Depuis quelques jours, la communauté Arduino grince des dents : les nouvelles Conditions d’utilisation et la Politique de confidentialité, fraîchement mises en ligne après l’acquisition par Qualcomm, changent sensiblement la donne. Entre collecte élargie de données, droits très étendus sur les contenus publiés et restrictions de rétro-ingénierie, beaucoup s’interrogent : l’esprit open-source d’Arduino est-il en train de se fissurer ? La firme assure que “tout ce qui était open le restera”, mais plusieurs clauses méritent qu’on s’y attarde. Décryptage, sans fard, de ce qui inquiète les makers… et de ce qu’il faudra surveiller de près.
Arduino, Qualcomm et l’open-source : ce qui change vraiment

Pourquoi les nouvelles conditions Arduino font tant parler ?
Si vous utilisez Arduino depuis quelques années, vous avez sans doute l’impression que la marque fait partie du décor du monde maker : des cartes ouvertes, des schémas publiés, un écosystème logiciel largement open source, et une communauté qui partage sans compter. Bref, un environnement plutôt rassurant. C’est précisément pour cela que la mise à jour récente des Conditions d’utilisation et de la Politique de confidentialité a fait l’effet d’un gros caillou dans la mare.
En toile de fond, il y a un changement majeur : Arduino est désormais la propriété de Qualcomm. Sur le papier, rien de choquant : une grande entreprise qui rachète une structure open source, on a déjà vu ça. Mais quand, dans la foulée, les textes légaux évoluent en profondeur, avec des formulations plus agressives sur la collecte de données, le profilage marketing, les droits sur vos contenus et les limitations de rétro-ingénierie, la communauté commence légitimement à lever un sourcil. Voire les deux.

Vous avez peut-être vu passer des réactions assez vives sur les réseaux sociaux, dans des vidéos YouTube ou sur des forums techniques. Certains y lisent la fin programmée de l’open source chez Arduino, d’autres relativisent en rappelant que les licences du matériel et des bibliothèques existantes ne changent pas. Entre les communications rassurantes d’Arduino/Qualcomm et la lecture, un peu plus froide, des textes juridiques, il y a un fossé que beaucoup de makers aimeraient voir comblé.
Dans cet article, je vais essayer de prendre le problème par le bon bout : regarder ce que disent réellement ces nouveaux documents, ce qui change par rapport à l’esprit historique d’Arduino, et surtout ce que cela peut impliquer pour vous, vos projets, vos fablabs et vos élèves. L’objectif n’est pas de verser dans le catastrophisme, mais de mettre en lumière les points qui méritent votre vigilance, histoire que vous ne découvriez pas un jour, un peu tard, ce que vous avez accepté d’un simple clic sur « J’accepte ».
Pour la suite, je m’appuie principalement sur quatre sources : les nouvelles Conditions d’utilisation, la Politique de confidentialité, le billet de blog officiel d’Arduino venu « rassurer » la communauté, et les réactions publiques de plusieurs acteurs historiques de l’open hardware. À partir de là, chacun pourra se faire son avis… mais en connaissance de cause.
Ce que changent vraiment les nouvelles Conditions d’utilisation
En lisant ces nouveaux textes, plusieurs éléments sautent immédiatement aux yeux. Ce ne sont pas de petits ajustements cosmétiques, mais bien des évolutions qui modifient la relation entre Arduino et ses utilisateurs. Certaines clauses sont classiques pour une grande entreprise, d’autres le sont beaucoup moins dans un contexte open source. Et c’est précisément là que le bât blesse.
Le premier point qui m’a interpellé, c’est l’étendue des droits qu’Arduino se réserve désormais sur les contenus publiés par les utilisateurs. Projets, photos, codes, documentations… tout ce que vous mettez en ligne sur leur plateforme est couvert par une licence très large, perpétuelle, transférable, et même irrévocable. Autrement dit : une fois que c’est publié, Arduino peut l’utiliser comme bon lui semble, aujourd’hui ou demain, même si vous supprimez votre compte. C’est une clause qu’on rencontre souvent sur les réseaux sociaux, mais qui détonne un peu dans l’écosystème maker.
Vient ensuite la partie « rétro-ingénierie ». Les nouvelles conditions stipulent clairement qu’il est interdit d’analyser ou de chercher à comprendre le fonctionnement interne de la plateforme Arduino, sauf autorisation explicite. Cela vise évidemment le cloud et les services en ligne, mais le vocabulaire utilisé est suffisamment large pour inquiéter ceux qui tiennent à la transparence technique. Dans un monde où la bidouille et la curiosité sont des valeurs cardinales, cette restriction laisse un goût amer.
