L'Allemagne inflige une amende de 5 millions d'euros à la messagerie chiffrée Telegram pour ne pas avoir signalé des messages de haine
-
Conformément à la loi du pays sur les réseaux sociaux
La messagerie chiffrée Telegram a écopé d’une amende de plus de 5 millions d’euros en Allemagne, faute d’avoir signalé des messages de haine, a indiqué mardi le ministère de la Justice. Il est reproché à Telegram d’avoir enfreint une loi de 2017 qui exige des réseaux sociaux et services de messagerie en ligne qu’ils signalent les messages de haine ou d’incitation à la haine. Propagation des théories complotistes voire appels au meurtre : la messagerie, particulièrement prisée des mouvements anti-vaccin, est depuis plusieurs mois dans le viseur des autorités allemandes, qui l’accusent de ne pas agir contre la diffusion des propos haineux.
L’Allemagne a infligé une amende de 5,125 millions d’euros à l’application de messagerie Telegram pour non-respect de la loi du pays sur les réseaux sociaux. Selon la Network Enforcement Act, aussi connue sous le nom NetzDG, les services de messagerie doivent mettre en place des méthodes de signalement de contenus haineux auprès des autorités. Elles doivent également nommer une entité, sur place en Allemagne, capable de recevoir en leur nom toute communication officielle.
L’Office fédéral de la justice a déclaré que malgré plusieurs tentatives de livraison de documents officiels au siège de Telegram à Dubaï et l’assistance juridique des autorités des Émirats arabes unis, il n’a pas pu obtenir de réponse positive de la plateforme de messagerie.
Telegram doit désormais payer une amende de 4,25 millions d’euros pour ne pas avoir mis en place un système de gestion des plaintes et une amende de 875 000 euros pour ne pas avoir nommé une personne en Allemagne autorisée à recevoir des demandes, a indiqué l’office fédéral.
Le ministre allemand de la Justice, Marco Buschmann, a salué la mesure punitive contre Telegram.
« L’Office fédéral de la justice a émis deux amendes d’un montant de plusieurs millions d’euros à l’encontre de Telegram pour avoir enfreint les prescriptions de la loi sur la protection des données du réseau », a salué sur Twitter Marco Bushmann. L’amende s’élève à quelque 5,12 millions d’euros, a de son côté précisé l’Office fédéral. « Nos lois s’appliquent à tous », s’est félicité sur Twitter le ministre de la Justice.
« Les fournisseurs de services de messagerie et de réseaux sociaux ont une responsabilité particulière dans la lutte contre la haine et les appels à la violence sur ces plateformes », a-t-il souligné.
« Vous ne pouvez pas échapper aux exigences légales et à votre responsabilité en essayant d’être inaccessible. Je suis heureux que notre engagement nous ait permis d’aller plus loin », a-t-il ajouté.
Telegram a depuis engagé un cabinet d’avocats allemand pour les représenter.
À cause de son histoire, l’Allemagne est un des pays d’Europe avec le plus grand nombre de lois sur la liberté d’expression. Les discours haineux sont particulièrement scrutés et peuvent conduire la personne qui les prononce directement dans la case prison. Le pays n’exclut pas les réseaux sociaux et les observe même d’encore plus près.
La loi sur les médias sociaux
En vertu de la loi Netz DG, les sociétés ayant plus de 2 millions d’utilisateurs enregistrés en Allemagne ont l’obligation de mettre en place une procédure efficace et transparente pour recevoir et examiner les plaintes relatives au contenu supposé illégal. Elles doivent bloquer ou retirer « le contenu qui enfreint manifestement la loi » dans les 24 heures après la réception de la plainte, mais ont jusqu’à une semaine, et potentiellement davantage, si une étude plus poussée est nécessaire. Dans les cas particulièrement complexes, les sociétés peuvent renvoyer le dossier à un organe financé par les entreprises, mais autorisé par le gouvernement, qui doit trancher dans un délai de sept jours.
