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    Que l’on aime ou non la trilogie de Green, celle-ci affiche une vision politisée devenue bien trop rare dans le cinéma d’horreur…

    Quatre années se sont écoulées depuis le second massacre de Haddonfield, au terme duquel Michael Myers s’est évanoui sans laisser la moindre trace. Ayant fait le deuil de sa fille Karen, Laurie Strode a abandonné les armes et tourné le dos à la peur. Elle s’est acheté un nouveau pavillon où elle subvient aux besoins de sa petite fille Allyson, devenue infirmière dans la clinique locale. Un jour, Laurie croise le chemin de Cory, un jeune mécanicien soupçonné d’avoir commis un crime atroce à l’adolescence et harcelé depuis par les habitants de la ville. S’interposant avant qu’il ne soit lynché par un groupe de jeunes, Laurie décide de présenter Cory à Allyson…

    Si Michael Myers brille par son absence dans ce synopsis, le fameux tueur au masque de William Shatner n’en projette pas moins son ombre sur l’ensemble du long-métrage. Myers se répand dans la dramaturgie tel un poison invisible, contaminant par la peur et la paranoïa une ville qui n’a jamais pu refermer le chapitre le plus lugubre de son Histoire. Ironiquement, le trauma de Laurie Strode s’est lui aussi propagé tel un virus à travers la population de Haddonfield, qui associe désormais l’agresseur et sa victime et ne leur réserve qu’une montagne de haine.

    Un protagoniste idéal

    Outre sa volonté d’inverser les codes de la saga (le baby-sitter serait-il cette fois-ci coupable ?), le prologue de Halloween Ends laisse entrevoir d’autres possibilités créatives. Un peu comme si le premier opus de Carpenter et le troisième signé Tommy Lee Wallace avaient engendré un avorton hybride, à la fois parfaitement intégré à la ligne narrative globale et suffisamment décalé pour réserver son lot de surprises.


    Allyson (Andi Matichak), la petite-fille de Laurie Strode (Jamie Lee Curtis), et l’énigmatique Corey (Rohan Campbell).

    Interprété par un Rohan Campbell Rohan Campbell magnétique, dont les traits renvoient à Michael Rooker et Willem Dafoe du temps de leur jeunesse, Cory captive immédiatement par son ambiguïté et sa vulnérabilité, des traits de caractère que David Gordon Green et ses trois coscénaristes (Danny McBride, Chris Bernier et Paul Brad Logan) additionnent aux traumas et aux repères fragiles d’Allyson.

    Dans leurs interactions, mais aussi dans les quelques échanges entre Jamie Lee Curtis et Will Patton, on reconnaît le naturalisme de Joe et Stronger (une autre quête post-traumatique), tandis que d’autres séquences s’inscrivent dans une esthétique plus hollywoodienne, déjà explorée dans Que le meilleur gagne et Délire express.

    Ruptures de ton

    Comme le laissait entendre la série Red Oaks, qui mettait à égalité Aliens, le retour et la Nouvelle Vague, David Gordon Green s’épanouit avant tout dans le mélange des genres et les juxtapositions tonales. Halloween Ends le démontre avec plus ou moins de bonheur, le cinéaste poussant parfois ses curseurs jusqu’au point de rupture. Tout en s’efforçant de dresser un portrait crédible de Haddonfield, commenté par une voix off à la limite du film d’auteur archétypal, Green accumule les jump scare presque cartoonesques, par exemple lorsque Rohan Campbell apparaît soudainement dans le dos de Jamie Lee Curtis en plan large, choc sonore à l’appui.

    L’inévitable jeu des références est lui aussi bicéphale. On a droit d’une part à des citations directes de John Carpenter : des extraits de The Thing constellent l’ouverture, une séquence dans une casse automobile emprunte quelques cadres et éclairages à Christine, et les fameux plans fixes sur des intérieurs vides qui concluaient le Halloween de 1978 sont repris ici, cette fois-ci de jour. Dans le même temps, on sent une volonté de s’aventurer sur des terrains moins confortables que ceux du slasher lambda, Green lorgnant discrètement sur des classiques tels que Henry, portrait d’un serial killer ou La Balade sauvage.

