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    À l’occasion de la sortie sur Prime Vidéo de la relecture sérielle du Faux-semblants de David Cronenberg, voyons double et penchons-nous sur la figure des jumeaux. Mais plutôt que de revenir sur les films présents dans n’importe quel best of de la gémellité horrifique (du Faux-semblants précité à Basket Case en passant par le récent Goodnight Mommy), il nous a semblé plus opportun de nous attarder sur des titres plus méconnus ou pas assez célébrés. Mais attention aux spoilers !

    Honneur aux anciens, entamons ce voyage dans la gémellité horrifique du côté de la Hammer. Ultime chapitre de la trilogie Karnstein initiée avec The Vampire Lovers et La Soif du vampire, Les Sévices de Dracula (1971) – titre auquel on préférera l’original, Twins of Evil, vu que Dracula n’apparaît pas dans le film – met en scène deux sœurs jumelles bien plus vicieuses que les demoiselles de Rochefort.

    Habituées à une existence oisive dans la cité des Doges, Maria et Frieda, devenues orphelines, sont recueillies par leur oncle Gustav (Peter Cushing), un fanatique religieux qui brûle des jeunes filles suspectées de sorcellerie dans une petite ville autrichienne. Pas du tout disposée à vivre sous le joug d’un tonton puritain, Frieda plonge tête baissée dans la gueule du loup, à savoir celle de l’aristocrate libertin Karnstein, comte de son état. Elle ignore que celui-ci a scellé un pacte avec son ancêtre Carmilla, qui a fait de lui un nosferatu. Bien entendu, Frieda ne tarde pas à subir le même sort.

    Nanti d’une direction artistique qui en met plein la vue et d’une réalisation dynamique signée John Hough (La Maison des damnés), Twins of Evil vaut principalement pour son érotisme gothique (Coppola se souviendra des nuisettes transparentes dans son Dracula), avec en premier lieu la plastique de ses héroïnes incarnées par Mary et Madeleine Collinson, deux vraies jumelles venues de l’île de Malte dont le plus grand fait d’armes est d’avoir posé dans Playboy (aujourd’hui, on a droit à Marlène Schiappa…).

    Maria et Frieda ont beau être parfaitement identiques (ce qui sert de ressort dramatique à plusieurs reprises), elles sont d’un caractère très différent : là où Maria est sage, réservée et romantique (voir sa relation avec le jeune professeur joué par David Warbeck dix ans avant L’Au-delà), Frieda est rebelle, mystérieuse et impulsive, ce qui ne l’empêche pas d’adorer sa sœur et d’être torturée à l’idée que ses pulsions la poussent à la mordre.


    – Martin Potter et Judy Geeson dans Goodbye Gemini.

    D’un point de vue thématique, il s’agit là d’une des productions les plus riches de la Hammer : en effet, difficile de voir dans l’oncle et ses sbires le camp du Bien face à un comte certes décadent mais victime d’une malédiction familiale. Quant à Frieda, elle trouve une vraie liberté en rejoignant les rangs des vampires, au risque de mettre en danger la vie de Maria. Tout l’intérêt du film réside dans cette ambiguïté et dans ces trois personnages, bien plus que dans ceux de Maria et du professeur dont elle s’entiche, plus modérés et donc moins complexes.

    Également réalisé par un habitué de la Hammer (Alan Gibson, à qui l’on doit Dracula 73 et Dracula vit toujours à Londres), Goodbye Gemini (1970) va beaucoup plus loin dans l’aspect sexuel. Étudiants issus d’une famille très aisée, les jumeaux Jackie (Judy Geeson, L’Étrangleur de la place Rillington) et Julian (Martin Potter, Fellini Satyricon) débarquent à Londres et s’installent dans la maison où ils sont censés séjourner. Ou plutôt en prennent possession, puisqu’ils ont tôt fait de se débarrasser de leur propriétaire pour être tranquilles.

    On comprend très vite que sous leurs airs innocents, ni le frère ni la sœur ne sont très équilibrés. Jackie se promène partout avec un ours en peluche qui lui sert de confident et sa relation avec Julian dégage un fort parfum d’inceste, celui-ci ne lui cachant pas être sexuellement attiré par elle.

