[Preview][Interview] Mars Express
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J’en avais déjà causé ici et ici mais la future perle de Jeremy Perin vaut bien son propre topic.
Après avoir donné un high-kick dans la fourmilière de l’animation française avec la série animée Lastman, Jérémie Périn passe à la vitesse supérieure avec Mars Express, long-métrage de science-fiction destiné aux salles produit par Everybody on Deck.
Un projet ambitieux dont voici une présentation de la bête suivie d’un entretien avec Jérémie et son compère/coscénariste Laurent Sarfati. Mars, nous voilà !
La production puis la diffusion initiale de la série Lastman sur France 4 ont constitué un singulier parcours du combattant pour Jérémie Périn, le directeur d’écriture Laurent Sarfati, la boîte de prod’ Everybody on Deck et le studio d’animation Je Suis Bien Content. Financement menacé en cours de fabrication imposant le lancement d’une campagne de crowdfunding, programmation rushée (l’intégralité de la série a été diffusée en quatre soirées) pour cause de changement d’orientation éditoriale de la chaîne, interdiction aux moins de 16 ans compliquant la mise en ligne des replays…
Un nouveau et fatigant signe que le PAF français n’est guère à l’aise avec les œuvres de genre de caractère et n’a aucune idée de comment les accompagner auprès du public. Ce qui n’empêche pas Lastman de rencontrer un succès très correct (entre 200 et 250.000 téléspectateurs par soir de diffusion) qui suffit à établir la réputation de ce serial pulp ultra punchy bardé d’influences diverses allant de John Carpenter à Dario Argento, préquelle de l’excellente BD de Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville.
La nature geek ayant horreur du vide, le show aura finalement une seconde (une belle sortie vidéo chez l’éditeur Wild Side) puis une troisième vie (Lastman est disponible sur Netflix), témoignages de l’empreinte qu’il a laissée dans le paysage encore désolé de l’animation française de genre pour adultes.
Explorer le futur
Mais alors que la production de la saison 2 de Lastman bat son plein (sous-titrée Heroes et destinée à la chaîne numérique Slash, elle sera composée de 6 épisodes de 45 minutes, dont l’écriture est à nouveau supervisée par Laurent Sarfati), Jérémie Périn a préféré passer le relai à Jérémie Hoarau (son premier assistant sur la saison 1, et coréalisateur avec Baptiste Gaubert de l’hallucinante mini-série Crisis Jung - une tuerie à mater de suite hop !!) afin de se concentrer sur un autre projet, toujours sous la houlette d’Everybody on Deck et Je Suis Bien Content, et à nouveau coécrit avec son complice Laurent Sarfati.
Adieu la télé et l’action pulp, bonjour le cinéma et la science-fiction. Comme l’explique le réalisateur dans la suite de ce dossier, le but est à nouveau de créer un précédent afin de montrer que l’animation française peut accoucher de films à la fois adultes et populaires. Mais au-delà de ces considérations stratégiques, Mars Express est surtout l’expression d’une envie d’explorer un genre, la science-fiction, que la production audiovisuelle française moderne ne sait trop par quel bout prendre, paralysée par l’hégémonie anglo-saxonne en la matière (qui a troqué les odyssées à la Arthur C. Clarke contre des super-héros combattant des aliens dans l’espace), les moyens financiers exigés, et un héritage pas forcément glorieux.
Parlez de SF locale à un citoyen hexagonal lambda, et il y a tout de même plus de chances qu’il évoque La Soupe aux choux et Le Gendarme et les extra-terrestres (au mieux Fahrenheit 451 ou Alphaville s’il lit Les Cahiers…) que La Planète sauvage et Les Maîtres du temps. Un constat d’autant plus rageant que le genre s’épanouit dans nos contrées à travers la littérature et la bande dessinée, preuve que l’imaginaire n’est pas en défaut… Le défi est donc de taille, surtout qu’il existe mille possibilités pour aborder la SF, de la fantasy spatiale à l’intimisme psychédélique en passant par l’anticipation et l’horreur. Périn et Sarfati, eux, optent pour le film noir.
