Cinéma & Séries

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    Responsables des magnifiques images de Laisse moi entrer de Matt Reeves en 2010, le directeur de la photographie australien Greig Fraser a conquis Hollywood avec des films comme Zero Dark Thirty, Foxcatcher, Rogue One: A Star Wars Story et Vice. Alors qu’il s’apprête à repartir sur Arrakis avec Denis Villeneuve pour Dune: Part Two, il nous explique comment Matt Reeves et lui ont façonné l’univers visuel de The Batman.

    Quelle a été votre réaction lorsque Matt Reeves vous a offert de travailler sur The Batman ? Êtes-vous un fan du personnage ?

    Oui, depuis très longtemps. Mais l’histoire derrière le film est peut-être plus compliquée que vous ne le pensez. Matt est passé par tout un processus avant de faire The Batman. Je le connais depuis des années, nous sommes de très bons amis et nous sommes tout le temps en contact. Déjà durant la postproduction de son second La Planète des singes, il me parlait de The Batman.

    On a donc commencé à se pencher très tôt sur le sujet. Nous nous sommes mis à échanger sur les aspects du personnage que nous aimerions voir à l’écran et qui n’avaient pas ou peu été employés jusqu’alors. Et pendant que nous travaillions sur d’autres projets, nous ne cessions de développer des idées autour de The Batman.

    Le processus a été très « interactif », entre Matt et moi. Je lui parlais des avancées technologiques, de la façon dont il pourrait utiliser telle technique pour tourner telle scène… Du coup, quand il a été question pour lui de rassembler son équipe une fois les choses officiellement annoncées, je n’avais pas la surprise d’être engagé : je travaillais déjà dessus avec lui depuis longtemps. J’étais plutôt excité à l’idée qu’enfin, nous allions pouvoir nous mettre au travail.

    On trouve dans votre filmographie des films qui ont marqué par leur réalisme âpre, comme Cogan - Killing Them Softly, Zero Dark Thirty. Même Rogue One: A Star Wars Story et Dune approchent leur univers science-fictionnel avec un certain naturalisme. Pensez-vous que The Batman a d’une façon ou d’une autre bénéficié de ces expériences ?

    C’est drôle parce que l’année dernière, j’ai fait un Q&A avec des étudiants, et ils m’ont posé des questions sur mon « style ». Et j’ai répondu que j’espérais ne pas en avoir un, et que si c’était le cas, j’aimerais bien qu’ils le définissent. Car je n’aime pas vraiment l’idée que les gens puissent se dire que j’ai un style précis.

    Et l’un des étudiants a répondu : « Votre style est naturaliste. ». Exactement ce que vous venez de dire. Et en fait, je suis plutôt d’accord avec cette analyse, finalement. Je suis attiré par le naturalisme du monde réel, Sur The Batman, il y avait de toute évidence l’opportunité de développer une approche du type « film noir hollywoodien old school ».

    On pouvait se permettre de revenir quelques décennies en arrière en termes de look, en nous inspirant de films qui arboraient des noirs hyper profonds et des blancs surexposés qui venaient déchirer l’image. Mais après réflexion, nous avons aussi convenu que The Batman devait être un film contemporain, qui se situe dans un monde parallèle au nôtre. Il fallait donc trouver un équilibre.

    Alors pour répondre à votre question, oui, je pense que l’expérience accumulée sur mes films précédents — y compris sur des titres qui ne se distinguent pas par une stylisation poussée, comme Lion Bright Star ou Vice, m’ont permis d’affûter mon œil et mon sens esthétique afin de pouvoir livrer des images qui semblent vraiment exister dan notre monde, des images que le public peut instinctivement comprendre ainsi apporter cette sensibilité naturaliste dans des univers de science-fiction. Ou dans celui de Batman.

    Quelle était la nature de vos échanges avec Matt Reeves durant l’écriture du script ?

    Durant nos discussions sur le genre de Batman que nous voulions voir à l’écran, nous avons rapidement étendu notre vision à l’environnement dans lequel il allait évoluer, avec ce concept que je viens de mentionner d’un monde qui serait une version alternative du nôtre. J’envoyais donc à Matt des images susceptibles de lui donner des références visuelles qui pourraient l’aider à visualiser ce monde.

    J’ai fait beaucoup de recherches, notamment sur l’aspect ténébreux de Gotham, que nous voulions mettre en avant. Mais j’ai beau aimer les univers visuels sombres, je trouve que lorsque vous regardez un film qui baigne constamment dans les ténèbres, l’expérience peut devenir pénible. Les idées que j’envoyais à Matt avaient pour but de l’aider à comprendre comment il pouvait faire un film « sombre, mais clair ».

    C’est-à-dire sombre dans son ton et ses teintes, mais assez clair pour que le public puisse scruter les ombres et y trouver des informations. C’était assez fun de définir cette balance. On a aussi pas mal évoqué les possibilités techniques qui s’offraient à nous : les décors affichés via des murs d’écrans LED, l’utilisation de caméras digitales — il avait déjà tourné ses Planète des singes en numérique, mais on voulait cette fois utiliser des capteurs plus grands et des objectifs anamorphiques à large format. On a vraiment échangé sur énormément de sujets, c’était une opportunité fantastique d’avoir le temps de se poser toutes ces questions.

    Avez-vous revu les précédents films Batman pour préparer celui-ci ? Si oui, qu’avez-vous retenu du travail de Roger Pratt pour Tim Burton et de Wally Pfister pour Christopher Nolan ?

    Jai vu tous ces films Batman, et ils sont fantastiques , Roger et Wally ont fait un boulot extraordinaire. En revanche, je ne les ai pas revus avant de faire The Batman. La seule chose que j’ai un peu étudiée, ce n’est pas la façon dont ils ont éclairé les décors -ce qu’ils ont magnifiquement fait —, mais Batman en lui-même…

    Vous savez, c’est toujours délicat quand on commence à travailler sur un film. J’essaye pour ma part d’éviter de regarder des choses qui ne m’aideront pas à façonner le look du projet. Si ça risque de me pousser vers une direction qui ne conviendra pas, je m’abstiens. Parce que j’ai l’impression que notre « cortex visuel » — je ne suis pas sûr que ça existe vraiment ! — est ainsi fait qu’il ne peut retenir qu’un nombre limité d’informations conscientes.

    J’essaye donc ne pas remplir mon cortex visuel d’images qui ne me conviennent pas à un moment précis. Les œuvres qui me semblaient le mieux correspondre au ton recherché sont celles dont Matt m’a souvent parlé, comme Klute, Chinatown, Les Hommes du président, tous ces films noirs des années 1970.

    Vous êtes-vous penché sur certains comics Batman pour concevoir la lumière du film ?

    Aucun titre précis non. Mais du coup, je reviens au concept dont je parlais, qui est d’absorber seulement les informations visuelles les plus pertinentes. Je me suis très consciemment inspiré des certaines tendances globales issues des comics, car j’en ai lus pas mal dans ma vie. Je ne dirais pas que j’ai une mémoire photographique - en tout cas, mes profs au lycée vous confirmeraient que ce n’est pas le cas (rires) -, mais j’ai une certaine facilité à retenir le ton émotionnel d’une image, et à comprendre comment cette image projette cette émotion.

    Du coup, les comics Batman que j’ai lus dans ma vie m’ont beaucoup inspiré pour appréhender le look global des images du film. L’une des grandes qualités des comics, c’est leur capacité à faire immédiatement converger votre regard au bon endroit, à travers la couleur, les contrastes. Peu de réalisateurs ont une capacité similaire.

    Le look des films des 70’s qui ont influencé The Batman se caractérise bien sûr par l’utilisation de la pellicule. Paradoxalement, The Batman est le premier film de la franchise à être entièrement filmé en numérique. Quel a été votre processus créatif pour essayer de retrouver un cachet caractéristique du support analogique ?

    C’est intéressant, parce que le débat pellicule contre numérique peut parfois prendre des proportions tellement dramatiques ! Chaque camp a ses arguments. C’est un peu comme supporter une équipe de foot, et discuter inlassablement du mérite de chaque joueur…

    Pour The Batman, nous ne voulions pas spécifiquement un film sombre et granuleux, avec un look proche de l’argentique. Ce n’était pas notre intention. Ce que nous voulions, c’était retrouver le genre de sensations que vous éprouvez quand vous regardez Le Parrain, ou Klute.

    Il se trouve que ces films ont été shootés en pellicule. Mais s’ils avaient été tournés aujourd’hui, peut être que leurs chef-op’ auraient utilisé des caméras numériques. Qui sait ? La seule chose importante, c’est ce que dégagent les images. Quand on tourne en numérique, si le rendu est trop précis, trop clair, je trouve qu’on perd la magie qu’apportait la douceur de la pellicule.

    Mais on pourrait en débattre des heures, car d’aucuns pourraient vous répondre que la disparition de cette « douceur » est précisément l’un des grands atouts du numérique. Mais le sujet se focalise trop souvent sur le look des images. Alors que la seule chose qui compte, c’est l’émotion qui s’en dégage. C’est pour ça que j’adore travailler avec Matt, car cette question est toujours au centre de ses réflexions. Aujourd’hui, il existe plein de façons de tricher pour retrouver l’aspect de la pellicule. Mais pour moi, ça ne fonctionne jamais vraiment.

    Les ténèbres sont un élément visuel primordiale pour le personnage de Batman, encore plus dans le cas du long-métrage de Matt Reeves, qui s’inscrit dans la tradition du film noir. Comment avez-vous manié les contrastes pour modeler la psychologie des personnages ?

    Dans ce domaine, Batman est un personnage très intéressant. Durant une interview, Robert Pattinson a dit que nous avions beaucoup réfléchi à la façon dont nous allions éclairer le costume et le masque. Et c’était en effet un point de discussion crucial. Dans l’absolu, sa silhouette devrait être d’un noir uniforme, au sein duquel on ne pourrait pas voir de détails.

    C’est comme ça que les comics l’ont souvent montré. Mais avec une caméra, ce concept ne fonctionne pas. Quand vous braquez votre objectif sur quelque chose, vous captez forcément des détails, des textures. Il fallait trouver le bon équilibre : ne pas éclairer au point où on voit tout, mais juste assez pour que vous sachiez qu’il y a quelque chose dans cette masse noire. Et puis, il ne faut jamais oublier que derrière ce masque, il y a Robert Pattinson.

    On veut que le spectateur le ressente, voie ses yeux, pour comprendre les émotions qui l’habitent lorsqu’il est dans ce costume. C’est très dur pour un acteur : son visage est presque entièrement recouvert, et tout doit passer par ses yeux. Hors de question, donc, de le priver de son outil le plus précieux pour ces séquences. Le tout était donc de montrer la noirceur qui nimbe le personnage, mais d’avoir assez de lumière pour qu’on puisse ressentir ses émotions.

    La façon dont vous gérez l’intensité de vos contrastes dans The Batman rappelle le procédé ENR (un traitement chimique de la pellicule qui permet d’obtenir des images très contrastées aux couleurs désaturées - NDR) initialement conçu pour Vittorio Storaro par Technicolor. Darius Khondji a perfectionné cette technique et l’a beaucoup utilisée, notamment sur Se7en. Aviez-vous son travail en tête lors du tournage de The Batman ?

    Darius est un maître, et son travail est tout simplement incroyable. Mais sur The Batman, il n’a pas vraiment été une référence directe. Ce que je veux dire, que durant ma préparation, je ne me suis pas assis dans un canapé pour revoir tous les films sur lesquels il a œuvré. Ce que je peux vous dire en revanche, c’est que dans ma vie, j’ai vu tous les films sur lesquels il a œuvré ! (rires)

    Quand j’étais étudiant en cinéma, j’ai étudié très attentivement son travail, notamment pour comprendre ce qu’il cherchait à faire avec l’ENR. Le truc avec la pellicule, c’est qu’elle n’apportait pas naturellement le niveau de contraste que Darius voulait obtenir. Mais quand vous shootez en numérique, vous avez la possibilité de jouer avec les contrastes, de les pousser au-delà de ce que le celluloïd pouvait capturer, afin de retrouver le type de sensations que Darius arrivait à susciter avec l’ENR. Et c’est un outil merveilleux à utiliser pour raconter une histoire.

    Vous avez éclairé plusieurs épisodes de la série The Mandalorian, dont vous êtes également producteur. Ce show utilise la technologie des décors affichés directement sur des murs d’écrans LED, que vous avez également employée sur The Batman. Votre approche de la lumière est-elle la même lorsque vous travaillez avec ce type d’environnement virtuel, par rapport à un décor classique ?

    Ma philosophie est rigoureusement identique dans les deux cas. Le danger serait justement de se dire qu’il faut changer d’approche parce que la nature de la technologie est différente. Je ne fonctionne pas comme ça. L’une des raisons pour lesquelles je me suis impliqué dans The Mandalorian - au-delà de mes liens d’amitié avec les gens de Lucasfilm et d’ILM et de mon amour pour cet univers -, c’était justement la possibilité qui s’offrait à moi d’étudier les perspectives dramaturgiques qu’offre cette technologie.

    Je ne vois pas ces murs d’écrans LED comme des accessoires uniquement réservés à de gros projets de science-fiction ou de fantasy. Pour moi, ils permettent de mettre l’'emphase sur le drame qui se joue à l’image. J’ai travaillé avec l’équipe de The Mandalorian pour perfectionner cet outil, afin que des brillants artistes comme Matt Reeves, Denis Villeneuve ou Kathryn Bigelow puissent l’utiliser dans la création de leurs chefs-d’œuvre. C’est en cela que j’approche cette technologie comme n’importe quel autre aspect de mon travail.

    – Propos recueillis par Laurent DUROCHE
    – Merci à Carole CHOMAND

    SOURCE: Mad movies

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    Révélé par Requiem for a Dream de Darren Aronofsky, qu’il retrouvera en 2004 sur The Fountain, James Chinlund a croisé la route de Paul Schrader (Auto Focus) et Spike Lee (La 25ème heure) avant d’être propulsé dans les hautes sphères hollywoodiennes avec Avengers. La Planète des singes : l’affrontement et sa suite l’'amènent à développer un style visuel très singulier aux côtés du réalisateur Matt Reeves, mariant l’intimisme du cinéma indé avec les enjeux spectaculaires d’un blockbuster ; une approche que l’on retrouve dans The Batman.

    Quand avez-vous commencé à discuter du projet avec Matt Reeves ?

    C’était juste à la fin du dernier opus de La Planète des singes. The Batman a donc mûri dans mon esprit pendant près de trois ans. Matt et moi avons une relation très intéressante, et j’ai l’habitude de concevoir le visuel pendant qu’il écrit, ce qui est une manière très excitante et très rare de travailler dans mon métier.

    Tandis que Matt cracke le code de l’histoire, je propose des lieux, des décors, et il les intègre au récit. Ou parfois, il vient m’exposer des problèmes, et j’essaie de trouver où placer ses personnages. Nous avons collaboré ainsi sur les deux épisodes de La Planète des singes, et ça se ressent à l’écran, je pense. Au début de la production, je fais toujours ce qu’on appelle des « mood boards », qui rassemblent de nombreuses images servant d’inspiration au visuel du film. Matt et moi échangeons des images qu’on aime… Le production design fait donc partie intégrante du processus d’écriture.

    Matt est vraiment le propriétaire de chaque centimètre carré de son cinémascope. C’est lui qui prend toutes les décisions et crée cet univers à partir de zéro. Quand on a commencé à tourner, toute l’équipe s’est mise au service de ses idées et s’est assurée que sa vision soit retranscrite à l’écran de la façon la plus cohérente.

    Un projet comme The Batman est forcément très intimidant pour un production designer.

    Oui, il y a eu tellement d’itérations différentes, tellement de comics, c’est presque décourageant d’essayer de trouver des espaces nouveaux à montrer dans un film comme celui-ci. C’était tout de même notre ambition première : nous voulions, tout en restant fidèles à cet univers, raconter une nouvelle histoire en nous appuyant Sur une imagerie à la fois familière et novatrice. Toutes nos conversations étaient centrées autour de ça. La voiture a été un élément clé. On a pu voir des Batmobiles très différentes au fil des années, et nous avons donc commencé par elle. Le look du film est vraiment né de celui de la Batmobile.

