• 1 Votes
    1 Messages
    61 Vues

    Propulsé au rang de nouveau wonder boy de la fiction télé US par le succès public et critique de Chernobyl, Craig Mazin est aujourd’hui aux manettes de l’adaptation d’un des plus grands chefs-d’œuvre vidéoludiques de ces dernières années, aux côtés du créateur du jeu lui-même, Neil Druckmann. Une expérience dont il parle avec un enthousiasme très communicatif.

    Quelle a été votre réaction lorsque vous avez terminé pour la première fois le jeu The Last of Us ? Avez-vous eu des considérations distinctes en tant que gamer et en tant qu’auteur de fiction professionnel ?

    En tant que joueur, je me rappelle avoir été très fortement marqué par le déroulement du jeu en général. J’ai été submergé par des sentiments très forts, et ce dès l’incroyable scène d’ouverture. Et puis j’ai terminé le jeu. Et là, je suis resté assis, un peu hagard, en me disant : « What the fuck ? Mais comment ont-ils fait ça ? ». Ce que Naughty Dog et Neil Druckmann ont accompli avec The Last of Us est d’une bravoure incroyable, que ce soit dans les choix créatifs ou narratifs. Les gens ont un peu tendance à oublier qu’à l’époque, faire de l’héroïne de votre jeu une gamine de 13/14 ans, ce n’était vraiment pas commun. Et finir l’histoire sur cette simple ligne de dialogue, wow, c’était du jamais vu !

    Et en plus, cette audace se doublait d’une exécution artistique incroyable. J’étais juste béat d’admiration. Et bien sûr, dans un petit coin de ma tête, je me suis tout de suite dit : « J’adorerais adapter ça en fiction live, mais bon, ne rêve pas, ça n’arrivera jamais. ». Et pendant longtemps, en effet, ça n’est pas arrivé ! (rires) Mais au bout d’un moment, Neil a abandonné cette idée folle qu’il avait d’adapter le jeu sous la forme d’un film de cinéma. Et un jour, on a eu la chance de pouvoir s’asseoir à la même table et de discuter de la possibilité d’en faire une série télé.

    Comment s’est déroulée cette première rencontre avec Neil Druckmann ?

    Nous nous sommes rencontrés lors d’une sorte de « blind date » organisée par une amie commune, Shannon Woodward, qui incarne Dina dans The Last of Us: Part II. Je savais que Neil et Naughty Dog avaient récupéré les droits d’adaptation du jeu. Je savais aussi que Neil état très fan de Chernobyl. Je suis donc allé le voir dans les locaux de Naughty Dog – j’ai d’ailleurs pu admirer le mur où sont affichées toutes les récompenses qu’ils ont reçues ! J’ai rencontré des gens de l’équipe et vu qu’à l’époque, ils travaillaient sur le deuxième jeu, Neil m’a montré un aperçu de ce dernier ! Je trépignais littéralement.

    Puis on est allés manger un bout et on a très vite discuté de la façon dont on pourrait adapter The Last of Us en série. Nos échanges ont tout de suite été très naturels. À la fin de ce déjeuner – et même si nous n’en étions qu’au stade préliminaire de notre réflexion –, je pense que nous avons tous les deux senti qu’une vraie confiance s’était installée. Et je crois qu’à peine une semaine plus tard, nous sommes allés dans les bureaux de HBO pour leur dire : « Voilà, c’est la série que nous voudrions faire. Qu’en pensez-vous ? ». Ils ont répondu : « Ça a l’air très bien ! ». Et depuis, nous n’avons cessé de travailler en tandem.

    Neil et vous avez clairement choisi de vous concentrer sur les personnages et la narration en laissant de côté certains des passages d’action les plus frappants du jeu. Vous risquez même de frustrer les fans, par exemple avec le dernier plan du pilote qui évoque clairement la scène des buildings détruits… que vous ne montrez finalement pas. C’était une façon d’indiquer les priorités de votre travail d’adaptation ?

    Nous n’avions pas vraiment l’intention d’indiquer des intentions d’adaptation précises. Notre réflexion était très simple : ne garder que les éléments qui, selon nous, allaient plaire au public. Les scènes d’action du jeu sont par nature des séquences de gameplay, et bien sûr, elles sont pour beaucoup dans le plaisir que le joueur prend à vivre cette aventure. Mais la télévision est un medium passif et nous abordons ce récit uniquement du point de vue d’une narration télévisuelle. C’est une chose que nous avons toujours eue en tête. Le gameplay d’un jeu est en grande partie basé sur la répétition d’actions afin de s’améliorer et de maîtriser les mécanismes ludiques. Dans le jeu The Last of Us, on prend un pied pas possible à s’accroupir, ramper, trouver le moyen le plus furtif et efficace de tuer les ennemis.

    C’est super fun. Mais en tant que spectateur d’une série, on n’a pas envie de voir ce genre de choses non-stop. Nous avons donc décidé de nous concentrer sur les personnages, leurs relations, et la ligne narrative globale. Toutefois, quand nous montrons de l’action, nous tenons à ce que l’impact sur le spectateur soit décisif et que ces séquences racontent toujours quelque chose sur les personnages. Déjà dans le jeu, les épreuves que les héros traversent changent leur personnalité, leur perspective sur les choses. Il était important de conserver cette approche dans notre narration.

    bee33c41-b273-4cda-8561-b181bb9aa70b-image.png
    – Neil Druckmann, créateur du jeu, en pleine discussions avec un Clicker durant le tournage de la scène du musée du deuxième épisode.

    Comment s’est déroulé le travail de structuration de la saison ? Était-il intimidant de vous emparer d’un tel monument ludique et de faire des choix parfois radicaux ?

    Oh oui, très intimidant. Toutefois, la structure du jeu, qui est découpé en chapitres, nous a beaucoup facilité les choses. Nous avons en revanche énormément réfléchi à la conclusion de chacun des épisodes car, bien sûr, nous avons envie que les spectateurs reviennent la semaine suivante. J’étais du coup assez content de voir qu’après la diffusion du pilote, beaucoup de gens étaient énervés à l’idée de devoir patienter une semaine pour voir la suite. (rires) Personnellement, j’adore ce sentiment d’arriver à la fin d’un épisode et de me dire : « Oh non, je vais devoir attendre ! ».

    Mais durant tout le processus d’écriture, la seule chose qui m’intimidait vraiment, c’était de devoir montrer mon travail à Neil. Surtout lorsque je commençais ma phrase par : « Écoute, là, j’ai envie de faire un truc assez assez différent… ». En particulier, j’ai pas mal flippé lorsque je lui ai exposé ce que je voulais faire dans l’épisode 3. Là où j’ai eu de la chance, c’est que la plupart du temps, il était partant. Sa philosophie, c’était que si on devait apporter un changement important, il fallait que cela vaille le coup, que ça améliore vraiment l’histoire.

    Justement, les différences narratives entre le jeu et la série ont-elles essentiellement été dictées par des nécessités liées à la structure d’une fiction télévisuelle ?

    Oui, certaines différences résultent clairement du passage d’un medium à l’autre. J’ai tendance à penser que le processus d’adaptation est un art trop peu reconnu. Mais l’un dans l’autre, je pense que la plupart de ces modifications sont venues d’une envie de concrétiser des choses que Neil n’avait pas pu faire dans le jeu. Dans ce dernier, vous êtes obligé de voir l’histoire à travers les yeux de Joel, puis d’Ellie à certains moments – ce qui, à l’époque, était déjà une idée assez radicale. Votre perspective était liée à l’avatar que vous dirigiez avec votre manette. Joel ou Ellie devaient toujours être présents, même dans les cut scenes. Nous n’avions pas cette obligation et cela nous a ouvert de nouveaux horizons.

    Nous avons dû réfléchir aux opportunités que cette liberté nous offrait. Nous avons globalement suivi notre cœur et je pense que la plupart des changements que vous avez pu constater dans la série découlent de ce processus.

    À ce titre, l’épisode 3 est clairement l’ajout narratif le plus considérable par rapport au jeu. L’histoire de Bill et Frank permet de raconter cet univers post-apocalyptique selon un autre point de vue, très doux et intimiste. C’est un peu le Left Behind (1) de la série… Qui a eu cette idée ?

    C’est un ajout que j’ai tenu à faire. Je me souviens que lorsque j’ai joué au jeu pour la première fois, j’ai été très intrigué par le personnage de Bill. Quand il parle du partenaire qu’il a perdu, on pense plutôt à une sorte d’associé. Et plus tard, on comprend que ce n’était pas de cette façon qu’il fallait interpréter le mot « partenaire ». Le destin que Neil avait imaginé pour Bill et Frank était vraiment tragique et fonctionnait comme un avertissement lancé à Joel : si ce dernier n’arrivait pas à laisser quelqu’un entrer dans sa vie, il risquait de finir comme Bill, un homme qui s’est non seulement isolé du monde, mais aussi de la seule personne qui l’aimait.

    Quand je me suis mis à réfléchir à cet épisode 3, je me suis vite posé une question assez simple : que peut-il se passer quand on a réussi à se créer un environnement sécurisé dans un monde dangereux ? Bill est tranquille : il a sécurisé tous les accès de la petite ville où il vit en solitaire, il s’est assuré une existence confortable… Qu’est-ce qui allait bien pouvoir le mettre en danger ? À ce moment de la série, on sort de deux épisodes assez intenses en matière de drame, d’action et de tension. Je me suis dit que le spectateur méritait de respirer un peu. Et je n’avais pas vraiment envie de montrer Joel qui débarque et discute avec Bill de la façon dont il pourrait récupérer une voiture en état de marche…

    On avait une opportunité unique, celle de montrer une apocalypse à travers les yeux de quelqu’un qui a tout compris à la façon d’y survivre. Puis de le déstabiliser en introduisant un autre personnage afin de voir si cette relation pouvait survivre dans cet environnement. L’histoire de Bill et Frank fonctionne un peu comme une pierre de Rosette pour les autres relations que raconte la série. Elle met en scène une façon très différente d’aimer quelqu’un, basée sur la bienveillance, l’attention. Et non pas à travers une volonté farouche de protection qui peut déboucher sur le recours à la violence.

    Une fois ceci posé, l’épisode s’est écrit de lui-même. Et lorsqu’est venu le moment de l’envoyer à Neil, j’étais terrifié. Il m’a répondu : « À ce jour, c’est mon épisode préféré ! ». Ce qui montre à quel point il peut être généreux dans le processus créatif, surtout pour quelqu’un qui a imaginé le matériau de base. Dès lors, la création de cet épisode a été un pur bonheur, de l’excellent travail du réalisateur anglais Peter Hoar aux performances extraordinaires de Nick Offerman et Murray Bartlett.

    Je tiens toutefois à préciser que si on a surtout tendance à retenir de cet épisode l’histoire de Bill et Frank, il est aussi très important pour Joel et Ellie. C’est là qu’ils vont vraiment devenir le duo que tous les joueurs connaissent, et c’était quelque chose de très excitant pour moi. D’une certaine façon, ce troisième épisode signe la fin du premier acte de la saison et lance le deuxième acte dans la foulée.

    7da14f28-5243-46d7-9e33-e416a4461e1c-image.png
    – Bill (Nick Offerman), un survivant qui va voir sa routine bouleversée par une rencontre inattendue dans l’épisode 3…

    Parmi les nombreuses qualités de Chernobyl, la plus marquante était certainement le souci de réalisme maniaque de la série. Avez-vous abordé The Last of Us avec un souci similaire, ou comme une expérience totalement différente ?

    C’était assez similaire. Bien sûr, il y a clairement une différence entre respecter une réalité historique et respecter la nature d’un matériau dont vous vous inspirez. Mais d’une part, je tenais à ce que The Last of Us s’appuie sur une solide base scientifique, ce qui explique notamment la scène d’ouverture du pilote. Et d’autre part, je considère qu’il est toujours mieux d’ancrer un récit de science-fiction dans une réalité crédible parce que la douleur ressentie par les personnages paraît plus authentique.

    La violence a un impact différent. Je ne sais pas si vous avez déjà donné un coup de poing à quelqu’un – moi non en tout cas –, mais de ce que j’en sais, ça fait un putain de mal de chien. Se prendre un coup de poing est douloureux, mais en donner un l’est tout autant ! Pour vous en convaincre, il vous suffit de frapper une grosse pierre, la résistance est assez similaire à celle d’un crâne humain. Et quand on donne un coup de poing à quelqu’un, on a de fortes de chances de se casser la main. Ou au moins d’avoir de sérieuses blessures.

