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    L’auteur de Civil War nous explique ses techniques pour rendre la guerre aussi laide que dans la réalité et le spectateur un peu moins con que quand il est entré dans la salle.

    Tout d’abord, je dois vous dire que j’ai été très impressionné par votre film. En matière d’impact visuel et émotionnel, j’ai beaucoup pensé aux Fils de l’homme.

    Oh, c’est très gentil ! Figurez-vous que pendant le tournage, on se posait la question de savoir quel genre de long-métrage on était en train de faire, à quoi il allait ressembler. Et en fait, l’un des seuls films qui revenaient sur le tapis, c’était Les Fils de l’homme. Je suis donc ravi de cette comparaison.

    Comment avez-vous eu l’idée de réaliser Civil War, qu’est-ce qui vous y a poussé ? Un événement en particulier, la situation politique mondiale en général ?

    J’ai écrit Civil War environ quatre ou cinq mois après l’arrivée de la Covid. L’élection américaine allait alors avoir lieu en novembre de cette année-là. Ce qui m’a poussé à l’écrire n’était pas lié à un événement précis, mais plus à la condition dans laquelle le monde se retrouvait. Et je pense que la Covid a constitué pour moi une chance de me poser un peu et de réfléchir. Je l’ai attrapée dès le mois de mars quand elle a déferlé et je suis tombé très malade, ce qui fait que pendant environ huit semaines, je ne me suis préoccupé que de ma santé et pas du tout de ce qui se passait dehors. Une fois que j’en étais guéri, tout le monde était confiné, plus personne ne sortait ; c’était un peu comme si nous avions tous été mis à la retraite, c’était un environnement très étrange. Un tel cadre était donc propice à la réflexion. Je dirais deux choses. D’abord, je suis persuadé qu’il n’y a rien de prémonitoire dans le film. Toutes les idées qu’il véhicule viennent en fait d’une conversation globale qui se tenait durant cette période et que je voyais se refléter dans les bulletins d’informations ou dans des entretiens que j’ai pu avoir au téléphone avec des amis depuis environ six ans.

    Tout était lié à la polarisation de la politique et à la façon dont laquelle une certaine forme de communication avait été brisée. Qui plus est, bien que le film se passe en Amérique, tout ce qu’il dit est également vrai à propos de mon pays (Alex Garland est britannique - NDR) concernant cette polarisation. On croit toujours que ça ne pourra pas empirer, mais ça empire. Et ça s’applique de différentes manières à d’autres pays d’Europe et à travers le monde. On peut constater cette montée du populisme aussi bien en Amérique du Sud et en Asie qu’en Europe et aux États-Unis. Cela dit, il y a eu débat au moment où j’ai présenté le projet aux producteurs et aux financiers en juillet pour savoir si l’action devait se passer en Amérique ou en Grande-Bretagne. On a fini par le situer aux USA parce que c’est un pays unique dans le sens où le reste du monde ne cesse de l’observer. Quand il y a une élection présidentielle aux États-Unis, si vous arrêtez quelqu’un dans la rue en Europe ou en Asie pour lui demander qui sont les deux candidats, il y a de bonnes chances pour qu’il le sache. En revanche, si vous demandez qui est le Premier ministre britannique, personne ne le sait ! Donc, si vous voulez vraiment évoquer la polarisation et le danger des politiques populistes, les États-Unis sont le pays le plus indiqué car ça parle à tout le monde.


    – Le réalisateur Alex Garland se tient devant une épave d’hélicoptère, élément central d’une leçon donnée par Lee à Jessie.

    Dans le film, le Texas et la Californie sont alliés contre le reste des États-Unis, ce qui est assez surprenant compte tenu de leurs positions politiques très éloignées l’une de l’autre. Par ailleurs, on ne sait pas ce qui a déclenché cette guerre.

    Le film montre un président anticonstitutionnel qui est également quelqu’un de violent. Il attaque ses propres citoyens, ce qui donne une idée assez précise du bonhomme. Quant au Texas et à la Californie, ils pensent que leurs polarisations politiques respectives n’ont guère d’importance comparées aux actes d’un président à la tête d’une constitution fasciste et brutale qui écrase le peuple. Ils mettent leurs opinions de côté pour faire bloc. Mais dire que cette alliance serait impossible reviendrait à dire que les polarisations politiques sont plus puissantes que la corruption, la violence et le fascisme, ce qui serait une position difficilement compréhensible. Vous savez, j’ai tendance à ne pas énoncer de vérités dans mes films, à ne pas épeler les choses. Je veux établir une communication avec les spectateurs, qui se demandent : «Mais pourquoi les choses se passent-elles ainsi ? », ce qui peut les amener à discuter entre eux. Pour ce qui est de savoir ce qui a déclenché la guerre, je pourrais donner une raison quelconque, mais si je veux être vraiment honnête, je dois dire au public :