Mars Express raconte l’enquête menée par Aline Ruby et son partenaire androïde Carlos Rivera, détectives privés vivant à Noctis, capitale de la Colonie Indépendante de Mars. Le duo est chargé de retrouver Jun Chow, une étudiante en cybernétique ayant disparu après avoir hacké un robot. Une affaire de routine, qui va pourtant révéler un complot d’envergure interplanétaire…
Technodépendance
Film noir et science-fiction : un mix qui évoque immédiatement toute une tradition cyberpunk avec, en figure de proue, le monument Blade Runner. Analogie renforcée par le fait que Mars Express traite largement de problématiques liées à l’intelligence artificielle. Le projet n’a pourtant rien d’un clone servile ou d’un fanfilm enamouré, grâce à la personnalité et la créativité de ses géniteurs.
L’approche visuelle prend à contrepied les clichés habituels (du genre ruelles enfumées mouillées par la pluie et illuminées par la lumière froide des néons) en extrapolant une vision de société née de considérations techniques et idéologiques très actuelles : fondée par des corporations, la colonie martienne du film est une extension de l’idéologie à la fois politiquement correcte et férocement capitaliste de nos actuels GAFAM, où des architectures épurées baignées de soleil, plus proches de la Californie du Chinatown de Polanski que de la Los Angeles du chef-d’œuvre de Ridley Scott, abritent une Humanité subtilement transformée par son rapport à la technologie : les chats artificiels sont plus répandus que leurs modèles organiques, avoir une petite amie robotique est l’assurance de voir tous ses fantasmes exaucés sans s’embarrasser des complications d’une vie de couple, et une simple discussion entre plusieurs personnes physiquement présentes au même endroit se fait dans un silence total, les paroles étant échangées sur des chatrooms en ligne.
Le personnage de Carlos Rivera, partenaire d’Aline Ruby, incarne à lui seul tout un pan des préoccupations philosophiques de Mars Express : suite à sa mort cinq ans plus tôt, une sauvegarde de sa conscience a été transférée dans un corps artificiel. Pas vraiment vivant mais pas tout à faire mort, Carlos est une entité située entre deux mondes, un état allégorisé par une géniale idée de design que nous ne pouvons révéler pour le moment…
Feu vert pour Planète Rouge
Avec un financement bouclé et une production déjà bien lancée (le story-board, est terminé, de multiples concepts et designs ont déjà été exécutés sous la direction de Mikael Robert, déjà au même poste sur Lastman, et l’on retrouve à la musique le duo Fred Avril & Philippe Monthaye, responsables de l’excellent B.O. de la série), Mars Express n’a dévoilé que peu de ses atours. Seul un court extrait, révélé lors du Forum Cartoon Movie de Bordeaux début 2019 puis diffusé sur la Toile, est visible à ce jour, et donne un bel aperçu de l’approche racée de Jérémie Périn et son équipe. Ironiquement, il se situe sur Terre, lors du prologue, et baigne dans une ambiance subtilement « bladerunnerienne »… avant que l’action ne se déplace sur la Planète rouge afin de révéler toutes les subtilités conceptuelles de Mars Express. Un voyage qu’il nous tarde d’entreprendre.
Interview de Jérémie Périn (Réalisateur et Co-scénariste) & Laurent Sarfati (Co-scénariste)
Partenaires de crime depuis une bonne douzaine d’années, Jérémie Périn et Laurent Sarfati ont notamment collaboré sur deux clips mémorables (Truckers Delight de Flairs et Fantasy de DyE) avant de signer Lastman et de participer à Crisis Jung pour le compte du studio Bobbypills. Enfin lancés dans la production de leur premier long-métrage d’animation, ils nous expliquent les racines et les enjeux de cet ambitieux projet.
Selon vous, l’aventure Lastman a-t-elle modifié la vision que porte l’industrie audiovisuelle française sur l’animation disons, mature ?
Jérémie Périn: Pas immédiatement. Mais ces derniers temps, j’ai eu l’impression de voir germer à gauche à droite – plutôt sur des petits formats de type publicité ou clip –, des choses qui me semblaient être des sortes d’héritiers de Lastman. Bon, ça fait un peu prétentieux de dire ça, mais disons qu’on a l’impression que des gens se sont un peu engouffrés dans la brèche, que le succès de la série a créé un précédent.
