[Entretien] Furiosa : Une saga Mad Max
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L’attente touche à sa fin : neuf ans après le choc sensoriel et cinétique de Mad Max: Fury Road, George Miller s’apprête à lâcher dans les salles obscures une fresque post-apocalyptique qui, si elle tient toutes ses promesses, pourrait marquer l’histoire du 7° Art. Faute d’avoir entendu vrombir les moteurs V8 avant le bouclage de ce numéro, nous avons pu parler de cascades, de propagande, de chorégraphie et de mythologie avec le réalisateur et ses deux stars, l’Australien Chris Hemsworth et notre witch bien-aimée Anya Taylor-Joy.
« J’ai récemment lu dans un article que Mad Max: Fury Road n’était plus une fiction, mais bel et bien un documentaire » nous lance George Miller avec le grand sourire qui le caractérise, derrière des lunettes rondes légèrement teintées qui ont tout pour compliquer ses sessions d’étalonnage.
Sans aller jusque-là, je pense que dans Mad Max 2, certaines images se sont révélées être assez prophétiques ; j’ai été par exemple frappé par les retransmissions télévisées de l’opération “Tempête du désert” au début des années 1990. À l’époque, je me suis vraiment demandé ce qu’on était en train de vivre. Cette corrélation entre la fiction et l’actualité vient à mon avis du fait que notre monde évolue rapidement, notamment au niveau de l’information et de la technologie. L’histoire de l’Humanité est de toute façon liée à la technologie : chaque grande avancée bouleverse la société en profondeur, et ce bouleversement a une incidence sur les histoires qu’on se raconte entre nous. En formulant sa théorie de la gravité et sa loi de refroidissement, Newton a vraiment ouvert la voie à l’ère industrielle.
Même chose pour l’électricité, qui nous permet aujourd’hui de nous parler d’un bout à l’autre du monde avec un ordinateur. Rendez-vous compte : notre conversation a été rendue possible grâce aux pensées de Newton et d’Einstein ! Si toutes ces choses changent systématique ontment, les comportements humains sont pour la plupart constants, peu importe l’espace-temps dans lequel se situe une histoire. Des attitudes que l’on voit maintenant dans le monde ou à l’écran sont identiques à celles qu’on pouvait constater il y a des siècles, des millénaires, voire du temps où l’histoire a commencé à être documentée. C’est biologique !
Les Mad Max sont des allégories, et toute allégorie a pour but de questionner autant l’Humanité que l’époque dans laquelle nous vivons. C’est en général le cas avec les westerns, et certains critiques ont assez justement qualifié mes films de “westerns sur roues”.Si Miller revendique sa passion pour l’imagerie de l’Ouest sauvage, on le sait aussi obsédé par les mythes et les grandes sagas, ce que vient rappeler le sous-titre de Furiosa. Cette préquelle de Fury Road raconte l’origine du personnage interprété en 2015 par Charlize Theron, et l’accompagne dans son périple sur une période de dix-sept ans, depuis son enlèvement du pays des Vuvalini jusqu’à son ascension fulgurante au sein des troupes du patriarche dictatorial Immortan Joe. « Je crois qu’un an avant de tourner Fury Road » reprend Miller :
j’ai fait lire à Charlize Theron le scénario de Furiosa. Elle m’a immédiatement demandé si on pouvait faire ce film en premier ! J’étais ravi de sa réaction car ça prouvait que l’histoire fonctionnait, mais c’était bien sûr impossible. On avait travaillé sur Fury Road pendant si longtemps qu’il était impensable de le mettre en pause. Furiosa n’existait alors que pour enrichir l’histoire de Fury Road. Bien des années plus tard, les planètes se sont alignées, et ce second long-métrage s’est imposé de lui-même.
Tous les autres Mad Max que j’avais réalisés par le passé étaient des œuvres indépendantes et n’étaient connectés que par le personnage principal. Les univers étaient différents, les styles visuels aussi. Furiosa et Fury Road sont en revanche les deux faces d’une même pièce. »
– George Miller prépare ses comédiens avant le tournage de ce qui semble être une scène de gunfight en véhicule.LE NOUVEAU VISAGE DE FURIOSA
Alors qu’une date de début de production commence à se préciser à la fin des années 2010, Miller envisage de rappeler Charlize Theron et de la rajeunir à l’aide d’algorithmes numériques et d’outils d’intelligence artificielle. Les onéreuses et variablement convaincantes expérimentations de Martin Scorsese sur The Irishman et d’Ang Lee sur Gemini Man le détourneront définitivement de cette option. « J’étais tout à fait consciente de l’importance de la saga Mad Max avant d’obtenir le rôle de Furiosa » souligne Anya Taylor-Joy, révélée en 2015 par le splendide The Witch de Robert Eggers, avant de passer à deux reprises devant l’objectif de M. Night Shyamalan dans Split en 2016 puis Glass en 2019.
