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    Freddy sort de la nuit… et entre dans le monde méta sous l’égide de son créateur Wes Craven

    Quiconque à découvert le premier Scream au cinéma dans son adolescence garde immanquablement en mémoire la jubilation suscitée par son ironie référentielle. Cette jouissance analytique participait du caractère transgressif de l’expérience, laquelle avançait masquée : comme tous les mouvements méta cinématographiques avant et après lui, Scream portait l’annonce d’une fin proche.

    Dans le sixième film de la saga initiée par Les Griffes de la nuit, Freddy Krueger finit une nouvelle fois éparpillé façon puzzle, en 3D d’époque rouge et bleue. Le croque mitaine bénéficie d’un congé sabbatique de trois ans, pour revenir en 1994 sous la plume et devant la caméra de son Geppetto originel, Wes Craven. Le réalisateur/scénariste a trouvé l’astuce pour justifier son retour : la fiction méta. Dans Freddy sort de la nuit, Heather Langenkamp, Robert Englund et Wes Craven incarnent des doubles fictionnels d’eux-mêmes, plus ou moins marqués par leur relation avec Freddy. Le monstre s’immisce dans le réel, rejoue quelques séquences clés du premier film, chatouille les porosités élastiques entre les niveaux de réalité. Le rêve est-il le prolongement métatextuel de la narration ?

    Prudent, Wes Craven se garde de répondre à cette question posée de façon étrangement similaire dans Le Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel, et s’en sort par une pirouette typique des adeptes du méta : la boucle. L’anneau de Mœbius auquel ont recours aussi bien le David Lynch de Lost Highway que le Quentin Dupieux de Réalité pour se sortir de situations dramatiques inextricables. Dans l’épilogue, le personnage de Craven propose à celui de Langenkamp un scénario qui n’est autre que celui du film en train de s’achever. Habile, certes, un peu téléphoné, aussi. L’exercice de style convainc en son temps les critiques en manque de propositions horrifiques stimulantes, faute de rameuter beaucoup de spectateurs en salles.

    Wes Craven s’embourbe par la suite dans le sinistre Un vampire à Brooklyn, greffe ratée entre l’horror noire, Le Loup-garou de Londres et la carrière cahotante d’Eddie Murphy. Le réalisateur n’en garde pas moins l’intuition que l’avenir du genre se joue sur ces jeux de miroir. Il s’acharne dans la voie méta avec le script d’un jeune scénariste propulsé star du jour au lendemain, Kevin Williamson, et l’époque lui donne raison. Scream fait illico oublier tous les ratés de la filmographie de Wes Craven, réinstitué pape de l’horreur. Les cinéphiles se régalent de ces immixtions entre premier et second degré, adorent ces rebonds sur les clichés, cette scène où Randy, l’exégète sautillant campé non sans panache par Jamie Kennedy, se retrouve à deux doigts de la mise en abyme homicide par écran de télévision interposé.

    Les meilleures scènes de la saga seront celles qui brouilleront les niveaux de réalité entre les différents médias, entre le divertissement et la shock value de la série B : le meurtre inaugural de Scream 2 dans un cinéma, la peur panique de Sidney pendant une répétition, la succession de fausses intros de Scream 4, les caméras de Gale Weathers disséminées dans le Stab-a-thon. Avec Scream se lance une nouvelle vague de slashers trop conscients d’eux mêmes, caustiques comme la soude, ironiques et inconséquents. La dissociation fragile entre la satire et la parodie répand l’innocuité artistique comme un poison.


    Scream et le brouillage de la réalité entre les médias.

    Métastase

    Scary Movie de Keenen Ivory Wayans (2000) est à ce titre un cas d’école. Dimension Films, filiale de Miramax dirigée par les redoutés et redoutables Bob et Harvey Weinstein, produit sa propre parodie de Scream, dont se boucle la même année la prime trilogie. D’une vulgarité thermonucléaire, Scary Movie poursuit en outre le travail de déconstruction entamé par les deux premiers volets de la franchise de Wes Craven et Kevin Williamson, dilué dans les dérives feuilletonnantes de Scream 3.

