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    Changement de nom pour le très attendu Disappointment Blvd

    https://planete-warez.net/post/29857

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    Début 2001 Le Pacte des loups rameutait plus de cing milions de Spectateurs dans les salles françaises. À Hollywood, on se serait empressé d’exploiter cette manne providentielle. Christophe Gans et ses producteurs seront au contraire snobés par le système hexagonal, et le cinéma de genre local se gardera bien de suivre la mesure. Deux décennies plus tard, le long-métrage à droit à une impressionnante restauration AK. Actuellement en préproduction d’un nouveau Silent Hill, Christophe Gans a accepté de revenir sur cette œuvre bien plus riche et jouissive qu’on a bien voulu le dire…

    Pour être honnête, je n’avais pas revu Le Pacte des loups depuis près de quinze ans avant de découvrir cette restauration.

    On a l’impression de le connaître car il est là depuis longtemps, mais même pour moi, Ç’a été une drôle d’expérience de le revoir. Les œuvres vieillissent, elles ont leur vie propre, et certains films qu’on a aimés sont devenus des vieux croulants. (rires) Ça n’empêche pas d’avoir de la tendresse pour eux. On m’a invité un matin à aller voir Le Pacte des loups au Grand Action en prévision de la restauration. Je ne l’avais pas revu depuis vingt ans. Bien sûr, j’avais regardé quelques extraits lors de diffusions télévisées, mais c’était la première fois que je le revoyais en entier. C’était aussi la première fois que j’ai pu le regarder sans me faire le making of dans ma tête. Quand on est réalisateur, on se souvient des coulisses de chaque scène : « Là je me suis engueulé avec lui », « Là j’ai du faire un compromis », « Là il y avait les producteurs qui râlaient »… La première chose qui m’a frappé, c’est que l’intrigue fonctionne, l’enquête en particulier, qui nous conduit jusqu’à la révélation finale.

    On pense beaucoup au Chien des Baskerville.

    Oui, c’était vraiment la base du projet : un hommage au Chien des Baskerville et à Terence Fisher. En 2001, le côté arts martiaux et l’influence HK affichée à l’écran semblaient être les éléments les plus attirants du film. La maturité aidant, cette ambiance Hammer est aujourd’hui bien plus envoûtante. C’est Le Chien des Baskerville filtré par Le Dernier des Mohicans de Michael Mann. C’étaient mes deux références évidentes. J’ai une passion pour Fisher que j’ai de nouveau pu mettre en exergue dans La Belle et la Bête. Et Le Dernier des Mohicans avait été un choc en 1992. D’ailleurs je l’ai revu récemment, et j’ai été complètement bluffé par sa somptuosité. J’ai eu tellement de plaisir à le revoir que je l’ai relancé après le générique de fin. Je me suis dit : « Voilà exactement ce qu’est un chef-d’œuvre. ». C’est un film extraordinaire. Enfin bref, l’intrigue du Pacte des loups fonctionne, et c’est dû au script formidable de Stéphane Cabel. C’était un très bon scénario. Je me suis permis de travailler ou gonfler trois personnages. L’'Indien évidemment, qui à l’origine n’était qu’un porteur de valises. Ensuite, le personnage de Monica, l’espionne du Pape, que j’ai inventée — c’était ma façon de proposer une sorte d’Angélique Marquise des Anges pour les années 2000, Et enfin, j’ai aussi inventé la muette qui a des crises d’épilepsie. À travers ces trois personnages, on trouve ma signature.

    Quand on revoit Le Pacte des loups, on est justement frappé par la complexité des personnages féminins. On est d’ailleurs dans une dichotomie assez forte entre un libertinage très marqué - et presque inconcevable aujourd’hui -et une mise en avant de la force des femmes.

    Il y a même un moment qui n’est pas woke du tout: on a le point de vue de Vincent Cassel, et la caméra descend vers le sexe d’une prostituée. C’est incroyable ! (rires)

    Honnêtement, Monica Bellucci n’a jamais été aussi bien filmée.

    Je l’ai filmée comme Daliah Lavi dans Le Corps et le fouet. D’ailleurs il y a un plan, quand elle est couchée, qui est une reproduction à l’identique d’un plan de Mario Bava.

