• 1 Votes
    1 Messages
    22 Vues

    Malgré sa fidélité au récit de Tolkien, Le Seigneur des Anneaux : la guerre des Rohirrim ne manquera pas de soulever des débats. iInous semblait par conséquent opportun de recueillir le point de vue de ses principaux instigateurs : Philippa Boyens, scénariste oscarisée du Seigneur des Anneaux ; le producteur Joseph Chou, formé sur Neon Genesis Evangelion ; et le réalisateur Kenji Kamiyama, connu pour Jin-Roh, la brigade des loups et Ghost in the Shell: Stand Alone Complex.

    LA GENÈSE

    Philippa Boyens : Cela faisait un moment que Peter, Fran et moi, on évoquait la perspective de retourner en Terre du Milieu. Un jour, Warner nous a suggéré de réfléchir à un spin-off animé. On a étudié plusieurs possibilités, que ce soit au niveau de l’intrigue ou du style visuel, mais rien ne trouvait vraiment grâce à nos yeux. Et soudain, on s’est dit : « Pourquoi ne pas raconter l’histoire de Helm ? » Ce concept côchait toutes les cases sur le plan narratif, puisqu’il y avait un début, un milieu et une fin - ce n’était pas une nouvelle trilogie. On pouvait aussi introduire de nouveaux personnages et limiter le fan service au strict minimum. Enfin, il n’y avait pas de Seigneur des Ténèbres ou d’Anneau de Pouvoir. Vu la culture guerrière des Rohirrim, on s’est dit que l’anime serait un format idéal. Bien qu’on ait mis l’accent sur le personnage de la fille de Helm, laissé dans l’ombre par Tolkien, on est restés extrêmement fidèles aux appendices du Retour du Roi. On a ajouté des choses au lieu d’en enlever, et on a modifié la mort d’un protagoniste, mais je pense qu’on nous pardonnera. Les fans comprendront nos motivations.

    LOST IN TRANSLATION

    Joseph Chou : La communication et la coordination entre la Nouvelle-Zélande et le Japon étaient bien sûr des défis quotidiens. Je travaille souvent sur des coproductions internationales comme celle-ci, et j’ai appris à ne pas me contenter d’une traduction directe, juste au premier degré. Il est très important de comprendre les subtilités du médium et du langage cinématographique pour pouvoir distribuer les informations correctement d’un côté ou de l’autre. C’est notre troisième expérience avec des partenaires anglophones ; la précédente était la série Blade Runner: Black Lotus.

    Kenji Kamiyama : Je regarde tellement de films américains que je pense comprendre parfaitement leur ambiance et leur style. Ce qui m’inquiétait plutôt, c’était leur contexte culturel et leur approche psychologique, qui se cachent souvent derrière un dialogue a priori anodin. Parfois, l’équipe néo-zélandaise me disait qu’un mot allait suffire à transmettre l’émotion recherchée, mais ce mot n’avait pas la même signification dans la culture japonaise. C’était un peu un saut de la foi ; j’ai dû faire confiance tout en essayant d’imprimer ma sensibilité au film. Au fil du temps, j’ai fini par maîtriser beaucoup mieux les subtilités de la langue, et le processus s’est fluidifié peu à peu.

    P.B. : On tenait à ne pas ensevelir le récit sous des montagnes d’exposition, donc il a fallu apprendre à travailler avec Kenji et son équipe. Parfois, je ne comprenais pas du tout ce qu’il était en train de faire, et tout s’éclairait quand il m’envoyait la scène complète. Tout prenait sens, et l’émotion s’imposait d’elle-même. Nous autres anglophones avons tendance à être très arrogants. Sur La Guerre des Rohirrim, on a dû apprendre à écouter, ce qui n’est pas une mauvaise chose.

    IMMERSION DANS LA TERRE DU MILIEU

    K.K. : Je tenais à ce que la mise en scène soit très cinématographique. C’est pour cela qu’on a travaillé aussi étroitement avec les designers de Weta pour les costumes, les décors, les personnages et les accessoires. Il fallait être le plus fidèle possible au monde que Peter Jackson avait établi dans sa trilogie, en particulier dans Les Deux Tours. La Guerre des Rohirrim devait être une extension de cet univers. De nombreuses questions découlent de cette démarche, notamment celle de l’échelle.

