Disparu un temps dans l’anonymat des séries, Ti west, l’auteur de “X” nous explique comment son retour au grand écran se place sous le signe d’une célébration du cinéma indépendant et de son art de la débrouille.
Quelle a été l’inspiration première de X ?
Eh bien, je n’avais pas fait de long-métrage depuis un bon moment. Cela faisait même dix ans que je n’avais pas tourné de film d’horreur. Entre-temps, j’avais fait beaucoup de réalisation en télévision et j’y avais pris énormément de plaisir.
Mais j’ai fini par me dire que je devrais peut-être revenir au long-métrage et en cherchant un sujet, je me suis rendu compte que ce que j’aime le plus dans le cinéma, c’est la fabrication concrète des films. En particulier, je suis assez charmé par le côté entrepreneurial de la confection d’une péloche indé à petit budget – une chose avec laquelle les spectateurs modernes ont perdu le contact, je crois.
J’ai donc décidé d’avoir une histoire où les personnages seraient en train de tourner un film, en espérant que cela pousserait les gens à apprécier la somme de talent que les membres de l’équipe y mettent, que ce soit au niveau du jeu d’acteurs, de la direction de la caméra, du montage, de la musique ou des effets spéciaux de maquillage. Bref, je souhaitais inviter le public à aimer à nouveau le cinéma.
Cependant, je ne voulais pas que les personnages soient en train de faire un film d’horreur, car cela aurait été trop méta et autoréflexif. Or, dans les années 1970, le porno et l’horreur ont toujours eu une sorte de relation de symbiose. En effet, c’étaient des genres marginaux qui vous permettaient de travailler dans une complète indépendance. Vous n’aviez pas besoin de Hollywood : vous pouviez tourner ces films tout seul et les distribuer tout seul.
Avoir des personnages confectionnant un porno était donc un bon moyen de montrer au public à quoi ressemblait la fabrication d’une bande horrifique. En plus, il y a quelque chose d’absurde dans le contraste entre, d’une part, le côté érotique de ce que vous voyez et, d’autre part, le fait que l’ambiance sur le plateau n’était pas du tout érotique. Et cela me plaisait de lever un coin du voile sur cette réalité.
En outre, vous tissez des liens entre les mécanismes de l’érotisme et ceux de l’horreur grâce à des montages parallèles parfois très expérimentaux, oscillant entre les scènes de tournage et la menace incarnée par les deux vieux. Ces effets étaient prévus dès l’écriture du scénario ?
Oui. Dans le script, il y avait indiqué : « En 16 millimètres » pour toutes les images censées être issues du film dans le film. Et ces plans raccordent souvent avec des moments de la réalité où les personnages effectuent les mêmes gestes. Par exemple, Bobby-Lynne boit une limonade dans une scène du porno, puis on passe à Maxine et Pearl qui boivent aussi une limonade dans la cuisine.
Comme vous le disiez, il y a quelque chose de similaire entre l’érotisme et l’horreur, dans la manière dont vous faites percevoir les choses. Mais de manière plus générale, je voulais montrer deux mondes qui entraient en collision de manière bizarre.
Encore une fois, mon but était de rappeler au public les différents aspects de la fabrication d’un film, et mettre en parallèle ces deux histoires me permettait de le faire. Car de nos jours, les spectateurs ne pensent plus guère au montage et, d’une certaine manière, X les force à y penser. En particulier, le personnage du réalisateur, R.J., ne cesse de répéter qu’il va rendre le porno qu’il est en train de tourner plus avant-gardiste que la normale.
Macabre découverte pour le shérif Dentler
C’est amusant, car nous avons cette discussion deux jours après la mort de Jean-Luc Godard…
À l’évidence, R.J. est très inspiré par la Nouvelle Vague et en particulier par Godard. Ce dernier est bien connu pour avoir joué avec la forme, pour avoir eu des choix stylistiques qui mettaient l’accent sur le cinéma plutôt que sur la simple narration. Et R.J. est bien sûr influencé par des choses comme les jump cut et les raccords avant-gardistes. Dans les scènes de tournage, j’ai aussi glissé des références à Easy Rider.