Autre changement notable : l’absence de toute licence implicite concernant les brevets du groupe Arduino/Qualcomm. En clair, utiliser leurs services ne vous donne aucun droit sur les brevets associés. Pour la majorité des makers, cela ne changera pas grand-chose au quotidien. Mais pour ceux qui développent des projets commerciaux ou semi-professionnels, la nuance mérite d’être notée.
Enfin, ces textes entérinent un virage important vers les services cloud, les abonnements premium et l’intégration d’outils liés à l’IA. Rien d’illogique d’un point de vue industriel, mais cette évolution fait glisser Arduino du monde du matériel ouvert vers celui des plateformes propriétaires. Et ce glissement, même s’il est progressif, doit être observé attentivement.
La nouvelle Politique de confidentialité : un virage vers la collecte massive
Si les Conditions d’utilisation soulèvent déjà pas mal de questions, la nouvelle Politique de confidentialité n’est pas en reste. Elle marque un tournant très net dans la quantité d’informations qu’Arduino collecte, dans la façon dont ces données peuvent être utilisées, et surtout dans leur partage avec le reste du groupe Qualcomm. Et là, forcément, quand on vient d’un monde où l’on se bat pour garder le contrôle de ses machines, ça fait tiquer.
Premier point : la collecte. Arduino ne se contente plus des données habituelles (adresse mail, historique d’achats, préférences…). Le texte couvre désormais l’usage détaillé des services en ligne, les interactions avec les applications, les données réseau, la navigation, les cookies avancés, le comportement utilisateur, et même des éléments de profilage. Le tout est explicitement relié à des finalités marketing, analytiques ou de recommandation. En clair, tout ce que vous faites sur leurs plateformes devient une donnée exploitable.
Deuxième point : le partage. L’entreprise indique sans détour que toutes ces informations peuvent être transmises aux différentes entités du groupe Qualcomm, situées un peu partout dans le monde. Même si cela reste légal et encadré, cela change complètement l’échelle. On passe d’un fabricant de cartes open source à un géant mondial spécialisé dans les télécoms, l’IoT, l’automobile, et l’IA embarquée. L’écosystème n’a plus la même tête.
Troisième point : le profilage. La Politique précise que les données peuvent être utilisées pour créer des « audiences », optimiser des campagnes ou analyser les comportements. Ce genre de pratiques est courant dans l’industrie du logiciel, mais beaucoup moins dans un environnement open source où les utilisateurs n’ont pas l’habitude d’être analysés comme sur une plateforme commerciale classique.
Enfin, il y a la gestion du compte : suppression en cas d’inactivité prolongée, délais variables de rétention, traitements automatiques… Rien d’anormal en soi, mais l’ensemble contribue à développer une plateforme où les données prennent une place centrale, bien plus qu’avant.
Individuellement, chaque point peut sembler anodin. Ensemble, ces éléments montrent qu’Arduino n’est plus seulement un fabricant de matériel et de logiciels ouverts, mais une plateforme où les données des utilisateurs occupent désormais une place centrale. Et là, forcément, ça change la perception que j’avais de la marque.
La réaction d’Arduino : promesses et prudence
Après la diffusion des nouveaux textes, Arduino a publié un billet officiel (« The Arduino Terms of Service and Privacy Policy update: setting the record straight », 21 novembre 2025) pour tenter de calmer le jeu. L’entreprise y rappelle son « engagement inébranlable de 20 ans envers l’open-source » et affirme que «tout ce qui était open reste open».
On y lit qu’Arduino ne voit pas ces changements comme un virage vers le propriétaire, mais comme une mise à jour «pour plus de clarté, de conformité et pour soutenir un environnement innovant».
Plus précisément, la marque affirme que :
- les matériels, logiciels ou services déjà publiés sous licence open-source « restent disponibles comme avant » ;
- les restrictions de rétro-ingénierie visent uniquement les services « software-as-a-service » dans le cloud, pas les cartes physiques ou les librairies open-source ;
- les protections renforcées pour les mineurs, la mise à jour des politiques de conservation de données, et l’intégration de fonctionnalités IA justifient en partie ces textes ;
Autrement dit : Arduino affirme qu’il ne change pas les bases de sa philosophie open-source, mais qu’il adapte son discours légal à un monde numérique plus complexe (cloud, IA, régulations…). Pour autant, quand on juxtapose cette communication avec certaines clauses des documents, on comprend pourquoi certains acteurs restent sceptiques.
De mon point de vue : c’est bien que l’entreprise communique, mais les promesses restent à vérifier dans la durée. Le diable, comme toujours, se cache dans les détails. Et pour la communauté maker (vous, moi, les fablabs, les étudiants) l’important reste : surveiller ce qui va réellement se passer, pas seulement ce qui est promis.
Pourquoi ces changements inquiètent autant la communauté maker
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