    C’était déjà le cas avec Burton et Nolan , qui s’appuyaient respectivement sur la Batmobile d’ Anton Furst ou le Tumbler de Nathan Crowley . La Batmobile est profondément liée au look de Batman, et tout l’environnement doit lui correspondre.

    Absolument et au-delà de ça, la voiture était vraiment un bon élément de départ, car elle nous a permis d’éliminer plein de choses. On a fait en sorte que la voiture reflète au mieux Bruce Wayne et sa trajectoire dramatique, en tant que personnage et super-héros.

    Votre Batmobile ressemble à un visage.

    On s’est beaucoup inspirés de la cagoule, effectivement. J’aime particulièrement l’angle du dessus, qui reflète le visage de Batman. Et en même temps, on voulait vraiment que ce soit une vraie voiture, et non un tank ou une machine militaire ultra perfectionnée. C’est un véhicule fabriqué à la main par Bruce Wayne, on le voit travailler dessus. Ce choix s’est retrouvé dans le costume et dans les accessoires : on voulait que tout reflète l’univers de Batman et que le visuel soit intimidant, car le personnage veut susciter la peur chez les criminels.

    Ce n’est pas un énorme véhicule comme par le passé. Elle est puissante, mais pas disproportionnée. Elle ressemble en cela à Robert Pattinson , qui n’a pas la musculature de Captain America. Il a un physique très différent des standards hollywoodiens.

    À cette étape de son parcours, Bruce présente une certaine vulnérabilité, à la fois en tant que super-héros et en tant que personne publique. Il n’en est qu’au début. La physicalité de Robert Pattinson a été déterminante. On le voit dans le costume, dont beaucoup de pièces ont été visiblement cousues main. Ce Batman n’est pas invincible, il essaie juste de faire de son mieux comme Citoyen de Gotham : il veut chasser les démons de la ville et résoudre des problèmes comme le ferait « le plus grand détective de tous les temps ?. J’adore cette vulnérabilité, et je voulais qu’elle se retrouve dans le design de la voiture.

    On voit bien dans les scènes d’action que chaque geste ou chaque action pourrait le tuer. Avant de sauter en wingsuit, il sait qu’il va probablement mourir. Résultat, le public en est lui aussi convaincu. On ressent ça également dans la poursuite en voiture sur l’autoroute. il est au volant d’une voiture trop puissante pour lui.

    C’était tellement excitant de voir se construire cette séquence de poursuite. C’est la première fois depuis longtemps qu’on voit une vraie Batmobile lancée à vive allure dans des cascades en direct. L’équipe qui a fabriqué la voiture a fait un travail incroyable, Elle a réalisé absolument tout ce que vous voyez à l’écran !

    Ça se voit.

    Et quelle conception incroyable ! Ils en ont fabriqué quatre. Matt tenait dès le départ à ce que la voiture puisse être utilisée en conditions réelles, et qu’elle soit capable de réaliser toutes les cascades. Le design ne devait pas limiter ses performances. On a d’ailleurs été très méthodiques du point de vue du design, car Bruce n’est pas intéressé par l’idée de créer un véhicule super élégant. Il veut être capable de poursuivre ses ennemis avant tout.

    Cela guide tous ses choix, notamment celui d’installer une armature en acier trempé à travers toute la voiture. Une fois lancée, la Batmobile ne peut être arrêtée, elle peut même traverser des obstacles. On s’est donc dit : « Si j’étais Bruce Wayne, quels choix ferais-je ? ». Il y a donc des pièces provenant de différentes voitures, et le look global ne fait jamais preuve d’exubérance. C’est juste un outil surpuissant.

    Il a aussi une moto.

    Oui, et la première fois qu’on voit le personnage, C’est une sorte de silhouette errante qui se déplace en deux-roues. Pour nous, il était important d’établir Bruce Wayne comme un fétichiste de la mécanique automobile et un passionné de la culture moto. Bruce Wayne est au volant de véhicules différents la nuit et le jour, mais il y a une connexion sous-jacente. Par exemple, il conduit une Corvette le jour, et on s’est demandé comment ce choix affecterait le design de la Batmobile. Pareil pour la moto : il pilote une Cafe Racer le jour, donc le deux-roues de Batman ne devait pas en être trop éloigné.

    Quand il arrive aux funérailles dans sa Corvette, on a vraiment l’impression que le véhicule est une version « Bruce Wayne » de la Batmobile. Tout comme le héros, le véhicule a droit à son alter ego. Cela sert parfaitement le thème du double qui imprègne la mise en scène et l’intrigue.

    Je suis content que vous l’ayez remarqué, parce que c’était primordial pour nous ! On devait sentir son sens esthétique dans tous ses choix.

    Le costume de Batman est assez incroyable. Matt Reeves filme le personnage comme une force inévitable, qui avance envers et contre tout, souvent dans un ralenti extrême. Il peut se montrer rapide lors des combats, mais c’est globalement une créature lente, qui se dirige vers les criminels avec l’aplomb d’un croquemitaine. Le costume appuie parfaitement cette idée.

    Ce que j’adore avec le costume, c’est qu’il a été utilisé en conditions réelles dans absolument toutes les situations. C’est la première fois que Batman peut tourner la tête, et Robert Pattinson se battait vraiment dans son costume. Il y a eu très peu de retouches numériques. Robert a fait un travail incroyable avec les restrictions qu’il avait à gérer, mais de base, le costume était déjà très efficace. Il comporte du vrai cuir cousu à la main, des éléments en acier rappelant la Batmobile… Le costume et la voiture sont visuellement très compatibles.

    On voit enfin le maquillage noir autour des yeux de Batman. C’est quelque chose qui a toujours été utilisé dans la série, mais les réalisateurs préféraient tricher plutôt que de s’en servir. Même dans Batman, le défi, lorsque Michael Keaton arrache sa cagoule à la fin face à Catwoman, on peut voir un faux raccord, le maquillage disparaissant soudainement. Ici, cela devient une composante à part entière du personnage.

    Moi aussi j’adore ces moments où l’on voit les yeux maquillés de Bruce Wayne. Globalement, à moins d’avoir une bonne raison de ne pas prendre en considération certaines contraintes liées à un costume tel que celui de Batman, on a essayé de les intégrer au visuel et au récit. Si un homme faisait ça pour de vrai, il serait obligé de se maquiller le contour des yeux. Ça fait partie de son attirail, et ça l’aide à disparaître dans l’ombre. C’est une vraie fonction, pas juste de la décoration.

    Ce détail rappelle beaucoup The Crow , dont on retrouve la mélancolie dans le personnage de Bruce Wayne.

    J’adore The Crow. Il y a un aspect très goth dans la mythologie de Batman, donc c’est cohérent. C’est une coïncidence heureuse à mon avis, car je ne pense pas que Matt voulait forcément souligner cette parenté. C’est né du processus narratif, de la manière dont il a écrit le personnage et dont il a travaillé avec Robert.

    Bruce Wayne vit cette fois-ci dans une tour gothique au milieu de la ville. C’est une approche très différente du célèbre manoir des Wayne…

    Pour être honnête, on en a parlé dès le départ avec Matt. J’ai toujours été gêné par l’idée que Wayne vive dans une maison gigantesque à l’extérieur de la ville, et qu’il s’y rende uniquement pour combattre le crime. Et ensuite, il doit repartir chez lui à plusieurs kilomètres de là ?

    Ça m’a toujours paru un peu absurde. La tour Wayne a longtemps fait partie des comics, et je voulais à tout prix la situer au milieu de la cité. Bruce a tourné le dos aux enjeux financiers de l’entreprise Wayne, il se concentre uniquement sur sa mission, et il ne fait même plus semblant de s’intéresser à son héritage boursier. La tour, pour moi, était une formidable opportunité de raconter cette histoire sous un nouvel angle.

    Pareil pour la Batcave. Il y a eu des Batcaves incroyables par le passé, mais je tenais à proposer quelque chose d’original. Je me suis souvenu d’une histoire un peu folle : sous un hôtel new-yorkais, il y a une station de métro privée et un train. Grâce à un passage secret, le Président ou n’importe quel dignitaire peut fuir les lieux et quitter La ville. J’ai toujours adoré ce concept !

    Je me suis dit qu’une station de métro oubliée sous la Wayne-Tower serait une excellente idée pour une Batcave : ça lui donnerait un accès direct à toutes les artères de la ville, il pourrait travailler discrètement sur sa voiture, sortir par n’importe quel endroit. Encore une fois, on a puisé cette idée dans la réalité, et on l’a adaptée à la mythologie des comics.

    Les intérieurs de la tour sont incroyablement gothiques. C’est presque anachronique par rapport au reste de Gotham.

    Oui et non. Matt s’est beaucoup inspiré d’une visite du Hearst Castle, et a réfléchi à ce que serait la vie d’un milliardaire reclus. On a mêlé tout ça à l’architecture des années 20 et 30 aux États-Unis, où on a vu beaucoup de pastiches du style gothique. On a beaucoup joué avec ces formes, et on les a poussées au maximum avec la Wayne Tower.

    En voyant The Batman , on pense beaucoup à Se7en de David Fincher, Le Solitaire, Heat et Collatéral de Michael Mann … Avez-vous parlé de ces films avec Matt Reeves ? Car vous avez clairement créé un thriller, et non un film de super-héros.

    « Le plus grand détective au monde » : voilà ce que Matt voulait mettre en scène. Il ne voulait pas limiter Batman à une force implacable, il voulait qu’on le voie comme un personnage intelligent capable de résoudre les plus grandes énigmes. Matt a tissé une toile incroyablement complexe autour de son héros, le récit est d’une densité folle, je trouve le résultat incroyable !

    Et tout ça est fait au milieu d’un vrai film d’action. Donc oui, je pense qu’il a clairement été inspiré par les films que vous avez cités. La texture et le ton de Se7en nous ont à l’évidence tous affectés. C’est un honneur d’être comparé à une œuvre si iconique.

    Matt Reeves utilise beaucoup de plongées zénithales : durant les funérailles, dans la tour de Bruce Wayne, dans l’appartement à la fin, durant l’inondation… Cela a dû affecter votre manière de concevoir les décors.

    Très certainement dans la tour de Bruce Wayne, lorsqu’il examine tous les indices. Matt nous a dit très tôt qu’il allait filmer la scène de cette manière.

    – Propos recueillis par Alexandre PONCET.
    – Merci à Carole CHOMAND

    SOURCE: Mad Movies

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    Les adolescentes délurées de Mate-me por favor, le premier long-métrage d’Anita Rocha da Silveira, ont laissé place à de jeunes mères et pères la morale dans Medusa, drôle d’objet pop et arty rescapé in extremis des bouleversements ayant frappé le Brésil ces dernières années. Sa réalisatrice revient sur sa confection.

    Comment le cinéma brésilien se relève-t-il de la crise sanitaire et des assauts de Jair Bolsonaro contre le monde de la culture depuis son élection en 2018 ?

    Le mélange des deux a rendu les choses très compliquées. Bolsonaro a pris l’habitude de stigmatiser le monde de la culture, d’affirmer que ses artisans n’ont pas de vrai travail, et une part importante de la société souscrit à cette vision. Sa première action en ce sens a été sournoise : il ne s’est pas attaqué aux systèmes d’aides à la création, mais il a bloqué les fonds. Et juste après, le COVID a frappé le Brésil de façon particulièrement brutale.

    Heureusement, on avait sécurisé le budget et on a pu tourner Medusa fin 2019. Si on avait attendu quelques mois, ça n’aurait pas été possible. La plupart des productions brésiliennes qui arrivent à se tourner en ce moment sont dotées de petits budgets, et respecter les mesures sanitaires, ne serait-ce que les tests quotidiens, est quasiment impossible.

    Avez-vous ressenti un impact sur la liberté d’expression ?

    Pas vraiment. Le film Marighella a braqué le gouvernement de Bolsonaro, d’une part parce que ce nom est très connoté politiquement, et parce que
    Wagner Moura et d’autres superstars brésiliennes y ont participé. Pour ce qui est de Medusa, même si le film a tourné dans des festivals internationaux, son titre, son synopsis ou son amplitude ne le positionnent pas sur les radars de l’extrême droite, ces personnes ne se doutent pas que ce film existe. Ils ne vont pas au cinéma, encore moins pour aller voir des films brésiliens, ça ne les intéresse pas.

    Comment se prépare la sortie du film au Brésil ?

    Peu de villes brésiliennes comptent encore des cinémas, et la pandémie s’est chargée de fermer bon nombre de salles survivantes. On est désormais dans un marché où quand le dernier Spider-Man sort, il occupe quelque chose comme 85 % du parc.

    Un film comme Medusa ne vise pas tant une sortie en salles que la VOD. L’un des partenaires financiers du film est une chaine du câble brésilienne, donc ce qui va sûrement se passer, c’est qu’il y aura une sortie cinéma puis une diffusion VOD un mois plus tard. Quand Mate-me por favor est sorti en VOD, j’ai reçu beaucoup de messages d’adolescents, de jeunes adultes, en provenance de villes sans cinémas, et ils étaient ravis d’avoir pu voir le film.

    Mate-me por favour et Medusa ont anticipé avec beaucoup d’acuité la situation de la société brésilienne

    On a vu les choses arriver depuis plusieurs années, depuis 2013, quand les manifestations d’extrême droite ont commencé à se multiplier. Depuis que je suis adolescente, j’ai observé l’expansion de l’église évangéliste à Rio de Janeiro, sous toutes ses formes. Dans Medusa, je ne voulais pas stigmatiser l’Église en elle-même ou la foi, mais des groupes spécifiques, qui se servent des écritures dans un sens précis.

    Dans ce microcosme ou celui de Mate-me por favor, vous avez une façon bien particulière d’observer le fonctionnement du groupe.

    Je suis fascinée par ces dynamiques, comment on peut changer de personnalité dans ce contexte. C’est quelque chose que j’ai beaucoup observé dans mon adolescence, et dans Medusa, c’est particulièrement patent. Comment on contrôle les autres, soi-même. Les garçons du film s’inspirent d’un authentique groupe militaire évangéliste brésilien, pour qui il est très important d’être vu, de rester connecté ensemble - ils n’ont pas besoin des filles, ils sont très bien entre eux, mais il faut bien qu’ils se marient et qu’ils fassent des enfants.

    Spoiler

    Et c’est dans ce cadre que Medusa s’achève sur une note cathartique, qui va à l’encontre d’un fatalisme qui traverse actuellement le cinéma d’auteur mondial.

    Ce n’est pas la première fin que j’ai écrite. Avant l’élection de Bolsonaro, le Brésil a été secoué par la procédure de destitution de Dilma Rousseff, qui m’avait inspiré une fin plus triste. Mais la suite des événements m’a poussée vers cette résolution, qui est ma version d’un happy end. Et ça vient aussi des représentations picturales de la figure mythologique de la Méduse, en train de hurler non pas de douleur, mais de colère. Il fallait que ces filles restent unies à ce moment, qu’elles ne se replient pas vers les hommes ou vers l’Église, qu’il y ait une sororité et avec elle, la chance de pouvoir recommencer à Zéro. ||

    Dans quelles conditions avez-vous tourné ?

    Le budget était vraiment serré, on a tourné en 28 jours. Il fallait faire vite, on ne pouvait pas se permettre de commettre des erreurs. On a préparé le cast pendant trois mois, en multipliant les répétitions, on a planifié tout le découpage avec le premier assistant et le directeur de la photographie. On tournait parfois jusqu’à sept scènes par jour.

    Votre film et d’autres productions brésiliennes tournant dans les festivals internationaux donnent un sentiment de vitalité et de résistance aux politiques en vigueur dans le pays. Diriez vous que le cinéma brésilien est suffisamment soutenu à l’international?

    Plus ou moins. En fait, je ne constate pas véritablement d’évolution à proprement parler depuis l’élection de Bolsonaro. Les mêmes programmateurs soutiennent cette cinématographie, et gardent surtout les mêmes attentes envers le cinéma d’Amérique latine en général: il faut que les films traitent de certains thèmes sociaux, qu’il y ait un certain type de narration, une approche naturaliste ou réaliste. Et les œuvres qui sortent de ces schémas sont laissées de côté. Il y a beaucoup de films de genre produits au Brésil aujourd’hui, qui ne rentrent pas forcément dans ces cases mais méritent l’attention. J’espère que ces nouvelles propositions seront bientôt prises en considération.!