    Vous savez déjà pourquoi les États-Unis sont frappés par une guerre civile, vous n’avez pas besoin de moi pour vous l’expliquer. Vous connaissez l’histoire des USA et la situation dans laquelle le pays se trouve actuellement. Vous avez donc en main toutes les réponses à vos questions et celles-ci s’appliquent également à votre propre pays.

    À l’exception de quelques allumés, je n’ai jamais rencontré personne -en tout cas, en face à face, pas sur les réseaux sociaux -qui n’exprime pas une certaine forme de peur de la polarisation politique si le sujet est abordé.

    Vous avez déclaré en interview que selon vous, Civil War était en quelque sorte le prolongement de Men, votre film précédent. Pouvez-vous développer ?

    J’ai dit ça dans le sens où ce sont des films qui refusent de dire au public ce qu’il doit penser. Vous savez, j’ai 53 ans, je travaille depuis un moment dans le milieu du cinéma moderne, et j’ai la sensation qu’une grande partie du cinéma actuel est obsédée par la volonté de dire aux spectateurs : « Telle est ma position, et c’est celle que vous devez adopter. » Ou bien encore : « Ne vous inquiétez pas, vous trouverez dans mon film toutes les réponses aux questions que vous vous posez. » On en revient à ce qu’on disait tout à l’heure. Je pense qu’un film, ça ratisse large, chacun interprète les choses de façon différente. En voyant Anatomie d’une chute, j’ai ressenti un immense sentiment de soulagement, car j’ai l’impression d’avoir été traité en adulte. Il y a beaucoup d’aspects du film qui m’ont plu, dont les performances des acteurs avec notamment celle du petit garçon et de cette actrice bouleversante. Mais ce que j’ai le plus apprécié, c’est d’avoir été considéré comme un spectateur adulte. J’espère appartenir à cette race de cinéastes — en tout cas, c’est mon ambition.

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    – Opération camouflage pour des snipers de l’armée de l’Ouest au style… peu discret

    Quelle est la différencs entre travailler pour un studio comme A24 et d’autres structures de production, que ce soient celles des majors ou d’autres sociétés indépendantes ?

    La première des choses, c’est que c’est très relaxant. Avec le temps, j’ai appris que quand vous avez des idées un peu spéciales, il faut les imposer en contrebande. Par exemple, dans un film de zombies où les zombies se mettent à courir, si vous voyez à quoi je fais allusion (Alex Garland est le scénariste de 28 Jours plus tard - NDR). Il ne faut pas dévoiler votre jeu si vous avez envie de faire passer certaines choses. Sinon c’est mort.

    Avec A24, il n’y a pas besoin de travestir vos intentions : ils se foutent qu’elles soient commerciales ou non. C’est quelque chose d’incroyablement libérateur. Je crois également, et n’y voyez aucun cynisme, qu’ils sont très doués en matière de business. Ils ont compris qu’il existe un public pour des films qui n’ont pas à suivre un cahier des charges imposé par l’héritage des grands studios, des films qui n’essaient pas de prévoir ce que le public acceptera ou pas. Les structures indépendantes qui appartiennent aux grands studios n’échappent pas à la règle.

    Pour vous donner un exemple, Ex Machina devait être produit pour Focus Features, qui appartient à Universal : ils ont toutefois lâché le projet, après nous avoir expliqué très poliment que le film était très bien fait, mais qu’il était trop chiant. (rires) Ça avait le mérite d’être honnète. Enfin, ils n’ont pas dit que c’était chiant, mais que le rythme du film était trop « européen », ce qui revient au même. Alors qu’avec A24, leur attitude, c’est plutôt : «OK, on aime bien votre projet, allons-y. » Ils ne se posent pas la question de savoir si ça va plaire ou pas, si ça va marcher ou pas; ils y vont et advienne que pourra. Bizarrement, d’autres studios ont commencé à faire pareil, à « mettre l’argent sur la table », comme on dit à Hollywood. En faisant des films provocants et controversés, plus épicés que la moyenne, A24 a créé l’air de rien un nouveau business model qui semble fonctionner car il existe un public pour ça.

