Une vaste civilisation amazonienne dévoilée par les yeux perçants d’un laser
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Après vingt-cinq ans de fouilles au pied de la cordillère des Andes en Equateur, un survol aérien révèle un vaste réseau de routes, de tertres et de terres agricoles façonnés il y a environ 2500 ans. De quoi déjouer les idées préconçues sur le savoir-faire des populations amazoniennes anciennes
A Kunguints, dans la vallée de l’Upano (Amazonie équatorienne), l’imagerie aérienne au Lidar révèle, sous la végétation, des plateformes rectangulaires et carrées qui
bordent de larges voies de communication.«Claude Lévi-Strauss disait de l’Amazonie qu’elle est un Moyen Age dont on ne connaîtrait pas la Rome. D’une certaine manière, on peut dire que le lidar complète l’archéologie de terrain pour nous dévoiler en filigrane ce qu’aurait pu être cette Rome.» L’ethno-anthropologue français Philippe Descola, spécialiste des populations d’Amazonie équatorienne, ne cache pas sa satisfaction concernant les résultats de l’étude qu’il cosigne dans Science.
Des recherches qui laissent penser qu’une vaste population a occupé la vallée de l’Upano (Equateur) pendant un millier d’années à partir de 500 av. J.-C., avant de disparaître mystérieusement, peut-être à la suite d’une éruption meurtrière du volcan Sangay qui domine le paysage. «Si on ne peut pas encore parler d’urbanisme, il s’agit néanmoins d’un système d’occupation des sols extrêmement dense et sur une région très vaste.» L’étude révèle notamment la présence de 6000 tertres, des plateformes de terre façonnées par l’homme, sur près de 300 kilomètres carrés.
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D’impressionnants complexes urbains en damier ont été dévoilés dans la vallée d’Upano, en Équateur. Taille, organisation, âge, longévité, localisation… ces sites bouleversent toute l’archéologie sud-américaine. Explications avec Stéphen Rostain qui a dirigé ces travaux.
Vous venez de publier une découverte importante sur les sociétés qui peuplaient l’Amazonie il y a quelque 2 500 ans. Comment s’inscrit-elle dans notre compréhension du monde précolombien ?
Stéphen Rostain (1). Cela fait bientôt quarante ans que je travaille sur l’archéologie amazonienne. À l’époque, les archéologues se précipitaient comme des lucioles sur les pyramides mayas et les temples incas, mais peu s’intéressaient à l’Amazonie. Beaucoup pensaient que, sur deux mille ans et plus, la région n’avait été peuplée que par des tribus similaires à celles d’aujourd’hui. Hormis la poterie, on n’a longtemps pas su repérer leurs vestiges et traces camouflés par la forêt. J’ai rencontré de la résistance à mes débuts en Guyane, car cette opinion dépréciative sur les premiers peuples de la forêt était répandue. J’y ai malgré tout effectué des repérages aériens et découvert dans les savanes inondables côtières des milliers de buttes utilisées pour la culture, notamment du maïs. L’archéologie du paysage semblait donc dévoiler une autre facette du passé humain de la région.Vous vous êtes intéressé à un site en particulier, la vallée d’Upano, en Équateur. Pourquoi ?
S. R. La vallée d’Upano se situe dans la région amazonienne du piémont andin. Elle est insérée entre deux cordillères et mesure une centaine de kilomètres de long sur une vingtaine de large. Elle est surplombée par le volcan Sangay, en état constant d’éruption depuis des décennies et dont les rejets rendent la région particulièrement fertile. Les agriculteurs locaux m’ont dit qu’ils obtenaient trois récoltes de maïs par an, c’est énorme !
Sur des sites aussi étendus qu’une vallée entière, on manquerait trop d’informations si l’on creusait à la truelle, par sondage limité à la superficie d’une cabine téléphonique. J’ai donc préféré le décapage de grandes surfaces, une approche qui a depuis fait école en Amérique du Sud. Nous avons identifié et fouillé des plateformes en terre qui servaient à isoler des bâtiments du sol humide, ainsi que des places, des chemins et des routes. La première occupation de la vallée commence environ en 500 avant notre ère pour durer jusqu’en 400-600 de notre ère.Si ces fouilles dans plusieurs sites ont fourni de nombreuses informations originales, il manquait encore une vision globale de la vallée. En 2015, une compagnie privée russe a été contractée par le service du Patrimoine équatorien pour réaliser une imagerie Lidar aérienne de l’Upano.
Cette technologie fonctionne comme un sonar, sauf que le signal n’est pas sonore, mais lumineux. Le faisceau laser est tellement fin qu’il traverse la canopée jusqu’au sol, qu’il déshabille de sa couverture végétale. Le tout est ensuite reconstruit par des modèles informatiques. Nous avons alors pu comprendre la structure du terrain et repérer avec une grande précision les modifications qu’il a subies.