    L’égorgement à l’éventail est très marquant aussi.

    Ça évoque les héroïnes du cinéma japonais, évidemment, Junko Fuji, Meiko Kaji et les autres. Je suis un peu comme Quentin Tarantino à ce niveau-là. On s’est beaucoup fréquentés à l’époque où Samuel Hadida produisait True Romance, et on ne parlait que de ça! C’est vrai que d’une certaine manière, tout ce fétichisme autour des héroïnes japonaises, ou des héroïnes des films de cape et d’épée italiens, a été constitutif de la sexualité des fans de cinéma. C’est comme ça qu’on imagine les femmes. Dans Le Pacte des loups, il y a un côté érotomaniaque.….

    … qui ressort notamment avec ce plan sublime sur la poitrine de Monica Bellucci qui se transforme en paysage.

    Certains me disaient à l’époque : « Il ne faut pas faire ça. ». Quand j’ai montré le film à des amis américains, ils m’ont dit que c’était dément. « Personne n’a jamais osé faire ça ! » Mais en France, plein de gens ont essayé de me faire douter à ce propos.

    C’est l’une des images les plus fortes du film.

    J’ai une passion pour la peinture et la photographie surréalistes, et j’ai trouvé que c’était très beau d’avoir un corps de femme qui devienne un paysage. C’est un peu comme ces très beaux dessins de Belinski ou Caza qu’on trouvait en couverture des recueils de la collection « Fiction ». On voyait des corps de femmes qui ressemblaient à des paysages, avec dessus des cathédrales. (rires) C’était mon trip total ! Je me souviens de la façon dont ce plan a été tourné. On a fait ça avec une caméra endoscopique, sur une table dans un hangar en briques où il faisait très froid. Monica est arrivée, elle s’est mise nue, elle s’est tournée vers les techniciens et leur a dit avec son accent italien : « Regardez bien parce que c’est la dernière fois que vous verrez ça. ». (rires) J’ai ensuite bougé la caméra endoscopique sur les vallons du corps de Monica. Il faut savoir que de par sa formation de mannequin, elle est capable de projeter un résultat. Elle arrive à imaginer ce que donnera le plan. Je lui ai expliqué mon idée et elle m’a dit : « Oui, il faut le faire, c’est vachement bien ! ». Pour revenir sur une autre chose qui m’a frappé en revoyant le film, c’est le nombre de personnes qui sont parties.

    Nous n’osions pas l’évoquer… Et encore récemment avec Gaspard Ulliel et Jacques Perrin.

    Jean-François Stévenin, Jean Yanne, Samuel Hadida… Huit acteurs sont partis, sans compter ceux qui sont derrière la caméra.

    Comme Benoît Lestang

    J’ai forcément revu le film avec une certaine mélancolie, une sentimentalité à laquelle je ne m’attendais pas. Le Pacte des loups a toujours été difficile à porter pour moi, car à l’époque, il a d’abord été reçu à travers l’événement qu’il représentait. Je sortais d’une expérience heureuse qui était Crying Freeman. C’est le premier film que je souhaite à tous les cinéastes. Tu arrives avec un long-métrage original que tout le monde trouve sympa, personne n’a rien à redire, il fait 900.000 entrées, joli petit succès, mais en même temps pas un triomphe qui peut jeter de l’ombre sur quiconque… Ça ne remet rien en question. Quand j’ai fait Crying Freeman, je me suis dit : « Oh putain, L’est sympa le cinéma ! ». Tout le monde était content, j’entendais : « C’est cool, il a fait son film avec des yakuzas dans les forêts du Canada, ça a fonctionné. ». Mais quand Le Pacte des loups est sorti, il y a des gens qui ne m’ont plus jamais adressé la parole. J’ai aussi su ce jour-là que ma tranquillité de cinéaste, c’était fini. J’étais le mec qui avait fait ce machin, et les gens le regardaient à travers le prisme de l’événement : c’était le film de tous les excès. Tout le monde avait un avis extrêmement tranché et parfois violent.

    Même Mad Movies à l’époque.