    – Propos recueillis par François CAU

    Source: Mad Movies

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    Perso je m’étais fait direct au format contrairement à un de mes potes qui avait mal au crâne lol (les hobbit et Gemini man au cinoche, c’était niet pour lui :smile: )

  • [Dossier] L'art du story-board

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    No problemo @Psyckofox, je suis friand de tout ses trucs.

    J’ai d’ailleurs acheté l’édition de Memories of Murder il y a peu avec tout le story board inclus, c’est juste un truc de fou…

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    Même pour ses fans les plus ardents, reconstruire l’énigme Sono Sion à travers ses oeuvres s’avérait mission quasi impossible. Le livre de Constant Voisin paru chez Rouge Profond, Sono Sion et l’exercice du chaos, réussit l’exploit de répondre à toutes les questions posées par la filmographie la plus génialement branque de ce siècle, et sans doute du précédent.

    Ces dernières années, tu es devenu un proche de Sono Sion, tu as collaboré à certains de ses films récents… Cette proximité a-t-elle changé ton rapport à son oeuvre ?

    C’est le moins qu’on puisse dire. Sono Sion était déjà, à la base, mon « dieu » du cinéma. J’ai découvert sa filmographie quand j’étais au lycée, en seconde. Je l’ai idéalisé comme pas possible. J’avais fantasmé énormément d’histoires sur ses films : comment ils avaient été faits, pourquoi ils étaient si différents les uns des autres…

    Je réfléchissais surtout sur la question de la forme : qu’est-ce qui avait pu le pousser, lors de certaines périodes de sa vie, à privilégier l’une ou l’autre ? Du coup, je m’étais fixé comme but de le rencontrer, pour pouvoir l’humaniser, on va dire. Ça a fini par arriver, puis j’ai connu avec lui mes premières expériences sur des plateaux de cinéma, une première pour moi.

    Tu vivais déjà au Japon à l’époque ?

    Non, j’ai rencontré Sono Sion à l’Étrange festival, il y a cinq ans. Puis je suis allé trois mois au Japon, en sa compagnie justement, et je m’y suis installé un an plus tard. J’y avais toujours songé, et le fait que Sono Sion y vive a clairement penché dans la balance.

    Comment se sont passées les premières rencontres ?

    Je l’ai attendu à la sortie d’une salle du Forum des images où il présentait French Connection, je lui ai proposé d’aller boire un café, il m’a dit qu’il avait plein de temps devant lui, on a passé deux ou trois heures à discuter au bar à l’entrée. Il m’a dit : « La prochaine fois que tu viens au Japon, envoie-moi un mail et tu pourras dormir dans mon atelier. ». C’est ce que j’ai fait, et trois jours après mon mail, il m’a dit : « OK, mais je ne serai pas à Tokyo. En revanche, tu peux rejoindre l’équipe de mon film. ». Le film en question, c’était The Virgin Psychics.

    Dans le livre, Sono Sion dit qu’il n’aime pas beaucoup ce film, mais pour toi, ç’a plutôt été une bonne expérience, non ?

    Ce que je ne savais pas encore à l’époque, c’est que sur un tournage, plus Sono Sion est attaché au film, plus il est dans un état dépressif, où il se fait bouffer par tout et n’importe quoi. Et pour les films de commande, pour oublier qu’il n’est pas aussi libre, il adopte un comportement plus serein sur le plateau. Le tournage de The Virgin Psychics, c’étaient des vacances d’été. De loin le tournage de Sono le plus amusant que j’ai pu faire jusqu’ici.

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    Antiporno, par exemple, a été tourné dans une ambiance plus sombre…

    Il y avait plus de tension, oui. C’est là que j’ai vu Sono Sion piquer ses plus grosses colères envers un producteur. Tu sentais vraiment qu’il ne voulait faire aucune concession. De leur côté, les cadres de la Nikkatsu n’ont pas vraiment apprécié qu’il torde à ce point les règles du roman porno… J’ai dû attendre un an avant de voir le film à froid, d’un point de vue extérieur. Les souvenirs du tournage étaient encore trop vifs.

    C’est l’un de ses films les moins évidents à aborder, une sorte de double négatif de I Am Keiko.

    Oui, le traitement des couleurs représente un retour aux sources. La plus grosse différence, c’est que Sono Sion ne sort pas avec l’actrice d’Antiporno. Et il n’entretient pas le même rapport avec le film.

    À ce sujet, le livre met grandement en avant l’importance de ses actrices, ses muses, ses anciennes petites amies, qui sont parfois les trois en même temps. On aurait pu penser que son mariage avec Megumi Kagurazaka allait le pousser à se poser, mais ce n’est pas vraiment le cas.

    Non, il faut dire que cette notion de « se poser » est très relative… Cet enjeu se retrouve dans Tag. Il y a forcément une part d’interprétation dans ce que j’ai pu écrire à ce propos dans le livre, mais à la fin du film, il revient vers la figure de Mitsuko, son amour perdu de l’école primaire, qui traverse son œuvre alors qu’il ne l’a jamais vraiment connue.

    Tag est peut-être le film avec lequel tu es le plus en désaccord avec Sono Sion. Toi, c’est une œuvre qui t’obsède.

    Sono Sion a un côté « éponge » qui ne ressort pas spécialement en interview, mais il fait très attention à ce qu’on dit de lui. Quand un de ses films sort, il peut passer des journées entières sur Twitter à guetter l’avis des gens. Mine de rien, ça l’affecte beaucoup quand le public n’adhère pas totalement à son travail. Au Japon, quand on adapte une œuvre, il faut que ce soit fait dans les règles, avec un maximum de fidélité.

    Dans le cas de Tag, il n’avait même pas lu le livre original, donc les fans se sont énervés, contrairement au public des festivals qui en a fait un film culte. Mais je ne pense pas qu’il s’attendait à être détesté dans son propre pays. Au fond, il a plutôt envie d’être aimé. Se détacher de ses films est un moyen de se protéger. En vérité, il aime beaucoup Tag et, pour le défendre face aux Japonais, il dit toujours : « Le problème, ce n’est pas le film, ce sont les Japonais, car les étrangers adorent. ».

    Dans le livre, les problèmes de distribution de ses films et ses coups de malchances successifs reviennent presque comme un leitmotiv…

    Oui, même si l’un de ses premiers films, Bicycle Sighs (1990), a été une réussite inattendue. Il l’a ressorti plusieurs fois, sur plusieurs années, pour avoir des rentrées d’argent qui lui ont permis de faire ses projets suivants.

    Ton livre donne un aperçu étonnant du cinéma japonais, à la fois figé dans des codes très stricts, mais dans le même temps suffisamment perméable pour qu’un trublion punk comme Sono Sion puisse s’y infiltrer.

    C’est vraiment comme ça que je vois ce cinéma. Un bon exemple de cette situation serait Katsuya Tomita. Avec très peu de budget, il fait des films un peu alternatifs, pas vraiment anarchistes mais plutôt contre l’État et les bonnes mœurs. Et mine de rien, dans la même configuration budgétaire, il n’aurait pas pu sortir ses films en France, obtenir un visa d’exploitation… Au Japon, il n’y a pas besoin de ça, n’importe qui peut s’exprimer.

    Sono Sion a un vécu tellement dingue qu’il s’emmêle un peu les pinceaux dans ses interviews… et ça se retrouve d’ailleurs dans vos entretiens.

    Oui, mais il a vraiment vécu tout ce qu’il raconte. Mon rapport à ses films a d’ailleurs beaucoup évolué à cause de ça. En les découvrant, je me suis dit qu’il avait un imaginaire de dingue, mais en fait, plus j’apprenais à le connaître, plus je me rendais compte qu’il ne faisait « que » restituer sa propre expérience.

    Est-ce ce vécu un peu particulier qui lui donne sa singularité dans le cinéma japonais ?

    Il n’y a aucun doute là-dessus. Dans les années 1960, il y avait une avant-garde japonaise assez folle, avec des meneurs comme Shûji Terayama, une figure importante du cinéma expérimental de cette époque, qui avait une troupe de théâtre et faisait des performances de rue. Sono est arrivé après tout ça. Il a commencé au milieu des années 1980, durant la bulle économique, mais le temps qu’il devienne un réalisateur plus installé, le climat s’était assombri. La société japonaise s’est beaucoup rigidifiée à cette époque. Il y a une formule qui revient plusieurs fois dans le livre : entre criminel et artiste, il n’y a pas vraiment d’autres issues.

    On peut établir un parallèle entre le cinéma de Sono Sion et celui de Kôji Wakamatsu, notamment par leur côté guérilla. Mais Sono semble être plus solitaire, il s’inscrit moins dans une dynamique collective, non ?

    C’est vrai et faux à la fois. Sono reste un animal social. Il a toujours eu des ateliers où il faisait des réunions jusqu’à pas d’heure, avec des jeunes. Il est solitaire mais pas seul pour autant. Il cultive l’esprit de la génération précédente, celui des années 1960, incarné par de gens comme Wakamatsu ou Nagisa Ôshima picolaient ensemble et faisaient des films entre potes. Il y a, de même, une famille Sono Sion, dont fait partie Tak Sakaguchi par exemple.

    Comparés aux films de Wakamatsu, les films de Sono Sion semblent tout de même moins politisés, moins révolutionnaires ?

    C’est l’époque qui a changé, on ne peut rien y faire. De toute façon, les Japonais ne veulent plus voir ce genre de films. Les mœurs ont changé. Il n’y a plus de manifestations étudiantes dans les facs, comme à l’époque de Mishima.

    Dans le livre, Sono Sion répète souvent qu’il y a eu une immense restriction des libertés au Japon depuis ses débuts au milieu des années 1980.

    Il y a un net déséquilibre entre liberté et sécurité. La balance penche plus du second côté. La jeunesse actuelle est née au moment de l’éclatement de la bulle économique et a toujours connu ce climat dépressif. Ils ne se disent pas qu’ils vivent dans une sorte d’état sécuritaire, avec énormément de règles imposées, ils ne réfléchissent pas à leur propre liberté. Ce qui explique le manque total d’engagement politique de la génération actuelle.

    Le livre révèle que les images de manifestation devant la Diète que les personnages d’Antiporno regardent à la télévision ont été filmées par Sono Sion lui-même, sur place…

    C’était une manifestation du SEALDs (Students Emergency Action for Liberal Democracy – NDR) pour la conservation de l’article 9 de la constitution japonaise, qui empêche le Japon d’avoir une armée. Mais cela aurait pu être pour n’importe quelle raison, contre le nucléaire par exemple. Sono aurait voulu être de la partie quoi qu’il arrive. Il s’est reconnu dans cette cause, mais n’importe laquelle aurait fait l’affaire. Ce qui l’a motivé, c’était de voir enfin des gens élever la voix pour leurs convictions.

    Après les événements de Fukushima, il a voulu s’engager sur le sujet en incorporant la catastrophe dans ses oeuvres. Dans ton livre, il raconte que les Japonais lui en ont voulu.

    C’est un problème récurrent, qui explique pourquoi, en 2019, il y a aussi peu de films qui traitent de Fukushima. C’est vers 2011/2012 qu’il y a eu le plus d’œuvres sur le sujet. Le tabou n’est pas vraiment levé. On essaie de ne pas en parler de façon à oublier le plus rapidement possible. Et quand on en parle, on ne fait jamais référence à un accident nucléaire. Lors de la date commémorative, le 11 mars, quelques articles sont publiés, mais on a l’impression que ça s’est passé il y a 50 ans.

    Non seulement Himizu évoque l’événement, mais en plus, il n’est pas fidèle au manga dont il est tiré, donc ça ne pouvait pas marcher. Même si c’est peut-être le film le plus connu de Sono Sion au Japon avec Cold Fish. En dehors de ses deux blockbusters, les Shinjuku Swan, évidemment.

    Suicide Club a été oublié au Japon ?

    Le film a fait parler de lui à sa sortie, mais il n’est pas passé à la postérité. Alors qu’en Occident, c’est devenu une référence à la Battle Royale, avec une image de film un peu subversif.

    Le troisième volet américain est-il toujours d’actualité ?

    Les producteurs avaient tendance à dire que le film était trop violent pour le Hollywood actuel. Sono aurait dû le faire bien avant.

    Sono Sion t’a demandé d’attendre dix ans avant de traduire ton livre au Japon, parce que certains sujets sont encore tabous. Mais même pour la France, il y a tout de même quelques trucs assez salés…

    Les éléments problématiques ne sont pas du tout les mêmes en France et au Japon. Pour un Japonais, le tabou numéro un serait de découvrir que Sono est sorti avec Hikari Mitsushima, l’actrice de Love Exposure. Le nucléaire, la drogue, ça va, mais ça, ça pourrait créer des contentieux. Ce genre de relations ne doit pas s’afficher, c’est du concubinage. S’ils étaient mariés, à la limite… Mais le fait que ce soit en plus Sono Sion – qui a sa petite réputation –, ça ne passe pas.

    Justement, quelle est sa réputation au Japon ?

    Il est plutôt connu pour être un tyran sur les tournages. Il y a cette anecdote qui revient très souvent, où il aurait balancé un cendrier sous l’emprise de la colère… Le milieu du cinéma japonais le voit un peu comme un réalisateur qui aime les femmes et qui, de fait, cherche systématiquement à sortir avec ses actrices – mais ça reste vraiment circonscrit au milieu du cinéma.

    Dans le livre, tu parles de Pour en finir avec le jugement de dieu d’Antonin Artaud, et c’est vrai qu’il y a dans le cinéma de Sono Sion cette même sensibilité à fleur de peau…

    C’est un autre point commun avec les artistes japonais des années 1960 : ils ont tous une racine commune en la personne de Tatsuhiko Shibusawa, un romancier et traducteur japonais qui a importé au Japon Artaud, Jean Genet, Georges Bataille, Sade… Il avait Mishima comme disciple. Toute la culture alternative du Japon est partie de là, de ces artistes underground et de leur découverte de cette littérature française déviante, qui a totalement modifié leur perception du réel. Sono aussi vient de là. Ces artistes des années 1960 aimaient également beaucoup transformer les choses en farce, moquer les habitudes de leurs semblables…

    À cet égard, Tokyo Vampire Hotel est une œuvre un peu triste. On a l’impression de voir quelqu’un qui jongle avec ses obsessions adolescentes et se dit d’un coup : « À quoi bon ? ».

    Cette question, « À quoi bon ? », résume très bien Tokyo Vampire Hotel. Sono était très déprimé qu’une œuvre qui lui tenait autant à cœur n’ait pas rencontré son public au Japon. La version drama s’est retrouvée sur Amazon Prime et a fait un flop, et du coup, personne n’a voulu sortir la version film en salles. Les spectateurs aiment voir le chaos à l’écran, mais n’aiment pas quand le film lui-même est chaotique. Et Tokyo Vampire Hotel est un film à l’image de Sono. Il retranscrit son état d’esprit chaotique d’alors, l’ambiance aussi d’un tournage éprouvant de 3/4 mois, ce qui est rare pour lui… Chaque fois que j’allais sur le plateau, Sono était au plus bas, ça a beaucoup influé sur le film.

    Depuis l’année 2015, où il a signé pas moins de six réalisations, on aurait pu craindre que Sono Sion prenne un virage similaire à celui du Sud-Coréen Kim Ki-duk, qu’il se lance dans une sorte de surenchère cynique capitalisant sur ses films emblématiques…

    Cette période se termine avec Tokyo Vampire Hotel. C’est un témoignage du chaos politique à l’échelle mondiale – la crise, la montée de l’extrême droite… Ce n’est pas pour rien que dans le film, le bâtiment de la Diète est un Vampire Hotel. Le gouvernement suce le sang du peuple. C’est une représentation du ras-le-bol ambiant, et pas forcément de l’état dépressif de Sono à ce moment précis.

    Ça doit sortir. Une fois que c’est fait, il se calme pendant quelques années, puis ça revient. Ça donne des Suicide Club, des Cold Fish, des Tokyo Vampire Hotel, et je trouve ça assez sain. Le passage de Sono à Hollywood ne sera qu’une parenthèse. Là, il est plutôt dans une phase un peu « retour aux sources ». Il a envie de revenir à cette période bon enfant où il tournait en Super 8 avec ses amis, sans avoir de comptes à rendre à ses producteurs. Il veut raviver son amour pour la fabrication des films. Pour l’occasion, il a décidé de se mettre au montage, pour la première fois de sa carrière. L’année prochaine, il veut tâter de la caméra – en gros, il veut en profiter pour approcher et maîtriser tous les outils. Pour l’avoir vu monter, j’ai vraiment senti la différence.