Mais il faut savoir que dans les années 1970, les pornos avaient encore une durée de long-métrage et étaient dotés d’une histoire. En plus des scènes de sexe, vous deviez donc tourner le reste du film. Je ne sais pas si c’est toujours vrai aujourd’hui, mais pour faire Gorge profonde, Debbie Does Dallas ou Derrière la porte verte, vous aviez besoin d’exposer correctement la pellicule, d’avoir des éclairages, etc. Encore une fois, la fabrication d’un porno n’était pas très différente de celle d’un petit film d’horreur, ou de toute autre sorte de long-métrage.
À propos de film d’horreur à petit budget, vous avez voulu que X ressemble d’abord à une banale resucée de Massacre à la tronçonneuse pour mieux surprendre ensuite les spectateurs avec une atmosphère particulière ?
Ouais, je savais qu’en faisant un film sur des jeunes gens qui voyagent en camionnette jusqu’à une ferme du Texas dans les années 70, il n’y avait pas moyen d’empêcher les gens de penser à Massacre à la tronçonneuse. Car de nos jours, le public est très au courant des conventions du cinéma d’horreur, ce qui atténue l’effroi et le suspense. Je voulais donc faire en sorte que les spectateurs aient l’impression de deviner où allait l’histoire, et subvertir ensuite ces attentes.
Dans les 20 premières minutes de X, ma priorité était ainsi d’installer divers types de menaces sans qu’on sache laquelle était vraiment sérieuse. À partir de là, je dévoile lentement la nature exacte du film, dont j’espère qu’elle est inattendue et qu’elle vous en donne quand même pour votre argent.
Le mot « lentement » est important, car le véritable danger avance avec une lenteur inexorable. Cela trouve un écho dans le climat de la campagne texane, même si vous avez en fait tourné en Nouvelle-Zélande. C’était pour des raisons de production ?
C’était vraiment pour des raisons de Covid. À l’époque, nous étions au pic de la pandémie et la Nouvelle-Zélande n’avait aucun cas. Une fois sortis de quarantaine, nous avons donc pu tourner X de manière traditionnelle, en toute sécurité. Car pour un film pareil, les mesures de distanciation sociale ne pouvaient pas fonctionner.
Mais c’est vrai que nous avons trouvé en Nouvelle-Zélande une région qui ressemble beaucoup aux paysages du sud du Texas que j’avais en tête. Il s’agit d’une zone marécageuse qui, comme vous le dites, distille un tempo très lent. En effet, on la sensation que la chaleur et l’humidité ralentissent tout. Et cela se prêtait bien à la description des personnages, et aussi à ma volonté de faire en sorte que la véritable menace soit la plus inattendue.
Pour construire cette atmosphère, je me suis bien sûr référé à Massacre à la tronçonneuse, mais aussi à des choses comme le génial Macadam à deux voies. Globalement, j’avais en tête des films des années 70 du genre « Americana », dépeignant les zones provinciales des États-Unis. Je ne pourrais pas vous dire lesquels, car ils sont gravés dans mon subconscient et j’en ai reproduit la tonalité.
Pearl s’apprête à dissimuler les traces de ses méfaits.
C’est pour avoir cette touche années 70 que vous avez utilisé des effets spéciaux « pratiques », réalisés concrètement sur le plateau ?
Nous avons effectivement fait presque tout avec des effets pratiques, et pour l’essentiel, c’est parce que je pense qu’ils sont encore aujourd’hui les meilleurs. Les trucages numériques sont un très bon outil, qui peut donner des super résultats. Mais ils sont certainement suremployés, et quand il s’agit de sang, de meurtres dans un film d’horreur, ils ne sont pas aussi convaincants que les effets pratiques. Car vous avez besoin d’avoir quelque chose de palpable, d’organique, pour créer chez les spectateurs une réaction viscérale, au lieu qu’ils se disent que c’est juste un trucage.
Cependant, la chose la plus frappante est la vision obscène des corps décatis des vieillards. Vous vouliez briser un tabou ?
Pas nécessairement. Le truc, c’est que d’habitude, dans les films d’horreur, les vieux sont des puritains qui regardent de haut les jeunes gens, pensant qu’ils devraient être punis pour leur liberté, leur ouverture, leur insouciance. Mais dans le cas de Pearl, elle est en fait beaucoup plus envieuse et jalouse de ces choses, qu’elle ne peut plus avoir à cause de son âge. Il me semble n’avoir jamais vu ce thème dans un film d’horreur.
