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    Enfin pris le temps de voir cet excellent Sleep pendant les vacances…

    Au top… putain cet acteur était vraiment génial… RIP

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    Tombé dans la cinéphilie pendant son service militaire, Jason Yu se forme au métier à l’université et sur les plateaux de tournage. Entre la réalisation de ses deux courts-métrages, Video Message (2014) et The Favor (2018), il enfile la casquette d’assistant-réalisateur sur Okja de Bong Joon Ho. Son premier long joue des mêmes ruptures de ton que ses aînés, au service de son regard tout personnel sur le couple.

    Le public français a une image très sombre du cinéma de genre coréen, au travers des films qui nous parviennent aujourd’hui encore en salles ou en VOD. Est-ce représentatif de la production contemporaine ?

    Comme dans tous les pays, il y a en Corée une variété de styles, de tons. Cela dit, un certain nombre de films ont cette noirceur, cette violence, et ce sont ceux qui attirent le plus l’attention, pour leur caractère stimulant. Mais ça ne date pas d’hier : il y a une longue tradition de films de ce type en Corée, je ne saurais trop vous expliquer pourquoi. J’ai grandi en les regardant, je les apprécie, et c’est le cas de nombreux spectateurs coréens. Il y a deux-trois ans, ces films noirs marchaient très bien. Mais la majorité du public cherche désormais d’autres tonalités, plus heureuses, plus positives. L’an dernier, les plus gros succès étaient des comédies ou des films romantiques ; le changement était notable.

    Il y a un certain décalage comique dans plusieurs scènes de Sleep

    Dès que j’ai commencé à faire des films, mon but a toujours été de faire une comédie romantique, car c’est mon genre préféré. Quand l’idée de Sleep m’est venue, le sujet a dicté cette orientation vers l’horreur, sans que j’en sois particulièrement féru. J’ai dû faire une séance intensive de rattrapage pendant la préparation, j’ai regardé beaucoup de thrillers pour comprendre le genre, l’étudier afin de me l’approprier, Mais même avec ce parti pris, mon goût pour la comédie romantique était encore bien présent. Même lorsque je montrais quelque chose d’effrayant, de stressant, il y avait toujours cette chaleur, c’est une sensation que j’essaie d’insuffler dans tout ce que je fais, que ce soient mes courts métrages ou mes scénarios.

    Les touches humoristiques jaillissent de façon impromptue, au beau milieu de situations dramatiques, comme dans les films de Bong Joon Ho, de Park Chan-wook ou même de Na Hong-jin. Diriez-vous qu’il s’agit d’un trait caractéristique du cinéma coréen ?

    Oui, je pense que c’est très coréen. Notre génération de réalisateurs a grandi devant les films des metteurs en scène que vous avez cités, et cet aspect fait partie de ce que nous avons assimilé. Ceci étant dit, dans le cas de Sleep, je n’ai jamais cherché à faire de la comédie. Je n’en étais pas à me dire que telle scène devait être drôle, à penser telle réplique comme une punchline devant faire rire le public. J’ai toujours envisagé mes films comme des drames, mais chaque fois qu’ils sont programmés en festivals, ils sont rangés dans la catégorie « comédies », ce qui me fait m’interroger.

    Je pense que c’est à cause de mon goût pour les situations absurdes. Rien que le fait d’avoir des personnages qui réagissent sérieusement dans de telles conditions, ça crée une ambiance susceptible de déclencher des rires, sincères ou nerveux. C’est de là que ça vient, sans doute. La comédie est un genre pour lequel j’ai le plus grand respect, car faire rire est une tâche noble, à laquelle j’aimerais beaucoup m’atteler un jour. Mais Sleep appartient à un genre différent.

    Toute l’énergie du film repose sur les comédiens, ils livrent de fait une performance sidérante, sans outrance non plus.