Laurent Sarfati: Je dirais que ça s’est fait en deux temps. Après la diffusion sur France 4, il y a eu vraiment très peu d’échos, alors que pendant toute la prod’, je me disais vraiment qu’on créait un précédent. On allait changer le monde de l’animation française ! (rires) Et finalement rien, pendant longtemps en tout cas. C’est vraiment avec la diffusion sur Netflix qu’on a vu des gens prendre Lastman comme référence. Je me suis retrouvé dans un bureau avec des pontes d’Ubisoft qui voulaient faire une adaptation animée d’un de leurs jeux, et ils ne me parlaient que de Lastman… Ils voulaient du Lastman, quoi. Donc pour moi, ça a changé des choses, mais avec beaucoup plus de retard que ce qu’on imaginait. On pensait que Spielberg allait venir frapper à notre porte en disant : « Oh mais c’est dingue ce que vous avez fait ! ». (rires) Mais aujourd’hui, quatre ans après, il est clair que ça a porté ses fruits.
J.P: Ce décalage est finalement assez logique : un dessin animé, c’est super long à fabriquer. Regarde, ça fait un peu plus de deux ans qu’on bosse sur Mars Express, et on commence seulement la prod’ officielle.
Et quand vous êtes passés devant diverses commissions de financement pour Mars Express, vous avez senti là aussi un effet Lastman ?
L.S: On nous le cite à chaque fois.
J.P: Oui, les gens qu’on avait en face de nous connaissaient la série, et ils nous demandaient souvent : « La musique, ce sera comme Lastman ? Le ton, ce sera marrant ? Parce qu’on aime bien quand c’est marrant et Lastman, c’est marrant. ». Donc on répond : « Oui ce sera marrant, mais pas le même marrant, parce qu’on ne veut pas refaire la même chose. ».
L.S: Oui, c’est aussi un poids.
J.P: Voilà, il y a un peu ce côté que j’ai voulu à tout prix éviter : être enfermé dans Lastman. C’est d’ailleurs de là que vient Mars Express : dès la fin de la série, notre producteur Didier Creste nous a proposé de faire le long-métrage Lastman et j’ai fait : « Non ! ». « La saison 2 alors ? » « Non plus ! » OK, on a ouvert une brèche avec Lastman, mais le but, c’était surtout d’ouvrir un grand portail pour plein d’autres possibilités de dessins animés adultes, qui ne soient pas uniquement centrés sur l’hyperviolence, la punchline et la testostérone.
L.S: Il faut éviter de refaire la même chose. Sur la saison 2 de Lastman, nous avons complètement changé le format et le style de narration afin de ne pas répéter ce qui avait déjà été fait.
En France, la science-fiction s’épanouit dans la bande dessinée et la littérature, en revanche, les tentatives au cinéma ou à la télévision ont du mal à susciter l’adhésion. Selon vous, d’où vient le problème ? Du public visé, des contraintes financières ?
L.S: Les deux ! (rires) Je pense que pas mal de gens s’arrêtent à la porte et n’arrivent pas à la passer. Déjà, elle est petite : la demande est infinitésimale, voire inexistante. Mais paradoxalement, Mars Express a vachement bénéficié de l’absence d’autres projets de science-fiction. On nous le disait dans les commissions : « Waouh, un film de science-fiction français ! ».
J.P: C’est compliqué, ça vient de pas mal de choses, je pense. Déjà, une SF ambitieuse en cinéma live, ça coûte tout de suite très cher, à moins d’être très malin et de s’inscrire dans une esthétique contemporaine du genre : « On est sur la Lune mais ça ressemble exactement à Paris ! ». (rires) Et puis on manque d’exemples de bons films qui auraient fonctionné auprès du public. Et en plus du coût, il y a aussi cette idée que SF = cinéma américain. Globalement, le système de production français est bien installé dans un truc plutôt bourgeois qui ne va pas prendre de risques, à base de bonnes grosses comédies qui tâchent ou d’histoires de Parisiens qui ne savent pas s’ils sont heureux. (rires) Du coup, sans exemples concrets de SF française, tu as l’impression que c’est impossible à faire. De temps en temps, ça arrive, notamment en animation. Car l’animation, ça coûte cher, mais ça coûte cher quoi que tu racontes, donc au moins tu peux tenter le coup.
À quand remonte la naissance du projet ? Quel a été l’élément déclencheur ?