    Cette pluralité tonale n’est pas surprenante pour un film écrit à huit mains, mais elle n’annule en aucun cas la richesse thématique de l’œuvre. Et si la personnalité potache de Danny McBride peut se reconnaître dans une poignée de séquences (le meurtre du médecin et de son assistante, au hasard), ou dans des idées horrifiques teintées d’un humour extrêmement noir (cf. la langue sur le tourne-disque), Halloween Ends prête rarement à rire.


    Les habitants de Haddonfield subissent à nouveau les assauts sauvages de The Shape…

    Divisant par deux le bodycount de l’épisode précédent (qui atteignait tout de même les 30 mises à mort, un record probable dans le genre), le film cristallise la mélancolie et les frustrations de l’Amérique actuelle et justifie d’autant plus la scène de lynchage tant décriée du second opus.

    Comme évoqué dans l’interview de Jamie Lee Curtis, la trilogie révèle avec ce dernier chapitre un commentaire politique assez complexe, qui amène Green à questionner le rapport de ses concitoyens aux armes, à l’autodéfense, à la justice et plus généralement à l’autre. Personne n’est ici réellement innocent ; en dépit de bonnes intentions, c’est après tout Laurie qui déclenche de nouveau la mécanique du Mal en tendant un couteau à cran d’arrêt à une victime d’agression.

    Attention SPOILERS

    Brouillant en permanence la moralité de ses protagonistes, Halloween Ends fait de Michael Myers un catalyseur dont l’aura suffit à éveiller les plus vils instincts d’une communauté qui pourrait, en d’autres circonstances, couler des jours paisibles. Métaphoriquement, Green et ses coauteurs semblent rapprocher cet être sans visage d’un dictateur déchu dont l’influence continue de s’étendre grâce à la brutalité de ses actes passés.

    La procession finale, terriblement malaisante, appuie cette idée, la désintégration du corps rappelant la volonté du gouvernement américain de faire disparaître la dépouille d’Oussama Ben Laden. Cette « libération sans victoire » convoque clairement les fantômes d’une nation qui, suite au 11 septembre, n’a jamais vraiment su se reconstruire, et permet d’accepter un climax volontairement anti-spectaculaire. On conseillera à quiconque en ressortirait frustré de revisiter Halloween, 20 ans après de Steve Miner, un slasher autrement plus direct, ludique et codifié, mais qui avait moins de choses à dire sur son époque…

    Par Alexandre Poncet

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    Aussi vénérée que Sigourney Weaver par les amateurs de cinéma de genre, Jamie Lee Curtis s’était exprimée pour la dernière fois dans nos pages en novembre 1998, à l’occasion de la sortie de Halloween, 20 ans après. Nous avons profité de sa venue en France pour discuter des enjeux de Halloween Ends et de la vision de David Gordon Green, tout en revenant sur les moments forts d’une carrière qui, de À couteaux tirés à Everything Everywhere All at Once, continue de nous surprendre.

    Je dois vous l’avouer : je vous ai découverte dans Un fauteuil pour deux quand j’avais à peine huit ans.

    Si ce sont les premiers seins que vous avez vus dans votre vie, c’est parfait. Je suis heureuse que ce soient les miens. (rires)

    Ce sont les premiers qui m’ont marqué au cinéma ! Mais dans les années 1980, en France, on avait quand même pas mal de pubs où des filles dénudées se caressaient avec du gel douche.

    Ah, aux États-Unis, on était loin d’avoir ça ! C’était plutôt « ban the nipple ». On est en train de parler de nichons, là, n’est-ce pas ?

    Oui, on vient de commencer notre entretien avec ça. Pourquoi pas !

