… mais le projet fait l’objet de controverses
Le Parlement européen réuni en séance plénière à Strasbourg le 14 février dernier a adopté la proposition visant à développer le projet IRIS², un réseau d’Internet par satellite qui devrait assurer la souveraineté et l’autonomie de l’UE en réduisant la dépendance à l’égard des pays tiers. Il est censé fournir des services de télécommunications sécurisés aux gouvernements de l’UE dans des scénarios critiques où les réseaux terrestres sont absents ou perturbés, comme on l’observe, par exemple, dans la guerre qui se déroule en Ukraine. La constellation devrait être opérationnelle d’ici 2027 et la facture devrait être partagée entre l’UE et le secteur privé. Cependant, l’annonce a suscité à la fois intérêt et critiques.
À la suite d’un accord avec le Conseil européen et le Parlement européen en novembre dernier, la Commission européenne poursuivra son projet de construction d’une troisième constellation de satellites qui viendra s’ajouter aux réseaux Galileo et Copernicus existants. Baptisé IRIS² (Infrastructure for Resilience, Interconnection and Security by Satellites), le réseau est annoncé pour fournir des services de communication souverains, sûrs, résilients et rentables. Il permettra de créer des synergies avec le secteur privé afin de développer des services commerciaux et de fournir l’Internet et les communications à haut débit sur tout le territoire de l’UE.
Cela comprend les régions isolées où les connexions terrestres et à large bande restent rares. En outre, ce projet dirigé par le groupe Renew Europe devrait favoriser un tout nouvel écosystème de startups et de PME, ainsi que l’émergence d’innovations et de nouveaux services dans le secteur spatial européen, et introduit pour la première fois des critères stricts de durabilité pour les activités spatiales lourdes, y compris les lanceurs et les composants des satellites. Ce programme serait le nouveau fleuron de la stratégie spatiale européenne visant à renforcer la résilience et la capacité de l’UE à répondre aux menaces et aux interférences étrangères.
« Une connectivité sûre et efficace jouera un rôle essentiel dans la transformation numérique de l’Europe et nous rendra plus compétitifs. Grâce à ce programme, l’UE sera à l’avant-garde des communications sécurisées par satellite »
– Responsable du numérique de l’UE, Margrethe Vestager.
Dans un billet publié sur LinkedIn en novembre dernier, le commissaire au marché intérieur de l’UE et véritable instigateur de l’initiative, Thierry Breton, a déclaré :
« IRIS² établit l’espace comme un vecteur de notre autonomie européenne, un vecteur de connectivité et de résilience. Il renforce le rôle de l’Europe en tant que véritable puissance spatiale ».
À en croire les déclarations de Thierry Breton, IRIS² n’est pas un concurrent direct de Starlink d’Elon Musk comme beaucoup pouvaient s’y attendre. Au lieu de cela, le réseau serait principalement dédié à des usages gouvernementaux (services publics), notamment dans la sécurité et la défense. « On le vit tous les jours en Ukraine, la connectivité par les satellites LEO dans des zones de conflit est absolument cruciale. C’est un élément désormais déterminant des théâtres d’opérations. C’est une capacité essentielle - il faut bien dire les choses - que l’Europe n’a pas et que fournira IRIS² », a expliqué Thierry Breton. Il compare le réseau à une infrastructure critique.
Cependant, le fait que des entreprises privées soient invitées à prendre en charge une part très importante du budget d’une infrastructure critique de l’UE inquiète les analystes. En effet, la Commission européenne a annoncé que la mise en place du réseau IRIS² nécessitera un coût total de 6 milliards d’euros, montant qui sera réparti entre trois groupes d’investisseurs. L’UE devrait verser 2,4 milliards d’euros, l’Agence spatiale européenne (ESA) 685 millions d’euros, tandis que le reste sera couvert par le secteur privé (soit environ 3 milliards d’euros). Selon les critiques, cela risque de créer une dépendance vis-à-vis des entreprises privées.