Mais compte tenu de mon âge, Fury Road est le seul que j’ai eu la chance de découvrir en salle. Il m’a époustouflée de la première à la dernière image. À la Jin, Je suis restée hébètée dans mon fauteuil ; je savais que je venais de voir l’un des meilleurs films de tous les temps. Je suis tombée sous le charme de Furiosa en la découvrant sous les traits de Charlize Theron. Je ne savais pas que George Miller préparait une préquelle, et je n’aurais jamais pensé avoir l’occasion d’incarner ce personnage un jour.
En 2020, Edgar Wright invite George Miller à regarder Last Night in Soho en avant-première. Interrogé par son confrère australien au sujet de Taylor-Joy, le réalisateur de Shaun of the Dead et Hot Fuzz la couvre de louanges et confirme que ses incroyables cinq années de carrière ne sont pas le fruit du hasard. «La première fois que j’ai discuté avec George, c’était via FaceTime, au plus profond de la crise Covid » précise l’actrice.
On a parlé pendant des heures, de toutes sortes de sujets. Mon passé de danseuse a éveillé sa curiosité, donc il a voulu en savoir plus. Il m’a aussi demandé si j’étais prête à accomplir moi-même les cascades de mon personnage.
L’expérience de Taylor-Joy dans la danse n’est certainement pas une information anodine pour Miller, dont la quête perpétuelle d’un équilibre chorégraphique définit en grande partie son art. Si sa mise en scène affiche une précision maniaque, les acteurs ne sont pas traités pour autant comme de vulgaires exécutants.
George nous a donné le temps de réfléchir à chaque détail du scénario, et il nous a vraiment encouragés à le faire. Tout était sujet à débat, et des thématiques sont ressorties de ces conversations. L’un des aspects qui l’intéressaient le plus, c’était que l’histoire allait être racontée sur une période d’une quinzaine d’années. Cela impliquait évidemment une transformation physique, notamment au niveau de la chevelure. Je lui ai dit que je serais ravi de me raser la tête, j’étais totalement préparée à ça, mais George a refusé. D’un côté, il ne voulait pas m’imposer ça, de l’autre, il y avait des problématiques liées au planning de tournage.
Tout ceci peut paraître superficiel, mais il y a un vrai symbolisme dans la chevelure, qui se perpétue à travers les siècles. Une longue chevelure est un signe de fertilité dans de nombreuses cultures. Dans le cadre de cette histoire, Furiosa espère pendant des années pouvoir revenir chez elle, telle qu’elle était avant d’avoir été enlevée. Quand elle se sépare de ses cheveux, c’est pour elle une perte d’innocence très brutale, et c’est souligné par la mise en scène. C’est une amputation, et elle devient le produit du monde dans lequel elle est obligée de vivre.
Le nouveau visage de Furiosa se métamorphose donc au fil du récit, la jeune fille disparaissant peu à peu sous un épais masque guerrier. « Pour être honnête, j’ai été moins intimidée par les morceaux de bravoure que par la vision très spécifique que George avait du personnage » poursuit Taylor-Joy.
Les Terres Dévastées (“Wasteland” en VO - NDR) n’autorisent aucune forme de vulnérabilité ni aucune émotion visible. Ce que cela signifiait pour moi, c’est que je devais tout faire passer à travers mon regard. C’est tout ce qu’il me restait pour communiquer ce que Furiosa ressentait au plus profond d’elle. On s’est retrouvé à avoir de longues discussions sur la forme de ma bouche pendant le tournage ! George me disait parfois que je ressemblais trop à un chérubin, et que je devais refermer mes lèvres.