    (rires) Vous savez pourquoi je suis dans Un fauteuil pour deux ? John Landis réalisait un court documentaire sur le cinéma d’horreur composé de bandes-annonces des années 50. Ça s’appelait Coming Soon. Il avait besoin de quelqu’un pour s’occuper de la narration et il m’a appelée. À l’époque, j’étais la Scream Queen ! Je ne l’avais jamais rencontré auparavant. J’ai travaillé quatre jours sur le projet, dans le backlot d’Universal Studios. Le texte était très descriptif, il y avait un peu de dialogues…

    Mais clairement, quelque chose s’est passé à ce moment-là. John a senti quelque chose de drôle à mon sujet. Quand ils castaient Un fauteuil pour deux, il est allé voir Paramount pour leur dire : « Pour le rôle féminin, vous êtes prévenus, j’engage Jamie Lee Curtis. ». Ils étaient là : « Attendez… Quoi ? Bien sûr que non ! ». Ils n’étaient pas contents du tout, mais John a eu gain de cause. Rendez-vous compte : je dois ma rencontre avec John, donc une grande partie de ma carrière, au cinéma d’horreur ! Si je n’avais pas joué dans Halloween et tout ce qui a suivi, je n’aurais pas narré ce documentaire. Et sans Coming Soon, je n’aurais jamais fait Un fauteuil pour deux. Je ne remercierai jamais assez John ; il a changé ma vie.

    Parlons un peu de Halloween Ends.]*** David Gordon Green dépeint une Amérique très crédible. Le film parle de la manière dont la paranoïa, la haine et la peur peuvent s’emparer d’une population à la manière d’un virus. Ce n’est pas la première fois qu’on vous retrouve dans un film traitant de ce sujet. Même dans une comédie comme À couteaux tirés, il y a une dimension sociale et politique très importante. Avez-vous contribué à rendre la trilogie de David Gordon Green aussi subversive que possible ?

    Je pense avoir eu une influence limitée, mais ce sont évidemment des sujets qui me tiennent à cœur. Quand je serai morte et quand vous serez plus vieux, vous reverrez cette trilogie comme une œuvre socialement et politiquement très puissante. Elle est avant-gardiste, à mon avis ; David Gordon Green et Danny McBride ont fait preuve d’une prescience étonnante et pourtant, aucun d’eux n’est un militant politique.

    En 2016, ils ont écrit un script qui parle de rage et d’émancipation féminines. C’est devenu un sujet absolument énorme deux ans plus tard ! Avec le second opus, ils se sont intéressés à l’indignation sociale et à la violence des foules, et on a vu ça se concrétiser avec l’invasion du capitole. Halloween Ends parle du poison de la colère et de paranoïa, et ça ne pourrait pas être plus actuel. Nous vivons dans un monde terriblement divisé. On vient de le voir avec l’élection d’un parti néo-fasciste en Italie. On ne devrait pas se contenter de dire que c’est de la folie. C’est le résultat de quelque chose et il faut réussir à analyser ça pour avancer.

    Je pense que cette trilogie est importante, qu’elle s’inscrive ou non dans un genre : elle décrit l’impulsion d’un vrai changement politique. Je n’écris pas ces films, je les interprète. Je ne prends donc aucun crédit, il revient entièrement à David et Danny. Ils ont su écouter le monde et le commenter avec pertinence.


    Jamie Lee Curtis en pleine discussion avec David Gordon Green dans l’un des décors de Halloween Ends.

    Ceci étant dit, ces films existent grâce à vous. Vous auriez pu dire non quand on vous les a proposés. John Carpenter aurait pu refuser, lui aussi.

    Oui, j’ai appuyé leur voix par association, en étant Laurie Strode et en parlant de tout cela en tournée promo. Avez-vous vu ce mème où on me voit répéter le mot « trauma » des dizaines de fois en interview ? C’est hilarant ! Mais c’est un exemple de ma participation et de la manière dont j’ai essayé d’explorer ces thèmes.

    Spoiler

    Tout ce que j’ai apporté à Halloween Ends, c’est à la toute fin, quand on perçoit une possibilité d’espoir. J’ai vraiment insisté pour que ce soit dans le film.

    Vous aviez déjà refermé deux fois ce chapitre de votre carrière dans Halloween, 20 ans après et Halloween : résurrection. Le traitement de Laurie Strode dans le premier semble assez différent du film de 2018. Chez David Gordon Green, elle est prête à prendre les armes dès le début. Dans 20 ans après, elle se cache.

    Je pense qu’elle se cache aussi dans la nouvelle trilogie. Elle se cache au grand jour, mais elle se cache quand même.

    Elle est quand même plus proche de Sarah Connor que de la Laurie de 1998.