    Absolument. C’est donc un film que j’ai dû mettre de côté. Les seuls endroits où je pouvais en parler tranquillement, c’était à l’étranger. Là, les gens le prenaient pour ce qu’il était, c’est-à-dire un blockbuster français, qui s’amuse avec l’Histoire de France et plein de genres différents. Ici, j’ai entendu des trucs du style : « Ça a volé le succès à des films plus exigeants. ». C’est la vieille problématique française, du genre : « L’As des as a volé le succès d’'Une chambre en ville. ». Ça n’a aucun sens ! Je me suis toujours protégé en disant que Le Pacte des loups a été un coup de bol monstrueux. Six mois plus tôt ou plus tard, ça aurait pu ne pas du tout marcher.

    Étrangement, ce succès n’a pas débouché sur une nouvelle vague de Superproductions françaises.

    C’est dû à la manière dont le business fonctionne en France. Un film comme ça est difficile à faire, et ça se voit. Je ne veux pas faire de généralités, mais beaucoup de personnes que j’ai croisées dans ce business ne veulent pas se faire chier. On a souvent dit de manière très injuste que ce qui avait tué le cinéma de genre en France, c’était la Nouvelle Vague. C’est une aberration. Ce qui a tué le cinéma de genre en France, malgré l’amour que j’ai pour Louis de Funès, c’est Le Gendarme de Saint-Tropez. Pour les producteurs, tout devient clair : on peut tourner pour trois francs six sous sur une plage avec une bande de comiques et faire un carton monstrueux. À quoi bon se faire chier à aller faire des costumes, des décors, des cascades, des explosions, à employer plein de corps métiers différents ? C’est ça, le vrai tournant du cinéma français. À partir de ce jour-là, tout le monde a rêvé de refaire Le Gendarme de Saint-Tropez, c’est-à-dire un film que tu fais les doigts de pied en éventail, tranquille, pour un investissement mineur, et qui rapporte énormément. Nous sommes encore dans ce règne là, et je crois que nous n’en sortirons pas.

    Ce qui frappe en revoyant Le Pacte des loups, au-delà de tout ce que le film revendique dans son rapport au genre, c’est l’exigence de chacun de ses costumes et décors. La caractérisation des personnages passe à travers leur tenue, les accessoires, le production design, la lumière, leur place dans le cadre… C’est presque maladif.

    Oui, c’est même fétichiste. Je suis fétichiste dans mon rapport au cinéma. Pas seulement le mien, mais aussi celui des autres. Pour moi, tout fait sens. Sur Le Pacte des loups, je faisais en sorte que la crinière de chaque cheval soit en harmonie avec les cheveux de l’acteur qui le montait. Il y a des détails qui réapparaissent dans la version 4K et qui avaient disparu dans l’étalonnage numérique d’origine. Notamment le fait que Monica Bellucci change de couleur d’yeux à chaque scène.

    C’est pour moi un personnage changeant, multifacettes, et j’ai repris un truc que j’avais déjà utilisé sur Crying Freeman, où le héros change de couleur d’yeux quand il est en état d’hypnose. Monica a donc des yeux argent, des yeux sombres, même des yeux vaguement rouges dans certaines scènes, pour lui donner un aspect vampirique. Je me suis souvenu de ça en revoyant le film : j’avais commandé un jeu de six paires de lentilles de contact à l’époque. C’est un détail qui a son importance, et qui montre que pour moi, tout devait faire sens, même d’une manière totalement subliminale. Mes films sont très volontiers ce que j’appellerais « anti-psychologiques ».

    J’aime bien le cinéma psychologique, mais je préfère le cinéma pur, c’est à-dire le cinéma où tout est transmis par l’image. Les détails, les couleurs, les costumes véhiculent donc, comme tu l’as dit, l’état d’esprit du personnage. Donc si l’état d’esprit change, la couleur d’yeux change. Évidemment, le cinéma français est largement bâti sur la « psychologisation », et ce jusqu’à ia névrose et la Caricature.

    Grégoire de Fronsac est vraiment un homme de la Renaissance: il s’intéresse à la science, à l’art, à la littérature… Ce personnage est en totale adéquation avec le film. Le Pacte des loups serait d’ailleurs stylistiquement incohérent sans ce protagoniste, et sans cette bête protéiforme.

