intéressantes, dans la période que nous traversons actuellement — et ce depuis plusieurs années -, c’est que nous savons ce qui se passe, nous en parlons, mais rien ne change et ça ne cesse d’empirer. Pourquoi tous ces avertissements que nous recevons ne sont-ils pas pris en compte ? Pourquoi est-ce que la société ne s’adapte pas pour changer les choses pour le mieux ? À quoi sert d’avertir les gens si ça ne les empêche pas de faire de mauvais choix ? C’est comme si nous étions victimes d’une sorte d’impuissance. Si je parle avec quelqu’un, peu importe ses opinions politiques — sauf si elles sont trop extrêmes -, on tombera forcément d’accord sur beaucoup de points et on se traitera avec respect et courtoisie. Mais d’une certaine manière, les représentants du peuple semblent ne pas fonctionner ainsi. Pourquoi ? C’est cet aspect qui m’intéresse le plus : comment communiquer sans s’aliéner son interlocuteur.

    Avez-vous imaginé un passé pour le personnage du soldat joué par Jesse Plemons, ou bien l’a-t-il construit lui-même ? La scène où il apparaît est sûrement la plus choquante du film.

    C’est intéressant que vous me disiez que c’est la scène qui vous a le plus choqué. Je comprends pourquoi, je saisis la perspective. Mais j’ai souvent entendu, de la part d’amis ou de collègues américains, que la séquence la plus choquante est celle de la terroriste qui se fait sauter avec sa bombe, à cause de la façon dont est utilisé le drapeau américain lors de cette attaque. Là-bas, le drapeau, ce n’est pas comme en Europe : les gens lui donnent une signification très forte, et donc ils ont trouvé la scène particulièrement transgressive.

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    Mais vous savez quoi ? La chose que j’ai entendue à propos du film et qui m’a le plus choqué et fasciné à la fois, c’est que le moment le plus révoltant serait celui où on voit le président se faire abattre. Montrer Ça serait donc plus transgressif que de montrer un charnier, ce qui est tout de même très étrange, comme réaction.

    Quant à Jesse, oui, il a créé une backstory pour son personnage. Le jeu d’acteur est un art qui peut revêtir plusieurs formes très différentes et Jesse fait partie de ces acteurs qui font beaucoup de recherches, Il s’est mis à lire sur le massacre de My Lai, qui a eu lieu pendant la guerre du Viêt Nam, et puis il a décidé de porter ces fameuses lunettes rouges. La veille du jour où on a tourné la scène, il s’est pointé avec plusieurs paires de lunettes qu’il avait achetées parce qu’il s’était dit que ce type devait en porter et il a choisi les rouges. Il était donc juste venu pour avoir une conversation à propos des lunettes qui conviendraient le mieux à son personnage. Si je vous raconte ça, c’est pour vous donner une idée de la façon dont il pense en tant qu’acteur et de son niveau de préparation. Mais j’en parle aussi parce que très souvent, on attribue aux réalisateurs la paternité des caractéristiques d’un personnage alors qu’ils n’ont rien à voir avec. Ce personnage, c’est Jesse qui lui a donné vie. Beaucoup de gens mentionnent ces lunettes un peu bizarres, mais elles sont entièrement son initiative.

    Qu’avait-il inventé comme passé à son personnage ?

    Il m’en a parlé, mais je pense que je ne dois pas répéter ce qu’il m’a dit parce que ça risquerait d’interférer avec la manière dont on veut que le personnage soit perçu par le public. C’est comme ce qui aurait déclenché la guerre civile : je préfère éviter de trop en dire, car ça pourrait briser la relation que j’essaie d’avoir avec le public et je veux continuer à aller dans ce sens. J’ai bien conscience que je peux échouer à ce petit jeu, qu’il y a des gens qui optent pour plus de clarté et moins de débats. Mais bon, c’est comme ça que je fonctionne et je crois qu’en ne révélant pas ce que m’a dit Jesse, je protège ma façon de faire du cinéma.

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    – Le rédacteur fougueux Joel (Wagner Moura) guide Jessie lors de son premier reportage en milieu hostile.

    Comment êtes-vous parvenu à éviter que les scènes de guerre possèdent un aspect trop esthétisant, héroïque ou « romantique » ? Parce qu’en général, c’est quelque chose que même les films anti-guerre n’arrivent pas à esquiver…

    En ignorant autant que possible la grammaire cinématographique pour me concentrer sur celle de la réalité, sur ce qu’on voit avec nos yeux, mais aussi sur la grammaire des photographies et des bulletins d’informations. Même dans la scène du charnier avec Jesse Plemons, il y a de petites choses subtiles qui font que… Bon, vous pourriez me dire que c’est du director bullshit, parce que ça existe, aucun doute là-dessus ; mais sur ce coup-là je ne pense pas. Je m’explique. Normalement, quand vous filmez vers midi ou une heure de l’après-midi, la lumière est très agressive et les ombres sont très marquées. Il existe une technique un peu secrète qui consiste à tendre un grand voile qui diffuse la lumière et l’adoucit sur le visage des acteurs, ce qui les rend d’une certaine manière plus agréables à regarder. Eh bien, nous n’avons pas utilisé ce procédé.

    Autre chose : quand quelqu’un se prend une balle, est-ce qu’on a un gros impact dans son corps avec du sang qui gicle ? Non, il s’effondre et c’est fini. Et même un spectateur qui n’a jamais vu quelqu’un se faire tuer dans la vraie vie ou aux informations sait au fond de lui que les gens ne meurent pas dans la réalité comme au cinéma. La lumière sur les visages, la façon de montrer la violence… Tout ça change le ton du film. Si vous repensez à la séquence où des soldats avancent dans un couloir à la fin du film, et si vous regardez la manière dont elle est construite, il n’y a aucune compression temporelle. Elle est réalisée comme dans un film normal, avec des gros plans, des plans américains, des plans d’ensemble, des coupes de montage. Là, pour le coup, c’est vraiment de la grammaire cinématographique, sauf que c’est en temps réel.

    Quand j’ai tourné cette scène, trois des soldats étaient des Navy Seals, ou des ex-Navy Seals. Ils ont travaillé avec un autre Seal qui est Ray Mendoza, mon conseiller technique militaire, et ma seule façon de les diriger a été de leur dire : « Faites ce que vous feriez dans l’exercice de votre métier si vous vous retrouviez dans une situation où vous devez progresser dans ce corridor jusqu’à cette pièce, y compris dans vos actions et vos dialogues. Ne pensez pas à la caméra, ne pensez pas aux autres acteurs. Je Suis là pour vous filmer comme si j’étais un reporter de guerre. Faites juste votre truc. »

    En les filmant, on se rend compte qu’il y a un truc très anti-cinématographique : ce sont les pauses et les silences qui ponctuent leur progression quand ils se mettent en position pour être prêts à avancer de nouveau. Par ailleurs, quand ils communiquent entre eux, ils ne chuchotent pas, ils hurlent par-dessus le bruit des détonations, mais uniquement pour transmettre des informations très précises. J’ai donc tourné ça comme s’ils étaient en conditions réelles, et plus tard, j’ai montré la scène à quelqu’un travaillant dans l’industrie du cinéma qui m’a dit : « Tu devrais couper ces pauses. » Et je ne voudrais accuser personne, mais si cette séquence fonctionne, c’est justement grâce à ces pauses. Le spectateur, lui, sait instinctivement que cette scène est plus proche de la réalité que ce qu’il voit au cinéma en général. Et puis ce sont de vrais soldats qu’on observe en action, pas des acteurs. S’ils sont si crédibles devant la caméra, c’est parce qu’ils sont surentraînés. Ce qu’ils font à l’écran, ils l’ont fait de nombreuses fois dans la vraie vie, alors pas question pour le film de déconner avec Ça, ni d’enlever ces pauses parce que l’action n’avance pas assez vite ou de baisser le volume des coups de feu pour qu’on entende mieux une réplique.

    Ce que vous voyez, c’est ce que je voyais se dérouler devant moi et le bruit des armes est tel qu’il a été enregistré ce jour-là. Je suis persuadé que ça produit un effet sur le public, qu’il comprend qu’on n’est pas dans un James Bond. C’est plus sombre, plus effrayant. Je pense que voir quelqu’un qui s’écroule d’un coup après avoir été touché par une balle, comme s’il s’éteignait, c’est plus traumatisant que de le voir bondir en j’air sous l’impact en écartant les bras avec du sang partout.

    Je tenais à ce que Civil War soit le plus proche possible de la réalité et que la grammaire du cinéma y soit presque invisible.

    – Propos recueillis et traduits par Cédric Delelée.
    – Merci à Miah Kaplan, Hailey Pryor et Jean-François Gaye.
    – Mad Movies #381

    –> Interview fleuve plus qu’intéressante montrant l’intelligence de Garland, et bien qu’il soit Britannique, à une vision que je trouve extrêmement juste sur la politique US ainsi que du journalisme et des médias.

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    On aurait du mal à dire que le réalisateur d’Immaculée tire la couverture à lui. il ne tarit pas d’éloges sur le scénario qui lui a été confié, et aussi sur sa vedette Sydney Sweeney, véritable instigatrice du projet.

    Comment vous êtes-vous retrouvé à réaliser Immaculée ?

    Tout a commencé par un texto de Sydney Sweeney, qui me demandait si j’étais intéressé par la réalisation d’un film d’horreur. Elle s’était en effet concertée avec son partenaire de production Jonathan Davino, et aussi avec David Bernad, qui avait produit la série The White Lotus dans laquelle elle avait joué. Tous trois étaient déterminés à livrer un film d’horreur aux fans de Sydney, car après la saison 2 d’Euphoria, tout le monde réclamait de la voir dans le genre. Ils ont ainsi épluché tous les scripts d’horreur traînant à Hollywood, pour trouver quelque chose qui soit à la fois troublant et porteur de moments de flippe divertissants.

    Durant le processus, Sydney s’est souvenue du scénario Immaculée rédigé par Andrew Lobel. Car des années auparavant, quand elle était adolescente, elle avait auditionné pour ce projet, qui n’était jamais rentré en production. Or, maintenant qu’elle était dans sa vingtaine, le scénario la terrifiait toujours autant que quand elle était ado. Tous trois ont donc décidé de faire ce film coûte que coûte l’hiver suivant, et quand ils m’ont envoyé le projet, j’ai été très enthousiaste. Déjà, j’avais adoré collaborer avec Sydney par le passé (voir plus bas dans cette interview - NDR). En plus, c’était un des meilleurs scripts que j’avais jamais lus, et pas seulement pour l’aspect horrifique. Andrew avait essayé de faire un classique, une histoire simple où le Mal n’est pas une créature surnaturelle numérique qui finit terrassée par la foi, mais un vrai danger inéluctable qui grandit à l’intérieur de l’héroïne.

    Ainsi, quand j’ai lu le scénario, je me suis complètement attaché au combat interne du personnage avec ses propres croyances, et j’ai apprécié la direction moderne et non conventionnelle prise par l’histoire. En tournant les pages, j’ai été de plus en plus touché par l’effroi, tout en sentant combien le film pourrait être poignant. J’ai donc sauté sur l’occasion d’être impliqué. J’avais cependant une réserve sur la conclusion du scénario original, que j’ai tenu à changer. Comme vous l’avez vu, l’héroïne endure une quantité indescriptible de douleurs émotionnelles et physiques, et je voulais terminer sur un moment cathartique qui laisse le public dans un état de choc, pour qu’il soit hanté par le contrecoup de l’histoire longtemps après la projection.

    L’aspect non conventionnel dont vous parlez, c’est que le film paye son tribut à Rosemary’s Baby tout en s’en distinguant : le couvent ne cache pas des satanistes comme on s’y attendait…

    Absolument, et c’était taillé sur mesure pour Sydney. J’avais adoré le courage sous-jacent qu’elle avait donné à son personnage dans le film Reality, et j’avais tout autant adoré l’instabilité tumultueuse qu’elle avait apportée à Cassie dans Euphoria. Avec Immaculée, nous avons des versions extrêmes des deux facettes, puisque nous voyons la transformation du personnage d’un emblème de pureté en une créature sauvage couverte de sang. À mon avis, quel que soit le réalisateur choisi, Sydney aurait rendu ce rôle iconique. Quant à Rosemary’s Baby, j’adore ce film, et afin de lui rendre hommage, j’ai opté pour une approche cinématographique classique, pour refléter la vision du monde idéaliste de l’héroïne au début. Ensuite, à mesure que son corps tombe en morceaux et que sa foi s’érode, le style visuel devient plus primitif.

    Ce style visuel a été influencé par le fait que vous ayez tourné en Italie, avec une équipe et des acteurs locaux ?

    Oui ! Nous avons tourné dans un endroit appelé la Villa Parisi, qui a vu passer de nombreux cinéastes comme Mario Bava, ou même Andrea Bianchi qui y a réalisé Le Manoir de la terreur. Les murs étaient donc empreints du souvenir de tous ces cinéastes italiens géniaux, et j’ai voulu leur rendre hommage, sans que mon film soit trop didactique ou qu’il soit trop un retour en arrière. Cependant, ça a quand même été le cas. Vous voyez cette séquence en montage accéléré où l’héroïne, tout juste arrivée au couvent, prend ses marques ?

    Comme musique temporaire du montage, j’avais mis un morceau du score de Bruno Nicolai pour le giallo La dame rouge tua sept fois. Eh bien, quand il a vu le résultat, mon compositeur m’a dit de conserver cette bande-son ! Tout au long d’Immaculée, il y a ainsi des touches de cinéma italien, des inspirations prises dans des giallo classiques, comme le formidable Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? . Ce que j’adore dans ce film, c’est que la pression masculine est l’antagoniste principal. Dans la façon dont le réalisateur Massimo Dallamano emballe ses scènes, on sent les rapports de pouvoir entre l’héroïne et les hommes qui l’entourent. À un moment d’Immaculée, sœur Cecilia, le personnage de Sydney, est interrogée par le prêtre et un cardinal. La manière dont j’ai mis en scène cette séquence est directement inspirée par le travail de Dallamano.


    – Le réalisateur Michael Mohan dirige ses comédiens lors d’une scène en intérieur.

    Le film est aussi très réaliste dans son mélange de dialogues en anglais et en italien.

    C’est que le personnage est comme un poisson hors de l’eau. Quel meilleur moyen qu’une langue que l’héroïne ne comprend pas, pour la montrer aussi désorientée que possible ? Nous le voyons dès sa première interaction avec ces hommes qui ont cette discussion inappropriée devant elle. Elle devine qu’ils parlent d’elle, mais elle ne sait pas trop quoi faire ou dire. J’ai pensé que c’était un super moyen d’ancrer le film dans la réalité, et de rendre ses prémisses inconfortables.

    Vous avez effectué des recherches sur la vie quotidienne dans les couvents ?

    J’ai effectué une bonne quantité de recherches, mais pour autant, je ne voulais pas être gêné par cela, le film étant une œuvre de fiction. Cela dit, comme ce n’est pas une histoire surnaturelle, la terreur est réelle, et je voulais donc qu’elle semble aussi authentique que possible… (il réfléchit) J’essaie de penser aux films de nonnes qui m’ont vraiment inspiré. Il y a Le Narcisse noir, que j’adore pour son opulence visuelle — ce n’est pas l’habituel monastère, austère et rigide. De même, notre couvent a de magnifiques fresques aux murs, et paraît très cossu. Je pensais que, comme dans Le Narcisse noir, ce serait un bon environnement pour accompagner le personnage dans ses tourments spirituels. Par ailleurs, j’adore le travail de Ken Russell, en particulier Les Diables, et je voulais retrouver son esprit, qui était de faire des choses à la fois polémiques, réfléchies et divertissantes.

    Mais quand je parlais des recherches, je voulais souligner que les jeunes nonnes ont un passé particulier, ce qui donne de l’intérêt à l’exposition de l’histoire…

    Merci ! Tout cela vient du scénario d’Andrew Lobel, qui m’a également attiré parce qu’il fait du couvent une résidence pour personnes âgées, en quelque sorte, comme une dernière halte avant le paradis. Sœur Cecilia ne se contente donc pas de vivre sa vie spirituelle ; elle sert aussi d’aide-soignante pour les vieilles nonnes qui sont là, et cet aspect voulait dire beaucoup pour moi. Au niveau des personnages secondaires, j’ai adoré le fait qu’Andrew les a caractérisés d’une façon très spécifique, sans que cela ne soit jamais aux dépens du rythme. Immaculée dure 89min et… Comment dire cela ? Eh bien, toutes les parties qui m’ennuient d’habitude dans les films d’horreur n’étaient pas dans son scénario ! Andrew a intégré les arrière-plans de chaque personnage d’une manière super efficace et effrayante.

    Dans le détail, comment avez-vous travaillé avec Sydney Sweeney ?

    Justement, elle effectue une énorme préparation avant le tournage. Elle conçoit des sortes de journaux intimes, des albums-souvenirs contenant le passé de son personnage. Ce dernier est ainsi construit de sa naissance jusqu’à tel moment du scénario. Et avec cette manière de procéder, quand vous tournez une scène avec Sydney, elle puise des émotions dans des souvenirs qui n’étaient même pas sur le papier, ce qui donne à son personnage un caractère tridimensionnel, y compris quand elle n’a pas beaucoup de dialogues à dire. Immaculée est ma troisième collaboration avec Sydney, car je l’avais connue sur Everything Sucks !, une série originale Netflix.

    J’ai été d’emblée impressionné par son talent d’actrice, mais aussi par son attitude envers l’équipe. Les jours où elle ne travaillait pas, elle venait quand même sur le plateau, et s’accrochait aux pas de l’assistant-caméraman ou de l’ingénieur du son, pour en apprendre plus sur leur métier. C’est le genre de curiosité qui pousse une équipe à livrer le meilleur travail possible. Avec Immaculée, nous nous sommes ainsi efforcés de capter l’élégance de son interprétation du rôle de sœur Cecilia.

    En 2021, vous l’aviez dirigée dans le thriller The Voyeurs. Vous évoluez tous deux de la comédie à des genres plus rudes ?

    Nos films préférés, à Sydney et à moi, sont des œuvres qui y vont vraiment à fond, qui n’ont pas peur d’être audacieuses. Ainsi, The Voyeurs était délibérément très, très sexy. Et dans Immaculée, j’ai vu l’occasion de faire la même chose avec le cinéma d’horreur, c’est-à-dire livrer un film qui ne retienne pas ses coups, où tout soit complètement viscéral et brutal. De la même manière, Sydney voulait tout péter, crier à la mort, être couverte de sang des pieds à la tête. Car elle sait que notre relation crée un environnement où personne n’a peur d’être jugé, oüilyaun profond respect pour ce que chacun apporte sur le plateau. Vous pouvez ainsi prendre des risques, tester des idées quitte à ce qu’elles ne fonctionnent pas.

    Dans notre critique, nous écrivons que le film est un bon compromis entre l’elevated horror et les productions Blumhouse. Qu’en pensez-vous ?

    C’est le meilleur compliment que nous pourrions recevoir, car nous voulions faire un film pimenté de sursauts traditionnels mais élégants. D’un autre côté, j’adorais le fait que ces jump scares n’étaient pas trop malins, qu’ils étaient toujours reliés à l’histoire. Quand j’ai lu le scénario la première fois, j’ai cru savoir où il allait, puis j’ai été complètement aveuglé par cette série de rebondissements. J’ai envie de faire autant de films que possible avant de mourir, et je voudrais que les gens s’en souviennent. Or, Sydney et ses partenaires Jonathan Davino et David Bernad sentent vraiment le pouls du public jeune, malin et branché.

    La série de ce dernier The White Lotus est ainsi un parfait exemple de comédie axée sur les personnages, à l’humour délirant. Nous avons essayé de faire un peu la même chose avec Elisha Christian, qui est mon directeur photo de longue date - nous travaillons ensemble depuis décennies, car il était mon compagnon de chambrée à l’université. Notre idée était de conférer de l’élégance visuelle à Immaculée, sans que cela se fasse aux dépens de sa nature de simple film d’horreur pop-corn.

    Le distributeur américain Neon est un bon partenaire pour cette démarche ?

    Absolument. J’aime toute la gamme du cinéma d’horreur, l’elevated, les slashers des années 80, le giallo des années 70, etc. En même temps, j’espère qu’Immaculée a sa propre saveur. Et ce qui est super avec les gens de Neon, c’est qu’ils comprennent la nécessité de mettre des films audacieux sur le marché, et qu’ils savent que cela demande un très grand soutien.

    Franchement, mec, je suis en train de vivre un rêve éveillé. J’ai réalisé des longsmétrages indépendants, de la télévision, des films pour les plateformes. Mais depuis l’âge de cinq ans, je souhaite qu’une de mes œuvres soit distribuée en salles, C’est enfin arrivé, et je ne pourrais pas être entre de meilleures mains.

    – Propos recueillis par Gilles Esposito.
    – Merci à Lucy Kent, Marie Plante-Germain et Jessenia Barberena.
    – Mad Movies #380

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    Tombé dans la cinéphilie pendant son service militaire, Jason Yu se forme au métier à l’université et sur les plateaux de tournage. Entre la réalisation de ses deux courts-métrages, Video Message (2014) et The Favor (2018), il enfile la casquette d’assistant-réalisateur sur Okja de Bong Joon Ho. Son premier long joue des mêmes ruptures de ton que ses aînés, au service de son regard tout personnel sur le couple.

    Le public français a une image très sombre du cinéma de genre coréen, au travers des films qui nous parviennent aujourd’hui encore en salles ou en VOD. Est-ce représentatif de la production contemporaine ?

    Comme dans tous les pays, il y a en Corée une variété de styles, de tons. Cela dit, un certain nombre de films ont cette noirceur, cette violence, et ce sont ceux qui attirent le plus l’attention, pour leur caractère stimulant. Mais ça ne date pas d’hier : il y a une longue tradition de films de ce type en Corée, je ne saurais trop vous expliquer pourquoi. J’ai grandi en les regardant, je les apprécie, et c’est le cas de nombreux spectateurs coréens. Il y a deux-trois ans, ces films noirs marchaient très bien. Mais la majorité du public cherche désormais d’autres tonalités, plus heureuses, plus positives. L’an dernier, les plus gros succès étaient des comédies ou des films romantiques ; le changement était notable.

    Il y a un certain décalage comique dans plusieurs scènes de Sleep

    Dès que j’ai commencé à faire des films, mon but a toujours été de faire une comédie romantique, car c’est mon genre préféré. Quand l’idée de Sleep m’est venue, le sujet a dicté cette orientation vers l’horreur, sans que j’en sois particulièrement féru. J’ai dû faire une séance intensive de rattrapage pendant la préparation, j’ai regardé beaucoup de thrillers pour comprendre le genre, l’étudier afin de me l’approprier, Mais même avec ce parti pris, mon goût pour la comédie romantique était encore bien présent. Même lorsque je montrais quelque chose d’effrayant, de stressant, il y avait toujours cette chaleur, c’est une sensation que j’essaie d’insuffler dans tout ce que je fais, que ce soient mes courts métrages ou mes scénarios.

    Les touches humoristiques jaillissent de façon impromptue, au beau milieu de situations dramatiques, comme dans les films de Bong Joon Ho, de Park Chan-wook ou même de Na Hong-jin. Diriez-vous qu’il s’agit d’un trait caractéristique du cinéma coréen ?

