[Pour ou contre] Trois mille ans à t'attendre
-
Entre un Fury Road et un Furiosa, George Miller a trouvé le temps de mettre en scène ce conte philosophico-fantastique fermement installé au croisement de la plupart des préoccupations qui traversent sa filmographie. Le résultat, pas aussi définitif qu’espéré, a suscité ce pour/contre aux constat diamétralement opposés.
POUR
Alithea (Tilda Swinton), une érudite solitaire et désabusée, rencontre à Istanbul un djinn (Idris Elba) qui lui propose d’exaucer trois vœux, ce qui lui permettrait de se libérer de sa condition. Mais il va d’abord devoir la convaincre en lui racontant son passé. Il aura fallu à George Miller dix-huit ans pour mener à bien Mad Max: Fury Road et près de vingt-cinq pour concrétiser Trois mille ans à t’attendre, adaptation d’un recueil de nouvelles qu’il a découvert au cours des nineties.
Cinéaste des extrêmes, capable de passer d’un monument de la SF heavy metal à un film d’animation subversif et écologiste déguisé en comédie musicale sur la banquise, Miller a toujours façonné, malgré les apparences, une filmographie incroyablement cohérente, chaque nouveau projet semblant explorer des pistes thématiques entr’ouvertes par le précédent. De fait, Trois mille ans à t’attendre répond presque point par point aux recherches thématiques de Fury Road, tout en proposant une narration inverse. L’exploration des racines mythologiques et du passé de la société humaine remplacent la fuite en avant d’une civilisation revenue au début de l’âge du fer, et la frénésie des personnages laisse place à une difficile quête de sérénité.Si Fury Road était un récit préhistorique, Trois mille ans à t’attendre apparaît comme une fable post-historique située dans un monde qui court à sa perte. Le refus de l’héroïne de s’entourer d’êtres aimés (époux ou enfants) en dit long sur son pessimisme, et Miller ne se privera pas de cadrer le cancer de la modernité lors du retour d’Alithea en Angleterre, lors de voyages en métro longeant des panoramas d’usines ou dans un jardinet piégé entre d’immenses poteaux électriques.
On reconnaîtra aisément l’auteur de Babe, le cochon dans la ville et Happy Feet dans ces tableaux très chargés, contrastant volontairement avec l’élément imaginaire au centre du récit. La manière dont George Miller traite son argument fantastique est d’ailleurs aussi fascinant sur le fond que sur la forme : lorsque le djinn s’extrait brutalement d’une bouteille en verre qu’Alithea a dénichée dans une boutique d’Istanbul, il adopte instinctivement un gigantisme incompatible avec l’espace restreint de la chambre d’hôtel où il vient d’être réveillé.
En d’autres termes, la notion de magie se retrouve contrainte par le densité de la modernité. Le premier contact entre le djinn et l’époque d’Alithea s’effectue par ailleurs via les ondes d’une émission télévisee, une superbe idée qui s’avère prolonger une scène importante de Fury Road, dans laquelle les occupants du War Rig observaient des satellites en train de tourner silencieusement autour de la Terre, comme les vestiges d’un temps où les émissions faisaient la culture et la loi.
Par ricochet, Miller est amené à expliquer l’existence de son djinn selon des principes scientifiques précis, ce qui nous vaudra quelques séquences médicales renvoyant (tout comme l’opération pulmonaire de Fury Road ou l’intégralité de l’intrigue de Lorenzo) à son passé d’urgentiste. Il est dès lors passionnant que les flashes-back optent pour une fantasmagorie totalement décomplexée, en particulier lors des séquences de la reine de Saba ou du harem abritant une horde de femmes obèses (encore une image dérivée de Fury Road), comme si le cinéaste voulait opposer la subjectivité nécessairement romanesque du djinn à celle, bien plus littérale et analytique, d’Alithea.
Cette dichotomie au niveau du point de vue évite au film de livrer une simple fable théorique sur le sujet du conte, la mise en scène s’efforçant de souligner par l’image les émotions de ses personnages (cf. ces inserts sur les gorges de la reine de Saba puis d’Alithea pour évoquer leur désir). Questionnant à travers son héroïne son propre statut de raconteur d’histoires, Miller en vient à tenir un discours complexe Sur la valeur des mythologies modernes, qui peuvent être source d’inspiration (rappelons qu’il fut à deux doigts, il y a quinze ans, de réaliser Justice League: Mortal) comme de haine (le racisme évoqué dans les séquences anglaises est après tout la manifestation d’une vision fictionnelle d’autrui).