    La plupart du temps dans les fictions, les personnages passent leur temps à filer des pains et le lendemain, tout va bien ! Nous, nous aimons quand les blessures durent, quand elles sont visibles. Nous voulions sentir l’âge du corps de Joel, Et plus largement, on voulait parler de choses que personne n’aborde dans les récits post-apocalyptiques. Les menstruations, par exemple. La moitié de la population de la planète est concernée par ce phénomène, alors que faire lorsque l’apocalypse débarque ? On avait vraiment envie de montrer de la manière la plus exacte possible ce que serait la vie quotidienne dans un tel environnement. Cela donne, je pense, encore plus de poids aux événements les plus flippants ou tristes de la série.

    Comment Neil Druckmann a-t-il vécu le processus du tournage, notamment lors du deuxième épisode qu’il a lui-même mis en scène ? Revisiter l’histoire des jeux dont il a supervisé la création, voir les acteurs dans leur costume, arpenter les décors… L’expérience est forcément différente des séances de performance capture.

    L’une des choses que j’ai adorées durant la fabrication de la série, c’était montrer à Neil les décors, les accessoires… Je me rappellerai toujours du moment où je lui ai fait découvrir l’un de nos Clickers (2), avec l’acteur maquillé et habillé : il en a pleuré. Cela fait tellement longtemps qu’il vit avec cet univers en lui que le voir se concrétiser sous ses yeux lui a causé de vives émotions. Il a été extrêmement touché par l’amour et la dévotion de toute l’équipe envers le matériau de base, et j’étais du coup très ému de le voir ému.

    Sa vision de la mise en scène était très intéressante. Durant les séances de performance capture, vous êtes dans un environnement neutre et les comédiens sont recouverts de costumes spéciaux pour enregistrer leurs mouvements. Et une fois que vous avez obtenu ce que vous vouliez, vous utilisez le moteur du jeu pour sélectionner vos angles de caméra, vos éclairages, etc. Vous avez un contrôle total. Mais même s’il avait la possibilité de choisir les angles de vue les plus extravagants, il a préféré adopter un style réaliste en respectant la topographie des lieux virtuels, en utilisant un style très caméra à l’épaule.

    En revanche, il n’avait pas à subir la préparation qu’exige un tournage live, où il faut arriver avec tous les angles en tête pour que le tournage puisse se faire dans le temps imparti. Là, vous ne pouvez pas vous planter parce que le lendemain, vous devrez shooter tout autre chose.

    C’est très excitant parce qu’il faut constamment réfléchir pour être sûr qu’on a tout ce qu’il faut, qu’on n’a rien oublié. Tout le monde vous presse pour avancer, pour préparer le plan suivant, mais il ne faut jamais oublier que quelques jours ou semaines plus tard, vous allez vous retrouver dans une salle de montage, ce qui ne sera pas le cas de ces personnes qui vous demandent de vous magner ! Alors on essaye d’engranger le maximum de rushes. Et Neil est quelqu’un d’extrêmement talentueux, il s’est tout de suite adapté à ce type de processus.

    11f2a9fe-6952-444e-8f26-63560f78d07d-image.png
    – Craig Mazin dirige l’interprète d’Ellie, Bella Ramsey.

    La série réussit un exploit assez étonnant : elle est d’une fidélité « philosophique » absolue au jeu, mais existe par elle-même grâce à ses choix de narration et surtout de casting. Certaines de ces décisions ont-elles été dictées par un besoin de différencier les deux expériences ?

    Non pas vraiment, car la nature même du processus d’adaptation fait qu’il va y avoir immédiatement d’énormes différences entre les deux versions de l’histoire. En particulier si vous êtes fan du jeu, et c’est manifestement votre cas. Visionner une série vous place dans un espace mental radicalement différent de celui d’un jeu vidéo. Je ne me suis donc jamais demandé s’il fallait faire des choses spécifiques pour séparer la série du jeu. Tout ce que je voulais, c’était capturer les sensations que j’ai moi-même éprouvées lorsque j’ai joué à The Last of Us et les décupler, les enrichir, en mettant à profit des éléments que Naughty Dog n’avait pas pu développer. Rajouter un peu plus de nuances à la palette de cet univers, en quelque sorte.

    Lorsque j’avais une idée qui allait dans ce sens, j’appelais Neil pour lui en parler. Parfois, ces idées étaient radicales, parfois moins. Je lui demandais ce qu’il en pensait et la plupart du temps, il me répondait : « Tiens, c’est très intéressant, creusons un peu. ». Il lui arrivait aussi de me dire : « Hmm, je ne sais pas trop… ». (rires) Et il avait raison. Mes moments préférés, c’était quand je lui livrais l’une de ces idées radicales et qu’il ne répondait pas tout de suite. Juste un silence. Puis il disait : « Merde, j’aurais aimé penser à ça quand on a fait le jeu ! ». Je pense que le fait d’être fan, de m’inspirer de ce que j’ai ressenti en jouant au jeu, m’a permis d’arriver avec un point de vue différent.

    Bella Ramsey est phénoménale dans le rôle d’Ellie. Comment s’est déroulée son audition ? Y a-t-il eu un moment, un déclic, où vous vous êtes dit : « OK, c’est elle. » ?

    Nous avons fait passer beaucoup d’auditions, je pense que nous avons vu plus d’une centaine de comédiennes entre 9 et 25 ans. En tant que scénariste, je trouve que le processus est parfois difficile, car lorsque certaines performances ne sont pas vraiment concluantes, on a tendance à se dire que c’est peut-être de notre faute, que le matériau qu’on a écrit n’est pas si bon que ça. Ça a tendance à me déprimer ! (rires) Mais lors de certaines auditions, je me suis aussi dit : « Hey, ce n’est pas si mal ! », et on avait le sentiment que ça pouvait coller.

    Puis est arrivée l’audition d’Ella. Je ne connaissais pas son nom et lorsque j’ai vu sa bouille, je me suis juste exclamé : « Tiens, c’est Lyanna Mormont de Game of Thrones ! J’aime bien Lyanna Mormont ! Je l’adore même ! ». Mais je ne me suis pas non plus dit : « Oh mon Dieu, pourquoi n’avons-nous pas pensé plus tôt à Lyanna Mormont ? ». (rires) J’étais intrigué : « OK, voyons voir ce que va nous faire Lyanna Mormont… ». Nous avons donné à chaque actrice deux scènes à faire. Dès la première scène de Bella, j’étais déjà convaincu, je n’avais pas besoin d’en voir plus.

    Mais j’étais aussi terrifié à l’idée d’être le seul à penser ça, j’avais peur que personne ne soit du même avis que moi. J’ai appelé Neil, je lui ai juste dit : « Mec, il faut que tu voies ça. ». C’est tout ; je ne voulais pas lui survendre Bella. Il m’a rappelé après avoir visionné la scène et m’a dit : « C’est bon, on a trouvé Ellie. ». C’était l’évidence. Bella est restée elle-même sans rien forcer. Elle ne connaissait même pas le jeu. Elle a fait naturellement preuve de la sagesse et de l’intelligence dont le personnage avait besoin. Elle est très drôle, mais elle dégage aussi une certaine vulnérabilité.

    La Ellie que les fans du jeu connaissent et adorent existe grâce à la merveilleuse performance d’Ashley Johnson. On avait peur de ne pas pouvoir retrouver un même niveau de jeu pour la série. Bella a réussi l’impossible. Je crois qu’Ashley avait vingt-sept ans quand elle a incarné Ellie pour la première fois. Et si elle a réussi à se transformer en une gamine de quatorze ans simplement à travers ses prouesses vocales, on pouvait ressentir la maturité d’une personne plus âgée.

    Bella a réussi à retranscrire ce trait de personnalité. Elle avait dix-sept ans lorsque le tournage de la série a débuté, donc trois ans de plus que le personnage. Elle est physiquement plus menue que son équivalent vidéoludique. Ce qui est incroyable, c’est qu’on a l’impression qu’elle est à la fois plus jeune et plus vieille qu’Ellie. C’est difficile à expliquer. Je suis très excité à l’idée que les gens puissent enfin découvrir sa performance. Cela fait trois ans que je suis admiratif de son travail, et ça m’a fait du mal de voir tous ces avis négatifs lorsque nous avons annoncé qu’elle incarnerait Ellie…

    Bien sûr, en tant que fan, je comprends la peur qu’on peut éprouver à l’idée que votre jeu préféré soit gâché par un choix de comédien ou comédienne. Mais il n’est pas nécessaire d’être cruel pour autant… Depuis le début de la diffusion de la série, les gens comprennent enfin ce que j’ai ressenti il y a trois ans lorsque j’ai vu cette audition.

    d0676918-567a-419b-a706-df4732c85754-image.png
    – Les comédiens Pedro Pascal et Anna Torv dans les rôles de Joel et Tess.

    Spoiler

    [ATTENTION, SPOILERS] À propos d’Ashley Johnson, le rôle que vous lui avez donné dans la série est très symbolique et particulièrement émouvant. Pensiez-vous déjà à elle en écrivant cette scène ?

    Oh oui ! Cette storyline s’est immiscée dans la série lors des très nombreux interrogatoires auxquels j’ai régulièrement soumis Neil. Souvent, c’étaient des questions très concrètes : « Comment peut-on rejoindre la FEDRA ? Où dorment les Fireflies ? Qu’est-ce qu’ils mangent ? ». Et parfois, je posais des questions plus profondes : « OK, Ellie est orpheline. Mais elle a forcément eu une maman. Comment est-elle morte ? Pourquoi ? ». Et Neil m’a répondu : « OK, voici l’histoire, on a toujours eu envie de la raconter mais on n’a jamais trouvé le bon moment. ».

    Il avait pensé à en faire un comic-book, mais le projet ne s’est jamais concrétisé. Il m’a donc tout raconté et je me suis exclamé : « On le fait ! On le met dans la série ! ». Et tout de suite après, on s’est regardés et on a tous les deux dit : « Ashley. ». Et voilà. J’ai tellement hâte que les spectateurs découvrent sa performance, elle est tellement géniale, vous n’avez pas idée à quel point. [FIN DES SPOILERS]

    Elle est aussi excellente dans la websérie Critical Role (3).

    OK, donc vous savez à quel point elle est géniale. (rires) Ce que j’adore dans Critical Role, c’est qu’on voit tout de suite à quel point Ashley est une belle personne. Elle fait partie des gens les plus gentils et humbles que j’ai rencontrés et elle se donne à fond dans son travail. Même chose pour Troy Baker, qui joue Joel dans le jeu. Troy a incarné à peu près tous les personnages iconiques des plus gros jeux vidéo sortis ces dernières années (4). Et quand vous discutez avec lui, il ne sonne pas comme Joel, pas plus qu’il ne sonne comme Talion (le héros des jeux La Terre du Milieu – l’ombre du Mordor & L’Ombre de la Guerre – NDR). Alors qu’Ashley sonne comme Ellie. Quand je suis avec elle, je suis avec Ellie.

    Suite au succès du pilote de la série, il y a de fortes chances pour que Neil et vous ayez déjà des idées pour la saison 2. Et même si une adaptation du jeu The Last of Us: Part II donnerait à coup sûr un mémorable moment de télévision, vous donnez-vous la liberté de vous en éloigner pour explorer d’autres façons de raconter cet univers ?

    En effet, nous venons tout juste de commencer à y réfléchir. Du coup, je n’ai pas vraiment de réponse à vous donner. Quoi que nous fassions, nous resterons fidèles à la philosophie qui nous a guidés durant cette saison, à savoir que nous ne nous interdirons jamais de changer des choses si cela permet d’améliorer l’histoire. Mais nous n’avons pas encore défini les limites que nous nous imposerons. Il y a des choses dans la saison 1 que nous n’avions pas prévues au départ, comme l’épisode 3.

    L’important, c’est que nous ne cessions jamais de nous donner la possibilité de changer d’avis, de tenter de nouvelles choses et de nous imposer des challenges. On ne sait jamais sur quoi ça peut déboucher. Mais je tiens tout de même à dire que j’adore The Last of Us: Part II. Et je pense que le jeu contient beaucoup d’histoires qui valent le coup d’être racontées.

    (1) Left Behind est le titre du premier DLC narratif de The Last of Us, qui racontait les circonstances tragiques durant lesquelles Ellie découvre sa condition…

    (2) Créatures résultant d’un stade avancé d’infection au virus cordyceps, responsable de l’apocalypse mise en scène dans la série.

    (3) Critical Role est une websérie mettant en scène des parties de Dungeons & Dragons pratiquées par un cast d’acteurs spécialisés dans le doublage. Ashley Johnson est membre permanente du show ­– qui a été adapté en série animée sur Prime Vidéo –, ainsi que Laura Bailey, qui incarne le personnage d’Abby dans The Last of Us: Part II.