    Oui, je pense que c’est très coréen. Notre génération de réalisateurs a grandi devant les films des metteurs en scène que vous avez cités, et cet aspect fait partie de ce que nous avons assimilé. Ceci étant dit, dans le cas de Sleep, je n’ai jamais cherché à faire de la comédie. Je n’en étais pas à me dire que telle scène devait être drôle, à penser telle réplique comme une punchline devant faire rire le public. J’ai toujours envisagé mes films comme des drames, mais chaque fois qu’ils sont programmés en festivals, ils sont rangés dans la catégorie « comédies », ce qui me fait m’interroger.

    Je pense que c’est à cause de mon goût pour les situations absurdes. Rien que le fait d’avoir des personnages qui réagissent sérieusement dans de telles conditions, ça crée une ambiance susceptible de déclencher des rires, sincères ou nerveux. C’est de là que ça vient, sans doute. La comédie est un genre pour lequel j’ai le plus grand respect, car faire rire est une tâche noble, à laquelle j’aimerais beaucoup m’atteler un jour. Mais Sleep appartient à un genre différent.

    Toute l’énergie du film repose sur les comédiens, ils livrent de fait une performance sidérante, sans outrance non plus.

    Merci beaucoup, vous n’imaginez pas à quel point je suis content d’entendre ça. Étant donné la configuration du film, tourné dans un décor unique avec peu de personnages, sans les interprètes appropriés, ça n’aurait pas pu marcher. C’est pour ça qu’on s’est concentrés sur leur performance plutôt que sur l’arrière-plan, ou sur l’élaboration de plans astucieux, techniquement compliqués.

    Aviez-vous prévu de rester dans l’appartement dès le départ ?

    Non, mais en écrivant le scénario, je me suis aperçu que non seulement toute l’histoire pouvait se dérouler dans cet espace, mais que ça correspondait mieux à ce que j’essayais de raconter. Et plus l’intrigue avançait, plus ça devenait un défi intéressant à relever. Il y a cette idée que les contraintes aident à trouver de l’inspiration, ce fut le cas ici, et ça m’a incité à chercher des détours pour que l’histoire reste pertinente, ça m’a poussé à être plus créatif. Je n’avais pas encore la production en tête à ce stade, mais plus tard, j’ai réalisé que c’était un argument en faveur du projet. Quand il a fallu démarcher des producteurs, des financiers, l’industrie cinématographique coréenne traversait alors l’un de ses pires moments, aucun film ne se montait. Même les films qui avaient été validés voyaient leurs fonds disparaître. Lorsque l’annonce du tournage de Sleep a été publiée, ça a fait du bruit, mais c’était un projet assez peu risqué, en décor unique, avec deux acteurs, doté d’un budget peu élevé.

    Comment le cinéma coréen s’est-il retrouvé dans cette situation ?

    C’était surtout à cause de la crise sanitaire, de la Covid-19. Les cinémas ont particulièrement souffert, comme partout dans le monde. Il y a eu un repli vers les plateformes de streaming. L’industrie a beaucoup souffert, et elle souffre encore.

    Aviez-vous ces acteurs en tête dès le début ?

    Jung Yu-mi et Lee Sun-kyun sont des légendes en Corée. Même dans mes rêves les plus fous, je n’imaginais pas un casting pareil. Lorsque j’ai rencontré pour la première fois le producteur du film, il m’a demandé mon casting idéal, pour qu’on s’en approche le plus possible. Les noms de Jung Yu-mi et Lee Sun-kyun me sont venus tout de suite, parce que ce sont d’immenses comédiens, qui ont développé une incroyable alchimie dans leurs collaborations précédentes, notamment dans les films de Hong Sang-soo. Pour tout ce qui concerne la description de la vie de couple à l’écran, il est beaucoup plus facile de filmer une scène de confrontation, de dispute filmée de façon opératique.

    Le plus dur, c’est de trouver l’alchimie, ce qui rend une relation particulière. Il faut sentir le sentiment amoureux, et ça ne peut pas se compenser par la mise en scène. Or je savais que Jung Yu-mi et Lee Sun-kyun pouvaient exprimer ce sentiment. Le producteur m’a dit que même les plus grands acteurs peuvent accorder de l’intérêt à des scripts tant que ceux-ci leur plaisent, et donc que ça valait le coup d’essayer. Par chance, le scénario leur a plu; on s’est rencontrés, on a échangé, tout s’est passé de façon assez naturelle. Il n’y a pas eu besoin de chercher de plans B ou C.

    Les différentes bascules de l’intrigue font qu’ils sont en quelque sorte le principal effet spécial du film…

    J’étais inquiet à l’idée que l’un des deux ne puisse finalement pas tenir le rôle. Il fallait en effet des interprètes capables d’incarner ces changements. Je redoutais en particulier que Lee Sun-kyun ne soit pas convaincu, étant donné que son personnage reste passif pendant une grande partie de l’intrigue. Heureusement, ça n’a pas été le cas. Il pensait que tout le film menait vers ce dernier acte où il allait devoir livrer une grande performance. Et je trouve que c’est vraiment le cas.

    C’est toujours compliqué de voir l’ultime film d’un interprète sans être troublé par des échos à sa disparition. Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas dans Sleep.

    Je ne crois pas non plus. Ce qui est arrivé à Lee Sun-kyun est vraiment tragique. Je ne m’imagine pas revoir Sleep ou un autre de ses films d’ici un moment. Le sentiment de tristesse est trop fort. Quand on tournait… Je ne sais pas. Je n’ai rien remarqué. Il était très professionnel, content d’être là.

    Sleep est un hommage à l’acteur phénoménal qu’il était.

    Absolument. C’était l’un des plus grands acteurs coréens, pour ne pas dire mondiaux. Je lui suis très reconnaissant, je lui dois ma carrière. Sans lui, Sleep n’aurait pas pu se monter. Même si le temps que nous avons passé ensemble a été relativement bref, il se comportait toujours comme une espèce de grand frère, et c’est quelque chose qui revient souvent dans la bouche de ses proches et de ceux qui ont collaboré avec lui. Bien qu’il avait vingt fois plus d’expérience que moi sur un plateau, il avait néanmoins beaucoup de respect pour le projet. Il essayait sans cesse de m’inciter à me dépasser, et à le pousser à aller au-delà de ses limites.

    Quand il voyait que quelque chose n’allait pas ou que je ne me donnais pas à fond, il me le faisait remarquer. Il m’a fait devenir un meilleur réalisateur, même si j’ai encore de la marge pour m’améliorer. Je lui dois beaucoup. L’an dernier à Cannes, il faisait la promotion de deux films, Sleep et Project Silence, et il avait très peu de temps libre entre deux interviews. Pendant cinq minutes de pause sur une plage, je l’ai remercié pour son implication dans le film, et il m’a dit en retour que l’expérience lui avait vraiment plu. Je lui ai fait promettre d’au moins apparaître dans mon prochain film et il m’a répondu : « Oui, bien sûr ! Dans tous tes prochains films. » Je lui ai demandé s’il aimait les comédies romantiques, ce à quoi il a rétorqué : « Oui, je suis super dedans ! » C’est mon souvenir préféré avant que le drame n’arrive. C’est vraiment triste de se dire qu’il n’est plus là, que nous ne verrons plus de film avec lui.

    Comment le film a-t-il été reçu en Corée ?

    J’ai redouté la projection cannoise, ainsi que toutes celles qui ont suivi en festivals justement parce que le film n’était pas sorti en Corée, d’autant qu’il s’agit de mon premier long-métrage. Mais le film a été très bien reçu dans chaque festival, ce qui m’a donné confiance pour la sortie coréenne… Il s’agit en effet d’un autre processus à part entière, qui s’est révélé encore plus stressant. Il fallait suivre les chiffres, tenir le compte jusqu’au moment où le film se remboursait, et ce tous les jours. J’étais de plus en plus nerveux. Finalement, il a fait plus que ce que j’imaginais. En 2023, beaucoup de films n’ont pas réussi à amortir leur investissement, et Sleep est parvenu à dépasser ce seuil. Je me sens chanceux, heureux que le film ait rencontré son public.

    Allez-vous basculer vers la comédie romantique pour votre prochain film ?

    (sourire) Je ne suis pas encore sûr. J’ai beaucoup de projets en tête. J’aimerais être capable d’écrire et réaliser une comédie romantique, mais ça me semble difficile pour le moment. Il faut que je trouve le bon angle d’entrée. Sinon, j’ai une idée pour un film d’horreur mystérieux dans la lignée de Sleep, mais d’une autre envergure.

    Le moment est-il plus propice pour un projet plus ambitieux ?

    Les producteurs sont plus confiants pour me confier un plus gros budget. Ce ne sera pas non plus un blockbuster, ce n’est pas quelque chose qui me motive. Il faut que l’histoire m’intéresse, l’ambition du projet découle de ça.

    – Propos recueillis et traduits par François Cau.
    *– Merci à Carole Chomand.
    – Mad Movies #379

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    Venu du théâtre, passé par la réalisation de courts-métrages pratiquant déjà le mélange des genres avec hardiesse, Stéphan Castang déboule dans le paysage cinématographique à la force de ses poings bagués. Il s’autorise une pause dans son marathon festivalier et promotionnel pour défendre son premier long, sourire en coin et café en intraveineuse.

    Trois films français coup sur coup, Acide, Le Règne animal et donc Vincent doit mourir, ont une scène clé avec un déchaînement de violence pendant un embouteillage. Comment l’expliquez vous ?

    Je n’ai pas vu le film de Just Philippot, mais ça m’a frappé quand j’ai vu Le Règne animal. Le long de Thomas Cailley m’a surpris au-delà de ça, parce que je trouvais qu’il y avait beaucoup de cousinages entre nos approches. Lui, c’est Pierre Bachelet (la chanson Elle est d’ailleurs a son importance dans le scénario du Règne animal - NDR), moi, c’est Dave (idem pour Vanina dans Vincent… — NDR) - chacun ses névroses…… (rires) Pour revenir à l’embouteillage, c’est une figure de style, le type de scènes que l’on voit souvent dans un cinéma plutôt anglo-saxon, et je pense qu’il y a une envie de s’y coller, de voir comment on peut s’en emparer. Je crois que ce qu’il y a de commun aux trois films, c’est le chemin entre la vie urbaine et le retour à la nature, du moins à la campagne. Donc forcément, c’est irrésistible de se prêter à l’exercice.


    – La scène de l’embouteillage tourné dans le pays de Retz à nécessité un dispositif complexe, mis qui c’est avéré payant.

    En voyant ces trois films, il se dégage l’impression d’une nouvelle-nouvelle-nouvelle vague de cinéma de genre français à part entière, cette fois-ci plus en phase avec son temps. Est-ce que cet élément vous a interpellé à la lecture du script ?

    Pas vraiment. Justement, le travail de réécriture qu’on a fait avec Dominique Baumard a consisté à l’amener à ça, tout en conservant une dimension un peu plus universelle. Dans le script de Mathieu Naert, il n’y avait que Vincent qui était victime du phénomène. Pour moi, c’était limitatif, on était presque dans une chose qui relevait de la culpabilité : si ça s’acharne uniquement sur lui, c’est bien qu’il y a une raison. Je trouvais plus intéressant qu’on soit sur un démarrage où on se dit que ce type est taré, puis qu’à un moment une rencontre l’ancre dans le réel. Il n’est pas taré, c’est le monde qui est taré. Quand les producteurs m’ont fait lire le scénario, je pensais en garçon poli que j’allais le lire pour le refuser, car j’adhère plutôt à l’idée bien française de filmer ce que j’écris. Maïs il y avait une chose que je trouvais extrêmement intelligente, c’était une manière très concrète et sans psychologie - et donc finalement très cinématographique — de parler de la violence. Je ne me pose pas la question du genre, je m’en fous ; un film est un film, ça peut être à la fois drôle, dramatique, il peut y avoir de l’action. Je n’aime pas vraiment être sur une étagère.

    La démarche des productions Capricci dans le domaine du cinéma de genre a cette singularité d’associer des réalisateurs à des scripts dont ils ne sont pas les auteurs. Il est encore trop tôt pour avoir du recul sur cette démarche, mais est-ce que je peux tout de même vous demander ce que vous en pensez ?

    C’est intéressant parce que ça va a contrario des habitudes, ce qui est toujours une bonne chose - et particulièrement quand il s’agit d’habitudes du cinéma français. D’autant plus que Capricci est plutôt ancré dans le cinéma d’auteur, où c’est encore davantage une pratique qui dérange. Je ne peux parler que pour mon cas, mais je trouve que ça a des vertus. À l’arrivée, j’ai tout de même l’impression d’avoir fait un film assez personnel tout en partant du travail de quelqu’un d’autre, et ce déplacement là est intéressant parce que j’ai pu à la fois creuser mes propres névroses à partir de celles d’un autre. Le cinéma est avant tout un travail de troupe, d’équipe. Ce qu’on appelle le cinéma d’auteur ou la politique des auteurs se référait au départ à des réalisateurs comme Hawks ou Hitchcock, pour défendre une écriture purement cinématographique, ceux-ci n’étant pas les auteurs des scénarios — c’est étrange d’ailleurs comment au fil du temps, c’est devenu complètement autre chose.

    Il y a un débat, essentiellement critique, autour de la nouvelle-nouvelle-nouvelle vague de cinéma de genre français, qui est accusée de ne pas assumer le fantastique, de s’en servir pour finalement faire du cinéma d’auteur déguisé.

    Je vais y avoir droit aussi. Il y a une expression qui disqualifie automatiquement : «C’est un film de genre à la française. » Tout est dit. On voit bien ce qui se cache derrière ça. C’est énoncé parfois par des gens dont j’estime le regard, mais je trouve étrange de se poser en défenseur, en cerbère de la porte des films de genre. On a reproché à La Nuée son mélange de film social et de film de genre ; je trouvais que c’était intéressant. Qu’on aime ou pas, c’est un débat, mais de dire que ce n’est pas un film de genre… Le fait de disqualifier ça enferme, ça traduit une volonté que les choses ne bougent pas. On va faire des films où on va essayer — d’imiter les Américains, et être de toute façon toujours plus mauvais qu’eux pour faire ce type de films.

    Il a été reproché à Acide de Just Philippot de ne pas respecter les règles du genre. Et justement, le phénomène au cœur de Vincent doit mourir est animé par des événements arbitraires et aléatoires.

    Oui, j’ai déjà lu des articles qui dérouillaient bien le film sur cette question là. J’avoue que ça me fait beaucoup rire, et en même temps je comprends. D’habitude, on a des règles, on sait comment ça marche et on s’y tient, j’aimais justement que ce ne soit pas si clair que ça, ça m’amusait. C’est peut-être une des influences de la Covid. Mathieu a écrit le scénario avant, j’ai commencé à travailler à nouveau dessus justement en faisant gaffe de ne pas être sous influence, je n’avais pas envie de faire un film sur ce sujet, ça m’aurait semblé complètement con. Mais inconsciemment, le caractère illogique déteint. Vous avez compris comment ça marchait, la Covid ?

    Non.

    Voilà. Et donc pourquoi faudrait-il, en proposant un postulat de fiction fantastique, qu’on soit plus logique, et donc plus rassurant, que le merdier que nous avons traversé ? Il est beaucoup plus inquiétant qu’on ne sache pas, qu’on ne comprenne pas quand ça marche et quand ça ne marche pas. Je tenais à cette scène du barrage avec les gendarmes : on se dit que ça va dégénérer, et en fait il ne se passe rien. Mais ça permet de créer une tension, d’avoir cet état d’insécurité. Si les règles sont bien posées, on sait ce qui va arriver, on avance avec des bornes tout le long du film. Je sais que ça dérange les partisans des codes, des règles du genre. Ce sont deux visions du monde, je ne peux pas leur reprocher de ne pas aimer le film à cause de ça.

    Vous aimez que les spectateurs soient déconcertés ?

    C’est ce que je préfère au cinéma. Je n’impose aucune hiérarchie à ma cinéphilie ; il n’y a pas d’objets nobles et d’objets impurs, ça va de Robert Bresson à Stuart Gordon. Ce que j’aime, c’est ne pas savoir où on va, qu’il y ait une expérience physique devant un film. Avec Mad Max: Fury Road, j’étais ravi : je n’ai pas le permis de conduire, mais j’ai conduit pendant deux heures, j’étais en sueur ! C’est une des multiples vertus du genre : il permet de proposer une autre expérience du réel, de notre présent, de parler autrement du bordel dans lequel nous vivons sans être obligés d’apporter des réponses sociales. C’est ça aussi qui m’intéressait, d’être dans un film où les corps allaient agir. Le genre permet aussi de ne pas être sur la question du pourquoi, mais du comment. Vincent ne se pose à aucun moment la question de ce qu’il a fait, il n’est que sur des questions pratiques, d’adaptation, de survie. Ce sont des questions qui permettent de ne pas être dans un cinéma d’intention mais dans le mouvement.


    – Tournage dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.

    Il y a un aspect fascinant, c’est la façon dont vous arrivez à doser la violence, entre un effet comique incongru et la brutalité. Comment avez-vous abordé cet élément ?

    L’humour était essentiel. Je sentais à la lecture du script qu’il y avait des situations où il suffisait qu’on pousse les potards pour que ça soit drôle. C’est un traitement que j’ai appliqué dans mes courts métrages : faire que ce soit drôle, mais que le rire ne soit pas obligatoire ; si on décide de ne pas en rire, ça n’empêche pas l’expérience du film. Ça exige donc des actrices et acteurs de jouer vraiment au premier degré. Je leur demande de ne pas apprendre le texte de certaines scènes pour qu’ils ne pensent pas à la ligne de dialogue mais à la situation, ce qui peut leur permettre d’inventer des choses irrésistibles pour peu qu’ils soient dans une forme de lâcher-prise. Je pense à la scène de déposition chez les flics au début, ce que les comédiens ont improvisé est incroyable, et ça marche parce qu’ils ne la jouent pas comme un gag. On se demande pourquoi on rit, ce qui nous fait accepter la violence parce qu’on ne sera pas dans une forme de complaisance dans le glauque ou dans le démonstratif. Pour la violence, il fallait que ce soit sale, je ne voulais pas qu’on soit dans le fun, dans une forme de virtuosité.

    Pour qui a déjà vu des combats dans des bars ou y a participé de façon très involontaire, les gens se foutent sur la gueule, il n’y a pas de pêches comme on voit dans les films, ça griffe, ça se tire les cheveux, les vêtements. C’étaient des réflexions que j’avais avec deux partenaires précieux, Manu Dacosse, le chef op, et Manu Lanzi, le régleur des cascades. C’était l’enjeu : il fallait que ce soit réglé, chorégraphié, mais il fallait que ce soit sale, sans malgré tout, avoir peur du trop. D’où la scène dans la merde, à laquelle je tenais énormément. À la base, c’était presque un hommage à Invasion Los Angeles de Carpenter, il fallait une scène de combat hyper longue. Mes névroses ont fait que c’était dans une fosse septique. Pourquoi ? Je ne sais pas, ça doit être une réminiscence de Salo. Avec le chef déco Samuel Charbonnot, on s’est dit qu’il fallait vraiment que ce soit L’Enfer de Dante - les dimensions de cette fosse, ça n’existe pas, nulle part. Au niveau du travail de la caméra, on a surtout utilisé des plongées, et il y a aussi une mutation par rapport à l’esthétique générale du film. Et pour nous, au tournage, c’était une bascule : Karim Leklou et Guillaume Bursztyn ont fait preuve d’une générosité dingue. Parce que ça a été une surprise pour eux, la taille de la fosse septique. Ils ont répété le combat sur des tapis, à plat, sans se douter des conversations que j’avais avec le chef déco… Mais ils ont fait leur chorégraphie vaille que vaille, jusqu’à l’épuisement. On s’est dit qu’on faisait vraiment n’importe quoi, et on n’avait pas d’autre choix que de continuer et faire de pire en pire. (sourire)

    Cette année, Karim Leklou est déjà monumental dans Goutte d’or de Clément Cogitore, mais dans votre film, il est tout aussi stratosphérique.

    Je ne suis plus sûr d’être totalement objectif, mais je pense que c’est un de nos plus grands acteurs. Je le trouve passionnant parce que je ne sais pas par où ça passe, je ne vois pas les coutures. Il est à la fois M. Tout-le-Monde et extrêmement singulier, il a une douceur, mais aussi une très grande brutalité. Il est planté en terre, il est là, d’aujourd’hui. Et avec ses partenaires de jeu, c’est quelqu’un qui passe la balle, ce qui était essentiel parce que les seconds rôles sont très importants, car ils dévoilent une facette de Vincent. Il a enfin une dimension burlesque, ce qui était fondamental. Il a complètement pigé la tonalité et l’équilibre du film. Je ne fais pas répéter, je pense que ça use des moments d’invention ; ce que je trouve intéressant au cinéma, c’est qu’on peut justement capter le moment où l’acteur invente. En revanche, on a beaucoup parlé avant, on a beaucoup regardé le scénario pour construire et déconstruire, voir ce qu’il ne fallait pas faire. J’ai fait ce même travail avec Vimala Pons, à part — je ne voulais pas user leur rencontre pour qu’on la voie à l’image. On a surtout répété les scènes de combat avec Manu Lanzi.

    Vous avez évoqué la question de la Covid. Est-il possible d’appréhender la communauté des Sentinelles comme des complotistes antivax ?

    On peut les voir comme des complotistes. Là-dessus, je n’ai pas de jugement. Après, il y a des choses qu’il convient de condamner, mais je ne pense pas que ce soit le rôle d’un film. Pour dire où est le Bien ou le Mal, il y a des églises, des synagogues, des mosquées selon sa névrose, mais moi, je sais que ça me gonfle toujours Avec l’infographiste, clairement, pour le site des Sentinelles. on s’est inspirés d’un site complotiste. Mais Je lui disais, sur le contenu du site, mets-le en écriture inclusive, qu’on ne soit pas dans le cliché justement, que ce soit plus compliqué que ça. Quand on entend Élisabeth Lévy à la radio, là c’est autre chose : c’est un frottement avec le réel, les commentaires habituels dès qu’il y a un problème, la recherche d’un bouc émissaire. Il fallait que le hors champ annonce la propagation, c’était un moyen de procéder, et de rendre un hommage au travail et à la carrière d’Élisabeth Lévy. (sourire)

    De plus en plus, le cinéma français, par consanguinité avec les groupes télévisuels présents dans les financements, intègre des présentateurs et éditorialistes qui viennent jouer leur propre rôle, mais votre film établit une distance.

    Il y a un modèle là-dessus, c’est Paul Verhoeven, en particulier ce qu’il a fait dans RoboCop et Starship Troopers. C’est une façon d’avoir à la fois le micro et le macro, ça permet de faire des ellipses, d’aller à l’essentiel de l’expérience que doivent procurer les films. Je n’avais pas envie d’intégrer la télé parce qu’il y a déjà beaucoup d’écrans, je préférais que ce soit de l’audio, du hors-champ, qu’on puisse se construire les images soi-même. Puis soyons honnêtes, c’est bien moins compliqué à faire aussi. Le générique de début est également une façon de mettre en scène cette idée, à travers l’aspect visuel inspiré de Saul Bass et la musique de John Kaced, un compagnon de longue date que je considère quasiment comme un coscénariste du film à part entière.