    Là-dessus, on est totalement d’accord !

    Elle commence donc la trilogie comme Sarah Connor, mais dans le dernier opus, elle décide dès le début du film de déposer les armes. C’est une évolution très intéressante…

    Oui, une dé-évolution.

    … qui va à l’encontre du schéma hollywoodien classique. On a tendance à suivre un héros qui va s’armer de plus en plus, mentalement et physiquement, au fil de son périple.

    Spoiler

    Elle se désarme d’ailleurs dans son combat contre Cory. Elle jette son revolver au sol.

    J’ai compris, en lisant le script, pourquoi au début du film elle a une lueur de vie en elle. Le second film démarrait tellement haut en intensité qu’on ne pouvait pas refaire la même chose. On ne peut pas mettre des obstacles encore plus grands sur son parcours. Il lui fallait du temps pour qu’elle puisse faire le deuil de sa fille.

    Le mieux qu’on puisse faire face au Mal absolu, c’est lui dire : « Va te faire foutre. Je vais vivre et je n’ai plus peur de toi. ». Pendant l’Holocauste, les Juifs ont survécu en défiance de ce qu’on leur a fait. Les gens qui survivent à une violence extrême, s’ils sont bien accompagnés, ont une chance de réémerger et de trouver la paix. C’est ce qui est dit dans le script : Laurie travaille dur sur elle-même et finit par trouver la paix. Bien sûr, certaines victimes de violence ne réussissent pas à guérir. Les blessures émotionnelles ou physiques peuvent être trop profondes, et leur vie s’est métaphoriquement arrêtée au moment du drame.

    Nous nous sommes dit que Laurie pouvait avancer et tenter de vivre, mais dans le film, la réalité la rattrape.


    Laurie Strode à nouveau sous la menace de Michael Myers. Pour la toute dernière fois ?

    La procession finale est très ambiguë et presque provocatrice. En tant que spectateur, on ne sait pas trop quoi en penser. Une chose est sûre : ce n’est pas filmé comme une victoire.

    Spoiler

    Ce n’est jamais une victoire. Dans cette scène, il n’y a aucune allégresse, aucun salut. C’est, comme vous l’avez dit, une procession, et une extermination. À la fin du film, on ressent une gratitude vis-à-vis de sa disparition, et il y a un espoir que la communauté de Haddonfield puisse guérir.

    C’est peut-être pousser trop loin l’analyse, mais cela fait penser à la disparition du cadavre d’Oussama Ben Laden, afin que personne ne puisse lui rendre hommage.

    Beaucoup de thèmes difficiles se juxtaposent dans cet épilogue, notamment la peine capitale. On peut aussi se poser la question : Laurie devient elle-même une tueuse dès l’instant qu’elle ôte la vie à quelqu’un ? Réussira-t-elle à laisser les ténèbres la quitter ? C’est la question qu’on devrait se poser. Il n’y a pas de célébration à la fin de cette histoire, juste une inévitabilité : elle doit tuer ou être tuée.

    Vous faites preuve d’une gamme de jeu impressionnante dans ce dernier opus. Vous êtes une mère, une amante, une combattante, une victime de trauma… David Gordon Green a-t-il organisé des répétitions ?

    Il aime qu’on répète un peu, mais pour lui, ça se joue surtout devant la caméra. Pour chaque séquence, il a joué avec un potentiomètre au niveau de l’intensité émotionnelle et il s’est donné des options au montage, de un à dix. Mais la plupart du temps on était à trois. Je crois que si on pousse tout le temps les curseurs à fond, ça devient un peu du « trauma-porn ». Il faut faire très attention à ne pas transformer Laurie en fétiche du deuil. Je ne suis qu’une actrice, donc je ne peux pas réguler mes émotions comme un robot.

    Vous n’avez pas un curseur qui va de un à onze, comme dans Spinal Tap (1) ?

    (rires) Non, mais il semblerait que David en ait un. Quand j’ai vu le film, j’ai été très impressionnée par sa retenue, et pourtant on peut ressentir ce qu’éprouve Laurie à tout moment. On ne veut pas la voir en agonie pendant deux heures, ce serait trop fétichiste.