    Les personnages portent leur fonction en évidence comme un étendard, les ficelles sont toutes apparentes, le processus d’écriture se met à nu dans une mécanique humoristique tributaire des modes et gimmicks du moment, quitte à paraître daté en quelques mois à peine. Dans un geste vertigineux d’un point de vue théorique et sidérant à l’écran, Scary Movie se moque de la façon dont Scream se moque du genre. La fratrie Wayans n’a cessé de se rôder aux processus parodiques depuis l’m Gonna Git You Sucka (1988), mais cette démarche fait écho aux retournements situationnels des sketches de leur anthologie télévisuelle In Living Color où apparaissait Jim Carrey.

    Excités par ce nouveau champ des possibles, les Wayans jouent la carte de la surenchère dans Scary Movie 2. La parodie se déplace sur d’autres tropes scénaristiques, sur l’actualité récente - un gag revient sur la défaite houleuse d’AI Gore face à George Bush. Les Weinstein font les Weinstein et ruent dans le montage à la tronçonneuse : le film devient d’une agressivité aveugle, en renfort d’une mécanique dramatique absconse et désagréable.

    Les séquelles se succèdent, toutes plus aberrantes et vides de sens les unes que les autres. L’arrivée de David Zucker à la réalisation au troisième volet ne sauve strictement rien - sans ses deux compères de la formation ZAZ et coincé dans un délire réactionnaire aliénant depuis le 11 septembre, l’ancien fer de lance des sagas « Y a-t-il… » a tout perdu de sa force de frappe. Mais le pire est à venir.


    Scary Movie de Keenen Ivory Wayans, ou quand la parodie ironise sur le discours méta…

    Parmi les nombreux scénaristes du premier Scary Movie, deux débutants vont se distinguer et tuer quasi à mains nues le genre parodique et le méta en les poussant dans leurs ultimes retranchements. Les innommables Jason Friedberg et Aaron Seltzer lancent un coup de semonce avec l’immonde Sexy Movie (2006), prototype de leur anticinéma destiné à être découpé en clips de 2 minutes sur YouTube. Désespérant de fainéantise d’un point de vue comique, le film ressemble encore à peu près à quelque chose grâce à un casting au professionnalisme exemplaire en de telles circonstances. Suivent Big Movie (2007), Disaster Movie (2007) et l’infâme Spartatouille (2008), des productions à peine dignes de supporter le qualificatif de films. Les réalisateurs/ scénaristes opèrent un mix approximatif des dernières images arrivées dans le champ de vision de la pop culture (bandes-annonces, clips, émissions de télé, pubs), y rajoutent des gags éculés. Ils accouchent de chambres d’écho faisandées de l’air du temps, d’objets moches, troussés sans passion ni compétence, d’une tristesse cynique absolue.

    En 2005 sort enfin Cursed, retrouvailles entre Wes Craven et Kevin Williamson, à la production notoirement calamiteuse. Le script original disponible sur le Net prolonge l’angle méta de Scream au cœur même du mal, à Hollywood. L’antagoniste se révèle être le has been (le scénario le décrit complaisamment comme tel) Scott Baio, dans son propre rôle avant son gros virage conservateur. De reshoot en remontage, n’en reste qu’une pantalonnade grotesque, un squelette de proposition discursive. Entre autres saloperies imputables aux Weinstein, il ne faut surtout pas oublier l’épuisement psychologique de Wes Craven et la mise à mort du genre parodique - Friedberg et Seltzer n’ont fait que radicaliser leur approche purement pragmatique du genre jusqu’à la celui-ci transparent. De petit malin, le cinéma méta est passé en une dizaine d’années au stade de crétin trépané.

