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    Que l’on aime ou non la trilogie de Green, celle-ci affiche une vision politisée devenue bien trop rare dans le cinéma d’horreur…

    Quatre années se sont écoulées depuis le second massacre de Haddonfield, au terme duquel Michael Myers s’est évanoui sans laisser la moindre trace. Ayant fait le deuil de sa fille Karen, Laurie Strode a abandonné les armes et tourné le dos à la peur. Elle s’est acheté un nouveau pavillon où elle subvient aux besoins de sa petite fille Allyson, devenue infirmière dans la clinique locale. Un jour, Laurie croise le chemin de Cory, un jeune mécanicien soupçonné d’avoir commis un crime atroce à l’adolescence et harcelé depuis par les habitants de la ville. S’interposant avant qu’il ne soit lynché par un groupe de jeunes, Laurie décide de présenter Cory à Allyson…

    Si Michael Myers brille par son absence dans ce synopsis, le fameux tueur au masque de William Shatner n’en projette pas moins son ombre sur l’ensemble du long-métrage. Myers se répand dans la dramaturgie tel un poison invisible, contaminant par la peur et la paranoïa une ville qui n’a jamais pu refermer le chapitre le plus lugubre de son Histoire. Ironiquement, le trauma de Laurie Strode s’est lui aussi propagé tel un virus à travers la population de Haddonfield, qui associe désormais l’agresseur et sa victime et ne leur réserve qu’une montagne de haine.

    Un protagoniste idéal

    Outre sa volonté d’inverser les codes de la saga (le baby-sitter serait-il cette fois-ci coupable ?), le prologue de Halloween Ends laisse entrevoir d’autres possibilités créatives. Un peu comme si le premier opus de Carpenter et le troisième signé Tommy Lee Wallace avaient engendré un avorton hybride, à la fois parfaitement intégré à la ligne narrative globale et suffisamment décalé pour réserver son lot de surprises.


    Allyson (Andi Matichak), la petite-fille de Laurie Strode (Jamie Lee Curtis), et l’énigmatique Corey (Rohan Campbell).

    Interprété par un Rohan Campbell Rohan Campbell magnétique, dont les traits renvoient à Michael Rooker et Willem Dafoe du temps de leur jeunesse, Cory captive immédiatement par son ambiguïté et sa vulnérabilité, des traits de caractère que David Gordon Green et ses trois coscénaristes (Danny McBride, Chris Bernier et Paul Brad Logan) additionnent aux traumas et aux repères fragiles d’Allyson.

    Dans leurs interactions, mais aussi dans les quelques échanges entre Jamie Lee Curtis et Will Patton, on reconnaît le naturalisme de Joe et Stronger (une autre quête post-traumatique), tandis que d’autres séquences s’inscrivent dans une esthétique plus hollywoodienne, déjà explorée dans Que le meilleur gagne et Délire express.

    Ruptures de ton

    Comme le laissait entendre la série Red Oaks, qui mettait à égalité Aliens, le retour et la Nouvelle Vague, David Gordon Green s’épanouit avant tout dans le mélange des genres et les juxtapositions tonales. Halloween Ends le démontre avec plus ou moins de bonheur, le cinéaste poussant parfois ses curseurs jusqu’au point de rupture. Tout en s’efforçant de dresser un portrait crédible de Haddonfield, commenté par une voix off à la limite du film d’auteur archétypal, Green accumule les jump scare presque cartoonesques, par exemple lorsque Rohan Campbell apparaît soudainement dans le dos de Jamie Lee Curtis en plan large, choc sonore à l’appui.

    L’inévitable jeu des références est lui aussi bicéphale. On a droit d’une part à des citations directes de John Carpenter : des extraits de The Thing constellent l’ouverture, une séquence dans une casse automobile emprunte quelques cadres et éclairages à Christine, et les fameux plans fixes sur des intérieurs vides qui concluaient le Halloween de 1978 sont repris ici, cette fois-ci de jour. Dans le même temps, on sent une volonté de s’aventurer sur des terrains moins confortables que ceux du slasher lambda, Green lorgnant discrètement sur des classiques tels que Henry, portrait d’un serial killer ou La Balade sauvage.

    Cette pluralité tonale n’est pas surprenante pour un film écrit à huit mains, mais elle n’annule en aucun cas la richesse thématique de l’œuvre. Et si la personnalité potache de Danny McBride peut se reconnaître dans une poignée de séquences (le meurtre du médecin et de son assistante, au hasard), ou dans des idées horrifiques teintées d’un humour extrêmement noir (cf. la langue sur le tourne-disque), Halloween Ends prête rarement à rire.


    Les habitants de Haddonfield subissent à nouveau les assauts sauvages de The Shape…

    Divisant par deux le bodycount de l’épisode précédent (qui atteignait tout de même les 30 mises à mort, un record probable dans le genre), le film cristallise la mélancolie et les frustrations de l’Amérique actuelle et justifie d’autant plus la scène de lynchage tant décriée du second opus.

    Comme évoqué dans l’interview de Jamie Lee Curtis, la trilogie révèle avec ce dernier chapitre un commentaire politique assez complexe, qui amène Green à questionner le rapport de ses concitoyens aux armes, à l’autodéfense, à la justice et plus généralement à l’autre. Personne n’est ici réellement innocent ; en dépit de bonnes intentions, c’est après tout Laurie qui déclenche de nouveau la mécanique du Mal en tendant un couteau à cran d’arrêt à une victime d’agression.

    Attention SPOILERS

    Brouillant en permanence la moralité de ses protagonistes, Halloween Ends fait de Michael Myers un catalyseur dont l’aura suffit à éveiller les plus vils instincts d’une communauté qui pourrait, en d’autres circonstances, couler des jours paisibles. Métaphoriquement, Green et ses coauteurs semblent rapprocher cet être sans visage d’un dictateur déchu dont l’influence continue de s’étendre grâce à la brutalité de ses actes passés.

    La procession finale, terriblement malaisante, appuie cette idée, la désintégration du corps rappelant la volonté du gouvernement américain de faire disparaître la dépouille d’Oussama Ben Laden. Cette « libération sans victoire » convoque clairement les fantômes d’une nation qui, suite au 11 septembre, n’a jamais vraiment su se reconstruire, et permet d’accepter un climax volontairement anti-spectaculaire. On conseillera à quiconque en ressortirait frustré de revisiter Halloween, 20 ans après de Steve Miner, un slasher autrement plus direct, ludique et codifié, mais qui avait moins de choses à dire sur son époque…

    Par Alexandre Poncet