Demander aux employés d'allumer leurs caméras est une violation des droits de l'Homme, selon un tribunal néerlandais
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Qui tranche sur une pratique qui divise l’opinion en matière de télétravail
L’option télétravail s’est imposée avec la survenue de la pandémie de coronavirus dans plusieurs entreprises. Avec elle, le quotidien des travailleurs lancés sur ladite approche intègre de plus en plus d’outils de travail collaboratif à distance. En général, un logiciel dédié et une webcam font l’affaire. Question : faut-il que les employés soient obligés d’allumer leurs webcams lors des réunions en ligne ? La question divise entre justificatifs des employeurs et contre arguments des employés. Elle prend un coup de neuf avec une prise de position d’un tribunal néerlandais selon lequel demander aux employés d’allumer leurs caméras est une violation des droits de l’Homme.
La décision du tribunal néerlandais fait suite à l’ouverture d’une procédure judiciaire par un employé situé aux Pays-Bas contre la société Chetu basée en Floride. L’employé n’était pas satisfait d’être surveillé 9 heures par jour via une formule qui incluait le partage de son écran et la diffusion en continu de sa webcam. Lorsqu’il a refusé au motif de protéger sa vie privée, il a été licencié pour ce que la société a déclaré être un refus de travailler et une insubordination. Les documents en lien avec l’action en justice font même état de ce que la société a estimé que la surveillance via la webcam ne diffère pas de celle qui résulte de la présence physique dans un bureau.
En général, les patrons considèrent que c’est un manque d’engagement de la part des employés que d’éteindre leurs webcams. C’est ce qui ressort d’un sondage qui souligne que 90 % des chefs d’entreprises américaines n’envisagent pas d’avenir à long terme avec des employés qui ne se soumettent pas à leur exigence de garder leur caméra allumée.
C’est un moyen pour les employeurs de tenter de garder la main sur la productivité des travailleurs, de la contrôler, de la stimuler. C’est ce qui explique que les outils de travail collaboratif en ligne ont le vent en poupe. Certains aux noms très évocateurs quant aux possibilités qu’ils offrent font l’objet d’acquisition par les patrons. ActivTrak, un logiciel de suivi de la productivité, est l’un de ceux-ci. Il recueille des données sur la fréquentation des sites web par un employé ainsi que sur les autres applications dont ce dernier fait usage. En s’appuyant sur le soft, l’employeur a aussi la possibilité d’avoir un aperçu du comportement en temps réel du travailleur.
En fait, la liste est plus longue et inclut des outils comme Interguard, Time Doctor, Teramind, VeriClock, innerActiv ou encore Hubstaff. « C’est comme avoir une caméra de surveillance qui pointe en permanence sur l’ordinateur d’un travailleur », explique l’éditeur d’Interguard à propos de son produit. L’éditeur de la solution Time Doctor lui emboîte le pas dans une publication parue sur son site web en reconnaissant le côté intrusif de ces solutions : « Nous ne sommes pas aussi big brotherish que nos concurrents. »
Les employeurs pour leur part justifient l’utilisation de cette surveillance active par la possibilité que les chiffres qu’ils en tirent leur donnent la possibilité de mesurer la productivité d’un travailleur. En effet, appliquée à la situation d’un développeur en mode télétravail, la solution Time Doctor a mis en avant le fait qu’il y a des jours où ce dernier reste productif près de 15 h.
En sus, elle a révélé que cet employé s’est penché sur une tâche qui lui a pris près de 54 heures en 5 jours, soit un peu plus de 10 heures par jour.
Ce sont des chiffres à éclairer à la lumière de statistiques sur la productivité sur une journée de travail. Dans une publication parue il y a 5 ans, Invitation Digital Ltd – une firme de marketing basée au Royaume-Uni – apporte des éléments. Son étude a porté sur près de 2000 (1989 pour être exact) employés de bureau (à temps plein) âgés de plus de 18 ans et disséminés sur l’ensemble du territoire du Royaume-Uni. En réponse à la question de savoir s’ils se considèrent productifs tout au long d’une journée de travail, la grande majorité (soit 79 %) avait répondu non. D’après les résultats de l’étude, seul le cinquième (donc les 21 % restants) a répondu par l’affirmative. Le sondage avait ensuite révélé que la durée moyenne de productivité sur le lieu de service est de 2 h 53 mns, soit moins de 3 h.
D’après l’enquête, si les travailleurs se retrouvaient avec moins de 3 h de productivité sur une journée de travail c’est parce qu’ils étaient la plupart du temps distraits par des activités comme : surfer sur les réseaux sociaux – 47 % (des répondants au sondage) ; lire les sites Web d’actualités – 45 % ; discuter des activités en dehors du travail avec des collègues – 38 % ; préparation de boissons chaudes – 31 % ; pauses cigarettes – 28 % ; messagerie texte et messagerie instantanée – 27 % ; manger par petits bouts – 25 % ; faire de la nourriture au bureau – 24 % ; téléphoner à son partenaire/à ses amis – 24 % ; recherche d’un nouvel emploi – 19 %. Bref, un ensemble de facteurs aisément applicables à la situation de tiers en télétravail.
Le problème avec la métrique employée dans le cas du travailleur de la filière programmation informatique dont on a fait mention est que malgré des chiffres élevés (productivité sur 15 h par jour, etc.), le retour de l’employeur n’était pas positif. Autrement dit, le travail n’était pas effectué, ce qui pose le problème de la pertinence des éléments de mesure utilisés. Des fonctionnalités additionnelles de l’outil Time Doctor ont révélé qu’il se servait d’une application pour simuler une activité de la souris.
Le tribunal a cité un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme, selon lequel la surveillance vidéo d’un employé sur son lieu de travail, qu’elle soit secrète ou non, constitue une “intrusion considérable dans la vie privée de l’employé”. Chetu a été condamné à verser 48 660 dollars de dédommagement, 2600 dollars de salaire impayé, 8150 dollars pour licenciement abusif, 9245 dollars d’aide à la transition professionnelle, l’équivalent de 23 jours de vacances, 8 % d’indemnité de congé légal, des frais de justice et des frais de retard.
Sources : Tribunal de West-Brabant, emploi.developpez.com
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En espérant que la décision de ce juge fasse boule de neige dans tous les pays.
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quelle horreur … je suis content d’avoir échappé à tout ça !
mais je suis vieux
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Tout les gens que je connais (ou presque) me disaient qu’ils ne se salissaient pas les mains (et le reste) comme moi à l’usine et qu’ils avaient la chance de bosser dans des bureaux ou à la maison et me plaignaient de devoir me lever à 04h00 du mat’…
Ben moi au moins, j’avais pas le patron ou le chef qui me les brisaient toutes les 2 minutes tout en me surveillant.
Sale époque… -
Le pire, c’est que les jeunes vont s’habituer à ça et trouver cette pratique tout à fait normale.
Après tout, il y a déjà des caméras partout dehors (et même chez soi)…