    Quel regard portez-vous sur votre performance dans le premier Halloween*** ? Laurie n’était clairement pas un personnage complexe.

    Elle était aussi complexe qu’une fille de 17 ans de cette époque pouvait l’être. Elle espère qu’un garçon l’embrassera un jour, elle a des rêves sentimentaux et romantiques qui s’entremêlent de façon très mignonne avec son éveil sexuel. Ses amis se moquent un peu d’elle. Ce n’est en effet pas complexe du tout, mais ça le devient quand la merde frappe le ventilo, du moins sur le plan émotionnel.J’adore Laurie.

    Je me souviens que John Carpenter a utilisé le mot « vulnérable » lors de notre première conversation. Il m’a dit qu’il voulait un personnage vulnérable, et à l’âge de 19 ans, avec un niveau d’études encore très limité, j’ai cru que « vulnérable » signifiait « faible ». Je crois que je n’ai pas aimé le mot. Je ne me suis pas battue contre la direction de John mais j’ai compris de travers.

    À sa sortie, je suis allé voir le film dans un cinéma de North Hollywood. Je me suis assise tout à l’arrière de la salle et j’ai observé le public. À un moment, Laurie reçoit un appel de sa copine depuis la maison d’en face, et la copine en question se fait étrangler pendant le coup de fil. Laurie lui dit d’arrêter de se foutre d’elle, elle vérifie que tout se passe bien avec les enfants puis elle sort de la maison. Elle regarde de l’autre côté de la rue et commence à se diriger vers le pavillon.

    John utilise le Steadicam selon deux angles : d’une part le point de vue de Laurie vers le pavillon, d’autre part le visage de Laurie. La scène est très, très lente, le rythme de la marche aussi. Quand Laurie a atteint le milieu de la rue, une femme s’est levée dans la salle de cinéma et a hurlé : « N’Y VA PAS ! ». C’est à ce moment-là que j’ai compris ce que John Carpenter recherchait. Le public est amené à s’intéresser à Laurie et on ne veut pas qu’il lui arrive quoi que ce soit. On en vient à essayer de la sauver depuis notre siège de spectateur.

    Voilà ce que signifie « vulnérable » ! Cette interaction entre le public et le personnage, c’est la sauce secrète du genre. Beaucoup de films ont essayé de reproduire cette expérience, mais aucun d’eux n’a totalement réussi.


    Laurie et Lindsey (Kyle Richards), dont elle était la babysitter dans le tout premier Halloween.

    Vous avez travaillé plusieurs fois avec John Carpenter, et on oublie souvent de préciser que vous signez la voix off qui ouvre New York 1997 et Los Angeles 2013.

    Oh mon dieu, c’est vrai ! J’avais complètement oublié que j’étais là-dedans ! Il faut que je réécoute ça au plus vite !

    Dans True Lies, vous interprétez un autre personnage très vulnérable, Helen Tasker.

    Vous vous souvenez de l’interrogatoire ? Quand à travers le miroir, Harry lui demande pourquoi elle a fait ça et qu’elle répond : « Je veux vivre ! ». J’en pleurerais rien que de prononcer à nouveau ces mots. C’est une femme piégée dans un ennui domestique sans fin et cet homme lui a donné une chance de faire quelque chose d’excitant. C’est un peu comme si Helen répondait : « Je suis un putain d’être humain, je suis vivante ! ». C’est d’une intensité émotionnelle incroyable. Dans le scénario, c’était douze pages…

    À ce propos, je vais vous confier quelque chose. Il y a deux mots dans le show-business que je hais par-dessus tout, et ce n’est pas « final touches » – et pourtant je déteste ça. « Cover set », voilà l’expression qui m’horripile le plus. Si vos lecteurs l’ignorent, quand un film contient beaucoup de séquences en extérieur et que la pluie est susceptible d’interrompre le tournage à tout moment, il faut avoir une scène en intérieur que l’on peut tourner dans n’importe quelle ville accueillant la production. Il faut que ce soit un intérieur très contenu, et la seule séquence adéquate dans True Lies était l’interrogatoire de Helen Tasker.