J.P: C’est un peu nébuleux en fait, disons que ça faisait longtemps qu’on voulait écrire un film de SF, mais sans avoir vraiment de sujet en tête. Il y a déjà l’attrait qu’exercent sur nous les mystères de l’espace. Et aussi, et même surtout, une simple envie de spectateur. On éprouvait un certain manque vis-à-vis de la science-fiction, qui se résume de plus en plus à la fantasy spatiale ou aux récits de super-héros. On avait envie de faire une SF qui aurait des bases scientifiques plus solides, tout en « romantisant » tout ça et en s’amusant à faire des trucs un peu marrants et débiles. Une science-fiction un peu plus prise au sérieux, quoi.
L.S: On avait envie de s’inscrire dans la tradition des auteurs qui ont fait les beaux jours du magazine Amazing Stories, cette SF qui s’est épanouie entre les années 1950 et 1980 et qui s’est complètement perdue en route parce que… Star Wars. (rires) Bref, on a joué avec plusieurs idées, dont une qui parlait d’un détective privé sur Mars, qu’on avait appelé « Arizona Goldstein ». On l’a mise sous le tapis pendant la production de Lastman, et quand Didier Creste nous a demandé si on voulait faire le long-métrage tiré de la série, on a refusé en disant qu’on préférait faire autre chose. Il nous a demandé de lui proposer des projets et on s’est souvenu de cette histoire de détective privé sur Mars. On l’a complètement réécrite, à tel point qu’à part ce concept de base, il ne reste quasiment rien des versions précédentes. C’est juste le même univers.
J.P: Enfin, au départ, cet univers était très flou, et on a passé notre temps à l’affiner.
L.S: Disons que c’était le même niveau technologique, et qu’il y avait le même désir de cohérence scientifique. Et ça se passe à peu près dans le même futur, je ne sais plus si on donne la date exacte…
Il y en a une dans le dossier de production…
J.P: Oui mais le dossier c’est une chose, et le film c’en est une autre. Au final, le dossier ne dit pas forcément ce qu’il y a dans le film, et inversement. Sinon, on n’aurait jamais eu le CNC ! (rires) Si on avait vraiment dit tout ce qu’on veut mettre dans Mars Express… Selon les commissions que tu rencontres, tu arranges un peu ton discours. On ne ment pas, mais on oriente un peu nos propos.
L.S: J’ai une anecdote marrante à ce sujet. On fait le dossier pour le CNC, et Didier me dit : « Il y a vraiment beaucoup de grossièretés dans le scénario, tu ne veux pas me faire une version sans gros mots ? ». Je repasse sur le texte, je cherche à remplacer les jurons par des trucs différents, qui ne soient pas choquants, et au fur et à mesure, je me rends compte qu’à chaque fois, ma proposition est plus intéressante que le gros mot. Du coup, on a enlevé énormément de grossièretés parce qu’on a réalisé que c’était une facilité d’écriture, et qu’un juron remplaçait souvent une ponctuation, un silence ou une information manquante. Bien sûr, il reste quelques « merde » et « putain » qui sont indispensables. (rires) Du coup, le fait d’avoir à tourner dans tous les sens cet objet qu’est le scénario peut grandement l’améliorer.
*Il y a maintes façons de « faire » de la SF, pourquoi la voie du polar plutôt qu’une autre ? Ce sont les thématiques qui ont guidé ce choix ?
J.P: Pour moi, c’est surtout venu d’une envie de narration. Le polar et le détective privé sont arrivés après, car je me suis rendu compte qu’il n’y avait plus beaucoup de films de détective, ce sont surtout les séries télé qui se sont emparées de ça. On en est venu au polar parce qu’on mettait en scène un univers nouveau. Et quand tu enquêtes, tu vas d’un lieu à un autre, tu visites. Ça crée un intermédiaire pour le spectateur dans la découverte de cet univers.
L.S: Et puis, Jérémie et moi, on trouve que la SF a beaucoup perdu le côté « mystères de l’infini » qui en fait le charme. Aujourd’hui, on se retrouve avec une science-fiction avec laquelle on est super à l’aise, où rien n’est étonnant. Le mystère qu’implique une histoire de détective privé est vachement agréable pour cultiver cette sensation.
