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    Remarqué avec le film d’horreur lovecraftien The Hole in the Ground, acheté en 2018 par A24, l’Irlandais Lee Cronin est contacté par Sam Raimi alors qu’il présente son ouvrage à Sundance. Le croyant un temps trop doux pour prendre le relai de Fede Alvarez, Robert Tapert accepte finalement de suivre l’instinct de son associé et confie à Cronin les rênes du cinquième long-métrage de la saga Evil Dead…

    Evil Dead Rise comporte le plus beau main title design qu’ont ait vu depuis bien longtemps. Tout est parfait, avec ce logo et ce titre, et on parle bien trop rarement de cet art. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Annie Atkins ?

    Je suis content que vous m’en parliez. Quand on fait un film, tous les détails comptent, de la première image à la fin du générique de clôture. Tout contribue à l’expérience. J’essaie d’être assez précis quand j’écris un scénario, donc l’émergence du titre hors de l’eau était déjà décrite ainsi dès la première version. Ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé en postproduction. Dans le script, on peut lire que des lettres rouges gigantesques s’élèvent dans le ciel et donnent une idée de ce que le film sera. On a longtemps eu une version temporaire de ce titre au montage.

    Annie Atkins vit tout comme moi à Dublin et j’avais déjà travaillé avec elle sur mon film The Hole in the Ground. Je me suis dit qu’elle serait parfaite pour ce job. On en a beaucoup parlé au préalable, puis on a bloqué un style et un look. Le timing était très important, de même que l’espacement des lettres. En plus, il fallait que le titre interagisse avec l’environnement : on voit en effet le reflet des lettres dans la surface du lac et elles bloquent le soleil, ce qui change légèrement la couleur du plan. Annie a un œil génial ; elle a écouté mes idées et m’a guidé dans le choix des polices qui serviraient le mieux cette introduction.

    La composition est entièrement basée sur le concept du titre, on n’a pas cadré au hasard et décidé d’ajouter les lettres aléatoirement. Je voulais que la fin du prologue soit audacieuse, opératique et culottée à plusieurs niveaux. Il fallait taper métaphoriquement du poing sur la table et dire au public : « Vous allez vivre une sacrée expérience en regardant ce film. ». C’est d’ailleurs l’objectif de l’introduction dans son ensemble : elle est là comme une sorte de teaser et donne un avant-goût du parcours de montagnes russes qui va suivre. L’idée est de clouer le spectateur sur son siège avant de vraiment débuter l’intrigue.

    Vous répétez rarement deux fois le même plan dans Evil Dead Rise. Certes, l’histoire est globalement contenue dans un immeuble, un couloir et un appartement, mais vous nous guidez à travers le récit en renouvelant constamment votre approche visuelle.

    C’est ce que j’appelle le « rafraîchissement visuel ». Ça sonne un peu comme un cliché, mais chaque plan raconte un nouveau bout d’histoire et ajoute un peu de dynamisme au récit. J’ai compris très tôt que ce film allait avoir besoin d’énergie. C’était primordial pour créer une « poussée » proche du rollercoaster. Quand on analyse une idée, on essaie de l’appréhender en un tableau gigantesque, composé de plein de petites vignettes. C’est comme un montage photographique. On se demande où on va mettre la caméra à tel ou tel moment, et plus on avance dans la préparation, plus on peut préciser les détails. Donc, ce rafraîchissement était important.

    Je sais qu’il y a des réalités pragmatiques dans la création d’un film et on est tous amenés à faire du coverage (captation d’une même scène via de multiples angles afin de s’assurer d’avoir tout le matériel requis au montage – NDR). Mais quand j’arrive sur un plateau, au milieu de mon équipe d’artistes et de techniciens, je me dis aussitôt que le coverage est la mort du cinéma. C’est une facilité, une sécurité. Autant que possible, j’essaie d’éviter d’y avoir recours.

    Mon directeur de la photographie Dave Garbett en a déjà parlé en interview et il est d’accord avec moi. Notre collaboration est basée sur ce principe : chaque image est l’occasion d’apporter un élément nouveau. Voilà d’ailleurs pourquoi nous avons beaucoup employé l’objectif à foyer partagé sur Evil Dead Rise. Pour certains plans, nous avions besoin de profiter d’un gros plan et d’une réaction dans le même cadre.

