[Critique] Mars Express
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Il est des projets attendus au tournant par affection pour le corpus de leurs auteurs, des œuvres prometteuses sur lesquelles se projettent bon nombre de fantasmes - des films au paradigme de production ambitieux et inédit, au point de susciter une grande fébrilité. Mars Express de Jérémie Périn coche toutes ces cases, et loin de céder sous la pression, honore tous les espoirs placés en lui avec un remarquable panache.
Il suffit d’une scène, aussi brutale que prodigieusement animée, pour abattre toute défiance. Un personnage saisi en pleine intimité, un détail graphique incongru, un retournement de situation ultra-violent et voilà le spectateur happé, inondé de signaux familiers réinventés en temps réel. Mieux que ça : de scène en scène, les références pleuvent, de Ghost in the Shell à Satoshi Kon en passant par tous les grands classiques de la sciencefiction des cinquante dernières années, mais le premier long-métrage de Jérémie Périn n’en garde pas moins une identité propre. Grâce à ce character design si particulier qui faisait déjà le sel des séries Lastman et Crisis Jung, à la réappropriation judicieuse de thèmes éculés, et à ce sens de l’action et du découpage, affiné de projet en projet, allié ici à des compositions de cadres remplis à ras bord d’éléments disparates, au design savamment étudié pour chatouiller l’imaginaire. Il y a dans Mars Express une grâce permanente dans l’exhibition de ses décors et protagonistes, une pleine compréhension de l’écriture visuelle pour nous révéler touche par touche les composantes de son monde. Les conversations télépathiques ont remplacé nos moyens de communication, les voyages spatiaux s’effectuent aussi naturellement qu’un trajet en métro, les cyborgs et créatures androïdes ont intégré le quotidien, les corporations ont a priori remplacé les États. En moins d’une heure et demie de film, Mars Express file à toute berzingue, inonde d’informations et de termes techniques sans jamais perdre de vue son essence dramatique et cinématographique, ou sacrifier ses personnages sur l’autel d’une efficacité pourtant vertigineuse.
DU RIFIFI À NOCTIS
En 2200, l’Humanité a transfiguré Mars en utopie habitable, tandis que la Terre a viré au purgatoire surpeuplé, engoncé dans le chômage de masse suite au développement de la cybernétique et de l’intelligence artificielle. Entre les deux planètes, deux vétérans exercent l’équivalent futuriste du métier de détective privé : d’un côté Aline Ruby, alcoolique amère, déclinaison féminine surentrainée des éternels limiers en trenchcoat ; de l’autre Carlos Rivera, mari violent et père indigne, mort il y a peu, la conscience intégrée à une enveloppe robotique obsolète. L’attrait du film tient pour beaucoup à la caractérisation de ces deux personnages bourrus, prisonniers volontaires d’un système spécieux. L’intrigue policière épouse les circonvolutions complexes du décorum sociopolitique, où les deux enquêteurs n’ont d’autre choix que d’être bringuebalés à la merci de leurs cibles et de leurs commanditaires Le récit les fait néanmoins exister, et leurs troubles reflètent même avec pertinence les enjeux éthiques du monde dépeint. Si l’incarnation vocale de Daniel Njo Lobé convainc instantanément, la greffe de Léa Drucker met un peu plus de temps à opérer (sa performance récente et monstrueuse dans L’Été dernier de Catherine Breillat n’y est sans doute pas pour rien), sans que cela nuise cependant à la lisibilité de l’ensemble. L’interprétation du personnage et son passif empruntent à des clichés du genre policier pour favoriser l’immersion, les schémas attendus sont par la suite bousculés, dans les dynamiques relationnelles comme dans les multiples rebondissements d’une intrigue à tiroirs. D’abord propulsé sur les traces d’une hackeuse, le binôme part à la recherche d’une étudiante disparue et remonte des pistes esquissant la cartographie d’une pseudo-modernité, toujours ravagée par les mêmes maux d’intolérance, d’incompréhension et de corruption à petite et grande échelles. Jérémie Périn et Laurent Sarfati connaissent indéniablement leurs classiques, tant dans le registre spécifique du cyberpunk que de la science-fiction grand public. Ils s’emparent des codes du genre avec assurance, les tordent pour chambouler les perspectives rouillées par des années de disette créative. Ils ont en outre poussé l’exigence jusqu’à solliciter des esprits scientifiques pour nourrir leurs visions, et cette démarche assure à Mars Express de regorger d’idées à la fois extraordinairement inventives et utiles à la narration - la scène d’accident dans le tunnel, déjà sidérante au niveau visuel, déploie des trésors d’imagination pour extrapoler la gestion d’un tel événement au xxI1I° siècle, juste avant que l’action ne vienne reprendre ses droits dans un moment d’une élégance cinématographique folle.