    À travers ses films, on imagine Sono Sion à la fois très extraverti et très pudique, ce qui rend assez surprenantes les révélations du livre.

    Si son cinéma est aussi démonstratif, c’est justement parce qu’il est pudique. C’est une façon de détourner l’attention. C’est quelqu’un de très réservé, qui ne se dévoile pas dans la vie de tous les jours. On m’interroge souvent sur la nature de mes relations avec lui, et c’est dur de répondre, car ça évolue. Il a été une sorte de « père japonais », puisqu’il m’a hébergé pendant je ne sais combien de mois dans son atelier, s’est montré très prévenant à mon égard… Maintenant, nous sommes surtout devenus des amis qui s’appellent pour aller boire un coup, ou alors il m’appelle pour me demander des avis sur tel ou tel scénario… Je me sens très chanceux.

    SOURCE: MADMOVIES - 08/11/2019

    SONO SION ET L’EXERCICE DU CHAOS LE LIVRE De Constant Voisin Éditions Rouge Profond

    Il y a clairement un rapport de maître à élève entre Sono Sion et Constant Voisin (partant, les analyses des deux hommes se rejoignent souvent). Il y a surtout une relation de confiance évidente, qui donne à l’auteur l’opportunité de livrer une oeuvre somme qui solderait les comptes d’une filmographie démentielle à un instant charnière. Le livre arrive au moment idéal, à l’initiative de la personne idéale. Sono Sion s’y livre donc sur chacun de ses films, avec une franchise et une sincérité inédites.

    À la suite de ces entretiens à longueur variable, Constant Voisin plonge tête baissée dans l’analyse des longs-métrages concernés, avec une précieuse recontextualisation, dans des proportions synchrones à l’intérêt porté – aux envolées lyriques sur Tag répond un silence poli sur l’anodin Shinjuku Swan II. Comme dans un film de Sono Sion, l’auteur et son sujet s’autorisent des digressions essentielles pour la compréhension de l’ensemble, notamment sur l’expérience fondatrice au sein du collectif Tokyo GAGAGA (illustrée par de nombreux éléments iconographiques de première bourre).

    À la fin d’une lecture passionnante et harassante vient un sentiment troublant, celui d’avoir élucidé l’énigme Sono Sion. Pour définitif qu’il soit, le livre ne se termine pas sur un baby blues : il pousse au contraire à replonger dans les moindres détails de la filmographie sionesque pour en redécouvrir les merveilles cachées. Que vous soyez amateur plus ou moins illuminé ou novice intimidé par l’aura culte du cinéaste, L’Exercice du chaos s’attache à vous embringuer dans les montagnes russes de ce parcours hors normes porté par une soif d’en découdre jamais entravée par l’amertume.

    Comme dans un film de Sono Sion, les certitudes sont emportées dans un tourbillon sensoriel où musique, écriture, peinture et mise en scène deviennent des armes de poing.

    THE FOREST OF LOVE: LE LABYRINTHE DE SION

    Il y a les pervers narcissiques, armés de leurs manipulations psychologiques aux effets désastreux. Et puis il y a Futoshi Matsunaga. Un joli cœur, adepte de la séduction de ces dames, de l’extorsion de fonds, de la torture physique et mentale, puis du meurtre le plus crapuleux possible une fois le fun tari. Arrêté en 2002, il fut jugé pour sept assassinats, en a sûrement commis bien plus. Dans la transposition made in Sono Sion de ce glaçant fait divers, Matsunaga devient Murata, un chanteur de variétés au charisme sidérant. Les femmes l’adorent, se déchirent par adoration pour lui ou par dégoût d’elles-mêmes, les garçons veulent lui ressembler.

    Le nom « Murata » résonne immanquablement aux oreilles des fans de Sono Sion, et pour cause : c’était déjà le patronyme du terrifiant tueur nihiliste interprété par Denden dans Cold Fish, lui aussi inspiré d’authentiques meurtres en série survenus au Japon. On retrouve d’ailleurs Denden dans The Forest of Love, cette fois dans un rôle de victime, et c’est loin d’être le seul écho tordu à la filmographie de Sono Sion.

    Des écolières tentées par le suicide, des références littéraires et un découpage en chapitres, une durée conséquente qui lorgne du côté des plus magnum de ses opus… Néanmoins, The Forest of Love ne se contente pas de jouer les plus grands hits de son auteur. Ce dernier macère ses obsessions dans un hurlement désaxé qui aurait fait la fierté tonitruante d’Antonin Artaud.

    Le grotesque s’épanche avec une énergie mieux canalisée et plus adaptée à l’image haute définition que dans Tokyo Vampire Hotel, le pessimisme rampant dialogue frénétiquement avec ce culte de l’amour fou que Sono Sion n’a décidément pas fini d’explorer. The Forest of Love rejoint illico les rangs des grands films de son auteur à la grâce de son allant baroque, vachard, fascinant et sale. Très sale.

    SONO SION EN 5 FILMS THE ROOM (1993)

    La renommée internationale de Sono Sion s’est cristallisée autour de Suicide Club (2001) et de sa scène d’intro pandémoniaque. Suicide Club mène à Noriko’s Dinner Table, Strange Circus, la trilogie de la haine, puis c’est l’engrenage de l’addiction.

    Il est assez régulièrement oublié qu’en 2001, Sono Sion a déjà 17 années d’expérience derrière la caméra ; les longs et courts-métrages de cette prolifique période se trouvent dans un rare coffret import DVD japonais nommé « Before Suicide ». À la croisée décisive de cette première partie de sa carrière, se trouve The Room, et son jeu ambigu avec la temporalité, son rythme contemplatif sur lit d’images noir et blanc sublimes, ses motifs qui n’auront de cesse de revenir dans les décennies suivantes.

    I AM KEIKO (1997)

    Tout aussi fondamentale, cette autre digression sur le temps, à la durée d’une heure, une minute, une seconde, comme le rôle-titre le répète souvent entre deux inserts déroutants. Pour la première fois, Sono Sion s’abandonne totalement à une muse, la comédienne Keiko Suzuki, seule à l’écran, dans des plans à la composition picturale hypnotique.

    Pour la première fois, il succombe aux charmes d’une narration en voix off, aux dialogues dont la poésie finit par éclater dans une grâce infinie. Sono Sion prend enfin conscience qu’il doit filmer des femmes. Et pour la première fois, en dépit de toute l’affection légitime que l’on peut avoir pour The Room ou Bicycle Sighs (1990), il accouche d’un authentique chef-d’œuvre.

    NORIKO’S DINNER TABLE (2005)

    Autre chef-d’oeuvre indiscutable, inaliénable, indémodable en dépit de sa patine numérique un peu dégueu. Sono Sion se lance dans des épopées cinématographiques ambitieuses malgré elles, par delà le dénuement de la production, les contraintes aliénantes d’un tournage serré.

    Cette fausse préquelle/séquelle de Suicide Club adresse un coucou assez bourrin au film précédent, puis trace sa propre route narrative. D’une anecdote pas encore entrée dans le domaine du fait divers – des particuliers engageant des comédiens pour interpréter des membres de leur famille lors de dîners ou autres occasions –, Sono Sion tire le film choral absolu, après lequel aucun autre film choral ne pourra être tourné avant trois bonnes années.

    LOVE EXPOSURE (2008)

    Voici donc le film choral terminal, le feuilleton monstre qui chope instantanément par le col et gagne en intérêt, en profondeur et en audace à chaque épisode. La prudence conseillerait de ne pas recommander un film de quatre heures pour débuter son initiation à Sono Sion, mais que la prudence aille bien se faire foutre.

    Love Exposure reste à ce jour le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre du cinéaste, sa Sagrada Familia, son Boléro. L’histoire transcende une nouvelle fois des anecdotes tirées du vécu de l’auteur, lequel infuse son récit d’une vigueur cinématographique grandiloquente, d’une sensibilité à fleur de peau à même de déplacer des montagnes. Love Exposure forme la « trilogie de la haine » avec Cold Fish et Guilty of Romance, deux films plus monstrueux l’un que l’autre.

    ANTIPORNO (2016)

    Constant Voisin confesse et analyse goulûment son obsession pour Tag (2015) dans son ouvrage, et il a bien raison, c’est un film absolument fou, mais la tentation est plus forte de revenir sur ce piratage expérimental hardcore d’une commande de la Nikkatsu.

    Le studio souhaitait lancer une collection estampillée prestige en demandant à quelques réalisateurs de renom de ressusciter le genre roman porno, cahier des charges et flopée de règles à respecter à l’appui. Comme le titre de son opus le laisse deviner, Sono Sion s’acquitte de la tâche avec la plus grande des mauvaises fois.

    Antiporno est un manifeste, un pamphlet bien énervé contre la marche du monde en général et une société japonaise amorphe en particulier. Son film le plus ouvertement sexuel, et le moins érotique.

  • [Hommage] Stuart Gordon

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    Stuart Gordon nous a quittés le 24 mars 2020 à l’âge de 72 ans. Il laisse derrière lui une œuvre unique, qui a marqué à jamais l’Histoire du cinéma fantastique. Pour lui rendre hommage, nous avons décidé de ressortir de nos archives un entretien inédit avec le maître, enregistré à l’occasion de Stuck (2007) et de la série Masters of Horror.

    Au sein de l’université du Wisconsin, le jeune Stuart Gordon et sa future épouse Carolyn Purdy montent la pièce de théâtre expérimentale The Game Show, où le public est directement visé par les comédiens et finit par se rebeller à chaque représentation. Quelques mois plus tard, ils récidivent avec une adaptation assez singulière de Peter Pan.

    « Notre version incluait une scène de nu » se souvient Gordon entre deux éclats de rire. « Et on s’est fait arrêter à cause de ça ! C’est vraiment arrivé ! Les comédiens n’étaient pas nus tout le temps, ce n’était que le temps d’une scène. C’étaient les années 60, et l’idée était de produire une satire politique. On a eu beaucoup d’ennuis, ma femme Carolyn et moi. On a failli passer dix ans en prison ! Heureusement, ils ont fini par nous laisser partir. » À leur libération, Gordon et Purdy fondent l’Organic Theater Company, qui joue entre autres la pièce Sexual Perversity in Chicago de David Mamet. Après dix années passées sur les planches, Gordon décide de se tourner vers le 7e Art.

    AU SERVICE DE LOVECRAFT

    Re-Animator sort en 1985 et provoque un électrochoc auprès des fans de cinéma d’horreur. Joli succès aux États-Unis, le long-métrage cartonne en France avec plus de 635.000 tickets vendus, une performance aidée par une sélection et un prix au Festival d’Avoriaz.

    « Quand je regarde en arrière, je me rends compte à quel point j’ai eu de la chance. La chance du débutant. Mon premier film a eu un succès inattendu. J’ai été formidablement bien entouré. Jeffrey Combs, Barbara Crampton et Bruce Abbott ont été des acteurs extraordinaires, mon producteur Brian Yuzna était prêt à prendre des risques et à parier sur moi. C’était aussi sa première grande production, donc c’était aussi un saut dans le vide pour lui. J’avais aussi un excellent directeur de la photographie, Mac Ahlberg. Je l’appelais « le professeur » : je n’avais jamais suivi de cours de mise en scène, donc il m’a appris comment faire un film. Vraiment, j’ai eu de la chance. »

    S’il laisse les rênes des deux autres Re-Animator à Yuzna, Gordon continue d’adapter Lovecraft avec From Beyond : aux portes de l’au-delà en 1986, coproduit par Charles Band, mis en musique par Richard Band et interprété par les excellents Jeffrey Combs et Barbara Crampton. Si le film est bien inférieur à Re-Animator, il est aujourd’hui considéré comme un objet extravagant et culte, en particulier dans sa version director’s cut. Après avoir signé le jouissif et très inventif Dolls – les poupées en 1987, où sa femme interprète une mégère qui se fait tuer à deux reprises, Gordon adapte Le Puits et le pendule d’Edgar Allan Poe en 1991, avec Lance Henriksen en tête d’affiche. Il revient en territoire lovecraftien avec Dagon en 2001, dont les mécanismes scénaristiques semblent adapter les jeux de rôle lovecraftiens autant que le livre du Reclus de Providence.

    « C’est un pur hasard. À vrai dire, je ne connaissais même pas l’univers des jeux de rôle quand j’ai tourné Dagon ; je les ai découverts des années après. J’ai fini par rencontrer des joueurs aguerris et j’ai trouvé nos échanges très intéressants, car ils connaissaient tous les détails des monstres de Lovecraft mais n’avaient jamais lu les histoires d’origine ! Je me rends compte maintenant que la structure et les mécanismes de Dagon sont très proches des jeux de rôle. On m’a dit aussi qu’un épisode des jeux Resident Evil ressemblait énormément au film (il s’agit de Resident Evil 4, sorti au début des années 2000 sur Gamecube et PlayStation 2 – NDR). »

    À la fin des années 2000, Gordon affirme qu’il n’en a pas encore fini avec H.P. Lovecraft.

    « Je travaille sur une nouvelle adaptation en ce moment même, d’après Le Monstre sur le seuil. C’est l’une des meilleures histoires de Lovecraft, mais c’est surtout – croyez le ou non – un récit très intime, qui parle de relations humaines. C’est différent de ce que j’ai pu tourner par le passé. Ce qui est sûr en revanche, c’est que je ne pourrai jamais réaliser le quatrième épisode de Re-Animator. Ça me déçoit. On aurait déjà dû le tourner après toutes ces années, mais nous avons laissé passer notre chance. Trouver les financements a été très difficile, parce que les gens ont peur de ce sujet. L’administration Bush a réveillé les consciences conservatrices. On aurait dû faire ce film en 2005, juste après Beyond Re-Animator de Brian Yuzna. Mais maintenant je crois que c’est trop tard. »

    Pour des raisons obscures, Gordon n’aura pas plus de succès avec Le Monstre sur le seuil, le projet rejoignant Les Montagnes hallucinées de Guillermo del Toro au panthéon des grandes adaptations avortées de Lovecraft.

    UN PIED DANS LA SF

    Si sa carrière dans l’horreur semble le définir, Gordon garde un penchant très affirmé pour la science-fiction. En 1989, il réalise le film de robots géants Robot Jox, ancêtre de Pacific Rim servi par de jolis effets visuels en stop motion signés David Allen (Le Secret de la pyramide, Willow). Cette série B est d’un kitsch absolu mais possède aussi un sacré charme, dû à la fois à la candeur de Gordon et à un concept furieusement original.

    « Ce qui compte avant tout pour moi, c’est l’histoire. J’aime aborder différents domaines. Je pense que si l’on reste bloqué trop longtemps dans un genre, on finit par s’ennuyer et le public le ressent. Les spectateurs vont se fatiguer, à la longue. C’est donc important pour moi de varier les plaisirs et de ne pas me répéter. Si l’histoire est bonne et surprenante, si je ne l’ai jamais vue auparavant, je suis intéressé par le projet. »

    Sorti en 1992, Fortress est une autre série B high concept à l’actif de Stuart Gordon, mais bénéficie cette fois-ci d’un casting quatre étoiles : Christophe Lambert, Kurtwood Smith (le légendaire Clarence Boddicker de RoboCop), Jeffrey Combs et Vernon Wells (Mad Max 2 : le défi, Commando et L’Aventure intérieure).

    En 1996, Space Truckers permet à Gordon de diriger Charles Dance (Alien3, Game of Thrones), Dennis Hopper (tout juste sorti de Speed et Waterworld), ainsi que Stephen Dorff, dont la carrière vient de décoller grâce à La Puissance de l’ange et La Nuit du jugement.

    « J’espère que tous ces comédiens ont accepté de collaborer avec moi sur la base de mon travail. J’adore les acteurs, et il y a beaucoup de gens talentueux parmi eux. Je travaille toujours avec des comédiens qui ont le sens de l’aventure. Ceux qui n’ont pas peur de prendre des risques. C’est très excitant d’avoir un acteur qui vous inspire, et vous donne envie de faire de votre mieux au jour le jour. »

    ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE

    On pourrait croire que le style visuel très brut et le format étroit souvent employés par Gordon correspondent à des choix créatifs conscients, mais ils ont selon lui été imposés par des limites budgétaires rencontrées de film en film.