    Couper au montage aurait diminué l’énergie. Je voulais condenser le maximum de détails à l’écran, car cela donne lieu à une expérience plus immersive. Le spectateur a vraiment l’impression de faire partie de ce monde. Si, dans la vie réelle, on se retrouvait dans cette histoire, à vivre ce que vivent les personnages, ça ressemblerait à une sorte de rêve fou et fiévreux. On aurait l’impression d’être drogué. En juxtaposant toutes ces couleurs, toute cette énergie, tous ces sons et toutes ces images, on pouvait s’approcher de cette sensation de cauchemar éveillé.

    Vos décors sont incroyablement chargés. Même avant l’intervention de l’élément fantastique, cela donne à l’image une atmosphère claustrophobique. La lumière est faible et l’appartement est rempli de meubles, d’accessoires et de bibelots, ce qui contraste avec le vide de l’immeuble, qui va bientôt être démoli.

    On a parlé de tout ça en préproduction. Faire un film Evil Dead, c’est aspirer à créer le meilleur spectacle horrifique possible. Mais avant de se lancer dans le parcours de train fantôme, il faut trouver des motivations dans le script et comprendre pourquoi on prendra telle ou telle décision.

    Dans les précédents Evil Dead, personne ne vivait dans le chalet et cela donnait à l’histoire un aspect exotique et relativement crédible. Mais dans Evil Dead Rise, on parle d’une famille contemporaine qui vit dans le même endroit depuis dix, voire quinze ans. Il y a donc des couches de vie qui se sont superposées au fil du temps.

    Il y a même des détails dans le décor sur lesquels on n’a jamais vraiment eu l’occasion d’insister à l’écran. Vers le début du film, quand Ellie et Beth ont une conversation sans les enfants, Beth est sur le sofa et Ellie est debout dans l’encadrement de la porte. En regardant attentivement, vous verrez la taille des enfants, avec les années correspondantes.

    La relation entre les deux sœurs peut être lue de différentes façons. Ellie accuse sans cesse Beth de n’être qu’une groupie, car elle travaille dans le monde du spectacle et dans le milieu du rock. Ce qui la met systématiquement en rage. Est-ce une manière pour vous d’anticiper d’inévitables accusations de fanboyisme alors que vous vous retrouvez à la tête d’un projet aussi culte qu’Evil Dead ?

    J’adore cette interprétation ! Honnêtement, je n’y avais pas pensé en ces termes. C’était surtout pour moi un élément dramatique : Ellie est fière de sa sœur, mais elle est également jalouse de sa liberté. C’est pour ça qu’elle essaie tout le temps de la diminuer, même inconsciemment.

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    – Lily Sullivan, l’interprète de l’héroïne Beth qui va devoir protéger ses neveux contre leur mère possédée.

    Vous avez tourné en anamorphique, ce qui est plutôt intéressant car l’immeuble est vertical, et compte tenu du format, vos plans d’établissement deviennent forcément baroques. Vous exploitez toutefois la verticalité du cadre avec la scène du couloir, et vous resserrez le ratio lorsqu’on voit tout le massacre à travers le judas.

    Dans mon précédent film, j’avais tourné une scène entière en plan fixe et toute la violence intervenait hors champ. Ça peut sembler facile, mais ça confère à ce moment une certaine puissance. The Hole in the Ground disposait d’un budget bien plus faible, donc je ne pouvais pas aller très loin dans mes ambitions, mais cette idée de mise en scène me plaisait vraiment.

    Avec Evil Dead Rise, j’ai essayé de trouver une occasion de jouer sur ce point de vue restreint, un peu comme une signature. Quand on ne voit pas tout, les autres sens s’éveillent. Dans Evil Dead Rise, c’est un peu différent : il y a des moments qu’on cache au spectateur, mais aussi des passages viscéraux, comme celui où l’enfant est projeté contre le mur avec un bras en moins.