    Merci beaucoup, vous n’imaginez pas à quel point je suis content d’entendre ça. Étant donné la configuration du film, tourné dans un décor unique avec peu de personnages, sans les interprètes appropriés, ça n’aurait pas pu marcher. C’est pour ça qu’on s’est concentrés sur leur performance plutôt que sur l’arrière-plan, ou sur l’élaboration de plans astucieux, techniquement compliqués.

    Aviez-vous prévu de rester dans l’appartement dès le départ ?

    Non, mais en écrivant le scénario, je me suis aperçu que non seulement toute l’histoire pouvait se dérouler dans cet espace, mais que ça correspondait mieux à ce que j’essayais de raconter. Et plus l’intrigue avançait, plus ça devenait un défi intéressant à relever. Il y a cette idée que les contraintes aident à trouver de l’inspiration, ce fut le cas ici, et ça m’a incité à chercher des détours pour que l’histoire reste pertinente, ça m’a poussé à être plus créatif. Je n’avais pas encore la production en tête à ce stade, mais plus tard, j’ai réalisé que c’était un argument en faveur du projet. Quand il a fallu démarcher des producteurs, des financiers, l’industrie cinématographique coréenne traversait alors l’un de ses pires moments, aucun film ne se montait. Même les films qui avaient été validés voyaient leurs fonds disparaître. Lorsque l’annonce du tournage de Sleep a été publiée, ça a fait du bruit, mais c’était un projet assez peu risqué, en décor unique, avec deux acteurs, doté d’un budget peu élevé.

    Comment le cinéma coréen s’est-il retrouvé dans cette situation ?

    C’était surtout à cause de la crise sanitaire, de la Covid-19. Les cinémas ont particulièrement souffert, comme partout dans le monde. Il y a eu un repli vers les plateformes de streaming. L’industrie a beaucoup souffert, et elle souffre encore.

    Aviez-vous ces acteurs en tête dès le début ?

    Jung Yu-mi et Lee Sun-kyun sont des légendes en Corée. Même dans mes rêves les plus fous, je n’imaginais pas un casting pareil. Lorsque j’ai rencontré pour la première fois le producteur du film, il m’a demandé mon casting idéal, pour qu’on s’en approche le plus possible. Les noms de Jung Yu-mi et Lee Sun-kyun me sont venus tout de suite, parce que ce sont d’immenses comédiens, qui ont développé une incroyable alchimie dans leurs collaborations précédentes, notamment dans les films de Hong Sang-soo. Pour tout ce qui concerne la description de la vie de couple à l’écran, il est beaucoup plus facile de filmer une scène de confrontation, de dispute filmée de façon opératique.

    Le plus dur, c’est de trouver l’alchimie, ce qui rend une relation particulière. Il faut sentir le sentiment amoureux, et ça ne peut pas se compenser par la mise en scène. Or je savais que Jung Yu-mi et Lee Sun-kyun pouvaient exprimer ce sentiment. Le producteur m’a dit que même les plus grands acteurs peuvent accorder de l’intérêt à des scripts tant que ceux-ci leur plaisent, et donc que ça valait le coup d’essayer. Par chance, le scénario leur a plu; on s’est rencontrés, on a échangé, tout s’est passé de façon assez naturelle. Il n’y a pas eu besoin de chercher de plans B ou C.

    Les différentes bascules de l’intrigue font qu’ils sont en quelque sorte le principal effet spécial du film…

    J’étais inquiet à l’idée que l’un des deux ne puisse finalement pas tenir le rôle. Il fallait en effet des interprètes capables d’incarner ces changements. Je redoutais en particulier que Lee Sun-kyun ne soit pas convaincu, étant donné que son personnage reste passif pendant une grande partie de l’intrigue. Heureusement, ça n’a pas été le cas. Il pensait que tout le film menait vers ce dernier acte où il allait devoir livrer une grande performance. Et je trouve que c’est vraiment le cas.

    C’est toujours compliqué de voir l’ultime film d’un interprète sans être troublé par des échos à sa disparition. Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas dans Sleep.