    En jouant les noctambules dans les clubs de la ville, ils font la connaissance de Clive (Alexis Kanner, le numéro 48 de la série Le Prisonnier), un mac criblé de dettes qui cherche à soutirer de l’argent aux jumeaux. Après l’avoir drogué, il emmène Julian dans un bordel et le prend en photo en train de se faire violer par deux travestis afin de le faire chanter. Mais on ne s’en prend pas impunément à des jumeaux psychopathes…


    – Daphne Zuniga dans Vœux sanglants.

    Goodbye Gemini prend pour toile de fond le Swinging London de la fin des sixties pour raconter une histoire d’amour méchamment tordue prenant place dans un milieu underground queer rarement décrit à l’époque. Cette modernité thématique se reflète dans une mise en scène stylisée riche en angles de caméra audacieux mis en valeur par la photographie du grand Geoffrey Unsworth (2001, l’odyssée de l’espace).

    Film étrange, plus suggestif que démonstratif – ce qui ne l’empêche pas de laisser une forte impression –, Goodbye Gemini est certes un peu daté mais reste un modèle de romantisme déviant.

    MEURTRES EN CASCADE

    Terrain de jeu idéal des twists improbables, le slasher s’empare avec délices de la figure des jumeaux. Dans Vœux sanglants (The Initiation, 1984), Kelly (Daphne Zuniga, La Mouche 2), amnésique depuis qu’elle a été blessée à la tête lorsqu’elle avait neuf ans, vient d’entrer à l’université et souffre de cauchemars récurrents où elle voit un homme brûler vif dans la maison de son enfance.

    Contre l’avis de ses parents, elle décide de se livrer à une expérience menée par un séduisant professeur (James Read, le pote de Patrick Swayze dans Nord et sud), laquelle est censée lui permettre de comprendre la signification de ce rêve. Entre deux séances, elle se prépare à effectuer avec quelques camarades un rituel d’initiation dans le but d’intégrer la sororité de sa fac. Ledit rituel consiste à pénétrer par effraction dans une sorte de Galeries Lafayette texan dont son père est propriétaire et à voler l’uniforme du veilleur de nuit.

    Pendant ce temps, à plusieurs kilomètres de là, l’infirmière en chef d’un asile est assassinée et des patients s’échappent. Ce n’est que le premier d’une série de meurtres dont le père et les amis de Kelly sont à leur tour victimes. À la fin de l’histoire, l’héroïne se retrouve face à l’auteur du massacre qui n’est autre que Terry, une sœur jumelle maléfique qu’elle n’a jamais connue puisqu’elle était enfermée dans l’asile.


    – Deborah Foreman dans Week-end de terreur.

    Seule qualité du film : il est littéralement impossible de voir venir ce twist sorti de nulle part puisque les raisons qui poussent Terry à dessouder tout le monde à l’aide d’un arsenal allant de l’outil de jardinage au harpon en passant par un arc sont assez nébuleuses. La scène où les sœurs se rencontrent enfin donne par ailleurs l’occasion à Daphne Zuniga de jouer la folie avec une étonnante économie de moyens : elle gesticule en écarquillant les yeux et en faisant des grimaces tout en s’esclaffant très fort. Effet comique garanti.

    Dans Week-end de terreur (April Fool’s Day, 1986), des étudiants sont invités à venir passer le spring break dans le manoir des parents de leur amie Muffy (Deborah Foreman, Waxwork) sur leur île privée. Mais l’affaire s’engage plutôt mal : à peine sont-ils arrivés qu’un des marins qui les accompagne lors de la traversée est grièvement blessé dans un accident.

    Une fois installés, ils sont victimes de quelques poissons d’avril imaginés par Muffy. Rien de bien méchant, jusqu’à ce que les invités commencent à être massacrés les uns après les autres et qu’on retrouve la tête de Muffy dans la cave. Comme dans Vœux sanglants, on apprend alors que Muffy a une jumelle prénommée Buffy (!) : échappée d’un asile, elle a tué tout le monde en se faisant passer pour sa sœur après avoir décapitée cette dernière.

    C’est du moins ce qu’on essaie de nous faire croire, puisque le film nous révèle que tout cela n’est qu’une énorme farce et la répétition générale d’une pièce de théâtre grand-guignol dont les participants ont été mis dans la confidence au fur et à mesure de leur prétendu trépas.