    En préproduction, on a donc créé des modèles 3D de chaque décor pour bien comprendre leur architecture. Pour préparer chaque plateau virtuel, on a réalisé des tests de caméra sur le moteur Unreal, pour choisir les bons angles de prises de vues et chorégraphier le blocage. Grâce à Ça, on a aussi pu choisir des focales en fonction des événements. Il fallait tout prévoir dés cette étape, y compris l’éclairage et la profondeur de champ. Si l’échelle des personnages et des décors ne fonctionne pas, le spectateur ne peut pas croire à ce qu’il voit.

    LA FLUIDITÉ DE L’ANIMATION

    K.K. : Avec le moteur Unreal, on peut changer à loisir le frame rate. Si on veut, on peut créer des mouvements à 60 images par seconde, mais sur La Guerre des Rohirrim, je tenais à ce que tout soit calé sur l’animation 2D. Je ne voulais pas dépasser les 24 FPS. Après avoir construit les décors et les éléments digitaux, on les a retravaillés pour qu’ils s’intègrent avec fluidité à un look animé traditionnel hérité du celluloïd.

    J.C. : La production de ce film est assez - singulière, car la réalisation des principales séquences a été répartie entre différents studios, et chaque studio a été casté en fonction des enjeux des 3 scènes en question. Ce n’était pas un choix aveugle.

    K.K. : J’ai prévisualisé la plupart des séquences en images de synthèse sur Unreal, mais une fois traduites en animation à la main, l’impact visuel et la dynamique n’étaient plus les mêmes, en particulier quand il s’agissait de scènes d’action. La japanimation 2D est idéale pour étendre la temporalité, styliser les mouvements ou renforcer certaines poses. Cette action stylisée fait partie intégrante de notre art et de notre culture, mais je ne voulais paradoxalement pas aller dans cette direction.

    Au contraire, je voulais m’inscrire dans un registre visuel plus proche des prises de vues réelles, en faisant en sorte que les mouvements puissent être accomplis dans un cadre bien défini par des acteurs en chair et en os. La simulation de la physique m’importait beaucoup, tout comme le réalisme des déplacements et des chutes. La Guerre des Rohirrim n’est donc pas réellement un anime, Il ne répond pas forcément aux attentes du public, ce qui rend notre travail beaucoup plus complexe.

    LE MORCEAU DE BRAVOURE CENTRAL

    JC. : La plus grande bataille intervient dans l’acte 2. C’était intentionnel de notre part. Il faut savoir qu’au Japon, culturellement, on n’utilise pas de structure en trois actes. On axe plutôt la narration autour de quatre grandes séquences, qu’on nomme A, B, C et D. Ici, B constitue la scène d’action la plus ambitieuse, et c’est celle-ci qui nous a demandé le plus de travail. On l’a affinée jusqu’à la dernière seconde de la postproduction. Ça ne signifie pas que le climax manque de spectacle, juste que l’ambiance est beaucoup plus intime.

    On ne voulait surtout pas guider le public vers une scène d’action gigantesque qui clôturerait l’intrigue, un peu comme un gros gâteau. La bataille centrale façonne les personnages et conditionne leur trajectoire dramatique ; or, un film doit être basé sur ses personnages et sur leur arc. Dans un bon film, chaque protagoniste a ce qu’il mérite à la fin, à mon avis. En tout cas, chacun suit son propre parcours, qu’il soit long ou court. Si un morceau de bravoure permet de faire avancer, voire de marquer le début de ce parcours, il devient cohérent avec l’ensemble du projet. C’était déjà comme ça que Peter Jackson, Fran Walsh et Philippa Boyens avaient conçu la trilogie du Seigneur des Anneaux.

    Donc oui, en effet, La Guerre des Rohirrim devient en cours de route une histoire très intime entre un père et sa fille. C’est un élément parmi beaucoup d’autres, mais le thème de la filiation et de l’héritage est vraiment essentiel. P.B. : La seconde partie du film est très claquemurée, et cela devient presque une histoire de fantômes, un genre qui se prête parfaitement à la japanimation. C’est d’ailleurs ainsi que Tolkien a écrit l’histoire dans ses appendices.

    DANS LES PAS DE HOWARD SHORE

    K.K. : Stephen Gallagher était monteur musical sur la trilogie du Hobbit, The Beatles: Get Back et Avatar : la voie de l’eau. Il a été formé par Howard Shore en personne. Sa bande originale pour La Guerre des Rohirrim inclut bien sûr des thèmes des Deux Tours, mais Stephen a également composé des motifs inédits qui m’ont beaucoup ému. Évidemment, le début de la collaboration s’est avéré un peu difficile en raison de la barrière de la langue.