    Méta physique

    Le constat est d’autant plus cruel que les liens entre la fiction méta et l’humour ont enfanté avant cela de merveilleuses incartades surréalistes. Bien avant que la Nouvelle Vague française ne brusque les conventions cinématographiques d’une provocation directe au spectateur (À bout de souffle de Jean-Luc Godard) ou dans l’élaboration d’un étrange théâtre figé en boucles lancinantes (L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais), une singulière production américaine abat le quatrième mur dès 1941.

    Hellzapoppin’ de H.C. Potter intègre des interrogations sur son processus créatif à sa narration volontairement confuse, incessamment parasitée par toutes les aberrations méta imaginables. Les coutures craquent de partout, projectionniste, décorateur et scénariste abattu par l’impossibilité d’adapter le spectacle du duo comique Olsen & Johnson à l’écran se disputent des apparitions nonsensiques. Le film se partage entre la volonté de démontrer son absurdité existentielle et une frénésie créative tournée vers une réappropriation gaguesque des techniques cinématographiques. Tous les grands comiques américains passés au 7° Art ont usé et abusé des regards caméra, Hollywood a taquiné son envers du décor à de multiples reprises avant l’incroyable Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, mais Hellzapoppin’ envoie tout valser dans une saisissante fuite en avant.

    Il faut attendre l’arrivée de Mel Brooks derrière la caméra pour retrouver un tel niveau de dézingue, et surtout une telle envie de balancer des bâtons de dynamite de cartoon dans les coulisses. Les Producteurs (1967) traverse les mêmes ponts branlants entre Hollywood et Broadway que le film de H.C. Potter, avec un zeste de provocation : l’intrigue tourne autour d’une comédie musicale écrite comme une déclaration d’amour à Hitler, montée pour susciter un bide couvert par les assurances, que l’incompétence générale transformera en satire ultra populaire. Le film connaîtra une magnifique adaptation scénique jouée des centaines de fois entre Broadway, le West End Londonien, et même récemment au Théâtre de Paris.

    La transposition multiplie les adresses malicieuses au public, et cette mise en abyme s’égare définitivement dans le remake de 2005 signé Susan Stroman : le méta au carré s’annule et ne donne à voir qu’un objet diaphane, à peine vivant. Mel Brooks persévère quant à lui dans la voie parodique, avec toujours plus de réussite artistique : en 1974, Le Shérif est en prison et Frankenstein junior rendent de vibrants hommages au western et au film d’horreur gothique, deux genres à l’époque portés disparus, en détournent astucieusement les codes pour les faire résonner avec le contemporain de façon touchante et inattendue. C’est avec La Folle Histoire de l’espace (1987), allumage en règle de la première trilogie Star Wars, que la méthode atteint son zénith, forte d’un budget conséquent à même de donner ce qu’il faut de sérieux à toutes les fantaisies les plus triviales. Dans son rythme frénétique et ses multiples débordements en coulisse, le film fait écho à Hellzapoppin’, dont il partage l’exigence artistique au service du grand n’importe quoi. Plus mineurs, à la traîne des blockbusters qu’ils sont censés émuler, Sacré Robin des Bois (1993) et Dracula mort et heureux de l’être (1995) n’en conservent pas moins de beaux restes.


    Hellzapoppin’ de H.C Potter

    Métaphore

    Sans personne pour lui rendre hommage, le cinéma bis emprunte sa propre piste méta à partir du milieu des années 1980, sans réel second degré, avec pour volonté majeure de créer des dispositifs en poupée gigogne pour accroître sa puissance d’évocation. Lamberto Bava ouvre le bal avec ce qui reste probablement son meilleur ouvrage, Démons. Les spectateurs d’un film d’horreur constatent que les événements à l’écran ont un écho dans la salle, et le scénario cosigné Dario Argento lance la mode sympathique des films dans le film forcément maudits, forcément déclencheurs de furies sanglantes.