    Tous les codes du slasher étant respectés – voire carrément parodiés sans qu’on s’en rende compte –, la manipulation du spectateur est totale et fonctionne du tonnerre, soutenue par des « meurtres » bien sentis (mention à la victime pendue par les pieds qui se balance au bout d’une corde et ne peut échapper aux morsures d’un serpent) et le talent du réalisateur Fred Walton (Terreur sur la ligne) pour créer une atmosphère de plus en plus stressante, épaulé par un score au diapason signé Charles Bernstein.


    – Mark Soper dans Blood Rage.

    Passé complètement inaperçu en raison d’une sortie repoussée quatre ans durant alors que le slasher était en train de tourner de l’œil, Blood Rage de John Grissmer (1987) possède un point de départ stimulant : gamin, Terry a assassiné un adolescent et a laissé accuser son frère jumeau Todd, qui n’a pas supporté la pression et a sombré dans un état catatonique. Enfermé dans un asile depuis dix ans (c’est fou ce qu’il peut y avoir comme jumeaux dans ce genre d’établissements), ce dernier réussit à s’évader.

    Devenu entre-temps le fils chéri de leur maman (Louise Lasser, Mort sur le gril), Terry (Mark Soper, Côte ouest) y voit l’occasion rêvée pour recommencer à tuer puisque tout portera à croire que Todd (Mark Soper, Côte ouest, suivez un peu) est le coupable.

    Et il ne fait pas les choses à moitié, puisque Blood Rage aligne un bodycount impressionnant tandis que la mère des jumeaux perd peu à peu la raison. Sa relation avec Terry constitue d’ailleurs l’aspect le plus réussi du film, le jeune homme souffrant de toute évidence d’un sacré complexe d’Œdipe puisque voir sa maman avec des hommes (elle n’est ni très farouche ni très pudique) déclenche immanquablement chez lui des envies de meurtre.

    Il était déjà question de pulsions incestueuses et de gémellité dans Scalpel (False Face, 1977), le film précédent du réalisateur, où un chirurgien esthétique veuf et psychopathe (Robert Lansing, L’Empire des fourmis géantes) refait le visage d’une strip-teaseuse défigurée par son mac pour qu’elle ressemble à sa propre fille (Judith Chapman, Les Feux de l’amour). Celle-ci a en effet fui sa maison après que son père l’a surprise en train de faire l’amour avec son petit ami et a tué ce dernier.


    – Judith Chapman dans Scalpel.

    S’il n’est pas question ici de vraies sœurs jumelles, il n’empêche que le docteur enseigne à sa protégée tout ce qu’il peut pour qu’elle devienne la copie conforme de son enfant, non seulement dans le but de toucher une part de l’héritage destiné à la jeune femme, mais aussi de la mettre dans son lit pour enfin vivre son fantasme pervers.

    Son plan se déroule comme prévu jusqu’à ce que sa vraie fille refasse surface… Si Blood Rage reste plaisant à suivre, mais arrive un peu après la bataille et ne s’anime vraiment que lors des meurtres, Scalpel n’a rien à envier aux giallos de machination les plus tordus du bis italien ; il est donc fort regrettable que la carrière de John Grissmer se soit résumée à ces deux films et qu’il se soit tourné vers l’enseignement.

    Quant à Bo et Vincent, les jumeaux de La Maison de cire (House of Wax, 2005), ce sont des siamois qui ont été séparés à la naissance, l’opération laissant Vincent affreusement défiguré. Pourtant, le plus sadique des deux est Bo, qui a gardé une apparence normale et manipule son frère pour l’aider à remplir le musée qu’ils ont hérité de leur mère avec des cadavres de touristes plongés dans la cire. Dans la dernière scène, on comprend que les jumeaux étaient en fait des triplés. Premier film de l’honorable artisan Jaume Collet-Serra, La Maison de cire est aussi son meilleur.

    TWISTED SISTERS

    American Mary (2012) a beau ne pas être centré sur la gémellité, ce récit de body horror – qui ressemble à ce qu’aurait pu donner un épisode de Nip/Tuck réalisé par Clive Barker – mérite amplement sa place dans cette liste. En effet, l’étudiante en médecine héroïne du film (Katharine Isabelle, Ginger Snaps) pratique des opérations de chirurgie plastique illégales pour arriver à payer son loyer.


    – Brian Van Holt dans La Maison de cire (2005).

    Elle opère par exemple l’amie d’une strip-teaseuse qui a modifié son apparence pour ressembler à Betty Boop (avec un résultat assez terrifiant) et souhaite qu’on lui retire les seins, ses organes génitaux et qu’on lui couse l’utérus pour ressembler à une poupée Barbie.

