[Critique] Everything Everywhere All At Once
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J’en avais déjà parlé ici et ici mais cette dinguerie (dans le bon sens du terme) méritait bien mieux que cela et vu que tonton Mad en à fait une excellente critique dans le mag de ce mois ci, quoi de plus normal pour moi de vous la balancer ici. Puis quel plaisir de revoir la phénoménale Michelle Yeoh dans ce genre de rôle qui lui est taillé comme un gant ainsi qu’un Demi-lune (Indiana Jones) presque 20 ans après qui plus est dans une production A24, une des plus audacieuses boîtes de production du moment, que j’apprécie particulièrement.
C’est parti
Un film d’auteur touchant, avec des acteurs formidables, se fait pirater par des extraterrestres sous hallucinogènes et amphétamines. Avec Everything Everywhere All at Once, où les idées les plus indéfendables se succèdent à un rythme effréné afin de décupler la puissance émotionnelle de l’expérience, les « Daniels » ne se contentent pas d’un film-somme : ils créent, devant nos yeux ébahis et humides, le film-multiplication.
Evelyn Wang (Michelle Yeoh) subit le redressement fiscal qui va sans doute avoir raison de la laverie familiale. Son mari Waymond (Ke Huy Quan) veut divorcer mais n’ose pas lui remettre les papiers qui lanceront la procédure. Sa fille Joy (Stephanie Hsu) aimerait bien lui faire comprendre que Becky (Tallie Medel) n’est pas qu’une « très bonne copine ». Pour couronner le tout, le père d’Evelyn, Gong Gong (James Hong), fraichement débarqué de Chine, ne manque pas de l’écraser de ses éternels reproches quant à son exil et sa vie en Amérique.
Tous les éléments sont en place pour un drame social Sundance friendly sur la condition des émigrés asiatiques aux États-Unis. Rien ne dépasse. jusqu’au bug dans la matrice. En plein entretien avec son inspectrice des impôts (Jamie Lee Curtis), Evelyn est contactée par la version alpha de son mari, venue d’un autre univers. L’heure est grave: la mystérieuse Jobu Tupaki menace l’équilibre du multivers, et parmi les milliers d’Evelyn existantes, elle est la dernière chance de toutes les Humanités. Dès lors, Everything Everywhere All at Once ne va quasiment jamais arrêter d’inventer les règles de son jeu au fil des événements. Chacune de ces règles va déclencher un déferlement de nouveaux possibles, toujours plus invraisemblables et néanmoins toujours cohérents par rapport à l’architecture globale. La première de ces règles sert de note d’intention : pour acquérir les connaissances et capacités d’un double du multivers, il faut rompre la logique du monde environnant et exécuter une action totalement inattendue. Plus l’action s’avère surprenante, mieux la connexion opère. Ce principe va entrainer une véritable avalanche de non-sens, d’autant plus marquante qu’abordée avec un premier degré absolu. Et quand il s’agira de verser dans le graveleux, Daniel Kwan et Daniel Scheinert iront vent debout, notamment au détour d’un plan large traumatisant (magnifié par ce qui est déjà l’un des plus beaux ralentis de l’année) concluant un combat de kung-fu épique.
Dans leur premier long-métrage Swiss Army Man, les réalisateurs (surnommés les « Daniels ») racontaient l’amitié, sur une île déserte, entre un naufragé et un cadavre flatulent « joué » par Daniel Radcliffe. Malgré cet avertissement, personne n’était préparé à une telle expérience.
HYPERACTIVITÉ
À mi-parcours de Doctor Strange in the Multiverse of Madness, les deux héros se retrouvent dans un univers alternatif où — folie suprême — de la végétation pousse sur les immeubles et il faut traverser la route quand le feu est rouge. Les Daniels, eux, sont déjà sur une autre planète. Le duo le confirme, ils ont voulu tester la capacité de résistance de leur public, né comme eux avec les nouveaux médias. Everything Everywhere All at Once ne cesse de valdinguer dans une même scène, parfois dans un même plan, entre plusieurs dizaines de mondes aux caractéristiques bien distinctes et systématiquement azimutées. Dans l’idéal, il ne faudrait rien dévoiler des milliers de trouvailles dont fourmille le film, tout au plus prévenir de son caractère trépidant, son rythme heurté, son montage en forme de zapping illustrant de façon visuelle le trouble du déficit de l’attention.