C’est assez terrifiant pour un acteur, car notre boulot est de télégraphier des émotions avec notre corps tout entier. Ça aurait pu être un saut dans le vide, mais je pouvais heureusement m’appuyer sur l’existence de Fury Road, ainsi que sur des fondations scénaristiques très solides. L’idée n’a jamais été de refaire ce que Charlize avait déjà fait, mais de retranscrire le parcours d’une jeune femme enlevée à son peuple, qui va vivre toutes les atrocités que la vie pourra jeter sur son chemin. Les Terres Dévastées présentent une infinité de menaces, et tous ces personnages essaient juste de survivre dans des conditions extrêmes. Je ne sais pas si l’expérience était toujours “plaisante”, car c’est un terme assez inadéquat aux conditions de tournage, mais interpréter ce personnage était quand même quelque chose d’assez galvanisant. Mon cerveau ne m’a pas autorisé à saisir la magnitude du projet, et ainsi je ne me suis pas retrouvée paralysée devant la caméra.
– La recrue Anna Taylor-Joy reprend le rôle de Furiosa plus jeune d’une dizaine d’années par rapport à celle incarnée par Charlize Theron dans Fury Road.LE FANTÔME D’IMMORTAN JOE
Préquelle oblige, Immortan Joe tient un rôle central dans Furiosa ; on retrouve également son fils Rictus Erectus (Nathan Jones) et son « Organic Mechanic » (Angus Sampson). Hugh Keays-Byrne, qui campait Joe dans Fury Road, avait déjà livré une prestation légendaire dans le premier Mad Max. « En 1978 » se souvient Miller,
je pense que mon instinct était de me concentrer Sur la technique cinématographique et tout ce qui touche aux arts graphiques. Je n’avais presque aucune expérience, en particulier au niveau de la direction d’acteurs. Je n’y comprenais rien, pour être honnête. Hugh Keays-Byrne avait travaillé avec la Royal Shakespeare Company. À la fin des années 60 ou au début des années 70, il avait participé à une production très célèbre du Songe d’une nuit d’été dirigée par Peter Brook. Elle avait eu un tel succès qu’elle avait voyagé à travers le monde, jusqu’en Australie. Elle s’est ironiquement dissoute à Sydney, et Hugh a décidé d’y fonder une nouvelle compagnie, constituée des anciens membres de la Royal Shakespeare Company mais aussi de comédiens australiens.
Je l’ai découvert un peu plus tard dans un film, et il m’a fasciné. voilà pourquoi je lui ai proposé d’interpréter Toecutter dans Mad Max. La manière dont il a abordé son rôle m’a beaucoup surpris, c’était vraiment époustouflant. Mel Gibson venait quant à lui de sortir du National Institue of Dramatic Art de Sidney, et nous avions des acteurs qui avaient travaillé sur divers soap operas. Tout le monde avait une discipline différente sur le plateau, et c’est Hugh qui a compris comment unifier ce groupe. À travers sa personnalité et sa façon d’’inspirer ses collaborateurs, il a apporté au film sa cohérence dramatique. Ça a eu un énorme effet sur moi, et j ai depuis saisi à quel point il a élevé l’œuvre dans son ensemble. Vu que son personnage mourait à la fin, je n’aimalheureusement pas pu le caster de nouveau sur les épisodes 2 et 3. Mais puisqu’Immortan Joe devait porter un masque, je me suis dit que je pourrais le retrouver sur Fury Road.
Bonne pioche : Hugh Keays-Byrne sculpte à travers Immortan Joe le saisissant portrait d’un tyran dégénéré, extrapolation visionnaire de Donald Trump dont la misogynie, le népotisme et l’art de la manipulation de masse font réellement froid dans le dos. Le comédien décède hélas le 1er décembre 2020 à l’âge de 73 ans, laissant son trône vacant lorsque George Miller est enfin en mesure de lancer la production de Furiosa. « Vu que ça ne concernait qu’une petite partie du visage, ma première idée était d’utiliser la technique du deep Jake » confesse le réalisateur.
Un acteur aurait joué le rôle, et son visage aurait été altéré en postproduction pour imiter celui de Hugh. Lachy Hulme, un acteur qui devait interpréter un autre personnage dans le film, m’a demandé un jour si le deep fake était réellement nécessaire. Il m’a dit qu’il pensait pouvoir jouer Immortan Joe. Il avait rencontré Hugh plusieurs fois, il connaissait son travail sur Fury Road absolument par cœur, donc je lui ai donné sa chance, même si j’avais encore beaucoup de réserves.