    Oui et l’une des scènes emblématiques est celle de la truite velue, De Fronsac y montre une fabrication. Il est déjà sur la piste, déjà dans la bonne direction. Effectivement, la bête est un assemblage hétéroclite d’éléments rapportés composant une espèce d’animal mythique qui n’existe que parce que les gens ont l’intention d’y croire. Mais en fait, ce n’est qu’un lion martyrisé enfermé dans une carapace. Ce qui a le plus de prix dans le film, et ce qui montre le plus où va ma sympathie, c’est le plan sur l’œil de la bête, et la langue qui vient lécher la main de Fronsac juste avant que celui-ci ne lui donne le coup de grâce.

    Ces deux plans, maïs aussi l’extraordinaire performance de Philippe Nahon, qui projette dans la scène quelque chose de sublime. On en a fait un ogre, maïs il était tout le contraire. Il y a toujours un truc qui fonctionne dans le cinéma de genre : tu prends un mec connu pour des rôles de salauds, et tu lui fais jouer un type sympa ; tu prends un mec qui joue toujours des héros, et tu en fais une ordure ! Ça marche à tous les coups ! (rires) J’aime vraiment cette scène parce qu’elle résume parfaitement le message que je voulais faire passer, c’est-à-dire que l’homme peut être ignoble, mais la nature et les animaux ne le sont jamais. Pendant le tournage, je parlais beaucoup de Dressé pour tuer de Samuel Fuller, qui est le film qui raconte parfaitement Ça ! On a pris une bête, on l’a martyrisée, on en a fait ce monstre.

    On a souvent dit de manière très injuste que ce qui avait tué le cinéma de genre en France, c’était la Nouvelle Vague. C’est une aberration. Ce qui a tué le cinéma de genre en France, malgré l’amour que j’ai pour Louis de Funès, c’est Le Gendarme de Saint-Tropez

    Le design de l’armure de la bête est intéressant, car même en voyant la créature en plan large, on ne comprend pas totalement sa physionomie. La carapace de la bête reflète la vulgarité de l’homme.

    Oui, c’est fait de bric et de broc ! C’est une chimère fabriquée dans un magasin de bizarreries. D’ailleurs, le héros lui-même est condamné à un moment à reproduire ça.

    ll crée une version romantique de la bête.

    Oui, une espèce de loup avec un masque rouge. La bête qui est exposée au roi est une fabrication d’un vrai taxidermiste, qui d’ailleurs était passionné par l’idée que la bête du Gévaudan ait été une fabrication humaine.

    On peut détecter là un commentaire extradiégétique sur le métier de creature designer…

    Oui, le héros dessine des monstres tout le temps ! Dans mes films, il y a toujours des peintures, des artistes… Même dans le film sur lequel je travaille actuellement, le héros est un peintre. (rires) C’est une façon de parler de mon travail, car tout est toujours dessiné à l’avance, tout est en 2D avant d’être transposé à l’écran. C’est la phase que je préfère dans la fabrication d’un film. Quelqu’un dessine quelque chose, puis quelqu’un ajoute un détail, quelqu’un enlève autre chose pour clarifier les lignes. Et au final, on obtient un design qui donne sa personnalité au long-métrage. Il doit y avoir des chocs picturaux à l’intérieur d’un film ; le cinéma est à la croisée de pas mal d’arts, mais l’art pictural est très important.

    Restauration 4K: Retour en Gévaudan !

    Vendu par Samuel Hadida sur les marchés internationaux comme le « Matrix en costumes », Le Pacte des loups appartient effectivement à la même famille cinéphitique que les essais des Wachowski ou de Quentin Tarantino. Mais cette anomalie majeure dans l’Histoire du cinéma français a toutefois une carte à faire valoir sur le plan narratif : la nature protéiforme et bricolée de sa bête tragique justifie pleinement sa pluralité stylistique et tonale, tout comme le fait que le héros (Samuel Le Bihan en successeur évident de Belmondo) est décrit comme un véritable homme de la Renaissance, passionné à la fois par la science, la littérature, l’art et les femmes.