    Le but, c’est que le spectateur se dise que l’action dépasse largement ce qu’il voit dans les limites du cadre. Le judas devient presque un personnage lui-même au fil de l’intrigue. Je n’avais pas de cave, donc il me fallait une ouverture vers un espace parallèle à celui de l’appartement. Ce qui transformait ce dernier en une sorte de sanctuaire et s’inscrivait parfaitement dans l’esprit de la saga Evil Dead.

    L’emploi de l’anamorphique est aussi dû à des limitations. Je ne pouvais pas m’amuser avec une forêt entière, mais je voulais tout de même créer un vrai film de cinéma, avec une certaine ampleur. C’est marrant : parfois mes neveux me demandent de prendre des photos avec mon smartphone, et je le tiens instinctivement en position horizontale. Ça les rend dingues, car ils veulent tout en vertical pour pouvoir diffuser ça sur Instagram. Je n’arrive pas à penser de la sorte.

    Quand je vois quelqu’un filmer en vertical, j’ai envie de lui arracher son smartphone des mains…

    (rires) Des touristes m’ont arrêté dans la rue il y a quelques jours pour me demander de prendre une photo d’eux devant un mur fleuri. J’ai tenu le smartphone à l’horizontale et ils ont commencé à me dire : « Non non, en vertical. » « Eh, je vous fais une faveur, laissez-moi prendre la photo. »

    Enfin bref, je voulais donner à Evil Dead Rise une certaine échelle, même en intérieur. Nos yeux ont un champ de vision très large. Quand je me balade dans mon appartement, je peux presque voir tous les murs sans tourner la tête. Je voulais capturer ça tout en faisant ressentir l’enfermement des personnages. Il est facile d’installer une focale anamorphique sur une caméra, mais il faut qu’il y ait un raisonnement derrière.

    Dès les logos d’ouverture, vous dites aux spectateurs qu’ils vont devoir faire attention à ce qui se déroule sur les côtés, ou derrière : le bourdonnement d’une mouche passe à travers toutes les enceintes avant de disparaître.

    C’était une sorte de message, mais aussi une opportunité d’ancrer le film dans la continuité des précédents. Bruce Campbell m’a donné un disque dur avec des numérisations des enregistrements sonores originaux. J’ai intégré plusieurs de ces effets dans mon histoire, de différentes façons. La mouche vient de là.

    Le film regorge d’effets gore extrêmes qui impliquent, une fois n’est pas coutume, une enfant et des adolescents. En coulisse, comment avez-vous géré cela sur le plan psychologique, notamment avec la petite Nell Fisher ?

    Les parents sont essentiels dans le processus, ils doivent comprendre les nécessités et les réalités du tournage. La communication avec les enfants est elle aussi très importante : il faut leur parler des effets spéciaux le plus tôt possible. Nell Fisher, qui joue Kassie, avait 9 ans pendant le tournage, mais elle était incroyablement intelligente.

    Dans The Hole in the Ground et dans plusieurs de mes courts-métrages, j’avais déjà travaillé avec des enfants. Ce que j’ai appris, c’est qu’on doit les intégrer à l’équipe et les impliquer dans le développement. Quand les gars des effets spéciaux préparent des gags avec beaucoup de sang, il faut inviter les gosses à appuyer sur un bouton. Ça devient une fête de Halloween, ils s’amusent et ils veulent être là quand quelque chose d’horrible va être filmé. Ils voient le côté rigolo sur le plateau, et pas forcément le plan final sur le combo.

    Votre hommage à Shining est excellent.

    Il y a des œuvres qui vous marquent quand vous êtes jeune et auxquelles vous ne pouvez plus échapper par la suite. La filmographie de Sam en fait partie ; il figure sur mon mont Rushmore cinéphilique. Et bien sûr, il y a Shining. Je savais que j’allais avoir besoin d’un ascenseur dans l’immeuble, donc je devais absolument le remplir de sang. Il aurait presque été impoli de ne pas le faire. Dans Shining, on voit ce qui arrive après, mais dans Evil Dead Rise, on voit ce qui se déroule dedans !

    – Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    – Merci à Étienne Lerbret.
    – Mad Movies #370