    – Propos recueillis par François Cau.
    – Merci à *Monica Donati. *
    – Mad Movies #376

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    Bon on en parlait du remaster 4k des 12 singes, il est dispo et comme je le pensait c’est pas fou, y’a beaucoup de grain ce qui fait que ça apporte pas un gros plus

    Titanic par exemple lui est magnifique en 4k

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    Pour ceux qui n’ont pas la ref urotsukidojiesque 😉

    J’ai connu cet OAV (et d’autres) assez jeune via la collection VHS Manga Video. Il m’avait traumatisé et hypnotisé à l’époque ! C’était violent mais l’histoire et l’animation était canon !

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Urotsukidoji

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    Habitué des pages de MadMovies (il nous parlait notamment de Cold Skin dans le numéro 323 et de Gangs of London dans le numéro 343), Xavier Gens n’a pas eu le temps de s’ennuyer ces dernières années. Nous avons retrouvé le cinéaste sur le plateau de son prochain film, un prometteur shark movie produit par Netflix, pour revenir sur les enjeux stylistiques et commerciaux de Farang

    Vous avez commencé à travailler sur Sharks alors que vous tourniez Farang. Toutes proportions gardées, bien sûr, c’est une démarche à la Spielberg !

    C’est une grosse comparaison, je suis très flatté, mais c’est vraiment à mon échelle. Même si Farang est mon projet et que je l’ai coécrit, j’ai voulu garder un côté artisanal et me dire : « OK, on enchaîne, on shoote immédiatement autre chose. ». Il faut savoir faire tourner sa propre boutique afin qu’elle reste vivante d’un projet à l’autre.

    Les films sont mouvants, c’est comme un magma qui ne demande qu’à exploser. Tant que la lave est encore là, tu continues d’avancer. Tant que le plaisir créatif est là, il ne faut pas le laisser s’échapper et j’ai la chance de pouvoir m’exprimer à travers des projets un peu fous, du moins hors système, hors marché. On parle toujours du « marché » et je déteste ce mot. J’aime faire des propositions atypiques et montrer qu’il y a un espace aujourd’hui pour que des choses différentes puissent exister.

    Il y a dix ans, c’était impossible, je n’arrivais pas à trouver ma place, mais aujourd’hui, les geeks ont gagné. On arrive à trouver notre place et on nous demande ! C’est vraiment l’avènement des plateformes qui a provoqué cet appétit pour le genre et la différence.

    Un projet a-t-il fait l’effet d’un déclic dans votre carrière récente ?

    Oui, Papicha. Je l’ai produit indépendamment avec ma boîte et mes associés Grégoire Gensollen et Patrick André. Ça racontait la jeunesse de ma femme, Mounia Meddour, et je voyais le potentiel de cette histoire en tant que film d’auteur, domaine qui est à l’opposé de mon style habituel. Je regarde autant de cinéma de genre que de cinéma dit « classique », donc je me disais qu’il y avait un vrai film à faire là-dessus.

    On a commencé à s’en parler vers 2012. En 2014, Mounia a bouclé une première version du script. Pendant le tournage de Budapest, je lui ai proposé d’aller en Algérie pour faire des repérages et essayer de démarrer la production. On est partis en mode guérilla, tous les deux, on a trouvé des partenaires et le film s’est fait petit à petit. On ne s’attendait pas du tout à la carrière qu’il a pu avoir ensuite. Ç’a été fait avec les tripes, le cœur.

    Quand on a terminé Papicha, il n’a pas été acheté tout de suite. On l’a montré au comité de sélection du Festival de Cannes qui nous a invités dans la catégorie Un certain regard. Ça a donné une vraie carrière au long-métrage, on a ensuite gagné des prix au Festival d’Angoulême et plusieurs Césars en 2020…

    Il a fait 300.000 entrées alors que c’était un tout petit film « hors marché » que personne n’attendait. Ça a complètement rebattu les cartes.

    En parallèle, j’ai fait Gangs of London. Entre Papicha et Gangs…, adoubé par Gareth Evans, j’ai tout de suite vu que je pouvais monter plus facilement mes projets. C’est fou, je l’ai senti du jour au lendemain ! Juste après les César, tout le monde nous appelait car mes projets circulaient déjà depuis un moment dans différentes sociétés. C’est comme si j’étais sous la pile et que soudainement, on m’avait fait passer en haut de cette pile.

    C’est là que Farang est né : le scénario était là depuis un moment, mais tout à coup, on a trouvé le financement. Même chose pour d’autres projets qui arrivent derrière, qui font la queue : mon film de requins, un autre en Afrique du Sud que j’aimerais tourner l’année prochaine et un gros film d’action que je suis en train d’écrire avec Jude Poyer et l’une des scénaristes de Gangs of London.

    Ce qui est génial, c’est que je n’ai plus à me dire que je vais devoir travailler dans une économie ultra réduite. J’ai fait mes premiers films dans avec peu d’argent, mais j’avais des ambitions inadaptées au budget dont je disposais. Souvent, ça pouvait donc être un peu bancal, maladroit, parce qu’il n’y avait jamais suffisamment de moyens et qu’on y allait quand même.

    Aujourd’hui, je peux dire aux producteurs : « Il faut ces moyens-là pour faire ce film de cette manière-là », et j’obtiens généralement ce dont j’ai besoin. Ça donne une liberté et un confort que j’aimerais vraiment conserver, tout en espérant que cela crée un appel d’air pour d’autres réalisateurs.

    Farang est une sorte de prototype dans l’industrie aujourd’hui. On pourrait lui reprocher de ressembler par certains aspects aux productions EuropaCorp d’il y a vingt ans, mais ce genre de films peut non seulement ramener du public dans les salles, mais aussi faire revenir le cinéma de genre sur grand écran pas seulement par le biais de l’horreur, mais aussi du thriller. La France a été un grand pays de thrillers, même si ça s’est étiolé au fil du temps.

    Le film d’action que je prépare avec Jude est très proche de Classe tous risques de Claude Sautet. Il faut à mon avis renouer avec les racines du polar français et se réapproprier ses codes.


    – Xavier Gens (au milieu avec le chapeau), Nassim Lyes (t-shirt blanc) et Jude Poyer (accroupi avec un masque au niveau du cou) posent avec l’équipe des cascadeurs thaïlandais.

    Vous jouez clairement sur le côté français avec le prologue extrêmement social de Farang. Même le combat d’ouverture se montre très réaliste, du moins jusqu’à la chute. Ce n’est pas le même type de chorégraphie que dans le climax dans l’ascenseur.

    Il n’y a qu’un plan annonciateur de ce qui va se passer après et le film bascule à partir de là. Avec Jude Poyer, nous voulions concevoir un combat très réaliste en ne nous permettant qu’un seul gimmick de mise en scène, lorsque les deux personnages tombent ensemble. Ça rappelle les codes du cinéma de Hong Kong.

    Oui, il y a un côté Time and Tide.

    Exactement. Il fallait infuser cet aspect à ce moment précis. La scène se devait d’être brutale et je voulais vraiment garder la chute jusqu’au bout. Cette mort a un impact sur tout le reste de l’histoire, donc il faut qu’on s’en souvienne.

    Il y a tout un cheminement stylistique au fil de Farang.

    J’avais envie de faire un film qui mute au fur et à mesure du récit. L’une des références dont on a parlé avec Jude, c’est Adaptation de Spike Jonze, dont le le style évolue constamment. Je voulais exactement ça : partir d’un film français et basculer doucement vers un registre plus coréen ou indonésien, car je m’inspire ouvertement du travail de Gareth et de sa méthode pour chorégraphier les combats.

    Farang monte aussi crescendo dans la brutalité : il y a des moments qui annoncent la violence, puis des points de basculement.

    La mutation va jusqu’au bout, car on finit par un face-à-face entre Nassim Lyes et Olivier Gourmet, un acteur très typé cinéma d’auteur français, même s’il est de nationalité belge.

    Comme on peut le lire dans le livre qui lui est consacré chez TASCHEN, Kubrick disait que lorsqu’il castait des acteurs dans ses films, il se servait de leur bagage cinématographique. Quand on a choisi Olivier Gourmet, pour moi, il y avait tout le bagage des frères Dardenne qui nous faisait entrer dans une réalité sociale crédible. Dans le cinéma de genre français, pendant longtemps, il y a souvent eu des problèmes de jeu.

    Parce qu’on essayait justement de faire du genre.

    C’est ça. Je me suis affranchi de ces considérations grâce à mes expériences sur Gangs of London et Papicha. Ce dernier, était vraiment un film très français où Mounia, caméra à l’épaule, laissait vivre les situations. Moi, je me prépare tout le temps à fond, mais je l’ai vue se laisser choper par ce qui se passait sur le moment. Elle était tellement décomplexée par rapport à la mise en scène que j’ai décidé de m’inspirer de sa méthode afin de chercher une authenticité, un réalisme dans mes séquences de mise en place en France et en Thaïlande. Ça a aidé à ancrer le genre dans une réalité et le film a pu basculer progressivement par son style sans devenir poussif au niveau des dialogues.

    La manière dont j’ai dirigé Nassim rejoint cette idée : je l’ai poussé vers un jeu « auteurisant » – je ne veux surtout pas que ce soit pris comme un gros mot. Il fallait qu’il soit le plus authentique possible et qu’il s’éloigne au maximum des personnages de comédie qu’il avait incarnés avant. Je lui ai dit de revoir Al Pacino dans L’Impasse de Brian De Palma, qui est dans l’épure en permanence.


    – Farang se paie quelques effets gore dignes de Lucio Fulci !

    Et Pacino n’est généralement pas connu pour donner dans l’épure…

    Sa prestation est d’autant plus belle. Scarface et L’Impasse, c’est le yin et le yang. Ce sont deux films siamois, qui se répondent. Je voulais amener Nassim vers cette typologie de personnage spécifique. Je lui demandais souvent de reprendre avec une voix plus basse, en s’inspirant d’Eastwood. Pas besoin de monter en volume : less is more.

    Quand tu regardes d’autres films français qui ont traité de sujets un peu similaires, tout de suite, on a des grosses cailleras avec des tatouages partout, qui font du rap… On ne peut plus faire ça. Ce genre de facilités propulse le récit dans la caricature, ce qui est, j’insiste, le problème central de notre cinéma de genre.

    Quand on essaie d’imiter quelque chose, on le caricature, en bien ou en mal. Parfois ça donne des merveilles comme les deux premiers OSS 117, mais la plupart du temps, on se plante.

    Il y a eu des jeux d’acteur très stylisés dans l’Histoire du cinéma de genre français, par exemple celui de Jean Marais dans La Belle et la Bête de Cocteau. C’était bien sûr intégré à un univers visuel et une photographie tout aussi stylisés, mais ça fonctionnait. Il y a encore aujourd’hui aux États-Unis des performances ouvertement expressionnistes, par exemple Nicolas Cage dans la plupart de ses rôles. Mais en France, la stylisation du jeu semble être devenue impossible.

    On est très pragmatiques dans le domaine du jeu. Si l’acteur n’y croit pas, nous non plus. Beaucoup de comédiens peuvent regarder le genre de haut. Il faut donc réussir à les amener dans un ancrage beaucoup plus authentique, donc plus auteurisant. Sur Farang, on a toujours été sur un ton premier degré, on a gardé notre identité française ; on n’essayait pas de singer les Américains, ce qui sur Frontière(s) a été mon plus gros défaut.

    Mon but sur Farang était surtout de jouer avec la figure du thriller et de l’emmener ailleurs grâce à mon propre bagage et à mon envie de rebooter mon cinéma. Je me suis un peu cherché au fil des années, j’ai exploré des genres, mais je n’ai pas réussi à signer le film où je m’affirmais vraiment. Je pense que Farang est un nouveau premier long : je me réaffirme sur un univers, sur une manière de filmer, sur une façon de trouver mon ton.

    Je me souviens d’une interview récente entre Iñárritu et Scorsese : le premier a demandé au second à quel moment il avait réussi à définir son univers. Scorsese a répondu qu’à un moment, on le sent parce qu’on est le plus sincère possible et qu’on ne rougit plus en montrant le film à d’autres.

    Quand Iñárritu a fait Birdman, il a appelé Scorsese et lui a dit : « Ça y est, je sais qui je suis. ». Pour lui, Babel ou Amour chiennes appartenaient plus au scénariste qu’à lui. C’est fou, quand même.

    Scorsese vient de déclarer qu’il a enfin compris ce qu’il doit faire avec son cinéma, mais qu’à 80 ans, il est presque trop tard.

    La vérité de notre travail est là : on doit se chercher et comprendre ce qu’on veut raconter. Je suis un jeune metteur en scène, j’ai démarré à 30 ans et forcément, je me cherchais. On tâtonne, on se trompe, parfois on essaie des trucs qui marchent, d’autres fois, ça ne marche pas du tout, mais on continue d’avancer. Farang est vraiment l’accomplissement d’un apprentissage d’une dizaine d’années.

    Un apprentissage demande énormément d’humilité. Nous avons beaucoup échangé au fil des ans, et nous avons toujours eu des discussions très ouvertes concernant vos films, que nous avons parfois aimés, parfois non. Mais il y a toujours eu des débats très sains et des argumentations. On dirait que vous avancez sur le long terme, sans avoir peur d’analyser vos réussites et vos erreurs.

    C’est hyper important. Indispensable. Je suis complètement d’accord. Honnêtement, j’espère arriver à la perfection un jour. C’est un peu comme les Compagnons qui ont besoin d’effectuer 10.000 heures de travail avant de pouvoir créer un chef-d’œuvre.

    Un jour, j’espère pouvoir faire un chef-d’œuvre. Un. Juste un, à la fin de ma carrière. J’en serais ravi.

    Votre projet sur Lapérouse, peut-être ?

    Pour moi, c’est le meilleur candidat.

    Voilà sans doute pourquoi il ne figure pas dans vos projets imminents, un peu comme si vous reculiez l’échéance pour être sûr d’être totalement prêt.

    Il faut savoir attendre pour avoir atteint une maturité suffisante. À 48 ans, j’apprends encore. Quand je vais sur le plateau de Havoc de Gareth Evans en tant que réalisateur de seconde équipe, c’est pour apprendre. Je sais que j’ai plein de choses à découvrir, que je ne connais pas tout.

    Ma rencontre avec Gareth et Jude a été absolument fondatrice. Après avoir travaillé avec eux, je ne peux plus bosser autrement. J’ai vu ce qu’il fallait faire, j’ai mis les mains dans le cambouis et ça a scellé une amitié complètement dingue. On entretient une passion commune pour ce genre de cinéma, on cherche l’excellence, donc on veut apprendre en permanence.

    Pendant le confinement, on regardait les films d’Imamura pour saisir la substantifique moelle de la narration et de l’émotion et ajouter ce qu’on aime dedans, c’est-à-dire de l’action hard boiled ! (rires)


    – La séquence de l’ascenseur, donnant l’illusion d’un plan continu, devrait rester dans les annales du cinéma d’action.

    La séquence de l’ascenseur est assez hallucinante.

    Avec Jude, on voulait créer une nouvelle référence. On a discuté de tous les « beats » narratifs et de l’énergie que la scène devait contenir. La séquence du couloir est une préparation et l’ascenseur doit nous faire mal.

    La préparation est même encore un peu plus longue : il y a la scène du quai juste avant. On peut facilement visualiser la direction que prend le climax, d’abord en avant, puis sur le côté avec le couloir et enfin vers le haut avant la rencontre avec le « boss final ». Cela donne une dynamique intéressante au récit.

    Et avec la rencontre avec Gourmet, je voulais glisser un clin d’œil à Clarence Boddicker dans RoboCop !

    Sage décision. Comme évoqué en début d’interview, vous êtes en train de tourner Sharks alors que nous parlons de Farang. Vous ne vous sentez pas un peu schizophrène ?

    Non, c’est même très clair dans mon esprit. Faire la tournée d’un film, c’est un moment un peu marrant, ça reste un plaisir. C’est juste une situation un peu inhabituelle, en particulier en France. Je ne me comparerai jamais au talent d’un Spielberg, mais c’est un vrai modèle, que ce soit en termes d’organisation professionnelle ou dans son style de narration. Il a littéralement le cinéma dans le sang, ça paraît inné chez lui.

    J’en parlais récemment avec Michel Hazanavicius. Nous, on va galérer un peu plus que lui avant d’atteindre la pureté d’une séquence, avant de réussir à trouver l’angle de prise de vue nécessaire. C’est une quête perpétuelle. Redémarrer un film aussi rapidement après en avoir achevé un autre, c’est une chance immense à ce niveau.

    On peut continuer d’explorer ce qu’il est possible de faire d’un point de vue narratif avec une caméra. Sharks, en plus, est complètement différent de Farang : on est vraiment sur tout autre chose. Et sans que je le veuille vraiment, le film a une teinte Amblin ! On a déjà une heure vingt de montage et on reconnaît cette influence, alors qu’elle n’était pas prévue…

    Propos recueillis par Alexandre Poncet

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    Son nouveau film, Mad Fate, commence à peine la tournée des festivals internationaux que Soi Cheang planche déjà sur la postproduction du suivant, le prometteur Kowloon Walled City. C’est donc dans une certaine ébullition qu’il prend le temps de revenir sur sa carrière. Sa webcam le capte comme l’un de ses personnages : en contre-plongée, sous des néons semi-aveuglants, entre deux clopes et deux gorgées de café.

    Vous avez débuté votre carrière de réalisateur à une époque de transition après la rétrocession. Dans quelles conditions avez-vous découvert l’industrie cinématographique hongkongaise ?

    C’était clairement la fin d’un âge d’or. Il n’y avait pas de grosses productions, les films étaient en grande partie des versions revisitées de succès passés. Il y avait néanmoins des tentatives de renouveau dans le domaine du thriller, un genre qui avait le double avantage de ne pas coûter trop cher et d’avoir un public enthousiaste. J’ai d’abord tourné des films relevant plutôt du cinéma d’auteur, sans avoir de plan de carrière en tête. Après, j’ai grandi avec le cinéma de Hong Kong, les ressorts de son cinéma policier me sont familiers, c’est un genre qui me plaît. J’ai fini par me dire que j’en maîtriserais bien les codes.

    Au même moment, Johnnie To crée sa société de production, la Milkyway Image, et remue le polar hongkongais dans tous les sens. Que pensez vous de son apport en la matière, et comment s’est déroulée votre collaboration sur Accident et Motorway ?

    Johnnie To a abordé le genre sous une grande variété d’angles différents, de façon unique, souvent à contresens des modes de l’époque. Il ne pense pas qu’en termes commerciaux, il se sert du genre pour exprimer ses idées au public. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec lui, il a eu un grand impact sur ma Carrière.

    Sous l’aile de Johnnie To, vous assumez un élément crucial de votre filmographie, qui apparaît plus nettement à partir de Love Battlefield : cette gravité presque mélodramatique, une forme de romantisme de la fatalité.

    Un film reflète nécessairement l’état d’esprit de son auteur ou de son metteur en scène. Il m’est arrivé d’être autant perdu que les personnages, cela dépend des périodes. Pour ce qui est de la fatalité, je ne sais pas si je m’y reconnais, cela voudrait dire qu’il faudrait tout le temps recommencer ce qu’on fait de la même façon, sans alternative. Je préfère m’égarer en cherchant mon chemin que de reproduire le même trajet. C’est comme ça qu’Accident et Motorway ont été écrits et filmés.

    La première fois que votre nom est apparu sur les radars français, c’était en 2006 avec Dog Bite Dog. Comment expliquez-vous le retentissement de ce film en particulier ?

    Mon film précédent, Home Sweet Home, n’a pas marché. J’avais le poids de l’échec sur les épaules, mais Ça ne s’est pas traduit par du désespoir, plutôt par une forme de colère. Je me suis retrouvé sur ce projet coproduit avec le Japon, donc avec une pression commerciale moindre. Pendant toute la phase de préparation, je bouillonnais, et j’ai voulu conserver cet état d’esprit pour l’injecter dans le film. C’est ce qui a fait, je pense, qu’il ne ressemble pas à mes longs-métrages précédents.

    Dans les années 2010, vous avez tourné trois films Monkey King, des blockbusters coproduits entre la Chine et Hong Kong inspirés de La Pérégrination vers l’Ouest. Qu’avez-vous retiré de ces expériences ?

    Je n’ai pas vraiment participé au développement ou à l’aspect créatif de ces films. Ils ont remporté un grand succès commercial, ce qui m’a aidé pour la suite de ma carrière.


    – Lau Cham (Lam Ka-Tung) harcèle inlassablement Wong To, responsable d’un accident qui à brisé sa famille

    Pendant et après ces trois réalisations, vous tournez SPL 2 et Limbo, les œuvres les plus violentes et intenses psychologiquement de votre filmographie. Ce durcissement est-il lui aussi une réaction à quelque chose ?

    Oui, il y a un lien de cause à effet. Il y a besoin d’un certain équilibre dans la production d’un film, et même si les Monkey King m’ont beaucoup apporté professionnellement, je me reconnais bien plus dans SPL 2 et Limbo. Après ces trois blockbusters produits sur le continent, j’avais très envie de retravailler à Hong Kong sur un projet qui me parlerait à un niveau personnel.

    Limbo va encore plus loin que SPL 2 dans la noirceur, dans le désespoir. À tel point qu’on peut se demander s’il vous sera possible de repousser d’autres limites.

    (rires) Ce n’est pas un objectif en soi. Ce ton collait à l’histoire du film et je trouve qu’il y a quand même une touche d’espoir ; le but n’était pas d’enfoncer le spectateur dans les ténèbres totales. Pour ce film comme pour les autres et les suivants, encore une fois, tout dépend de mon état d’esprit.

    Limbo réussit également à surpasser Diamond Hill, Home Sweet Home ou Dog Bite Dog dans la représentation d’un univers urbain marginal, en déliquescence.

    Tous ces films documentent l’évolution de Hong Kong à travers mon regard de réalisateur. Dans les années 1980, les spectateurs retiraient de la ville l’image d’une cité dynamique, prospère, dont les habitants avaient une vie assez riche. Mais ce n’était qu’une façade ; la réalité était tout autre. Je suis sensible à la misère qu’on peut voir dans les rues, au désespoir, et il me semblait important d’apporter ce contrepoint, de montrer ce qui est généralement caché.

    Votre démarche rappelle certains polars hongkongais du début des années 1980, filmés à | l’arrache dans la citadelle de Kowloon, comme Long Arm of the Law de Johnny Mak.

    J’adore Long Arm of the Law, mais il adopte un point de vue beaucoup plus réaliste que Limbo, et son histoire de criminels continentaux clandestins reflète un authentique phénomène de cette période là. Limbo prend plus de libertés créatives par rapport à son contexte.


    – Will Ren (Mason Lee) un jeune flic chargé de retrouver un insaisissable tueur en série.

    La photographie de Cheng Siu-Keung est magnifique, et le noir et blanc lui donne une force supplémentaire. Quand et comment avez-vous fait ce choix ?

    Le tournage a pris un certain temps, et au moment de la postproduction, même si je n’avais pas de souci avec les couleurs ou la lumière, il me restait une insatisfaction, un manque. J’ai testé le passage au noir et blanc, ça amenait une fusion entre les personnages et les décors sans amoindrir la puissance du jeu des acteurs. Ce mélange est cohérent avec ce que je cherchais à exprimer. Je suis infiniment reconnaissant à la production et à la distribution d’avoir accepté de sortir cette version en noir et blanc, je trouve que le film y gagne vraiment.

    Comment avez-vous abordé la question de la violence infligée au personnage de Wong To, à l’écriture puis à la mise en scène ?