    À propos du choix des musiques dans Civil War, on entend de la country, du rap, des styles très représentatifs des US sous leurs formes les plus diverses, comme si vous aviez voulu brosser un portrait musical du pays. Qu’est-ce qui vous a guidé dans le choix des morceaux ?

    Oui, c’est exactement ça. C’est d’ailleurs assez typique de la façon dont un film fonctionne. Si j’avais choisi des morceaux trop contemporains, à Coup sûr, ça n’aurait pas marché parce que ça aurait daté ke film et ça aurait donné l’impression qu’il se passe en ce moment. Or, de toute évidence, ce n’est pas le cas, et ça aurait brisé le contrat signé avec le public, qui consiste à lui dire : « Imaginez que ça puisse arriver. » J’ai donc opté pour des morceaux assez anciens, comme du rap des années 90 ou de la country du début des années 70, qui sont des périodes cruciales dans l’histoire de la musique américaine. Et la question que je me suis sans cesse posée, c’est bien sûr : « Quelle est la véritable fonction de la musique dans le film ? » D’une part, oui, elle est très représentative des États-Unis. Mais de l’autre, que doit-elle provoquer ? Doit-elle être séduisante, triste, joyeuse, agressive, discordante ? Doit-elle déstabiliser de manière délibérée ? J’ai donc fait très attention à ça. Cependant, je n’aurais pas pu utiliser de la musique européenne, Ça aurait foutu en l’air la crédibilité de l’environnement du film.

    Les personnages principaux appartiennent à plusieurs générations de photographes de guerre. En vous renseignant sur ce métier, avez-vous constaté une évolution significative dans la manière dont les plus jeunes abordent le métier par rapport à leurs aînés ?

    On voit en effet trois générations de reporters de guerre dans le film, mais les choses s’inversent dans le sens où la plus jeune utilise un appareil photo argentique. Je pense qu’on vit une époque où les journalistes sont très mal vus, on a fait d’eux des méchants. C’est quelque chose qui me dérange profondément, en partie parce que j’ai grandi dans un milieu journalistique - mon père dessinait des cartoons dans un journal et tous ses amis étaient des journalistes —, mais aussi parce qu’une démocratie ne peut pas exister sans liberté de la presse. Donc, si on commence à faire d’eux de mauvaises personnes, on détruit tout un État, c’est un acte totalement fou et irresponsable. Le film fait écho de façon délibérée à une forme de journalisme à l’ancienne où le but était de témoigner de ce qui se passe sans y prendre part. Il y a d’ailleurs une phrase qui dit : « Nous n’intervenons pas, nous enregistrons pour que d’autres puissent se faire une opinion. Notre rôle ici n’est pas d’émettre un jugement, mais d’observer. C’est notre rôle dans l’équation. »

    Et je pense qu’il s’agit là d’une forme de journalisme qui se perd, dans le sens où nos médias se sont transformés en tribunes d’opinions politiques. Peu m’importe qu’ils soient de droite ou de gauche. On fait face à quelque chose de très problématique : les gens ont besoin de pouvoir faire confiance à quelqu’un ou quelque chose, et c’est extrêmement dangereux de se borner à renforcer leurs opinions. Prenons par exemple quelqu’un dont la sensibilité le porte à gauche : s’il n’absorbe que des informations émises par des médias de gauche, il n’est confronté à aucune opinion différente de la sienne, et le danger est là. C’est pour cette raison que j’ai voulu parler de journalistes plutôt typiques des années 60 ou 70 et d’une certaine idéologie du métier.

    Que ce soit sur Fox ou sur CNN, cette idéologie est aujourd’hui corrompue. On se retrouve avec deux chaînes qui s’en prennent l’une à l’autre, et avec des spectateurs qui font pareil avec ceux d’en face. Mais pour moi, les journalistes ont une responsabilité bien plus importante que de choisir l’un de ces deux camps.

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    – Lee foule le camp principal de l’armée de l’Ouest, établi à Charlottesville.

    Dans le film, la journaliste jouée par Kirsten Dunst craint que son message d’avertissement ne soit pas entendu. Est-ce une crainte que vous partagez concernant la réception de votre film ?