    (4) En plus de jouer Joel dans les The Last of Us, Troy Baker compte à son actif les personnages de Samuel Drake dans la saga Uncharted, Erron Black et Shinnok dans Mortal Kombat X et 11, Magni dans God of War, John Jones dans Fortnite, Batman dans Batman: The Telltale Series et Lego Dimensions, Ocelot dans Metal Gear Solid V: The Phantom Pain, etc.

    Propos recueillis par Laurent Duroche
    Merci à Olivia Malka et Tilly Miller
    Mad Movies #368

  • 1 Votes
    4 Messages
    162 Vues

    @Violence a dit dans [Carrière] M. Night Shyamalan : Une lumière dans la nuit :

    c’est que Mad Movies ont de très bonnes analyses des films

    Effectivement (c’est pas du Écran large :smile:)

  • 0 Votes
    1 Messages
    115 Vues


    – Damien Saez (ici en 2019) a fait son retour le 9 décembre dernier avec «Telegram», un mini-album de cinq chansons inspirées par l’invasion de l’Ukraine. LP/Yann Foreix

    Le rockeur remonte sur scène ce jeudi 29 décembre au Zénith de Paris, trois ans après son dernier concert. Il y enregistrera en direct son nouvel album, «Mélancolie», avant deux nouveaux disques prévus en 2023. Sa parole se fait de plus en plus rare et… cash.

    Notre dernière discussion avec Damien Saez remonte à trois ans et avait eu lieu en visioconférence… Il innovait sans le savoir, trois mois avant l’arrivée du Covid-19 et la généralisation de ce mode de communication… Le chanteur, auteur et compositeur de 45 ans venait d’annuler les trois ultimes dates de sa tournée « pour raisons de santé ». Entre deux hospitalisations, le 3 décembre 2019, il avait tenu à assurer son premier Bercy devant une salle pleine, mais avait dû jeter l’éponge une semaine plus tard. Il nous avait alors parlé de « soucis à la tête, qui seraient liés à des vertiges et à l’oreille interne », mais n’avait pas encore de diagnostic précis.

    L’auteur de « Jeune et con » a fait son retour le 9 décembre dernier avec « Telegram » — du nom de la messagerie instantanée sur les téléphones mobiles —, un mini-album de cinq chansons inspirées par l’invasion de l’Ukraine. On l’a retrouvé une semaine plus tard dans sa maison de disques, Wagram Music, avec des… béquilles. L’artiste s’était abîmé les ligaments de la jambe, mais espérait remonter sur scène sans leur aide ce jeudi 29 décembre au Zénith de Paris pour enregistrer en direct son nouvel album, « Mélancolie ».

    – Vous serez ce jeudi au Zénith de Paris pour enregistrer un double album inédit. C’est-à-dire ?

    DAMIEN SAEZ. Ce sera acoustique, assis, en guitare-voix. La plus grosse partie, ce sont des nouvelles chansons. Mais je ne sais pas combien. Cela dépendra des répétitions, qui sont perturbées par mes problèmes à la jambe. De « Telegram », je ne chanterai qu’un titre. Et puis le 1er juillet 2023, on fera un autre double album dans les Arènes de Nîmes avec un grand orchestre. En 2023, il y aura aussi un nouvel album studio, je pense en mars, disponible en NFT (œuvre d’art numérique). Ensuite, il y aura une tournée de Zénith en novembre et décembre.

    – Les prix des places, vendues avec le nouveau double album, un recueil de vos textes et un abonnement à votre site, est à 116 euros !

    Je suis d’accord, c’est cher ! Mais on vendra des places seules au dernier moment… Et vous savez combien coûte la location du Zénith, combien je paye les musiciens d’un grand orchestre ? Jouer aux arènes de Nîmes avec un orchestre, c’est plusieurs centaines de milliers d’euros ! Le Zénith de Paris et la sécu, c’est pas 20 000 euros ! C’est dix fois plus ! Ma vie, c’est en studio et sur scène. C’est du cousu main, de l’artisanat, et ça a un coût.

    – Vous avez créé un site payant (culturecontreculture.fr) pour partager votre musique avec vos fans. Est-il viable ?

    La musique, aujourd’hui avec le streaming payant, est viable sur six ans. Les ventes de disques ont chuté, si j’en vends 15 000, c’est bien. Je suis endetté… Je ne fais que rembourser des dettes depuis quinze ans. Je n’ai pas les moyens de vivre à Paris, mais je n’ai pas baissé pour autant le salaire de l’ingénieur du son et des musiciens avec qui j’ai la chance de travailler. Ce n’est pas une complainte, c’est un fait.

    – Et pourtant vous proposez aux acheteurs de votre nouveau CD de les rembourser. Pourquoi ?

    L’idée est de laisser aux gens le choix de reverser l’argent (15,99 euros) en faveur de l’Ukraine ou pour les aider à payer leur facture, car c’est quand même pas la joie dans le pays. Je voulais aider sans être dictatorial. Ce n’est pas Robin des Bois, tout le monde prend sa commission, sauf moi. J’ai fait ce disque en studio, j’ai joué tous les instruments, donc ça va financièrement. J’utilise le système des NFT, qui pour moi est l’avenir de l’Internet. Je n’ai pas besoin d’argent pour faire l’œuvre mais l’œuvre est à vendre. Et comme pour un tableau, l’acheteur est un de ses possesseurs. Avec le NFT/Blockchain, on peut avoir un lien direct avec les gens mais aussi tracer les informations et donc combattre les fake news.

    – Comment sont nées ces chansons sur l’Ukraine ?

    Je les ai écrites et composées de façon assez limpide, il y a six ou sept mois, après que la guerre a éclaté. Mais je pense qu’il est mieux de les sortir maintenant que l’émotion est moindre alors que ce qu’il se passe n’est pas moindre.

    – Connaissez-vous l’Ukraine ?

    Je n’y ai jamais chanté mais je connais des gens d’Ukraine et de Russie. Mais faut-il connaître pour écrire ? C’est terrible et c’est à 2 000 km d’ici. Je vais dire un truc horrible, mais nous, on n’a pas l’odeur de la guerre…

    **– Les femmes dont vous parlez dans « Ievguenia » et « Telegram » existent-elles ?

    Oui. Ievguenia, je l’ai connue il y a plus de vingt ans. Mais contrairement à ce que je chante, elle n’est pas décédée. Quant à Natalia (à qui il s’adresse dans une histoire d’amour née sur « Telegram »), on s’arrête là (il éclate de rire). Cette chanson m’a fait plaisir en tout cas. J’ai presque retrouvé une ancienne façon d’écrire, simple et imagé.

    – Est-ce que ça vous donne envie d’aller jouer en Ukraine ?

    Ah je pourrais ! C’est pas une mauvaise idée, d’ailleurs !

    – Qu’avez-vous fait depuis trois ans ?

    Bossé, écrire des chansons, beaucoup… Je suis tellement casanier, le confinement n’a rien changé à ma vie. Les gens ont découvert comment je vis, enfermé en studio ou dans ma grotte. Aujourd’hui, je vis entre la montagne et la Touraine.

    – Il y a trois ans, vous nous aviez dit que vous alliez vous reprendre en main côté santé. L’avez-vous fait ?

    Un petit peu, oui, ça va mieux. Mais quand on s’était parlé, en décembre 2019, j’avais en fait le Covid. Avant qu’il ne se déclare en février partout. J’ai eu une fin de tournée catastrophique, parce qu’il a tourné en pneumonie. Deux mois après, j’étais encore essoufflé, avec un peu d’asthme sur les sept-huit mois qui ont suivi. J’ai rechopé le Covid plusieurs fois.

    – Vous vous êtes fait vacciner ?

    Non. Je n’y serais pas allé mais en plus je l’ai chopé tout de suite. Vaccin ou pas, le pouvoir a séparé les gens. Leur manque d’honnêteté et leur entêtement ont fissuré la société. On a volé leurs 18 ans aux jeunes ! Quand on se prétend pays de la santé, quand on paye tant d’impôts, on doit être à la pointe, avoir des masques…

    Mais je peux pointer du doigt cette même jeunesse qui bronche plus vite pour George Floyd (symbole des violences policières aux États-Unis) que pour l’état de nos hôpitaux, qui a la tête tout le temps dans son téléphone. Ce monde est pire qu’avant, c’est l’enfer ! C’est dingue ce qu’on accepte ! Le terme « influenceur », par exemple… Être influençable, c’est notre lot commun ? On est vraiment pathologiquement chelou. Et je me mets évidemment dans le lot.

    – Le rôle d’un artiste a-t-il changé ?

    Qui ? Les artistes qui reversent leurs droits YouTube pour une œuvre caritative ? Ils donnent 12 euros, c’est terrible ! Pour moi, il n’y a plus d’artiste… 99,9 % ne sont là que pour vendre des téléphones ou des streams (écoutes de chansons sur Internet) ! J’essaye de mettre mes petites traces sur du papier pour raconter… « Fils de France », « J’accuse », « Il faut du gasoil dans la bagnole », qui est toujours d’actualité. Depuis plus de vingt-cinq ans, je n’ai pas ménagé ma peine, mais j’ai de la chance de continuer sans avoir à twerker à la télé.

    – Source

  • 1 Votes
    6 Messages
    179 Vues

    Film à deux visages, gore et mièvrerie composent un ensemble plutôt bizarre et mal équilibré.

    On aurait pu faire un film dans chaque genre avec le script et le résultat aurait sans doute été bien supérieur.

    Mais j’ai quand même eu quelques rires francs, le premier dans la scène pipicaca pour ado au début du film quand le père Noël se tire, surtout à cause de l’iconoclastie de la chose.

    Edit: Kriss de Noël et calice de je ne sais plus quoi, sans l’accent Québécois, ça fait bizarre.
    Quelques violences verbales superflues et mal à propos aussi.

    Ce film va avoir de la peine à trouver son public.

  • 0 Votes
    1 Messages
    56 Vues

    Révélé par le court-métrage d’animation Butterfly, plébiscité au début des années 2000 par Ray Harryhausen en personne, Corin Hardy a tourné pendant dix ans des clips vidéo pour Keane, Paolo Nutini, The Prodigy ou encore Olly Murs avant de signer deux films d’horreur, Le Sanctuaire en 2015 et La Nonne en 2018. Invité par Gareth Evans à tourner un tiers de la saison 1 de Gangs of London, le cinéaste a légitimement hérité d’un poste de showrunner sur la deuxième saison.

    Quand avez-vous fini votre travail sur la saison 2 de Gangs of London ?

    Il y a quelques semaines seulement, à la mi-septembre. Nous nous sommes parlé pour la dernière fois il y a environ deux ans, et je n’ai cessé de bosser sur la saison 2 depuis. Je suis pressé que le public puisse la découvrir,

    Gareth Evans était-il impliqué dans cette nouvelle saison ?

    Non, il a été très occupé sur son nouveau film Havoc. Dès la fin de la première saison, il a enchaîné sur la préproduction de ce long-métrage. Il est resté producteur exécutif sur Gangs of London, donc il m’est régulièrement arrivé de lui demander des conseils, notamment pour préparer le planning de tournage de certaines séquences d’action. Son scénariste Matt Flannery est parti lui aussi sur Havoc.

    Il a visiblement été remplacé à l’écriture par Tom Butterworth (notamment coscénariste de La Dernière légion de Doug Lefier - NDR).

    En effet, Tom est devenu le scénariste principal, et je suis devenu le réalisateur principal. Tom et moi avons travaillé étroitement sur la trajectoire dramatique des personnages et l’évolution des enjeux. Quand j’ai bouclé le dernier épisode de la saison 1, j’ai noté dans un carnet plein d’idées que j’aurais aimé voir figurer dans la saison 2, liées à des relations entre différents personnages, mais aussi à des situations et des morceaux de bravoure potentiels.

    Quand on m’a demandé de m’occuper de la nouvelle saison, le Covid a paralysé tout le monde et j’ai planché sur les premiers épisodes de chez moi pendant environ six mois. Je n’avais jamais occupé un rôle de showrunner par le passé, mais je savais que ce n’était pas l’ambiance habituelle. Normalement, on se rassemble dans une pièce, on discute des scripts et on a parfois les meilleures idées devant la machine à café, pendant la pause. On a quand même réussi à créer une carte narrative de la saison et j’ai travaillé étroitement avec le designer de l’action Tim Connolly, qui nous a rejoints pour l’occasion.