    « J’aime le Cinémascope, je l’ai déjà utilisé dans Space Truckers. Mais quand on travaille en Scope, tout est plus lent sur le plateau que si on utilisait du 1.85. Il faut plus de lumière, l’installation demande plus de temps, donc plus d’argent. Pour ce qui est de mon style, j’essaie d’être le plus subjectif possible. Je veux que le public ait l’impression d’être dans le film ; ça a toujours été mon but. Évidemment, j’ai appris avec mes films de science-fiction que le budget est une donnée primordiale pour ce type de projet. Ironiquement, les plus gros budgets de ma carrière ont été ceux de Fortress, Robot Jox et Space Truckers. Ce dernier a coûté 25 millions de dollars, mais au final, on a essayé de trop en faire ; je voulais voir à quel point je pouvais exploiter chaque centime à l’écran. Je suis très fier de Robot Jox, en particulier aujourd’hui, avec la sortie des films Transformers. J’ai fait ce film dans les années 1990, et il a fallu attendre tout ce temps avant que Hollywood ait l’idée de tourner un nouveau film de robots géants. »

    Stuart Gordon aurait-il pu s’épanouir dans les conditions de production d’un blockbuster hollywoodien ? On se permet d’en douter.

    « Il faut faire attention à ne pas se vendre au système. Ce qui est bien avec les petits budgets, c’est qu’on me laisse toujours le final cut. Je peux faire le film que j’ai en tête. Il y a très peu d’interférences de la part des producteurs. Quand on travaille pour un gros studio, on se retrouve soudain à devoir négocier avec vingt personnes différentes, et toutes vous disent ce que vous devez faire. Le film est en fait réalisé en comité. Il faut trouver le bon équilibre. »

    En 1988, le réalisateur manque de peu de se retrouver à la tête d’une superproduction financée par Walt Disney : Chérie, j’ai rétréci les gosses, dont il a lui-même développé l’histoire main dans la main avec Brian Yuzna. Une lourde maladie frappe toutefois le cinéaste à quelques semaines du tournage, et face à la pression des assurances, il doit jeter l’éponge. Joe Johnston récupère le projet au vol, au grand bonheur de Disney.

    En 1993, Gordon participe de nouveau à un énorme film de studio, cette fois-ci chez Warner Bros. D’après un traitement de Larry Cohen, il cosigne avec Dennis Paoli (son coscénariste de Re-Animator et From Beyond) le script de Body Snatchers, l’invasion continue d’Abel Ferrara, fabuleux thriller de SF qui semble avoir été réalisé par John Carpenter en personne. Cette carrière en dents de scie amène Gordon à pondre la série Z Castle Freak en 1995, qui malgré la participation de Jeffrey Combs et une influence évidente d’Edgar Allan Poe reste à ce jour son long-métrage le plus faible. Gordon se rattrape l’année suivante en écrivant, toujours avec Paoli, le scénario du Dentiste, dont s’empare son ami Brian Yuzna.

    RÉ-ORIENTATION

    Au début des années 2000, la carrière de Stuart Gordon fait un virage à 90 degrés, et troque l’horreur baroque d’autrefois contre des faits divers glauques mais ancrés dans le réel.

    « C’est vrai que mes trois derniers films marquent une nouvelle direction dans mon travail. C’est parce que j’ai commencé à réaliser une chose : ce que les gens se font les uns aux autres est beaucoup plus horrible que tout ce que vous pouvez inventer. »

    D’une violence froide et déstabilisante, King of the Ants illustre parfaitement les angoisses de Gordon. Le film a droit à une jolie tournée dans les festivals du monde entier en 2003, avant de sortir de façon assez confidentielle sous forme de direct-to-video.

    « Contrairement à ce qu’on pense, mes derniers films ont rencontré un certain succès. King of the Ants a coûté si peu d’argent qu’il a largement remboursé l’investissement de départ. Je n’ai pas fait fortune avec ce film, mais personne n’a rien perdu, en tout cas. Je crois que la même situation s’est répétée pour la plupart de mes longs-métrages. Ce qui ne rend pas les choses plus faciles pour autant. Cela fait plus de 20 ans que je fais ce métier, et c’est aussi compliqué aujourd’hui que ça l’était à l’époque de Re-Animator. Les sujets que j’aime aborder sont hors normes, et j’imagine que ça n’aide pas. Les producteurs me demandent souvent : « À quel film ça va ressembler ? ». Je me gratte la tête pour trouver un succès auquel ils pourraient se raccrocher, mais je ne trouve jamais rien. Edmond, par exemple, n’a aucun équivalent. »

    Monté avec l’appui de vingt producteurs différents répartis sur douze compagnies, pour un budget final de deux millions de dollars, Edmond est effectivement un objet filmique non identifié, qui marque les retrouvailles entre Gordon et l’auteur David Mamet.

    « Je trouvais déjà que la pièce de théâtre de Mamet était très cinématographique : on suit ce personnage à travers de nombreux décors. Quand ma fille a vu le film, elle m’a dit que ça lui faisait penser à Alice au pays des merveilles. Chaque lieu dans lequel il entre est un nouveau monde. Le texte est donc taillé pour le cinéma, à mon avis. J’ai essayé de faire des choses assez spécifiques avec ce projet. Dans la pièce, le héros va voir une liseuse de bonne aventure, qui lit dans la paume de sa main. J’ai préféré utiliser des cartes de tarot, parce que c’était à mon avis plus intéressant d’un point de vue visuel. Mais pour le reste, je dois créditer monsieur Mamet. Son script avait une dimension très onirique. Le personnage était quelque part à un moment, et ailleurs la minute d’après. Il regarde les cartes de tarot, puis dans le plan suivant, il regarde son assiette, et on se rend compte qu’il est en train de dîner chez lui. C’est comme ça que fonctionnent les rêves. Soudain, on se retrouve ailleurs et on ne sait pas comment on est arrivé là. Ça m’a aidé à définir le style visuel du film. C’est surréaliste, d’une certaine manière. »

    LA VALSE DES ÉGOÏSTES

    En 2007 sort l’ultime long-métrage de Stuart Gordon, Stuck – instinct de survie, une formidable satire sociale où une infirmière bien sous tous rapports heurte en voiture un vieil homme désœuvré, qui finit coincé dans son pare-brise. Plutôt que d’appeler les secours, la jeune femme décide d’enfermer le blessé dans son garage, en attendant de trouver une solution à l’affaire.

    Porté par les performances de Mena Suvari et Stephen Rea, Stuck impressionne par le nihilisme de son propos et par le cynisme de son personnage principal, reflétant l’ultra individualisme de l’Amérique de Bush.

    « Je pense que les films doivent toujours commenter la société dans laquelle ils ont été tournés. Stuck parle de la fin des années 2000 ; il s’agit d’une époque très égoïste. Les gens ne s’aident plus, ils ne pensent qu’à servir leurs propres intérêts. Ils vivent dans une bulle, fermés sur eux-mêmes. On ne peut même plus exprimer de la compassion ou de l’intérêt vis-à-vis des autres sans passer pour un imbécile, un faible ou un perdant. Stuck s’inspire d’un fait divers qui s’est produit il y a quelques années. C’était dans les journaux, et je n’arrivais pas à croire ce que j’étais en train de lire. On ne pouvait pas imaginer un truc pareil, c’était trop étrange. Une femme connue pour être aimante, qui s’occupait de personnes âgées dans une maison de retraite, ne pouvait pas faire quelque chose comme ça. Qu’est-ce qui la pousserait à agir de la sorte ? C’est ça qui m’a intrigué. »

    Il y a fort à parier que l’élection de Trump et ses conséquences dramatiques sur la société américaine aient inspiré à Stuart Gordon quelques concepts mordants ; il n’aura hélas pas eu le temps de les porter à l’écran.

    SOURCE: Mad Movies - 12/06/2020

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    Auteur du pétaradant Versus, l’ultime guerrier, du délirant Godzilla: Final Wars et du cauchemardesque Midnight Meat Train d’après Clive Barker, Ryûhei Kitamura s’est construit en 20 ans une carrière terriblement atypique, ponctuée de délires expérimentaux en tout genre. Le cinéaste retrace ce parcours hors-norme, de ses débuts DIY nippons aux plateaux hollywoodiens plus ou moins argentés.

    Vous avez été révélé par Versus, l’ultime guerrier, un film 100 % indépendant mélangeant de façon expérimentale action et horreur.

    Effectivement Versus n’est pas un film d’horreur basique. Au début des années 2000, il a été projeté au festival de Yubari, qui est l’une des plus grosses manifestations cinématographiques du Japon. On n’avait même pas de distributeur ! L’un des membres du jury était Mataichirô Yamamoto, le seul producteur nippon à avoir travaillé avec George Lucas. Ils ont fait ensemble un excellent film intitulé Mishima – une vie en quatre chapitres en 1985 (réalisé par Paul Schrader – NDLR), puis en 1992, il a collaboré avec Francis Ford Coppola pour produire Wind de Carroll Ballard.

    C’était une légende vivante, et il est venu voir Versus ! Je l’ai rencontré après la projection, et on a discuté dans un tout petit bar jusqu’à trois heures du matin. Il a pointé du doigt une chose que personne d’autre n’avait remarquée. Tout le monde me parlait de l’action, des zombies, des samouraïs, etc. Oui, tout ça m’amusait aussi, mais Yamamoto s’est concentré sur autre chose. Pendant le Q&A, j’avais expliqué le financement complètement fou du film : mon enveloppe de départ de 15.000 dollars s’était épuisée en dix jours, et j’avais dû emprunter de l’argent supplémentaire à tous mes amis et mes proches. Yamamoto m’a dit :

    «Tu n’as jamais abandonné, alors qu’il n’y avait aucun producteur, aucun sponsor, aucun distributeur. Mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est ton obstination à tourner la plupart de tes plans en Dolly ! Quand on est un amateur avec zéro budget, on opte pour la caméra portée. C’est beaucoup plus facile, mais tu as pris la peine d’installer des rails de travelling dans la jungle ou sur une colline ! »

    J’étais tellement content d’entendre ça. Quelqu’un avait enfin remarqué ! Je l’ai remercié de tout mon coeur et lui ai dit :

    «Je voulais faire un putain de film, pour un gigantesque écran de cinéma ! Et ce n’est pas parce qu’on n’a pas d’argent qu’on doit avoir l’air fauché ! »

    Je le pense toujours. Le public se fout totalement du budget. Il paie le même prix, donc on doit lui en donner pour son argent. En entendant ça, Mataichirô a répondu :

    «Je veux que tu fasses mon prochain film.»

    Et c’était Azumi !

    Après Azumi, vous avez tourné Godzilla: Final Wars, en rupture totale avec les épisodes un peu obsolètes de l’époque.

    Godzilla: Final Wars est un peu arrivé de nulle part. Yamamoto avait dû se battre pour que j’obtienne le job sur Azumi, car je n’étais personne ! Versus n’était même pas encore sorti, donc tout le monde lui demandait :

    « Qui est ce type ? Tu veux lui confier notre plus gros budget de l’année ? Tu es devenu cinglé ? ».

    Je lui dois vraiment beaucoup, et au final je reste très fier d’Azumi. Quand on fait un film, il y a un million de choses qui peuvent vous mettre dans une merde noire, un million de raisons de se planter, et j’ai toujours tendance à chercher l’ennemi qui se cache à l’intérieur. S’agit-il d’un producteur, d’un technicien ? Il y a toujours quelqu’un pour essayer de vous mettre des bâtons dans les roues. Mais quand le film sort enfin en salles, il est ce qu’il est et il faut l’assumer comme tel. Il faut vivre avec jusqu’à la fin de ses jours.

    Heureusement, je n’ai jamais eu honte d’aucun de mes films. Azumi a été mon premier long-métrage professionnel, et il m’a permis de rendre hommage à l’univers d’un manga que j’adore. C’était une adaptation, contrairement à Versus qui était mon bébé à 100 %. Adapter l’œuvre d’un autre est un processus très difficile. C’est une responsabilité plus grande, car il y a une histoire et un vécu derrière tout ça. J’ai donc mis toute mon énergie dans Azumi, et ça m’a fait passer au niveau supérieur.

    Le jour de la première, j’ai rencontré le big boss de la Toho, Yoshishige Shimatani. Nous avons pris un café à Tokyo et il m’a dit :

    « J’aime beaucoup ce que vous avez fait. Nous avions beaucoup de doutes à votre égard, mais vous nous avez convaincus. Toho veut que vous fassiez le prochain Godzilla. ».

    Je l’ai remercié de tout mon cœur ! Ils m’ont appelé quelques jours plus tard, et j’ai rencontré le producteur Shôgo Tomiyama. Il m’a demandé :

    « Voulez-vous entrer dans le ring et vous battre avec Godzilla ? »

    J’ai essayé d’être respectueux et honnête à la fois. Je lui ai répondu :

    « J’adore Godzilla, évidemment, pour un réalisateur japonais, c’est un grand honneur. Et en plus, ce film marquera le cinquantième anniversaire de la saga, et vous me dites qu’il n’y aura pas de nouvel épisode avant un moment ! Donc oui, je suis un grand fan de Godzilla, mais je dois avouer que je n’aime pas les films qui sont sortis après le nouveau millénaire. ».

    Et c’est vrai : visuellement, je n’aime pas ce qu’ils ont fait. Les effets visuels avec les costumes de monstres et les miniatures fonctionnaient il y a quelques décennies, mais les temps ont changé. Independence Day avait ringardisé les vieilles techniques, et on ne pouvait plus tourner des scènes de destruction massive comme dans les années 50 ! Et il ne fallait pas non plus sur-éclairer chaque parcelle du plateau, sinon le spectateur devient conscient plan après plan qu’il est face à des miniatures et des types en costume !

    À l’époque, Godzilla était en train de perdre son influence au Japon. Ils produisaient un nouveau film presque chaque année, mais le département animation de la Toho était le seul à rapporter de l’argent. Ils faisaient souvent des projections de type « double feature », en combinant le dernier Godzilla avec un animé pour les gosses. Les gens venaient pour l’animé, et partaient au début de Godzilla ! J’ai donc dit à Tomiyama :

    « Franchement, Godzilla n’est pas une face B. Godzilla est le roi ! ».

    Il m’a alors répondu qu’ils étaient bien conscients du problème, et c’était d’ailleurs pour cette raison qu’ils voulaient faire une pause avec la franchise. Ils m’ont engagé, Il y a une scène très drôle où Godzilla annihile Zilla, la version de Roland Emmerich.

    Tomiyama avait déjà un concept assez brut de Final Wars quand je suis arrivé : il voulait réanimer quelques monstres célèbres de la saga. Un jour, pendant l’écriture du script, on a amené toutes ces figurines de kaijus dans les bureaux de la Toho et on les a posées sur la table. On a choisi nos protagonistes comme ça ; je voulais en inclure le plus possible, mais on ne pouvait pas avoir tout le monde. À un moment, Tomiyama s’est tourné vers moi et m’a dit :

    « Tu sais, on a même les droits du Godzilla hollywoodien ! »

    « Quoi ? OK, on va inclure un combat entre lui et Godzilla, et le nôtre va défoncer la gueule de l’Américain ! Il faut absolument faire ça ! ».

    Je voulais tourner une séquence beaucoup plus longue, mais on n’avait plus assez de budget. Je reste très content de cette scène. Elle a d’ailleurs été filmée à Sydney en Australie, où j’ai fait mes études de cinéma. C’était sympa de retourner là-bas : c’est presque mon second chez-moi.

    Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans l’adaptation de Midnight Meat Train ?

    Avec Versus et Azumi, je suis devenu du jour au lendemain une sorte de vedette, et ça m’a donné des ailes. J’ai tourné Aragami, Sky High, je me suis éclaté comme un dingue. Mais après avoir travaillé pendant plus d’un an sur Godzilla, je me suis dit que j’avais besoin de m’éloigner de la production japonaise pendant un temps.