Immortan Joe devait être plus jeune d’environ dix ans, donc après tout pourquoi pas… On l’a maquillé, en se disant que des effets visuels seraient tout de même nécessaires, mais après quelques jours de tournage, j’ai complètement abandonné l’idée du deep fake. Ça s’est juste évaporé. Ce qui est amusant, c’est que Lachy joue deux personnages différents dans une séquence, et aucune des personnes qui ont vu le film ne s’en est rendu compte. »
– Lachy Hulmes remplace le regretté Hugh Keays-Byrnes dans le rôle d’Imortan Joe.DEMENTUS ENTRE DANS L’ARÈNE
Le nouveau vilain haut en couleur de la saga, Dementus, est un seigneur de guerre mégalomane et psychotique qui joue les pères de substitution vis-à-vis de Furiosa après l’avoir arrachée à ses nombreuses mères. Étant australien, son interprète Chris Hemsworth a évidemment grandi avec Mad Max :
Je me souviens très bien du jour où j’ai découvert le Premier opus. Grâce à son travail [de conseiller en services sociaux], mon père connaissait d’ailleurs de nombreux cascadeurs qui avaient bossé sur la saga. Mad Max était l’un de ses films favoris, alors il était impossible pour moi de passer à côté,
Habitué des franchises hollywoodiennes (Thor/Avengers chez Marvel, Tyler Rake chez Netflix, mais aussi Star Trek et le catastrophique Men in Black International), Hemsworth s’immisce chez Miller plein de certitudes, mais celles-ci n’ont duré qu’un temps.
Les bandes dessinées Marvel sont lues par des millions de personnes depuis des décennies, donc interpréter Thor n’était a priori pas moins intimidant que d’entrer dans l’univers de Mad Max. Sur le plateau, devant la caméra de George, je ne ressentais que de l’excitation. Mais une fois le tournage achevé, j’ai commencé à me poser des tas de questions, je me suis demandé si j’avais rendu justice à cette mythologie. C’est peut-être de la naïveté…
En tout cas, on ne s’est jamais dit pendant les prises de vues qu’on devait rehausser la barre par rapport aux épisodes précédents. On n’a pas cherché la surenchère et le succès de façon artificielle, on s’est contentés de servir au mieux le script. Furiosa est un projet très dramatique, très shakespearien. Les rapports de force sont redéfinis en permanence, on ne sait jamais qui contrôle qui. C’est un jeu d’échecs dont les pièces sont disposées au fur et à mesure, et chacun a un rôle primordial à jouer : Furiosa bien sûr, mais aussi Immortan Joe, Dementus ou encore des lieux comme Pétroville ou le Moulin à Balles (‘Gas Town” et “Bullet Farm” en VO - NDR). C’est opératique !
Pour entrer dans la peau de Dementus, Chris Hemsworth se plie à des sessions de make-up quotidiennes pouvant dépasser les quatre heures :
Il fallait me coiffer, me maquiller, me poser un faux nez prosthétique, etc. Dementus ne devait pas tout à fait me ressembler, donc nous avons fait beaucoup de tests avec plusieurs nez, dents, barbes, lentilles de contact et cicatrices. À un moment, on s’est retrouvé à deux doigts de créer un personnage du Seigneur des Anneaux ou de Harry Potter, et George a décidé de faire un peu machine arrière. Il est fasciné par l’attirail des dictateurs et la manière dont ils s’en servent dans leur entreprise de propagande - il en parle beaucoup. Ces gens-là portent la violence et la domination sur eux et ils sont très conscients de se présenter comme des dieux.
Il y a dans le look et les poses de Dementus des références à des statues romaines. Son profil devait attirer l’attention, d’où son nez aquilin, son menton très volontaire et son torse en avant. On est partis de là, et on a imaginé la version bâtarde de ce concept telle qu’on pourrait la trouver dans les Terres Dévastées. Une fois qu’on a retiré tout le glamour de ces figures antiques, à quoi ressemblerait un empereur dans un tel monde ? Voilà pourquoi Dementus a une cape, aussi : elle l’aide à prononcer davantage ses postures. C’était vraiment très fun à développer, et je n’avais jamais eu la chance auparavant de travailler à ce point sur la signification profonde d’une apparence.
Durant la préproduction, l’évolution du personnage de Dementus se nourrit de celle de Furiosa, et inversement. « Ce sont deux créatures très différentes » insiste Anya Taylor-Joy,
qui ont des conceptions opposées de la relation qui les unit. On dirait deux forces qui avancent dans des directions contraires, et c’était absolument génial à jouer.