Comme le montre l’exemple de Starlink, la technologie et les applications spatiales peuvent être des outils directement efficaces pour faire face aux crises. Toutefois, cela soulève également la question de savoir qui doit être chargé de veiller à ce qu’elles soient disponibles et prêtes à être utilisées. Dans le cas de Starlink, Starlink fait payer l’utilisation de son réseau en Ukraine et a menacé l’année de coupé le réseau si le Pentagone ne prenait pas en charge la facture. Les deux parties semblent finalement avoir trouvé une solution et Starlink continue de fonctionner en Ukraine, même si des rapports récents ont montré qu’il fonctionne de façon limitée.
L’eurodéputé du groupe Renew Europe, Christophe Grudler (Mouvement Démocrate, France), rapporteur sur le programme IRIS² de l’UE, a déclaré :
« Avec la guerre, l’Ukraine avait besoin de télécommunications par satellite, mais l’UE n’avait rien à offrir. L’Ukraine ne devrait pas avoir à compter sur les caprices d’Elon Musk pour défendre son peuple. Avec IRIS², l’UE disposera de sa propre constellation de télécommunications, capable d’offrir des communications sécurisées aux gouvernements et aux alliés européens. Je suis fier que cette constellation soit également un exemple mondial en matière de durabilité, comme nous l’avons demandé ».
Si IRIS² est conçu pour garantir la résilience des services gouvernementaux en cas de crises majeures, mais qu’il venait à être en grande partie contrôlé par les entreprises privées, la même chose pourrait se produire. IRIS² est censé permettre à l’UE d’éviter ce type de scénario, mais la collaboration avec le secteur privé fait l’objet de critiques et d’un débat intense dans la communauté. Certains qualifient même l’annonce d’“un grand coup de communication” de la part de l’UE afin de montrer au monde qu’elle réagit face à la montée en puissance des réseaux satellitaires d’acteurs étrangers tels que Starlink de SpaceX et Kuiper d’Amazon.
En outre, IRIS² est conçu pour assurer l’interconnexion de plusieurs réseaux indépendants. Les réseaux téléphoniques et électriques en sont des exemples concrets. Étant donné qu’il n’y a pas un espace infini pour des orbites significatives sur l’orbite terrestre, des solutions astucieuses sont nécessaires. L’une d’elles consiste à utiliser les structures existantes et à éviter ainsi les redondances inutiles. La Commission indique : « IRIS² sera une constellation multiorbite capable de créer des synergies avec nos constellations Galileo et Copernicus existantes ». L’objectif à ce stade semble être de réduire le risque de congestion spatiale.
Le nombre de satellites qui composeront le réseau IRIS² n’a toutefois pas encore été clairement défini (170 selon certaines sources). Les astronautes dénoncent toujours la multiplication du nombre de satellites en orbite terrestre basse qui illuminent le ciel nocturne avec des conséquences négatives sur l’observation des astres. Par ailleurs, selon Thierry Breton, IRIS² intégrera le savoir-faire des grandes industries spatiales européennes, mais aussi le dynamisme des startups, qui devraient construire 30 % de l’infrastructure. En gros, sur les 3,6 milliards d’euros que l’ESA et le secteur privé sont censés assumer pour la mise en place, seuls 30 % sont destinés aux startups.
Ce qui fait tout de même 1,08 milliard d’euros, mais aussi 2,52 milliards pour les acteurs établis comme Arianespace. Cela semble avoir créé une crispation chez les nouveaux arrivants dans le secteur de l’aéronautique. En outre, de nombreux protocoles d’accord pour le transport de charges utiles auraient déjà été signés. Il est important de noter que les microlanceurs - comme leur nom l’indique - sont principalement destinés au transport de petites charges utiles. D’autre part, il y a la fusée Ariane 6, qui est développée en grande partie sous la direction d’ArianeGroup, un opérateur de systèmes de lancement appartenant à Arianespace.