    Le premier épisode de cette nouvelle saison regorge de scènes d’anthologie, comme c’était le cas dans la précédente. Comment vous êtes-vous réparti la tâche avec Tim Connolly dans la chorégraphie de l’action ?

    Je me suis beaucoup inspiré du travail de Gareth. On ne peut pas réussir une scène d’action par accident. Ça exige des mois et des mois de préparation. Le défi, dans un show TV comme celui-ci, est de concocter, mesurer, évaluer et valider les scènes d’action suffisamment à l’avance pour avoir le temps de les designer, de les story-boarder, de les répéter avec les acteurs, de rassembler tous les accessoires et les effets spéciaux nécessaires…

    Il faut même prévoir les impacts de balle et les effets visuels numériques. Si vous cochez toutes ces cases, une fois sur le plateau, vous pourrez exploiter au mieux le temps qui vous est imparti. Et parfois, on n’a que deux jours pour tourner une séquence entière. Dans l’épisode 1, je joue beaucoup sur le teasing, par exemple lors de l’introduction du personnage d’Elliot. L’idée était d’attraper le public, de le plonger au milieu de l’action alors qu’on essaie de rejoindre le héros.

    C’est presque du James Bond ou du indiana Jones : on est à la fin d’une mission et on retrouve Elliot dans un moment à la fois fort visuellement et très signifiant. Ce n’est pas un assassin élégant qui élimine discrètement ses cibles : il fonce dans le tas et il est visiblement épuisé. Dès cette séquence, je voulais faire comprendre au public qu’on n’allait pas y aller avec le dos de la cuillère.

    La réalisation de cette scène est très originale. Les combats en plans-séquences sont à la mode depuis quelques années, et c’est presque devenu un concours. ici, le plan-séquence n’est pas le combat mais la mise en place du combat. C’est assez rafraichissant !

    Je comprends totalement ce que vous voulez dire. Pendant la préparation de la saison 2, mon rôle était de m’assurer que les scénaristes parviennent à réfléchir de façon cinématographique, outrancière et épique. Ça ne devait pas être de la télévision conventionnelle, où l’on peut comprendre l’histoire juste en écoutant les dialogues. J’ai monté quatre heures d’extraits de films que j’adore : À toute épreuve, The Killer, Old Boy, Heat, RoboCop, A History of Violence

    Le combat au couteau situé dans une voiture dans J’ai rencontré le Diable de Kim Jee-woon est aussi un bon exemple. C’est un moment visionnaire, choquant, magnifique, cinématographique.… Je voulais que les auteurs s’en imprègnent et qu’ils osent imaginer des choses comme Ça. On a tendance à croire qu’on est limité dans ce qu’on a le droit de faire au Royaume-Uni. Je voulais qu’on respecte l’ADN de la saison 1, mais il était indispensable qu’on s’inscrive aussi dans l’héritage de ces films.

    c23167da-9b32-4956-8818-be6f65365414-image.png

    Savoir ce qui a été fait auparavant, ça aide à comprendre ce qui n’a pas encore été tenté dans le genre.

    Exactement, et c’est aussi pour ça que j’ai montré ces extraits aux scénaristes. J’ai aussi développé une bible de Gangs of London. Sur 150 pages, j’explique ce que je trouve réussi dans la saison 1 visuellement, tonalement, créativement, et j’énonce aussi les règles de cet univers, entrecoupées par mes propres croquis. Ça nous a permis de sortir des sentiers battus pour de nombreuses séquences. Prenons l’exemple du final de l’épisode 1, où l’action vire au home invasion. On a déjà exploré pas mal de genres dans la série, et je pense qu’on peut facilement les mélanger à l’écran.

    Incorporer des éléments de film d’horreur fonctionne, sauf si d’un point de vue tonal, le spectateur a l’impression d’avoir zappé sur un autre show. Luan et sa famille vivent dans une gigantesque villa, ce qui me permettait de faire monter progressivement le suspense en multipliant les plans-séquences dans cet énorme espace. Narrativement, il y a une raison très concrète pour laquelle des assassins masqués envahissent sa demeure, mais ça me permettait clairement de jouer avec les codes horrifiques.

    Il y a des plans tout droit issus du slasher, par exemple quand un personnage ouvre le frigo et le referme. Vous faites Ça trois fois de suite, on s’attend à ce qu’un tueur apparaisse derrière la porte, vous jouez même avec les couteaux, les masques… On se croirait presque dans Scream ou Halloween ! Ce n’est pas le seul clin d’œil au cinéma d’horreur que compte l’épisode 1. Les toilettes où se réfugie Alex Dumani sont d’un rouge vif qui évoque immédiatement Shining. En plus, on a droit à une brève apparition fantomatique dans ce décor…

    Vous savez quoi ? Je n’ai même pas demandé à l’équipe du production design de recréer les toilettes de Shining. On a trouvé de vraies toilettes rouges et j’ai trouvé ça génial et tout à fait pertinent pour la séquence. Je crois qu’on a quand même ajouté les miroirs.

    Parlons-en, des miroirs. Le personnage d’Alex projette une façade en permanence, et vous le soulignez à travers des jeux de reflets très élaborés, notamment une transition très parlante entre deux décors où l’on retrouve Alex exactement dans la même position. Il y a un effet de miroir dans le montage.

    J’aimerais que tout le monde regarde la série avec la même attention |! (rires) En effet, Alex a été promu et la pression qu’il subit est écrasante. Il a réussi sur le dos de son meilleur ami. Dans une version antérieure du script, tout le monde était d’ailleurs persuadé qu’il avait tué Shaun. On venait lui serrer la main pour le féliciter ! Et il ne niait rien. Alex est quelqu’un de très intelligent, il cherche une porte de sortie pour sa famille tout en étant rongé par la culpabilité. Je voulais raconter ça visuellement, ce qui est toujours plus intéressant que de communiquer les informations et les états d’âme des personnages à travers les dialogues.

    6a061710-ac76-4331-a9e6-2f22faaf9c06-image.png

    Toute la caractérisation est visuelle. Le personnage de Lucian Msamati utilise un BlackBerry, ce qui tranche avec les autres.

    Oui, il est old school et même un peu ancré dans le passé. Il est un peu relégué à un rang subalterne et dénigré par les autres alors qu’Alex a été promu. Je voudrais revenir sur le plan-séquence dont on parlait tout à l’heure. Je voulais que ce choix de mise en scène compte vraiment, qu’il n’ait pas l’air aléatoire. Souvent, quand on voit un plan-séquence, on se dit qu’il est cool mais ça n’a pas de résonance thématique. À travers ce plan, je voulais qu’on rattrape le temps qui s’est écoulé depuis la première saison et qu’on découvre où Elliot se trouve un an après. Il y a évidemment une volonté de repousser les limites du format télévisuel, je ne vais pas le nier.

    On avait deux jours et demi pour tourner la scène, donc il a fallu la concevoir en fonction du planning. La première idée qui m’est venue, c’est ce moment où il écrase la tête d’un méchant dans la machine à laver. Ça m’a fait rire. Or, à l’écran, on ne le voit pas : on entend le bruit et ensuite on découvre les conséquences du carnage d’Elliot. On essaie de le rattraper en permanence, en entendant ce qui se déroule hors-champ. C’était donc un équilibre entre des intentions de mise en scène et des partis pris économiques.

    Pour un plan comme celui-là, il faut savoir jouer avec les accessoires, et c’est d’ailleurs très jouissif de concevoir des décors de façon aussi précise. J’ai utilisé deux jumeaux pour le moment où un méchant se fait poignarder dans le cou. L’un d’eux passe devant la caméra, puis l’autre apparaît avec le couteau déjà planté et s’effondre au sol. C’est un « Texas switch » à l’ancienne ! Quand on arrive au combat proprement dit, il faut que ce soit plus brutal et chaotique. J’ai eu cette idée d’un type énorme étranglé par le héros.

    C’est l’une des scènes de strangulation les plus violentes de l’Histoire !

    Je prends ça comme un compliment. J’imagine que vous avez deviné ma source d’inspiration pour l’œil exorbité et la langue qui se tend ?

    Total Recall ?

    Exactement !

    Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec l’équipe des maquillages spéciaux ?

    L’équipe n’était pas la même que sur la saison 1. Claire Williams n’était pas disponible, donc elle a été remplacée par Helen Speyer et Richard Martin, un prosthetic designer que je vais retrouver sur mon prochain long-métrage. Il a fait un travail phénoménal sur les effets gore. Je lui donnais des croquis de ce que j’avais envie de voir, représentant des blessures très particulières…

    Quand on tue un personnage, on ne veut pas juste voir une tache de sang sur la poitrine. Si un œil est touché par une balle, on doit voir un morceau de crâne. Ainsi, le spectateur ne glorifie pas la violence, il sait que c’est un monde dangereux. J’ai toujours adoré les effets spéciaux pratiques et les maquillages prosthétiques. C’est difficile de tous les faire tenir dans un budget aussi serré, mais je crois qu’on a réussi.

    Procédez-vous à des séances de brainstorming pour concevoir des mises à mort originales ?

    (rires) C’est horrible quand on le dit comme ça.

    Si ça vous rassure, Peter Jackson et son équipe artistique ont fait la même chose sur la trilogie du Hobbit.

    Je sais que vous comprenez ce que je fais, je n’ai pas à m’expliquer ici sur la manière dont j’aborde la violence comme je pourrais le faire avec un autre magazine. Oui, il est très important de concevoir des morts originales dans une série comme Gangs of London. C’est un pacte que l’on passe avec le spectateur. Je déteste quand un personnage meurt presque hors champ ; on entend juste un bruitage et il tombe, mort.

    Dans la saison 2, une mort en particulier est la meilleure que j’ai jamais tournée. Je ne peux pas vous dire laquelle, mais vous le saurez quand vous la verrez. (rires) Donc oui, j’y pense beaucoup. Si on se débarrasse d’un personnage, il doit y avoir une image finale impactante. Pour le gangster turc, qui est d’ailleurs interprété par l’homme le plus fort du monde, j’ai eu l’idée de tous ces gros plans sur la pression qui monte dans ses yeux, le sang qui éclabousse sa langue… C’est très graphique, et il faut l’être.

    William Friedkin a réussi à se débarrasser de personnages centraux en une seconde dans Sorcerer et Police fédérale, Los Angeles.

    Oui, mais leur mort est un choc majeur. Ça honore ces personnages. Dans l’épisode 1 de la saison 2, un personnage important se jette du haut d’un building. Je tenais à ce que la caméra capte sa chute, ne serait-ce que brièvement.

    Ce plan est très réussi, il est très hitchcockien. Nous parlions un peu plus tôt du BlackBerry, mais d’autres accessoires sont tout aussi signifiants, par exemple le revolver argenté que brandit Elliot face à Alex. Or Elliot est tout en nuances de gris, il évolue des deux côtés de la loi.

    Quand je choisis des armes, je veux bien sûr être un peu réaliste et opter pour les armes qu’utiliserait un tel personnage dans le monde réel, mais je m’autorise une certaine licence poétique. Je n’aime pas les armes modernes car elles ont l’air d’être en plastique. Ce n’est pas comme ce qu’on voit dans L’Inspecteur Harry - et d’ailleurs, Koba utilise un Python dans la saison 2. Je voulais que le flingue d’Elliot reflète la lumière de la Lune. Ce n’est pas très cohérent car il se ferait repérer plus facilement, mais il y a une intention esthétique.

    La scène de home invasion est aussi très impressionnante, en particulier ce long moment sous l’eau.

    Ça ressemble à un plan-séquence mais on a un peu triché. On m’a conseillé de ne pas inclure ce plan, car le planning était encore une fois très serré. Réfléchissez à la manière dont j’ai abordé la scène : je voulais que tout se déroule du point de vue de Luan. Il est dans tous les plans et on ne s’éloigne que brièvement de lui lorsqu’il se met à l’abri. Par conséquent, il était impossible de tourner plusieurs plans en parallèle. On n’avait la maison que pour quelques jours. Je l’avais choisie en raison de son incroyable jardin, qui rendait très bien la nuit, mais ironiquement on n’a pas pu tourner de nuit car le voisinage exigeait un arrêt des prises de vues à 22h.

    On m’a demandé de couper le plan de la piscine parce qu’il était trop complexe à tourner. On ne pouvait avoir Orli Shuka que quelques heures. De là est venue l’idée de la serviette autour de sa tête. Avec la serviette, on pouvait tourner la première moitié du plan avec une doublure, pendant une demi-journée, et une autre demi-journée était dédiée au tournage avec Orli. Nous avons prévisualisé tous les mouvements de caméra, nous avons divisé le plan en six coupes distinctes, et je suis très fier du résultat.

