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    Disparu le 12 août 2022 et trop souvent considéré comme un mercenaire de Hollywood, Wolfgang Petersen était un cinéaste aussi imprévisible que passionnant à qui l’on ne doit rien moins que trois œuvres magistrales.

    Né en Allemagne sous le régime nazi, Wolfgang Petersen fait ses classes à la télévision où il enchaîne des épisodes de séries comme Tatort et des téléfilms abordant des sujets polémiques comme l’écologie ou le sexe chez les mineurs. Il va encore plus loin en 1977 avec La Conséquence, qui raconte en noir et blanc l’histoire d’amour impossible entre un détenu homosexuel joué par Jürgen Prochnow et le fils adolescent d’un gardien de prison. De quoi faire paniquer les diffuseurs, qui censurent les scènes les plus explicites quand ils ne refusent pas carrément de diffuser le film.

    Reste qu’il fait grand bruit à l’étranger, bénéficiant même d’une sortie au cinéma en France et aux États-Unis. Petersen a beau avoir déjà fait ses débuts sur grand écran trois ans plus tôt avec le thriller psychologique One or the Other of Us, c’est en 1981 qu’il explose avec Le Bateau (Das Boot), un vieux projet passé entre les mains de Don Siegel et John Sturges. Fils d’un officier de la Marine, il se plonge avec passion dans l’odyssée de ce sous-marin allemand durant la Seconde Guerre mondiale et dispose pour ce film du plus gros budget jamais alloué à une production teutonne.

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    Le chef mécano’ Johann (Erwin Leder) en pleine panade dans Le Bateau.

    Triomphe mondial en salles, Le Bateau est en partie financé par la télévision et sera diffusé par la BBC en 1984 sous la forme d’une minisérie deux fois plus longue que la version cinéma, Wolfgang Petersen puisant dans ces cinq heures d’images pour monter un director’s cut de 3 h 30 treize ans plus tard.

    Plusieurs fois nommé aux Oscars, le film fait de Jürgen Prochnow (qui interprète le commandant de bord suite au refus de Rutger Hauer) une star internationale et suscite l’admiration de Steven Spielberg, qui en parle comme l’un de ses films préférés et ne se prive pas de chanter les louanges de Petersen à Hollywood. Rien d’étonnant à cela : quelle que soit la version choisie, Le Bateau est un tour de force à la fois technique et humaniste qui prend aux tripes et le sommet jamais égalé du film de sous-marin – À la poursuite d’Octobre rouge et USS Alabama lui doivent beaucoup.

    Pas encore disposé à céder aux sirènes des studios US, Wolfgang Petersen reste dans son pays pour réaliser (en anglais) L**’Histoire sans fin** (The NeverEnding Story, 1984), adaptation d’un best-seller de fantasy pour enfants que son auteur qualifiera de monument de mauvais goût. Avec le recul, il n’a pas tort : si la magie pouvait opérer à l’époque, le dragon poilu aux oreilles de labrador, le Jabba en pierre, la tortue savante et le thème musical dégoulinant de Giorgio Moroder susurré par le chanteur de Kajagoogoo ont mal accusé le poids des ans.

    Mais en dépit d’un tournage compliqué (le jeune garçon qui incarne le héros est piétiné par son cheval, manque de se noyer et de perdre un œil) et un succès mitigé du film aux États-Unis, le film récolte 100 millions de dollars dans le monde. Pour Wolfgang Petersen, il est temps de franchir un nouveau cap.

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    Bastien (Noah Hathaway) et son dragon-labrador Falkor dans L’Histoire sans fin.

    Cap à l’Ouest !

    Il fait ses débuts à Hollywood pour la Fox en remplaçant au pied levé Richard Loncraine sur le tournage du film de science-fiction Enemy (1985) suite aux refus de Terry Gilliam. Des prises de vues effectuées par son prédécesseur, Petersen ne garde rien et fait construire de nouveaux décors aux studios de Bavaria à Munich, qui avaient servi de plateau à L’Histoire sans fin.

    Adaptée d’une nouvelle lauréate du prix Hugo par Edward Khmara (Ladyhawke, la femme de la nuit), l’histoire d’Enemy est assez atypique puisqu’elle raconte l’amitié qui se noue durant une guerre interstellaire entre un pilote de chasse terrien (Dennis Quaid) et un alien humanoïde à tête de reptile de la race des Dracs (Louis Gossett Jr.) après qu’ils se sont crashés sur une planète peu hospitalière. Leur relation va évoluer jusqu’à devenir presque conjugale, l’extraterrestre accouchant d’un petit Drac.