Les entreprises doivent informer les utilisateurs de toutes les décisions prononcées en réponse aux plaintes et fournir une justification. Cependant la loi ne prévoit pas de contrôle judiciaire significatif ni de procédé judiciaire d’appel dans le cas où les utilisateurs veulent contester la décision de bloquer ou retirer une publication émise par une société ou un organe financé par les entreprises.
Selon la loi, le ministère fédéral de la Justice et de la Protection des consommateurs peut infliger une amende de jusqu’à 5 millions d’euros à un individu responsable, et jusqu’à 50 millions d’euros à la société, s’ils n’ont pas mis en place de système destiné à se conformer à la loi ou s’ils n’ont pas publié de rapport, tous les six mois, sur les mesures qu’ils ont mises en place pour s’y conformer. Le montant de l’amende dépend de la gravité de l’infraction et du nombre d’utilisateurs de la plateforme.
Des préoccupations concernant l’utilisation de Telegram comme plateforme pour les groupes extrémistes
Au début de l’année, l’Allemagne n’a pas écarté la possibilité de fermer Telegram si le service de messagerie populaire auprès des groupes d’extrême droite et des personnes opposées aux restrictions liées à la pandémie continuait de violer la loi allemande, a déclaré la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser. « Nous ne pouvons pas exclure cela », a-t-elle déclaré à l’hebdomadaire Die Zeit. « Une fermeture serait grave et clairement un dernier recours. Toutes les autres options doivent d’abord être épuisées ». Elle a ajouté que l’Allemagne discutait avec ses partenaires de l’Union européenne de la manière de réglementer Telegram.
Telegram a connu un pic d’adoption massif en janvier 2021. La raison ? WhatsApp a indiqué à ses utilisateurs la mise en application prochaine de sa politique de confidentialité qui permettait à sa société mère Facebook d’accéder aux données des utilisateurs de l’application de messagerie. À l’origine, la mise à jour devait être acceptée par tous les utilisateurs avant le 8 février. Cependant, pour faire suite aux critiques massives des utilisateurs, WhatsApp a décidé d’abandonner cette date limite, bien que la politique mise à jour soit toujours en place et que les utilisateurs qui ne l’acceptent pas soient confrontés à des fonctionnalités limitées sur l’application. La nouvelle date limite a ensuite été repoussée au 15 mai. Au cours des quatre premiers mois de 2021, les installations de Telegram ont bondi de 98 % par rapport à l’année précédente pour dépasser 161 millions.
Telegram propose des moyens simples d’utiliser un service de chat chiffré, avec des messages protégés contre les attaques de types Man-in-the-middle grâce au chiffrement de bout en bout (bien qu’il ne soit pas activé par défaut) lorsqu’ils sont envoyés entre les utilisateurs. Telegram a même introduit une version 2.0 de Voice Chats inspirée de Clubhouse, entre autres fonctionnalités notables pour les utilisateurs d’Android et d’iOS.
Mais ces mêmes caractéristiques se sont avérées controversées, car elles ont permis aux criminels et à d’autres groupes de s’organiser loin de l’espionnage des forces de l’ordre. En Allemagne, la plateforme est considérée comme une source de théories du complot et de discours de haine, d’autant plus que le pays est aux prises avec la pandémie de covid. Il est considéré comme une plateforme majeure pour les militants anti confinement.
L’option d’une porte dérobée a été écartée. En effet selon Jens Zimmermann, les négociations de la coalition allemande avaient indiqué « assez clairement » que le nouveau gouvernement des sociaux-démocrates (SPD), des Verts et du parti libéral-démocrate (en allemand : Freie Demokratische Partei, abrégé en FDP) favorable aux entreprises rejetterait « l’affaiblissement du chiffrement, qui est tenté sous l’apparence de la lutte contre la maltraitance des enfants » par les partenaires de la coalition.
De telles réglementations, qui sont déjà inscrites dans la solution provisoire du règlement ePrivacy, par exemple, « contredisent diamétralement le caractère de l’accord de coalition », car un chiffrement sécurisé de bout en bout y est garanti, a déclaré Zimmermann. L’introduction de portes dérobées saperait cet objectif de l’accord de coalition, a-t-il ajouté.