    Le personnage de Koba est l’une des meilleures nouveautés de la saison 2.

    Je suis content que vous en parliez ! Je suis pressé que les fans le rencontrent. J’adore Gary Oldman dans Léon, Alan Rickman dans Piège de cristal, et je voulais un vilain aussi mémorable. Il ne devait pas être simplement maléfique et méchant, il devait aussi avoir des aspects intimidants et étranges. Waleed Zuaiter a fait un travail phénoménal, je l’adore. Tom Butterworth mérite aussi beaucoup de crédit : la scène où Koba demande à un prisonnier d’avaler des balles de fusil définit totalement le personnage. Ça m’a rappelé cette séquence d’Alien où l’androïde interprété par lan Holm attrape un journal et essaie d’étouffer Ripley avec. En forçant ce type à avaler des balles qui pourraient exploser, Koba impose son contrôle. Et ironiquement, on s’attache à lui au fil de la saison ! Vous verrez…

    🎬 – Red Band Trailer :

    Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    Merci à Mylène Daimasso.

  • 1 Votes
    1 Messages
    95 Vues

    Aussi vénérée que Sigourney Weaver par les amateurs de cinéma de genre, Jamie Lee Curtis s’était exprimée pour la dernière fois dans nos pages en novembre 1998, à l’occasion de la sortie de Halloween, 20 ans après. Nous avons profité de sa venue en France pour discuter des enjeux de Halloween Ends et de la vision de David Gordon Green, tout en revenant sur les moments forts d’une carrière qui, de À couteaux tirés à Everything Everywhere All at Once, continue de nous surprendre.

    Je dois vous l’avouer : je vous ai découverte dans Un fauteuil pour deux quand j’avais à peine huit ans.

    Si ce sont les premiers seins que vous avez vus dans votre vie, c’est parfait. Je suis heureuse que ce soient les miens. (rires)

    Ce sont les premiers qui m’ont marqué au cinéma ! Mais dans les années 1980, en France, on avait quand même pas mal de pubs où des filles dénudées se caressaient avec du gel douche.

    Ah, aux États-Unis, on était loin d’avoir ça ! C’était plutôt « ban the nipple ». On est en train de parler de nichons, là, n’est-ce pas ?

    Oui, on vient de commencer notre entretien avec ça. Pourquoi pas !

    (rires) Vous savez pourquoi je suis dans Un fauteuil pour deux ? John Landis réalisait un court documentaire sur le cinéma d’horreur composé de bandes-annonces des années 50. Ça s’appelait Coming Soon. Il avait besoin de quelqu’un pour s’occuper de la narration et il m’a appelée. À l’époque, j’étais la Scream Queen ! Je ne l’avais jamais rencontré auparavant. J’ai travaillé quatre jours sur le projet, dans le backlot d’Universal Studios. Le texte était très descriptif, il y avait un peu de dialogues…

    Mais clairement, quelque chose s’est passé à ce moment-là. John a senti quelque chose de drôle à mon sujet. Quand ils castaient Un fauteuil pour deux, il est allé voir Paramount pour leur dire : « Pour le rôle féminin, vous êtes prévenus, j’engage Jamie Lee Curtis. ». Ils étaient là : « Attendez… Quoi ? Bien sûr que non ! ». Ils n’étaient pas contents du tout, mais John a eu gain de cause. Rendez-vous compte : je dois ma rencontre avec John, donc une grande partie de ma carrière, au cinéma d’horreur ! Si je n’avais pas joué dans Halloween et tout ce qui a suivi, je n’aurais pas narré ce documentaire. Et sans Coming Soon, je n’aurais jamais fait Un fauteuil pour deux. Je ne remercierai jamais assez John ; il a changé ma vie.

    Parlons un peu de Halloween Ends.]*** David Gordon Green dépeint une Amérique très crédible. Le film parle de la manière dont la paranoïa, la haine et la peur peuvent s’emparer d’une population à la manière d’un virus. Ce n’est pas la première fois qu’on vous retrouve dans un film traitant de ce sujet. Même dans une comédie comme À couteaux tirés, il y a une dimension sociale et politique très importante. Avez-vous contribué à rendre la trilogie de David Gordon Green aussi subversive que possible ?

    Je pense avoir eu une influence limitée, mais ce sont évidemment des sujets qui me tiennent à cœur. Quand je serai morte et quand vous serez plus vieux, vous reverrez cette trilogie comme une œuvre socialement et politiquement très puissante. Elle est avant-gardiste, à mon avis ; David Gordon Green et Danny McBride ont fait preuve d’une prescience étonnante et pourtant, aucun d’eux n’est un militant politique.

    En 2016, ils ont écrit un script qui parle de rage et d’émancipation féminines. C’est devenu un sujet absolument énorme deux ans plus tard ! Avec le second opus, ils se sont intéressés à l’indignation sociale et à la violence des foules, et on a vu ça se concrétiser avec l’invasion du capitole. Halloween Ends parle du poison de la colère et de paranoïa, et ça ne pourrait pas être plus actuel. Nous vivons dans un monde terriblement divisé. On vient de le voir avec l’élection d’un parti néo-fasciste en Italie. On ne devrait pas se contenter de dire que c’est de la folie. C’est le résultat de quelque chose et il faut réussir à analyser ça pour avancer.

    Je pense que cette trilogie est importante, qu’elle s’inscrive ou non dans un genre : elle décrit l’impulsion d’un vrai changement politique. Je n’écris pas ces films, je les interprète. Je ne prends donc aucun crédit, il revient entièrement à David et Danny. Ils ont su écouter le monde et le commenter avec pertinence.


    Jamie Lee Curtis en pleine discussion avec David Gordon Green dans l’un des décors de Halloween Ends.

    Ceci étant dit, ces films existent grâce à vous. Vous auriez pu dire non quand on vous les a proposés. John Carpenter aurait pu refuser, lui aussi.

    Oui, j’ai appuyé leur voix par association, en étant Laurie Strode et en parlant de tout cela en tournée promo. Avez-vous vu ce mème où on me voit répéter le mot « trauma » des dizaines de fois en interview ? C’est hilarant ! Mais c’est un exemple de ma participation et de la manière dont j’ai essayé d’explorer ces thèmes.

    Spoiler

    Tout ce que j’ai apporté à Halloween Ends, c’est à la toute fin, quand on perçoit une possibilité d’espoir. J’ai vraiment insisté pour que ce soit dans le film.

    Vous aviez déjà refermé deux fois ce chapitre de votre carrière dans Halloween, 20 ans après et Halloween : résurrection. Le traitement de Laurie Strode dans le premier semble assez différent du film de 2018. Chez David Gordon Green, elle est prête à prendre les armes dès le début. Dans 20 ans après, elle se cache.

    Je pense qu’elle se cache aussi dans la nouvelle trilogie. Elle se cache au grand jour, mais elle se cache quand même.

    Elle est quand même plus proche de Sarah Connor que de la Laurie de 1998.

    Là-dessus, on est totalement d’accord !

    Elle commence donc la trilogie comme Sarah Connor, mais dans le dernier opus, elle décide dès le début du film de déposer les armes. C’est une évolution très intéressante…

    Oui, une dé-évolution.

    … qui va à l’encontre du schéma hollywoodien classique. On a tendance à suivre un héros qui va s’armer de plus en plus, mentalement et physiquement, au fil de son périple.

    Spoiler

    Elle se désarme d’ailleurs dans son combat contre Cory. Elle jette son revolver au sol.

    J’ai compris, en lisant le script, pourquoi au début du film elle a une lueur de vie en elle. Le second film démarrait tellement haut en intensité qu’on ne pouvait pas refaire la même chose. On ne peut pas mettre des obstacles encore plus grands sur son parcours. Il lui fallait du temps pour qu’elle puisse faire le deuil de sa fille.

    Le mieux qu’on puisse faire face au Mal absolu, c’est lui dire : « Va te faire foutre. Je vais vivre et je n’ai plus peur de toi. ». Pendant l’Holocauste, les Juifs ont survécu en défiance de ce qu’on leur a fait. Les gens qui survivent à une violence extrême, s’ils sont bien accompagnés, ont une chance de réémerger et de trouver la paix. C’est ce qui est dit dans le script : Laurie travaille dur sur elle-même et finit par trouver la paix. Bien sûr, certaines victimes de violence ne réussissent pas à guérir. Les blessures émotionnelles ou physiques peuvent être trop profondes, et leur vie s’est métaphoriquement arrêtée au moment du drame.

    Nous nous sommes dit que Laurie pouvait avancer et tenter de vivre, mais dans le film, la réalité la rattrape.


    Laurie Strode à nouveau sous la menace de Michael Myers. Pour la toute dernière fois ?

    La procession finale est très ambiguë et presque provocatrice. En tant que spectateur, on ne sait pas trop quoi en penser. Une chose est sûre : ce n’est pas filmé comme une victoire.

    Spoiler

    Ce n’est jamais une victoire. Dans cette scène, il n’y a aucune allégresse, aucun salut. C’est, comme vous l’avez dit, une procession, et une extermination. À la fin du film, on ressent une gratitude vis-à-vis de sa disparition, et il y a un espoir que la communauté de Haddonfield puisse guérir.

    C’est peut-être pousser trop loin l’analyse, mais cela fait penser à la disparition du cadavre d’Oussama Ben Laden, afin que personne ne puisse lui rendre hommage.

    Beaucoup de thèmes difficiles se juxtaposent dans cet épilogue, notamment la peine capitale. On peut aussi se poser la question : Laurie devient elle-même une tueuse dès l’instant qu’elle ôte la vie à quelqu’un ? Réussira-t-elle à laisser les ténèbres la quitter ? C’est la question qu’on devrait se poser. Il n’y a pas de célébration à la fin de cette histoire, juste une inévitabilité : elle doit tuer ou être tuée.

    Vous faites preuve d’une gamme de jeu impressionnante dans ce dernier opus. Vous êtes une mère, une amante, une combattante, une victime de trauma… David Gordon Green a-t-il organisé des répétitions ?

    Il aime qu’on répète un peu, mais pour lui, ça se joue surtout devant la caméra. Pour chaque séquence, il a joué avec un potentiomètre au niveau de l’intensité émotionnelle et il s’est donné des options au montage, de un à dix. Mais la plupart du temps on était à trois. Je crois que si on pousse tout le temps les curseurs à fond, ça devient un peu du « trauma-porn ». Il faut faire très attention à ne pas transformer Laurie en fétiche du deuil. Je ne suis qu’une actrice, donc je ne peux pas réguler mes émotions comme un robot.

    Vous n’avez pas un curseur qui va de un à onze, comme dans Spinal Tap (1) ?

    (rires) Non, mais il semblerait que David en ait un. Quand j’ai vu le film, j’ai été très impressionnée par sa retenue, et pourtant on peut ressentir ce qu’éprouve Laurie à tout moment. On ne veut pas la voir en agonie pendant deux heures, ce serait trop fétichiste.

    Quel regard portez-vous sur votre performance dans le premier Halloween*** ? Laurie n’était clairement pas un personnage complexe.

    Elle était aussi complexe qu’une fille de 17 ans de cette époque pouvait l’être. Elle espère qu’un garçon l’embrassera un jour, elle a des rêves sentimentaux et romantiques qui s’entremêlent de façon très mignonne avec son éveil sexuel. Ses amis se moquent un peu d’elle. Ce n’est en effet pas complexe du tout, mais ça le devient quand la merde frappe le ventilo, du moins sur le plan émotionnel.J’adore Laurie.

    Je me souviens que John Carpenter a utilisé le mot « vulnérable » lors de notre première conversation. Il m’a dit qu’il voulait un personnage vulnérable, et à l’âge de 19 ans, avec un niveau d’études encore très limité, j’ai cru que « vulnérable » signifiait « faible ». Je crois que je n’ai pas aimé le mot. Je ne me suis pas battue contre la direction de John mais j’ai compris de travers.

    À sa sortie, je suis allé voir le film dans un cinéma de North Hollywood. Je me suis assise tout à l’arrière de la salle et j’ai observé le public. À un moment, Laurie reçoit un appel de sa copine depuis la maison d’en face, et la copine en question se fait étrangler pendant le coup de fil. Laurie lui dit d’arrêter de se foutre d’elle, elle vérifie que tout se passe bien avec les enfants puis elle sort de la maison. Elle regarde de l’autre côté de la rue et commence à se diriger vers le pavillon.