    Conspué à l’époque pour la naïveté de son discours humaniste à la Star Trek, Enemy apparaît aujourd’hui comme très moderne compte tenu de ses thématiques (racisme, colonialisme, théorie du genre) et possède un réel charme poétique appuyé par ses effets spéciaux old school, tout en restant un solide divertissement bourré de péripéties. Un film trop en avance sur son temps sans doute, comme en atteste son énorme flop au box-office. De quoi freiner la percée hollywoodienne de Wolfgang Petersen, qui ne repart au turbin que six ans plus tard en s’attaquant à un sous-genre alors très en vogue : le thriller domestique

    Un peu noyé au milieu d’autres productions similaires sorties la même année (Trahie, Pensées mortelles, Un baiser avant de mourir et l’excellent Les Nuits avec mon ennemi), Troubles (Shattered, 1991) s’intéresse à un architecte rendu amnésique par un accident de la route l’ayant obligé à subir une opération de chirurgie plastique (Tom Berenger) qui découvre peu à peu que sa femme (Greta Scacchi) lui ment sur son passé.

    Rien n’est vraiment crédible mais peu importe : Petersen, qui caressait l’idée de ce projet tiré d’une nouvelle depuis plus de dix ans, fait preuve d’un réel savoir-faire en matière de rythme et de suspense dans ce néo-noir au twist fort réussi dont le charme doit beaucoup à ses interprètes et à la chanson Nights in White Satin qui accompagne le score hypnotique d’Alan Silvestri. Mais le trop-plein de concurrence lui est fatal : Troubles marque un nouvel échec commercial pour Wolfgang Petersen.

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    Première rencontre électrique entre l’humain Willis Davidge (Dennis Quaid) et le Drac Jeriba Shigan (Louis Gossett Jr.) dans Enemy

    God Bless America

    Les studios continuent pourtant de voir Wolfgang Petersen un bon faiseur et la Columbia ne trouve rien à redire quand Clint Eastwood, qui vient d’effectuer un come-back fracassant en remportant quatre Oscars pour Impitoyable, le choisit pour réaliser Dans la ligne de mire (In the Line of Fire,1993).

    Alors âgé de 62 ans, l’acteur campe un agent des services secrets affilié à la protection du président des États-Unis qui ne s’est jamais remis de ne pas avoir pu sauver JFK lors de son assassinat à Dallas. À la veille de la retraite, il se retrouve confronté à un ancien tueur de la CIA (John Malkovich) qui menace d’abattre le président en fonction.

    Aussi dynamique dans l’action que retors dans la manière dont il développe la relation entre le héros et sa némésis, gentiment provocateur quand il parle des monstres à visage humain créés par le gouvernement, Dans la ligne de mire est un formidable thriller à la forme certes classique mais parfaitement maîtrisée, la nonchalance faussement désinvolte des films réalisés par Eastwood cédant ici la place à une narration plus alerte mais tout aussi soucieuse de ses personnages.

    Cette fois, c’est la bonne : énorme carton au box-office, nomination de John Malkovich aux Oscars, le film propulse Wolfgang Petersen dans la A-list. Prenant de vitesse The Hot Zone, projet de Ridley Scott avec Robert Redford, il met en scène Alerte ! (Outbreak, 1995), film-catastrophe visionnaire un temps envisagé pour Harrison Ford, Mel Gibson ou Sylvester Stallone dans le rôle principal, celui d’un officier de l’armée spécialisé dans les armes bactériologiques qui doit faire face à l’arrivée d’un virus mortel sur le territoire américain et qui met tout en œuvre pour empêcher ses supérieurs de raser la petite ville où il s’est propagé.

    Wolfgang Petersen se montre ravi quand le script est réécrit pour Dustin Hoffman car il n’a rien d’un héros d’action, ce qui rend l’issue de son combat d’autant plus incertaine. Tension allant crescendo, Donald Sutherland qui se régale en général fourbe et sanguinaire, agonies des victimes flirtant avec le body horror, poursuites en hélicos sur un score incendiaire de James Newton Howard, Alerte ! ne relâche pas la pression une seule seconde. Pour Wolfgang Petersen, c’est un nouveau succès commercial.

    De plus en plus courtisé, il se retrouve à bord de Air Force One (1997) avec Harrison Ford, qui reprend à peu de choses près le rôle de Jack Ryan qu’il tenait dans Jeux de guerre et Danger immédiat à ceci près qu’il est cette fois président des États-Unis (ce que deviendra Ryan dans les romans ultérieurs de Tom Clancy). Évacué alors que des terroristes ayant pénétré dans l’avion présidentiel prennent en otage sa famille et son staff, il reste à bord et contre-attaque avec fougue et férocité, mettant à profit son passé de vétéran décoré de la guerre du Vietnam.

    Patriotique jusqu’au délire, fréquenté par Gary Oldman en Russe psychopathe et aussi rocambolesque qu’un Steven Seagal (on peut d’ailleurs le voir comme une version cartoonesque du très estimable Ultime décision, sorti un an plus tôt), Air Force One séduit par sa générosité spectaculaire et la technique de plus en plus virtuose de Wolfgang Petersen, qui profite de l’occasion pour recruter son vieux camarade Jürgen Prochnow en général russe et lui offrir la meilleure scène du film, où on le voit libéré de prison au son des chœurs à la Prokofiev de Jerry Goldsmith. Avec 315 millions de dollars de recettes, le film est un véritable phénomène outre-Atlantique.

