[Critique] Evil Dead Rise : le diable en rit encore
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Le tout petit film bricolé au fin fond des bois par Sam Raimi il y a plus de 40 ans a accouché d’une saga qui excite toujours autant les fans d’horreur. Le nouveau-né Evil Dead Rise cristallise les mutations d’une désormais franchise qui a traversé les modes bille en tête. Alors, groovy ou non ?
Au Festival de Sitges 1982, un petit film d’horreur fauché tourné entre potes fait sensation. Son titre : Evil Dead. À l’époque, le long-métrage n’a été projeté qu’à trois reprises : en avant-première mondiale discrète dans une salle du Michigan le 15 octobre 1981, au Marché du Film de Cannes en mai 1982 et au Festival du Film Fantastique d’Édimbourg en août 1982. Le début du début de la légende.
Sam Raimi et son producteur/pote Rob Tapert sont donc présents en Espagne, en mode humble et rigolard, pour présenter leur petite péloche tournée en total « hémoglobinorama ». Et fantasment déjà sur la suite qu’ils rêvent de donner à leur Evil Dead. Sans vraiment se rendre compte que leur film va devenir le point d’orgue de l’Âge d’Or « goresque » des années 1980 (Re-Animator, Braindead, tout ça). Ni imaginer que leur petit film bricolé mutera en une simili-franchise qui fera encore fantasmer les horror fans presque 50 ans plus tard…
Toujours plus DEAD
Entre 1992, l’année de L’Armée des ténèbres, et le remake de 2013, 21 ans s’écoulent. Deux décennies où Sam Raimi est partit « spider-maniser » sa carrière tout en surveillant du coin de l’œil son bébé qui continue de (sur)vivre. Notamment à travers une adaptation en comédie musicale, des jeux vidéo, des comics et autres jeux de société. Et des projets fous qui restent lettre morte.
La New Line annonce ainsi en 2004 un crossover intitulé Freddy vs. Jason vs. Ash. Soit une partouze de tronçonneuse, de griffes et de machette. Mais Raimi n’est pas très chaud (le projet prendra finalement la forme d’une courte série de comics parue en 2007). En 2012, Evil Dead a même droit à sa parodie porno, Evil Head, avec baise en boucle dans la cabane et gros câlin avec un arbre possédé.
– Ellie (Alyssa Sutherland), maman devenue deadite suite à la découverte d’un livre maudit.Remake
L’année suivante, Fede Alvarez remet la pendule (celle dont les aiguilles tournent à toute vitesse dans le film original) à l’heure avec un remake produit par Sam Raimi, Rob Tapert et Bruce Campbell. Evil Dead version XXIe siècle est plutôt bien accueilli pour sa radicalité sanglante et son ambiance très premier degré (pas d’humour slapstick à l’horizon). De quoi ravir les nouveaux venus, mais laisser quelque peu de côté certains fans restés bloqués sur leur vision nostalgique de la saga.
Deadites en série
En 2015, Raimi décide de reprendre cette dernière en main avec les trois saisons de la série made in Starz Ash vs Evil Dead dont il réalise le pilote, histoire de montrer que malgré son passage (sa trahison, diront certains) du côté des blockbusters, il n’a rien perdu de son côté sale gosse.
Anges et deadites
Dix ans plus tard (aujourd’hui, donc) entre en scène un nouvel opus qui aura mis un bon bout de temps à prendre forme. Evil Dead Rise est annoncé durant le Comic-Con 2019 pour une sortie programmée directement sur HBO Max en été 2022. Mais la Warner n’ayant cessé de changer de politique – et de direction – suite à la pandémie, le long-métrage est finalement calé pour une sortie mondiale – en salles de chez salles, avec des fauteuils, un grand écran et tout et tout – en avril 2023. À raison, les fantasticophiles sont méfiants et aux aguets. Car ils en ont subi, des suites et des remakes pourris de films fantastiques cultes des années 1970-80 (La Malédiction, Fog, Carrie, Poltergeist… la liste est longue !).
Et voilà qu’un trailer bien méchant, mis en ligne début janvier, met le feu aux poudres. Pour éviter la redite, ce cinquième Evil Dead s’éloigne de la cabane dans les bois pour aller faire un petit tour à Los Angeles. Où une certaine Beth se pointe chez sa sœur aînée Ellie qui, mère célibataire, gère comme elle le peut ses trois mômes dans son appartement pourrave. Suite à un tremblement de terre qui a ébranlé les fondations de l’immeuble, les deux frangines découvrent au sous-sol un vieux livre poussiéreux qui va transformer Ellie en suppôt de Satan. Beth va devoir s’improviser mère-courage de substitution pour protéger ses nièces et son neveu de leur génitrice devenue démone sadique, hystérique et accro à l’arrachage de peau.
– Possession en pleine nature avant le déplacement de l’intrigue en milieu urbain.Lee Cronin, qui a pris de la bouteille quatre ans après son très bof The Hole in the Ground, assure derrière la caméra : il reste techniquement fidèle à la charte Evil Dead (les cadrages tordus) tout en assombrissant l’ambiance avec une photo maladive et blafarde (dans la lignée de celle de L’Exorciste) et en rendant des hommages divers. À Evil Dead 2, forcément (la séquence de l’œil), mais aussi à l’ascenseur sanglant de Shining.
Et le sang, justement, coule à flots. Notamment via l’utilisation enthousiaste d’armes blanches et d’ustensiles de cuisine (cf. la séquence de la râpe à fromage, ustensile déjà employé à mauvais escient dans le méchant Farm House de George Bessudo), et une séquence finale ultra gore versant dans un grand-guignol plus contemporain. Reste que depuis la démocratisation de l’horreur graphiquement explicite (notamment à la télévision avec The Walking Dead), l’impact sur le spectateur n’est clairement plus aussi intense qu’à l’époque du premier Evil Dead, qui avait essuyé les plâtres avec ses déversements de sang non coagulé.
Ce RISE sur le gâteau
Mais ne boudons pas notre plaisir : Cronin signe un film parfaitement dosé entre l’hommage sincère, la réinterprétation maligne et le gore outrancier, et parvient à trouver un équilibre convaincant entre les deux extrêmes de la franchise (l’attitude rigolarde des Raimi et le sérieux imperturbable du Alvarez). Signe des temps, la saga se pare même d’un brin de postmodernisme en incluant dans son univers des caractérisations de personnages et des influences visuelles (une séquence en particulier lorgne du côté de Junji Itô) dans l’air du temps, là où ses précédentes itérations avaient plutôt tendance à fonctionner en vase clos.
L’avenir dira si cette ouverture sur le monde est le signe d’un renouvellement ou du début de la fin. Mais ce qu’on attend avant tout d’un Evil Dead, c’est d’être un film d’horreur qui en jette. Et ce Rise en est un. Merci à lui.
– Par Christophe Lemaire
– Mad Movies #370