    Je ne crois pas non plus. Ce qui est arrivé à Lee Sun-kyun est vraiment tragique. Je ne m’imagine pas revoir Sleep ou un autre de ses films d’ici un moment. Le sentiment de tristesse est trop fort. Quand on tournait… Je ne sais pas. Je n’ai rien remarqué. Il était très professionnel, content d’être là.

    Sleep est un hommage à l’acteur phénoménal qu’il était.

    Absolument. C’était l’un des plus grands acteurs coréens, pour ne pas dire mondiaux. Je lui suis très reconnaissant, je lui dois ma carrière. Sans lui, Sleep n’aurait pas pu se monter. Même si le temps que nous avons passé ensemble a été relativement bref, il se comportait toujours comme une espèce de grand frère, et c’est quelque chose qui revient souvent dans la bouche de ses proches et de ceux qui ont collaboré avec lui. Bien qu’il avait vingt fois plus d’expérience que moi sur un plateau, il avait néanmoins beaucoup de respect pour le projet. Il essayait sans cesse de m’inciter à me dépasser, et à le pousser à aller au-delà de ses limites.

    Quand il voyait que quelque chose n’allait pas ou que je ne me donnais pas à fond, il me le faisait remarquer. Il m’a fait devenir un meilleur réalisateur, même si j’ai encore de la marge pour m’améliorer. Je lui dois beaucoup. L’an dernier à Cannes, il faisait la promotion de deux films, Sleep et Project Silence, et il avait très peu de temps libre entre deux interviews. Pendant cinq minutes de pause sur une plage, je l’ai remercié pour son implication dans le film, et il m’a dit en retour que l’expérience lui avait vraiment plu. Je lui ai fait promettre d’au moins apparaître dans mon prochain film et il m’a répondu : « Oui, bien sûr ! Dans tous tes prochains films. » Je lui ai demandé s’il aimait les comédies romantiques, ce à quoi il a rétorqué : « Oui, je suis super dedans ! » C’est mon souvenir préféré avant que le drame n’arrive. C’est vraiment triste de se dire qu’il n’est plus là, que nous ne verrons plus de film avec lui.

    Comment le film a-t-il été reçu en Corée ?

    J’ai redouté la projection cannoise, ainsi que toutes celles qui ont suivi en festivals justement parce que le film n’était pas sorti en Corée, d’autant qu’il s’agit de mon premier long-métrage. Mais le film a été très bien reçu dans chaque festival, ce qui m’a donné confiance pour la sortie coréenne… Il s’agit en effet d’un autre processus à part entière, qui s’est révélé encore plus stressant. Il fallait suivre les chiffres, tenir le compte jusqu’au moment où le film se remboursait, et ce tous les jours. J’étais de plus en plus nerveux. Finalement, il a fait plus que ce que j’imaginais. En 2023, beaucoup de films n’ont pas réussi à amortir leur investissement, et Sleep est parvenu à dépasser ce seuil. Je me sens chanceux, heureux que le film ait rencontré son public.

    Allez-vous basculer vers la comédie romantique pour votre prochain film ?

    (sourire) Je ne suis pas encore sûr. J’ai beaucoup de projets en tête. J’aimerais être capable d’écrire et réaliser une comédie romantique, mais ça me semble difficile pour le moment. Il faut que je trouve le bon angle d’entrée. Sinon, j’ai une idée pour un film d’horreur mystérieux dans la lignée de Sleep, mais d’une autre envergure.

    Le moment est-il plus propice pour un projet plus ambitieux ?

    Les producteurs sont plus confiants pour me confier un plus gros budget. Ce ne sera pas non plus un blockbuster, ce n’est pas quelque chose qui me motive. Il faut que l’histoire m’intéresse, l’ambition du projet découle de ça.

    – Propos recueillis et traduits par François Cau.
    *– Merci à Carole Chomand.
    – Mad Movies #379