320 milliards d'euros de budget, 16800 kilomètres de nouvelles lignes... L'immense chantier de la refonte du réseau électrique en Allemagne
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(L’aérien, c’est moins cher, mais c’est fragile et moche.)
Avec l’arrivée des énergies renouvelables, Berlin est contraint de repenser en profondeur son réseau électrique. Un chantier coûteux, longtemps repoussé, qui impose de la concertation.
Sous l’Elbe, Annika Stopp, cheffe d’équipe ElbX, contrôle l’humidité des conduites de la ligne électrique SuedLinkPour rattraper son retard, l’Allemagne met les bouchées doubles dans le renforcement de son réseau électrique. D’ici à 2030, l’objectif est de produire 80% de l’électricité à partir de sources renouvelables. «Auparavant, les centrales nucléaires, au gaz et au charbon étaient proches des centres urbains et industriels. Aujourd’hui, les parcs éoliens sont au Nord, off et onshore, tandis que la consommation est au Sud», résume Mathias Fischer, le porte-parole de TenneT, l’un des quatre gestionnaires du réseau de transport, aux côtés de 50 Hertz Transmission, Amprion et TransnetBW. Un changement de paradigme qui implique de moderniser et d’étendre les lignes à haute tension sur environ 16800 kilomètres, dont 6000 km seulement sont en construction.
Au cœur de ce dispositif, le corridor électrique SuedLink en constitue l’épine dorsale. Long de 700 km, il reliera les villes de Brunsbüttel et Wilster, près de la mer du Nord, à Bergrheinfeld, en Bavière, et Grossgartach, dans le Bade-Wurtemberg. En juin, 7 km étaient terminés et 200 km en travaux. SuedLink se compose de deux lignes à courant continu haute tension (CCHT) de 2 GW, équivalents à la production de 2800 éoliennes. Si la technologie CCHT a été préférée au courant alternatif, car elle limite les pertes électriques sur les très longues distances, elle nécessite l’installation de convertisseurs coûteux. SuedLink doit donc investir plus de 10 milliards d’euros, partagé entre TenneT pour le Nord et TransnetBW pour le Sud.
Enfouissement des lignes
Mais cette autoroute énergétique de tous les superlatifs a connu un important retard. Alors qu’elle aurait dû être mise en service en 2022, pour accompagner la fin du nucléaire, le premier coup de pelle du projet n’a finalement été donné qu’en septembre 2023. En cause : la décision du gouvernement fédéral d’Angela Merkel, prise en 2016, d’enterrer les câbles initialement prévus en aérien. L’objectif étant d’apaiser les oppositions locales et de réduire l’impact visuel sur les paysages. Toutefois, cet arbitrage n’a pas été sans conséquence pour les gestionnaires de réseau. Sur le plan financier d’abord. Selon l’opérateur Amprion, une ligne enfouie coûte entre trois et huit fois plus qu’une ligne aérienne. Sur tout le réseau, les coûts devraient être enchéris d’environ 30 à 40 milliards d’euros supplémentaires, répercutés sur la facture des consommateurs.
En termes techniques également. Désormais, la norme impose la pose des câbles en tranchée ouverte, à une profondeur de 1,3 à 1,5 mètre. Seuls les obstacles naturels (rivières, routes, infrastructures…) sont franchis par des forages horizontaux dirigés ou par poussée de tuyaux. En règle générale, les travaux s’étendent donc sur une largeur maximale de 45 mètres, nécessaire pour la circulation des engins de construction et le stockage des déblais. Ces derniers sont entassés séparément, entre la terre végétale d’un côté et le sous-sol excavé de l’autre, pour assurer une remise en état à l’identique après les travaux.
Impliquer les habitants de chaque région
Une fois les câbles posés, une bande de servitude de 8 à 22 mètres de largeur, située juste au-dessus des câbles, est inscrite au registre foncier : si l’agriculture reste possible, la zone est déclarée inconstructible de façon permanente. Le long de SuedLink, environ 20 000 propriétaires fonciers sont concernés par cette limitation d’usage. Les négociations ont duré plus de deux ans entre les agriculteurs, TenneT et TransnetBW. Pour apaiser les tensions, l’État a prévu un système de compensation. Outre l’indemnisation des pertes agricoles durant les travaux, une somme équivalente à 35% de la valeur du terrain est versée, à laquelle peut s’ajouter une prime d’accord à l’amiable.
Pour faciliter ce travail de planification et de concertation avec les élus locaux et la population, le tracé de SuedLink, qui traverse six Länder, a également été divisé en 15 tronçons. Chacun dispose d’un chargé de dialogue, dont le rôle est d’incarner l’entreprise sur le terrain et de favoriser les conciliations. «En tant que référent citoyen pour les tronçons B2 et D3 de SuedLink, mon rôle est d’assurer l’implication des habitants de la région, en tenant compte des spécificités locales, dans un esprit de dialogue ouvert et transparent», décrit Christian Hobbie. Ce maillage local n’empêche cependant pas les critiques. Lors des débats publics, il n’est pas rare que la presse locale se fasse écho de la frustration des riverains, qui se sentent mis devant le fait accompli. Preuve de leur volonté de parvenir au compromis, les gestionnaires s’efforcent alors de trouver des solutions au cas par cas. Comme sur l’un des tronçons de la ligne SuedOstLink, d’une longueur de 450 km, prévu pour être parallèle à SuedLink, afin de rejoindre les parcs d’énergies renouvelables situés dans le Nord-Est jusqu’à la Bavière.
Les maires de plusieurs villages ont demandé le maintien des lignes aériennes, en dépit de l’obligation d’enfouissement. Ils ont obtenu gain de cause sur près de 18 km. Leur argument était qu’il vaut mieux utiliser les pylônes déjà placés que de supporter un chantier d’enfouissement long et invasif, impliquant des servitudes permanentes. Sur cette portion aérienne, des pylônes hybrides, combinant la ligne existante à courant alternatif et une nouvelle ligne à courant continu, seront installés par 50 Hertz Transmission pour réduire les interventions au sol. Un exemple de concertation acceptée par les gestionnaires pour éviter les recours en justice et les blocages administratifs et de faciliter l’avancement des travaux.
Un immense réseau en devenir
Quatre opérateurs nationaux gèrent les lignes à haute et très haute tension (220–380 kV) en Allemagne : TenneT dans le Nord, l’Ouest et le centre ; 50Hertz Transmission dans l’Est ; Amprion et TransnetBW dans le Sud et le Sud-Ouest. Outre SuedLink, plusieurs autoroutes électriques sont prévues, notamment SuedOstLink (sur 540 km) entre Nord-Est et Sud, renforcé par SuedOstLink+ (sur 240 km). Enfin, Ultranet, réseau à courant alternatif à très haute tension (380 kV), avec des convertisseurs HVDC intégrés, améliore le maillage dans la région Rhin-Ruhr. Les coûts totaux d’extension du réseau sont estimés à 320 milliards d’euros d’ici à 2045, selon l’Agence fédérale des réseaux.
En France, il manque quelques milliards pour les retraites, parait-il et on dépense beaucoup moins pour la population
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Je suis curieux de voir la stabilité du réseau lorsque tout sera en production. Maintenir la fréquence du réseau très proche des 50 Hz est très compliqué avec les ENR.
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Peut-être pas, vu qu’ils passent du courant continu haute tension collecté en alternatif, la fréquence de découpage doit pouvoir être réglée aux petits oignons… comme tu dis, faut voir
Par contre, joindre la ligne CCHT avec plusieurs sources, doit être un nouveau défi.