[Critique] Project Wolf Hunting : siège en haute mer
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Des flics et des prisonniers évadés qui se livrent un combat à mort dans les entrailles d’un énorme cargo, c’est cool. Mais quand une science-fiction barbare s’en mêle, on tient un nouveau sommet de l’actuel résurgence du cinéma gore.
« Il se passe vraiment quelque chose du côté du gore » écrivait récemment votre serviteur à propos des sorties récentes de The Sadness et Terrifier 2. OK, les vieux singes vous diront avec raison que cela fait 60 ans que des déluges d’hémoglobine et de tripaille viennent éclabousser périodiquement les écrans : voir l’invention du genre par Herschell Gordon Lewis, un début des années 1980 où Italiens et Américains se sont tiré la bourre à coups de cannibales et de zombies, les incontrôlables Category Ill d’un cinéma hongkongais en phase terminale, l’approche parodique du Peter Jackson première manière, etc. De plus, entre ces emballements ponctuels, le gore n’a jamais totalement disparu. Cependant, on avait fini par croire qu’il avait été définitivement relégué dans la niche des séries Z.
C’était compter sans l’arrivée inopinée de la vague actuelle, à laquelle Projet Wolf Hunting ajoute un morceau de taille. À vrai dire, le film de Kim Hong-sun ne recèle pourtant pas la même originalité que ses prédécesseurs. The Sadness se distinguait par des infectés conscients de leurs méfaits et animés par la rancune, tandis que Terrifier 2 marquait par la création d’un méchant emblématique et par un climat cauchemardesque qui prenait une dimension mythologique. En un sens, Projet Wolf Hunting est plus basique, mais son caractère énervé n’en a pas moins de quoi secouer les sensibilités des tenants du bon goût en général, et les défenseurs raffinés de l’« elevated horror » en particulier.
– Lee Da-yeon (Jung So-min) une femme flic bien déterminée à survivre à cette traversée cauchemardesque.GORE À FORTE INTENSITÉ
La bonne astuce est peut-être d’inscrire d’abord l’histoire dans un contexte réaliste, voire géopolitique. Si l’on en croit le début du film, les Philippines ont longtemps été un refuge pour les mafieux tatoués coréens en délicatesse avec la justice, jusqu’à ce qu’un accord d’extradition soit signé entre les deux pays. Cependant, une première tentative de rapatriement vire à la catastrophe : dans l’aéroport de Manille, la victime d’un escroc se venge en se faisant exploser, tuant plusieurs policiers au passage. Les autorités de Séoul changent donc de méthode, faisant discrètement embarquer des dizaines de prévenus dans un cargo gardé par une escouade de flics. Vous l’avez deviné, grâce à des complicités internes, les malfrats parviennent bientôt à se libérer, et s’ensuit une bataille rangée avec les geôliers dans les coursives du rafiot. Le spectateur se dit alors qu’il va assister à une œuvre du genre de The Raïd, et ce n’est pas entièrement faux. En particulier, une fusillade dans l’espace étroit du poste de commande est emballée de manière ébouriffante. Et de manière générale, le réalisateur-scénariste se dépatouille brillamment des deux heures de durée, en parvenant à singulariser une foule de personnages (notamment certains criminels, à la jolie caractérisation de psychopathes irrécupérables) et en tressant ensemble des actions situées en divers endroits du cargo, par la grâce d’un montage affûté. Pour autant, Projet Wolf Hunting possède son identité propre, ou plutôt très sale, du fait de l’emploi immodéré du gore.
Aux armes à feu, les évadés préfèrent les lames aiguisées et les empoignades faisant jaillir des torrents de sang, avec une prédilection quasi pathologique pour les crânes éclatés à coups de crosse et autres objets contondants. C’est toutefois sur ce point que les détracteurs du film ont émis des réserves, en notant que l’auteur avait paresseusement négligé de varier les dispositifs des effets gore. Pour nous la péter un peu, nous répondrons que la méthode ici adoptée n’est pas extensive, mais intensive. Ce que nous voulons dire par là, c’est qu’au lieu d’inventer mille et une manières de tuer son prochain (ce qui aurait été très bien aussi), Kim Hong-sun procède par accumulation. Les membres arrachés et les occiputs fracassés se succèdent à un rythme tellement effréné que le spectateur n’a pas le temps de s’en lasser, ayant lui-même l’impression de se prendre une bastonnade continue sur le sommet de la tête. Bref, c’est précisément par leur répétition que ces joyeusetés finissent par projeter le film dans le délire total. Et d’ailleurs, n’est-ce pas là la dimension foncièrement obsessionnelle du gore ? En tout cas, il faut dire que le délire en question a d’autres sources…
– Le policier Lee Seok-woo (Park Ho-San) en pleine empoignade avec le gangster psychopathe Park Jong-doo (Seo In-guk)PERTURBATIONS SF
En effet, il y a des choses que nous avons escamotées dans le résumé ci-dessus. D’une part, le médecin véreux embarqué sur le rafiot a une autre mission, secrète : il descend dans les soutes pour y trouver un humanoïde en état de décomposition, sorte de cadavre vivant à qui il fait une injection sous l’œil goguenard de machinistes aux airs de voyous. D’autre part, les agents supervisant l’opération depuis la Corée ont la surprise d’être virés du poste de contrôle par des membres des services spéciaux, aux attributions peu claires. Tout cela débouche sur l’irruption d’une facette science-fictionnelle qui va faire office d’élément perturbateur dans l’affrontement déjà dramatique entre flics et criminels, en en augmentant encore le chaos, l’incertitude -et, aussi incroyable que cela paraisse, la surenchère dans le sanguinolent, qui atteint dès lors des sommets à peine croyables. Mais n’allez pas croire pour autant que le film se complaise dans le bourrin.
En fait, le récit gagne une épaisseur carrément inattendue. L’intrusion du fantastique entraîne des révélations fracassantes sur la véritable nature de certains personnages, répartis dans les différents camps en présence. Et de manière plus large, l’histoire se fait romanesque en spéculant sur des événements qui se seraient produits en divers points de l’Asie du Sud-Est pendant le siècle écoulé. Le spectateur médusé a ainsi l’impression d’être catapulté sans crier gare au milieu d’une série de bandes dessinées ultra violentes, dont les ramifications vont loin dans l’espace et le temps. De fait, avec ses séquences en flash-back et sa fin ouverte, Projet Wolf Hunting pourrait donner lieu à de nombreuses suites et boutures, situées à diverses époques et en différents coins de l’Extrême-Orient. Et si jamais c’était le cas, nous en serions ravis, Car nous sommes parés pour de nouveaux bains de sang.
– Par Gilles Esposito
– Mad Movies #368 -
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En tout cas j’ai beaucoup aimé cette ininterruption de violence et d’action, ça décède dans tous les sens (la scène dans le post de contrôle est bien marrante) et les 2h filent très vite. Quand tu crois que tout est fini, l’aspect SF relance la machine et c’est bienvenue. J’aime bien aussi la fin ouverte
Le déluge d’hémoglobine ne plaira pas aux vieux singe comme le stipule la critique mais comme avec The Sadness, ça fait du bien de revoir ce genre de films sur nos écrans, ça veux dire qu’il reste de l’espoir. Par contre, c’est violent mais pas si gore. Terrifier 2 va bien au delà niveau gore avec ses meurtres étendus jusqu’à plus soif.
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