    Affichant un érotisme rafraîchissant par les temps qui courent, des tableaux horrifiques puisant autant chez Spielberg, Bava et Fisher que chez les frères Grimm (cf la superbe séquence de la bergère), un sens de la chorégraphie hérité de The Blade de Tsui Hark et du 13ème guerrier de John McTiernan (références confirmées par Gans) et même quelques idées connectées aux cultures du manga et du jeu vidéo (le combat final, entre Kawajiri et Soulcalibur), Le Pacte des loups tient étonnamment bien la route deux décennies après sa sortie, à plus forte raison dans sa nouvelle copie 4K.

    En 2001, le long-métrage s’était prêté à un étalonnage numérique encore au stade expérimental. La seule copie HD disponible depuis lors n’était qu’un gonflage artificiel d’un intermédiaire basse définition, Gans ayant peur de se confronter au matériau d’origine. Metropolitan aura réussi à l’en convaincre, et on les remercie : facilité par la photographie somptueuse de Dan Laustsen (Crimson Peak, Silent Hill) le travail de restauration est exemplaire et guide le spectateur vers des détails jusqu’ici seulement effleurés, comme la couleur d’yeux changeante de Monica Bellucci, les dessins de Grégoire de Fronsac ou le soin apporté à chaque costume, chaque draperie et chaque accessoire. Le nouveau mixage Dolby Atmos est à la hauteur de ce spectacle visuellement foisonnant.

    Notons pour finir que la copie remasterisée correspond bien au directors cut, dont les huit minutes supplémentaires développent les personnages de Jean-François, Marianne et Sylvia, sans toutefois modifier le sens global ni gommer l’ambiguïté de l’épilogue.

    Propos recueillis par Alexandre PONCET
    Merci à Zvi David Fajol

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    Chasseur de nuit

    Avec l’ensorcelant Zeros and Ones (édité en Blu-ray par Metropolitan) le New Yorkais exilé à Rome poursut l’exploration de ses thèmes fétiches : goût pour là QUIL. métamorphoses de l’image, ambiances paranoïaque… || passe aux aveux sur son besoin irrépressible de tourner, même en plein confinement.

    Comment est né Zeros and Ones ?

    Cela faisait longtemps que je réfléchissais à une histoire parlant de contre-espionnage, avec des agents secrets et des soldats américains présents en Europe. Je pensais à quelque chose qui serait presque dans le genre de L’Armée des ombres de Melville : vous savez, un film sur les résistants pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Il y avait aussi l’idée d’un complot terroriste visant le Vatican, semblable à l’attaque contre le World Trade Center. Mais je n’arrivais pas à réunir ces éléments dans ma tête, jusqu’à ce que la pandémie survienne. Nous étions alors en train de tourner le documentaire Sportin’ Life, où il y a pas mal de plans nocturnes de Rome. En faisant des allers et retours à la salle de montage, je marchais moi-même dans ces rues la nuit, et c’est là que l’histoire de Zeros and Ones s’est mise en place.

    Quel est le sens du titre ?

    Les personnages sont dans une guerre, et il y a des gagnants et perdants, comme lors d’un match de football . De plus, les O et les 1 sont les constituants du numérique. Vous voyez donc une compétition au sein d’une image qui résulte d’une équation mathématique.

    Et justement, le numérique vous permet de montrer la nuit, que vous avez toujours filmée de manière incroyable…

    Écoutez, nous avons tourné dans le quartier de Rome où je vis depuis huit ans : je me rendais toujours à pied sur le plateau. Je connais donc très bien ces rues. Bien sûr, chaque nuit était différente, chaque endroit était différent. Mais avec le directeur photo Sean Price Williams, qui avait déjà éclairé Sportin’ Life, nous avons laissé l’atmosphère venir à nous. Nous nous sommes ouverts aux lieux et aux situations, pour pouvoir exprimer leur nature, ce que nous y trouvions de beau et de cinématographique.