    John utilise le Steadicam selon deux angles : d’une part le point de vue de Laurie vers le pavillon, d’autre part le visage de Laurie. La scène est très, très lente, le rythme de la marche aussi. Quand Laurie a atteint le milieu de la rue, une femme s’est levée dans la salle de cinéma et a hurlé : « N’Y VA PAS ! ». C’est à ce moment-là que j’ai compris ce que John Carpenter recherchait. Le public est amené à s’intéresser à Laurie et on ne veut pas qu’il lui arrive quoi que ce soit. On en vient à essayer de la sauver depuis notre siège de spectateur.

    Voilà ce que signifie « vulnérable » ! Cette interaction entre le public et le personnage, c’est la sauce secrète du genre. Beaucoup de films ont essayé de reproduire cette expérience, mais aucun d’eux n’a totalement réussi.


    Laurie et Lindsey (Kyle Richards), dont elle était la babysitter dans le tout premier Halloween.

    Vous avez travaillé plusieurs fois avec John Carpenter, et on oublie souvent de préciser que vous signez la voix off qui ouvre New York 1997 et Los Angeles 2013.

    Oh mon dieu, c’est vrai ! J’avais complètement oublié que j’étais là-dedans ! Il faut que je réécoute ça au plus vite !

    Dans True Lies, vous interprétez un autre personnage très vulnérable, Helen Tasker.

    Vous vous souvenez de l’interrogatoire ? Quand à travers le miroir, Harry lui demande pourquoi elle a fait ça et qu’elle répond : « Je veux vivre ! ». J’en pleurerais rien que de prononcer à nouveau ces mots. C’est une femme piégée dans un ennui domestique sans fin et cet homme lui a donné une chance de faire quelque chose d’excitant. C’est un peu comme si Helen répondait : « Je suis un putain d’être humain, je suis vivante ! ». C’est d’une intensité émotionnelle incroyable. Dans le scénario, c’était douze pages…

    À ce propos, je vais vous confier quelque chose. Il y a deux mots dans le show-business que je hais par-dessus tout, et ce n’est pas « final touches » – et pourtant je déteste ça. « Cover set », voilà l’expression qui m’horripile le plus. Si vos lecteurs l’ignorent, quand un film contient beaucoup de séquences en extérieur et que la pluie est susceptible d’interrompre le tournage à tout moment, il faut avoir une scène en intérieur que l’on peut tourner dans n’importe quelle ville accueillant la production. Il faut que ce soit un intérieur très contenu, et la seule séquence adéquate dans True Lies était l’interrogatoire de Helen Tasker.

    Voilà ce que ça signifie : j’ai dû me rendre à Miami non pas pour tourner, mais pour être disponible pour le « cover set ». Chaque jour, j’étais dans ma chambre d’hôtel, et on m’appelait à 16h pour me dire : « Vous êtes libre demain. ». Mais un jour, ils pouvaient m’appeler et me dire : « Demain il pleut, donc vous tournerez l’interrogatoire. ». Nous avons bouclé cette scène en quatre mois, en quatre sessions différentes ! Les gros plans ont été tournés un jour, les plans à travers le miroir deux mois plus tard, les plans larges un autre jour, sans compter les plans sur Arnold et Tom derrière la vitre. Et c’est une séquence très longue, qui va de zéro à dix sur le plan émotionnel ! Je ne ferai plus jamais ça.

    Quand on vient me demander si j’accepterais d’être le « cover set », je refuse sans hésiter. « Non, maman ne fait plus ça ! » C’était un vrai défi.

    À l’écran, tout semble très homogène.

    Oui, la séquence est absolument fantastique ! Ce film est tellement génial. J’étais très libre sur True Lies. Jim peut presque tout faire sur un film…


    Laurie, méfiante et marquée, reçoit la visite de sa petite-fille Allyson.

    Sauf la musique ?

    Sauf la musique, mais pas seulement. Il ne sait pas danser, donc il ne peut pas tenir le rôle du dolly grip, qui doit opérer une caméra de façon coordonnée et complexe. Un Steadicam, aucun problème, mais le dolly grip doit traduire les mouvements humains dans ceux de la machine. Mais surtout, Jim ne sait pas jouer la comédie et c’est pour ça qu’il aime autant les acteurs. Ils font quelque chose qu’il ne maîtrise pas !

    Jim Cameron m’adorait parce que je pouvais faire, presque sans aucune intervention de sa part, ce qu’il voulait que je fasse. Il avait écrit ce personnage pour moi. Il devait avoir une intuition à mon égard. Une seule fois je n’ai pas réussi à faire ce qu’il avait en tête. Le reste du tournage, il ne m’a fait aucun commentaire, au-delà du fait qu’il adorait ma performance. Quel cast on avait sur ce film… Bill Paxton ! Il nous manque tellement. Tom Arnold, hilarant. Grant Heslovaussi. Arnold… Absolument inouï.

    Vous avez tourné plusieurs comédies avant True Lies. Après Un fauteuil pour deux, on vous a vue dans Un poisson nommé Wanda aux côtés de John Cleese et Kevin Kline. Vous êtes-vous préparée pour le rôle ?

    Non, pas du tout !

    Pourtant, la comédie exige un sacré sens du timing, en particulier avec les Monty Python.

    On a répété un peu avant le tournage, je crois… Honnêtement, je ne m’en souviens pas ! Ma fille était âgée de six mois quand on a commencé Wanda. Je savais que Kevin et John étaient drôles. Je n’ai pas vu le film depuis longtemps, et tout est un peu flou aujourd’hui.

    Même chose pour Créatures féroces ?

    [elle lève les yeux au ciel] Là, c’est vraiment très flou. (rires)Un poisson nommé Wanda a coché pas mal de cases à sa sortie. On avait besoin d’une comédie irrévérencieuse basée sur une guerre culturelle. Ce que je peux vous dire, c’est que la fin originale était différente. Elle était plus sombre.

    Dans le tout dernier plan, Archie se tournait vers mon personnage et disait : « Chérie, je suis heureux qu’on soit ensemble » et je lui faisais les yeux doux. Ensuite, la caméra descendait vers nos mains entrelacées, puis continuait le long de mes jambes, et il y avait un freeze frame sur mes chaussures : sur le côté, il y avait des dents de requin acérées, et juste au-dessus, il y avait un aileron. On comprenait que cette femme était un requin !

    Le studio a testé cette fin sur des spectateurs américains et ceux-ci n’ont pas accepté cette conclusion ! On nous a demandé de retourner l’épilogue, mais aussi d’ajouter quelques scènes qui appuyaient la romance entre Archie et Wanda. Ils voulaient que la love story soit réelle. J’étais en pétard, pour être honnête. J’aime quand une histoire est sombre et j’aime quand on renverse les codes. Dans le film que vous connaissez, vous croyez que Wanda aime Archie, mais ça n’a jamais été le projet de départ.


    The Shape, boogeyman plus terrifiant que jamais, et toujours incarné, comme dans les deux précédents films, par James Jude Courtney et Nick Castle.

    Sur Blue Steel, vous avez travaillé avec Kathryn Bigelow qui était à l’époque fan de James Cameron, comme en témoigne Aux frontières de l’aube.

    Et même bien plus qu’une fan ! (rires) Le film a été difficile à tourner : beaucoup de nuits, des focales très courtes… Je me suis bien entendue avec Kathryn, on travaillait bien ensemble. On n’est pas devenues amies mais on savait ce qu’on avait à faire pour que ça fonctionne.

    Kathryn portait toujours un jean et un t-shirt noirs. Elle sortait régulièrement une liste de plans de sa poche arrière, elle la dépliait devant nous et on pouvait voir qu’elle l’avait probablement tapée la veille au soir. Elle vérifiait ce qu’elle avait à vérifier, elle remettait le papier dans sa poche arrière et on continuait à tourner. Blue Steel était un exercice de précision. Ce n’était pas un film très émotionnel. Kathryn a apprécié ma performance mais à l’écran, il y a une certaine froideur.

    Ma fille avait alors dix-huit mois et j’avais emmené ma famille avec moi à New York. Je jonglais entre mon rôle de mère et mon travail d’actrice dans le contexte d’un tournage majoritairement de nuit. Bien sûr, j’avais une nounou qui m’aidait, mon mari était très présent, mais ç’a été assez compliqué.

    Vous avez enchaîné les rôles marquants ces dernières années. Peu avant Everything Everywhere All at Once, on vous a vue dans À couteaux tirés de Rian Johnson.

    Je viens justement d’échanger des messages avec lui : il était au Fantastic Fest à Austin, où le premier long-métrage de Noah Segan, Blood Relatives, était projeté. À couteaux tirés appartient organiquement à Rian. On est tous venus sur le plateau pour réciter les dialogues selon des directives très spécifiques. Tout le film était dans sa tête, jusqu’au plus petit détail.

    Vous avez droit à l’une des répliques les plus drôles du film : « C’est encore notre maison ! ». En salles, les réactions étaient tonitruantes.

    C’était fantastique, oui ! Le long-métrage regorge de scènes de groupe et la chorégraphie était très pointilleuse. Quand on tourne un film comme À couteaux tirés, on ne rentre pas à l’hôtel chaque soir en se disant : « Wow, j’ai assuré ! ». Je n’avais aucune idée de la manière dont Rian allait assembler tout ça. Je ne savais pas à quoi ça allait ressembler. Je n’arrêtais pas de dire à mon assistante : « C’est un petit rôle, c’est vraiment amusant », mais ce n’était pas comme si on se retrouvait le soir pour faire la fête. En plus, j’étais une remplaçante sur ce film. Quelqu’un d’autre avait obtenu le rôle mais il y avait un conflit de calendrier. On m’a proposé le personnage du jour au lendemain et j’ai dit OK.

    J’ai rencontré Rian, le tournage s’est formidablement bien passé et on est partis chacun de son côté. Quelques mois plus tard, on m’a demandé de venir faire la promo du film à Cinemacon. « Vraiment ? Moi ? » C’est ensuite que j’ai compris l’importance de chaque rôle et la virtuosité du long-métrage. J’ai adoré faire partie d’un projet capable de rendre les gens aussi heureux. Le public a vraiment adoré, ne serait-ce que pour la fantastique performance de Daniel Craig. Pour résumer, À couteaux tirés a été une complète surprise pour moi. Je savais que ça allait être pas mal, mais j’ignorais que ce serait génial. Je pourrais très bien le dire à Rian. Je ne savais pas. Comment aurais-je pu ? Je n’étais pas dans sa tête.

    (1) L’époux de Jamie Lee Curtis, Christopher Guest, interprétait Nigel dans Spinal Tap de Rob Reiner, celui dont l’ampli pouvait grimper jusqu’à onze.

    Propos recueillis par **Alexandre Poncet. **
    Merci à Étienne Lerbret.

  • 0 Votes
    1 Messages
    82 Vues

    Disparu un temps dans l’anonymat des séries, Ti west, l’auteur de “X” nous explique comment son retour au grand écran se place sous le signe d’une célébration du cinéma indépendant et de son art de la débrouille.

    Quelle a été l’inspiration première de X ?

    Eh bien, je n’avais pas fait de long-métrage depuis un bon moment. Cela faisait même dix ans que je n’avais pas tourné de film d’horreur. Entre-temps, j’avais fait beaucoup de réalisation en télévision et j’y avais pris énormément de plaisir.

    Mais j’ai fini par me dire que je devrais peut-être revenir au long-métrage et en cherchant un sujet, je me suis rendu compte que ce que j’aime le plus dans le cinéma, c’est la fabrication concrète des films. En particulier, je suis assez charmé par le côté entrepreneurial de la confection d’une péloche indé à petit budget – une chose avec laquelle les spectateurs modernes ont perdu le contact, je crois.

    J’ai donc décidé d’avoir une histoire où les personnages seraient en train de tourner un film, en espérant que cela pousserait les gens à apprécier la somme de talent que les membres de l’équipe y mettent, que ce soit au niveau du jeu d’acteurs, de la direction de la caméra, du montage, de la musique ou des effets spéciaux de maquillage. Bref, je souhaitais inviter le public à aimer à nouveau le cinéma.

    Cependant, je ne voulais pas que les personnages soient en train de faire un film d’horreur, car cela aurait été trop méta et autoréflexif. Or, dans les années 1970, le porno et l’horreur ont toujours eu une sorte de relation de symbiose. En effet, c’étaient des genres marginaux qui vous permettaient de travailler dans une complète indépendance. Vous n’aviez pas besoin de Hollywood : vous pouviez tourner ces films tout seul et les distribuer tout seul.

    Avoir des personnages confectionnant un porno était donc un bon moyen de montrer au public à quoi ressemblait la fabrication d’une bande horrifique. En plus, il y a quelque chose d’absurde dans le contraste entre, d’une part, le côté érotique de ce que vous voyez et, d’autre part, le fait que l’ambiance sur le plateau n’était pas du tout érotique. Et cela me plaisait de lever un coin du voile sur cette réalité.