    Le but est cristallin : bâtir un récit autour d’une œuvre dont la toute-puissance rejaillirait sur l’appréciation du film, et impliquer les spectateurs en leur dévoilant des personnages sacrificiels dans la même position qu’eux : au cinéma. Le procédé sera encore plus poussé dans Angoisse de Bigas Luna (1987) : le générique de fin est projeté sur un écran de cinéma, dont le public se retire au fur et à mesure, au diapason supposé des spectateurs en salles obscures. Dans sa dernière partie de carrière, john Carpenter met en scène deux œuvres dont là simple vision libère l’horreur jusqu’à transformer ses spectateurs en créatures mutantes assoiffées de sang : le film adapté du roman de Sutter Cane dans L’Antre de la folie (1994), devant lequel termine Sam Neill à la fin de son chemin de croix, et La Fin absolue du monde, l’œuvre au cœur de son épisode éponyme pour la première saison de l’anthologie Masters of Horror (2005).

    Dans les deux cas, le pouvoir hypnotique des récits maudits n’est pas expliqué, il tombe sous le sens au fil des enquêtes. Ils agissent comme des drogues ou des virus, affectent ceux qui s’en approchent avant d’asseoir leur emprise totale. L’épisode Drive In de anthologie American Horror Stories (2021) choisit l’approche opposée : Larry Bitterman, l’auteur du film Rabbit Rabbit, assume crânement avoir réuni toutes les techniques de suggestion subliminale possibles pour que son œuvre pousse au massacre général, dans un dialogue explicatif incroyablement forcé.

    Non content, le réalisateur Eduardo Sänchez (jamais revenu du succès du Projet Blair Witch) emprunte à La Fin absolue du monde ses tics de mise en scène pour figurer le film maudit : flashes, inserts sanglants, traces apparentes sur la pellicule, gros plans angoissants. Et contemporanéité oblige, le récit s’achève sur un pied de nez aux plateformes. Le geste évoque le ton semi-revanchard du Meurtres en VHS de jeff Lieberman (1988), sa vidéo K7 d’un nanar de science-fiction utilisée par des aliens pour asservir la population terrestre, et sa trouille pas franchement sous-jacente de voir le marché de la VHS ravager le paysage audiovisuel - et même les consciences. Dommage collatéral de cette vision, la représentation du bis en prend un sérieux coup.

    Les héros de Blow Out (1981) et Body Double (1984) de Brian De Palma semblent témoigner d’un mépris égal pour les productions crapoteuses auxquelles ils se trouvent mêlés, avant de s’y fondre totalement en fin de parcours. Les conspirateurs de La Cabane dans les bois (2011) n’ont aucune forme de respect pour les créatures et scénarios archétypaux auxquels sont soumis leurs tributs, et le climax les livre par conséquent à leur merci. Le salut vient d’un précurseur injustement méconnu de la saga Scream, Popcorn de Mark Herrier (1991). Le film confronte les organisateurs d’un marathon de projections à un boogeyman vengeur, exécutant ses victimes avec les artifices forains censés distraire le public, lequel n’y voit que du feu. Le soin apporté à la confection des séries Z projetées en arrière-plan témoigne du même respect pour ce matériau que le Panic sur Florida Beach de Joe Dante (1993), et empêche ce slasher tourné en Jamaïque de sombrer dans un quelconque cynisme. La saveur de Popcorn tient à sa bienveillance envers le matériau détourné.


    Démons de Lamberto Bava

    Métamorphoses

    Ce parti pris envoie Qui veut la peau de Roger Rabbit de Robert Zemeckis (1988) sur les bons rails à 430 kilomètres à l’heure. Les mouvements incessants et ahurissants de fluidité de la caméra servent la fusion entre le polar hard boiled et le cartoon ; le caractère méta de l’aventure plonge le spectateur dans une forme d’hypnose. La forme est tonitruante, le ton irrévérencieux, et leur doux mélange rend presque invisible la violence pourtant effroyable qui s’y joue. La puissance iconique qu’insuffle John McTiernan aux extraits des films de Jack Slater dans Last Action Hero (1993) donne instantanément envie de voir ces œuvres in extenso. Il en va de même pour toutes les fausses bandes-annonces du Grindhouse originel de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez, quand bien même ce dernier souillera l’acception bis du méta avec le diptyque Machete, chefs de file de ce courant profondément casses burnes et ovaires de la série Z consciente et connivente, du surcoté Kung Fury (2015) à la franchise lobotomisée des Sharknado (2013-2018).