J.P: Voilà, le mystère de l’enquête coïncide avec le mystère plus existentiel que la science-fiction peut apporter. Mais en revanche, si nos deux héros sont des passeurs pour le spectateur, ils connaissent cet univers, et ils ne vont jamais te l’expliquer. C’est au spectateur de faire un effort pour comprendre tel ou tel élément de technologie, de relation humaine.
L.S: Ça nous permet aussi de jouer avec des codes connus du public pour mieux dérober le tapis sous ses pieds au bout d’un moment.
Dans ses thématiques, Mars Express est clairement une oeuvre cyberpunk : cybernétique, transhumanisme, connexion au réseau global, IA, corporations… Mais l’approche visuelle s’écarte radicalement des clichés du genre. À quel point est-ce difficile de développer une vision esthétique personnelle dans un genre aussi balisé ?
L.S: C’est… hyper facile ! (rires)
J.P: Enfin, c’est vrai et pas vrai en même temps. Dans Mars Express, la blague vient justement du fait que quand le récit débute sur Terre, on est dans un cyberpunk classique à la Blade Runner, que tout le monde connaît. Sauf que rapidement, on s’en va sur Mars, et ce n’est plus du tout pareil. Là, on a fait l’inverse du cyberpunk classique.
Oui, les choix esthétiques apposés au look de la colonie martienne rappellent les villes américaines un peu proprettes des années 1950.
L.S: C’était la référence. L’explosion de Hollywood, la Californie des années 1950.
J.P: L’idée, c’était d’imaginer le paradis des GAFAM construit sur une autre planète. Le paradis d’Elon Musk et autres. C’est une anti-utopie : tout est propre, mais sous le paillasson, c’est la merde.
L’univers que vous décrivez montre à quel point la technologie peut s’immiscer dans l’intimité, cela va des compagnons synthétiques à un blocage des boissons pour les personnes alcooliques jusqu’au transfert de la conscience dans un corps artificiel. C’est une donnée qui vous angoisse ?
J.P: En tout cas, ce sont des sujets qui m’interrogent. Enfin, certains peuvent m’angoisser, d’autres m’intriguer. Je n’ai pas voulu décrire un futur où tout serait horrible, il y a quelques éléments positifs. Disons que je suis techno-sceptique mais pas technophobe. Ce n’est pas ce que véhicule le film.
L.S: Notre questionnement à ce niveau, c’est plutôt : qu’est-ce que ça va changer ? L’élément sur lequel nous sommes très pessimistes, c’est l’humain, et pas du tout la technologie. Je suis plutôt scientiste, ça ne me gênerait pas de transférer ma conscience après ma mort. Aucun problème. Je suis moins méfiant que Jérémie.
J.P: Après il y a une différence entre se méfier de la science et se méfier de la technologie. La technologie est une application de la science. Et c’est sur ces applications que je me pose des questions morales et éthiques.
L.S: Alors que moi, je me plongerais dans le transhumanisme tout en sachant pertinemment qu’on risque d’y perdre notre âme.
Dans Mars Express, si les humains sont de plus en plus intimement liés au synthétique, les robots eux sont de plus en plus conscients. Finalement, ces parcours opposés sont un peu au centre du film ?
L.S: C’est tout à fait ça, l’histoire parle de l’émergence d’une nouvelle forme d’intelligence et de civilisation, c’est au centre du film. Et à travers ce sujet, on parle aussi des rapports entre humains. On voulait montrer que ces derniers ont de plus en plus de mal à se connecter les uns aux autres parce qu’ils disposent d’unités synthétiques qui vont répondre à tous leurs besoins.
J.P: Et ce dans tous les domaines : amical, sexuel, professionnel. Ces êtres synthétiques sont façonnés pour répondre à nos envies, ce sont des algorithmes qui connaissent par coeur nos habitudes.
Vous avez tenu à proposer des concepts qui se reposent sur une réalité scientifique tangible. Cela vous a-t-il parfois freinés dans l’écriture ?