    Mes proches m’ont dit que j’étais devenu fou. Après tout, je venais d’enchaîner trois cartons au box-office local. On m’a dit :

    « Tu veux abandonner ça et aller à Hollywood, où personne ne te connaît ? »

    Mais j’ai toujours vécu ma vie ainsi. Donc, après Final Wars, j’ai pris six mois de vacances, et j’ai engagé un agent aux États-Unis. C’est comme ça que ça se passe là-bas, on doit être représenté soit par un manager, soit par un agent. Cette personne vous envoie un script et si vous l’appréciez, vous le lui faites savoir. Vous êtes alors propulsé dans une sorte de compétition infernale : un producteur sélectionne en général une vingtaine de réalisateurs potentiels, via les agents, et vous devez pitcher ce que vous voulez faire avec leur film. La route est très longue. On commence à vingt, puis on passe à cinq, puis à trois, et ensuite à un. Je vivais encore au Japon quand mon agent m’a parlé d’un projet.

    Il m’a envoyé le scénario, et ça s’appelait Fast and Furious 3. Il insistait vraiment pour que je le fasse, car c’était un très gros budget. Et comme ça allait se tourner au Japon, j’étais le candidat idéal ! J’ai passé quelques entretiens avec les exécutifs, et je leur ai envoyé toute une liste de notes pour modifier le script. Je suis quelqu’un de très direct, et je leur ai dit que ça ne me gênait pas forcément qu’un film américain puisse offrir une vision un peu caricaturale du Japon. En revanche, je ne pouvais pas faire ça moi-même ! Le scénario ne semblait pas du tout se dérouler au Japon, et je ne voulais pas manquer de respect à mon propre pays. Je leur ai donc suggéré plein de changements et j’ai même travaillé sur quelques story-boards, notamment pour la séquence finale. Je pensais avoir obtenu le job, mais il faut savoir qu’à Hollywood, il y a toujours plusieurs chevaux. Le studio a son réalisateur préféré, le producteur a le sien. Parfois, la star a son réalisateur préféré ! Tout cela est très politique. Au bout du compte, quelqu’un a tranché, et pas en ma faveur. Ils ont dit :

    « On a un script prêt à tourner, l’argent est à la banque, pourquoi devrions nous écouter les idées de ce metteur en scène ? »

    Mon agent a été très déçu, mais je lui ai dit :

    « Franchement, il doit bien y avoir quelque chose qui me corresponde davantage ! »

    Et juste après, j’ai décidé de quitter cette agence. Ce n’était pas la bonne adresse pour moi : ils m’avaient fait tourner en rond pendant un an, pour rien. Or à Hollywood, on ne quitte pas son agence comme ça ! Ça ne se fait pas. C’était sans doute une mauvaise décision, mais tant pis. Et entre nous, personne n’imaginait que Fast and Furious allait devenir un phénomène mondial quelques années plus tard. Si j’avais su, j’aurais accepté le job sans négocier ! J’aurais dit :

    « Oui bien sûr ! Aucune note ! Je filme ce script tel quel ! »

    Au lieu de ça, je me suis retrouvé tout seul. Une amie américaine m’a engueulé :

    « Tu es barge ? Qui va t’envoyer des scripts ? Qui va organiser les rencontres ? »

    Je lui ai dit que je trouverais un moyen… et c’est ce qui s’est produit quelques semaines plus tard. Je devais me rendre au Comic-Con de San Diego pour présenter une projection d’Azumi. Là-bas, je rencontre un gars qui est fan de mon travail. Il se présente en me disant qu’il est l’un des producteurs de la série Afro Samurai. Wow ! Génial ! Il me dit qu’il veut me présenter au créateur de la série Takashi Okazaki. Il poursuit :

    « Vous savez, Samuel L. Jackson ne devrait pas tarder à arriver, ce serait super que vous puissiez le rencontrer. »

    Il passe un coup de fil à la manageuse de Jackson, qui lui demande de lui répéter mon nom. Elle dit :

    « Très bien, je vais en parler à Sam »,

    et elle raccroche. Mais quelques secondes plus tard, elle rappelle :

    « Est-ce bien le réalisateur de Versus, Azumi et Godzilla: Final Wars ? Sam arrive tout de suite ! »

    Incroyable. On nous présente et Sam me pose un million de questions.

    « Comment avez-vous fait ce plan à 360 degrés dans Azumi, comment avez-vous réalisé telle ou telle scène dans Versus ? »

    On passe une super soirée, et à la fin, Sam dit à sa manageuse :

    « Il faut que tu regardes les films de ce type. Ce week-end ! »

    Elle l’a fait et m’a appelé le lundi matin. En fait, elle représentait la société Anonymous Content, qui m’a ouvert ses portes. J’ai signé avec eux et je suis rentré à la maison. Deux mois plus tard, je suis retourné à Los Angeles, et pas du tout pour des raisons professionnelles. Je suis un grand fan de rock, en particulier du groupe Asia. Ils ont organisé une tournée pour la première fois en 23 ans, et j’ai décidé de les suivre le long de la côte californienne pour assister à tous leurs concerts ! Un jour, j’ai appelé ma nouvelle manageuse et je lui ai dit que je suivais Asia jusqu’à dimanche. En gros, je lui ai donné du lundi au vendredi pour m’organiser des rendez-vous ; le samedi, j’ai réservé une place dans un parc d’attractions, et j’ai booké mon avion pour le soir. Le lundi matin, elle a réussi à me caler un premier rendez-vous chez Lakeshore, où j’ai été reçu par le producteur Gary Lucchesi. On a parlé de pas mal de choses, pas d’un projet en particulier, et à la fin il m’a dit :

    « Je crois que j’ai quelque chose pour vous. ».

    Là, il me tend un script et je lis le titre « Midnight Meat Train ». Je lui rends aussitôt en disant :

    « Il s’agit bien de la nouvelle de Clive Barker, tirée des Livres de sang ? Je ne veux même pas lire ça. Je ne peux pas croire que vous ayez un scénario digne de ce monument. C’est un classique, c’est l’Arche, ce n’est même pas la peine d’essayer, vous allez tout dégueulasser, et ensuite vous ferez des remakes, des suites… Je ne veux pas le faire, et je ne veux pas que vous le fassiez. ».

    Il a explosé de rire :

    « Vous savez quoi, on développe ça avec l’équipe de Clive, on est très proches, donc prenez le quand même, lisez le à l’hôtel, et revenez mercredi. Si ça ne vous plaît pas, on trouvera autre chose. ».

    Je l’ai lu le soir même… et effectivement, il y avait du potentiel. Certaines choses ne fonctionnaient pas, mais on pouvait les améliorer. Adaptée littéralement, la nouvelle aurait donné un court-métrage de 20 minutes, et le scénariste Jeff Buhler avait réussi à étirer l’histoire jusqu’à 90 minutes de façon convaincante. Je suis donc retourné voir Gary le mercredi, et je lui ai dit qu’il y avait peut-être quelque chose. Lakeshore était alors une compagnie en pleine ascension. Ils venaient de remporter l’Oscar du Meilleur Film avec Million Dollar Baby et avaient fait fortune avec Underworld.

    J’ai dit que j’étais partant, et Gary m’a invité à revenir deux jours plus tard. Me voici donc de retour le vendredi, et là je dois rencontrer Tom Rosenberg, le grand patron. C’est l’archétype du boss de studio hollywoodien : il a l’air cool et riche. C’est le type qui n’a jamais perdu depuis sa naissance. Tom ne m’a même pas adressé un sourire. Il m’a regardé en silence et Gary, assis à ses côtés, m’a lancé :

    « Peux-tu lui expliquer ce que tu veux faire avec le film ? »

    J’étais un peu vexé par l’attitude de Tom, un peu agacé aussi, donc j’ai répondu froidement :

    « La raison pour laquelle je suis devant vous, c’est que je suis très bon, surtout dans l’horreur, l’action et l’inventivité visuelle. Mais faire juste de l’action et juste de l’horreur ne m’intéresse plus. Ce qui compte le plus pour moi, ce sont les personnages. Ce que j’aime vraiment dans ce script, c’est ce jeune photographe qui veut devenir quelqu’un à tout prix. Ça, c’était moi il y a dix ans. Je n’étais personne, je n’avais pas d’argent, et je disais à tout le monde qu’un jour, je réaliserais des films à Hollywood. Si un gros producteur comme vous m’avait demandé il y a dix ans de tuer un connard et d’enterrer son corps dans le désert en échange d’un poste de réalisateur, je l’aurais fait ! Je comprends ce personnage, et donc je peux faire en sorte que sa trajectoire dramatique fonctionne. »

    Je n’ai rien dit d’autre. Les pitchs à Hollywood, c’est tout une histoire, il y a beaucoup de baratin. Il faut parfois tourner un teaser, montrer des artworks… Moi, je n’avais rien à montrer. Je leur ai dit :

    « Merci pour votre temps, au revoir »,

    et je suis parti. J’étais encore en colère quand j’ai atteint ma voiture. Pourquoi ce type ne m’avait-il pas souri ? J’allais quitter le parking quand ma manageuse m’a appelé :

    « Tu as le job, fais demi-tour. Je n’ai jamais vu un client de passage à Los Angeles pour voir un concert et qui soit reparti avec un contrat en cinq jours ! ».

    Avez-vous eu du mal à vous adapter aux contraintes de la production hollywoodienne ?

    Disons que je me suis vraiment battu pour toutes mes idées, séquence après séquence. Les producteurs n’arrêtaient pas de me dire :

    « Il faut que tu fasses davantage de coverage. Fais des gros plans, fais des plans larges, comme ça on ne sera pas surpris quand il faudra monter. »

    Mais je ne voulais pas découper mon film de cette manière. Voilà pourquoi la première séquence de meurtre est tournée en plan-séquence : au montage, je n’avais pas de plan de coupe pour modifier quoi que ce soit ! Quand j’ai commencé à travailler à Hollywood, j’ai vite compris qu’on était dans un système proche de celui de McDonald’s. Partout dans le monde, vous trouverez une qualité similaire dans tous les McDo. Ce n’est certainement pas de la cuisine cinq étoiles, mais ça se mange. Hollywood, c’est exactement ça. Leur système est formaté, et vous pousse à travailler d’une façon bien précise, en vous couvrant le plus possible.

    Et à la fin, les producteurs peuvent virer le réalisateur sans problème et monter le film comme ils l’entendent, parce qu’ils ont le choix dans les angles de prises de vues ! Je comprends le procédé. Mais sincèrement, qui a envie de connaître l’identité du putain de chef dans la cuisine d’un McDonald’s ? Je me considère comme un « Sushi Chef », et je veux proposer des recettes uniques. Il faut trouver un équilibre quand on bosse là-bas, sinon on a vraiment l’impression d’être à l’usine. Heureusement, les producteurs de Midnight Meat Train m’ont écouté et soutenu. J’ai eu une vraie liberté créative, ce qui est formidable pour une première expérience américaine.

    Bradley Cooper est aujourd’hui une star, mais il était encore relativement inconnu à l’époque de Midnight Meat Train…

    Chez Lakeshore, on m’avait installé dans un grand bureau avec plein de vitres donnant sur un open space. Là-bas, ils appellent ça un « fish tank » : il y a du verre sur 360 degrés ! Au Japon, on n’apprécie pas les lieux trop grands ou trop ouverts. On aime respecter l’espace de chacun. Aux États-Unis, tout le monde peut ouvrir votre porte et venir vous parler. Je n’aime pas ça ! Mais je dois dire qu’un jour, ça m’a quand même aidé. J’étais en train de travailler sur le script dans ce grand aquarium, et j’ai aperçu un type super beau passer dans le couloir. Je suis allé voir la réceptionniste et je lui ai demandé qui était ce putain de bel homme. Elle m’a répondu :

    « Bradley Cooper. C’est un jeune acteur et il a rendez-vous avec Gary. »

    J’ai rencontré Bradley ce jour-là. J’ai tout de suite su qu’il avait un avenir. Après quelques minutes de discussion, Gary et moi l’avons engagé pour Midnight Meat Train.

    Vous avez réalisé en 2018 l’un des segments de l’anthologie Nightmare Cinema, supervisée par Mick Garris.

    Tout est connecté dans ma vie. Quand on a fini Midnight Meat Train, on pensait que le film allait avoir droit à une sortie majeure. Mais il y a eu un scandale chez Lionsgate et la direction a changé du jour au lendemain. Le nouveau patron a tué le film. On était vraiment déprimés : l’ancien distributeur nous avait promis plus de 3000 écrans, à la meilleure période de l’année pour un film d’horreur… On a quand même décidé d’organiser une projection pour l’équipe et les amis. J’ai demandé à mon agent de réserver une belle salle et on a invité tout le monde. Et je crois que c’est Clive qui a invité Mick Garris. Samuel L. Jackson est venu lui aussi, tout le monde a adoré, et à la fin, j’ai donné un petit discours. J’ai dit :

    « Le film aura une vie, et il parlera pour lui-même. »

    On était vraiment très émus. Depuis la scène, j’ai salué tout le monde, un spectateur après l’autre. Et mon regard est finalement tombé sur Mick Garris ! Il a une chevelure très reconnaissable, un look très rock’n’roll. Quand je me suis penché vers lui, il a fait de même, en m’adressant un énorme sourire. Plus tard, je suis allé le voir et je lui ai dit que j’étais un grand fan de son travail. Il m’a répondu :

    « À partir de maintenant, vous faites partie intégrante des Masters of Horror. »

    C’était un honneur ! Nous nous sommes revus assez régulièrement. C’est l’une des rares personnes vraiment gentilles et honnêtes en activité à Hollywood. Je l’adore. À cause de magouilles hollywoodiennes, il a dû arrêter ses séries Masters of Horror et Fear Itself. Il a donc commencé à développer un long-métrage anthologique il y a dix ans, mais le budget a été très difficile à réunir. Les réalisateurs attachés au projet à l’époque n’étaient pas du tout les mêmes. C’est fou de voir à quel point il est difficile de monter un film indépendant, surtout quand on voit tous les étrons préformatés qui arrivent sur Netflix chaque semaine ! Sérieusement, qui finance cette merde ? Bref, le temps a passé, on a eu plein de faux départs, et un jour Mick m’a dit :

    « On le fait enfin, avec Joe Dante, David Slade, Alejandro Brugués et toi ! »

    Il m’a mis en contact avec une scénariste, Sandra Becerril, qui m’a envoyé quelques idées. Une en particulier était complètement folle. Ça commençait dans une ambiance très naïve, et ça partait totalement en couille à la fin ! On formait une sorte d’équipe de baseball ou de football avec les autres réalisateurs. Mick était le coach et moi, j’étais l’attaquant ! Sur Nightmare Cinema, chacun a eu droit à cinq jours de tournage et un budget identique. J’ai proposé d’ouvrir le bal. L’assistant réalisateur était le même pour tous les segments et à la fin, il m’a dit :

    « Ce n’est pas juste. Ton sketch est différent, il y a beaucoup trop d’action et de gore par rapport aux autres ! »

    Justement, c’est pour ça que Mick m’avait engagé. Je ne voulais surtout pas le décevoir ! Effectivement j’avais une énorme scène de combat, et en plus, je devais diriger des gosses et les démembrer à l’écran !

    Or, à Hollywood, il y a une régulation très stricte quand on travaille avec des enfants. Chaque tranche d’âge a le droit de travailler un certain nombre d’heures avant de reprendre les cours. Un jour, je tournais des inserts gore avec l’équipe de KNB. Je leur avais demandé de ramener tous les membres tranchés qu’ils avaient créés pour Kill Bill. Je voulais du sang partout !

    On filmait donc de vraies scènes de cauchemar, dans l’église où John Carpenter avait tourné Fog. À un moment, je suis sorti de l’église remplie de barbaque pour prendre un café, et il y avait tous ces gosses en train de suivre un cours. Sang d’un côté, école de l’autre. Du délire total !

    Votre dernier film, The Doorman, vient de sortir en VOD aux États-Unis.

    Oui, c’est un film d’action à la Piège de cristal, avec Ruby Rose dans le rôle d’une ex-marine qui doit combattre un gang mené par Jean Reno dans un grand hôtel. C’est un concept très simple et une excuse pour réaliser des scènes d’action excitantes.