Pour les amener à collaborer le plus étroitement possible, Miller offre à ses deux acteurs principaux près de deux mois de répétitions. « Pour vous donner une idée, on avait lu le script un an avant le tournage » précise Hemsworth.
Il y a eu beaucoup de conversations avec George, en plus des répétitions. On a tout fait pour saisir l’essence des personnages et creuser au plus profond de leur personnalité avant de se jeter dans le bain. Anya avait une approche très protectrice de Furiosa. J’ai trouvé ça inspirant, mais ça m’a aussi fait réfléchir aux mécaniques psychologiques du script. J’ai cherché à mieux comprendre les motivations de Dementus vis-à-vis de Furiosa, et la manière dont ses actes influencent les choix de l’héroïne. Ça a fait émerger plein d’idées pour interpréter le personnage, et le récit a grandi organiquement. »
– Le nouveau bad guy Dementus (Chris Hemsworth) en compagnie d’un autre mystérieux personnage.DES MUSCLES ET DES TRIPES
L’ambition de Furiosa reste démesurée, pour ne pas dire encore plus folle que celle de Fury Road. Une séquence de 15 min a par exemple demandé à elle seule 78 jours de tournage, et la participation quotidienne de près de 200 cascadeurs, pour la plupart motorisés. Le film a bien sûr nécessité la conception et la fabrication de centaines de véhicules : on murmure un chiffre supérieur aux 150 bolides créés pour Fury Road, certains ayant été dupliqués en plusieurs exemplaires. « Mon personnage pilote un énorme monster truck » se réjouit Chris Hemsworth,
ainsi qu’une moto sur laquelle est installé le moteur en étoile d’un avion. C’était horrible à conduire, les roues étaient disproportionnées et je pouvais presque seulement foncer en ligne droite. Pour tourner, il fallait sortir les muscles et vraiment se battre contre la machine. J’avais l’impression d’être un gosse aux commandes d’un jouet interdit dans le jardin de mes parents. »
Dementus profite aussi d’un char à la Ben-Hur, dont les chevaux ont été remplacés par trois choppers chromés. Quoi qu’il en soit, les acteurs participent donc au carnage… y compris Anya Taylor-Joy, qui n’a toujours pas son permis de conduire dans la vie civile. « Disons que j’ai un permis des Terres Dévastées » sourit l’actrice :
C’était vraiment très nouveau pour moi. La première chose qu’on m’a demandé de faire, c’était un “juicy lift 180”: il faut enfoncer la pédale d’accélérateur, tirer le frein à main et braquer à fond pour faire un demi-tour. Pendant la préproduction, on m’a appris à piloter des voitures mais aussi des motos. Tout ce qu’on fait sur un deux-roues est bien plus sécurisant dans un véhicule à quatre roues, donc ça m’a permis de gagner en confiance au volant des voitures.
Au total, la préparation physique d’Anya Taylor-Joy s’étale sur près de dix mois.
Je ne m’étais jamais autant entraînée pour un film. L’idée n’était pas de réussir une cascade un jour donné, mais de pouvoir la répéter encore et encore, prise après prise, sans prendre de risque inconsidéré.
George Miller ne change pas une équipe qui gagne : une grande partie du staff de Furiosa, à commencer par le coordinateur des cascades Guy Norris, était déjà en place sur Fury Road.
« Les techniciens et les cascadeurs étaient de sacrés durs à cuire » reprend Taylor-Joy.Nous devions tous nous rendre dans le désert quotidiennement et réaliser des choses impossibles. C’est presque un miracle que le film existe, et vous seriez surpris de voir à quel point nous étions conscients des règles de sécurité. Quand on voit le résultat à l’écran, rien n’indique que les performeurs ne risquaient pas leur vie constamment. On pourrait même croire que tout est très dangereux ! Le résultat tient à la somme de détermination et de cran déployés par l’équipe tout au long du tournage.