    Oui, absolument, et c’est pour ça qu’elle dit : « Je pensais que mon job était d’envoyer un avertissement chez nous, et que celui-ci était “ne faites pas ça”. Et voilà ou nous en sommes. » L’une des choses que je trouve les plus alarmantes, mais aussi les plus intéressantes, dans la période que nous traversons actuellement — et ce depuis plusieurs années -, c’est que nous savons ce qui se passe, nous en parlons, mais rien ne change et ça ne cesse d’empirer. Pourquoi tous ces avertissements que nous recevons ne sont-ils pas pris en compte ? Pourquoi est-ce que la société ne s’adapte pas pour changer les choses pour le mieux ? À quoi sert d’avertir les gens si ça ne les empêche pas de faire de mauvais choix ? C’est comme si nous étions victimes d’une sorte d’impuissance. Si je parle avec quelqu’un, peu importe ses opinions politiques — sauf si elles sont trop extrêmes -, on tombera forcément d’accord sur beaucoup de points et on se traitera avec respect et courtoisie. Mais d’une certaine manière, les représentants du peuple semblent ne pas fonctionner ainsi. Pourquoi ? C’est cet aspect qui m’intéresse le plus : comment communiquer sans s’aliéner son interlocuteur.

    Avez-vous imaginé un passé pour le personnage du soldat joué par Jesse Plemons, ou bien l’a-t-il construit lui-même ? La scène où il apparaît est sûrement la plus choquante du film.

    C’est intéressant que vous me disiez que c’est la scène qui vous a le plus choqué. Je comprends pourquoi, je saisis la perspective. Mais j’ai souvent entendu, de la part d’amis ou de collègues américains, que la séquence la plus choquante est celle de la terroriste qui se fait sauter avec sa bombe, à cause de la façon dont est utilisé le drapeau américain lors de cette attaque. Là-bas, le drapeau, ce n’est pas comme en Europe : les gens lui donnent une signification très forte, et donc ils ont trouvé la scène particulièrement transgressive.

    Spoiler

    Mais vous savez quoi ? La chose que j’ai entendue à propos du film et qui m’a le plus choqué et fasciné à la fois, c’est que le moment le plus révoltant serait celui où on voit le président se faire abattre. Montrer Ça serait donc plus transgressif que de montrer un charnier, ce qui est tout de même très étrange, comme réaction.

    Quant à Jesse, oui, il a créé une backstory pour son personnage. Le jeu d’acteur est un art qui peut revêtir plusieurs formes très différentes et Jesse fait partie de ces acteurs qui font beaucoup de recherches, Il s’est mis à lire sur le massacre de My Lai, qui a eu lieu pendant la guerre du Viêt Nam, et puis il a décidé de porter ces fameuses lunettes rouges. La veille du jour où on a tourné la scène, il s’est pointé avec plusieurs paires de lunettes qu’il avait achetées parce qu’il s’était dit que ce type devait en porter et il a choisi les rouges. Il était donc juste venu pour avoir une conversation à propos des lunettes qui conviendraient le mieux à son personnage. Si je vous raconte ça, c’est pour vous donner une idée de la façon dont il pense en tant qu’acteur et de son niveau de préparation. Mais j’en parle aussi parce que très souvent, on attribue aux réalisateurs la paternité des caractéristiques d’un personnage alors qu’ils n’ont rien à voir avec. Ce personnage, c’est Jesse qui lui a donné vie. Beaucoup de gens mentionnent ces lunettes un peu bizarres, mais elles sont entièrement son initiative.

    Qu’avait-il inventé comme passé à son personnage ?

    Il m’en a parlé, mais je pense que je ne dois pas répéter ce qu’il m’a dit parce que ça risquerait d’interférer avec la manière dont on veut que le personnage soit perçu par le public. C’est comme ce qui aurait déclenché la guerre civile : je préfère éviter de trop en dire, car ça pourrait briser la relation que j’essaie d’avoir avec le public et je veux continuer à aller dans ce sens. J’ai bien conscience que je peux échouer à ce petit jeu, qu’il y a des gens qui optent pour plus de clarté et moins de débats. Mais bon, c’est comme ça que je fonctionne et je crois qu’en ne révélant pas ce que m’a dit Jesse, je protège ma façon de faire du cinéma.

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    – Le rédacteur fougueux Joel (Wagner Moura) guide Jessie lors de son premier reportage en milieu hostile.