    Voilà ce que ça signifie : j’ai dû me rendre à Miami non pas pour tourner, mais pour être disponible pour le « cover set ». Chaque jour, j’étais dans ma chambre d’hôtel, et on m’appelait à 16h pour me dire : « Vous êtes libre demain. ». Mais un jour, ils pouvaient m’appeler et me dire : « Demain il pleut, donc vous tournerez l’interrogatoire. ». Nous avons bouclé cette scène en quatre mois, en quatre sessions différentes ! Les gros plans ont été tournés un jour, les plans à travers le miroir deux mois plus tard, les plans larges un autre jour, sans compter les plans sur Arnold et Tom derrière la vitre. Et c’est une séquence très longue, qui va de zéro à dix sur le plan émotionnel ! Je ne ferai plus jamais ça.

    Quand on vient me demander si j’accepterais d’être le « cover set », je refuse sans hésiter. « Non, maman ne fait plus ça ! » C’était un vrai défi.

    À l’écran, tout semble très homogène.

    Oui, la séquence est absolument fantastique ! Ce film est tellement génial. J’étais très libre sur True Lies. Jim peut presque tout faire sur un film…


    Laurie, méfiante et marquée, reçoit la visite de sa petite-fille Allyson.

    Sauf la musique ?

    Sauf la musique, mais pas seulement. Il ne sait pas danser, donc il ne peut pas tenir le rôle du dolly grip, qui doit opérer une caméra de façon coordonnée et complexe. Un Steadicam, aucun problème, mais le dolly grip doit traduire les mouvements humains dans ceux de la machine. Mais surtout, Jim ne sait pas jouer la comédie et c’est pour ça qu’il aime autant les acteurs. Ils font quelque chose qu’il ne maîtrise pas !

    Jim Cameron m’adorait parce que je pouvais faire, presque sans aucune intervention de sa part, ce qu’il voulait que je fasse. Il avait écrit ce personnage pour moi. Il devait avoir une intuition à mon égard. Une seule fois je n’ai pas réussi à faire ce qu’il avait en tête. Le reste du tournage, il ne m’a fait aucun commentaire, au-delà du fait qu’il adorait ma performance. Quel cast on avait sur ce film… Bill Paxton ! Il nous manque tellement. Tom Arnold, hilarant. Grant Heslovaussi. Arnold… Absolument inouï.

    Vous avez tourné plusieurs comédies avant True Lies. Après Un fauteuil pour deux, on vous a vue dans Un poisson nommé Wanda aux côtés de John Cleese et Kevin Kline. Vous êtes-vous préparée pour le rôle ?

    Non, pas du tout !

    Pourtant, la comédie exige un sacré sens du timing, en particulier avec les Monty Python.

    On a répété un peu avant le tournage, je crois… Honnêtement, je ne m’en souviens pas ! Ma fille était âgée de six mois quand on a commencé Wanda. Je savais que Kevin et John étaient drôles. Je n’ai pas vu le film depuis longtemps, et tout est un peu flou aujourd’hui.

    Même chose pour Créatures féroces ?

    [elle lève les yeux au ciel] Là, c’est vraiment très flou. (rires)Un poisson nommé Wanda a coché pas mal de cases à sa sortie. On avait besoin d’une comédie irrévérencieuse basée sur une guerre culturelle. Ce que je peux vous dire, c’est que la fin originale était différente. Elle était plus sombre.

    Dans le tout dernier plan, Archie se tournait vers mon personnage et disait : « Chérie, je suis heureux qu’on soit ensemble » et je lui faisais les yeux doux. Ensuite, la caméra descendait vers nos mains entrelacées, puis continuait le long de mes jambes, et il y avait un freeze frame sur mes chaussures : sur le côté, il y avait des dents de requin acérées, et juste au-dessus, il y avait un aileron. On comprenait que cette femme était un requin !

    Le studio a testé cette fin sur des spectateurs américains et ceux-ci n’ont pas accepté cette conclusion ! On nous a demandé de retourner l’épilogue, mais aussi d’ajouter quelques scènes qui appuyaient la romance entre Archie et Wanda. Ils voulaient que la love story soit réelle. J’étais en pétard, pour être honnête. J’aime quand une histoire est sombre et j’aime quand on renverse les codes. Dans le film que vous connaissez, vous croyez que Wanda aime Archie, mais ça n’a jamais été le projet de départ.


