La compensation carbone, comment ça fonctionne ?
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Certaines entreprises, notamment numériques, déclarent compenser les émissions de gaz à effets de serre que produisent leurs activités pour devenir « neutres » en carbone. On vous explique comment fonctionne ce système de compensation.
Un des points importants, dans la lutte contre le réchauffement climatique, consiste à viser la neutralité carbone : atteindre l’équilibre entre les émissions de gaz à effets de serre (GES) et les émissions capturées et stockées à l’échelle mondiale.
Le concept de compensation carbone propose de répondre à cet enjeu en calculant les émissions générées par une activité humaine – production d’une entreprise, voyage, événement, etc – pour les compenser en finançant la création de projets de réduction ou de séquestration d’émission. Grosse émettrice de GES, l’informatique est une des industries qui recourt facilement à cette logique. Dans l’Europe des 28, fin 2021, le numérique émettait 185 Mt équivalent CO₂, selon les calculs de GreenIT, soit 4,2 % des émissions européennes.
Dans le monde, le numérique est aussi à l’origine de 3 à 4 % des émissions. Amazon, Apple, Samsung, Atos, Microsoft… de nombreux acteurs du secteur se sont donc lancés dans des processus de compensation carbone. Pourtant, la compensation carbone est un mécanisme présentant des défauts.
Comment calcule-t-on une compensation carbone ?
Pour établir la compensation nécessaire aux émissions produite par une activité, on réfléchit en termes planétaires : l’idée est qu’une émission de GES quelque part sur la planète peut être compensée ailleurs, en finançant, par exemple, un projet de réduction ou de séquestration d’émissions de GES sans que celui-ci vise spécifiquement les émissions réalisées par l’entreprise ou l’entité concernée.
Depuis quand ce système existe-t-il ?
Le système économique des compensations carbones découle des principes édictés en 1997 lors du Protocole de Kyoto. Celui-ci a permis la création d’un marché réglementé de la compensation carbone, pensé pour les entreprises légalement obligées de réduire leurs émissions de GES.
Reposant sur un Mécanisme de développement propre (MDP), celui-ci ne s’intéresse pas aux sources des émissions de GES. Il se concentre seulement sur l’échange entre financement de dispositifs de réduction des GES, souvent dans des pays du Sud, et « crédit carbone ». Ces derniers permettent, de fait, à l’entreprise (souvent du Nord) d’émettre des GES via ses activités.
Depuis que ce système s’est généralisé, il existe aussi des systèmes de compensation volontaire de carbone, plutôt dédié aux particuliers et aux entités non assujetties à des réglementations en la matière. Cela permet de financer des opérations de réduction équivalente à sa production de GES, le plus souvent hors du territoire.
Comment fonctionne le marché de la compensation carbone ?
Le Protocole de Kyoto a permis la création d’un Système Communautaire d’Échange de Quotas d’Émission, le SCEQE. Lancée en 2005, cette bourse européenne est le système d’échange de crédit carbone le plus vaste au monde, qui permet la mise en place d’un quota d’émission de GES par entreprise, puis l’achat ou la vente de crédit carbone, qu’on peut aussi envisager comme autant de « droits à polluer ». C’est la logique du « pollueur-payeur ».
Quels sont les dispositifs pratiques de compensation ?
La neutralité carbone s’atteint en travaillant sur deux piliers essentiels : la réduction et la séquestration des émissions. Lorsqu’elles financent des projets liés aux énergies renouvelables ou aux économies d’énergie, les entreprises travaillent plutôt sur le premier.
Elles peuvent aussi œuvrer au second en orientant leurs fonds vers la constitution de puits de carbone, des espaces qui, par mécanisme naturel ou artificiel, stockeront les GES émis. Les océans, les forêts (grâce à la photosynthèse), les tourbières sont autant de puits naturels de carbone.
L’industrie technologique est quelquefois présentée comme pourvoyeuse de solutions, parce que ses outils permettent d’améliorer la connaissance et la transparence sur les émissions réelles de GES et parce qu’elle peut participer au développement d’outils, voire d’énergies plus propres (via la filière photovoltaïque, par exemple). Microsoft joue sur clairement sur ce créneau avec son programme « objectif empreinte carbone négative d’ici 2030 » : celui-ci contient notamment un volet innovation et investissement et un autre dédié au partage de connaissances.
Compensation carbone ou contribution carbone ?