    Dans les premières versions du score, on sentait que la musique amenait des événements et dictait au spectateur comment il devait se sentir. Je voulais au contraire éviter ce sentiment de manipulation, et pour cela, le timing de la composition a fait l’objet d’un soin méticuleux. C’est tout à fait lié à la question du dialogue et de la signification profonde de chaque mot, du point de vue de l’anglais ou du japonais.

    J’ai travaillé très étroitement avec Stephen, et il a fini par trouver l’équilibre idéal. Il faut savoir qu’au Japon, les réalisateurs sont souvent très frustrés par le son et la musique car cette étape essentielle de la production n’est pas suffisamment anticipée par les studios. On est facilement amenés à bâcler les choses. Pouvoir développer une bande originale ambitieuse avec La Guerre des Rohirrim, c’était une chance incroyable.

    – Propos recueillis et traduits de l’anglais par Alexandre Poncet et du japonais par Joseph Chou.
    – Merci à Yasmine El Omari, Adrien Pierrot et Cécilia Kilejan.
    – Mad Movies #388

  • 0 Votes
    1 Messages
    32 Vues

    L’idée de réaliser un spin-off du Seigneur des Anneaux au format anime n’était en principe pas plus stupide que de broder un long feuilleton live très vaguement inspiré des romans originaux. La présence à la production de Peter Jackson, Fran Walsh et surtout de la brillante Philippa Boyens garantissait un vrai respect vis-à-vis de l’œuvre de J.RR. Tolkien, respect qui se confirme tout au long du Seigneur des Anneaux : la guerre des Rohirrim, mais qui aurait gagné à se délester d’un fan service un peu trop voyant.

    Pour apprécier la présente intrigue, il n’était par exemple pas nécessaire de faire réapparaître Saroumane (au passage, la voix de Christopher Lee a-t-elle été obtenue au moyen de l’I.A. ?) ou de connecter artificiellement le récit à la quête de l’Anneau à quelques secondes du générique de fin. Reproduire les moments-clés des Deux Tours était également à double tranchant, notamment une charge de cavalerie emblématique à flanc de colline, derrière laquelle une lune imposante se substitue désormais aux premières lueurs du jour. Dans leur réexploitation d’un univers déjà connu, Boyens et le réalisateur japonais Kenji Kamiyama parviennent parfois à trouver un point de vue inattendu, en particulier lorsqu’un Mümak isolé surgit à la manière du sanglier maudit de Princesse Mononoké, pour finalement se faire avaler tout cru par un Guetteur des Eaux délicieusement lovecraftien.

    Ces composantes à mi-chemin entre la dark fantasy et le conte de fées se retrouvent dans la seconde moitié du film et inspirent aux a teurs quelques tableaux fantastiques évocateurs, d’un spectre attaquant des soldats lors d’une tempête de neige à une mariée funèbre surgissant glaive au poing sur le champ de bataille. On appréciera aussi une scène de sacrifice poignante à mi-parcours, provoquée par l’épuisement d’un cheval âgé (sans doute la meilleure séquence du film), ainsi qu’une atmosphère dans l’ensemble assez intime, servant idéalement des intrigues de cour dans la droite tradition shakespearienne.

    Dommage, au vu de ces belles réussites, que la narration et ses thématiques manquent à ce point de piment et d’audace : omettant de poser leur enjeu principal dés le prologue (le flashback montrant l’héroïne et son futur ennemi enfants aurait dû être placé en ouverture), les deux duos de scénaristes ne parviennent jamais à faire sortir le projet d’un chemin tout tracé. Plus dommage encore, la facture hybride de La Guerre des Rohirrim joue en permanence contre lui : dans sa façon d’intégrer des personnages dessinés à la main aux mouvements parfois douteux sur des arrière-plans tridimensionnels au rendu beaucoup trop détaillé, Kamiyama perturbe constamment la suspension d’incrédulité du spectateur, et finit par donner l’impression de visionner l’animatique d’un film qui aurait plutôt mérité, en l’état et malgré tout l’amour que l’on peut vouer à la japanimation, d’être tourné en prises de vues réelles… !

    – Par Alexandre Poncet
    – Mad Movies #388

    –> Malgré cette critique, il faut absolument que je voie ce film sur grand écran, qui je pense, va me ravir pleinement.