    En outre, vous tissez des liens entre les mécanismes de l’érotisme et ceux de l’horreur grâce à des montages parallèles parfois très expérimentaux, oscillant entre les scènes de tournage et la menace incarnée par les deux vieux. Ces effets étaient prévus dès l’écriture du scénario ?

    Oui. Dans le script, il y avait indiqué : « En 16 millimètres » pour toutes les images censées être issues du film dans le film. Et ces plans raccordent souvent avec des moments de la réalité où les personnages effectuent les mêmes gestes. Par exemple, Bobby-Lynne boit une limonade dans une scène du porno, puis on passe à Maxine et Pearl qui boivent aussi une limonade dans la cuisine.

    Comme vous le disiez, il y a quelque chose de similaire entre l’érotisme et l’horreur, dans la manière dont vous faites percevoir les choses. Mais de manière plus générale, je voulais montrer deux mondes qui entraient en collision de manière bizarre.

    Encore une fois, mon but était de rappeler au public les différents aspects de la fabrication d’un film, et mettre en parallèle ces deux histoires me permettait de le faire. Car de nos jours, les spectateurs ne pensent plus guère au montage et, d’une certaine manière, X les force à y penser. En particulier, le personnage du réalisateur, R.J., ne cesse de répéter qu’il va rendre le porno qu’il est en train de tourner plus avant-gardiste que la normale.


    Macabre découverte pour le shérif Dentler

    C’est amusant, car nous avons cette discussion deux jours après la mort de Jean-Luc Godard…

    À l’évidence, R.J. est très inspiré par la Nouvelle Vague et en particulier par Godard. Ce dernier est bien connu pour avoir joué avec la forme, pour avoir eu des choix stylistiques qui mettaient l’accent sur le cinéma plutôt que sur la simple narration. Et R.J. est bien sûr influencé par des choses comme les jump cut et les raccords avant-gardistes. Dans les scènes de tournage, j’ai aussi glissé des références à Easy Rider.

    Mais il faut savoir que dans les années 1970, les pornos avaient encore une durée de long-métrage et étaient dotés d’une histoire. En plus des scènes de sexe, vous deviez donc tourner le reste du film. Je ne sais pas si c’est toujours vrai aujourd’hui, mais pour faire Gorge profonde, Debbie Does Dallas ou Derrière la porte verte, vous aviez besoin d’exposer correctement la pellicule, d’avoir des éclairages, etc. Encore une fois, la fabrication d’un porno n’était pas très différente de celle d’un petit film d’horreur, ou de toute autre sorte de long-métrage.

    À propos de film d’horreur à petit budget, vous avez voulu que X ressemble d’abord à une banale resucée de Massacre à la tronçonneuse pour mieux surprendre ensuite les spectateurs avec une atmosphère particulière ?

    Ouais, je savais qu’en faisant un film sur des jeunes gens qui voyagent en camionnette jusqu’à une ferme du Texas dans les années 70, il n’y avait pas moyen d’empêcher les gens de penser à Massacre à la tronçonneuse. Car de nos jours, le public est très au courant des conventions du cinéma d’horreur, ce qui atténue l’effroi et le suspense. Je voulais donc faire en sorte que les spectateurs aient l’impression de deviner où allait l’histoire, et subvertir ensuite ces attentes.

    Dans les 20 premières minutes de X, ma priorité était ainsi d’installer divers types de menaces sans qu’on sache laquelle était vraiment sérieuse. À partir de là, je dévoile lentement la nature exacte du film, dont j’espère qu’elle est inattendue et qu’elle vous en donne quand même pour votre argent.

    Le mot « lentement » est important, car le véritable danger avance avec une lenteur inexorable. Cela trouve un écho dans le climat de la campagne texane, même si vous avez en fait tourné en Nouvelle-Zélande. C’était pour des raisons de production ?

    C’était vraiment pour des raisons de Covid. À l’époque, nous étions au pic de la pandémie et la Nouvelle-Zélande n’avait aucun cas. Une fois sortis de quarantaine, nous avons donc pu tourner X de manière traditionnelle, en toute sécurité. Car pour un film pareil, les mesures de distanciation sociale ne pouvaient pas fonctionner.

    Mais c’est vrai que nous avons trouvé en Nouvelle-Zélande une région qui ressemble beaucoup aux paysages du sud du Texas que j’avais en tête. Il s’agit d’une zone marécageuse qui, comme vous le dites, distille un tempo très lent. En effet, on la sensation que la chaleur et l’humidité ralentissent tout. Et cela se prêtait bien à la description des personnages, et aussi à ma volonté de faire en sorte que la véritable menace soit la plus inattendue.

    Pour construire cette atmosphère, je me suis bien sûr référé à Massacre à la tronçonneuse, mais aussi à des choses comme le génial Macadam à deux voies. Globalement, j’avais en tête des films des années 70 du genre « Americana », dépeignant les zones provinciales des États-Unis. Je ne pourrais pas vous dire lesquels, car ils sont gravés dans mon subconscient et j’en ai reproduit la tonalité.


    Pearl s’apprête à dissimuler les traces de ses méfaits.

    C’est pour avoir cette touche années 70 que vous avez utilisé des effets spéciaux « pratiques », réalisés concrètement sur le plateau ?

    Nous avons effectivement fait presque tout avec des effets pratiques, et pour l’essentiel, c’est parce que je pense qu’ils sont encore aujourd’hui les meilleurs. Les trucages numériques sont un très bon outil, qui peut donner des super résultats. Mais ils sont certainement suremployés, et quand il s’agit de sang, de meurtres dans un film d’horreur, ils ne sont pas aussi convaincants que les effets pratiques. Car vous avez besoin d’avoir quelque chose de palpable, d’organique, pour créer chez les spectateurs une réaction viscérale, au lieu qu’ils se disent que c’est juste un trucage.

    Cependant, la chose la plus frappante est la vision obscène des corps décatis des vieillards. Vous vouliez briser un tabou ?

    Pas nécessairement. Le truc, c’est que d’habitude, dans les films d’horreur, les vieux sont des puritains qui regardent de haut les jeunes gens, pensant qu’ils devraient être punis pour leur liberté, leur ouverture, leur insouciance. Mais dans le cas de Pearl, elle est en fait beaucoup plus envieuse et jalouse de ces choses, qu’elle ne peut plus avoir à cause de son âge. Il me semble n’avoir jamais vu ce thème dans un film d’horreur.

    En tout cas, j’ai instauré un contraste entre des jeunes corps sexualisés et les anatomies du couple de vieillards. Jusqu’au point où ces derniers finissent par faire l’amour ensemble. Cependant, je crois que nous n’avons pas traité cette séquence très différemment des autres scènes de sexe. C’est seulement la présence de corps âgés qui donne une énergie entièrement nouvelle à ce moment. Il y a bien sûr quelque chose de tabou là-dedans, mais les réactions des spectateurs sont très diverses et subjectives, dépendant de leur arrière-plan culturel.

    En fait, la vieille Pearl est interprétée par Mia Goth, qui incarne aussi la jeune héroïne Maxine. Pour vous, ce double rôle était nécessaire pour l’histoire, ou bien aviez-vous déjà en tête la préquelle intitulée Pearl ?

    Le but a toujours été que l’actrice interprétant Maxine joue également Pearl, car je sentais que, même si ce sont deux personnages différents, elles sont en quelque sorte la même personne. Cependant, je ne savais pas si je trouverais quelqu’un qui puisse le faire. Mais quand j’ai rencontré Mia, elle m’a convaincu qu’elle en était capable. De fait, même si nous avions une super équipe d’effets spéciaux prosthétiques, elle a dû subir des heures de maquillage, un exercice physiquement très éprouvant. Et elle a réussi à traverser cela car elle est vraiment une force de la nature.

    Pearl, qui a en fait été tourné secrètement en parallèle de X, a été projeté au Festival de Venise mais n’a pas encore été montré en France. Vous pouvez en dire un mot ?

    Dans X, nous n’en apprenons pas beaucoup sur le passé de Pearl. Nous la découvrons très tard dans sa vie, et faute de meilleur mot, elle est la méchante du film. À l’inverse, dans Pearl, elle est l’héroïne, et l’histoire raconte un basculement qui a eu lieu dans sa vie quand elle était jeune. C’est ainsi un tout autre genre de film : à vrai dire, cela ne ressemble pas du tout à X. Je pense néanmoins que les spectateurs trouveront que c’est un récit très riche, où une jeune fille qui a des rêves est prête à faire tout ce qu’il est nécessaire pour les accomplir.


    Du côté de Bobby-Lyne (Brittany Snow), l’angoisse commence à monter.

    Et qu’en est-il du dernier volet de la trilogie, MaXXXine ?

    Il parlera de Maxine, c’est tout ce que je peux vous dire. Écoutez, j’ai tenu Pearl secret pendant un an, puis j’ai tenu MaXXXine secret pendant six mois. Je vais donc continuer dans la discrétion. Car de nos jours, on a tendance à savoir tout sur tout et cela devient assez ennuyeux. Ainsi, cela m’a amusé de révéler l’existence de Pearl lors du générique de fin de X, et de la même manière, d’annoncer MaXXXine à la fin de Pearl. En effet, je crois que ce genre de surprises revivifie l’expérience d’aller au cinéma.

    Justement, après cette trilogie, vous allez rester dans le giron du cinéma ?

    J’étais parti à la télévision car je voulais faire une pause dans ma carrière. Chaque long-métrage que j’avais fait auparavant, je l’avais écrit, réalisé, monté et produit, et c’était pas mal de travail. De plus, jamais personne ne m’avait proposé un boulot. Mais après In a Valley of Violence, quelqu’un m’a proposé une série télé et cela m’a plu. Puis quelqu’un d’autre m’a aussi proposé une série, et avant d’avoir le temps d’y penser, j’avais tourné 17 épisodes en cinq ans.

    C’était cool d’être demandé, et en plus, je crois que cette expérience a fait de moi un meilleur réalisateur. Pour autant, je me suis dit que j’avais quitté le cinéma pendant un peu trop longtemps, et j’ai donc rédigé le scénario de X** **que j’ai seulement envoyé aux gens de A24. S’ils avaient dit non, je n’aurais probablement jamais fait le film, que j’avais écrit juste pour le fun. Mais ils ont sauté sur l’occasion et cela a été une super collaboration avec eux.

    Je pense donc que je vais rattraper le temps perdu en restant dans l’espace du cinéma pendant un moment. Vous verrez ainsi d’autres longs-métrages de moi, avant que je disparaisse à nouveau !

    Propos recueillis par Gilles Esposito.
    Merci à Jean-François Gaye.

  • 2 Votes
    2 Messages
    255 Vues
  • 0 Votes
    1 Messages
    118 Vues

    À ceux qui se demandaient comment les Daniels allaient surenchérir dans l’absurdité après Swiss Army Man , les cinéastes opposent l’orgie mutante d’ Everything Everywhere All at Once et noient tous les doutes dans l’océan de leur imagination a priori sans limites. Ils reviennent pour nous sur leur processus de création.

    - Le script d’ Everything Everywhere All at Once offre une base dramatique solide sur laquelle vous ajoutez une profusion d’idées toutes plus folles les unes que les autres, mais aussi toujours organiquement liées à votre propos. Comment avez-vous réussi à structurer tout ça ?*

    Daniel Scheinert - Il y a eu beaucoup de tâtonnements. (rires) Nous avons écrit tout un tas de versions avant de réaliser qu’à nos yeux, cette base dramatique n’était pas assez forte. Après avoir passé autant de temps à développer toutes ces idées de science-fiction, c’est devenu un point crucial. Notre but n’était pas de livrer un film absolument personnel ou émouvant, mais cette épaisseur dramaturgique est devenue une nécessité pour donner une cohésion à l’ensemble.

    Daniel Kwan- Nous avons dessiné beaucoup de diagrammes. Je suis quelqu’un de très visuel, donc nous nous sommes mis à imaginer ces espèces de plans - du genre plan de métro - pour chaque univers.

    D.S - On a recouvert un mur de post-it !

    D.K - … et tous ces univers étaient disposés en cercles concentriques. On commence avec cette famille, puis on agrandit le canevas selon une forme de toile d’araignée… C’était une approche très chaotique, mais aussi assez scientifique. (rires)

    D.S - Ce qui nous a été le plus utile, c’est le fait de nous entrainer à pitcher le film à l’oral. Une fois, des amis nous ont servi de cobayes, et ça nous a pris 2h30 - plus longtemps que le film ! — juste pour faire ce pitch. Mais ça nous a permis de vérifier que l’aspect émotionnel fonctionnait.