Daniel Kwan a en effet découvert pendant la production du long-métrage qu’il souffrait de cette condition et a décidé, en accord avec son compère, d’en faire l’une des matières dramatiques du récit. Une fois les chevaux lâchés, Everything Everywhere All at Once peut parfois donner l’impression d’une surenchère constante dans le gag absurde, mais l’admirable seconde moitié du long-métrage démontre brillamment à quel point rien n’est gratuit. Chaque bascule d’un univers à l’autre, chaque réplique douce-amère, chaque référence, chaque caillou trouve sa justification dramaturgique. Grâce à un travail scénaristique d’orfèvre, tout résonne et mène à un grand huit cathartique bouleversant à plusieurs niveaux.
PLEINES LUNES
Les Daniels mettent autant d’énergie à bricoler leur multivers qu’à y inscrire leurs personnages. Le drame Sundance compatible est bel et bien là, et mené de main de maître. La texture malléable du film permet d’y rajouter des astérisques, des notes de bas de page, des parenthèses ; des points virgules. Cette réinvention grammaticale nourrit les interactions entre la famille et le moindre sbire de troisième plan, sans parler d’une Jamie Lee Curtis enfin sortie du registre de grand-mère badass dans lequel le cinéma d’exploitation tente de plus en plus maladroitement de la circonscrire. Stephanie Hsu est une révélation et James Hong démontre, au moins pour la 200 fois, qu’il mérite largement son étoile récemment inaugurée sur le Walk of Fame (voire qu’une deuxième ne serait pas de trop).
Mais l’épicentre, le cœur d’Everything Everywhere All at Once, reste bien évidemment son couple central. D’un côté Ke Huy Quan, l’éternel Demi-Lune d’Indiana Jones et le temple maudit, enfin revenu d’un hiatus de vingt ans. Dans le rôle de Waymond, il trouve immédiatement la note juste pour se rendre attachant. Dans ses multiples déclinaisons multiversiennes, il devient tout bonnement phénoménal, capable tour à tour d’un abattage jouissif et d’une retenue magistrale, notamment lorsqu’il incarne un play-boy chic et vaporeux évadé d’un Wong Kar-Wai.
Face à lui, l’immense Michelle Yeoh semble pleinement consciente de tenir là LE rôle de sa nouvelle vie post-HK. Cette légende vivante se montre non seulement à la hauteur de ce statut, mais lui insuffle de nouvelles grilles de lecture passionnantes. Pour tout fan de l’actrice, de ce qu’elle a incarné à tous les stades de sa carrière, Everything Everywhere All at Once est un cadeau d’une beauté folle, où l’émotion suscitée par le parcours de l’héroïne est décuplée par les échos que ledit parcours trouve dans l’accomplissement artistique titanesque de son interprète.
Il est tout à fait possible de rejeter le parti pris frénétique du film. Impossible, en revanche, de lui enlever sa générosité, son énergie toute singulière dans le foutraque, et encore moins l’amour tendre et sale qui en jaillit à chaque scène, à chaque plan, et à chaque objet enfoncé dans le cul.
Par François CAU
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Ben franchement, je ne sais pas quoi en penser, c’est drôle, bien ficelé, bien imaginé,spectaculaire, il y a même, semble-t-il, une volonté de bien le raconter, mais il manque un petit quelque chose, un peu comme Tenet…
De plus le 4K HDR malgré un débit de 80 Mb/s n’est pas vraiment terrible, même s’il est mieux que le 1080p (surtout les couleurs, la définition, ça serait plutôt l’inverse).