    De toute façon, c’est l’Europe. À Rome comme à Paris, il y a eu de super architectes, qui se sont appliqués à ce que les immeubles aient un bel aspect dans la lumière de nocturne. C’est pareil pour la nourriture: ici, même avec la mauvaise volonté, vous ne pourrez jamais faire un mauvais repas. Que ce soit dans une gare ou un aéroport, la lumière de Rome est à nulle autre pareille. Bien sûr, tu l’utilises en y mettant ta propre vision. Mais, mec, tu as déjà beaucoup de matière avec quoi travailler.

    Vous avez voulu avoir un principe de mise en scène nouveau pour chaque nouvel endroit ? Par exemple, le club de boxe est filmé avec des grands-angulaires…

    Ah, vous parlez de la torture du waterboarding ? En fait, il y a deux caméras dans le film, la seconde étant celle tenue par le personnage principal. Il shoote aux deux sens du terme, car il a à la fois un flingue et une caméra. Avec cette dernière, il tourne des images de surveillance, qui ont par définition un champ très large, car il s’agit de rassembler le maximum d’informations. Nous n’avons pas eu peur d’inclure dans le montage ces images dénuées de stylisation.

    Je comprends qu’on abandonne beaucoup de choses quand on ne tourne plus en pellicule, mais l’avantage du numérique est la possibilité de manipuler les images. Ici, nous avons employé tous les outils disponibles, comme cette mini-caméra vidéo Bolex que Sean a choisie pour des raisons précises. En effet, il connaît son affaire pour rendre la nuit magique.

    Les plan généraux sur la ville font penser à ceux de votre film New Rose Hotel

    Vous savez, Sean a débuté dans l’équipe de Ken Kelsch, le directeur photo de New Rose Hotel. Ce dont vous parlez fait donc partie de son répertoire, de son histoire. Lorsque nous avons fait New Rose Hotel, c’étaient les débuts de la vidéo. Nous avons néanmoins tourné en pellicule, mais nous avons ajouté une sorte de conscience vidéo. En effet, les thèmes étaient la surveillance, l’espionnage comme façon d’outrepasser la loi. « Thèmes » n’est pas le bon mot, mais vous voyez ce que je veux dire.

    New Rose Hotel parle d’espionnage industriel, tandis que Zeros and Ones évoque le terrorisme et les fake news. Pour vous, cela résume l’évolution du monde pendant les 25 ans qui séparent les deux films ?

    New Rose Hotel racontait clairement une opération capitaliste, mais quand le personnage joué par Christopher Walken parle de l’« edge », c’est un truc politique qui va au-delà de l’argent. Il s’agit de pouvoir, de contrôle, de manipulation, tout comme dans Zeros and Ones. Nous vivons cela en ce moment même, avec la guerre en Ukraine. Quelle stratégie y a-t-il derrière le fait de tuer des femmes et des enfants ? Ce type est-il un mégalomane comme dans la nouvelle de William Gibson qui a inspiré New Rose Hotel ?

    En concevant Zeros and Ones , vous avez aussi pensé à votre film Body Snatchers, l’invasion continue ?

    À quel niveau ?

    Pour l’ambiance de paranoïa dans un contexte militaire…

    Ah oui, j’ai beaucoup pensé à ce que j’avais fait dans Body Snatchers pour recréer la vie dans l’armée. C’est marrant car Phil Neilson, qui joue le partenaire d’Ethan Hawke dans Zeros and Ones, est un ancien Marine. Il avait déjà été très impliqué dans Body Snatchers, car si vous voulez montrer le contexte militaire, c’est comme pour tout : vous devez le dépeindre correctement. Les uniformes et comment les soldats les portent, comment ils tiennent les armes, comment ils se comportent les uns envers les autres.

    Car Zeros and Ones ne montre pas une guerre entre espions, c’est du putain de meurtre au sens propre. Ces gens ne sont pas des gangsters, ce sont des mercenaires, ou même des soldats américains qui agissent sans couverture. Ils marchent dans la rue la tête haute, et font ce qu’ils veulent. Car la police n’est pas là, et personne ne va garder trace de leurs agissements. Ainsi, s’ils décident de tuer des nanas ou de passer un type au waterboarding, ils le font. Jusqu’à faire exploser le putain de Vatican ! Même chose dans le film que je fais en ce moment, Padre Pio, qui parle d’une autre guerre.