    Je me suis attaché à proposer un point de vue original sur ce personnage. Wong To a commis des erreurs, des crimes dont elle se sent coupable au point de vivre un véritable enfer. Elle cherche le pardon, mais le seul fait de le demander la plonge dans une autre sorte d’enfer, elle doit se confronter à ses actions sans savoir si elle obtiendra gain de cause auprès de celui à qui elle a fait du mal. Il fallait que je pousse le personnage au point limite de sa résistance ; je comprends que ça puisse susciter le débat.

    La sortie de Limbo en salles françaises est une excellente nouvelle, à une période où les productions de Hong Kong arrivent rarement jusqu’à nos frontières. Il y a en outre, chez de nombreux observateurs, une peur de voir cette industrie disparaître, avec de moins en moins de films produits et de plus en plus de contraintes de production. Ce constat vous paraît-il fondé ou trop pessimiste ?

    Le passé est le passé, on ne peut pas revenir en arrière. Les années 1970, 1980 et 1990 ont été des décennies exceptionnelles, surtout pour un territoire aussi restreint. C’est incroyable qu’un tel nombre de films ait pu être produit, et quoi qu’il arrive, ces œuvres vont rester. La question de l’avenir, toute l’industrie l’a en tête depuis quatre ou cinq ans. Une chose est sûre, il faut continuer, reprendre le flambeau et faire des films, ne pas se reposer sur des souvenirs et trouver de nouveaux paradigmes.

    – Propos recueillis par : François Cau.
    – Merci à Mathias Chouvier, Jean-François Gaye et Qin Lau.
    – Traduction : Liu Qing.
    – Mad Movies #373

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    Remarqué avec le film d’horreur lovecraftien The Hole in the Ground, acheté en 2018 par A24, l’Irlandais Lee Cronin est contacté par Sam Raimi alors qu’il présente son ouvrage à Sundance. Le croyant un temps trop doux pour prendre le relai de Fede Alvarez, Robert Tapert accepte finalement de suivre l’instinct de son associé et confie à Cronin les rênes du cinquième long-métrage de la saga Evil Dead…

    Evil Dead Rise comporte le plus beau main title design qu’ont ait vu depuis bien longtemps. Tout est parfait, avec ce logo et ce titre, et on parle bien trop rarement de cet art. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Annie Atkins ?

    Je suis content que vous m’en parliez. Quand on fait un film, tous les détails comptent, de la première image à la fin du générique de clôture. Tout contribue à l’expérience. J’essaie d’être assez précis quand j’écris un scénario, donc l’émergence du titre hors de l’eau était déjà décrite ainsi dès la première version. Ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé en postproduction. Dans le script, on peut lire que des lettres rouges gigantesques s’élèvent dans le ciel et donnent une idée de ce que le film sera. On a longtemps eu une version temporaire de ce titre au montage.

    Annie Atkins vit tout comme moi à Dublin et j’avais déjà travaillé avec elle sur mon film The Hole in the Ground. Je me suis dit qu’elle serait parfaite pour ce job. On en a beaucoup parlé au préalable, puis on a bloqué un style et un look. Le timing était très important, de même que l’espacement des lettres. En plus, il fallait que le titre interagisse avec l’environnement : on voit en effet le reflet des lettres dans la surface du lac et elles bloquent le soleil, ce qui change légèrement la couleur du plan. Annie a un œil génial ; elle a écouté mes idées et m’a guidé dans le choix des polices qui serviraient le mieux cette introduction.

    La composition est entièrement basée sur le concept du titre, on n’a pas cadré au hasard et décidé d’ajouter les lettres aléatoirement. Je voulais que la fin du prologue soit audacieuse, opératique et culottée à plusieurs niveaux. Il fallait taper métaphoriquement du poing sur la table et dire au public : « Vous allez vivre une sacrée expérience en regardant ce film. ». C’est d’ailleurs l’objectif de l’introduction dans son ensemble : elle est là comme une sorte de teaser et donne un avant-goût du parcours de montagnes russes qui va suivre. L’idée est de clouer le spectateur sur son siège avant de vraiment débuter l’intrigue.

    Vous répétez rarement deux fois le même plan dans Evil Dead Rise. Certes, l’histoire est globalement contenue dans un immeuble, un couloir et un appartement, mais vous nous guidez à travers le récit en renouvelant constamment votre approche visuelle.

    C’est ce que j’appelle le « rafraîchissement visuel ». Ça sonne un peu comme un cliché, mais chaque plan raconte un nouveau bout d’histoire et ajoute un peu de dynamisme au récit. J’ai compris très tôt que ce film allait avoir besoin d’énergie. C’était primordial pour créer une « poussée » proche du rollercoaster. Quand on analyse une idée, on essaie de l’appréhender en un tableau gigantesque, composé de plein de petites vignettes. C’est comme un montage photographique. On se demande où on va mettre la caméra à tel ou tel moment, et plus on avance dans la préparation, plus on peut préciser les détails. Donc, ce rafraîchissement était important.

    Je sais qu’il y a des réalités pragmatiques dans la création d’un film et on est tous amenés à faire du coverage (captation d’une même scène via de multiples angles afin de s’assurer d’avoir tout le matériel requis au montage – NDR). Mais quand j’arrive sur un plateau, au milieu de mon équipe d’artistes et de techniciens, je me dis aussitôt que le coverage est la mort du cinéma. C’est une facilité, une sécurité. Autant que possible, j’essaie d’éviter d’y avoir recours.

    Mon directeur de la photographie Dave Garbett en a déjà parlé en interview et il est d’accord avec moi. Notre collaboration est basée sur ce principe : chaque image est l’occasion d’apporter un élément nouveau. Voilà d’ailleurs pourquoi nous avons beaucoup employé l’objectif à foyer partagé sur Evil Dead Rise. Pour certains plans, nous avions besoin de profiter d’un gros plan et d’une réaction dans le même cadre.

    Couper au montage aurait diminué l’énergie. Je voulais condenser le maximum de détails à l’écran, car cela donne lieu à une expérience plus immersive. Le spectateur a vraiment l’impression de faire partie de ce monde. Si, dans la vie réelle, on se retrouvait dans cette histoire, à vivre ce que vivent les personnages, ça ressemblerait à une sorte de rêve fou et fiévreux. On aurait l’impression d’être drogué. En juxtaposant toutes ces couleurs, toute cette énergie, tous ces sons et toutes ces images, on pouvait s’approcher de cette sensation de cauchemar éveillé.

    Vos décors sont incroyablement chargés. Même avant l’intervention de l’élément fantastique, cela donne à l’image une atmosphère claustrophobique. La lumière est faible et l’appartement est rempli de meubles, d’accessoires et de bibelots, ce qui contraste avec le vide de l’immeuble, qui va bientôt être démoli.

    On a parlé de tout ça en préproduction. Faire un film Evil Dead, c’est aspirer à créer le meilleur spectacle horrifique possible. Mais avant de se lancer dans le parcours de train fantôme, il faut trouver des motivations dans le script et comprendre pourquoi on prendra telle ou telle décision.

    Dans les précédents Evil Dead, personne ne vivait dans le chalet et cela donnait à l’histoire un aspect exotique et relativement crédible. Mais dans Evil Dead Rise, on parle d’une famille contemporaine qui vit dans le même endroit depuis dix, voire quinze ans. Il y a donc des couches de vie qui se sont superposées au fil du temps.

    Il y a même des détails dans le décor sur lesquels on n’a jamais vraiment eu l’occasion d’insister à l’écran. Vers le début du film, quand Ellie et Beth ont une conversation sans les enfants, Beth est sur le sofa et Ellie est debout dans l’encadrement de la porte. En regardant attentivement, vous verrez la taille des enfants, avec les années correspondantes.

    La relation entre les deux sœurs peut être lue de différentes façons. Ellie accuse sans cesse Beth de n’être qu’une groupie, car elle travaille dans le monde du spectacle et dans le milieu du rock. Ce qui la met systématiquement en rage. Est-ce une manière pour vous d’anticiper d’inévitables accusations de fanboyisme alors que vous vous retrouvez à la tête d’un projet aussi culte qu’Evil Dead ?

    J’adore cette interprétation ! Honnêtement, je n’y avais pas pensé en ces termes. C’était surtout pour moi un élément dramatique : Ellie est fière de sa sœur, mais elle est également jalouse de sa liberté. C’est pour ça qu’elle essaie tout le temps de la diminuer, même inconsciemment.

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    – Lily Sullivan, l’interprète de l’héroïne Beth qui va devoir protéger ses neveux contre leur mère possédée.

    Vous avez tourné en anamorphique, ce qui est plutôt intéressant car l’immeuble est vertical, et compte tenu du format, vos plans d’établissement deviennent forcément baroques. Vous exploitez toutefois la verticalité du cadre avec la scène du couloir, et vous resserrez le ratio lorsqu’on voit tout le massacre à travers le judas.

    Dans mon précédent film, j’avais tourné une scène entière en plan fixe et toute la violence intervenait hors champ. Ça peut sembler facile, mais ça confère à ce moment une certaine puissance. The Hole in the Ground disposait d’un budget bien plus faible, donc je ne pouvais pas aller très loin dans mes ambitions, mais cette idée de mise en scène me plaisait vraiment.

    Avec Evil Dead Rise, j’ai essayé de trouver une occasion de jouer sur ce point de vue restreint, un peu comme une signature. Quand on ne voit pas tout, les autres sens s’éveillent. Dans Evil Dead Rise, c’est un peu différent : il y a des moments qu’on cache au spectateur, mais aussi des passages viscéraux, comme celui où l’enfant est projeté contre le mur avec un bras en moins.

    Le but, c’est que le spectateur se dise que l’action dépasse largement ce qu’il voit dans les limites du cadre. Le judas devient presque un personnage lui-même au fil de l’intrigue. Je n’avais pas de cave, donc il me fallait une ouverture vers un espace parallèle à celui de l’appartement. Ce qui transformait ce dernier en une sorte de sanctuaire et s’inscrivait parfaitement dans l’esprit de la saga Evil Dead.

    L’emploi de l’anamorphique est aussi dû à des limitations. Je ne pouvais pas m’amuser avec une forêt entière, mais je voulais tout de même créer un vrai film de cinéma, avec une certaine ampleur. C’est marrant : parfois mes neveux me demandent de prendre des photos avec mon smartphone, et je le tiens instinctivement en position horizontale. Ça les rend dingues, car ils veulent tout en vertical pour pouvoir diffuser ça sur Instagram. Je n’arrive pas à penser de la sorte.

    Quand je vois quelqu’un filmer en vertical, j’ai envie de lui arracher son smartphone des mains…

    (rires) Des touristes m’ont arrêté dans la rue il y a quelques jours pour me demander de prendre une photo d’eux devant un mur fleuri. J’ai tenu le smartphone à l’horizontale et ils ont commencé à me dire : « Non non, en vertical. » « Eh, je vous fais une faveur, laissez-moi prendre la photo. »

    Enfin bref, je voulais donner à Evil Dead Rise une certaine échelle, même en intérieur. Nos yeux ont un champ de vision très large. Quand je me balade dans mon appartement, je peux presque voir tous les murs sans tourner la tête. Je voulais capturer ça tout en faisant ressentir l’enfermement des personnages. Il est facile d’installer une focale anamorphique sur une caméra, mais il faut qu’il y ait un raisonnement derrière.

    Dès les logos d’ouverture, vous dites aux spectateurs qu’ils vont devoir faire attention à ce qui se déroule sur les côtés, ou derrière : le bourdonnement d’une mouche passe à travers toutes les enceintes avant de disparaître.

    C’était une sorte de message, mais aussi une opportunité d’ancrer le film dans la continuité des précédents. Bruce Campbell m’a donné un disque dur avec des numérisations des enregistrements sonores originaux. J’ai intégré plusieurs de ces effets dans mon histoire, de différentes façons. La mouche vient de là.

    Le film regorge d’effets gore extrêmes qui impliquent, une fois n’est pas coutume, une enfant et des adolescents. En coulisse, comment avez-vous géré cela sur le plan psychologique, notamment avec la petite Nell Fisher ?

    Les parents sont essentiels dans le processus, ils doivent comprendre les nécessités et les réalités du tournage. La communication avec les enfants est elle aussi très importante : il faut leur parler des effets spéciaux le plus tôt possible. Nell Fisher, qui joue Kassie, avait 9 ans pendant le tournage, mais elle était incroyablement intelligente.

    Dans The Hole in the Ground et dans plusieurs de mes courts-métrages, j’avais déjà travaillé avec des enfants. Ce que j’ai appris, c’est qu’on doit les intégrer à l’équipe et les impliquer dans le développement. Quand les gars des effets spéciaux préparent des gags avec beaucoup de sang, il faut inviter les gosses à appuyer sur un bouton. Ça devient une fête de Halloween, ils s’amusent et ils veulent être là quand quelque chose d’horrible va être filmé. Ils voient le côté rigolo sur le plateau, et pas forcément le plan final sur le combo.

    Votre hommage à Shining est excellent.

    Il y a des œuvres qui vous marquent quand vous êtes jeune et auxquelles vous ne pouvez plus échapper par la suite. La filmographie de Sam en fait partie ; il figure sur mon mont Rushmore cinéphilique. Et bien sûr, il y a Shining. Je savais que j’allais avoir besoin d’un ascenseur dans l’immeuble, donc je devais absolument le remplir de sang. Il aurait presque été impoli de ne pas le faire. Dans Shining, on voit ce qui arrive après, mais dans Evil Dead Rise, on voit ce qui se déroule dedans !

    – Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    – Merci à Étienne Lerbret.
    – Mad Movies #370

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    Brendon Durey est le directeur du studio néo-zélandais Filmfx, collaborateur privilégié de Rob Tapert et Sam Raimi depuis les séries Hercule et Xena au milieu des années 1990. Déjà présent en coulisses de Ash vs Evil Dead, Durey a volontiers repris du service sur Evil Dead Rise…

    Quel est exactement votre rôle en tant que superviseur des effets spéciaux ?

    Le département des effets spéciaux – ou des effets mécaniques comme on le nomme parfois – s’occupe de tout ce qui ne concerne pas les monstres en latex ou les trucages numériques. Notre boulot principal concerne la météo et les atmosphères : nous créons la pluie, le vent, la neige ou le brouillard. Nous nous occupons aussi des flammes, des effets pyrotechniques et des trucages physiques impliquant des mouvements hydrauliques, pneumatiques ou des pompes diverses. Sur des films d’horreur, on doit par exemple pomper du sang un peu partout.

    Dans la plupart des pays, le département des maquillages va souvent créer les saignements sur les personnages, mais en Nouvelle-Zélande cette mission nous revient presque systématiquement. Nous travaillons donc directement avec les maquilleurs et installons des systèmes dans les prothèses. Je ne veux surtout pas prétendre que nous concevons les maquillages : ce domaine ne nous concerne pas du tout. C’est un art très spécifique, et je ne sais absolument pas faire ça.

    Vous devez travailler très étroitement avec les autres départements, car tout est lié…

    Absolument. Le production designer d’Evil Dead Rise, Nick Bassett, a été incroyable, soit dit en passant. La première fois que j’ai bossé avec lui, c’était sur Hercule contre Arès en 1998. Nous sommes restés amis et nous avons souvent collaboré depuis, en montant les échelons chacun de notre côté.

    Depuis une douzaine d’années, Nick est le production designer attitré de Rob Tapert en Nouvelle-Zélande et leur méthodologie est bien rodée. Quand on connaît les gens depuis plusieurs décennies, les choses avancent plus vite et plus efficacement.

    Pouvez-vous nous parler de votre travail en préproduction d’Evil Dead Rise ?

    Durant ma première réunion avec Lee, après avoir lu le scénario, je lui ai expliqué ma méthodologie pour le sang et le vomi : si un personnage donne un coup de couteau à un autre et qu’une giclée de sang lui arrive au visage, il ne faut pas attendre le jour du tournage pour savoir quel look on veut obtenir.

    Nous faisons des tests sur des mannequins pour chaque effet d’éclaboussure afin de définir la pression et la quantité de sang exactes. Il est important d’établir tout ça avant le début des prises de vues, car nettoyer le plateau coûte très cher.

    Comment préparez-vous votre faux sang ?

    Nous avons développé notre propre recette au fil des années. Elle a été utilisée sur Ash vs Evil Dead et Spartacus. Sur Hercule et Xena, on avait déjà pu faire des expériences avec le faux sang. Nous avons aujourd’hui une méthode de fabrication très efficace. La base, c’est le sirop de maïs à haute teneur en fructose, une matière extrêmement sucrée. On le stocke dans des containers de 20 litres. On le fait bouillir, puis on ajoute de l’eau. La clé pour obtenir un faux sang crédible, c’est la viscosité.

    Nous avons mis au point des tests pour nous assurer que cette viscosité soit conforme à l’effet que nous recherchons. Nous fabriquons d’ailleurs différents types de faux sang, chacun avec une viscosité et une couleur particulières. L’une de nos mixtures présente un rouge très éclatant, qui correspond à du sang frais. Nous avons un mélange plus sombre pour du sang qui aurait été versé il y a longtemps.

    Certains réalisateurs demandent aussi une hémoglobine plus sombre. Une fois le faux sang standard cuisiné, nous en fournissons des échantillons aux départements des maquillages, des costumes et des décors. Car quand le sang vole dans les airs, c’est notre job. Mais quand il est renversé sur le sol, c’est le job des décorateurs ; quand il éclabousse un costume, c’est le job des costumiers ; quand il est appliqué sur le visage de quelqu’un, c’est celui des maquilleurs. Ce sont souvent ces derniers qui choisissent la couleur et la teinte finale du faux sang.

    Ce qui est clair, c’est que nous devons en produire des quantités astronomiques. Sur Evil Dead Rise, nous en avons préparé six tonnes et demie…

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    Vous avez battu un record, non ?

    Cette quantité était nouvelle pour nous. Engager une armée de techniciens pour préparer des portions de 20 litres aurait coûté une fortune, donc nous nous sommes tournés vers une usine alimentaire : nous avons pu utiliser leur équipe et leurs cuves industrielles pour créer la quantité dont nous avions besoin.

    Nous avons quand même dû acheter des IBC (intermediate bulk containers – NDR), c’est-à-dire des réservoirs industriels en plastique qui sont utilisés pour déplacer de grands volumes de liquides. Nous en avons rempli six et demi, nous les avons fait livrer au studio, et nous les avons stockés dans un container réfrigéré jusqu’au moment où nous avons dû les utiliser.

    Avez-vous travaillé sur la séquence où du sang coule du nez et des yeux d’une adolescente ?

    Oui, on s’est inspirés du clip When the Party’s Over de Billie Eilish, dans lequel une matière noire sort des yeux de l’artiste. Nous avons collé des petits tubes le long des tempes de Gabrielle Echols et nous les avons tirés jusqu’à la base des yeux et vers les narines. Puis les artistes des effets visuels ont effacé numériquement ces tubes.

    C’est extrêmement efficace, car on regarde le sang et non les tempes ou les joues. On est focalisé sur l’élément réel et non sur ce qui est faux.

    Oui, et ces artistes sont devenus très bons pour effacer ce genre de choses. À l’inverse, les interactions entre des liquides et la surface de la peau sont très difficiles à simuler à l’aide d’effets digitaux.

    Le vomi a-t-il été simulé de la même façon ?

    Oui, nous avons installé un coquetier en silicone à l’intérieur de la bouche de l’actrice et lui avons fixé un tube sur la joue jusqu’au milieu de la lèvre inférieure, en direction de la bouche. Nous avons pompé notre faux vomi dans sa bouche et celui-ci a rebondi à l’extérieur, donnant l’illusion d’un spray réaliste. C’était très inconfortable pour l’actrice, mais elle a pu s’entraîner à placer le coquetier d’une certaine façon afin de résister à la pression…

    C’était vraiment une guerrière : vous vous imaginez, vous, en nuisette et maquillée en monstre, en train de dégobiller des litres de faux vomi devant 40 personnes ?Je crois qu’elle a expulsé 50 litres dans cette scène, alors que l’estomac humain est limité à 7…

    Êtes-vous un fan de L’Exorciste ?

    Oui, je l’ai toujours été. Je comprends pourquoi vous me posez la question ! Ça faisait partie des références qu’on a étudiées pour Evil Dead Rise. Nous avons aussi revu Stand by Me et Monty Python, le sens de la vie.

    Comment a été tournée la séquence de la salle de bains, lorsqu’Ellie se retrouve au plafond ?

    C’est mon ami Stuart Thorp, le coordinateur des cascades, qui s’est chargé de cet effet. Avec son équipe, ils ont mis au point un système d’attaches spécifiquement pour cette séquence. Le département des décors a également construit une salle de bains inversée qui a été utilisée pour les plans les plus complexes. Ils ont donc filmé la tête en bas.

    – Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    – Merci à Étienne Lerbret.
    – Mad Movies #370

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    attendons j’ai adoré “belle” de je sais pas qui et des ghibli en générale 🙂 Merci pour ces articles !

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    – Kim Hong-Sun lors du tournage de Project Wolf Hunting

    Kim Hong-Sun : Réalisateur & scénariste

    Si son film de possession Metamorphosis (2019)témoignait déjà de son envie de sortir du cadre du thriller où il avait fait ses armes, Projet Wolf Hunting propulse son réalisateur dans la sphère des auteurs sud-coréens transgressifs, pas nécessairement prophètes en leur pays, mais prisés des amateurs internationaux de sensations beaucoup trop fortes.

    Dans le cinéma sud-coréen, un pic avait été atteint dans la représentation de la violence avec J’ai rencontré le Diable de Kim Jee-woon. On peut se demander si Projet Wolf Hunting ne va pas encore plus loin…

    Pour le public coréen, J’ai rencontré le Diable a été un point de non-retour. C’était trop gore. L’horreur résonnait de façon émotionnelle et psychologique, l’histoire de vengeance était ancrée dans un sous texte social, avec en filigrane un regard sur la société coréenne. En ce qui concerne Projet Wolf Hunting, ce n’était pas mon intention. Je voulais plutôt qu’on le considère comme un film d’action réaliste, un genre que j’ai baptisé « neo-noir hyper reality ». L’histoire relève du fantasme et se concentre vraiment sur l’action, ce qui le distingue, je pense, du film de Kim Jee-woon.

    Vous avez déclaré en interview que la représentation de la violence, dans le cinéma sud-coréen, est presque taboue pour le public. C’est assez étonnant dans la mesure où il y a tout de même une violence sociale, psychologique et même politique dans beaucoup de films locaux qui tournent en festival et arrivent sur les écrans français. Diriez-vous que cette perception du cinéma coréen est fausse ou biaisée ?

    Dans le cinéma coréen, il y a une tendance à ne pas vouloir montrer la violence frontalement, c’est un élément acquis pour les producteurs, les réalisateurs, le public et la critique. Avant le Covid, on produisait en Corée du Sud environ 80 films par an, et pour la plupart, il s’agissait de comédies avec quelques films d’action. Le public voit majoritairement ces films-là. Les œuvres de Bong Joon-ho, Kim Jee-woon et Park Chan-wook sont une minorité, même si les publics étrangers voient essentiellement ces dernières. Qu’il s’agisse de cette violence que vous évoquez ou des scènes de sexe, il y a un vrai malaise de la part du public coréen quand il s’agit de les voir en salles. Mais pour ce qui relève du visionnage à la maison, les films diffusés sur les plateformes de streaming par exemple, il n’y a pas de problème ; ça marche mieux, en fait.