Ce bal de fureur est ironiquement orchestré par le plus doux et le gentil des metteurs en scène, si l’on en croit les nombreux témoignages d’artistes et de techniciens ayant eu la chance de collaborer avec George Miller. « Il m’arrivait d’accomplir des actes d’une violence inouie devant la caméra » note Taylor-Joy,
et d’être appelée Juste après à rejoindre George près de sa caravane. Là, il me disait avec le plus grand calme : “Ma très chère Anya, ce que tu viens de faire était tellement beau !” (rires) C’était surréaliste. J’ai de l’expérience dans le cinéma d’horreur, et il m’est d’ailleurs arrivé de proposer des choses encore plus “diaboliques” que ce que George m’avait demandé au départ. J’en retiens une certaine fierté, car il me regardait parfois avec des yeux écarquillés, avant de me dire : “Oui, c’est ça ! Va plutôt dans cette direction !” Faire flipper George Miller lui-même, ce n’est pas donné à tout le monde.
– Parmi l’attirail motorisé de Dementus, on trouve un Monster Truck et un char de gladiateur ou les chevaux sont remplacés par des choppers.
STRATÉGIES MILITAIRES
On peut se demander dans quelle mesure il était permis d’improviser, ou même de glisser le moindre apport créatif dans les engrenages d’une mise en scène aussi millimétrée. « Un film regorge de détails » note Chris Hemsworth,
et chacun exige une grande attention de la part de tous les départements artistiques. Si certains de ces éléments ne bénéficient pas de l’attention nécessaire, on peut perdre confiance, en tant qu’acteur, vis-à-vis du projet. Notre interprétation s’en ressentira. Ce ne fut évidemment pas le cas sur Furiosa. George a creusé un chemin pour nous, une route dans laquelle on pouvait s’engager sans problèmes. J’avais parfois des suggestions, on les étudiait tous les deux, et nos conversations donnaient souvent encore plus de poids aux choix qu’il avait faits au départ.
Sur Furiosa, tous nos efforts s’inscrivaient dans un plan de bataille beaucoup plus vaste que la trajectoire dramatique de tel ou tel personnage. Après tout, on est arrivés sur un film dont le script a été écrit il y a quatorze ans. J’ai pris le parti de croire en la vision de George, même quand je n’étais pas en mesure de la comprendre dans sa globalité.
Formée aux échecs pour la mini-série Le Jeu de la dame, Anya Taylor-Joy a une démarche bien plus stratégique dans sa collaboration avec Miller:
Si l’on voulait proposer une idée différente ou inattendue, il fallait s’y prendre autrement que sur un projet traditionnel. Pour travailler avec un metteur en scène quel qu’il soit, il faut savoir entrer dans son monde et apprendre à maitriser son langage. Avec George, j’ai vite compris que je devais planter des graines trois mois avant le tournage d’une scène, et regarder chaque jour si cette graine avait poussé. Il fallait par moments l’arroser, si je puis dire, en insistant auprès de George sur la viabilité de cette idée. Si la graine finissait par germer, et devenait une fleur à l’écran, j’étais emplie d’une incroyable sensation de fierté, car aucune bataille n’était facile à remporter. Il fallait constamment penser à 360° et argumenter de façon extrêmement détaillée, ce qui rendait le processus créatif d’autant plus profond et passionnant. Sur Furiosa, je dirais donc que la spontanéité était organisée, ou vraiment très bien planifiée.
Sur le plateau - ou plutôt dans le désert -, la comédienne a également eu l’occasion d’évaluer sa performance au fil de l’eau, en visionnant chaque soir les rushes de la journée écoulée.
Les prises étaient plus longues sur Furiosa que sur l’opus précédent. Je crois que la durée moyenne des plans de Fury Road était de 1,205; je me suis renseignée sur la question et avant le tournage, j’ai revu des centaines de fois les dix premières minutes de Fury Road pour m’imprégner de son style visuel. Pendant les prises de vues, je tenais à regarder les dailies pour comprendre comment tel plan allait se raccorder à tel autre. George aime faire pas mal de prises, mais ça me convient parfaitement. Je pense être une perfectionniste, et on à le droit de l’être sur un projet comme celui-là. À chaque fois que George demandait une prise supplémentaire, j’étais ravie et je savais que ça me donnait une chance de proposer quelque chose de meilleur
– Autre nouveau venu, Tom Burke incarne Praetorian Jack, un personnage dont on ne sait pas encore grand chose.LES BONS CONTES
Proposer quelque chose de meilleur pourrait être l’une des motivations de George Miller en coulisse de Furiosa, lui qui s’était déjà juré de supplanter Mad Max 2 : le défi avec le titanesque Fury Road. Son retour dans cet univers post-apocalyptique repose toutefois sur des obsessions plus personnelles et des questionnements autrement plus profonds, qu’incarne un narrateur justement surnommé le « History Man ».