Le coût total prévu pour la fusée Ariane 6 serait de 3 milliards d’euros, mais environ 4 milliards d’euros auraient déjà été engloutis. Le premier vol prévu à l’origine pour la fin de l’année 2020 a finalement été reporté à fin 2023, sous réserve que la campagne d’essais se déroule comme prévu. Selon certains critiques, le problème avec Ariane 6, c’est qu’il s’agit d’une fusée lourde qui semble être d’une autre époque. Selon eux, il y aura sans doute des missions pour lesquelles elle sera indispensable, mais elle ne deviendra probablement pas une vache à lait. D’autres craignent que l’UE soit obligée de faire appel à des acteurs étrangers pour lancer ses satellites.
« Et c’est exactement la raison pour laquelle la décision de la Commission européenne d’attribuer 70 % des contrats de construction d’IRIS² à de grandes entreprises spatiales européennes a un arrière-goût amer. Il pourrait s’agir d’une subvention pas si mal camouflée pour un projet de prestige principalement français. Et cela ne s’applique pas seulement aux fusées, mais aussi aux satellites », affirment les critiques. De plus, ce que Breton n’explique pas, c’est comment il définit les startups. Est-ce que les ventes comptent ? Ou le nombre d’employés ? Ou l’âge de l’entreprise ? Beaucoup de points d’interrogation qui ne sont pas résolus.
La suite d’IRIS² ne sera donc probablement visible que dans les appels d’offres concrets. Pour les critiques, il faut espérer que les jeunes entreprises innovantes ne seront pas exclues une fois de plus, car elles sont nombreuses en Europe et stimulent considérablement la commercialisation de l’espace. Certains suggèrent également que le bon déroulement du projet pourrait nécessiter une refonte de l’ESA. Enfin, IRIS² est censé être une constellation à la pointe de la technologie, pour donner à l’Europe une avance, par exemple en matière de chiffrement quantique. Mais les critiques qualifient cette déclaration de “simple battage médiatique”.
Après l’adoption du texte par le Conseil européen, les fabricants pourront commencer à soumettre des propositions pour construire, lancer et déployer IRIS². La Commission s’attend à recevoir des propositions des fabricants pour le déploiement des satellites. Comme souligné ci-dessus, après les satellites européens Galileo (le “GPS européen”, utilisé par plus de 2 milliards d’appareils mobiles dans le monde) et les satellites Copernicus (observation de la Terre), IRIS² sera le troisième grand programme satellitaire de l’UE. En gros, le cadre défini mardi dernier est le suivant :
IRIS² sera une constellation souveraine, qui impose des critères d’éligibilité et des exigences de sécurité stricts ;
IRIS² sera une constellation axée sur les services gouvernementaux, y compris les applications de défense ;
IRIS² fournira une connectivité à l’ensemble de l’Europe, y compris aux zones qui ne bénéficient pas actuellement de l’Internet à large bande, ainsi qu’à l’ensemble de l’Afrique, en utilisant les orbites nord-sud de la constellation ;
IRIS² sera une constellation intégrant le savoir-faire des grandes industries spatiales européennes, mais aussi le dynamisme des startups européennes, qui construiront 30 % de l’infrastructure ;
IRIS² sera une constellation à la pointe de la technologie, pour donner à l’Europe une avance, par exemple en matière de chiffrement quantique. Il sera un vecteur d’innovation ;
IRIS² sera une constellation multiorbite, capable de créer des synergies avec les constellations existantes Galileo et Copernicus.
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– Source : La Commission européenne (1, 2)
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text alternatifQue pensez-vous des critiques selon lesquelles IRIS² pourrait faire l’objet d’une lutte de pouvoir ?
text alternatifPensez-vous que les technologies des startups aérospatiales européennes seront mises en avant dans ce projet ?
text alternatifQue pensez-vous de la déclaration selon laquelle IRIS² pourrait pour donner à l’Europe une avance en matière de chiffrement quantique ?
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