    The Shape, boogeyman plus terrifiant que jamais, et toujours incarné, comme dans les deux précédents films, par James Jude Courtney et Nick Castle.

    Sur Blue Steel, vous avez travaillé avec Kathryn Bigelow qui était à l’époque fan de James Cameron, comme en témoigne Aux frontières de l’aube.

    Et même bien plus qu’une fan ! (rires) Le film a été difficile à tourner : beaucoup de nuits, des focales très courtes… Je me suis bien entendue avec Kathryn, on travaillait bien ensemble. On n’est pas devenues amies mais on savait ce qu’on avait à faire pour que ça fonctionne.

    Kathryn portait toujours un jean et un t-shirt noirs. Elle sortait régulièrement une liste de plans de sa poche arrière, elle la dépliait devant nous et on pouvait voir qu’elle l’avait probablement tapée la veille au soir. Elle vérifiait ce qu’elle avait à vérifier, elle remettait le papier dans sa poche arrière et on continuait à tourner. Blue Steel était un exercice de précision. Ce n’était pas un film très émotionnel. Kathryn a apprécié ma performance mais à l’écran, il y a une certaine froideur.

    Ma fille avait alors dix-huit mois et j’avais emmené ma famille avec moi à New York. Je jonglais entre mon rôle de mère et mon travail d’actrice dans le contexte d’un tournage majoritairement de nuit. Bien sûr, j’avais une nounou qui m’aidait, mon mari était très présent, mais ç’a été assez compliqué.

    Vous avez enchaîné les rôles marquants ces dernières années. Peu avant Everything Everywhere All at Once, on vous a vue dans À couteaux tirés de Rian Johnson.

    Je viens justement d’échanger des messages avec lui : il était au Fantastic Fest à Austin, où le premier long-métrage de Noah Segan, Blood Relatives, était projeté. À couteaux tirés appartient organiquement à Rian. On est tous venus sur le plateau pour réciter les dialogues selon des directives très spécifiques. Tout le film était dans sa tête, jusqu’au plus petit détail.

    Vous avez droit à l’une des répliques les plus drôles du film : « C’est encore notre maison ! ». En salles, les réactions étaient tonitruantes.

    C’était fantastique, oui ! Le long-métrage regorge de scènes de groupe et la chorégraphie était très pointilleuse. Quand on tourne un film comme À couteaux tirés, on ne rentre pas à l’hôtel chaque soir en se disant : « Wow, j’ai assuré ! ». Je n’avais aucune idée de la manière dont Rian allait assembler tout ça. Je ne savais pas à quoi ça allait ressembler. Je n’arrêtais pas de dire à mon assistante : « C’est un petit rôle, c’est vraiment amusant », mais ce n’était pas comme si on se retrouvait le soir pour faire la fête. En plus, j’étais une remplaçante sur ce film. Quelqu’un d’autre avait obtenu le rôle mais il y avait un conflit de calendrier. On m’a proposé le personnage du jour au lendemain et j’ai dit OK.

    J’ai rencontré Rian, le tournage s’est formidablement bien passé et on est partis chacun de son côté. Quelques mois plus tard, on m’a demandé de venir faire la promo du film à Cinemacon. « Vraiment ? Moi ? » C’est ensuite que j’ai compris l’importance de chaque rôle et la virtuosité du long-métrage. J’ai adoré faire partie d’un projet capable de rendre les gens aussi heureux. Le public a vraiment adoré, ne serait-ce que pour la fantastique performance de Daniel Craig. Pour résumer, À couteaux tirés a été une complète surprise pour moi. Je savais que ça allait être pas mal, mais j’ignorais que ce serait génial. Je pourrais très bien le dire à Rian. Je ne savais pas. Comment aurais-je pu ? Je n’étais pas dans sa tête.

    (1) L’époux de Jamie Lee Curtis, Christopher Guest, interprétait Nigel dans Spinal Tap de Rob Reiner, celui dont l’ampli pouvait grimper jusqu’à onze.

    Propos recueillis par **Alexandre Poncet. **
    Merci à Étienne Lerbret.