    À cause de Midnight Meat Train, les producteurs hollywoodiens ont eu tendance à croire que je ne suis qu’un réalisateur d’horreur. J’ai donc voulu leur montrer autre chose. On m’a proposé The Doorman il y a cinq ans, juste après la sortie de Lupin the Third. À l’époque, c’était Katie Holmes qui devait tenir le rôle principal. On a construit les décors, mais comme souvent à Hollywood, le budget s’est effondré juste avant le tournage. Un an plus tard, le producteur est revenu vers moi en me disant qu’il relançait la machine, mais Katie Holmes n’était plus disponible, et on a dû de nouveau attendre. L’année dernière, j’ai casté Ruby Rose, et ça a débloqué la situation.

    On a filmé à Bucarest, dans une ambiance très différente des tournages habituels. Ruby a été incroyable, et j’ai eu la chance de travailler avec Jean Reno, qui est une légende au Japon. Je me suis aussi entouré de techniciens qui me suivent depuis mes débuts ; par exemple, le caméraman principal était déjà présent sur Versus, Azumi et Godzilla: Final Wars. Manque de pot, la sortie en salles de The Doorman a été annulée en raison du coronavirus… Faire du cinéma, c’est un défi sans fin.

    SOURCE: Alexandre Poncet (Mad Movies) 14/10/2020

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    Pier Paolo Pasolini aurait eu 100 ans le 5 mars 2022. Demeure l’œuvre protéiforme de l’enfant terrible des lettres et du cinéma italiens, dont le meurtre jamais élucidé en 1975 continue de nourrir la légende.

    Vous aurez beau lire tous les livres, toutes les analyses, toutes les gloses sur le cinéma de Pier Paolo Pasolini, on oublie souvent de dire à quel point ce cinéma là est bandant. Parce que dans l’interdit, dans la transgression, dans la pagaille, dans le vertige, dans le mystérieux, dans l’incongru, et aussi parce qu’il fait ce qu’il veut.

    C’est du cinéma offensif et libre, comme le veut la formule et, surtout, c’est du cinéma comme on n’en fera jamais plus. Ces films là appartiennent à leur époque, à cette décade prodigieuse des années 70, ils marquent parce qu’ils prennent pas de gants. Du cinéma adulte qui ne correspond qu’aux désirs de son auteur et qui se fout de savoir si ça vous envoûte ou déplait, séduit ou répugne.

    Et l’on souscrit volontiers à la phrase prononcée par Gaspar Noé lors de l’édition DVD du sulfureux Salo ou les 120 journées de Sodome:

    Si Pier Paolo Pasolini n’était pas mort, on l’aurait tué pour avoir fait ça.

    Faites le test en 2022 et les fonctionnaires de la pensée unique lui tomberont dessus. Mais le corps profus laissé par ce poète, écrivain, cinéaste, dramaturge, critique, acteur, journaliste, qui a marqué par la recherche formelle et l’engagement politique, sera plus fort qu’eux.

    C’est avant tout un poète que nous perdons, et les poètes ne sont pas si nombreux dans le monde

    Tels sont les mots de son ami Alberto Moravia, auteur du Mépris, lors des funérailles officielles le 5 novembre 1975, trois jours après sa mort. En une vingtaine d’années d’activité artistique, Pier Paolo Pasolini aurait eu 100 ans le 5 mars 2022. Demeure l’œuvre protéiforme de l’enfant terrible des lettres et du cinéma italiens, dont le meurtre jamais élucidé en 1975 continue de nourrir la légende.

    En une vingtaine d’années d’activité artistique, Pasolini, souvent comparé à Jean Cocteau ou Jean Genet, aura provoqué de violentes controverses face à la critique bourgeoise, la censure chrétienne et la menace néo-fasciste. Ses vers, sa prose, son théâtre, ses films et ses diverses chroniques constituent une poétique sombre dans laquelle ce proche de Godard et Fellini interroge la modernité d’une Italie à la fois millénaire et adolescente.

    Après avoir vu SALO, j’étais choqué. Pendant deux semaines, j’étais malade. Ça m’a bouleversé.
    Michael haneke

    Encore rural et laborieux, le pays découvre l’électroménager, la télévision, la voiture individuelle, mais aussi le chômage, les bidonvilles, le sous-prolétariat.

    Lincoln a aboli l’esclavage, l’Italie l’a rétabli.

    fait dire Pasolini au protagoniste de l’Accattone (le mendiant), son premier film réalisé en 1961 qui traite du «miracolo economico» du point de vue des laissés-pour-compte.

    Pasolini jouit déjà d’une certaine notoriété dans son pays pour ses recueils poétiques (Le rossignol de l’Église catholique, La meilleure jeunesse et surtout Les cendres de Gramsci) quand le cinéma le fait connaître à l’étranger. Passant du réalisme (Accattone, Mamma Roma) à l’adaptation symboliste (Boccace, Sophocle, Sade), il réalisera au total 23 films jusqu’au dernier, Salò ou les 120 jours de Sodome en 1975, qui sortira après sa mort.

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    Sur ce film, un maître en rencontre un autre. Après avoir célébré la jeunesse et l’amour de vivre avec sa Trilogie de la vie (Le Décaméron, Les Contes de Canterbury et Les Mille et Une Nuits), Pasolini fait tout l’inverse dans Salo, ou les 120 journées de Sodome. Non seulement le poète restitue amplement la décadence sadienne jusque dans ses pires recoins, mais son incroyable délocalisation temporelle dans la république de Salo lui sert pour dénoncer la puissance fasciste, où le malheur des uns fait le plaisir des autres.

    Plus que les concours de cul, les polenta qui picotent et les dégustations d’excréments sur porcelaine, le malaise n’est jamais aussi prégnant que lorsqu’il exulte à l’oral dans les scènes d’élocutions des bourreaux, où Sade, du bout de la langue, semble revivre dans une valse immonde. Dans une interview réalisée par nos soins, Michael Haneke n’a jamais oublié sa découverte:

    Je me souviens bien du jour où je l’ai vu. C’était à Munich. Le film était annoncé comme quoi il allait être censuré. Il était diffusé dans sa version originale et c’était un scandale dans la presse. Le soir, tout le monde est entré dans une grande salle de 800 places.
    C’était presque plein au début. Une demi-heure plus tard, la moitié de la salle était partie. Après une heure trente, il y avait trente personnes. A la fin du film, je pense qu’on était cinq ou six.
    Après avoir vu le film, j’étais choqué. Pendant deux semaines, j’étais malade. Ça m’a bouleversé. Et c’est à partir de là que j’ai compris ce qu’était vraiment la violence, la souffrance physique et mentale.
    Naturellement, cela m’a donné envie d’arriver à provoquer cette même décharge. J’ai le DVD de Salo chez moi, je n’ai pas osé le revoir.

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    Pasolini a aussi signé L’évangile selon saint Matthieu (1964), grand prix du jury à la Mostra de Venise, Théorème (1968), Médée (1969) avec Maria Callas, Le Décaméron (1971), primé à Berlin. Ses romans (Les ragazzi, Une vie violente) racontent sa fascination, son attirance pour les jeunes hommes, petites frappes des faubourgs romains au parler si particulier qui lui rappelle la langue du Frioul maternel et ses débuts de poète dialectal. Dans le parabolique Théorème (1968), il pervertit une famille bourgeoise.

    Son cycle romanesque s’achève avec l’inachevé Pétrole dont les révélations contenues dans un chapitre prétendument disparu auraient pu lui valoir sa mort, selon une théorie parmi cent autres. Dans son ultime interview télévisée, accordée le 31 octobre 1975 à Paris, Pasolini résume ainsi une partie de son credo:

    Scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir.

    Pasolini est assassiné dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975 sur une plage d’Ostie, près de Rome. Il a été roué de coups, puis une Alfa Romeo GT, la sienne ou une autre, est passée sur son corps. Le même jour, Giuseppe “Pino” Pelosi, un prostitué de 17 ans, est arrêté au volant de la voiture de la victime. Il se dit seul coupable, affirmant s’être défendu d’une tentative de viol de la part du réalisateur. Pino Pelosi est condamné l’année suivante à neuf ans et sept mois de prison.

    Pasolini est la victime de ses personnages, une tragédie parfaite, prévue dans ses divers aspects
    Michelangelo Antonioni

    Une dispute qui tourne mal? Un chantage? La main de la pègre ou de l’extrême droite? Près d’un demi-siècle après le meurtre de Pier Paolo Pasolini, cinéaste et écrivain provocateur qui ne manquait pas d’ennemis, le mystère demeure.

    Saura-t-on jamais ce qu’il s’est passé? Probablement pas. Dès le départ, l’enquête a été bâclée, la scène du crime piétinée, les témoins ont perdu la mémoire ou sont passés de vie à trépas. Pour la journaliste et criminologue Simona Zecchi, qui a publié deux livres d’enquête sur cette affaire, les autorités italiennes n’ont jamais eu vraiment la volonté de faire la lumière.
    “L’Italie a un problème avec la vérité, parce que cette vérité a souvent traversé la partie obscure de nos institutions”, estime-t-elle.

    Mis à mort par un jeune homosexuel, le corps de Pasolini retrouvé dans un quartier misérable de la capitale, Pasolini est la victime de ses personnages, une tragédie parfaite, prévue dans ses divers aspects, dira le cinéaste Michelangelo Antonioni.
    Pino Pelosi reviendra en 2005 sur ses aveux, incriminant, sans les identifier, trois inconnus à l’accent sicilien. Il affirmera avoir tu la vérité pour protéger sa famille.

    En 2010, une enquête est rouverte: cinq ADN prélevés sur les vêtements de Pasolini sont exploitables. Mais en 2015, le juge prononce un non-lieu. Sur les cinq profils ADN, un seul a pu être attribué, celui de… Pino Pelosi.
    La présence sur place d’autres voyous la nuit du drame ne fait pourtant aujourd’hui aucun doute. Le nom des frères Borsellino, entre autres, apparaissait déjà en 1975 mais ils n’avaient pas été jugés et sont morts depuis.

    Pour la justice, le dossier est classé. Pour d’autres, amis ou journalistes, l’affaire Pasolini est un «Cold Case». Pino Pelosi n’aurait été que l’instrument d’un complot. Mais un complot ourdi par qui? Pourquoi?

    La grande difficulté, c’est que personne n’était au courant de tout sur toute la chaîne, des exécutants aux commanditaires, il y a eu probablement plusieurs strates,

    explique l’écrivain français René de Ceccatty, son biographe.

    À partir du moment où on accepte que c’était un crime politique, on ne s’étonne pas qu’il y ait autant de brouillard».

    En 1975, l’Italie est plongée dans une vague de violence sans précédent depuis la guerre. Ce sont les années de plomb. Les groupes armés d’extrême gauche pratiquent l’assassinat, des groupuscules néo-fascistes commettent des attentats sanglants. Pasolini est proche du Parti communiste italien, le PCI, qui fera 35% aux législatives de 1976.

    Peu avant sa mort, le réalisateur avait reçu des menaces pour son ultime film Salò ou les 120 journées de Sodome, qui dénonçait de façon féroce la «République sociale italienne» (1943-1945), dernier avatar du fascisme en Italie. Autre hypothèse: dans un chapitre disparu de son livre posthume et inachevé Pétrole, Pasolini devait accuser le patron du groupe énergétique ENI, Eugenio Cefis, d’avoir assassiné son prédécesseur, Enrico Mattei, mort dans un accident d’avion causé par un explosif.

    Là encore, il n’existe aucune preuve formelle. Pour Simona Zecchi, le poète a bien été tué pour ses activités de journaliste. La piste la plus sérieuse, selon elle, est celle de la piazza Fontana, l’attentat néo-fasciste commis à Milan le 12 décembre 1969 et qui avait fait 17 morts et plus de 80 blessés. Le 14 novembre 1974, Pasolini faisait paraître une tribune atomique dans le quotidien Il Corriere della Sera:

    Je connais les noms des responsables< (…) mais je n’ai pas de preuves.

    Reste l’hypothèse d’un chantage. Au mois d’août 1975, des bobines de Salò sont volées à Rome. Pelosi aurait été l’intermédiaire. Les enquêteurs n’y croient pas. Le film était quasiment monté.

    «Le vol n’avait pas représenté un préjudice significatif», conclut l’arrêt de non-lieu de 2015.

    SOURCE: Chaos

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    c’est vrai qu’autant j’adore cet acteur, autant je me méfie avant de choisir un de ses films à regarder …

    comme d’autres acteurs connu (nicolas cage for exemple) il a beaucoup donné dans l’alimentaire ces derniers temps !!

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    INTERVIEW & PHOTO: JEREMIE MARCHETTI

    Western psyché qui aurait chuté dans un pot de peinture, odyssée femme/femme qui patauge dans la gadoue et dark fantaisie aux couleurs du crépuscule, After Blue de Bertrand Mandico (en salles le 16 février) se fraye enfin un chemin dans les salles à pas de loup. Et comme il est de coutume, nous avons voulu tout savoir ou presque sur ce qu’il y avait avant le bleu… et après.

    After Blue et Conan la Barbare (toujours en cours) ont traversé deux années très mouvementées. Tout cela a t-il pu se passer comme prévu ou as-tu rencontré quelques embûches?

    Des embûches inhérentes au cinéma, mais j’ai tourné After Blue in extremis juste avant le premier confinement. Cela correspondait à ma période de montage, on a plongé en apnée dans les images, sur une autre planète. Ça n’a pas empêché certaines péripéties humaines durant le montage.

    Comme tout le monde, j’ai mal vécu le confinement, du moins j’ai été oppressé par le contexte mortifère et l’autoritarisme qui s’est mis en place. Je m’évadais dans ma fantaisie d’anticipation: surpris de voir des liens assez forts entre ce qu’on était en train de traverser et le sous-texte de mon film (virus, écologie, repli communautaire etc.). La vague suivante, c’était durant les finitions d’After Blue et… la gestation du projet Conan la Barbare.

    Là, malgré des répétitions et la construction de décors au Théâtre des Amandiers, sa représentation théâtrale – l’acte 1 du projet, avant le film – a été finalement rendue impossible (en plein 2ᵉ confinement). Le projet s’est transformé en corpus de films. Avec toujours d’étranges échos avec «l’actualité». Je viens de finir de tourner la partie long-métrage de Conan la Barbare et je suis à nouveau en montage, pour un long moment. Donc on peut dire que j’ai eu la chance de pouvoir m’enfouir dans le travail de manière compulsive, dans des mondes fantaisistes qui rentraient étrangement en résonance avec ce que l’on vivait.

    Tu évoques le tournage de After Blue un peu comme ton Apocalypse Now…

    Les lieux de tournages étaient très complexes: on a pourtant tourné en France, en Aquitaine, mais en hiver, en extérieur, dans les endroits les plus sauvages que j’ai pu trouver à une période où la météo était vraiment déchainée. Sur des plages balayées par des fortes intempéries, des forêts avec des pluies diluviennes, dans des anciennes carrières d’ardoises tranchantes jonchées de fosses abyssales, dans des gorges englouties par les eaux; bref, là où on évite de mettre une caméra, une équipe et surtout des actrices…

    On s’appuyait sur des décors préexistants difficiles d’accès, pour y ajouter des constructions extra-terrestres. Nous étions comme sur un bateau ivre pris dans notre océan filmique. Il y a eu aussi les difficultés financières inhérentes à un film d’auteur qui a obtenu des financements de films d’auteurs, et il a fallu alors démultiplier les idées, décupler l’énergie des interprètes, des équipes techniques pour être à la hauteur de nos ambitions. Inventer un prototype onirique. La prise de risque fut énorme pour tout le monde.

    Et justement par rapport à ces restrictions, est-ce que tu as dû sacrifier un peu certaines visions d’After Blue, qu’il s’agisse de paysages ou de créatures, ou au contraire tu as choisi d’aller plus du côté de l’évocation?

    J’ai fait des arrangements avec mon imaginaire et j’ai surfé sur l’impossible. Vu que je n’aime pas recourir à de la post-production pour les effets, tout devait se matérialiser au tournage, sans gommer les fils ou autres coutures. Il a fallu faire en sorte que ça fonctionne, que la sauce prenne, que l’univers s’incarne de façon viscérale. Je me suis contraint par endroits et déployé par ailleurs. J’ai créé un dogme esthétique et ça m’a aidé à trouver la teneur et le rythme du film.