    Justement, Projet Wolf Hunting frappe par sa brutalité. À quel stade du projet avez-vous décidé d’aller dans de tels extrêmes ?

    C’était prévu dès les premières phases de développement. Même quand j’ai demandé des financements, le projet était présenté tel quel. C’était très détaillé dans le story-board, notamment. Néanmoins, je ne considère pas Projet Wolf Hunting comme un film gore, il n’y a pas d’intestins qui se déversent partout ; à côté d’un film comme Terrifier 2, c’est même timide ! (rires) Je ne vois pas tant de films d’horreur que ça. Je suis parti d’un point de vue réaliste pour montrer les morts à l’écran. Il y avait sur le plateau un médecin qui nous a conseillés, par exemple sur la quantité de sang qui gicle quand l’artère est touchée. Mais en voyant la réaction de certains spectateurs et certaines spectatrices en Corée, je me suis demandé a posteriori si je n’aurais pas dû réduire la violence de certaines scènes, en me concentrant sur la narration, ou encore faire une version coréenne et une version internationale. Je ne visais pas le choc à tout prix.

    Cet aspect est d’autant plus marquant que le film passe sans cesse d’une violence cartoon à de l’horreur pure. Comment arrive-t-on à garder la tête froide, à maintenir le bon équilibre, en étant submergé par autant de sang, de maquillages et d’effets spéciaux

    L’expérience a été satisfaisante d’un bout à l’autre, de l’écriture à la postproduction en passant évidemment par le tournage, qui a été particulièrement joyeux. La violence était là, mais il y avait du coup une curiosité de la part des stars du film, qui n’avaient pas connu ce genre d’expérience en vingt ou parfois trente ans de carrière. Des membres de l’équipe ont pu parfois avoir des vertiges, mais il y avait toujours sur le plateau du personnel médical, des infirmiers et des psychologues. En cas de problème, ils étaient là, mais il n’y a rien eu de vraiment sérieux. Tout le monde est resté jusqu’au bout du tournage, on a même fêté le réveillon tous ensemble, il y a quelques jours!


    – Do-il (Jang Dong-yoon), un énigmatique prisonnier au lourd passé

    Quel a été l’aspect le plus complexe du processus créatif ? Le sound design du film - notamment les bruitages -est particulièrement réussi…

    Le plus compliqué à gérer a surtout été le manque d’argent, en particulier pour ce qui concerne les costumes et le maquillage. C’étaient les postes les plus exigeants. D’une prise à l’autre, il fallait tout nettoyer, il y avait toujours de l’eau chaude prête à l’usage. Il fallait nettoyer les vêtements, les sécher le plus vite possible. Maïs il restait toujours du sang et au bout d’un moment, on a fabriqué notre propre faux sang avec du sirop et du colorant pour simplifier ces étapes. C’était fatigant, mais on s’en est sortis. (rires) En ce qui concerne le montage sonore, dans le cinéma coréen, on passe en général deux semaines sur cette étape, j’ai pris trois mois, en parallèle de la postproduction des effets et du montage global. Je suis donc très content que vous ayez remarqué cet aspect ! C’est aussi pour ça, je pense, qu’il faut plutôt voir le film en salle.

    👇

    Spoiler

    [SPOILERS] Il y a une figure qui revient dans beaucoup de films sud-coréens, c’est celle de l’homme poussé à bout. Projet Wolf Hunting est truffé de tels personnages, mais diriez-vous que le personnage d’Alpha, cette machine à tuer, en est l’aboutissement terminal ?

    Ce que vous décrivez concerne plutôt le personnage de Do Il, joué par Jang Dong-Yoon, qui veut assouvir sa propre vengeance et subit tous les effets de cette violence jusqu’à la fin. Dans le film, on voit beaucoup de prisonniers qui ont commis des crimes atroces, et qui perpétuent ce comportement extrême dans leurs actions et même leur façon de parler. Alpha sert d’intermédiaire entre ce présent et un passé qui n’est pas encore résolu, c’est comme si la tristesse de nos ancêtres s’exprimait par son biais quand il tue des gens contre sa volonté. J’ai coupé une scène vers la fin, à la mort d’Alpha, où on le voyait pleurer. C’était cohérent avec cet aspect, mais ça ne collait pas avec le reste du film. Cependant, et malgré ce qu’on pourrait penser au fil de la narration, je considère qu’Alpha est le personnage principal du film.

    La troisième partie du récit se développe sur fond d’exactions commises par l’armée japonaise en temps de guerre. Le film, à ce moment-là, se pose au croisement du cartoon, de l’horreur et d’une certaine colère. Y a-t-il un besoin de catharsis sur ce sujet, à l’image de certains films indiens ou hongkongais à propos des colons anglais ?

    Ce passif de colonisation avant la Seconde Guerre mondiale est un fait, et véhicule une grande tristesse. Il ne faut pas oublier ce passé, mais à mon avis, on n’a pas besoin non plus de l’énoncer en permanence. Le Japon d’alors et celui d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes, il n’y a pas lieu d’être hostile. Quand ontraite de cet aspect dans le cinéma coréen commercial, il y a souvent une mise en avant de cet élément, que je n’ai pas souhaitée sur Projet Wolf Hunting. Pendant la préparation du film, j’ai appris l’existence d’expériences effectuées par l’armée japonaise, en Chine et aux Philippines, et j’ai imaginé ce qui pourrait se passer si l’un des cobayes avait survécu, en lien avec les actions d’une entreprise pharmaceutique. Pour revenir à votre question, je n’ai pas envisagé ça d’un point de vue politique. La scène où Alpha tue les militaires japonais est ma façon de renvoyer dos à dos toutes les violences, qu’elles soient verbales, contre les femmes, les minorités. [FIN DES SPOILERS]

    👆


    – Alpha (Choi Gwi-hwa), impitoyable machine à tuer qui ne fera aucune distinction entre flics et voyous…

    Vous avez déjà évoqué le sujet, mais il semble difficile de ne pas rapprocher Projet Wolf Hunting d’une nouvelle vague de films gore, produits un peu partout dans le monde, avec un ton agressif.

    Au départ, j’avais vraiment en tête un film purement commercial dans l’esprit des Ailes de l’enfer, où on aurait remplacé l’avion par un cargo. Dans la première version du scénario, la ressemblance était trop flagrante, j’ai dû ajouter cette histoire d’expérience. Et il a fallu adapter le ton, être plus sérieux, parler du passé et de dignité humaine. Comme je vous le disais, je ne considère pas le film comme gore. Aujourd’hui, on a accès à plus de contenu violent via les plateformes, que ce soit dans des films ou des séries. Dans ce contexte-là, comment faire revenir le public en salles ? Mon idée était de lui proposer une violence plus réaliste. Je pense que la réalité est plus violente que la fiction. Mais a priori, je suis allé trop loin pour le public coréen, il va me falloir revenir à des représentations plus artificielles.

    Comment l’industrie cinématographique sud-coréenne a-t-elle vécu la crise sanitaire ?

    Le cinéma coréen rencontre beaucoup de difficultés aujourd’hui. On dénombre plus d’une centaine de films tournés il y a trois ans et qui n’ont pas encore pu sortir en salles. J’ai fait Projet Wolf Hunting en 2021, pendant la crise du Covid, et seulement trois films ont pu être réalisés pendant cette période. L’exploitation n’a pas encore retrouvé la dynamique d’avant, il n’y a qu’une poignée de films comme Avatar 2 qui bénéficient d’une vraie impulsion. En revanche, les séries marchent très bien, donc les acteurs et techniciens se sont reconvertis en masse dans ce secteur. Mais je pense que tôt ou tard, l’industrie cinématographique va se reprendre.

    Au-delà des réactions les plus épidermiques, comment Projet Wolf Hunting a-t-il été accueilli par le public et la critique en Corée ?

    Du côté de la presse, à part une minorité qui n’a pas pu supporter la violence, l’accueil a plutôt été très bon. Pour ce qui est du public… (rires) Les amateurs de cinéma de genre ont vraiment apprécié, mais les spectateurs d’œuvres coréennes plus commerciales n’ont pas été aussi enthousiastes, tant s’en faut. Ça ne correspondait pas à leurs attentes. J’ai tenté d’aller à l’encontre des clichés du film d’action coréen, de ne pas livrer les scènes types de ce genre de divertissement, et ça n’a pas plu. Il y a eu une reconnaissance des qualités techniques et de ia direction d’acteurs, et autant d’interrogations sur ma santé mentale. (rires)

    N’est-ce pas le moment idéal pour réaliser votre rêve de tourner une comédie romantique ?

    (rires) Peut-être que je développerai un projet de comédie romantique en série, mais pour ce qui est du cinéma, je vais rester sur le champ de l’action. Je fais partie de la jeune génération de réalisateurs, j’apprends toujours. Je pense que sur le prochain film, je vais procéder comme je vous l’annonçais et concevoir deux versions, une pour le public coréen, une pour l’international.

    – Propos recueillis par François Cau.
    – Merci à Aude Dobuzinskis, Victor Lamoussière & Hahn Sejeong
    – Mad Movies #368

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    Propulsé au rang de nouveau wonder boy de la fiction télé US par le succès public et critique de Chernobyl, Craig Mazin est aujourd’hui aux manettes de l’adaptation d’un des plus grands chefs-d’œuvre vidéoludiques de ces dernières années, aux côtés du créateur du jeu lui-même, Neil Druckmann. Une expérience dont il parle avec un enthousiasme très communicatif.

    Quelle a été votre réaction lorsque vous avez terminé pour la première fois le jeu The Last of Us ? Avez-vous eu des considérations distinctes en tant que gamer et en tant qu’auteur de fiction professionnel ?

    En tant que joueur, je me rappelle avoir été très fortement marqué par le déroulement du jeu en général. J’ai été submergé par des sentiments très forts, et ce dès l’incroyable scène d’ouverture. Et puis j’ai terminé le jeu. Et là, je suis resté assis, un peu hagard, en me disant : « What the fuck ? Mais comment ont-ils fait ça ? ». Ce que Naughty Dog et Neil Druckmann ont accompli avec The Last of Us est d’une bravoure incroyable, que ce soit dans les choix créatifs ou narratifs. Les gens ont un peu tendance à oublier qu’à l’époque, faire de l’héroïne de votre jeu une gamine de 13/14 ans, ce n’était vraiment pas commun. Et finir l’histoire sur cette simple ligne de dialogue, wow, c’était du jamais vu !

    Et en plus, cette audace se doublait d’une exécution artistique incroyable. J’étais juste béat d’admiration. Et bien sûr, dans un petit coin de ma tête, je me suis tout de suite dit : « J’adorerais adapter ça en fiction live, mais bon, ne rêve pas, ça n’arrivera jamais. ». Et pendant longtemps, en effet, ça n’est pas arrivé ! (rires) Mais au bout d’un moment, Neil a abandonné cette idée folle qu’il avait d’adapter le jeu sous la forme d’un film de cinéma. Et un jour, on a eu la chance de pouvoir s’asseoir à la même table et de discuter de la possibilité d’en faire une série télé.

    Comment s’est déroulée cette première rencontre avec Neil Druckmann ?

    Nous nous sommes rencontrés lors d’une sorte de « blind date » organisée par une amie commune, Shannon Woodward, qui incarne Dina dans The Last of Us: Part II. Je savais que Neil et Naughty Dog avaient récupéré les droits d’adaptation du jeu. Je savais aussi que Neil état très fan de Chernobyl. Je suis donc allé le voir dans les locaux de Naughty Dog – j’ai d’ailleurs pu admirer le mur où sont affichées toutes les récompenses qu’ils ont reçues ! J’ai rencontré des gens de l’équipe et vu qu’à l’époque, ils travaillaient sur le deuxième jeu, Neil m’a montré un aperçu de ce dernier ! Je trépignais littéralement.

    Puis on est allés manger un bout et on a très vite discuté de la façon dont on pourrait adapter The Last of Us en série. Nos échanges ont tout de suite été très naturels. À la fin de ce déjeuner – et même si nous n’en étions qu’au stade préliminaire de notre réflexion –, je pense que nous avons tous les deux senti qu’une vraie confiance s’était installée. Et je crois qu’à peine une semaine plus tard, nous sommes allés dans les bureaux de HBO pour leur dire : « Voilà, c’est la série que nous voudrions faire. Qu’en pensez-vous ? ». Ils ont répondu : « Ça a l’air très bien ! ». Et depuis, nous n’avons cessé de travailler en tandem.

    Neil et vous avez clairement choisi de vous concentrer sur les personnages et la narration en laissant de côté certains des passages d’action les plus frappants du jeu. Vous risquez même de frustrer les fans, par exemple avec le dernier plan du pilote qui évoque clairement la scène des buildings détruits… que vous ne montrez finalement pas. C’était une façon d’indiquer les priorités de votre travail d’adaptation ?

    Nous n’avions pas vraiment l’intention d’indiquer des intentions d’adaptation précises. Notre réflexion était très simple : ne garder que les éléments qui, selon nous, allaient plaire au public. Les scènes d’action du jeu sont par nature des séquences de gameplay, et bien sûr, elles sont pour beaucoup dans le plaisir que le joueur prend à vivre cette aventure. Mais la télévision est un medium passif et nous abordons ce récit uniquement du point de vue d’une narration télévisuelle. C’est une chose que nous avons toujours eue en tête. Le gameplay d’un jeu est en grande partie basé sur la répétition d’actions afin de s’améliorer et de maîtriser les mécanismes ludiques. Dans le jeu The Last of Us, on prend un pied pas possible à s’accroupir, ramper, trouver le moyen le plus furtif et efficace de tuer les ennemis.

    C’est super fun. Mais en tant que spectateur d’une série, on n’a pas envie de voir ce genre de choses non-stop. Nous avons donc décidé de nous concentrer sur les personnages, leurs relations, et la ligne narrative globale. Toutefois, quand nous montrons de l’action, nous tenons à ce que l’impact sur le spectateur soit décisif et que ces séquences racontent toujours quelque chose sur les personnages. Déjà dans le jeu, les épreuves que les héros traversent changent leur personnalité, leur perspective sur les choses. Il était important de conserver cette approche dans notre narration.

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    – Neil Druckmann, créateur du jeu, en pleine discussions avec un Clicker durant le tournage de la scène du musée du deuxième épisode.

    Comment s’est déroulé le travail de structuration de la saison ? Était-il intimidant de vous emparer d’un tel monument ludique et de faire des choix parfois radicaux ?

    Oh oui, très intimidant. Toutefois, la structure du jeu, qui est découpé en chapitres, nous a beaucoup facilité les choses. Nous avons en revanche énormément réfléchi à la conclusion de chacun des épisodes car, bien sûr, nous avons envie que les spectateurs reviennent la semaine suivante. J’étais du coup assez content de voir qu’après la diffusion du pilote, beaucoup de gens étaient énervés à l’idée de devoir patienter une semaine pour voir la suite. (rires) Personnellement, j’adore ce sentiment d’arriver à la fin d’un épisode et de me dire : « Oh non, je vais devoir attendre ! ».

    Mais durant tout le processus d’écriture, la seule chose qui m’intimidait vraiment, c’était de devoir montrer mon travail à Neil. Surtout lorsque je commençais ma phrase par : « Écoute, là, j’ai envie de faire un truc assez assez différent… ». En particulier, j’ai pas mal flippé lorsque je lui ai exposé ce que je voulais faire dans l’épisode 3. Là où j’ai eu de la chance, c’est que la plupart du temps, il était partant. Sa philosophie, c’était que si on devait apporter un changement important, il fallait que cela vaille le coup, que ça améliore vraiment l’histoire.

    Justement, les différences narratives entre le jeu et la série ont-elles essentiellement été dictées par des nécessités liées à la structure d’une fiction télévisuelle ?

    Oui, certaines différences résultent clairement du passage d’un medium à l’autre. J’ai tendance à penser que le processus d’adaptation est un art trop peu reconnu. Mais l’un dans l’autre, je pense que la plupart de ces modifications sont venues d’une envie de concrétiser des choses que Neil n’avait pas pu faire dans le jeu. Dans ce dernier, vous êtes obligé de voir l’histoire à travers les yeux de Joel, puis d’Ellie à certains moments – ce qui, à l’époque, était déjà une idée assez radicale. Votre perspective était liée à l’avatar que vous dirigiez avec votre manette. Joel ou Ellie devaient toujours être présents, même dans les cut scenes. Nous n’avions pas cette obligation et cela nous a ouvert de nouveaux horizons.

    Nous avons dû réfléchir aux opportunités que cette liberté nous offrait. Nous avons globalement suivi notre cœur et je pense que la plupart des changements que vous avez pu constater dans la série découlent de ce processus.

    À ce titre, l’épisode 3 est clairement l’ajout narratif le plus considérable par rapport au jeu. L’histoire de Bill et Frank permet de raconter cet univers post-apocalyptique selon un autre point de vue, très doux et intimiste. C’est un peu le Left Behind (1) de la série… Qui a eu cette idée ?

    C’est un ajout que j’ai tenu à faire. Je me souviens que lorsque j’ai joué au jeu pour la première fois, j’ai été très intrigué par le personnage de Bill. Quand il parle du partenaire qu’il a perdu, on pense plutôt à une sorte d’associé. Et plus tard, on comprend que ce n’était pas de cette façon qu’il fallait interpréter le mot « partenaire ». Le destin que Neil avait imaginé pour Bill et Frank était vraiment tragique et fonctionnait comme un avertissement lancé à Joel : si ce dernier n’arrivait pas à laisser quelqu’un entrer dans sa vie, il risquait de finir comme Bill, un homme qui s’est non seulement isolé du monde, mais aussi de la seule personne qui l’aimait.

    Quand je me suis mis à réfléchir à cet épisode 3, je me suis vite posé une question assez simple : que peut-il se passer quand on a réussi à se créer un environnement sécurisé dans un monde dangereux ? Bill est tranquille : il a sécurisé tous les accès de la petite ville où il vit en solitaire, il s’est assuré une existence confortable… Qu’est-ce qui allait bien pouvoir le mettre en danger ? À ce moment de la série, on sort de deux épisodes assez intenses en matière de drame, d’action et de tension. Je me suis dit que le spectateur méritait de respirer un peu. Et je n’avais pas vraiment envie de montrer Joel qui débarque et discute avec Bill de la façon dont il pourrait récupérer une voiture en état de marche…

    On avait une opportunité unique, celle de montrer une apocalypse à travers les yeux de quelqu’un qui a tout compris à la façon d’y survivre. Puis de le déstabiliser en introduisant un autre personnage afin de voir si cette relation pouvait survivre dans cet environnement. L’histoire de Bill et Frank fonctionne un peu comme une pierre de Rosette pour les autres relations que raconte la série. Elle met en scène une façon très différente d’aimer quelqu’un, basée sur la bienveillance, l’attention. Et non pas à travers une volonté farouche de protection qui peut déboucher sur le recours à la violence.

    Une fois ceci posé, l’épisode s’est écrit de lui-même. Et lorsqu’est venu le moment de l’envoyer à Neil, j’étais terrifié. Il m’a répondu : « À ce jour, c’est mon épisode préféré ! ». Ce qui montre à quel point il peut être généreux dans le processus créatif, surtout pour quelqu’un qui a imaginé le matériau de base. Dès lors, la création de cet épisode a été un pur bonheur, de l’excellent travail du réalisateur anglais Peter Hoar aux performances extraordinaires de Nick Offerman et Murray Bartlett.

    Je tiens toutefois à préciser que si on a surtout tendance à retenir de cet épisode l’histoire de Bill et Frank, il est aussi très important pour Joel et Ellie. C’est là qu’ils vont vraiment devenir le duo que tous les joueurs connaissent, et c’était quelque chose de très excitant pour moi. D’une certaine façon, ce troisième épisode signe la fin du premier acte de la saison et lance le deuxième acte dans la foulée.

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    – Bill (Nick Offerman), un survivant qui va voir sa routine bouleversée par une rencontre inattendue dans l’épisode 3…

    Parmi les nombreuses qualités de Chernobyl, la plus marquante était certainement le souci de réalisme maniaque de la série. Avez-vous abordé The Last of Us avec un souci similaire, ou comme une expérience totalement différente ?

    C’était assez similaire. Bien sûr, il y a clairement une différence entre respecter une réalité historique et respecter la nature d’un matériau dont vous vous inspirez. Mais d’une part, je tenais à ce que The Last of Us s’appuie sur une solide base scientifique, ce qui explique notamment la scène d’ouverture du pilote. Et d’autre part, je considère qu’il est toujours mieux d’ancrer un récit de science-fiction dans une réalité crédible parce que la douleur ressentie par les personnages paraît plus authentique.

    La violence a un impact différent. Je ne sais pas si vous avez déjà donné un coup de poing à quelqu’un – moi non en tout cas –, mais de ce que j’en sais, ça fait un putain de mal de chien. Se prendre un coup de poing est douloureux, mais en donner un l’est tout autant ! Pour vous en convaincre, il vous suffit de frapper une grosse pierre, la résistance est assez similaire à celle d’un crâne humain. Et quand on donne un coup de poing à quelqu’un, on a de fortes de chances de se casser la main. Ou au moins d’avoir de sérieuses blessures.

    La plupart du temps dans les fictions, les personnages passent leur temps à filer des pains et le lendemain, tout va bien ! Nous, nous aimons quand les blessures durent, quand elles sont visibles. Nous voulions sentir l’âge du corps de Joel, Et plus largement, on voulait parler de choses que personne n’aborde dans les récits post-apocalyptiques. Les menstruations, par exemple. La moitié de la population de la planète est concernée par ce phénomène, alors que faire lorsque l’apocalypse débarque ? On avait vraiment envie de montrer de la manière la plus exacte possible ce que serait la vie quotidienne dans un tel environnement. Cela donne, je pense, encore plus de poids aux événements les plus flippants ou tristes de la série.

    Comment Neil Druckmann a-t-il vécu le processus du tournage, notamment lors du deuxième épisode qu’il a lui-même mis en scène ? Revisiter l’histoire des jeux dont il a supervisé la création, voir les acteurs dans leur costume, arpenter les décors… L’expérience est forcément différente des séances de performance capture.

    L’une des choses que j’ai adorées durant la fabrication de la série, c’était montrer à Neil les décors, les accessoires… Je me rappellerai toujours du moment où je lui ai fait découvrir l’un de nos Clickers (2), avec l’acteur maquillé et habillé : il en a pleuré. Cela fait tellement longtemps qu’il vit avec cet univers en lui que le voir se concrétiser sous ses yeux lui a causé de vives émotions. Il a été extrêmement touché par l’amour et la dévotion de toute l’équipe envers le matériau de base, et j’étais du coup très ému de le voir ému.

    Sa vision de la mise en scène était très intéressante. Durant les séances de performance capture, vous êtes dans un environnement neutre et les comédiens sont recouverts de costumes spéciaux pour enregistrer leurs mouvements. Et une fois que vous avez obtenu ce que vous vouliez, vous utilisez le moteur du jeu pour sélectionner vos angles de caméra, vos éclairages, etc. Vous avez un contrôle total. Mais même s’il avait la possibilité de choisir les angles de vue les plus extravagants, il a préféré adopter un style réaliste en respectant la topographie des lieux virtuels, en utilisant un style très caméra à l’épaule.