« Je ne me lasse jamais de réfléchir non seulement à la manière dont on raconte les histoires » nous confie le réalisateur,
mais aussi aux raisons qui nous poussent à les raconter. Lorsqu’on en raconte une, il doit toujours y avoir un iceberg gigantesque immergé en dessous du sommet. Pour être persuasive, n’importe quelle histoire doit avoir été longuement mûrie et décortiquée par son auteur. On s’en rend compte quand on étudie les grands narrateurs littéraires. Sur Fury Road et Furiosa, nous avons dû comprendre absolument tous les tenants et aboutissants de cet univers avant de pouvoir en tirer un récit. Le cinéma peut être décrit comme un art de la mosaique. Ce sont des petites pièces qu’on assemble, et si on prépare bien son travail, elles permettent d’obtenir une image fluide et cohérente au bout du compte. Avant d’arriver à cette image finale, on doit choisir de donner du poids à certains éléments qui, il faut l’espérer, auront une résonance auprès du public.
Quand on regarde un film, ou même quand on écoute n’importe quelle histoire, peu importe le lieu ou la culture, on l’appréhende de tout son être. On ressent l’histoire viscéralement, émotionnellement, intellectuellement, on questionne sa logique, sa valeur mythologique, son contenu spirituel. On la remet en perspective du passé, on la place en parallèle du présent, et on spécule à travers elle sur le futur. C’est une expérience complète. Pour réussir à raconter une histoire potentiellement aussi riche, il faut absolument tout prendre en compte.
J’aime faire une autre analogie, cette fois-ci avec la musique. Dans une musique dramatique, il y a une relation causale entre chaque note et la suivante, ou entre chaque accord et le suivant, et il y a une quête d’équilibre dans le choix des instruments. C’est exactement ce qu’on recherche quand on raconte une histoire. Je pourrais poursuivre là-dessus pendant des heures, car c’est un sujet qui me fascine et me régale toujours autant. Film après film, j’essaie encore de comprendre ce qui nous pousse à raconter des histoires.
Celle de Furiosa ne devrait pas apporter un point final à la saga Mad Max : une fois le film lâché dans les salles du monde entier à partir du 22 mai prochain, Miller pourra attaquer The Wasteland, l’autre récit qu’il avait posé sur le papier durant la préparation de Fury Road.
À seulement 79 ans, et affichant à travers sa caméra une énergie à faire pâlir de jalousie tous les jeunes cinéastes en activité, si l’on en juge par la fraîcheur et la fougue qui transpirent de chaque photogramme, ce raconteur compulsif n’est certainement pas prêt à prendre sa retraite…
– Par Alexandre Poncet.
– Propos de George Miller, Anya Taylor-Jay et Chris Hemsworth recueillis et traduits par l’auteur.
– Merci à Yasmine El Omari.
— Mad Movies #382 -
Ce que j’en pense ici : https://planete-warez.net/post/73872
Une critique plus professionnelle viendra plus tard
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https://www.numerama.com/pop-culture/1747114-max-apparait-il-dans-furiosa-une-saga-mad-max.html
pas mal ça, fallait voir !
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Le plan est assez long pour reconnaître l’interceptor et Max. Si tu connais la saga, impossible de passer à côté même si c’est discret.
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Époustouflant ! Dommage que dans certaines scènes, on puisse voir l’accélération de l’image, ça gâche un peu le plaisir.
Mention spéciale à Chris Hemsworth qui nous joue un Dr Dementus parfaitement lucide et équilibré, ça nous change agréablement du fou furieux sadique et cruel.
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J’ai vu le film cette nuit… ca ne devient interessant qu’au bout d’ 1 H
14/20Il vaut vraiment pas son aîné Mad Max Fury Road 19/20
Bon maintenant, j’attends La Planète des Singes : Le Nouveau Royaume -
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patricelg PW Addict DDL Rebelle Windowsien Ciné-Séries Cluba répondu à duJambon le dernière édition par
J’ai bien aimé aussi, visionné en vostfr pour plus d’immersion. J’ai ma réponse concernant la perte de son bras, dommage ça aurait dû être plus exploité.
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Avis perso j’avais kiffé le film.
L’enfance de Furiosa, Chris Hemsworth en Dementus…genialissime (l’un de ses meilleurs rôles), l’action…j’ai aimé quoi ^^