    Tonnerre sous les tropiques de Ben Stiller (2008) marque un tournant vers une plus grande cruauté. Ses trailers inauguraux tirent à boulet rouge sur la vulgarité, la trivialité la bêtise et l’hypocrisie de son époque, et ses personnages principaux partagent tous d’énormes limites en tant qu’êtres humains, en même temps qu’une certaine forme de veulerie. Leurs mises à mort, accidentelles ou non, sont exécutées dans des effusions gore jouant sur les différents niveaux de réalité. Le film abat et rabat la carte du tous pourris, tous irrécupérables. Le S1mOne d’Andrew Niccol (2002) laisse le même sale arrière-goût. Sa charge parodique gagne chaque année en malaise, avec comme quintessence les images volées des films du Viktor Taransky (mélange coquin-taquin entre Tarantino et Tarkovski) : d’invraisemblables instantanés pseudo arty où la pauvre Rachel Roberts, censée incarner la plus grande actrice du monde, se donne en spectacle plus qu’autre chose.


    – Danger de la fiction avec Qui veut la peau de Roger Rabbit de Robert Zemeckis

    Pire que tout, il y a dans S1mOne de cette insupportable fragrance du portrait de l’artiste en loser auto-apitoyé, dont Adaptation. de Spike Jonze (2002) aurait dû être l’apothéose définitive en termes de geignardise mal placée. Grâce à l’impeccable double prestation de Nicolas Cage, cet exercice de psychanalyse de Charlie Kaufman à 19 millions de dollars évite de sombrer dans les tréfonds masturbatoires en dépit de nombreuses scènes d’onanisme - une façon comme une autre de tester les limites du méta. La fiction indépendante américaine souffre depuis The Player de Robert Altman (1992) d’une impuissance à refléter l’envers du décor hollywoodien de façon incisive, sans éviter de glisser vers une fascination désincarnée pour le sujet, par-delà toutes les trahisons et les vanités.

    Une petite sensation d’époque comme Swimming with Sharks de George Huang (1994), outre le casting rétrospectivement parfait de Kevin Spacey dans le rôle principal, serai aujourd’hui aussi inoffensive qu’un reportage du vendredi soir sur une chaîne obscure de la TNT. Et le passage du temps n’a rien arrangé. Le récent The Beta Test de Jim Cummings, troisième long-métrage d’un jeune prodige autoproclamé produit en ultra indépendance, dans une liberté de ton absolue, ne délivre rien d’autre qu’un énième ersatz mou et creux d’American Psycho. Tout n’est que froideur, cynisme, bas calcul. À l’image de la transformation de l’industrie cinématographique jusqu’au temps du COVID.


    – La puissance iconique de Last Action Hero de John Mc Tiernan

    Méta of honor

    Il s’en faut de l’adaptation d’un classique de science-fiction soviétique par un réalisateur israélien via un montage financier international kamoulox pour que le cinéma américain daigne enfin se regarder en face sans prendre de haut son propre outil de travail. Le Congrès d’Ari Folman (2013) transpose l’intrigue de base du roman de Stanislaw Lem dans le microcosme hollywoodien. Robin Wright joue une version has been d’elle-même, sollicitée par un double de Harvey Weinstein presque aussi odieux que son modèle, Le butor lui soumet l’idée d’être intégralement scannée de lui laisser son image et de tirer sa révérence. Flash-forward dans un futur où chacun vit dans une dimension chimique bigarrée, avec tous les avantages métamorphes de l’animation. Passées des incartades colorées surréalistes, le retour à la réalité montre la misère ambiante, son désespoir absolu masqué par les psychotropes.

