La saga des inventions : Une esthétique « poético-militaro-burlesque »
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On n’attend guère d’une archive scientifique - qui plus est militaire- qu’elle puisse être chargée d’humour… De manière générale, la photographie fait assez rarement rire, à l’inverse du cinéma du temps des pionniers. Et pourtant, l’archive des inventions regorge de notes fantaisistes, en particulier dans les mises en scènes photographiques.
Un certain humour se rencontre lorsque les objets photographiés sont mis en situation avec des personnages afin d’expliciter leur usage. C’est notamment le cas de la photographie d’un écouteur terrestre intitulée Disposition pratique des appareils pour l’écoute terrestre. Un personnage est muni d’une sorte de stéthoscope géant dont les embouchures positionnées dans ses oreilles sont reliées par un fil au détecteur posé à même le sol. Il semble écouter la terre, comme un médecin écouterait le cœur de son patient.
La situation paraît absurde, surréaliste même, tant le lieu de la prise de vue est en décalage avec l’usage de l’instrument, destiné au repérage des mines. Le professeur Jean Perrin, mobilisé à la Direction des inventions, en développa plusieurs modèles, dont certains destinés à l’écoute sous-marine.
Disposition pratique des appareils pour l’écoute terrestre, 1917-1918, tirage gélatino-argentique, Archives nationales (France), 398AP/42L’esthétique poético-militaire de l’absurde se retrouve aussi dans des images cherchant à démontrer l’efficacité d’objets, comme une sangle de fusil-mitrailleur dont on veut prouver qu’elle maintient le fusil en bonne place dans toutes les positions. Les postures sont déclinées jusqu’à figurer le soldat à l’affût sur ses quatre membres, comme un de ces animaux sauvages que le réalisateur Alfred Machin, auteur de la plupart de ces photographies, excellait tant à saisir.
Sangle pour le transport du matériel des mitrailleuses du sous-lieutenant Tallet, 1917-1918, tirage gélatino-argentique, Archives nationales (France), 398AP/39Souvent l’insolite côtoie le tragique. C’est le cas du Rampeur de monsieur Caufer. Le nom de l’invention est explicite : cet appareil de corps augmenté permet la reptation. Il consiste en un jeu de roulettes ajustables au niveau du bassin, complété par des plaques métalliques s’installant au niveau de la coudée. L’étrange mise en scène en deux temps, figurant le personnage muni de son appareil de reptation d’abord debout, puis couché, souligne le caractère saugrenu de l’invention et contraste avec la réalité tragique de ce rampeur destiné à aider ceux qui, estropiés, doivent pouvoir se déplacer au sol.
Le rampeur de monsieur Caufer, 1917-1918, tirage gélatino-argentique, Archives nationales (France), 398AP/38Une volonté « instructive » apparaît dans les séries d’images. Ces dernières vont permettre d’expliciter un fonctionnement en le décomposant. La séquence du rampeur en fournit un exemple tout comme les images des attributs du masque à gaz que sont la gourde et le téléphone. Comment continuer à vivre et à faire la guerre en cas d’attaque chimique durable ? Plusieurs dispositifs sont imaginés afin d’autoriser des gestes de la vie quotidienne ou militaire, tels que communiquer par téléphone ou s’abreuver à travers un masque. Un personnage tient un écouteur à la main puis le brandit en l’air, mimant le geste correspondant à son usage. Maintenant une gourde en l’air, un autre personnage l’adapte ensuite à son masque.
A gauche : Dispositif pour téléphoner adapté aux masques, 1917-1918, tirage gélatino-argentique, Archives nationales (France), 398AP/39
A droite : Dispositif permettant de boire à travers le masque, 1917-1918, tirage gélatino- argentique, Archives nationales (France), 398AP/42Avec la même emphase que dans l’image du rampeur, la gestuelle est exagérée. Ces exagérations ne sont pas sans rappeler le cinéma muet. L’archive des inventions frappe par sa fantaisie, ses touches d’humour et sa liberté à déjouer les codes de l’objectivité photographique. Elle semble traversée par un imaginaire cinématographique des débuts du cinéma, et pour cause ! L’un des opérateurs principaux du Service photo et cinéma des inventions est précisément un réalisateur de cinéma et pas des moindres : Alfred Machin (au nom prédestiné). Ce pionnier du cinéma burlesque, - spécialiste de films de chasse en Afrique et auteur, avant la première guerre d’un film de guerre pacifiste d’anticipation- façonne l’archive des inventions et crée son « style photographique » si singulier et dont les mises en scène comico-burlesque sont un des motifs récurrents.
Les photographies de l’Ecouteur terrestre, de la sangle de fusil mitrailleur et du rampeur et des dispositifs pour les masques à gaz proviennent du fonds Jules-Louis Breton conservé aux Archives nationales. Elles font partie de l’exposition La Saga des inventions. Du masque à gaz à la machine à laver. Les Archives du CNRS, exposition organisée en partenariat avec les Archives nationales (hyperlien vers la page du CNRS annonçant l’exposition). Elles sont aussi reproduites dans le livre Inventions (1915-1938) coédité par RVB-BOOKS.
A voir jusqu’au 22 septembre 2019 à Arles :
L’exposition La saga des inventions. Du masque à gaz à la machine à laver, les archives du CNRS, coproduite par les Rencontres d’Arles et le CNRS, en partenariat avec les Archives nationales est à voir à Arles à l’espace Croisière :
1 juillet - 22 septembre. 10H00 - 19H30
https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/780/la-saga-des-inventionsA lire :
Le livre « Inventions 1915-1938 » est disponible dans toutes les bonnes librairies et en ligne, notamment sur le site des Rencontres d’Arles : https://www.billetterie-rencontres-arles.com/boutique/Inventions_1915_1938.html?process=1&fbclid=IwAR3UfF1OTFldXNyM7T4k43r3kzPssRnLekPIUmKGdaICxD-w2zuhQujqb74Source : lejournal.cnrs.fr
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La 1ère image je croyais que c’était des jumelles ^^
Le gars devait entendre une mouche peter à l’autre bout de la planète
Dispositif permettant de boire à travers le masque, 1917-1918 ça aurait pu être utile en periode covid ça
En tout cas marrant à voir ces photos