[Critique] Decision to leave - Park Chan Wook
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J’ai eu la chance d’avoir vu Decision To Leave cet été dans un petit cinéma de campagne. Le film revient au source du cinéma de Park Chan Wook et fait rebondir le genre matriciel du polar coréen là ou on ne l’attendait plus. Autant dire que la surprise fut très sympathique et j’ai été assez secoué par cette fin :)
Voir Park Chan-wook revenir avec Decision to Leave au polar et au thriller coréen pur jus est un petit bonheur que l’on n’espérait plus. Bonheur, d’abord, parce que ce retour aux sources en rappelle un autre, celui de Bong Joon Ho et de son Parasite, film 100 % coréen qui succédait à deux productions internationales (Snowpiercer : le Transperceneige et Okja) et à une manière d’exil plus ou moins satisfaisant pour le réalisateur de The Host.
Decision to Leave est lui aussi une forme de repli sur ses bases pour Park Chan-wook, qui depuis le triomphe d’Old Boy en 2004 semble n’avoir cherché qu’à s’éloigner toujours un peu plus du « thriller maison » — ce genre clé du cinéma coréen que Park autant que Bong ont contribué à réinventer au début des années 2000 - via des objets aussi « excentrés » que l’ovni Je suis un cyborg, le film de vampires Thirst, ceci est mon sang. (adapté d’un roman de Zola, rappelons-le) ou la fresque historico-érotique Mademoiselle. Comme Parasite pour Bong Joon Ho, Decision to Leave n’a cependant rien d’un pas en arrière : il symbolise au contraire la persistance inespérée d’un cinéma revenu comme neuf de son Âge d’Or des années 2000 (et plutôt mal en point depuis une dizaine d’années) et le retour aux affaires d’un maître enfin revenu sur ses terres — celles du polar pur et dur.
L’intrigue de Decision to Leave a ceci de paradoxal qu’elle semble tour à tour claire comme de l’eau de roche ou au contraire nébuleuse à souhait. À partir d’une d’un récit de traque assez sommaire (le détective Hae-jun enquête sur un meurtre et tombe amoureux de Seo-rae, femme de la victime et suspecte numéro un dont il est chargé de la filature), Park s’embarque dans un jeu du chat et de la souris qui vire rapidement au jeu de masques.
Les effets de miroitement, les mirages de l’illusion et les trompe-l’œil sont inhérents au style de Park Chan-wook, qui est probablement le cinéaste le plus authentiquement baroque de tous les wonderboys issus de la nouvelle vague coréenne des années 2000. De fait, le film et ses deux heures trente n’hésitent pas à perdre le spectateur dans les méandres et les non-dits d’une intrigue qui passe sans crier gare de l’enquête de terrain aux scènes d’interrogatoire suspendues dans des bureaux confinés, de la parade amoureuse muette à de longues séquences dialoguées de confrontation.
Decision to Leave apparaît autant dans la continuité naturelle de l’œuvre de Park que comme une rupture géniale vis-à-vis de ses premiers thrillers. En substituant à l’art hautement raffiné de la vengeance de sa trilogie ultraviolente (Sympathy for Mister Vengeance, Old Boy, Lady Vengeance) celui tout aussi sophistiqué de la séduction, l’auteur livre en quelque sorte une version plus adulte, plus sensuelle et plus intériorisée de ce genre matriciel qu’il a jadis poussé dans ses derniers retranchements de fureur et d’explosivité.
En témoignant de cette maturité nouvelle, le film n’en demeure pas moins archi jouissif dans sa manière de faire étalage de cette virtuosité et de cette flamboyance auxquelles on ne cesse de “attacher la signature même de Park Chan-wook. Cette virtuosité ne tient désormais plus à de simples tours de force esthétiques (les fameuses scènes-chocs d’Old Boy ou les expérimentations visuelles délirantes et presque hallucinées de Je suis un cyborg ou de Thirst), mais joue désormais dans les plus infimes détails des plans ou dans des trouvailles de mise en scène d’une vertigineuse subtilité.
L’une des plus belles est de renverser les séquences d’interrogatoire en véritables dîners d’amoureux ou encore de dédoubler le corps du détective entre l’intérieur de sa voiture (d’où il observe sa proie comme un voyeur) et celui de l’appartement de Seo-rae (où il semble s’introduire comme un fantôme et apparaître comme une projection de ses fantasmes). La beauté de Decision to Leave tient finalement à cette manière de virer au pur drame amoureux et de suspendre le « polar » à ce genre d’idée à la fois absurde et géniale : faire de l’arme du crime un simple téléphone dont on cherche en vain à se débarrasser, comme d’un poignard ensanglanté, en le jetant dans la mer.
LA LOI DES SENTIMENTS
Si Decision to Leave prend à la gorge et file si droit malgré sa structure morcelée et parfois illisible, c’est d’abord en raison de cette ahurissante capacité du cinéaste à ballotter le spectateur d’un extrême à un autre : froide manipulation et tempête sentimentale, mécanique policière et romance, sang séché du crime et sang bouillonnant d’un cœur brûlant de l’intérieur. C’est peut-être aussi, et surtout, pour une raison plus inattendue : jamais Park n’a paru à ce point grisé par sa propre virtuosité et comme « libéré » de cette espèce de distanciation pince-sans-rire, de cette pesanteur un peu cynique, qui n’ont jamais cessé de travailler son œuvre.
Lorsqu’un second crime vient relancer l’intrigue à mi-parcours, Decision to Leave pourrait s’embarquer dans un exercice de style archi-contrôlé de déconstruction et de virtuosité méta laissant la part belle à l’art de l’ironie et de la manipulation d’un auteur ayant toujours aimé se jouer de son spectateur avec une malice glaciale. Mais c’est tout le contraire qui se produit : plutôt que de noyer le poisson (nous), Decision to Leave donne l’impression que le cinéaste lui-même se laisse entraîner dans ce piège amoureux qu’il a méticuleusement mis en place durant la première moitié.
Le film devient alors vraiment fou, traversé d’une puissance lyrique aussi sourde que terrassante dans sa manière de rouler et de foncer tête baissée vers une sorte de tragédie amoureuse totale. L’explosivité vengeresse des débuts a laissé place à des visions d’une furieuse beauté, hors de contrôle — jusqu’à cette hallucinante scène finale dans un décor secoué par des flots inouïs — et à cette certitude paradoxale : en revenant sur ses terres, aux racines du thriller coréen, Park Chan-wook semble avoir tout à la fois mûri et rajeuni de vingt ans.
SOURCE: Mad Movies
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–> Cette petite perle contant l’histoire d’amants enchainés à la la Claude Chabrol sort en Blue Ray le 16 novembre
«Avec Hitchcock, ce serait Claude Chabrol mon autre modèle», avoue Park Chan-Wook en entretien au sujet de Decision To Leave.
À raison: cette image des amants enchaînés est une référence au plan final des Noces rouges de Claude Chabrol.
La même célébration de l’amour fou :
Decision To Leave
Les noces rouges
Bref, je vous le conseille fortement.
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