L’INTERSIDÉRAL SERA LE GENRE HUMAIN
Au seul niveau esthétique, Mars Express s’impose dès sa première scène de poursuite comme un accomplissement artistique intimidant, le fruit de réflexions acérées sur le médium, tant du point de vue de l’animation que de la mise en scène. Dans l’absolu, il y aurait presque de quoi s’en contenter, tant il suffit de se laisser porter par ses images, son dernier acte spectaculaire à souhait et la bande-son de Fred Avril et Philippe Monthaye pour vivre l’une des plus belles expériences en salle obscure de l’année. Il serait toutefois dommage d’éluder ce que le film propose sur le fond, par ses échos permanents entre polar et science-fiction, par ses processus de révélations d’'enjeux philosophiques féconds. Il y est autant question d’humanité que de déshumanisation, d’asservissement que d’émancipation. Chaque dilemme finit par trouver son apogée dans des plans évocateurs, des scènes parcourues d’un spleen existentiel dévorant mais jamais plombant. Jérémie Périn et Laurent Sarfati ont non seulement explosé tous les cadres de production traditionnels, mais ils ont sorti la SF de la sinistrose dépressive dans laquelle elle s’enfermait depuis presque une décennie. De nouveau, il existe une voie, une façon de figurer l’avenir avec lucidité sans se retrouver tétanisé par les enjeux contemporains. Pour peu que le film fasse école, la science-fiction peut redevenir ce terreau idéal pour l’imagination, l’anticipation au sens le plus noble du terme. Ne manque plus qu’un succès public, même timide, pour que la réussite soit totale.
– Par François CAU
– Mad Movies # 376– Lire la preview et l’interview de Jérémie :
https://planete-warez.net/topic/1991/preview-interview-mars-express
–> J’en avais causé ici il y a déjà plus d’un an et après quelques mois de retard, l’attente prend enfin fin car ça arrive le 22 Novembre
Si comme moi, vous avez aimé le travail de Jérémie Perin notamment sur les séries Lastman & Crisis Jung, vous allez kiffez les amis. -
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Alors l’histoire a l’air sympa mais je suis pas fan du style graphique
On lui donnera une chance quand même -
@Ashura a dit dans [Critique] Mars Express :
Alors l’histoire a l’air sympa mais je suis pas fan du style graphique
On lui donnera une chance quand mêmeJ’aime bcp ce style réaliste pour ma part.
Au vu de la pauvreté des sorties SF animés en France, je lui laisse sa chance direct et j’irais même payer ma place en salle obscure pour supporter tt le travail effectué sur ce film qui est juste monstrueux. J’espère un gros making of sue le disque BR
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Pour le style graphique, y’a pire.
Je ne suis pas du style à m’arrêter au style graphique (j’ai appris ça lors de mon premier visionnage de Perfect Blue quand j’étais jeuns lol…si j’étais à m’arrêter au style graphique, j’aurai raté un chef d’oeuvre).
Je materai ce long métrage d’animation fr dés sa sortie (mazette, que la liste est longue…trop trop de truc à mater, chui méga à la bourre ). -
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J’en ai même entendu parler sur une chaîne d’info grand publique (dont la maison mère a peut être mis des billes dedans) c’est dire.
Tout n’est pas perdu pour le cinéma français!
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Je mise beaucoup d’espoir dans ce film. Jérémie Perrin à énormément de talent et j’espère que le film est bon et surtout qu’il marchera et que des gens iront le voir dans les salles obscures.
D’ailleurs à ce sujet, je suis déçu qu’il ne soit pas distribué dans de grandes salles. Par chez moi, dans une grande ville, les 2 grands cinéma que sont Gaumont/Pathé et Cinéville ne le diffuse même pas, honte à eux…
Seul un petit ciné de quartier le diffuse et je ne les remercierai jamais assez… Idem pour Cobweb
En tout cas, je vais y allé.
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Je viens de regarder ce bijoux et j’en suis encore baba !!!
Quelle merveille ! Et sous tous raports, histoire, animation, graphismes, musique, ça vole vraiment très très haut.
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je suis d’accord… .
Une bombe comme tout ce qu’à fait Jérémie
Et l’interview intéressante de Jérémie :
https://planete-warez.net/topic/4719/interview-jérémie-perrin-mars-express