Trois mille ans à t’attendre lui donne surtout l’occasion d’évoquer l’immobilisme du temps et l’éternel cycle de l’autodestruction humaine, symbolisés lors du sublime dernier acte par les spirales d’une autoroute sans fin. Il y aurait des pages à remplir pour aborder tous les concepts qui animent cet étrange et hypnotisant long-métrage, par exemple cette faculté à lier visuellement l’infiniment grand à l’infiniment petit (cf. cette coupe entre les roues d’un Boeing et celles d’un caddie) pour mieux mettre en évidence la mécanique du destin (voir ce plan-séquence guidant Alithea jusqu’à la bouteille du djinn). Ce thème soulèvera de profondes interrogations sur la notion de libre arbitre, particulièrement importante quand l’intrigue découle d’un vœu adressé à un esclave…
CONTRE
Le premier faux pas de George Miller arrive au moment où on ne s’y attendait guère. À bien regarder sa filmographie, l’Australien a en effet toujours mené sa barque avec habilité, à la différence de tant de réalisateurs estampillés « genre » ayant connu des sorties de route avec des tentatives grand public. Au contraire, l’auteur des quatre Mad Max a accouché de réussites parfois étonnantes quand il s’est piqué de donner dans la comédie fantastique (Les Sorcières d’'Eastwick), de glisser une ambiance sombre dans des productions enfantines animées (les deux Happy Feet) ou en prises de vues réelles (les Babe), ou encore d’introduire du suspense dans le mélodrame médical (Lorenzo).
On pensait donc que le surnaturel féerique de Trois mille ans à t’attendre serait dans ses cordes. Là, le résultat s’avère très mièvre et décoratif. D’accord, il y a toujours quelque chose de puissamment évocateur dans le fait de voir deux personnes se raconter des histoires dans le secret d’une chambre (les interactions entre les deux personnages se déroulent dans un lieu unique). De plus, les fables ne sont pas dénuées de charme, et il est plaisant de voir dans quelles circonstances le génie s’est retrouvé coincé dans une fiole à plusieurs reprises, et comment il s’en est échappé avant d’y retourner.
Mais au niveau visuel, tout cela reste au niveau de l’illustration consciencieuse, Miller n’étant pas aussi à l’aise que cet autre imagier qu’est Guillermo del Toro. Chez ce dernier, l’invention baroque, les chocs colorés, les audaces de décor dénotent un sens profond de l’iconographie populaire, souvent propre à faire surgir un véritable univers. À l’inverse, Trois mille ans à t’attendre offre seulement un travail bien fait —en un mot, du joli. Et encore, nous parlons là des flashesback dans le palais du sultan, pas des effets numériques assez moches des séquences au temps présent, où le génie prend parfois une taille de géant après s’être extirpé de sa fiole dans un déluge de volutes de fumée digitales.
Même chose pour le thème central du scénario, qui traite de la relation entre la solitude et le besoin d’histoires. Chacun à sa manière, la prof de narratologie et le génie sont des êtres fonctionnant en circuit fermé, et ils ne peuvent survivre que grâce à des récits imaginaires, si bien qu’ils pourraient être parfaitement complémentaires, aussi différents soient ils. Soit, mais on ne risque pas de passer à côté, tant cela nous est seriné à tout bout de champ par les dialogues et autres voix off. Ou, pour le dire autrement, le film nous fait beaucoup moins ressentir l’idée qu’il ne nous la plante dans le crâne à coups de marteau. Et surtout, il achoppe sur un pivot capital, à savoir la crédibilité du couple formé par les protagonistes principaux.
Malgré toute la bonne volonté de Tilda Swinton et Idris Elba, on ne ressent pas l’ombre d’un début d’alchimie entre leurs personnages, alors que c’était la condition sine qua non pour que le fantastique romantique prenne corps. À la fin du long-métrage, Miller et sa coscénariste Augusta Gore en sont ainsi réduits à compenser en introduisant deux horribles vieilles filles anglaises, bigotes, racistes et qui n’aiment pas les loukoums. La ficelle est grosse, d’autant qu’il est tout à fait possible de jouer les mauvais esprits en retournant le politiquement correct contre le film.