    Parmi ses patients, on trouve également deux jumelles gothiques qui se promènent avec des cavités creusées dans la chair et des dents limées. Venues de Berlin, elles souhaitent qu’on les ampute du bras gauche afin d’être collées l’une à l’autre. Un double rôle qui a ceci de particulier d’être interprété par les réalisatrices du film, les sœurs Jen et Sylvia Soska, à qui l’on doit le récent Rage, remake du film de David Cronenberg.

    De son côté, Ryan Murphy semble avoir un faible pour les jumeaux, comme en attestent plusieurs saisons de la série American Horror Story. Dans la première, Murder House, ce sont deux frères, Troy et Brian, qui s’introduisent dans la maison maudite : assassinés par Infantata, le bébé mort-vivant qui occupe les lieux, ils deviennent des fantômes condamnés à errer dans la demeure et à faire peur à ceux qui la visitent ou s’y installent – un peu comme des versions masculines des jumelles Grady de Shining.

    À la fin de la saison, Connie Britton donne naissance à des jumeaux mais seul l’un des deux survit (et deviendra l’Antéchrist). Dans la saison 4, Freakshow, Dot et Bette (Sarah Paulson) sont des siamoises avec deux têtes et un seul corps kidnappées par le psychopathe Dandy, ravi d’avoir sous la main deux filles pour le prix d’une…


    – Lisa et Louise Burns se préparent pour une prise durant le tournage de Shining.

    DEAD OR ALIVE

    Dans la famille des jumeaux imaginaires mais pas complètement, La Part des ténèbres (The Dark Half, 1993) mérite mieux que sa réputation peu flatteuse.

    Thad Beaumont est un romancier qui ne connaît le succès que lorsqu’il écrit des romans d’horreur sous le pseudonyme de George Stark. Prisonnier de cet auteur imaginaire qui lui pèse, il décide de faire croire à sa mort, mais Stark se manifeste sous une forme physique identique à celle de Thad et assassine plusieurs personnes de son entourage.

    Suspecté des meurtres suite aux relevés d’empreintes effectués par la police, Thad apprend que Stark n’est pas qu’une invention puisqu’il s’agit de son frère jumeau parasite, mort lorsque sa mère a accouché et ressuscité par ses romans. Mais l’état de Stark se dégrade et le seul moyen pour lui de ne pas retourner au néant est de forcer Thad à écrive un livre le décrivant comme un être réel.

    Après une lutte à mort entre les jumeaux, Stark sera emporté par une nuée d’oiseaux psychopompes, des créatures issues de la mythologie qui viennent chercher les âmes de ceux dont l’existence défie l’ordre naturel.

    Sans être un sommet de l’œuvre de George Romero – et loin de valoir le roman de Stephen King dont il est tiré –, le film bénéficie d’une ambiance parfois glaçante, de l’interprétation habitée de Timothy Hutton et d’une des musiques les plus incantatoires de Christopher Young.

    Un peu oublié dans la filmo de Brian De Palma car occulté par ses réussites ultérieures, Sœurs de sang (Sisters, 1972) reste pourtant difficile à surpasser dans le sous-genre qui nous occupe.


    – Timothy Hutton dans La Part des ténèbres.

    Jeune mannequin douce et séduisante, Danielle Breton (Margot Kidder) ramène chez elle un homme qu’elle poignarde après une nuit d’amour. Témoin de la scène depuis sa fenêtre, sa voisine journaliste avertit la police mais le corps reste introuvable.

    En menant son enquête, elle découvre que Danielle avait une sœur siamoise, Dominique, morte lors d’une opération de séparation qui a mal tourné. En faisant revivre sa jumelle, Danielle trouve le moyen de concentrer sa part d’ombre – sa défunte sœur, donc – et de l’exorciser en tuant, même si elle ne garde aucun souvenir du meurtre puisqu’elle ne pense pas l’avoir commis.

    Le récit ne dit jamais vraiment si l’héroïne souffre d’un trauma schizophrénique ou si Dominique est vraiment un être maléfique qui a infecté Danielle. C’est ce qui fait toute la force de ce thriller furieusement hitchcockien où le génie du cinéaste explose dans chaque scène impliquant Margot Kidder, la future Lois Lane livrant une performance inoubliable, à la fois émouvante et malsaine.