    En revanche, il n’avait pas à subir la préparation qu’exige un tournage live, où il faut arriver avec tous les angles en tête pour que le tournage puisse se faire dans le temps imparti. Là, vous ne pouvez pas vous planter parce que le lendemain, vous devrez shooter tout autre chose.

    C’est très excitant parce qu’il faut constamment réfléchir pour être sûr qu’on a tout ce qu’il faut, qu’on n’a rien oublié. Tout le monde vous presse pour avancer, pour préparer le plan suivant, mais il ne faut jamais oublier que quelques jours ou semaines plus tard, vous allez vous retrouver dans une salle de montage, ce qui ne sera pas le cas de ces personnes qui vous demandent de vous magner ! Alors on essaye d’engranger le maximum de rushes. Et Neil est quelqu’un d’extrêmement talentueux, il s’est tout de suite adapté à ce type de processus.

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    – Craig Mazin dirige l’interprète d’Ellie, Bella Ramsey.

    La série réussit un exploit assez étonnant : elle est d’une fidélité « philosophique » absolue au jeu, mais existe par elle-même grâce à ses choix de narration et surtout de casting. Certaines de ces décisions ont-elles été dictées par un besoin de différencier les deux expériences ?

    Non pas vraiment, car la nature même du processus d’adaptation fait qu’il va y avoir immédiatement d’énormes différences entre les deux versions de l’histoire. En particulier si vous êtes fan du jeu, et c’est manifestement votre cas. Visionner une série vous place dans un espace mental radicalement différent de celui d’un jeu vidéo. Je ne me suis donc jamais demandé s’il fallait faire des choses spécifiques pour séparer la série du jeu. Tout ce que je voulais, c’était capturer les sensations que j’ai moi-même éprouvées lorsque j’ai joué à The Last of Us et les décupler, les enrichir, en mettant à profit des éléments que Naughty Dog n’avait pas pu développer. Rajouter un peu plus de nuances à la palette de cet univers, en quelque sorte.

    Lorsque j’avais une idée qui allait dans ce sens, j’appelais Neil pour lui en parler. Parfois, ces idées étaient radicales, parfois moins. Je lui demandais ce qu’il en pensait et la plupart du temps, il me répondait : « Tiens, c’est très intéressant, creusons un peu. ». Il lui arrivait aussi de me dire : « Hmm, je ne sais pas trop… ». (rires) Et il avait raison. Mes moments préférés, c’était quand je lui livrais l’une de ces idées radicales et qu’il ne répondait pas tout de suite. Juste un silence. Puis il disait : « Merde, j’aurais aimé penser à ça quand on a fait le jeu ! ». Je pense que le fait d’être fan, de m’inspirer de ce que j’ai ressenti en jouant au jeu, m’a permis d’arriver avec un point de vue différent.

    Bella Ramsey est phénoménale dans le rôle d’Ellie. Comment s’est déroulée son audition ? Y a-t-il eu un moment, un déclic, où vous vous êtes dit : « OK, c’est elle. » ?

    Nous avons fait passer beaucoup d’auditions, je pense que nous avons vu plus d’une centaine de comédiennes entre 9 et 25 ans. En tant que scénariste, je trouve que le processus est parfois difficile, car lorsque certaines performances ne sont pas vraiment concluantes, on a tendance à se dire que c’est peut-être de notre faute, que le matériau qu’on a écrit n’est pas si bon que ça. Ça a tendance à me déprimer ! (rires) Mais lors de certaines auditions, je me suis aussi dit : « Hey, ce n’est pas si mal ! », et on avait le sentiment que ça pouvait coller.

    Puis est arrivée l’audition d’Ella. Je ne connaissais pas son nom et lorsque j’ai vu sa bouille, je me suis juste exclamé : « Tiens, c’est Lyanna Mormont de Game of Thrones ! J’aime bien Lyanna Mormont ! Je l’adore même ! ». Mais je ne me suis pas non plus dit : « Oh mon Dieu, pourquoi n’avons-nous pas pensé plus tôt à Lyanna Mormont ? ». (rires) J’étais intrigué : « OK, voyons voir ce que va nous faire Lyanna Mormont… ». Nous avons donné à chaque actrice deux scènes à faire. Dès la première scène de Bella, j’étais déjà convaincu, je n’avais pas besoin d’en voir plus.

    Mais j’étais aussi terrifié à l’idée d’être le seul à penser ça, j’avais peur que personne ne soit du même avis que moi. J’ai appelé Neil, je lui ai juste dit : « Mec, il faut que tu voies ça. ». C’est tout ; je ne voulais pas lui survendre Bella. Il m’a rappelé après avoir visionné la scène et m’a dit : « C’est bon, on a trouvé Ellie. ». C’était l’évidence. Bella est restée elle-même sans rien forcer. Elle ne connaissait même pas le jeu. Elle a fait naturellement preuve de la sagesse et de l’intelligence dont le personnage avait besoin. Elle est très drôle, mais elle dégage aussi une certaine vulnérabilité.

    La Ellie que les fans du jeu connaissent et adorent existe grâce à la merveilleuse performance d’Ashley Johnson. On avait peur de ne pas pouvoir retrouver un même niveau de jeu pour la série. Bella a réussi l’impossible. Je crois qu’Ashley avait vingt-sept ans quand elle a incarné Ellie pour la première fois. Et si elle a réussi à se transformer en une gamine de quatorze ans simplement à travers ses prouesses vocales, on pouvait ressentir la maturité d’une personne plus âgée.

    Bella a réussi à retranscrire ce trait de personnalité. Elle avait dix-sept ans lorsque le tournage de la série a débuté, donc trois ans de plus que le personnage. Elle est physiquement plus menue que son équivalent vidéoludique. Ce qui est incroyable, c’est qu’on a l’impression qu’elle est à la fois plus jeune et plus vieille qu’Ellie. C’est difficile à expliquer. Je suis très excité à l’idée que les gens puissent enfin découvrir sa performance. Cela fait trois ans que je suis admiratif de son travail, et ça m’a fait du mal de voir tous ces avis négatifs lorsque nous avons annoncé qu’elle incarnerait Ellie…

    Bien sûr, en tant que fan, je comprends la peur qu’on peut éprouver à l’idée que votre jeu préféré soit gâché par un choix de comédien ou comédienne. Mais il n’est pas nécessaire d’être cruel pour autant… Depuis le début de la diffusion de la série, les gens comprennent enfin ce que j’ai ressenti il y a trois ans lorsque j’ai vu cette audition.

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    – Les comédiens Pedro Pascal et Anna Torv dans les rôles de Joel et Tess.

    Spoiler

    [ATTENTION, SPOILERS] À propos d’Ashley Johnson, le rôle que vous lui avez donné dans la série est très symbolique et particulièrement émouvant. Pensiez-vous déjà à elle en écrivant cette scène ?

    Oh oui ! Cette storyline s’est immiscée dans la série lors des très nombreux interrogatoires auxquels j’ai régulièrement soumis Neil. Souvent, c’étaient des questions très concrètes : « Comment peut-on rejoindre la FEDRA ? Où dorment les Fireflies ? Qu’est-ce qu’ils mangent ? ». Et parfois, je posais des questions plus profondes : « OK, Ellie est orpheline. Mais elle a forcément eu une maman. Comment est-elle morte ? Pourquoi ? ». Et Neil m’a répondu : « OK, voici l’histoire, on a toujours eu envie de la raconter mais on n’a jamais trouvé le bon moment. ».

    Il avait pensé à en faire un comic-book, mais le projet ne s’est jamais concrétisé. Il m’a donc tout raconté et je me suis exclamé : « On le fait ! On le met dans la série ! ». Et tout de suite après, on s’est regardés et on a tous les deux dit : « Ashley. ». Et voilà. J’ai tellement hâte que les spectateurs découvrent sa performance, elle est tellement géniale, vous n’avez pas idée à quel point. [FIN DES SPOILERS]

    Elle est aussi excellente dans la websérie Critical Role (3).

    OK, donc vous savez à quel point elle est géniale. (rires) Ce que j’adore dans Critical Role, c’est qu’on voit tout de suite à quel point Ashley est une belle personne. Elle fait partie des gens les plus gentils et humbles que j’ai rencontrés et elle se donne à fond dans son travail. Même chose pour Troy Baker, qui joue Joel dans le jeu. Troy a incarné à peu près tous les personnages iconiques des plus gros jeux vidéo sortis ces dernières années (4). Et quand vous discutez avec lui, il ne sonne pas comme Joel, pas plus qu’il ne sonne comme Talion (le héros des jeux La Terre du Milieu – l’ombre du Mordor & L’Ombre de la Guerre – NDR). Alors qu’Ashley sonne comme Ellie. Quand je suis avec elle, je suis avec Ellie.

    Suite au succès du pilote de la série, il y a de fortes chances pour que Neil et vous ayez déjà des idées pour la saison 2. Et même si une adaptation du jeu The Last of Us: Part II donnerait à coup sûr un mémorable moment de télévision, vous donnez-vous la liberté de vous en éloigner pour explorer d’autres façons de raconter cet univers ?

    En effet, nous venons tout juste de commencer à y réfléchir. Du coup, je n’ai pas vraiment de réponse à vous donner. Quoi que nous fassions, nous resterons fidèles à la philosophie qui nous a guidés durant cette saison, à savoir que nous ne nous interdirons jamais de changer des choses si cela permet d’améliorer l’histoire. Mais nous n’avons pas encore défini les limites que nous nous imposerons. Il y a des choses dans la saison 1 que nous n’avions pas prévues au départ, comme l’épisode 3.

    L’important, c’est que nous ne cessions jamais de nous donner la possibilité de changer d’avis, de tenter de nouvelles choses et de nous imposer des challenges. On ne sait jamais sur quoi ça peut déboucher. Mais je tiens tout de même à dire que j’adore The Last of Us: Part II. Et je pense que le jeu contient beaucoup d’histoires qui valent le coup d’être racontées.

    (1) Left Behind est le titre du premier DLC narratif de The Last of Us, qui racontait les circonstances tragiques durant lesquelles Ellie découvre sa condition…

    (2) Créatures résultant d’un stade avancé d’infection au virus cordyceps, responsable de l’apocalypse mise en scène dans la série.

    (3) Critical Role est une websérie mettant en scène des parties de Dungeons & Dragons pratiquées par un cast d’acteurs spécialisés dans le doublage. Ashley Johnson est membre permanente du show ­– qui a été adapté en série animée sur Prime Vidéo –, ainsi que Laura Bailey, qui incarne le personnage d’Abby dans The Last of Us: Part II.

    (4) En plus de jouer Joel dans les The Last of Us, Troy Baker compte à son actif les personnages de Samuel Drake dans la saga Uncharted, Erron Black et Shinnok dans Mortal Kombat X et 11, Magni dans God of War, John Jones dans Fortnite, Batman dans Batman: The Telltale Series et Lego Dimensions, Ocelot dans Metal Gear Solid V: The Phantom Pain, etc.

    Propos recueillis par Laurent Duroche
    Merci à Olivia Malka et Tilly Miller
    Mad Movies #368

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    @Violence a dit dans [Carrière] M. Night Shyamalan : Une lumière dans la nuit :

    c’est que Mad Movies ont de très bonnes analyses des films

    Effectivement (c’est pas du Écran large :smile:)

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    – Damien Saez (ici en 2019) a fait son retour le 9 décembre dernier avec «Telegram», un mini-album de cinq chansons inspirées par l’invasion de l’Ukraine. LP/Yann Foreix

    Le rockeur remonte sur scène ce jeudi 29 décembre au Zénith de Paris, trois ans après son dernier concert. Il y enregistrera en direct son nouvel album, «Mélancolie», avant deux nouveaux disques prévus en 2023. Sa parole se fait de plus en plus rare et… cash.

    Notre dernière discussion avec Damien Saez remonte à trois ans et avait eu lieu en visioconférence… Il innovait sans le savoir, trois mois avant l’arrivée du Covid-19 et la généralisation de ce mode de communication… Le chanteur, auteur et compositeur de 45 ans venait d’annuler les trois ultimes dates de sa tournée « pour raisons de santé ». Entre deux hospitalisations, le 3 décembre 2019, il avait tenu à assurer son premier Bercy devant une salle pleine, mais avait dû jeter l’éponge une semaine plus tard. Il nous avait alors parlé de « soucis à la tête, qui seraient liés à des vertiges et à l’oreille interne », mais n’avait pas encore de diagnostic précis.

    L’auteur de « Jeune et con » a fait son retour le 9 décembre dernier avec « Telegram » — du nom de la messagerie instantanée sur les téléphones mobiles —, un mini-album de cinq chansons inspirées par l’invasion de l’Ukraine. On l’a retrouvé une semaine plus tard dans sa maison de disques, Wagram Music, avec des… béquilles. L’artiste s’était abîmé les ligaments de la jambe, mais espérait remonter sur scène sans leur aide ce jeudi 29 décembre au Zénith de Paris pour enregistrer en direct son nouvel album, « Mélancolie ».

    – Vous serez ce jeudi au Zénith de Paris pour enregistrer un double album inédit. C’est-à-dire ?

    DAMIEN SAEZ. Ce sera acoustique, assis, en guitare-voix. La plus grosse partie, ce sont des nouvelles chansons. Mais je ne sais pas combien. Cela dépendra des répétitions, qui sont perturbées par mes problèmes à la jambe. De « Telegram », je ne chanterai qu’un titre. Et puis le 1er juillet 2023, on fera un autre double album dans les Arènes de Nîmes avec un grand orchestre. En 2023, il y aura aussi un nouvel album studio, je pense en mars, disponible en NFT (œuvre d’art numérique). Ensuite, il y aura une tournée de Zénith en novembre et décembre.

    – Les prix des places, vendues avec le nouveau double album, un recueil de vos textes et un abonnement à votre site, est à 116 euros !

    Je suis d’accord, c’est cher ! Mais on vendra des places seules au dernier moment… Et vous savez combien coûte la location du Zénith, combien je paye les musiciens d’un grand orchestre ? Jouer aux arènes de Nîmes avec un orchestre, c’est plusieurs centaines de milliers d’euros ! Le Zénith de Paris et la sécu, c’est pas 20 000 euros ! C’est dix fois plus ! Ma vie, c’est en studio et sur scène. C’est du cousu main, de l’artisanat, et ça a un coût.

    – Vous avez créé un site payant (culturecontreculture.fr) pour partager votre musique avec vos fans. Est-il viable ?

    La musique, aujourd’hui avec le streaming payant, est viable sur six ans. Les ventes de disques ont chuté, si j’en vends 15 000, c’est bien. Je suis endetté… Je ne fais que rembourser des dettes depuis quinze ans. Je n’ai pas les moyens de vivre à Paris, mais je n’ai pas baissé pour autant le salaire de l’ingénieur du son et des musiciens avec qui j’ai la chance de travailler. Ce n’est pas une complainte, c’est un fait.

    – Et pourtant vous proposez aux acheteurs de votre nouveau CD de les rembourser. Pourquoi ?

    L’idée est de laisser aux gens le choix de reverser l’argent (15,99 euros) en faveur de l’Ukraine ou pour les aider à payer leur facture, car c’est quand même pas la joie dans le pays. Je voulais aider sans être dictatorial. Ce n’est pas Robin des Bois, tout le monde prend sa commission, sauf moi. J’ai fait ce disque en studio, j’ai joué tous les instruments, donc ça va financièrement. J’utilise le système des NFT, qui pour moi est l’avenir de l’Internet. Je n’ai pas besoin d’argent pour faire l’œuvre mais l’œuvre est à vendre. Et comme pour un tableau, l’acheteur est un de ses possesseurs. Avec le NFT/Blockchain, on peut avoir un lien direct avec les gens mais aussi tracer les informations et donc combattre les fake news.

    – Comment sont nées ces chansons sur l’Ukraine ?

    Je les ai écrites et composées de façon assez limpide, il y a six ou sept mois, après que la guerre a éclaté. Mais je pense qu’il est mieux de les sortir maintenant que l’émotion est moindre alors que ce qu’il se passe n’est pas moindre.

    – Connaissez-vous l’Ukraine ?

    Je n’y ai jamais chanté mais je connais des gens d’Ukraine et de Russie. Mais faut-il connaître pour écrire ? C’est terrible et c’est à 2 000 km d’ici. Je vais dire un truc horrible, mais nous, on n’a pas l’odeur de la guerre…

    **– Les femmes dont vous parlez dans « Ievguenia » et « Telegram » existent-elles ?

    Oui. Ievguenia, je l’ai connue il y a plus de vingt ans. Mais contrairement à ce que je chante, elle n’est pas décédée. Quant à Natalia (à qui il s’adresse dans une histoire d’amour née sur « Telegram »), on s’arrête là (il éclate de rire). Cette chanson m’a fait plaisir en tout cas. J’ai presque retrouvé une ancienne façon d’écrire, simple et imagé.

    – Est-ce que ça vous donne envie d’aller jouer en Ukraine ?

    Ah je pourrais ! C’est pas une mauvaise idée, d’ailleurs !

    – Qu’avez-vous fait depuis trois ans ?

    Bossé, écrire des chansons, beaucoup… Je suis tellement casanier, le confinement n’a rien changé à ma vie. Les gens ont découvert comment je vis, enfermé en studio ou dans ma grotte. Aujourd’hui, je vis entre la montagne et la Touraine.

    – Il y a trois ans, vous nous aviez dit que vous alliez vous reprendre en main côté santé. L’avez-vous fait ?

    Un petit peu, oui, ça va mieux. Mais quand on s’était parlé, en décembre 2019, j’avais en fait le Covid. Avant qu’il ne se déclare en février partout. J’ai eu une fin de tournée catastrophique, parce qu’il a tourné en pneumonie. Deux mois après, j’étais encore essoufflé, avec un peu d’asthme sur les sept-huit mois qui ont suivi. J’ai rechopé le Covid plusieurs fois.

    – Vous vous êtes fait vacciner ?

    Non. Je n’y serais pas allé mais en plus je l’ai chopé tout de suite. Vaccin ou pas, le pouvoir a séparé les gens. Leur manque d’honnêteté et leur entêtement ont fissuré la société. On a volé leurs 18 ans aux jeunes ! Quand on se prétend pays de la santé, quand on paye tant d’impôts, on doit être à la pointe, avoir des masques…

    Mais je peux pointer du doigt cette même jeunesse qui bronche plus vite pour George Floyd (symbole des violences policières aux États-Unis) que pour l’état de nos hôpitaux, qui a la tête tout le temps dans son téléphone. Ce monde est pire qu’avant, c’est l’enfer ! C’est dingue ce qu’on accepte ! Le terme « influenceur », par exemple… Être influençable, c’est notre lot commun ? On est vraiment pathologiquement chelou. Et je me mets évidemment dans le lot.

    – Le rôle d’un artiste a-t-il changé ?

    Qui ? Les artistes qui reversent leurs droits YouTube pour une œuvre caritative ? Ils donnent 12 euros, c’est terrible ! Pour moi, il n’y a plus d’artiste… 99,9 % ne sont là que pour vendre des téléphones ou des streams (écoutes de chansons sur Internet) ! J’essaye de mettre mes petites traces sur du papier pour raconter… « Fils de France », « J’accuse », « Il faut du gasoil dans la bagnole », qui est toujours d’actualité. Depuis plus de vingt-cinq ans, je n’ai pas ménagé ma peine, mais j’ai de la chance de continuer sans avoir à twerker à la télé.

    – Source

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    Film à deux visages, gore et mièvrerie composent un ensemble plutôt bizarre et mal équilibré.

    On aurait pu faire un film dans chaque genre avec le script et le résultat aurait sans doute été bien supérieur.

    Mais j’ai quand même eu quelques rires francs, le premier dans la scène pipicaca pour ado au début du film quand le père Noël se tire, surtout à cause de l’iconoclastie de la chose.

    Edit: Kriss de Noël et calice de je ne sais plus quoi, sans l’accent Québécois, ça fait bizarre.
    Quelques violences verbales superflues et mal à propos aussi.

    Ce film va avoir de la peine à trouver son public.

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    Révélé par le court-métrage d’animation Butterfly, plébiscité au début des années 2000 par Ray Harryhausen en personne, Corin Hardy a tourné pendant dix ans des clips vidéo pour Keane, Paolo Nutini, The Prodigy ou encore Olly Murs avant de signer deux films d’horreur, Le Sanctuaire en 2015 et La Nonne en 2018. Invité par Gareth Evans à tourner un tiers de la saison 1 de Gangs of London, le cinéaste a légitimement hérité d’un poste de showrunner sur la deuxième saison.

    Quand avez-vous fini votre travail sur la saison 2 de Gangs of London ?

    Il y a quelques semaines seulement, à la mi-septembre. Nous nous sommes parlé pour la dernière fois il y a environ deux ans, et je n’ai cessé de bosser sur la saison 2 depuis. Je suis pressé que le public puisse la découvrir,

    Gareth Evans était-il impliqué dans cette nouvelle saison ?

    Non, il a été très occupé sur son nouveau film Havoc. Dès la fin de la première saison, il a enchaîné sur la préproduction de ce long-métrage. Il est resté producteur exécutif sur Gangs of London, donc il m’est régulièrement arrivé de lui demander des conseils, notamment pour préparer le planning de tournage de certaines séquences d’action. Son scénariste Matt Flannery est parti lui aussi sur Havoc.

    Il a visiblement été remplacé à l’écriture par Tom Butterworth (notamment coscénariste de La Dernière légion de Doug Lefier - NDR).

    En effet, Tom est devenu le scénariste principal, et je suis devenu le réalisateur principal. Tom et moi avons travaillé étroitement sur la trajectoire dramatique des personnages et l’évolution des enjeux. Quand j’ai bouclé le dernier épisode de la saison 1, j’ai noté dans un carnet plein d’idées que j’aurais aimé voir figurer dans la saison 2, liées à des relations entre différents personnages, mais aussi à des situations et des morceaux de bravoure potentiels.

    Quand on m’a demandé de m’occuper de la nouvelle saison, le Covid a paralysé tout le monde et j’ai planché sur les premiers épisodes de chez moi pendant environ six mois. Je n’avais jamais occupé un rôle de showrunner par le passé, mais je savais que ce n’était pas l’ambiance habituelle. Normalement, on se rassemble dans une pièce, on discute des scripts et on a parfois les meilleures idées devant la machine à café, pendant la pause. On a quand même réussi à créer une carte narrative de la saison et j’ai travaillé étroitement avec le designer de l’action Tim Connolly, qui nous a rejoints pour l’occasion.

    Le premier épisode de cette nouvelle saison regorge de scènes d’anthologie, comme c’était le cas dans la précédente. Comment vous êtes-vous réparti la tâche avec Tim Connolly dans la chorégraphie de l’action ?

    Je me suis beaucoup inspiré du travail de Gareth. On ne peut pas réussir une scène d’action par accident. Ça exige des mois et des mois de préparation. Le défi, dans un show TV comme celui-ci, est de concocter, mesurer, évaluer et valider les scènes d’action suffisamment à l’avance pour avoir le temps de les designer, de les story-boarder, de les répéter avec les acteurs, de rassembler tous les accessoires et les effets spéciaux nécessaires…

    Il faut même prévoir les impacts de balle et les effets visuels numériques. Si vous cochez toutes ces cases, une fois sur le plateau, vous pourrez exploiter au mieux le temps qui vous est imparti. Et parfois, on n’a que deux jours pour tourner une séquence entière. Dans l’épisode 1, je joue beaucoup sur le teasing, par exemple lors de l’introduction du personnage d’Elliot. L’idée était d’attraper le public, de le plonger au milieu de l’action alors qu’on essaie de rejoindre le héros.