Car au fond, Trois mille ans à t’attendre se saisit d’une vision de l’Orient très Mille et une nuits (même si les événements passés ne se déroulent pas en Arabie mais dans la future Turquie) qui appartient en réalité à l’imaginaire exotique de l’Occident, et il le fait sans jamais interroger ou bouleverser cette image d’Épinal. Au rayon « ouverture à l’autre », on a donc déjà vu mieux.
Bref, le résultat est une œuvre un tantinet insignifiante qui risque de s’effacer très vite des mémoires - constat cruel, puisque son sujet est justement la résistance à l’oubli. À vrai dire, on en sort surtout avec une envie pressante de voir ce que George Miller va nous offrir en revenant à l’univers de Mad Max, avec un cinquième volet qu’il est actuellement en train de confectionner.
Furiosa, vite !!!
Par Alexandre PONCET & Gilles ESPOSITO
-
Trois Mille ans à t’attendre
Alithea Binnie, bien que satisfaite par sa vie, porte un regard sceptique sur le monde. Un jour, elle rencontre un génie qui lui propose d’exaucer trois vœux en échange de sa liberté. Mais Alithea est bien trop érudite pour ignorer que, dans les contes, les histoires de vœux se terminent mal. Il plaide alors sa cause en lui racontant son passé extraordinaire. Séduite par ses récits, elle finit par formuler un vœu des plus surprenants.
Mon avis: Sompteux ! Une merveille d’esthétisme, une histoire sans trop de surprise, un peu trop de lenteur tout de même et surtout, un film de georges Miller totalement à l’opposé des Mad Max
Ni gore, ni decervelé, ni déjanté, ni, violent, ni drôle, bien trop subtil et nuancé, ne trouvera certainement pas son public ici. -
ha ba tiens j’en profite pour référencé @duJambon
https://planete-warez.net/topic/1864/pour-ou-contre-trois-mille-ans-à-t-attendre
J’aurais bien vu ton avis là-bas
@duJambon a dit dans [Topic Unique] Actualités cinéma & séries :
Ni gore, ni decervelé, ni déjanté, ni, violent, ni drôle, bien trop subtil et nuancé, ne trouvera certainement pas son public ici.
Bim il me semble être pile dans la cible
Cela n’empêche que j’aime les films avec de la subtilité et nuancé, je suis très éclectique finalement même si j’ai mes préférences pour les films “autres”, “bizarres”, etc.
–> Étant fan du travail de Miller, et que ce film divise beaucoup la sphère cinéphilique, je me ferais forcément mon propre avis.
Merci pour le tien en tout cas et Furiosa vite vite !!!
-
@Violence Désolé, je n’avais pas vu que tu avais ouvert un topic dédié à ce film (et j’ai de la peine à lire les pavés, surtout quand ils racontent tout le film ).
En ce qui concerne la cible, il y a forcément beaucoup de monde inclut, moi compris
Du coup, je me sens obligé de donner un peu plus de précisions concernant mon jugement:
Un film que je comparerai à Amadeus, ils n’ont pas grand chose en commun, si ce n’est la façon dont on regarde le film, une première vision relativement difficile, malgré qu’Amadeus soit un chef-d’œuvre, en ce qui concerne celui de Miller, je le saurais peut-être en seconde vision, car comme Amadeus, c’est un film lent et on décroche facilement, sauf quand on se laisse enfin envoûter par le charme plus que par l’histoire.
PS: J’ai regardé ce film sans la moindre idée préconçue (juste à cause de l’info festival de Cannes), sans même lire le résumé ou une critique, je n’ai vu qu’au générique de qui il était.
-
Pas de soucis @duBoudin pour la cible, je ne l’avais pas mal pris du tout
Par exemple, au sein d’une rédaction bien connue (Mad Movies qui à engendré ce pour et ce contre) le film peut se taper la plus basse note comme la meilleure donc ça m’intrigue ^^
Désolé pour le pavé l’analyse du film étant essentiel pour justifier son pour ou son contre donc forcément on dévoile quelques aspects importants du film.
Je pense que l’appréciation de ce film dépendra de la sensibilité de chacun.
–> Hâte de le voir en tout cas pour me faire un avis.