    La frénésie gothique de la musique de Bernard Herrmann achève de faire de Sœurs de sang une pièce maîtresse du genre, forte d’un twist qui peut paraître aujourd’hui très prévisible, mais qui produisit un effet tétanisant à l’époque.

    En 2006, Douglas Buck livrera avec Sisters une relecture finalement plus proche de la body horror chère à Cronenberg que du film de De Palma, pour un résultat moyennement convaincant en raison d’une mise en scène sans relief et d’un casting aux fraises.

    EVIL BRO

    Mais le film le plus mémorable ayant trait au côté obscur de la gémellité reste sans aucun doute L’Autre (The Other, 1972), sur lequel il convient de s’attarder quelque peu.

    Produit et adapté par l’auteur Tom Tryon de son propre roman et réalisé par Robert Mulligan (Du silence et des ombres), le film se passe dans l’Amérique rurale des années 1930 et s’intéresse à des frères jumeaux âgés de dix ans, Niles et Holland (Chris et Martin Udvarnoky), qui vivent dans une ferme du Connecticut.

    Depuis la mort de leur père dans un mystérieux accident, leur mère (Diana Muldaur, Star Trek : la nouvelle génération) a sombré dans la dépression et ne quitte plus sa chambre, tandis que leur grande sœur Torrie (Jenny Sullivan, V) est allée habiter un peu plus loin avec son mari (John Ritter).


    – Margot Kidder en double dans Sœurs de sang.

    Si leur oncle est venu prendre la direction de la ferme familiale, c’est de leur grand-mère Ada (Uta Hagen, Ces garçons qui venaient du Brésil) que les jumeaux sont les plus proches. En particulier Niles, à qui la vieille dame a enseigné un « jeu » qui, selon elle, est une tradition familiale. Celui-ci consiste à se concentrer pour faire un voyage astral dans le corps d’autres créatures vivantes.

    Interdits de séjour dans la cave où leur père a trouvé la mort, les jumeaux tentent pourtant d’aller y jouer, mais leur cousin Russell les surprend et menace de les dénoncer. Holland cache alors une fourche dans une botte de foin et Russell finit empalé sous les yeux horrifiés de Niles, qui n’ose pas trahir son frère. Mais Holland ne va pas s’arrêter en si bon chemin…

    Inondé par une atmosphère solaire de romantisme gothique que magnifie la photographie du grand Robert Surtees (qui retrouve ici le chatoiement pastoral de L’Arbre de vie), porté par un score à la fois bucolique et anxiogène de Jerry Goldsmith, L’Autre réussit l’exploit d’être à la fois un thriller psychologique asphyxiant et un film d’horreur pur et dur riche en symboles : l’animal dans lequel Niles projette son esprit est un corbeau et donc un charognard, le garçon se retrouve piégé parmi les freaks d’une fête foraine, le blason familial représente un oiseau de proie…

    Autant de signaux qui se doublent d’éléments issus du conte de fées : ainsi, il est question d’une bague maudite, Ada est montrée comme une bonne fée aveugle au Mal qu’elle a sous les yeux et la mère des jumeaux comme une princesse évanescente prisonnière d’un donjon.

    D’abord langoureux et rassurant, le rythme du film ne cesse de se resserrer et son découpage de s’assécher, jusqu’à créer une sensation d’urgence et de peur panique. Celle-ci culmine dans un twist que Mulligan révèle dans un mouvement de caméra presque sensuel, dont la volupté tranche avec le reste de la mise en scène, mais qui fait écho au seul autre moment du récit où le cinéaste joue sur l’élégance formelle, à savoir une séquence de vol astral dont le lyrisme donne le vertige.

    Au-delà de sa formidable réussite esthétique, L’Autre peut aussi se voir comme un film jumeau de Psychose et annonce à bien des égards La Malédiction. Productrice du film, la Fox confiera d’ailleurs la musique du chef-d’œuvre satanique de Richard Donner à Goldsmith. Mais le rapport entre l’enfance et le Mal reste beaucoup plus subtil dans L’Autre, grâce à une approche plus psychanalytique que purement fantastique.


    – Chris Udvarnoky, l’un des deux jumeaux du troublant L’Autre.

    Le film doit aussi forcément beaucoup à Tom Tryon. Ancien acteur, celui-ci n’a jamais caché son goût pour les marginaux et a fait son coming-out après un mariage raté, à une époque où la pratique n’était pas vue d’un très bon œil à Hollywood. Il continuera de signer des romans d’épouvante dont les thématiques en disent long sur la personnalité torturée du bonhomme.

