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    X marquait non seulement le retour tant espéré de Ti West au grand écran (Voir interview ici), mais aussi le point de départ d’une trilogie de fortune, construite sur le fil, et qui pourrait bien se révéler comme la grande œuvre du cinéaste. Malheureusement privé de sortie salle chez nous, le volet central de ce triptyque, Pearl, débarque en Blu-ray le 16 août. Cette « origin story » de la principale antagoniste de X réussit le pari d’être un grand et beau film sur la folie tout en créant de vertigineux échos qui font encore grandir l’aura de son prédécesseur…

    X n’était pas seulement un cadeau aux gourmets de l’horreur de par ses qualités intrinsèques ; le film de Ti West contenait également une surprise de taille : l’annonce d’une préquelle, tournée presque immédiatement après le premier long-métrage, dans les mêmes décors. Un pari fou – notamment motivé par l’éventuelle perspective d’une aggravation de la pandémie qui bloquait à l’époque la plupart des tournages – rendu possible par les largesses de la firme A24 et sa foi en la vision du cinéaste et de sa comédienne Mia Goth, cette fois co-autrice et productrice.

    C’est en effet en discutant longuement de la backstory de la « méchante » de X, interprétée par Goth sous un épais maquillage en parallèle de son incarnation de la jeune Maxine, que le duo réalise tenir assez de matière pour une autre histoire.

    DÉESSE GOTH Dans la ferme familiale texane, la jeune Pearl se morfond d’ennui. Son mari est parti faire la guerre en Europe, son père est dans un état végétatif après avoir contracté la grippe espagnole qui fait alors rage et sa mère lui impose de multiples corvées avec une discipline de fer. Mais Pearl, elle, ne rêve que d’une chose : devenir danseuse pour le grand écran et mener la vie de rêve des stars qu’elle admire en cachette au cinéma lorsqu’elle parvient à faire une escapade dans la petite ville voisine. Peu à peu, le contraste impitoyable entre ses aspirations et la triste réalité de son existence fait ressortir ses pulsions les plus enfouies…

    Ce seul résumé suffit à comprendre que Pearl est un film très différent de X. Du moins dans ses articulations dramatiques et son appartenance à un genre – l’étude de caractère là où son prédécesseur tenait du slasher réflexif.

    Car ce qui unit les deux œuvres, au-delà de leur coexistence dans un même univers, est bien le style de Ti West. Croyant profondément au pouvoir de la narration comme moteur intrinsèque des mécanismes horrifiques, le réalisateur de The House of the Devil fait ici à nouveau merveille en explorant avec une minutie virtuose les racines psychologiques de son héroïne, véritable baril de poudre dont on voit quasiment à l’œil nu les lattes se disjoindre pour laisser s’échapper une matière particulièrement dangereuse et volatile.

    Le vortex hypnotique de cette glissade incontrôlée vers la folie est bien sûr Mia Goth : la subtilité de sa prestation dans X laisse place ici à une démonstration de force virevoltante et tapageuse. Une performance constamment sur le fil du rasoir, suscitant simultanément fascination, répulsion et empathie pour un personnage qui se révèlera, le temps d’un hallucinant monologue final, d’une touchante lucidité sur sa propre aliénation.

    Les deux films que le cinéaste a demandé de visionner à son actrice et co-autrice avant le tournage sont d’ailleurs révélateurs : Le Magicien d’Oz (Victor Fleming, 1939) et Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (Robert Aldrich, 1962), soit le pinacle de la magie hollywoodienne période Âge d’Or et le summum du psychodrame meurtrier voué aux turpitudes du star system. Le point de raccord entre ces deux références débouche sur un équilibre tonal prodigieux entre la naïveté enfantine et la folie vénéneuse, que Goth incarne pleinement.


    – Pearl (Mia Goth) se rêve star de cinéma devant les animaux de la ferme… la fourche à la main.

    CADRES SUPÉRIEURS

    Il fallait à West ériger un écrin cinématographique à la hauteur du tour de force que livre sa comédienne. Après avoir hésité à tourner le film en noir et blanc, le réalisateur opte pour une approche disneyienne dotée d’une palette vibrante rappelant les fastes du glorieux Technicolor d’antan. Un choix absolument payant, tant la performance bigger than life de Mia Goth et l’intensité des illusions de son personnage appelaient un traitement hyperbolique et profondément sensoriel, assez éloigné du look de X, plus évocateur des roughies américains des seventies.

    Mais ces différentes matières visuelles ne s’opposent pas. Elles construisent une mythologie de l’image qui leur est propre, comme en témoignent les plans d’ouverture respectifs des deux films : à chaque fois, la caméra est située à l’intérieur de la grange et s’avance à travers la porte de cette dernière pour révéler la maison principale.

    Mais dans X, le cadre est ainsi conçu qu’il donne l’impression d’observer un format 4/3, annonciateur des images que tourneront les personnages, pornographes amateurs de leur état. Dans Pearl, la composition de ce plan inaugural impose immédiatement le format CinémaScope. Et la distinction entre le pouvoir d’évocation de ces deux formats nourrira finalement toute la matière dramatique des films.

    Pourtant, West ne se contentera pas de rester sagement à l’intérieur des périmètres que semblent dicter ses choix stylistiques : si Pearl se lance dans des embardées dansantes typiques des musicals hollywoodiens d’antan, il culmine aussi dans un montage horrifique jouant avec des effets de miroir dignes des expérimentations des années 1970, qui construit un pont souterrain entre les deux longs-métrages (tout comme le fait une scène de repas morbide qui cligne à nouveau de l’œil à Massacre à la tronçonneuse).


    – Le Magicien d’Oz de Victor Fleming faisait partie des deux films que Ti West a demandé à son actrice et co-autrice de visionner avant le tournage.

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    Ainsi, si Pearl peut absolument se voir indépendamment de X, l’éclairage apporté par cette exploration des racines de la folie meurtrière de la vieille dame du premier opus confère à ce dernier une dimension tout à fait nouvelle, voire inédite dans le genre slasher, puisque chaque meurtre devient le résultat d’une tragédie intime, le triste et grotesque point d’orgue d’une vie faite de rêves inaccessibles et d’une dérive vers l’insanité sexuelle et homicide.

    Les résonances entre les deux films vont d’ailleurs au-delà de personnages et lieux similaires : une séquence en apparence anodine de Pearl montre comment l’héroïne découvre, grâce à un séduisant projectionniste (David Corenswet, tout juste choisi pour incarner le futur Superman de James Gunn), l’un des premiers films pornographiques jamais tournés (les images, authentiques, sont issues de A Free Ride, datant selon les historiens de 1915 ou 1923).

    West introduit ici une autre correspondance forte entre ses deux longs-métrages, où le cinéma X devient le symbole d’une libération des mœurs traditionnellement étouffées par la frustration née de la rigueur religieuse des patelins reculés d’Amérique, mais aussi la promesse d’un cadre de vie plus exotique, plus vivant…

    Une symétrie qui rend encore plus excitante la perspective du dernier volet de la trilogie, MaXXXine, embardée dans le Los Angeles interlope des années 1980 illustrant le destin de l’héroïne de X.

    Il y a fort à parier que le contenu thématique de ce nouvel opus, actuellement en postproduction, devrait faire office de mise en abyme passionnante – une radiographie de la désillusion de la libération des mœurs ? – en apportant un point final à la splendide épopée que constitue ce « triptyX » qui compte d’ores et déjà parmi ce que le cinéma d’horreur américain des années 2020 a produit de plus passionnant.

    – Par Laurent Duroche.
    – MadMovies #373