-
Perso j’ai bien aimé,
C’est un joli conte très coloré, à l’esthétisme parfait, même s’il manque peut-être un peu de rythme je ne me suis jamais ennuyé, , trop captivé par l’histoire du djinn.
Par contre je ne suis pas certain d’en avoir compris la morale. -
Perso j’ai pas aimé, mais par contre j’ai bien dormi
-
J’ai plutôt bien aimé…
Mais alors…Mazette, quand je lis l’article de @Violence, j’ai l’impression que je suis complètement con tellement rien de ce qui y est décrit ne m’est apparu…Hormis les deux vieilles voisines, mais c’est tellement flagrant que je ne pouvais y échapper
Bon je retourne à la base, au fondement :
Le premier que me sort une dissertation sur bip bip, je le déglingue
-
@Deadpunk a dit dans [Pour ou contre] Trois mille ans à t'attendre :
j’ai l’impression que je suis complètement con tellement rien de ce qui y est décrit ne m’est apparu…
À vouloir décortiquer le film, on ne voit plus que la mécanique, peu importe la carrosserie aux coupeurs de cheveux en quatre
Je ne sais toujours pas s’il vaut la peine d’être vu, je tenterais un deuxième visionnage, au final, c’est peut-être aussi bon qu’Amadeus.
-
Ba c’est un métier la critique/analyse de film et Mad Movies d’où sort cette critique existe depuis 1972, donc c’est pas n’importe qui
et ils savent de quoi ils parlent contrairement à d’autres presses bien dégueulasse qui comprenne rien au cinéma (Première? Nouvel Obs? Figaro?..) Je pourrais aussi citer L’écran Fantastique qui est assez intéressant à lire aussi en presse écrite.Après ils parlent et comparent avec les travaux précédents de Miller donc si on n’a vu tout ses films o uanalyser son travail dans son ensemble, je peux comprendre.
idem pour la comparaison avec l’ensemble du travail de Del Toro qui est bien plus à l’aise que Miller au niveau visuel/ambiance (quand on voit le détail de Crimson Peak entre autre, on comprends vite cette différence)
Sinon le reste me semble compréhensible notamment sur certains effets visuels assez moche…
–>Et justement, une fois la mécanique analysée, c’est la carrosserie qui est décortiquée dans cette (petite) critique comme l’ambiance féérique et visuelle ainsi que les effets spéciaux, décors, détails visuels même si c’est succinct et que ça mériterai plus que cela.
Bref, si on mélange les pour et les contres, le film est jugé sur son ensemble et sur 2 points de vue différents.
-
Y’a écran large que j’aime pas trop (à croire qu’on ait pas vu le même film)
-
@Psyckofox Je crois que cela tiens beaucoup à la façon de le regarder.
Je l’ai perçu un peu comme les 1001 nuits, une série de contes, mais on peut être aussi plus sensible au côté machiavélique du djinn (ou le côté victime, selon sa sensibilité), ou encore toute autre chose, c’est assez riche pour avoir plusieurs facettes.
-
@Violence a dit dans [Pour ou contre] Trois mille ans à t'attendre :
Car au fond, Trois mille ans à t’attendre se saisit d’une vision de l’Orient très Mille et une nuits (même si les événements passés ne se déroulent pas en Arabie mais dans la future Turquie) qui appartient en réalité à l’imaginaire exotique de l’Occident, et il le fait sans jamais interroger ou bouleverser cette image d’Épinal. Au rayon « ouverture à l’autre », on a donc déjà vu mieux.
C’est marrant que tu le cites
@Psyckofox a dit dans [Pour ou contre] Trois mille ans à t'attendre :
Y’a écran large que j’aime pas trop (à croire qu’on ait pas vu le même film)
Ouai ils sont souvent à la ramasse… Aucune vision.
-
@Violence Encore heureux, sinon, je dois changer mes lunettes ou alors je me suis endormi aussi pendant le film.
C’est quand même 80% du métrage et à ce stade pour moi le meilleur du film. J’ai eu le tort d’espérer voir une évolution rapide de l’histoire principale, et c’est là que j’ai été frustré.
-
Pour ma part, je ne vais pas recenser ce qui à déjà été dit (dans le bon, comme le mauvais), je ne l’ai pas trouvé dénué d’intérêts, loin de là, mais je l’aurais oublié assez vite.
Miller, reviens-nous vite avec Furiosa