    Il est d’ailleurs permis de voir dans le voyage astral effectué par Niles une métaphore du travail d’acteur effectué par Tryon avant qu’il ne s’oriente vers l’écriture, et de deviner les angoisses que ce refoulement provoquait chez lui.

    Professeur d’art dramatique de Tryon, Sanford Meisner lui enseigna d’ailleurs une méthode consistant à sortir de soi-même en utilisant son imagination. Exactement comme Niles qui, guidé par Ada, projette son énergie dans quelqu’un d’autre. Ce qui lui permet en réalité de plonger en lui-même et de trouver des choses enfouies qu’il ne peut atteindre lorsqu’il est « éveillé », et donc conscient de son propre corps.

    Le danger réside alors dans le fait de mélanger sa personnalité avec celle de son hôte, au risque de perdre son identité alors qu’elle est à peine forgée – l’absence du père n’aidant pas le jeune garçon à « devenir un homme ». À ce titre, L’Autre est autant un film sur le deuil que sur la gémellité ou la schizophrénie.

    On loue d’ailleurs plus souvent la sensibilité de Mulligan que ses qualités de metteur en scène, alors que c’était un cinéaste admirable. Il suffit de voir avec quelle aisance il parvient à ne jamais inclure Niles et Holland dans le même plan tout en donnant l’impression qu’ils sont toujours filmés ensemble – un véritable tour de magie opéré par la grâce d’un montage à la fluidité invisible mais bluffante.

    L’Autre est un cauchemar minéral obsédant qui éclipse la plupart des films d’épouvante et donne l’impression de voir du Stephen King adapté par le Vincente Minnelli de Celui par qui le scandale arrive, à ceci près que l’époque où se déroule le film (la Grande Dépression) ne semble avoir nulle prise sur les événements, comme si la ferme des jumeaux se situait dans une forme de dimension parallèle. Une impression tenace, qui rend L’Autre à la fois insaisissable et envoûtant, séducteur et maléfique. Voilà un film qui possède le charme du Diable.

    FAUX-SEMBLANTS LA SÉRIE

    Nouvelle adaptation du roman ayant inspiré le chef-d’œuvre de David Cronenberg, cette série produite par Prime Vidéo et chapeautée par Alice Birch (The Wonder) choisit le gender swap pour livrer un propos féministe axé sur la maternité, là où le film était basé sur l’autodestruction des jumeaux Elliot et Beverly Mantle et leur exploration du corps des femmes.

    Les frères deviennent donc des sœurs gynécologues qui cherchent à faire avancer la science dans le domaine de l’accouchement et de la ménopause, et qui concluent un pacte avec une milliardaire cupide pour ouvrir leur labo. L’une de leurs idées les plus intéressantes est de retirer des tissus de l’utérus de jeunes femmes pour ensuite leur regreffer à l’âge de 40 ans, afin qu’elles puissent enfanter sans problème et retrouver une libido de lolita. Malheureusement, cet aspect n’est jamais développé, pas plus que d’autres pistes narratives qui disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues.

    Le récit, où tous les hommes sont soit des lâches, soit des faibles, soit des porcs, préfère se concentrer sur la relation entre Beverly, introvertie, douce et studieuse, et Elliot, toxico, vulgaire, rebelle et un brin nympho. Comme chez Cronenberg, une actrice vient se mettre entre les jumelles et mettre en péril leur existence fusionnelle.

    Confiée à Sean The Nest Durkin (également producteur) ou encore Karyn Jennifer’s Body Kusama, la mise en scène ne décolle jamais et patauge dans des tunnels de dialogues censés choquer le bourgeois, tandis que Rachel Weisz surjoue Elliot et sous-joue Beverly avec une absence de nuances assez sidérante.

    Mieux vaut donc se replonger dans l’atmosphère funèbre et asphyxiante du Cronenberg et revoir la fabuleuse interprétation de Jeremy Irons plutôt que s’infliger cette nouvelle version mécanique et désincarnée, qui donne l’impression qu’Alex Garland et Yorgos Lanthimos ont accouché d’un prématuré conçu un soir de cuite.

    –Par Cédric Delelée.
    – Merci à Maeva Corbel.
    – Mad Movies #372