J.P: Sur quelques trucs, oui. En fait, on s’est vraiment posé plein de questions, et à chaque fois qu’on ne savait pas comment telle ou telle chose fonctionnait, on est allés se renseigner auprès de quelqu’un qui savait. Par exemple, pour la colonisation martienne, on a rencontré le planétologue Sylvain Bouley, qui nous a expliqué plein de choses. Je bloquais un peu sur le temps de voyage entre la Terre et Mars. Sylvain et un de ses collègues nous ont dit : « Mais vous vous en foutez de ça, votre histoire se déroule 200 ans dans le futur, on aura peut-être trouvé quelque chose d’ici là ! ». Mais ils ne peuvent pas nous dire ça, ce sont des scientifiques ! (rires) Du coup, le fait qu’ils nous donnent une espèce de carte blanche nous a à la fois étonnés et décomplexés.
L.S: On est passionnés de sciences tous les deux, et on en a profité pour laisser libre cours à notre imagination. Jérémie et Mikael Robert, le directeur artistique, se sont vraiment amusés à imaginer comment tel ou tel objet fonctionnerait dans 200 ans.
J.P: Après, on n’est pas ingénieurs non plus, hein ! C’était surtout du : « Ouais, ben je pense que ça marcherait comme ça… ». (rires) Je me raccroche beaucoup à la phrase d’Arthur C. Clarke qui dit que toute technologie nouvelle ressemble, pour une civilisation moins avancée, à de la magie.
À travers les personnages et l’action, le script parvient à véhiculer les concepts et thèmes que vous vouliez aborder sans jamais faire de Mars Express un film à thèse. Est-il difficile d’obtenir une telle fluidité d’écriture ?
J.P: Pour ce qui est des thèmes, ce n’est vraiment pas difficile. Il suffit de raconter une histoire sous l’angle dramaturgique pur, c’est la méthode Stephen King : tu racontes ton histoire, tu imagines ce que font tes personnages, puis tu relis, et tu te dis : « Ah mais en fait, ça parle de ça ! ». À partir de là, tu vires certains trucs qui viennent contredire ton sujet, et tu en rajoutes d’autres pour le consolider. C’est comme ça que tu évites de faire un film à thèse militant un peu chiant, et que tu suscites des discussions entre les spectateurs, quand ils discutent après la séance des sous-textes qu’ils ont détectés. C’est ce que je préfère au cinéma.
L.S: Une fois qu’on avait bien avancé dans le scénario, on a relu le tout premier document qu’on avait fourni au producteur, conçu pour lui donner une idée de ce qu’il achetait. On l’avait complètement oublié entre-temps. Et on s’est aperçu qu’on avait fait exactement ce qu’on annonçait ! (rires) Quand tu te laisses porter par l’histoire, tu oublies un peu ces intentions de départ, mais elles restent là, comme une tâche de fond.
J.P: L’essentiel, c’est que tes personnages restent cohérents. C’est un peu un cliché d’écrivain ou de scénariste de dire qu’ils ont une vie propre, mais c’est assez vrai, car s’ils sont construits d’une manière logique, il y a des choses qu’ils ne feraient ou ne diraient pas, et inversement. Si tu fais rentrer de la thèse au chausse-pied là-dedans, ça ne marche plus.
L.S: On a plus vécu l’écriture comme un jeu que comme un travail. Bien sûr, en nombre d’heures et de versions, c’est délirant, comme tous les scénarios. Et puis ce n’est pas fini, on va repasser dessus, notamment sur les dialogues, car Jérémie s’est aperçu en faisant l’animatique que c’était parfois un peu sec, que ça manquait de chair.
Mars Express a l’air de se montrer assez sobre lors de ses scènes d’action, vous ne vous autorisez pas des destructions délirantes pour le simple plaisir. Cela vient d’un souci de cohérence par rapport à votre univers ou de contraintes budgétaires ?
J.P: Un peu des deux. Notamment, on s’est assez vite dit que dans un monde hyper technologique comme celui-ci, est-ce que ça a encore un sens d’avoir des combats ou des fusillades qui durent longtemps, alors qu’ils ont certainement des balles à tête chercheuse ou des trucs du genre ? Du coup, on a plus privilégié la structure de type suspense puis éclatement rapide de l’action, avec une mise en scène claire, car je ne voulais pas faire du Jason Bourne.
L.S: C’était une vraie question technologique. Dès qu’on s’est mis à écrire des bastons, on s’est demandé quelles armes seraient utilisées, et on a réalisé que ce serait forcément des trucs très élaborés et super efficaces, encore plus quand ce sont des robots qui tirent : ça devient ridicule qu’ils ratent leur cible !
SOURCE: Mad Movies
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