    De quoi s’agit-il ?

    Padre Pio est un saint italien, un prêtre qui a reçu des stigmates. Cela s’est passé au début du XXème siècle, juste après la Première Guerre mondiale, au même moment que l’émergence du régime fasciste. Le film est une combinaison de choses politiques et de choses religieuses. Shia LaBeouf joue le rôle de Padre Pio.

    C’est intéressant car dans Zeros and Ones, le frère jumeau terroriste peut apparaître comme un marxiste ou un anarchiste, mais il se réfère aussi à Dieu…

    Vous savez, c’est un révolutionnaire, un rebelle. Il est contre l’armée, il est un libre penseur, il prêche pour l’égalité, la liberté, la poursuite du bonheur. C’est comme ce qui arrive dans le monde en ce moment même. L’Ukraine voulait sa liberté, et l’autre type a immédiatement riposté. C’est aussi simple que cela : quand on tue des femmes et des enfants, que ce soit au nom de la droite ou de la gauche, c’est du fascisme. Je pense donc qu’à présent, tout le monde doit prendre position. Je ne vais pas prendre les armes et aller là-bas, même si c’est une option possible. Mais c’est LE moment de vérité. Ne vous inquiétez pas de la Troisième Guerre mondiale : elle est déjà là, il est trop tard pour l’empêcher.

    Ethan Hawke joue le double rôle du soldat US et du jumeau révolutionnaire, mais au début et à la fin du film, il donne aussi un témoignage personnel par webcam, disant notamment qu’il n’avait rien compris au scénario. À l’inverse, dans le livret du Blu-ray, l’actrice Dounia Sichov assure que le script était très précis.

    Dounia avait déjà été actrice dans plusieurs de mes films, et comme elle est aussi monteuse, elle m’avait servi de guide pour le montage. Elle est donc plus proche de ma démarche. Quant à Ethan, j’avais travaillé avec lui à la préparation de 4h44 dernier jour sur Terre, car il devait jouer dedans à l’origine.

    Ce que j’aime dans son discours, c’est qu’il a totalement adhéré à l’effort de groupe. Qu’importe ce qu’il a compris ou pas, du moment qu’il aime l’idée du film et les gens qui le font. Par un hasard fou, son propre frère est un militaire des forces spéciales, et cela lui a permis de saisir son double rôle. Nous avons parlé de cet aspect, mais au fond, je ne l’ai pas dirigé. En fait, même si je suis ce qu’on appelle en anglais un « director », je ne dirige jamais les acteurs. (rires) Mais Ethan a été très généreux et ouvert avec les autres comédiens, dont certains ne sont pas des professionnels.

    Par exemple, l’un des rôles est joué par la femme qui était chargée des repérages des extérieurs. Enfin, Ethan était d’accord avec moi pour dire que, comme nous allions être en confinement pendant un bon moment, il fallait commencer à tourner. Je crois que c’est ce qui a concrétisé le scénario. Je sais d’instinct quand il est temps d’arrêter d’écrire, pour sortir dans la rue et se mettre à tourner.

    Mais ces adresses de Hawke à la caméra étaient prévues dès le départ ?

    Pas de un tout. Ethan a enregistré le premier clip pour aider a réunir le budget du film. Or, cela collait bien avec la période de la pandémie, pendant laquelle beaucoup de choses se sont faites par vidéoconférence. J’ai donc réutilisé ces images, car je cherche toujours des biais. Dans chacune de mes œuvres, j’ai employé des tas de matériaux : des images sorties d’Internet, des bouts de prises situés après le mot « Coupez ! », des répétitions enregistrées par hasard…

    Tout ce qui peut apporter une putain de contribution au film ! Et plus tard, j’ai pensé que nous pouvions terminer Zeros and Ones avec Ethan qui donne sa vision de ce que nous venons de voir. En effet, il y a en quelque sorte trois personnages : le soldat, le frère rebelle, et Ethan lui-même. Le frère s’exprime, maïs pas le soldat, car il est justement entraîné à ne pas révéler d’informations, faute de quoi il se ferait tuer. J’avais ainsi envie de voir Ethan parler une dernière fois. Directement, sans foutaises.