« Ce qui est parfois proposé dans le règlement ePrivacy va bien au-delà de ce que nous envisageons en termes de gestion des vulnérabilités », a déclaré Zimmermann, ajoutant que la mise en œuvre « signifierait la création active de vulnérabilités ».
Une loi sur les réseaux sociaux qui pourrait aboutir sur une censure non justifiée, selon des organismes de défense des droits humains
Le 30 juin 2017, le Parlement a approuvé la loi d’application du droit aux réseaux sociaux, (Netzwerkdurchsetzungsgesetz, soit en forme abrégée « NetzDG »), qui est entrée pleinement en vigueur le 1er janvier 2018.
La loi exige que les grandes plateformes de médias sociaux, comme Facebook, Instagram, Twitter et YouTube, retirent rapidement leur « contenu illégal » tel que défini dans 22 dispositions du Code pénal, allant de la simple insulte à fonctionnaire jusqu’aux menaces de violences réelles, sous peine d’amendes allant jusqu’à 50 millions d’euros.
Or deux aspects principaux de la loi violent l’obligation de l’Allemagne de respecter la liberté d’expression, a déclaré Human Rights Watch. Premièrement, la loi attribue aux entreprises qui hébergent les contenus de tiers la lourde tâche de déterminer si les propos des utilisateurs violent la loi, dans des conditions qui incitent à supprimer dans la foulée des propos probablement légaux. Même pour les tribunaux, il est parfois difficile d’émettre de tels jugements, qui exigent une connaissance nuancée du contexte, de la culture et du droit. Confrontées aux délais très courts accordés pour examiner les éléments et au risque de payer de fortes amendes, les sociétés sont peu enclines à pécher par excès de respect de la liberté d’expression.
Deuxièmement, la loi ne prévoit pas de contrôle ou de recours judiciaire au cas où la décision trop prudente d’une entreprise priverait une personne de son droit à s’exprimer ou à s’informer. De cette façon, les grandes plateformes d’expression sur Internet deviennent des zones où personne n’a de comptes à rendre, où la pression gouvernementale poussant à la censure échappe à tout contrôle judiciaire.
« Les gouvernements et le public ont raison de s’inquiéter de la prolifération de contenus illégaux ou abusifs, mais cette nouvelle loi allemande est fondamentalement défectueuse », a déclaré Wenzel Michalski, directeur de Human Rights Watch en Allemagne. « Formulée de façon vague, d’une portée excessive, elle transforme les entreprises privées en censeurs trop zélés, soucieux d’éviter les fortes amendes, tout en privant les utilisateurs de tout contrôle judiciaire ou droit de recours. »
De nombreuses organisations qui défendent les droits humains et la liberté des médias se sont opposées à la loi dès la première version du texte. La Global Network Initiative, une coalition d’organisations non gouvernementales, d’universitaires, d’investisseurs et d’entreprises qui défend la liberté d’expression et la vie privée sur Internet, a déclaré qu’avec cette loi, « les décisions sur la liberté d’expression seraient externalisées » vers des sociétés privées. Dans une lettre ouverte à huit commissaires européens, un groupe de six associations de la société civile et du monde de l’entreprise a déclaré que la loi brimerait la liberté d’expression sur Internet en incitant les sociétés à retirer les contenus qu’on leur signalait. L’organisation Article 19, qui défend la liberté d’expression, a publié une critique de la loi d’un point de vue juridique, qui conclut qu’elle « portera gravement atteinte à la liberté d’expression en Allemagne » et qu’elle « montre déjà dangereusement l’exemple à d’autres pays ».
Cela n’a pourtant pas empêché que la loi soit adoptée.
Sources : Ministre de la Justice, Global Network Initiative, Article 19, lettre ouverte, developpez.com
-
C’est une bonne loi, sauf si elle sert juste à infliger des amendes et qu’il n’y a pas de poursuites contre les auteurs vraiment dangereux.
Le gouvernement allemand devrait avoir de la peine justifier une censure contre quelqu’un qui ne le mérite pas. C’est pas la France.
-