Qu’avez-vous appris grâce à ces relevés auxquels vous avez eu accès en 2021 ?
S . R. Qu’il n’y avait pas seulement des centaines de plateformes artificielles dans la vallée d’Upano, mais des milliers. Avec des mesures prises sur 600 kilomètres carrés, nous avons aussi obtenu un plan global des transformations anthropiques.
La vallée d’Upano a abrité de véritables cités, densément peuplées et conçues en damier en pleine forêt tropicale. Leur réseau est incroyablement complexe, avec des rues, des chemins vers les rivières, des routes primaires et secondaires… Les grands axes sont parfaitement rectilignes, faisant jusqu’à treize mètres de large, et traversent la vallée en faisant fi de son relief naturel. Ils coupent aussi bien des ravins que des élévations. Un tel réseau réclame une véritable planification, ce qui montre que les différentes implantations de la vallée sont contemporaines.L’insistance à passer outre tous les obstacles, alors qu’il serait souvent plus simple de les contourner, suggère fortement que ces routes avaient une fonction symbolique. Elles peuvent avoir été un moyen d’imprimer dans le sol les relations entre voisins, et servir à des processions et des visites ritualisées, comme on peut encore le voir dans les villages annulaires du haut Xingu en Amazonie brésilienne.
Certaines plateformes sont encore plus hautes, jusqu’à dix mètres. Ici, pas de soubassements d’habitations, mais on suppose que ces espaces étaient plutôt consacrés à des cérémonies collectives. De tels systèmes urbains ont été découverts chez les Mayas du Guatemala ou à Teotihuacan, au Mexique. La grande différence est qu’il n’y a pas de constructions en pierre dans l’Upano. En plus, il n’y a aucun site semblable en Amazonie précolombienne, y compris au Brésil.
Comment est-ce que les gens vivaient dans cette vallée ?
S . R. Nous sommes encore en train d’estimer la population de la vallée, mais nous savons qu’elle a dû rapidement épuiser les ressources naturelles. L’analyse de ces données Lidar menée par Antoine Dorison, postdoctorant du laboratoire Archam, a conduit à la découverte d’un système de drains en damier qui évacuent l’eau, dont le sol est gorgé, afin de cultiver les espaces entre les complexes de plateformes. Cette technique était encore employée dans les années 1970 par les Karibs du bas Orénoque au Venezuela. Des terrasses agricoles ont également été bâties sur le piémont des cordillères alentour.
Le Lidar nous a beaucoup aidés, mais il ne remplace pas les fouilles classiques. Nous avons ainsi retrouvé dans le sol enterré au niveau des maisons des restes de végétaux et des graines brûlées de diverses plantes consommées : manioc, patate douce, fruits, haricots et, surtout, du maïs. Ce dernier était broyé avec des meules en pierre pour obtenir une pâte, ensuite utilisée pour produire de la chicha. Cette bière épaisse et douce est si nourrissante qu’elle peut servir de repas. On en a dépisté des traces dans d’énormes jarres, montrant que la chicha était consommée en grande quantité. Nous avons également identifié des graines de plantes médicinales.Qu’est devenu le peuple qui habitait la vallée ?
S . R. Leur culture disparaît brusquement après un millénaire, autour de 400-600, sachant qu’il n’y avait alors pas d’écriture dans la région. Des Aénts Chicham – dénomination préférée par les peuples connus par le public sous le nom de Jivaros – se sont installés plus tard dans la vallée et y vivent toujours. L’aire a d’ailleurs été très peu visitée jusqu’au milieu du XXe siècle, notamment à cause de la réputation guerrière de ces tribus.J’ai une hypothèse, hélas non confirmée, sur cette disparition. Les fouilles ont montré, au-dessus des derniers niveaux d’habitation, plusieurs couches noires qui évoquent des éruptions volcaniques. Mais, les datations ne correspondent à aucun évènement suffisamment catastrophique pour faire fuir tout le monde. C’est peut-être une série d’éruptions plus petites, mais plus nombreuses, qui a fini par décourager les habitants, ou alors une crise climatique. Ils auraient alors pu partir vers le sud, au Pérou, où l’on retrouve des céramiques similaires à celles d’Upano. Seule une société spécialisée et stratifiée a pu construire un réseau aussi vaste et complexe que dans la vallée d’Upano. Or, on sait que les sociétés urbanisées et hiérarchisées sont moins résilientes aux aléas climatiques. Peut-être que cette civilisation a tout simplement implosé au profit d’un retour à une organisation tribale et forestière. Nous n’avons pas d’explication ferme à proposer pour le moment. Mais, la recherche se poursuit…
- (1) Directeur de recherche CNRS au laboratoire Archéologie des Amériques (Archam, CNRS/Université Panthéon-Sorbonne), spécialiste en archéologie amazonienne.
Source: https://lejournal.cnrs.fr/articles/des-cites-antiques-en-amazonie
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