    Il parle notamment de son rapport aux réalisateurs, lesquels ont perdu de l’influence dans le Hollywood actuel. Le temps paraît loin où un grand studio pouvait produire un film comme votre Body Snatchers…

    De toute façon, Hollywood a toujours été la capitale mondiale du divertissement. Ils ne pensent qu’à l’histoire racontée. Mais une histoire peut être trompeuse, se mettre en travers du chemin. C’est très bien d’être un narrateur, mais je m’intéresse moins à ce qui va arriver dans la séquence suivante qu’à ce qui arrive a l’instant présent. Tout comme la lumière de Rome, j’Europe est ainsi devenue un abri pour moi. Je n’ai pas envie de dépenser de l’énergie à me battre pour avoir le droit de faire des films, à expliquer à tout le monde ce qu’est le boulot de réalisateur.

    C’est aussi simple que cela : je veux vivre dans une culture où le cinéma est jugé important, où ce que je fais est soutenu. Je n’aurais pas cela à New York, où c’est chacun pour soi. Mon pays est jeune, il a 350 ans. La ville de Rome, elle, a 3000 ans. Elle est donc naturellement plus évoluée en termes de culture. Cela ressent dans l’air que tu respires, la nourriture que tu manges.

    Vous parliez tout à l’heure d’effort de groupe. Joe Delia est encore et toujours votre compositeur…

    Et Joey est présent du début à la fin de la création de chaque film. Non pas qu’il écrive à proprement parler, mais il est là au moment de la première idée, à l’étape du scénario… Il est aussi l’une des rares personnes qui regardent les rushes : nous les lui envoyons chez lui à New York.

    À partir de là, nous n’avons aucun plan préétabli. Joey joue en toute liberté, avec Tony Garnier, un bon ami à nous qui est le bassiste de Bob Dylan, et Danny Toan, un guitariste au style inimitable. Fondamentalement, la bande originale est l’œuvre de trois musiciens. Je n’utilise pas tous les morceaux qu’ils m’envoient, mais ils sont vraiment à la source du montage. Parfois, je décide du placement de la musique avant même de m’occuper des images.

    Delia était déjà là sur le film que vous avez réalisé avant votre premier long-métrage officiel : le porno 9 Lives of a Wet Pussy. Cela vous fait quel effet qu’il soit ressorti en Blu-ray aux États-Unis ?

    Déjà, c’est fou que des gens s’y intéressent encore. Ensuite, eh bien nous avons fait ce film, et il appartient à mon œuvre. Je dois assumer mon travail, frère, que puis-je te dire ? Le problème avec 9 Lives…, c’est que les deux meilleures scènes n’y sont plus. À l’époque, la copie d’un film porno passait de ville en ville. Celle de la côte Est jouait à New York, puis à Philadelphie, Washington, Charleston, Savannah, Miami… Et les projectionnistes coupaient souvent des scènes pour les mettre dans leur collection personnelle — ils se seraient fait choper s’ils l’avaient fait avec un film hollywoodien, mais là, ils pouvaient. Naturellement, ils coupaient les meilleurs moments, et c’est ainsi que deux scènes de 9 Lives… ont été perdues pour toujours.

    Je ne dirai pas ce qu’étaient ces séquences, sinon qu’il s’agissait d’extérieurs nuit. Le truc, c’est qu’une révolution s’est produite avec Barry Lyndon. Kubrick a inventé des objectifs à très grande ouverture permettant de tourner à la lumière des bougies, sans éclairage électrique. Et les laboratoires ont aussi créé une technique de développement de la pellicule à basse exposition.

    Avant cela, vous ne pouviez pas tourner de nuit dans les rues de New York Sans éclairage d’appoint. Mais après 1975, c’est devenu possible, grâce à ces objectifs et à ce traitement du négatif en laboratoire. Cela a alors été le début du Cinéma indépendant à New York, et ailleurs.

    Propos recueillis par Gilles Esposito
    Merci à Nicolas Rioult et Diana Phillips

    Source: Mad Movies (magazine papier)