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    Le capitaine Billy Tyne (George Clooney) à tribord de l’image et le jeune Bobby Shatford (Mark Wahlberg) à bâbord dans En pleine tempête.

    Back to the sea

    Wolfgang Petersen décide alors de revenir au film-catastrophe avec une histoire vraie : celle du chalutier Andrea Gail, disparu en mer avec ses six membres d’équipage durant un terrible ouragan en 1991. Adapté du récit de Sebastian Junger par Bill Wittliff, le scénariste de Lonesome Dove et Légendes d’automne (rien que ça !), En pleine tempête (The Perfect Storm, 2000) n’a rien d’un blockbuster lambda et se rapproche beaucoup plus de ce que Wolfgang Petersen avait accompli sur Le Bateau.

    Le réalisateur est dans son élément et ça se sent. C’est avec une même justesse que sont évoquées la vie quotidienne des pêcheurs de Gloucester, Massachusetts (le tournage a lieu sur place), leurs relations parfois tendues lorsqu’ils sont en mer et la bravoure des gardes-côtes envoyés au secours des plaisanciers. Et c’est dans une atmosphère incroyablement funèbre et mélancolique que baigne tout le film, magnifiée par la beauté poignante de la musique de James Horner.

    De la puissance chorale de ses acteurs (George Clooney, Mark Wahlberg, John Hawkes, Diane Lane, William Fichtner, ils sont tous parfaits) à l’émotion brute, presque douloureuse, que déploient ses images, En pleine tempête rapporte encore plus qu’Air Force One et s’impose comme un véritable classique du cinéma américain dans ce qu’il a de plus noble et bouleversant, au même titre que Jusqu’au bout du rêve – intéressant dans la mesure où Kevin Costner refusa le rôle du capitaine du bateau de pêche confié à George Clooney.

    Après avoir brièvement travaillé sur un Batman vs. Superman avec Colin Farrell et Jude Law qui ne verra jamais le jour et décliné l’offre qui lui est faite de réaliser le quatrième opus des exploits de Jack Ryan La Somme de toutes les peurs, Petersen s’attelle au projet le plus ambitieux de sa carrière : Troie (Troy, 2004), une libre adaptation de L’Iliade que la Warner a décidé de financer suite au succès remporté par Gladiator.

    Rivaliser avec Ridley Scott exige de mettre le paquet : le studio débloque 185 millions de dollars, s’offre Brad Pitt en tête d’affiche et Wolfgang Petersen se lance dans la bataille, d’autant plus motivé qu’il avait refusé de réaliser Gladiator cinq ans plus tôt et qu’il s’en veut d’être passé à côté. Écrit par David Benioff, grand admirateur d’Homère et futur show runner de Game of Thrones, Troie connaît quelques problèmes lors de son montage : jugé à juste titre trop daté et trop écrasant, le score composé par Gabriel Yared est rejeté et James Horner, appelé en renfort, livre une nouvelle partition dans l’urgence.

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    Achille (Brad Pitt), prêt à en découdre dans Troie.

    Qui plus est, la violence du film pousse la production à tailler dans le lard et plusieurs scènes sont sacrifiées. Une situation assez comparable à celle que connaîtra Kingdom of Heaven un an plus tard. Heureusement, à l’instar de Ridley Scott, Petersen parvient trois ans plus tard à convaincre Warner de lâcher un million de dollars supplémentaires (il faut dire que la version salles en a rapporté près de 500) pour lui permettre de monter son director’s cut.

    Plus long de trente minutes et présenté au festival de Berlin, il est distribué en vidéo et c’est une révélation : le débarquement des troupes grecques sur la plage de Troie et la mise à sac de la cité, scènes déjà brutales dans le montage cinéma, deviennent une véritable boucherie. Décapitations, membres sectionnés, corps éventrés, gorges tranchées, femmes violées, bébés massacrés ou jetés dans les flammes, les guerriers pataugent jusqu’aux genoux dans des rivières de sang et Wolfgang Petersen en remet une couche avec des scènes beaucoup plus explicites.

    Nombre de personnages secondaires reviennent au premier plan (dont Sean Bean en Ulysse et Peter O’Toole en roi Priam), l’intrigue gagnant en complexité psychologique et la narration en fluidité. Porté par un Brad Pitt stupéfiant de charisme en Achille et traversé par un souffle épique assez sidérant, Troie est un péplum d’anthologie qu’il n’est pas interdit de trouver plus mémorable que Gladiator.

    Dix ans après Poséidon (2006), remake mécanique et sans saveur de L’Aventure du Poséidon qui fait naufrage au box-office, Petersen, 75 ans, retourne en Allemagne et signe Braquage à l’allemande, relecture pour le grand écran d’un téléfilm qu’il avait tourné au début de sa carrière. Gros succès outre-Rhin sorti chez nous en VOD l’année dernière, cette sympathique comédie policière sonne comme le retour aux sources d’un cinéaste n’ayant plus rien à prouver. La boucle est bouclée : il est désormais grand temps de redécouvrir la filmo du monsieur.

    Par Cédric Delelée