    Ces visions à la Ready Player One ne sont pas l’aspect le plus réussi du film, pour ne pas parler de ratage majeur dans un tableau pourtant passionnant. Qui aborde frontalement l’abandon de soi, cette monétisation de l’identité préfigurant les méthodes de Disney telles qu’éventées par Donald Glover en marge du tournage de Solo: A Star Wars Story : les corps ne s’appartiennent plus, ils peuvent être clonées numériquement et faire ce que les modèles originaux s’interdisent — dans le cas de Robin Wright dans Le Congrès, de la science-fiction et de la pornographie. Ce seront bien évidemment les deux disciplines où son alter ego brillera le plus. Pour retrouver une telle violence psychologique envers la profession d’acteur, il faut voyager jusqu’à Hong Kong avec le diptyque des King of Comedy de Stephen Chow.

    Dans le premier volet en date de 1999, le gigantesque Stephen joue les petites mains sadisées de l’industrie hongkongaise et de ses tournages expéditifs, et cède le flambeau à la très émouvante Jingwen E. dans sa séquelle tardive de 2019. Les reconstitutions des tournages de films à la mode n’ont plus le côté sympathiquement référentiel du premier volet, une souffrance certaine s’y développe et offre là aussi un regard d’une profonde tristesse sur une industrie à la dérive. Cette pulsion morbide se retrouve peu ou prou chez tous les auteurs amenés à traverser le miroir, du Lynch numérique d’Inland Empire (2006) au Haneke docte et didactique de Benny’s Video (1992) et Funny Games (1997 et 2007), du Powell malsain du Voyeur (1960) au Noé à la dérive de Lux Æterna (2019).


    – Quand l’animation décuple les vetiges de la métafiction avec Millenium Actress de Satoshi Kon (R.I.P 😞 )

    De tous les thanatopracteurs, il faut saluer le travail de deux immenses concasseurs de formes. Peter Watkins, anarchiste de la fiction capable de mélanger grande Histoire, journalisme polémique et grammaire télévisuelle dans des objets au ton inédit et immédiatement engageant. Il balance ainsi des caméras et des reporters embarqués en plein cœur d’une bataille anglaise de 1746 dans son premier long-métrage, Culloden (1964) ou oppose, au beau milieu de La Commune (2000) les communiqués d’une télévision officielle versaillaise aux reportages de terrain d’une télé communarde. Dans son biopic Edvard Munch (1974), il teste les limites du regard caméra : son sujet scrute le spectateur en permanence, interroge son intrusivité comme jamais, prend à parti sans un geste.

    Punishment Park, enfin, s’empare de tous ses partis pris pour questionner l’impuissance et la résilience. Le vrai magicien du méta, l’illusionniste pour reprendre le qualificatif employé par le récent documentaire de Pascal-Alex Vincent qui lui est dédié, reste Satoshi Kon. La noirceur étouffante de Perfect Blue, avec son animation souvent rudimentaire mais déjà puissamment cinématographique, laisse place dès Millennium Actress (2001) à une véritable explosion. Réalité, rêve, films, époques, flashes-back, flashesforward, tout se mélange en une course folle éperdue. Une vie s’y raconte en vignettes cinématographiques interdépendantes, des plans merveilleux de complexité et totalement lisibles superposent les différents degrés de réalité, en prélude à la grande partouze sensorielle et métaphysique de Paprika (2006).

    La solution était là, devant nos yeux depuis le début : la clé est de tout mélanger dans un même élan, avec le même enthousiasme. C’était sans doute beaucoup demander au dernier Scream de ne serait-ce qu’égaler le plaisir « konien » suscité par Matrix Resurrections de Lana Wachowski.

    Par François CAU