    C’est presque du James Bond ou du indiana Jones : on est à la fin d’une mission et on retrouve Elliot dans un moment à la fois fort visuellement et très signifiant. Ce n’est pas un assassin élégant qui élimine discrètement ses cibles : il fonce dans le tas et il est visiblement épuisé. Dès cette séquence, je voulais faire comprendre au public qu’on n’allait pas y aller avec le dos de la cuillère.

    La réalisation de cette scène est très originale. Les combats en plans-séquences sont à la mode depuis quelques années, et c’est presque devenu un concours. ici, le plan-séquence n’est pas le combat mais la mise en place du combat. C’est assez rafraichissant !

    Je comprends totalement ce que vous voulez dire. Pendant la préparation de la saison 2, mon rôle était de m’assurer que les scénaristes parviennent à réfléchir de façon cinématographique, outrancière et épique. Ça ne devait pas être de la télévision conventionnelle, où l’on peut comprendre l’histoire juste en écoutant les dialogues. J’ai monté quatre heures d’extraits de films que j’adore : À toute épreuve, The Killer, Old Boy, Heat, RoboCop, A History of Violence

    Le combat au couteau situé dans une voiture dans J’ai rencontré le Diable de Kim Jee-woon est aussi un bon exemple. C’est un moment visionnaire, choquant, magnifique, cinématographique.… Je voulais que les auteurs s’en imprègnent et qu’ils osent imaginer des choses comme Ça. On a tendance à croire qu’on est limité dans ce qu’on a le droit de faire au Royaume-Uni. Je voulais qu’on respecte l’ADN de la saison 1, mais il était indispensable qu’on s’inscrive aussi dans l’héritage de ces films.

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    Savoir ce qui a été fait auparavant, ça aide à comprendre ce qui n’a pas encore été tenté dans le genre.

    Exactement, et c’est aussi pour ça que j’ai montré ces extraits aux scénaristes. J’ai aussi développé une bible de Gangs of London. Sur 150 pages, j’explique ce que je trouve réussi dans la saison 1 visuellement, tonalement, créativement, et j’énonce aussi les règles de cet univers, entrecoupées par mes propres croquis. Ça nous a permis de sortir des sentiers battus pour de nombreuses séquences. Prenons l’exemple du final de l’épisode 1, où l’action vire au home invasion. On a déjà exploré pas mal de genres dans la série, et je pense qu’on peut facilement les mélanger à l’écran.

    Incorporer des éléments de film d’horreur fonctionne, sauf si d’un point de vue tonal, le spectateur a l’impression d’avoir zappé sur un autre show. Luan et sa famille vivent dans une gigantesque villa, ce qui me permettait de faire monter progressivement le suspense en multipliant les plans-séquences dans cet énorme espace. Narrativement, il y a une raison très concrète pour laquelle des assassins masqués envahissent sa demeure, mais ça me permettait clairement de jouer avec les codes horrifiques.

    Il y a des plans tout droit issus du slasher, par exemple quand un personnage ouvre le frigo et le referme. Vous faites Ça trois fois de suite, on s’attend à ce qu’un tueur apparaisse derrière la porte, vous jouez même avec les couteaux, les masques… On se croirait presque dans Scream ou Halloween ! Ce n’est pas le seul clin d’œil au cinéma d’horreur que compte l’épisode 1. Les toilettes où se réfugie Alex Dumani sont d’un rouge vif qui évoque immédiatement Shining. En plus, on a droit à une brève apparition fantomatique dans ce décor…

    Vous savez quoi ? Je n’ai même pas demandé à l’équipe du production design de recréer les toilettes de Shining. On a trouvé de vraies toilettes rouges et j’ai trouvé ça génial et tout à fait pertinent pour la séquence. Je crois qu’on a quand même ajouté les miroirs.

    Parlons-en, des miroirs. Le personnage d’Alex projette une façade en permanence, et vous le soulignez à travers des jeux de reflets très élaborés, notamment une transition très parlante entre deux décors où l’on retrouve Alex exactement dans la même position. Il y a un effet de miroir dans le montage.

    J’aimerais que tout le monde regarde la série avec la même attention |! (rires) En effet, Alex a été promu et la pression qu’il subit est écrasante. Il a réussi sur le dos de son meilleur ami. Dans une version antérieure du script, tout le monde était d’ailleurs persuadé qu’il avait tué Shaun. On venait lui serrer la main pour le féliciter ! Et il ne niait rien. Alex est quelqu’un de très intelligent, il cherche une porte de sortie pour sa famille tout en étant rongé par la culpabilité. Je voulais raconter ça visuellement, ce qui est toujours plus intéressant que de communiquer les informations et les états d’âme des personnages à travers les dialogues.

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    Toute la caractérisation est visuelle. Le personnage de Lucian Msamati utilise un BlackBerry, ce qui tranche avec les autres.

    Oui, il est old school et même un peu ancré dans le passé. Il est un peu relégué à un rang subalterne et dénigré par les autres alors qu’Alex a été promu. Je voudrais revenir sur le plan-séquence dont on parlait tout à l’heure. Je voulais que ce choix de mise en scène compte vraiment, qu’il n’ait pas l’air aléatoire. Souvent, quand on voit un plan-séquence, on se dit qu’il est cool mais ça n’a pas de résonance thématique. À travers ce plan, je voulais qu’on rattrape le temps qui s’est écoulé depuis la première saison et qu’on découvre où Elliot se trouve un an après. Il y a évidemment une volonté de repousser les limites du format télévisuel, je ne vais pas le nier.

    On avait deux jours et demi pour tourner la scène, donc il a fallu la concevoir en fonction du planning. La première idée qui m’est venue, c’est ce moment où il écrase la tête d’un méchant dans la machine à laver. Ça m’a fait rire. Or, à l’écran, on ne le voit pas : on entend le bruit et ensuite on découvre les conséquences du carnage d’Elliot. On essaie de le rattraper en permanence, en entendant ce qui se déroule hors-champ. C’était donc un équilibre entre des intentions de mise en scène et des partis pris économiques.

    Pour un plan comme celui-là, il faut savoir jouer avec les accessoires, et c’est d’ailleurs très jouissif de concevoir des décors de façon aussi précise. J’ai utilisé deux jumeaux pour le moment où un méchant se fait poignarder dans le cou. L’un d’eux passe devant la caméra, puis l’autre apparaît avec le couteau déjà planté et s’effondre au sol. C’est un « Texas switch » à l’ancienne ! Quand on arrive au combat proprement dit, il faut que ce soit plus brutal et chaotique. J’ai eu cette idée d’un type énorme étranglé par le héros.

    C’est l’une des scènes de strangulation les plus violentes de l’Histoire !

    Je prends ça comme un compliment. J’imagine que vous avez deviné ma source d’inspiration pour l’œil exorbité et la langue qui se tend ?

    Total Recall ?

    Exactement !

    Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec l’équipe des maquillages spéciaux ?

    L’équipe n’était pas la même que sur la saison 1. Claire Williams n’était pas disponible, donc elle a été remplacée par Helen Speyer et Richard Martin, un prosthetic designer que je vais retrouver sur mon prochain long-métrage. Il a fait un travail phénoménal sur les effets gore. Je lui donnais des croquis de ce que j’avais envie de voir, représentant des blessures très particulières…

    Quand on tue un personnage, on ne veut pas juste voir une tache de sang sur la poitrine. Si un œil est touché par une balle, on doit voir un morceau de crâne. Ainsi, le spectateur ne glorifie pas la violence, il sait que c’est un monde dangereux. J’ai toujours adoré les effets spéciaux pratiques et les maquillages prosthétiques. C’est difficile de tous les faire tenir dans un budget aussi serré, mais je crois qu’on a réussi.

    Procédez-vous à des séances de brainstorming pour concevoir des mises à mort originales ?

    (rires) C’est horrible quand on le dit comme ça.

    Si ça vous rassure, Peter Jackson et son équipe artistique ont fait la même chose sur la trilogie du Hobbit.

    Je sais que vous comprenez ce que je fais, je n’ai pas à m’expliquer ici sur la manière dont j’aborde la violence comme je pourrais le faire avec un autre magazine. Oui, il est très important de concevoir des morts originales dans une série comme Gangs of London. C’est un pacte que l’on passe avec le spectateur. Je déteste quand un personnage meurt presque hors champ ; on entend juste un bruitage et il tombe, mort.

    Dans la saison 2, une mort en particulier est la meilleure que j’ai jamais tournée. Je ne peux pas vous dire laquelle, mais vous le saurez quand vous la verrez. (rires) Donc oui, j’y pense beaucoup. Si on se débarrasse d’un personnage, il doit y avoir une image finale impactante. Pour le gangster turc, qui est d’ailleurs interprété par l’homme le plus fort du monde, j’ai eu l’idée de tous ces gros plans sur la pression qui monte dans ses yeux, le sang qui éclabousse sa langue… C’est très graphique, et il faut l’être.

    William Friedkin a réussi à se débarrasser de personnages centraux en une seconde dans Sorcerer et Police fédérale, Los Angeles.

    Oui, mais leur mort est un choc majeur. Ça honore ces personnages. Dans l’épisode 1 de la saison 2, un personnage important se jette du haut d’un building. Je tenais à ce que la caméra capte sa chute, ne serait-ce que brièvement.

    Ce plan est très réussi, il est très hitchcockien. Nous parlions un peu plus tôt du BlackBerry, mais d’autres accessoires sont tout aussi signifiants, par exemple le revolver argenté que brandit Elliot face à Alex. Or Elliot est tout en nuances de gris, il évolue des deux côtés de la loi.

    Quand je choisis des armes, je veux bien sûr être un peu réaliste et opter pour les armes qu’utiliserait un tel personnage dans le monde réel, mais je m’autorise une certaine licence poétique. Je n’aime pas les armes modernes car elles ont l’air d’être en plastique. Ce n’est pas comme ce qu’on voit dans L’Inspecteur Harry - et d’ailleurs, Koba utilise un Python dans la saison 2. Je voulais que le flingue d’Elliot reflète la lumière de la Lune. Ce n’est pas très cohérent car il se ferait repérer plus facilement, mais il y a une intention esthétique.

    La scène de home invasion est aussi très impressionnante, en particulier ce long moment sous l’eau.

    Ça ressemble à un plan-séquence mais on a un peu triché. On m’a conseillé de ne pas inclure ce plan, car le planning était encore une fois très serré. Réfléchissez à la manière dont j’ai abordé la scène : je voulais que tout se déroule du point de vue de Luan. Il est dans tous les plans et on ne s’éloigne que brièvement de lui lorsqu’il se met à l’abri. Par conséquent, il était impossible de tourner plusieurs plans en parallèle. On n’avait la maison que pour quelques jours. Je l’avais choisie en raison de son incroyable jardin, qui rendait très bien la nuit, mais ironiquement on n’a pas pu tourner de nuit car le voisinage exigeait un arrêt des prises de vues à 22h.

    On m’a demandé de couper le plan de la piscine parce qu’il était trop complexe à tourner. On ne pouvait avoir Orli Shuka que quelques heures. De là est venue l’idée de la serviette autour de sa tête. Avec la serviette, on pouvait tourner la première moitié du plan avec une doublure, pendant une demi-journée, et une autre demi-journée était dédiée au tournage avec Orli. Nous avons prévisualisé tous les mouvements de caméra, nous avons divisé le plan en six coupes distinctes, et je suis très fier du résultat.

    Le personnage de Koba est l’une des meilleures nouveautés de la saison 2.

    Je suis content que vous en parliez ! Je suis pressé que les fans le rencontrent. J’adore Gary Oldman dans Léon, Alan Rickman dans Piège de cristal, et je voulais un vilain aussi mémorable. Il ne devait pas être simplement maléfique et méchant, il devait aussi avoir des aspects intimidants et étranges. Waleed Zuaiter a fait un travail phénoménal, je l’adore. Tom Butterworth mérite aussi beaucoup de crédit : la scène où Koba demande à un prisonnier d’avaler des balles de fusil définit totalement le personnage. Ça m’a rappelé cette séquence d’Alien où l’androïde interprété par lan Holm attrape un journal et essaie d’étouffer Ripley avec. En forçant ce type à avaler des balles qui pourraient exploser, Koba impose son contrôle. Et ironiquement, on s’attache à lui au fil de la saison ! Vous verrez…

    🎬 – Red Band Trailer :

    Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    Merci à Mylène Daimasso.

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    Aussi vénérée que Sigourney Weaver par les amateurs de cinéma de genre, Jamie Lee Curtis s’était exprimée pour la dernière fois dans nos pages en novembre 1998, à l’occasion de la sortie de Halloween, 20 ans après. Nous avons profité de sa venue en France pour discuter des enjeux de Halloween Ends et de la vision de David Gordon Green, tout en revenant sur les moments forts d’une carrière qui, de À couteaux tirés à Everything Everywhere All at Once, continue de nous surprendre.

    Je dois vous l’avouer : je vous ai découverte dans Un fauteuil pour deux quand j’avais à peine huit ans.

    Si ce sont les premiers seins que vous avez vus dans votre vie, c’est parfait. Je suis heureuse que ce soient les miens. (rires)

    Ce sont les premiers qui m’ont marqué au cinéma ! Mais dans les années 1980, en France, on avait quand même pas mal de pubs où des filles dénudées se caressaient avec du gel douche.

    Ah, aux États-Unis, on était loin d’avoir ça ! C’était plutôt « ban the nipple ». On est en train de parler de nichons, là, n’est-ce pas ?

    Oui, on vient de commencer notre entretien avec ça. Pourquoi pas !

    (rires) Vous savez pourquoi je suis dans Un fauteuil pour deux ? John Landis réalisait un court documentaire sur le cinéma d’horreur composé de bandes-annonces des années 50. Ça s’appelait Coming Soon. Il avait besoin de quelqu’un pour s’occuper de la narration et il m’a appelée. À l’époque, j’étais la Scream Queen ! Je ne l’avais jamais rencontré auparavant. J’ai travaillé quatre jours sur le projet, dans le backlot d’Universal Studios. Le texte était très descriptif, il y avait un peu de dialogues…

    Mais clairement, quelque chose s’est passé à ce moment-là. John a senti quelque chose de drôle à mon sujet. Quand ils castaient Un fauteuil pour deux, il est allé voir Paramount pour leur dire : « Pour le rôle féminin, vous êtes prévenus, j’engage Jamie Lee Curtis. ». Ils étaient là : « Attendez… Quoi ? Bien sûr que non ! ». Ils n’étaient pas contents du tout, mais John a eu gain de cause. Rendez-vous compte : je dois ma rencontre avec John, donc une grande partie de ma carrière, au cinéma d’horreur ! Si je n’avais pas joué dans Halloween et tout ce qui a suivi, je n’aurais pas narré ce documentaire. Et sans Coming Soon, je n’aurais jamais fait Un fauteuil pour deux. Je ne remercierai jamais assez John ; il a changé ma vie.

    Parlons un peu de Halloween Ends.]*** David Gordon Green dépeint une Amérique très crédible. Le film parle de la manière dont la paranoïa, la haine et la peur peuvent s’emparer d’une population à la manière d’un virus. Ce n’est pas la première fois qu’on vous retrouve dans un film traitant de ce sujet. Même dans une comédie comme À couteaux tirés, il y a une dimension sociale et politique très importante. Avez-vous contribué à rendre la trilogie de David Gordon Green aussi subversive que possible ?

    Je pense avoir eu une influence limitée, mais ce sont évidemment des sujets qui me tiennent à cœur. Quand je serai morte et quand vous serez plus vieux, vous reverrez cette trilogie comme une œuvre socialement et politiquement très puissante. Elle est avant-gardiste, à mon avis ; David Gordon Green et Danny McBride ont fait preuve d’une prescience étonnante et pourtant, aucun d’eux n’est un militant politique.

    En 2016, ils ont écrit un script qui parle de rage et d’émancipation féminines. C’est devenu un sujet absolument énorme deux ans plus tard ! Avec le second opus, ils se sont intéressés à l’indignation sociale et à la violence des foules, et on a vu ça se concrétiser avec l’invasion du capitole. Halloween Ends parle du poison de la colère et de paranoïa, et ça ne pourrait pas être plus actuel. Nous vivons dans un monde terriblement divisé. On vient de le voir avec l’élection d’un parti néo-fasciste en Italie. On ne devrait pas se contenter de dire que c’est de la folie. C’est le résultat de quelque chose et il faut réussir à analyser ça pour avancer.

    Je pense que cette trilogie est importante, qu’elle s’inscrive ou non dans un genre : elle décrit l’impulsion d’un vrai changement politique. Je n’écris pas ces films, je les interprète. Je ne prends donc aucun crédit, il revient entièrement à David et Danny. Ils ont su écouter le monde et le commenter avec pertinence.


    Jamie Lee Curtis en pleine discussion avec David Gordon Green dans l’un des décors de Halloween Ends.

    Ceci étant dit, ces films existent grâce à vous. Vous auriez pu dire non quand on vous les a proposés. John Carpenter aurait pu refuser, lui aussi.

    Oui, j’ai appuyé leur voix par association, en étant Laurie Strode et en parlant de tout cela en tournée promo. Avez-vous vu ce mème où on me voit répéter le mot « trauma » des dizaines de fois en interview ? C’est hilarant ! Mais c’est un exemple de ma participation et de la manière dont j’ai essayé d’explorer ces thèmes.

    Spoiler

    Tout ce que j’ai apporté à Halloween Ends, c’est à la toute fin, quand on perçoit une possibilité d’espoir. J’ai vraiment insisté pour que ce soit dans le film.

    Vous aviez déjà refermé deux fois ce chapitre de votre carrière dans Halloween, 20 ans après et Halloween : résurrection. Le traitement de Laurie Strode dans le premier semble assez différent du film de 2018. Chez David Gordon Green, elle est prête à prendre les armes dès le début. Dans 20 ans après, elle se cache.

    Je pense qu’elle se cache aussi dans la nouvelle trilogie. Elle se cache au grand jour, mais elle se cache quand même.

    Elle est quand même plus proche de Sarah Connor que de la Laurie de 1998.

    Là-dessus, on est totalement d’accord !

    Elle commence donc la trilogie comme Sarah Connor, mais dans le dernier opus, elle décide dès le début du film de déposer les armes. C’est une évolution très intéressante…

    Oui, une dé-évolution.

    … qui va à l’encontre du schéma hollywoodien classique. On a tendance à suivre un héros qui va s’armer de plus en plus, mentalement et physiquement, au fil de son périple.

    Spoiler

    Elle se désarme d’ailleurs dans son combat contre Cory. Elle jette son revolver au sol.

    J’ai compris, en lisant le script, pourquoi au début du film elle a une lueur de vie en elle. Le second film démarrait tellement haut en intensité qu’on ne pouvait pas refaire la même chose. On ne peut pas mettre des obstacles encore plus grands sur son parcours. Il lui fallait du temps pour qu’elle puisse faire le deuil de sa fille.

    Le mieux qu’on puisse faire face au Mal absolu, c’est lui dire : « Va te faire foutre. Je vais vivre et je n’ai plus peur de toi. ». Pendant l’Holocauste, les Juifs ont survécu en défiance de ce qu’on leur a fait. Les gens qui survivent à une violence extrême, s’ils sont bien accompagnés, ont une chance de réémerger et de trouver la paix. C’est ce qui est dit dans le script : Laurie travaille dur sur elle-même et finit par trouver la paix. Bien sûr, certaines victimes de violence ne réussissent pas à guérir. Les blessures émotionnelles ou physiques peuvent être trop profondes, et leur vie s’est métaphoriquement arrêtée au moment du drame.

    Nous nous sommes dit que Laurie pouvait avancer et tenter de vivre, mais dans le film, la réalité la rattrape.


    Laurie Strode à nouveau sous la menace de Michael Myers. Pour la toute dernière fois ?

    La procession finale est très ambiguë et presque provocatrice. En tant que spectateur, on ne sait pas trop quoi en penser. Une chose est sûre : ce n’est pas filmé comme une victoire.

    Spoiler

    Ce n’est jamais une victoire. Dans cette scène, il n’y a aucune allégresse, aucun salut. C’est, comme vous l’avez dit, une procession, et une extermination. À la fin du film, on ressent une gratitude vis-à-vis de sa disparition, et il y a un espoir que la communauté de Haddonfield puisse guérir.

    C’est peut-être pousser trop loin l’analyse, mais cela fait penser à la disparition du cadavre d’Oussama Ben Laden, afin que personne ne puisse lui rendre hommage.

    Beaucoup de thèmes difficiles se juxtaposent dans cet épilogue, notamment la peine capitale. On peut aussi se poser la question : Laurie devient elle-même une tueuse dès l’instant qu’elle ôte la vie à quelqu’un ? Réussira-t-elle à laisser les ténèbres la quitter ? C’est la question qu’on devrait se poser. Il n’y a pas de célébration à la fin de cette histoire, juste une inévitabilité : elle doit tuer ou être tuée.

    Vous faites preuve d’une gamme de jeu impressionnante dans ce dernier opus. Vous êtes une mère, une amante, une combattante, une victime de trauma… David Gordon Green a-t-il organisé des répétitions ?

    Il aime qu’on répète un peu, mais pour lui, ça se joue surtout devant la caméra. Pour chaque séquence, il a joué avec un potentiomètre au niveau de l’intensité émotionnelle et il s’est donné des options au montage, de un à dix. Mais la plupart du temps on était à trois. Je crois que si on pousse tout le temps les curseurs à fond, ça devient un peu du « trauma-porn ». Il faut faire très attention à ne pas transformer Laurie en fétiche du deuil. Je ne suis qu’une actrice, donc je ne peux pas réguler mes émotions comme un robot.

    Vous n’avez pas un curseur qui va de un à onze, comme dans Spinal Tap (1) ?

    (rires) Non, mais il semblerait que David en ait un. Quand j’ai vu le film, j’ai été très impressionnée par sa retenue, et pourtant on peut ressentir ce qu’éprouve Laurie à tout moment. On ne veut pas la voir en agonie pendant deux heures, ce serait trop fétichiste.

    Quel regard portez-vous sur votre performance dans le premier Halloween*** ? Laurie n’était clairement pas un personnage complexe.

    Elle était aussi complexe qu’une fille de 17 ans de cette époque pouvait l’être. Elle espère qu’un garçon l’embrassera un jour, elle a des rêves sentimentaux et romantiques qui s’entremêlent de façon très mignonne avec son éveil sexuel. Ses amis se moquent un peu d’elle. Ce n’est en effet pas complexe du tout, mais ça le devient quand la merde frappe le ventilo, du moins sur le plan émotionnel.J’adore Laurie.

    Je me souviens que John Carpenter a utilisé le mot « vulnérable » lors de notre première conversation. Il m’a dit qu’il voulait un personnage vulnérable, et à l’âge de 19 ans, avec un niveau d’études encore très limité, j’ai cru que « vulnérable » signifiait « faible ». Je crois que je n’ai pas aimé le mot. Je ne me suis pas battue contre la direction de John mais j’ai compris de travers.

    À sa sortie, je suis allé voir le film dans un cinéma de North Hollywood. Je me suis assise tout à l’arrière de la salle et j’ai observé le public. À un moment, Laurie reçoit un appel de sa copine depuis la maison d’en face, et la copine en question se fait étrangler pendant le coup de fil. Laurie lui dit d’arrêter de se foutre d’elle, elle vérifie que tout se passe bien avec les enfants puis elle sort de la maison. Elle regarde de l’autre côté de la rue et commence à se diriger vers le pavillon.