Un nombre croissant d’acteurs militent pour remplacer l’expression « compensation carbone » par « contribution carbone » pour rendre l’opération plus claire. La raison : le terme « compensation » sous-entendrait qu’il est possible d’annuler ses émissions, ce qui est faux.
Il n’existe pas assez d’espace sur la planète pour planter tous les arbres qui permettraient d’absorber les 40 milliards de tonnes d’équivalent CO₂ que nous produisons chaque année. Les puits de carbone ne permettront donc pas de compenser l’intégralité des émissions produites par des entreprises.
Par ailleurs, les émissions que les entreprises cherchent à « compenser » sont directement émises dans l’atmosphère, tandis que les mesures qu’elles adoptent pour contrebalancer ces pollutions sont plus progressives – une forêt, ça prend du temps à pousser. Résultat des courses, il serait incorrect de considérer que financer un projet de compensation neutralise effectivement les émissions de GES générées par les activités d’une entreprise.
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- L’empreinte carbone d’Amazon a augmenté de 18 % en 2021, de 40 % depuis 2019
Dans les années récentes, plusieurs entreprises se sont servies des logiques de compensation carbone pour mettre en avant des produits et services « neutres en carbone » ou « climatiquement neutres ». Pour lutter contre ces pratiques de « greenwashing », un décret d’avril 2022 est venu encadrer leurs pratiques publicitaires.
Autre grosse problématique : les enquêtes se succèdent, qui pointent la faiblesse des dispositifs réels de « compensation » carbone. Mi-janvier, les journaux anglais The Guardian et allemand Die Zeit démontraient par exemple que plus de 90 % des crédits carbones obtenus auprès du programme de l’ONG Verra de protection des forêts tropicale sont « fantômes ».
Or ceux-ci représentaient 40 % des crédits approuvés et vendus dans le monde. En définitive, ces transactions pourraient même aggraver la situation.
Pourquoi la compensation carbone ne suffit pas ?
Le numérique émet des GES, c’est certain, mais ça n’est pas la seule pollution qu’il produit. Une étude publiée par GreenIT fin 2021 démontre que le seul numérique européen (pour l’Union Européenne des 28) mobilise 571 millions de tonnes de matières premières, soit une masse équivalente à 9,2 milliards d’êtres humains. C’est plus que le poids actuel de l’humanité.
Or, pour obtenir puis utiliser toutes ces matières premières à des fins informatiques (uniquement européens, toujours), le secteur excave 71 kg de terre par jour et par européen. Grand consommateur de terres rares, l’industrie participe directement à l’épuisement des ressources abiotiques. Ces dernières, non vivantes, sont naturellement présentes dans l’environnement, comme l’eau, la lumière, l’air, les minéraux et métaux. On y trouve les fameux cérium, scandium, lithium et autres éléments nécessaires à la création de produits de haute technologie.
L’épuisement des ressources abiotiques provoqué par le seul numérique européen grimpait en 2021 à 5 760 tonnes équivalent antimoine (l’antimoine est un corps simple connu depuis la préhistoire et utilisé pour calculer les effets des activités humaines sur le non-vivant). Selon une étude de l’ADEME citée par Frédéric Bordage (GreenIT), 52 % de l’empreinte numérique française est due à cet épuisement des ressources abiotiques, 28 % à des radiations ionisantes, et « seulement » 11 % aux GES.
Autre élément mis en avant par Carbone 4 (entreprise à l’origine de la Net Zero Initiative, un référentiel soutenu par l’ADEME et dédié à la réduction des émissions du secteur privé) : l’idée que l’on puisse simplement « supprimer » le risque environnemental par un jeu d’écritures comptables ne pousse pas les dirigeants et salariés des entreprises concernées à imaginer d’autres solutions. Or leur créativité est nécessaire pour réduire l’empreinte environnementale des activités de production.
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Enfin, la logique du pollueur-payeur n’enjoint pas à la sobriété, quand bien même tous les travaux scientifiques pointent vers l’urgence de réduire nos activités, donc notre consommation de ressources, pour lutter contre le changement climatique.
Source : nextinpact.com
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La compensation carbone n’est que très partielle et tourne au greenwashing, si ce n’est même une source de profit pour les plus malins…
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C’est du vent. Ca ne sert à rien. Ça n’a aucun effet sur nos émissions de CO2 dans l’atmosphère.