    Comment êtes-vous parvenu à éviter que les scènes de guerre possèdent un aspect trop esthétisant, héroïque ou « romantique » ? Parce qu’en général, c’est quelque chose que même les films anti-guerre n’arrivent pas à esquiver…

    En ignorant autant que possible la grammaire cinématographique pour me concentrer sur celle de la réalité, sur ce qu’on voit avec nos yeux, mais aussi sur la grammaire des photographies et des bulletins d’informations. Même dans la scène du charnier avec Jesse Plemons, il y a de petites choses subtiles qui font que… Bon, vous pourriez me dire que c’est du director bullshit, parce que ça existe, aucun doute là-dessus ; mais sur ce coup-là je ne pense pas. Je m’explique. Normalement, quand vous filmez vers midi ou une heure de l’après-midi, la lumière est très agressive et les ombres sont très marquées. Il existe une technique un peu secrète qui consiste à tendre un grand voile qui diffuse la lumière et l’adoucit sur le visage des acteurs, ce qui les rend d’une certaine manière plus agréables à regarder. Eh bien, nous n’avons pas utilisé ce procédé.

    Autre chose : quand quelqu’un se prend une balle, est-ce qu’on a un gros impact dans son corps avec du sang qui gicle ? Non, il s’effondre et c’est fini. Et même un spectateur qui n’a jamais vu quelqu’un se faire tuer dans la vraie vie ou aux informations sait au fond de lui que les gens ne meurent pas dans la réalité comme au cinéma. La lumière sur les visages, la façon de montrer la violence… Tout ça change le ton du film. Si vous repensez à la séquence où des soldats avancent dans un couloir à la fin du film, et si vous regardez la manière dont elle est construite, il n’y a aucune compression temporelle. Elle est réalisée comme dans un film normal, avec des gros plans, des plans américains, des plans d’ensemble, des coupes de montage. Là, pour le coup, c’est vraiment de la grammaire cinématographique, sauf que c’est en temps réel.

    Quand j’ai tourné cette scène, trois des soldats étaient des Navy Seals, ou des ex-Navy Seals. Ils ont travaillé avec un autre Seal qui est Ray Mendoza, mon conseiller technique militaire, et ma seule façon de les diriger a été de leur dire : « Faites ce que vous feriez dans l’exercice de votre métier si vous vous retrouviez dans une situation où vous devez progresser dans ce corridor jusqu’à cette pièce, y compris dans vos actions et vos dialogues. Ne pensez pas à la caméra, ne pensez pas aux autres acteurs. Je Suis là pour vous filmer comme si j’étais un reporter de guerre. Faites juste votre truc. »

    En les filmant, on se rend compte qu’il y a un truc très anti-cinématographique : ce sont les pauses et les silences qui ponctuent leur progression quand ils se mettent en position pour être prêts à avancer de nouveau. Par ailleurs, quand ils communiquent entre eux, ils ne chuchotent pas, ils hurlent par-dessus le bruit des détonations, mais uniquement pour transmettre des informations très précises. J’ai donc tourné ça comme s’ils étaient en conditions réelles, et plus tard, j’ai montré la scène à quelqu’un travaillant dans l’industrie du cinéma qui m’a dit : « Tu devrais couper ces pauses. » Et je ne voudrais accuser personne, mais si cette séquence fonctionne, c’est justement grâce à ces pauses. Le spectateur, lui, sait instinctivement que cette scène est plus proche de la réalité que ce qu’il voit au cinéma en général. Et puis ce sont de vrais soldats qu’on observe en action, pas des acteurs. S’ils sont si crédibles devant la caméra, c’est parce qu’ils sont surentraînés. Ce qu’ils font à l’écran, ils l’ont fait de nombreuses fois dans la vraie vie, alors pas question pour le film de déconner avec Ça, ni d’enlever ces pauses parce que l’action n’avance pas assez vite ou de baisser le volume des coups de feu pour qu’on entende mieux une réplique.

    Ce que vous voyez, c’est ce que je voyais se dérouler devant moi et le bruit des armes est tel qu’il a été enregistré ce jour-là. Je suis persuadé que ça produit un effet sur le public, qu’il comprend qu’on n’est pas dans un James Bond. C’est plus sombre, plus effrayant. Je pense que voir quelqu’un qui s’écroule d’un coup après avoir été touché par une balle, comme s’il s’éteignait, c’est plus traumatisant que de le voir bondir en j’air sous l’impact en écartant les bras avec du sang partout.

    Je tenais à ce que Civil War soit le plus proche possible de la réalité et que la grammaire du cinéma y soit presque invisible.

    – Propos recueillis et traduits par Cédric Delelée.
    – Merci à Miah Kaplan, Hailey Pryor et Jean-François Gaye.
    – Mad Movies #381

    –> Interview fleuve plus qu’intéressante montrant l’intelligence de Garland, et bien qu’il soit Britannique, à une vision que je trouve extrêmement juste sur la politique US ainsi que du journalisme et des médias.

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    Ça me tente bien, on va l’attendre sagement