Les adolescentes délurées de Mate-me por favor, le premier long-métrage d’Anita Rocha da Silveira, ont laissé place à de jeunes mères et pères la morale dans Medusa, drôle d’objet pop et arty rescapé in extremis des bouleversements ayant frappé le Brésil ces dernières années. Sa réalisatrice revient sur sa confection.
Comment le cinéma brésilien se relève-t-il de la crise sanitaire et des assauts de Jair Bolsonaro contre le monde de la culture depuis son élection en 2018 ?
Le mélange des deux a rendu les choses très compliquées. Bolsonaro a pris l’habitude de stigmatiser le monde de la culture, d’affirmer que ses artisans n’ont pas de vrai travail, et une part importante de la société souscrit à cette vision. Sa première action en ce sens a été sournoise : il ne s’est pas attaqué aux systèmes d’aides à la création, mais il a bloqué les fonds. Et juste après, le COVID a frappé le Brésil de façon particulièrement brutale.
Heureusement, on avait sécurisé le budget et on a pu tourner Medusa fin 2019. Si on avait attendu quelques mois, ça n’aurait pas été possible. La plupart des productions brésiliennes qui arrivent à se tourner en ce moment sont dotées de petits budgets, et respecter les mesures sanitaires, ne serait-ce que les tests quotidiens, est quasiment impossible.
Avez-vous ressenti un impact sur la liberté d’expression ?
Pas vraiment. Le film Marighella a braqué le gouvernement de Bolsonaro, d’une part parce que ce nom est très connoté politiquement, et parce que
Wagner Moura et d’autres superstars brésiliennes y ont participé. Pour ce qui est de Medusa, même si le film a tourné dans des festivals internationaux, son titre, son synopsis ou son amplitude ne le positionnent pas sur les radars de l’extrême droite, ces personnes ne se doutent pas que ce film existe. Ils ne vont pas au cinéma, encore moins pour aller voir des films brésiliens, ça ne les intéresse pas.
Comment se prépare la sortie du film au Brésil ?
Peu de villes brésiliennes comptent encore des cinémas, et la pandémie s’est chargée de fermer bon nombre de salles survivantes. On est désormais dans un marché où quand le dernier Spider-Man sort, il occupe quelque chose comme 85 % du parc.
Un film comme Medusa ne vise pas tant une sortie en salles que la VOD. L’un des partenaires financiers du film est une chaine du câble brésilienne, donc ce qui va sûrement se passer, c’est qu’il y aura une sortie cinéma puis une diffusion VOD un mois plus tard. Quand Mate-me por favor est sorti en VOD, j’ai reçu beaucoup de messages d’adolescents, de jeunes adultes, en provenance de villes sans cinémas, et ils étaient ravis d’avoir pu voir le film.
Mate-me por favour et Medusa ont anticipé avec beaucoup d’acuité la situation de la société brésilienne
On a vu les choses arriver depuis plusieurs années, depuis 2013, quand les manifestations d’extrême droite ont commencé à se multiplier. Depuis que je suis adolescente, j’ai observé l’expansion de l’église évangéliste à Rio de Janeiro, sous toutes ses formes. Dans Medusa, je ne voulais pas stigmatiser l’Église en elle-même ou la foi, mais des groupes spécifiques, qui se servent des écritures dans un sens précis.
Dans ce microcosme ou celui de Mate-me por favor, vous avez une façon bien particulière d’observer le fonctionnement du groupe.
Je suis fascinée par ces dynamiques, comment on peut changer de personnalité dans ce contexte. C’est quelque chose que j’ai beaucoup observé dans mon adolescence, et dans Medusa, c’est particulièrement patent. Comment on contrôle les autres, soi-même. Les garçons du film s’inspirent d’un authentique groupe militaire évangéliste brésilien, pour qui il est très important d’être vu, de rester connecté ensemble - ils n’ont pas besoin des filles, ils sont très bien entre eux, mais il faut bien qu’ils se marient et qu’ils fassent des enfants.
Spoiler
Et c’est dans ce cadre que Medusa s’achève sur une note cathartique, qui va à l’encontre d’un fatalisme qui traverse actuellement le cinéma d’auteur mondial.Ce n’est pas la première fin que j’ai écrite. Avant l’élection de Bolsonaro, le Brésil a été secoué par la procédure de destitution de Dilma Rousseff, qui m’avait inspiré une fin plus triste. Mais la suite des événements m’a poussée vers cette résolution, qui est ma version d’un happy end. Et ça vient aussi des représentations picturales de la figure mythologique de la Méduse, en train de hurler non pas de douleur, mais de colère. Il fallait que ces filles restent unies à ce moment, qu’elles ne se replient pas vers les hommes ou vers l’Église, qu’il y ait une sororité et avec elle, la chance de pouvoir recommencer à Zéro. ||
Dans quelles conditions avez-vous tourné ?
Le budget était vraiment serré, on a tourné en 28 jours. Il fallait faire vite, on ne pouvait pas se permettre de commettre des erreurs. On a préparé le cast pendant trois mois, en multipliant les répétitions, on a planifié tout le découpage avec le premier assistant et le directeur de la photographie. On tournait parfois jusqu’à sept scènes par jour.
Votre film et d’autres productions brésiliennes tournant dans les festivals internationaux donnent un sentiment de vitalité et de résistance aux politiques en vigueur dans le pays. Diriez vous que le cinéma brésilien est suffisamment soutenu à l’international?
Plus ou moins. En fait, je ne constate pas véritablement d’évolution à proprement parler depuis l’élection de Bolsonaro. Les mêmes programmateurs soutiennent cette cinématographie, et gardent surtout les mêmes attentes envers le cinéma d’Amérique latine en général: il faut que les films traitent de certains thèmes sociaux, qu’il y ait un certain type de narration, une approche naturaliste ou réaliste. Et les œuvres qui sortent de ces schémas sont laissées de côté. Il y a beaucoup de films de genre produits au Brésil aujourd’hui, qui ne rentrent pas forcément dans ces cases mais méritent l’attention. J’espère que ces nouvelles propositions seront bientôt prises en considération.!
– Propos recueillis par François CAU
Source: Mad Movies