En tout cas, j’ai instauré un contraste entre des jeunes corps sexualisés et les anatomies du couple de vieillards. Jusqu’au point où ces derniers finissent par faire l’amour ensemble. Cependant, je crois que nous n’avons pas traité cette séquence très différemment des autres scènes de sexe. C’est seulement la présence de corps âgés qui donne une énergie entièrement nouvelle à ce moment. Il y a bien sûr quelque chose de tabou là-dedans, mais les réactions des spectateurs sont très diverses et subjectives, dépendant de leur arrière-plan culturel.
En fait, la vieille Pearl est interprétée par Mia Goth, qui incarne aussi la jeune héroïne Maxine. Pour vous, ce double rôle était nécessaire pour l’histoire, ou bien aviez-vous déjà en tête la préquelle intitulée Pearl ?
Le but a toujours été que l’actrice interprétant Maxine joue également Pearl, car je sentais que, même si ce sont deux personnages différents, elles sont en quelque sorte la même personne. Cependant, je ne savais pas si je trouverais quelqu’un qui puisse le faire. Mais quand j’ai rencontré Mia, elle m’a convaincu qu’elle en était capable. De fait, même si nous avions une super équipe d’effets spéciaux prosthétiques, elle a dû subir des heures de maquillage, un exercice physiquement très éprouvant. Et elle a réussi à traverser cela car elle est vraiment une force de la nature.
Pearl, qui a en fait été tourné secrètement en parallèle de X, a été projeté au Festival de Venise mais n’a pas encore été montré en France. Vous pouvez en dire un mot ?
Dans X, nous n’en apprenons pas beaucoup sur le passé de Pearl. Nous la découvrons très tard dans sa vie, et faute de meilleur mot, elle est la méchante du film. À l’inverse, dans Pearl, elle est l’héroïne, et l’histoire raconte un basculement qui a eu lieu dans sa vie quand elle était jeune. C’est ainsi un tout autre genre de film : à vrai dire, cela ne ressemble pas du tout à X. Je pense néanmoins que les spectateurs trouveront que c’est un récit très riche, où une jeune fille qui a des rêves est prête à faire tout ce qu’il est nécessaire pour les accomplir.
Du côté de Bobby-Lyne (Brittany Snow), l’angoisse commence à monter.
Et qu’en est-il du dernier volet de la trilogie, MaXXXine ?
Il parlera de Maxine, c’est tout ce que je peux vous dire. Écoutez, j’ai tenu Pearl secret pendant un an, puis j’ai tenu MaXXXine secret pendant six mois. Je vais donc continuer dans la discrétion. Car de nos jours, on a tendance à savoir tout sur tout et cela devient assez ennuyeux. Ainsi, cela m’a amusé de révéler l’existence de Pearl lors du générique de fin de X, et de la même manière, d’annoncer MaXXXine à la fin de Pearl. En effet, je crois que ce genre de surprises revivifie l’expérience d’aller au cinéma.
Justement, après cette trilogie, vous allez rester dans le giron du cinéma ?
J’étais parti à la télévision car je voulais faire une pause dans ma carrière. Chaque long-métrage que j’avais fait auparavant, je l’avais écrit, réalisé, monté et produit, et c’était pas mal de travail. De plus, jamais personne ne m’avait proposé un boulot. Mais après In a Valley of Violence, quelqu’un m’a proposé une série télé et cela m’a plu. Puis quelqu’un d’autre m’a aussi proposé une série, et avant d’avoir le temps d’y penser, j’avais tourné 17 épisodes en cinq ans.
C’était cool d’être demandé, et en plus, je crois que cette expérience a fait de moi un meilleur réalisateur. Pour autant, je me suis dit que j’avais quitté le cinéma pendant un peu trop longtemps, et j’ai donc rédigé le scénario de X** **que j’ai seulement envoyé aux gens de A24. S’ils avaient dit non, je n’aurais probablement jamais fait le film, que j’avais écrit juste pour le fun. Mais ils ont sauté sur l’occasion et cela a été une super collaboration avec eux.
Je pense donc que je vais rattraper le temps perdu en restant dans l’espace du cinéma pendant un moment. Vous verrez ainsi d’autres longs-métrages de moi, avant que je disparaisse à nouveau !
Propos recueillis par Gilles Esposito.
Merci à Jean-François Gaye.