    After Blue a pris le contrôle sur nous tous, le film nous dictait sa loi, il nous a englouti. Nous étions tous sur comme une autre planète. Je suis passé par des moments de doute absolu et des états seconds étourdissants durant la fabrication, surtout la première partie, de tournage en extérieur. Le travail était intense, exigeant. Lorsque l’on est passé en studio (des entrepôts dans la campagne briviste, que l’on surnommait Ecce-citta), il a fallu reproduire et prolonger des extérieurs, les raccorder avec ce que l’on avait filmé, comme le village par exemple…

    Le jeu étant de créer un univers cohérent, exubérant, singulier et jamais parodique. Le film ne cesse de jongler entre studio et décors naturel travaillé, le tout dans la recherche d’une fluidité…

    Après Living Still Life et Ultra-Pulpe, c’est la troisième fois que tu tournes en Scope.

    Pour Living Still Life, c’était un vrai Scope anamorphique, là, c’est ce qu’on appelle le Scope du pauvre, on utilise la moitié du photogramme 35mm, deux perforations, comme le faisaient les Italiens. Format que j’avais utilisé pour Ultra-Pulpe, Extazus et ensuite pour Conan. C’est un format que j’ai appris à aimer, même s’il me donne du fil à retordre pour cadrer. Orson Welles disait que le Scope était juste bon pour filmer les serpents, il avait raison…

    Et je m’évertue à chercher la part reptilienne qui sommeille dans les personnages, les visages, les corps, j’aime les filmer qui glissent et rampent dans les décors, les voir perdre leur mue… C’est le format du sommeil, du rêve et de l’érotisme: ça oblige les acteurs et les actrices à se coucher pour être de plain-pied.

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    Il y a les renvois à Zulawski, et plus particulièrement à son film de SF Sur le globe d’argent, aux peintures de Beksiński, la nationalité des personnages de Roxy et de Kate qui est mise en avant… Est-ce qu’After Blue était pensé comme une lettre d’amour à la Pologne et à sa culture?

    Ce fut surtout le cas avec Boro in the Box, la Pologne irriguait le film. Mais pour After Blue (Paradis Sale), ça reste inconscient. J’ai bien sûr invoqué le fiévreux Sur le Globe d’argent, le cinéma de l’Est et ses visions, en poussant l’Est jusqu’au Japon… Ce qui m’intéresse, c’est la convocation d’une imagerie fantaisiste atypique. Oublier l’académisme nord américain et les lieux communs de la SF qui sclérosent l’imaginaire. Je suis allé voir ailleurs pour m’ouvrir l’esprit, chez Zulawski et Has en Pologne, Fassbinder en Allemagne, Tarkovski et Klimov en Russie, Kobayashi et Miyazaki au Japon…

    De la même façon, je trouvais primordial qu’il y ait des personnages, venus d’ailleurs, assumant leurs accents pour éviter l’idée d’une autarcie française, rance et malvenue. Rien de plus beau qu’un accent, il témoigne d’une non-appartenance, d’un déracinement. Les déracinés font avancer le monde, les enracinés l’empoisonnent. Et sur une autre planète le déracinement est absolu.

    Ce qui me fait penser à une référence pour After Blue: un film tchèque, Fin Août à l’Hôtel Ozone (Jan Schmidt, 1967)
    Il y est aussi question de femmes déracinées, errant dans un monde apocalyptique, dans la nature sauvage, sans hommes, avec une esthétique proche du western. Un très beau film en noir et blanc, malheureusement méconnu. J’avais aussi en tête deux cinéastes anglais, John Boorman et Nicolas Roeg, qui sont des cinéastes que j’affectionne tout particulièrement et qui ont chacun dans leur style abordé la fantaisie et la science-fiction de façon panthéiste et iconique.

    Pour le personnage de Kate Bush, tu es allé chercher Agata Buzek, qui a une présence très forte, très étrange, presque reptilienne. Quel a été ton cheminement pour ce personnage, qui ne ressemble justement pas du tout à la chanteuse?

    Il fallait que ce soit un personnage aussi inquiétant que fascinant, que l’on puisse basculer dans son regard, comme dans un puits, qu’on comprenne l’attraction et la terreur que l’héroïne ressent pour elle. Je voulais un type de beauté vénéneuse : mon cahier des charges c’était Bowie, Kinski, Veruschka… J’ai beaucoup cherché, j’ai vu beaucoup d’actrices intéressantes: il a même été question que ce soit Julia Lanoë/ Rebecca Warrior (qui a fait des essais extras).

    Quant à Agata, je l’avais rencontré bien avant, je l’avais vue dans des pièces de Warlikowski, je n’avais plus de nouvelles et elle est revenue vers moi au moment où il fallait que je tranche, ç’a été une évidence au moment des essais, elle a une puissance extra-terrestre. Un jeu énigmatique avec un tempo très atypique. Elle fait d’ailleurs une «Conan» assez terrifiante dans Conan la Barbare.

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    C’est un personnage qu’on sent volontairement mystérieux, assez pour provoquer ce sillage de fantasmes qu’elle laisse derrière elle…

    Elle devait impressionner durablement. Le vrai patronyme du personnage est Katharina Buschkowsky… Kate Bush est un diminutif qui résonne de façon déroutante, dans l’esprit du spectateur, un résidu de la culture pop dans un monde lointain. Le personnage est une figure qui emprunte à des personnages de la mythologie ou des contes: la Sphinge vorace parlant par énigme ou le génie cruel accordant trois souhaits à qui le délivrera de son enfermement. Kate Bush se sent porteuse d’une mission, surnaturelle, mais dans le fond, son ambition destructrice la rend terriblement humaine.

    C’est un personnage composé de nombreuses strates, tout comme le film… dans lequel sommeille un film fantôme… Elle, elle a un pied dans le monde des morts. À l’origine, il y a quelques années (plus de 17 ans), j’avais écrit un western avec tous les personnages présents dans le film, la même intrigue, la même dynamique, mais à l’opposé du point de vue de la représentation sexuelle. Il n’y avait que des hommes et une seule femme, et celui qui devait incarner le personnage de Kate Bush était Guillaume Depardieu, intense et très engagé dans le projet. Il y avait aussi Katerina Golubeva, qui était une amie. Nous avions fait des essais, je voulais lui faire jouer le rôle principal d’un homme, elle était époustouflante en garçon. Il y avait également Tina Aumont, Maurice Garrel…

    Bref, mon projet a tardé à se faire, j’ai vu quasiment toute la distribution disparaitre, toutes ces personnes que j’aimais beaucoup. Il y a donc eu le deuil d’un projet, le deuil d’acteurs inspirants. Je pensais ne jamais réaliser ce film. Puis, après Les garçons sauvages, j’ai opéré une mutation du script, la transposition du récit dans un monde de fantaisie, de SF aux allures de western au féminin. Malgré le changement de sexe de tous les personnages, je n’ai pas modifié d’un pouce leurs personnalités, c’était très important pour moi ce côté transgenre, en conservant les mots et les caractères initiaux. La nouvelle strate du film, et non la moindre, fut la présence du monde des morts dans le film. Avec tous les fantômes de l’ancien projet, je ne pouvais pas faire autre chose que construire une Chambre verte.

    Il y a un autre personnage qui impressionne dès son entrée, tellement qu’on imaginerait presque un film bien à elle: c’est Veronica Sternberg (incarnée par Vimala Pons). Elle m’évoque beaucoup Sasori et Marilu Tolo dans le Barbe-Bleue de Dmytrik…

    Les vrais modèles sont Josef Von Sternberg et surtout Leonor Fini, peintre sorcière, diva croqueuse d’hommes, toujours affublée de tenues excentriques et de chapeaux surréels. Elle vivait ses étés recluse dans un ancien monastère corse, accessible qu’en bateau. C’est vraiment elle que j’ai convoquée pour créer le personnage de Vimala. La femme Scorpion aussi pour l’austérité de la grande silhouette noire et son chapeau porté comme une vague mortelle, mais aussi les manteaux en fourrure du Grand Silence.

    La fourrure me fait penser d’ailleurs aux westerns américains dépressifs et tardifs, qui m’ont marqués, avec ses beautiful losers, comme ceux dans McCabe & Mrs. Miller, mais c’était plus une référence pour le personnage d’Elina. Veronica Sternberg tient donc aussi son nom de Josef Von Sternberg. Comme lui, elle est artiste incandescente, insupportable pour certains, ambiguë pour d’autres. Von Sternberg enfermait ses héroïnes fatales aux destins brisés dans des décors baroques. Veronica enferme sa/son muse dans son monde. Vimala a su incarner ce personnage iconoclaste avec brio et émotion.

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    Chose assez rare au cinéma, il y a deux voix-off qui se chevauchent, celle de Paula Luna et celle, toujours très marquante de Nathalie Richard, qui est une actrice qu’on a toujours entendu/vu trop peu à mon sens.

    Pour moi, c’est une héritière de Delphine Seyrig, mais Nathalie reste unique. C’est une personnalité très forte, charismatique et c’était important d’avoir cette voix hypnotique en ouverture du film. Et construire le off sur la forme de l’interrogatoire, pour casser l’archétype usuel de la voix off. Dans le film, Nathalie, c’est «la vérité»: on ne sait pas d’où elle vient. Est-ce un juge dans le monde des morts, une intelligence extra-terrestre, une autorité terrienne, ou est-ce un produit de synthèse comme HAL?…

    Dans le choix de cette voix, il y a aussi le souvenir de Max Von Sydow au début de Europa, avec cette hypnose vocale et ferroviaire… Mais l’hypnose passe aussi par la succession de visages féminins, jusqu’à celui de Paula Luna. Qui va accrocher les esprits, par son jeu, sa candeur. Je voulais une actrice capable de regarder le spectateur dans les yeux, une actrice inconnue donnant l’impression d’avoir toujours existé. Paula a une énergie de vie et une jeunesse qui emportent le récit. Là où Elina joue dans un tout autre registre, mère courage/père lâche, engageant son corps dans l’aventure, nimbant son personnage d’humour désespéré, déroutant, marchant au bord du mélodrame, comme on marche au bord d’un précipice.

    Alors que la SF va toujours plus vers une représentation de plus en plus aseptisée, After Blue revient vers une vision plus organique qui était très répandue durant la génération Métal Hurlant. Déjà au moment de Ultra-Pulpe, tu parlais de revenir vers une SF sans ordinateurs.

    Donner des visions futuristes, sans les machines qui encombrent nos esprits, nos mains, nos yeux et nos oreilles. Les machines vont sans doute devenir obsolètes, parce qu’on sera passé à d’autres formes de technologies, on aura des données effervescentes, buvables ou à inhaler. Les jeux chimiques seront directement connectés à nos organes. La communication se fera sans avoir tenu un écran entre les doigts, mais juste en battant des paupières… Ou alors, on sera dans le rejet total des technologies.

    Qui sait, mais pourquoi se contraindre à imaginer une technologie encombrante. Je voulais m’affranchir de certains éléments qui alourdissent les films et font patiner la narration dans un encombrement de données, du techno-verbiage… Et puis il y a l’envie de revenir à l’origine de la SF, ou du moins la SF moderne des années 70. Et son formalisme qui découlait du surréalisme, de l’abstraction ou du symbolisme.

    On voit l’influence des paysages de Max Ernst chez Ballard ou des peintures de Gustave Moreau chez Druillet. Toute cette génération de dessinateurs, d’écrivains, s’est nourrie de l’imaginaire des avant-gardes pour faire exploser l’univers visuel de la SF et ouvrir la porte des visions oniriques. Tout cela a fini par se codifier, dériver se rétrécir et créer une doxa. Quand on voit des films de SF aujourd’hui, il y a toujours les mêmes vaisseaux spatiaux qui passent au-dessus de la caméra avec les mêmes réacteurs…

    Il y a souvent des variations dans le design, mais on reste sur les mêmes figures imposées. J’ai voulu jouer avec la SF, en la combinant avec des influences plastiques contemporaines, le western, l’heroic fantasy, fuir au maximum certaines figures de styles, renouer avec un cinéma trip sensoriel, émotionnel, sexué, le moins «netflixé» possible.

    Tes films sont essentiellement dominés par des actrices. Est-ce que, sans doute comme tu l’avais projeté pour ton western fantôme – T’imagines-tu ne diriger que des comédiens masculins?

    Je n’ai pas fait le vœu de filmer uniquement des actrices. Mais il est vrai que je me suis toujours rêvé, non pas comme un acteur, mais comme une actrice. J’en tire une fascination très Camp, mais un Camp romantique et 1er degré, pas le Camp de l’ironie grotesque. Ce qui me touche chez les actrices: c’est cette idée qu’il est inscrit dans leur ADN artistique, que tout sera toujours plus difficile pour elles que pour les hommes et que leur carrière sera peut-être plus éphémère, car les rôles intéressants proposés aux actrices murissantes se réduisent comme une peau de chagrin.

    Donc, il y a ce plaisir, pour moi, de leur offrir des rôles atypiques, autres, de jouer avec leur image, leur tragédie et autodérision, les transformer de film en film… Mais je ne veux pas faire de généralités, et il y a plein d’acteurs qui me touchent, que je considère d’ailleurs comme de grandes actrices !

    La BO des Garçons Sauvages avait quelque chose de vaporeux, magique et menaçant. Pour Ultra-Pulpe, on était un peu dans l’explosion mélancolique. Mais ici, il y a un sens de l’épique et du grandiose qui détonne totalement. Quelles étaient tes indications à ton compositeur Pierre Desprats?

    Chaque film est un prototype et l’idée avec Pierre était d’aller vers une musique qui pouvait supporter une fresque épique et ésotérique. Donner corps à la planète, au monde des morts, au désarroi des personnages, à leurs pulsions, magnifier les rencontres. On passe avec Pierre par des étapes contradictoires lorsque l’on travaille ensemble, il y a des fausses pistes, des recherches multiples, avant de s’accorder sur le style musical. Je vois la musique comme de l’eau, une rivière qui vient couler sur les roches que sont les plans et qui emporte le spectateur.

    Je donne à Pierre bien sûr des références musicales: musique de films, westerns, morceaux classiques et tubes pop. Ou des indications rythmiques pour certaines séquences: Boléro, montée des chœurs, percussions, le souvenir d’une intro sur un morceau italien… Je démonte sa musique au montage son et Pierre reprise ensuite, réorchestre le tout.

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    Tu joues pas mal avec la pilosité de tes personnages féminins, qui se rasent le cou comme on se taille la barbe. Il y avait une volonté de se moquer un peu du côté très hygiénique des films de sf ou de post-nuke? Des diktats actuels aussi?

    Le poil était très présent dans les western italiens, on peut même dire que le poil et la dilatation des séquences de duel, ont marqué la rupture formelle entre le western européen et le western made in USA. Je voulais que les personnages aient une pilosité extra-terrestre sur After Blue. J’ai eu l’idée de poils qui pousseraient à l’intérieur du corps des hommes (provocant leur mort) et ne pousseraient que dans le cou, ou de façon outrancière sur un bras, une épaule chez les femmes sans pouvoir y remédier.

    Il n’y a que les «porteuses d’ovaires» qui survivent sur cette planète aux règles arbitraires et injustes. J’ai commencé à réfléchir à une esthétique du poil inédite, presque comme un bijou, une ornementation… Les parures de poils viennent se perdre dans les fourrures que portent les personnages. L’alternance de glabre et d’îlots de poils est toujours très troublant, comme un jardin à l’anglaise. Je trouve le poil, beau, progressiste, vecteur de possibilités esthétiques et libertaires, tout autant notre part animale que végétale. Il irise la lumière alors que la peau boit la lumière. Et le corps doit pouvoir se montrer et être goûté, assumé dans tous ses états. Ce qui importe pour moi, c’est de casser les conventions esthétiques et les diktats du genre.

    SOURCE: Chaos Reign.fr

  • Votre Top/Flop de l'année 2021

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    Merci pour ta participation @alain06

  • Application de gestion de collection de films

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    @aerya a dit dans Application de gestion de collection de films :

    C’est surtout que vu le prix d’un BluRay, ça revient assez cher hélas 😕 Sans compter ce qui n’est qu’en VoD et pas en support physique.

    Mais je me garde ton soft dans un coin, j’ai encore quelques clients avec VHS/DVD. Merci du partage.

    Perso ma collection se fait vers les périodes de noël lorsque Cultura fait ses offres spéciales, et ça concerne un large catalogue. Du coup ça ne me revient pas plus cher que ça, après j’achète rarement le tout dernier BluRay sortie à prix fort ^^