    John utilise le Steadicam selon deux angles : d’une part le point de vue de Laurie vers le pavillon, d’autre part le visage de Laurie. La scène est très, très lente, le rythme de la marche aussi. Quand Laurie a atteint le milieu de la rue, une femme s’est levée dans la salle de cinéma et a hurlé : « N’Y VA PAS ! ». C’est à ce moment-là que j’ai compris ce que John Carpenter recherchait. Le public est amené à s’intéresser à Laurie et on ne veut pas qu’il lui arrive quoi que ce soit. On en vient à essayer de la sauver depuis notre siège de spectateur.

    Voilà ce que signifie « vulnérable » ! Cette interaction entre le public et le personnage, c’est la sauce secrète du genre. Beaucoup de films ont essayé de reproduire cette expérience, mais aucun d’eux n’a totalement réussi.


    Laurie et Lindsey (Kyle Richards), dont elle était la babysitter dans le tout premier Halloween.

    Vous avez travaillé plusieurs fois avec John Carpenter, et on oublie souvent de préciser que vous signez la voix off qui ouvre New York 1997 et Los Angeles 2013.

    Oh mon dieu, c’est vrai ! J’avais complètement oublié que j’étais là-dedans ! Il faut que je réécoute ça au plus vite !

    Dans True Lies, vous interprétez un autre personnage très vulnérable, Helen Tasker.

    Vous vous souvenez de l’interrogatoire ? Quand à travers le miroir, Harry lui demande pourquoi elle a fait ça et qu’elle répond : « Je veux vivre ! ». J’en pleurerais rien que de prononcer à nouveau ces mots. C’est une femme piégée dans un ennui domestique sans fin et cet homme lui a donné une chance de faire quelque chose d’excitant. C’est un peu comme si Helen répondait : « Je suis un putain d’être humain, je suis vivante ! ». C’est d’une intensité émotionnelle incroyable. Dans le scénario, c’était douze pages…

    À ce propos, je vais vous confier quelque chose. Il y a deux mots dans le show-business que je hais par-dessus tout, et ce n’est pas « final touches » – et pourtant je déteste ça. « Cover set », voilà l’expression qui m’horripile le plus. Si vos lecteurs l’ignorent, quand un film contient beaucoup de séquences en extérieur et que la pluie est susceptible d’interrompre le tournage à tout moment, il faut avoir une scène en intérieur que l’on peut tourner dans n’importe quelle ville accueillant la production. Il faut que ce soit un intérieur très contenu, et la seule séquence adéquate dans True Lies était l’interrogatoire de Helen Tasker.

    Voilà ce que ça signifie : j’ai dû me rendre à Miami non pas pour tourner, mais pour être disponible pour le « cover set ». Chaque jour, j’étais dans ma chambre d’hôtel, et on m’appelait à 16h pour me dire : « Vous êtes libre demain. ». Mais un jour, ils pouvaient m’appeler et me dire : « Demain il pleut, donc vous tournerez l’interrogatoire. ». Nous avons bouclé cette scène en quatre mois, en quatre sessions différentes ! Les gros plans ont été tournés un jour, les plans à travers le miroir deux mois plus tard, les plans larges un autre jour, sans compter les plans sur Arnold et Tom derrière la vitre. Et c’est une séquence très longue, qui va de zéro à dix sur le plan émotionnel ! Je ne ferai plus jamais ça.

    Quand on vient me demander si j’accepterais d’être le « cover set », je refuse sans hésiter. « Non, maman ne fait plus ça ! » C’était un vrai défi.

    À l’écran, tout semble très homogène.

    Oui, la séquence est absolument fantastique ! Ce film est tellement génial. J’étais très libre sur True Lies. Jim peut presque tout faire sur un film…


    Laurie, méfiante et marquée, reçoit la visite de sa petite-fille Allyson.

    Sauf la musique ?

    Sauf la musique, mais pas seulement. Il ne sait pas danser, donc il ne peut pas tenir le rôle du dolly grip, qui doit opérer une caméra de façon coordonnée et complexe. Un Steadicam, aucun problème, mais le dolly grip doit traduire les mouvements humains dans ceux de la machine. Mais surtout, Jim ne sait pas jouer la comédie et c’est pour ça qu’il aime autant les acteurs. Ils font quelque chose qu’il ne maîtrise pas !

    Jim Cameron m’adorait parce que je pouvais faire, presque sans aucune intervention de sa part, ce qu’il voulait que je fasse. Il avait écrit ce personnage pour moi. Il devait avoir une intuition à mon égard. Une seule fois je n’ai pas réussi à faire ce qu’il avait en tête. Le reste du tournage, il ne m’a fait aucun commentaire, au-delà du fait qu’il adorait ma performance. Quel cast on avait sur ce film… Bill Paxton ! Il nous manque tellement. Tom Arnold, hilarant. Grant Heslovaussi. Arnold… Absolument inouï.

    Vous avez tourné plusieurs comédies avant True Lies. Après Un fauteuil pour deux, on vous a vue dans Un poisson nommé Wanda aux côtés de John Cleese et Kevin Kline. Vous êtes-vous préparée pour le rôle ?

    Non, pas du tout !

    Pourtant, la comédie exige un sacré sens du timing, en particulier avec les Monty Python.

    On a répété un peu avant le tournage, je crois… Honnêtement, je ne m’en souviens pas ! Ma fille était âgée de six mois quand on a commencé Wanda. Je savais que Kevin et John étaient drôles. Je n’ai pas vu le film depuis longtemps, et tout est un peu flou aujourd’hui.

    Même chose pour Créatures féroces ?

    [elle lève les yeux au ciel] Là, c’est vraiment très flou. (rires)Un poisson nommé Wanda a coché pas mal de cases à sa sortie. On avait besoin d’une comédie irrévérencieuse basée sur une guerre culturelle. Ce que je peux vous dire, c’est que la fin originale était différente. Elle était plus sombre.

    Dans le tout dernier plan, Archie se tournait vers mon personnage et disait : « Chérie, je suis heureux qu’on soit ensemble » et je lui faisais les yeux doux. Ensuite, la caméra descendait vers nos mains entrelacées, puis continuait le long de mes jambes, et il y avait un freeze frame sur mes chaussures : sur le côté, il y avait des dents de requin acérées, et juste au-dessus, il y avait un aileron. On comprenait que cette femme était un requin !

    Le studio a testé cette fin sur des spectateurs américains et ceux-ci n’ont pas accepté cette conclusion ! On nous a demandé de retourner l’épilogue, mais aussi d’ajouter quelques scènes qui appuyaient la romance entre Archie et Wanda. Ils voulaient que la love story soit réelle. J’étais en pétard, pour être honnête. J’aime quand une histoire est sombre et j’aime quand on renverse les codes. Dans le film que vous connaissez, vous croyez que Wanda aime Archie, mais ça n’a jamais été le projet de départ.


    The Shape, boogeyman plus terrifiant que jamais, et toujours incarné, comme dans les deux précédents films, par James Jude Courtney et Nick Castle.

    Sur Blue Steel, vous avez travaillé avec Kathryn Bigelow qui était à l’époque fan de James Cameron, comme en témoigne Aux frontières de l’aube.

    Et même bien plus qu’une fan ! (rires) Le film a été difficile à tourner : beaucoup de nuits, des focales très courtes… Je me suis bien entendue avec Kathryn, on travaillait bien ensemble. On n’est pas devenues amies mais on savait ce qu’on avait à faire pour que ça fonctionne.

    Kathryn portait toujours un jean et un t-shirt noirs. Elle sortait régulièrement une liste de plans de sa poche arrière, elle la dépliait devant nous et on pouvait voir qu’elle l’avait probablement tapée la veille au soir. Elle vérifiait ce qu’elle avait à vérifier, elle remettait le papier dans sa poche arrière et on continuait à tourner. Blue Steel était un exercice de précision. Ce n’était pas un film très émotionnel. Kathryn a apprécié ma performance mais à l’écran, il y a une certaine froideur.

    Ma fille avait alors dix-huit mois et j’avais emmené ma famille avec moi à New York. Je jonglais entre mon rôle de mère et mon travail d’actrice dans le contexte d’un tournage majoritairement de nuit. Bien sûr, j’avais une nounou qui m’aidait, mon mari était très présent, mais ç’a été assez compliqué.

    Vous avez enchaîné les rôles marquants ces dernières années. Peu avant Everything Everywhere All at Once, on vous a vue dans À couteaux tirés de Rian Johnson.

    Je viens justement d’échanger des messages avec lui : il était au Fantastic Fest à Austin, où le premier long-métrage de Noah Segan, Blood Relatives, était projeté. À couteaux tirés appartient organiquement à Rian. On est tous venus sur le plateau pour réciter les dialogues selon des directives très spécifiques. Tout le film était dans sa tête, jusqu’au plus petit détail.

    Vous avez droit à l’une des répliques les plus drôles du film : « C’est encore notre maison ! ». En salles, les réactions étaient tonitruantes.

    C’était fantastique, oui ! Le long-métrage regorge de scènes de groupe et la chorégraphie était très pointilleuse. Quand on tourne un film comme À couteaux tirés, on ne rentre pas à l’hôtel chaque soir en se disant : « Wow, j’ai assuré ! ». Je n’avais aucune idée de la manière dont Rian allait assembler tout ça. Je ne savais pas à quoi ça allait ressembler. Je n’arrêtais pas de dire à mon assistante : « C’est un petit rôle, c’est vraiment amusant », mais ce n’était pas comme si on se retrouvait le soir pour faire la fête. En plus, j’étais une remplaçante sur ce film. Quelqu’un d’autre avait obtenu le rôle mais il y avait un conflit de calendrier. On m’a proposé le personnage du jour au lendemain et j’ai dit OK.

    J’ai rencontré Rian, le tournage s’est formidablement bien passé et on est partis chacun de son côté. Quelques mois plus tard, on m’a demandé de venir faire la promo du film à Cinemacon. « Vraiment ? Moi ? » C’est ensuite que j’ai compris l’importance de chaque rôle et la virtuosité du long-métrage. J’ai adoré faire partie d’un projet capable de rendre les gens aussi heureux. Le public a vraiment adoré, ne serait-ce que pour la fantastique performance de Daniel Craig. Pour résumer, À couteaux tirés a été une complète surprise pour moi. Je savais que ça allait être pas mal, mais j’ignorais que ce serait génial. Je pourrais très bien le dire à Rian. Je ne savais pas. Comment aurais-je pu ? Je n’étais pas dans sa tête.

    (1) L’époux de Jamie Lee Curtis, Christopher Guest, interprétait Nigel dans Spinal Tap de Rob Reiner, celui dont l’ampli pouvait grimper jusqu’à onze.

    Propos recueillis par **Alexandre Poncet. **
    Merci à Étienne Lerbret.

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    Disparu un temps dans l’anonymat des séries, Ti west, l’auteur de “X” nous explique comment son retour au grand écran se place sous le signe d’une célébration du cinéma indépendant et de son art de la débrouille.

    Quelle a été l’inspiration première de X ?

    Eh bien, je n’avais pas fait de long-métrage depuis un bon moment. Cela faisait même dix ans que je n’avais pas tourné de film d’horreur. Entre-temps, j’avais fait beaucoup de réalisation en télévision et j’y avais pris énormément de plaisir.

    Mais j’ai fini par me dire que je devrais peut-être revenir au long-métrage et en cherchant un sujet, je me suis rendu compte que ce que j’aime le plus dans le cinéma, c’est la fabrication concrète des films. En particulier, je suis assez charmé par le côté entrepreneurial de la confection d’une péloche indé à petit budget – une chose avec laquelle les spectateurs modernes ont perdu le contact, je crois.

    J’ai donc décidé d’avoir une histoire où les personnages seraient en train de tourner un film, en espérant que cela pousserait les gens à apprécier la somme de talent que les membres de l’équipe y mettent, que ce soit au niveau du jeu d’acteurs, de la direction de la caméra, du montage, de la musique ou des effets spéciaux de maquillage. Bref, je souhaitais inviter le public à aimer à nouveau le cinéma.

    Cependant, je ne voulais pas que les personnages soient en train de faire un film d’horreur, car cela aurait été trop méta et autoréflexif. Or, dans les années 1970, le porno et l’horreur ont toujours eu une sorte de relation de symbiose. En effet, c’étaient des genres marginaux qui vous permettaient de travailler dans une complète indépendance. Vous n’aviez pas besoin de Hollywood : vous pouviez tourner ces films tout seul et les distribuer tout seul.

    Avoir des personnages confectionnant un porno était donc un bon moyen de montrer au public à quoi ressemblait la fabrication d’une bande horrifique. En plus, il y a quelque chose d’absurde dans le contraste entre, d’une part, le côté érotique de ce que vous voyez et, d’autre part, le fait que l’ambiance sur le plateau n’était pas du tout érotique. Et cela me plaisait de lever un coin du voile sur cette réalité.

    En outre, vous tissez des liens entre les mécanismes de l’érotisme et ceux de l’horreur grâce à des montages parallèles parfois très expérimentaux, oscillant entre les scènes de tournage et la menace incarnée par les deux vieux. Ces effets étaient prévus dès l’écriture du scénario ?

    Oui. Dans le script, il y avait indiqué : « En 16 millimètres » pour toutes les images censées être issues du film dans le film. Et ces plans raccordent souvent avec des moments de la réalité où les personnages effectuent les mêmes gestes. Par exemple, Bobby-Lynne boit une limonade dans une scène du porno, puis on passe à Maxine et Pearl qui boivent aussi une limonade dans la cuisine.

    Comme vous le disiez, il y a quelque chose de similaire entre l’érotisme et l’horreur, dans la manière dont vous faites percevoir les choses. Mais de manière plus générale, je voulais montrer deux mondes qui entraient en collision de manière bizarre.

    Encore une fois, mon but était de rappeler au public les différents aspects de la fabrication d’un film, et mettre en parallèle ces deux histoires me permettait de le faire. Car de nos jours, les spectateurs ne pensent plus guère au montage et, d’une certaine manière, X les force à y penser. En particulier, le personnage du réalisateur, R.J., ne cesse de répéter qu’il va rendre le porno qu’il est en train de tourner plus avant-gardiste que la normale.


    Macabre découverte pour le shérif Dentler

    C’est amusant, car nous avons cette discussion deux jours après la mort de Jean-Luc Godard…

    À l’évidence, R.J. est très inspiré par la Nouvelle Vague et en particulier par Godard. Ce dernier est bien connu pour avoir joué avec la forme, pour avoir eu des choix stylistiques qui mettaient l’accent sur le cinéma plutôt que sur la simple narration. Et R.J. est bien sûr influencé par des choses comme les jump cut et les raccords avant-gardistes. Dans les scènes de tournage, j’ai aussi glissé des références à Easy Rider.

    Mais il faut savoir que dans les années 1970, les pornos avaient encore une durée de long-métrage et étaient dotés d’une histoire. En plus des scènes de sexe, vous deviez donc tourner le reste du film. Je ne sais pas si c’est toujours vrai aujourd’hui, mais pour faire Gorge profonde, Debbie Does Dallas ou Derrière la porte verte, vous aviez besoin d’exposer correctement la pellicule, d’avoir des éclairages, etc. Encore une fois, la fabrication d’un porno n’était pas très différente de celle d’un petit film d’horreur, ou de toute autre sorte de long-métrage.

    À propos de film d’horreur à petit budget, vous avez voulu que X ressemble d’abord à une banale resucée de Massacre à la tronçonneuse pour mieux surprendre ensuite les spectateurs avec une atmosphère particulière ?

    Ouais, je savais qu’en faisant un film sur des jeunes gens qui voyagent en camionnette jusqu’à une ferme du Texas dans les années 70, il n’y avait pas moyen d’empêcher les gens de penser à Massacre à la tronçonneuse. Car de nos jours, le public est très au courant des conventions du cinéma d’horreur, ce qui atténue l’effroi et le suspense. Je voulais donc faire en sorte que les spectateurs aient l’impression de deviner où allait l’histoire, et subvertir ensuite ces attentes.

    Dans les 20 premières minutes de X, ma priorité était ainsi d’installer divers types de menaces sans qu’on sache laquelle était vraiment sérieuse. À partir de là, je dévoile lentement la nature exacte du film, dont j’espère qu’elle est inattendue et qu’elle vous en donne quand même pour votre argent.

    Le mot « lentement » est important, car le véritable danger avance avec une lenteur inexorable. Cela trouve un écho dans le climat de la campagne texane, même si vous avez en fait tourné en Nouvelle-Zélande. C’était pour des raisons de production ?

    C’était vraiment pour des raisons de Covid. À l’époque, nous étions au pic de la pandémie et la Nouvelle-Zélande n’avait aucun cas. Une fois sortis de quarantaine, nous avons donc pu tourner X de manière traditionnelle, en toute sécurité. Car pour un film pareil, les mesures de distanciation sociale ne pouvaient pas fonctionner.

    Mais c’est vrai que nous avons trouvé en Nouvelle-Zélande une région qui ressemble beaucoup aux paysages du sud du Texas que j’avais en tête. Il s’agit d’une zone marécageuse qui, comme vous le dites, distille un tempo très lent. En effet, on la sensation que la chaleur et l’humidité ralentissent tout. Et cela se prêtait bien à la description des personnages, et aussi à ma volonté de faire en sorte que la véritable menace soit la plus inattendue.

    Pour construire cette atmosphère, je me suis bien sûr référé à Massacre à la tronçonneuse, mais aussi à des choses comme le génial Macadam à deux voies. Globalement, j’avais en tête des films des années 70 du genre « Americana », dépeignant les zones provinciales des États-Unis. Je ne pourrais pas vous dire lesquels, car ils sont gravés dans mon subconscient et j’en ai reproduit la tonalité.


    Pearl s’apprête à dissimuler les traces de ses méfaits.

    C’est pour avoir cette touche années 70 que vous avez utilisé des effets spéciaux « pratiques », réalisés concrètement sur le plateau ?

    Nous avons effectivement fait presque tout avec des effets pratiques, et pour l’essentiel, c’est parce que je pense qu’ils sont encore aujourd’hui les meilleurs. Les trucages numériques sont un très bon outil, qui peut donner des super résultats. Mais ils sont certainement suremployés, et quand il s’agit de sang, de meurtres dans un film d’horreur, ils ne sont pas aussi convaincants que les effets pratiques. Car vous avez besoin d’avoir quelque chose de palpable, d’organique, pour créer chez les spectateurs une réaction viscérale, au lieu qu’ils se disent que c’est juste un trucage.

    Cependant, la chose la plus frappante est la vision obscène des corps décatis des vieillards. Vous vouliez briser un tabou ?

    Pas nécessairement. Le truc, c’est que d’habitude, dans les films d’horreur, les vieux sont des puritains qui regardent de haut les jeunes gens, pensant qu’ils devraient être punis pour leur liberté, leur ouverture, leur insouciance. Mais dans le cas de Pearl, elle est en fait beaucoup plus envieuse et jalouse de ces choses, qu’elle ne peut plus avoir à cause de son âge. Il me semble n’avoir jamais vu ce thème dans un film d’horreur.

    En tout cas, j’ai instauré un contraste entre des jeunes corps sexualisés et les anatomies du couple de vieillards. Jusqu’au point où ces derniers finissent par faire l’amour ensemble. Cependant, je crois que nous n’avons pas traité cette séquence très différemment des autres scènes de sexe. C’est seulement la présence de corps âgés qui donne une énergie entièrement nouvelle à ce moment. Il y a bien sûr quelque chose de tabou là-dedans, mais les réactions des spectateurs sont très diverses et subjectives, dépendant de leur arrière-plan culturel.

    En fait, la vieille Pearl est interprétée par Mia Goth, qui incarne aussi la jeune héroïne Maxine. Pour vous, ce double rôle était nécessaire pour l’histoire, ou bien aviez-vous déjà en tête la préquelle intitulée Pearl ?

    Le but a toujours été que l’actrice interprétant Maxine joue également Pearl, car je sentais que, même si ce sont deux personnages différents, elles sont en quelque sorte la même personne. Cependant, je ne savais pas si je trouverais quelqu’un qui puisse le faire. Mais quand j’ai rencontré Mia, elle m’a convaincu qu’elle en était capable. De fait, même si nous avions une super équipe d’effets spéciaux prosthétiques, elle a dû subir des heures de maquillage, un exercice physiquement très éprouvant. Et elle a réussi à traverser cela car elle est vraiment une force de la nature.

    Pearl, qui a en fait été tourné secrètement en parallèle de X, a été projeté au Festival de Venise mais n’a pas encore été montré en France. Vous pouvez en dire un mot ?

    Dans X, nous n’en apprenons pas beaucoup sur le passé de Pearl. Nous la découvrons très tard dans sa vie, et faute de meilleur mot, elle est la méchante du film. À l’inverse, dans Pearl, elle est l’héroïne, et l’histoire raconte un basculement qui a eu lieu dans sa vie quand elle était jeune. C’est ainsi un tout autre genre de film : à vrai dire, cela ne ressemble pas du tout à X. Je pense néanmoins que les spectateurs trouveront que c’est un récit très riche, où une jeune fille qui a des rêves est prête à faire tout ce qu’il est nécessaire pour les accomplir.


    Du côté de Bobby-Lyne (Brittany Snow), l’angoisse commence à monter.

    Et qu’en est-il du dernier volet de la trilogie, MaXXXine ?

    Il parlera de Maxine, c’est tout ce que je peux vous dire. Écoutez, j’ai tenu Pearl secret pendant un an, puis j’ai tenu MaXXXine secret pendant six mois. Je vais donc continuer dans la discrétion. Car de nos jours, on a tendance à savoir tout sur tout et cela devient assez ennuyeux. Ainsi, cela m’a amusé de révéler l’existence de Pearl lors du générique de fin de X, et de la même manière, d’annoncer MaXXXine à la fin de Pearl. En effet, je crois que ce genre de surprises revivifie l’expérience d’aller au cinéma.

    Justement, après cette trilogie, vous allez rester dans le giron du cinéma ?

    J’étais parti à la télévision car je voulais faire une pause dans ma carrière. Chaque long-métrage que j’avais fait auparavant, je l’avais écrit, réalisé, monté et produit, et c’était pas mal de travail. De plus, jamais personne ne m’avait proposé un boulot. Mais après In a Valley of Violence, quelqu’un m’a proposé une série télé et cela m’a plu. Puis quelqu’un d’autre m’a aussi proposé une série, et avant d’avoir le temps d’y penser, j’avais tourné 17 épisodes en cinq ans.

    C’était cool d’être demandé, et en plus, je crois que cette expérience a fait de moi un meilleur réalisateur. Pour autant, je me suis dit que j’avais quitté le cinéma pendant un peu trop longtemps, et j’ai donc rédigé le scénario de X** **que j’ai seulement envoyé aux gens de A24. S’ils avaient dit non, je n’aurais probablement jamais fait le film, que j’avais écrit juste pour le fun. Mais ils ont sauté sur l’occasion et cela a été une super collaboration avec eux.

    Je pense donc que je vais rattraper le temps perdu en restant dans l’espace du cinéma pendant un moment. Vous verrez ainsi d’autres longs-métrages de moi, avant que je disparaisse à nouveau !

    Propos recueillis par Gilles Esposito.
    Merci à Jean-François Gaye.