    - Réussir à connecter en permanence tous ces éléments a dû être un véritable cauchemar…

    D.S - Parfois, oui, mais nous avions déjà pas mal expérimenté sur le montage sur des formats plus courts, et nous savions que ça pouvait marcher. Ce n’est pas la première fois que nous imaginons des gimmicks qui permettent de donner vie à des concepts qui peuvent paraître flous sur le papier.

    D.K - Durant l’écriture, on a souvent le sentiment de se noyer dans le flot de nos idées, d’en perdre le contrôle, mais c’est aussi là qu’on se dit qu’on tient quelque chose d’intéressant ! (rires)

    - D’une certaine manière, vous procédez dans le sens inverse de Swiss Army Man, qui était une idée tarée illustrée de façon sérieuse. Là, vous proposez une histoire sérieuse parasitée par un déluge d’idées tarées.

    D.S - Oui, nous voulions aller dans une autre direction, avec plus de deux personnages. et des personnages vivants. (rires) Mais il y a aussi pas mal de similitudes, car on aime juxtaposer des émotions et des idées différentes. Les deux films reposent sur des traitements inattendus.

    D.K - D’une certaine façon, Swiss Army Man a été plus compliqué à faire parce qu’il ne comportait qu’une seule histoire, assez simple qui plus est, et la marge d’erreur était donc bien plus restreinte. Dans Everything Everywhere All at Once, il se passe tellement de choses que même si vous n’aimez pas un univers en particulier, une blague ou un autre aspect, le mouvement est permanent. Je pense que c’est pour ça que le public reste ouvert et pardonne beaucoup au film.

    - Jusqu’à quel point avez-vous développé chaque univers ?

    D.S - Nous avons passé beaucoup de temps à essayer de les différencier. Nous savions que ce serait marrant à faire, que nous n’avions pas à nous cantonner à un seul style de mise en scène ou à une seule palette de couleurs. Nous avons donné la permission à chaque département de se lâcher, de jouer avec les possibilités de chaque univers. Nous avons également essayé de nous appuyer sur des esthétiques qui nous ont marqués, et le film est devenu une déclaration d’amour aux cinéastes et aux artistes que nous adorons. On y trouve des bouts de Wong Kar-Wai, des clips de Michel Gondry

    D.K - Ces références n’étaient pas le point de départ du projet, elles sont venues bien après, durant la production. Chaque univers devait avoir son importance narrative. Celui où le personnage de Michelle Yeoh est une star de cinéma, où elle rencontre son mari dans un autre contexte, vient du fait qu’il était difficile de s’impliquer dans leur relation de base, celle de l’univers de départ. Ils ont vécu ensemble si longtemps, ils se sont éloignés l’un de l’autre. Je me disais que j’aimerais pouvoir voyager dans le temps et assister à leur première rencontre, les voir tomber amoureux. Et je ne voulais pas recourir aux flashes-back, même s’il yen a quelques-uns dans le film. C’est là qu’est venue l’idée de les faire se croiser après qu’ils se sont perdus de vue : ça « débloque » l’aspect sentimental de leur relation. Même si on s’amuse avec tous ces genres, leur utilisation vient avant tout des besoins des personnages.

    - Votre film est une incroyable déclaration d’amour à vos comédiens principaux, Michelle Yeoh et Ke Huy Quan. À quel stade de la production ont-ils été impliqués ?

    D.S -On a écrit le script pour Michelle Yeoh, et on avait bien évidemment peur qu’elle refuse, ou de découvrir quelqu’un de désagréable en la rencontrant… Et ç’a été tout le contraire. Elle est arrivée à bord en 2018, et le film n’aurait jamais vu le jour si elle n’avait pas réagi avec autant d’enthousiasme. Pour le rôle de Waymond, nous avons fait passer des auditions, et Ke s’est présenté. J’ai d’abord cru qu’il s’était déguisé comme le personnage pour nous faire marrer, mais il est exactement pareil dans la vraie vie : simple, souriant, tellement adorable que tu as parfois envie de lui demander d’arrêter d’être trop gentil ! (rires) Il était parfait pour le rôle. 11 est arrivé cinq mois avant le début du tournage, et quand il a rencontré Michelle, les choses ont pris un tour encore plus exaltant car ils se sont parfaitement entendus, comme avec le reste de la famille d’ailleurs. C’était un miracle de pouvoir le faire jouer à nouveau, il est tellement talentueux. C’est terrible qu’il ait arrêté la comédie pendant vingt ans.

    - Quelle image aviez-vous de Michelle Yeoh en tant que cinéphiles ?

    D.K - Mon père vient de Hong Kong, il a émigré à New York quand il avait 5 ou 6 ans. Il y avait un cinéma à Chinatown qui ne jouait que des films de Hong Kong et il a grandi avec les productions de la Shaw Brothers. Quand a débarqué la génération des Jackie Chan, Jet Li ou Michelle Yeoh, avec tous ces films géniaux, il ne ramenait que ça à la maison, d’autant que ma mère ne voulait voir que des longs-métrages en chinois. Je crois que la première fois que j’ai vu Michelle Yeoh, c’était dans Police Story III. Quand j’ai dit à mon père qu’on tournait avec elle, il est devenu fou ! Je crois qu’il en sait plus sur sa vie qu’elle-même - d’ailleurs, ils se sont rencontrés, et elle est plutôt d’accord, (rires) Je pense n’avoir jamais vu mon père aussi heureux qu’à la fin de la projection du film. Maintenant, Michelle est une bonne amie, une tante exemplaire pour mes enfants. C’est une personne merveilleuse, on a vraiment de la chance.

    D.S - Je regardais beaucoup de films quand j’étais gamin, et c’est la découverte du cinéma de Hong Kong qui m’a donné envie de devenir réalisateur. Le premier truc que j’ai tourné, c’était un film de kung-fu dans le jardin de mes potes. (rires) Il y a un vraiment un enthousiasme contagieux dans ce cinéma.

    - Parmi vos influences, vous citez Satoshi Kon, et il est clair qu’on retrouve chez vous cette même lisibilité, cette fluidité dans le déferlement d’informations balancées aux spectateurs.

    D.K - Le travail de Satoshi Kon est absolument dingue, et ce qui ne trompe pas, c’est à quel point il a « inspiré » tant de réalisateurs. De notre côté, nous cherchions à retrouver la même énergie, à nous inspirer de son approche du surréalisme pour créer des images inédites. Nos cerveaux carburent à plein régime parce que nous faisons partie de la première génération à avoir grandi avec Internet. On traite les informations à une telle vitesse qu’il m’arrive de m’ennuyer devant des films, j’ai besoin d’être plus stimulé, pour le meilleur et pour le pire. Everything Everywhere All at Once reflète cette époque. D’une certaine façon, nous avons voulu voir ce qu’un public contemporain était capable d’encaisser, ce qu’il pouvait retenir d’une telle narration, c’est quasiment un stress-test ! C’est hallucinant de voir à quel point le public est capable de se prendre ce déluge d’images en pleine poire et d’apprécier l’expérience. Même si tout n’est pas assimilé, la réaction émotionnelle est la bonne. Aujourd’hui, trop de spectateurs intellectualisent ce qu’ils regardent, au lieu de simplement ressentir les émotions. On a voulu inverser ce rapport.

    - L’équipe du film compte beaucoup d’autodidactes, notamment dans les domaines des effets spéciaux et des cascades. Comment cela a-t-il influencé le projet d’un point de vue artistique ?

    D.S - Nous avons débuté en bricolant des courts-métrages que nous balancions sur YouTube et Vimeo. À l’époque, on a croisé beaucoup d’aspirants réalisateurs qui, comme nous, profitaient de ces nouvelles technologies, des tutoriaux qu’on trouvait sur le Net, etc. Les producteurs nous ont dit qu’il allait falloir énormément d’argent pour monter Everything Everywhere All at Once, et quand nous avons découvert le montant du budget dont nous allions disposer, nous nous sommes retrouvés face à deux choix : soit couper beaucoup de pages, soit bosser en mode système D, revenir aux méthodes que nous utilisions à l’époque de nos premiers courts. Nous avons embarqué tous nos amis sur le projet, bidouillé les effets spéciaux sur nos ordinateurs personnels… Les cascadeurs étaient à la fois professionnels et amateurs ; les chorégraphes, par exemple, viennent de YouTube, ils mettaient en scène des combats dans leur jardin ! Je suis persuadé qu’au-delà des économies budgétaires, ça donne au film un côté particulier, presque « fait à la maison ».

    D.K - Les contraintes sont un atout, en particulier dans un film aussi dingue que celui-ci. On ne pouvait pas avoir des effets spéciaux élaborés, réalistes. Nous nous sommes plutôt attachés à concevoir des choses marrantes, intéressantes, voire esthétiques, en nous inspirant du motion design, des films des années 1980 comme S.0.S. fantômes. Nous n’avons jamais essayé d’entrer en compétition avec les productions Marvel et leurs ressources illimitées. Pour les combats, on ne disposait pas de centaines de belligérants, avec des mouvements de caméra déments… Mais on pouvait se permettre d’avoir au moins deux excellents artistes martiaux. C’est ce qui nous a fait tomber amoureux des films de Hong Kong : leur simplicité, leur confiance absolue dans les interprètes. On voulait revenir à ça.

    - Cet aspect fait de bric et de broc est bien plus organique qu’un énième blockbuster doté de CGI parfaites…

    D.K - Il y a aujourd’hui une obsession similaire pour le photoréalisme dans le jeu vidéo. Pour beaucoup, cette qualité serait le seul marqueur technologique du medium. C’est oublier la beauté qu’il peut y avoir dans un style très spécifique, dans une texture qui n’essaie pas d’imiter quoi que ce soit, mais qui au contraire a son identité propre. J’ai l’impression qu’on trouve les mêmes problématiques dans les films aujourd’hui.

    - Si l’on en juge par certaines réactions très touchantes qu’on peut lire en ligne, Everything Everywhere All at Once est sorti à un moment décisif pour la communauté asiatique américaine, à une période où celle-ci est souvent prise pour cible.

    D.K - On ne pensait vraiment pas que ce serait le cas, non seulement pour la communauté asiatique américaine, mais aussi pour la diaspora asiatique en genéral. À travers le monde, des spectateurs asiatiques s’identifient au film d’une façon à laquelle on ne s’attendait pas. C’est bien sûr l’un de ses thèmes, mais nous ne voulions pas pour autant que cela prenne le dessus sur le reste. Et c’est Ça, je crois, qui motive cet engouement : Everything Everywhere All at Once n’est pas vendu comme un film sur la communauté asiatique, c’est un élément de l’intrigue comme un autre. Je pense que le récit conserve un côté universel et montre que des personnages asiatiques peuvent inspirer des sentiments qui entrent en résonnance avec tout le monde. Nous sommes ravis que le film sorte enfin en France, même si on se dit que ce qu’on est sans doute trop immatures pour vous !

    Propos recueillis par François CAU
    Merci à Tristan Du Laz, Gwendolyn Elliott et Jean-François Gaye

  • 0 Votes
    1 Messages
    149 Vues

    Début 2001 Le Pacte des loups rameutait plus de cing milions de Spectateurs dans les salles françaises. À Hollywood, on se serait empressé d’exploiter cette manne providentielle. Christophe Gans et ses producteurs seront au contraire snobés par le système hexagonal, et le cinéma de genre local se gardera bien de suivre la mesure. Deux décennies plus tard, le long-métrage à droit à une impressionnante restauration AK. Actuellement en préproduction d’un nouveau Silent Hill, Christophe Gans a accepté de revenir sur cette œuvre bien plus riche et jouissive qu’on a bien voulu le dire…

    Pour être honnête, je n’avais pas revu Le Pacte des loups depuis près de quinze ans avant de découvrir cette restauration.

    On a l’impression de le connaître car il est là depuis longtemps, mais même pour moi, Ç’a été une drôle d’expérience de le revoir. Les œuvres vieillissent, elles ont leur vie propre, et certains films qu’on a aimés sont devenus des vieux croulants. (rires) Ça n’empêche pas d’avoir de la tendresse pour eux. On m’a invité un matin à aller voir Le Pacte des loups au Grand Action en prévision de la restauration. Je ne l’avais pas revu depuis vingt ans. Bien sûr, j’avais regardé quelques extraits lors de diffusions télévisées, mais c’était la première fois que je le revoyais en entier. C’était aussi la première fois que j’ai pu le regarder sans me faire le making of dans ma tête. Quand on est réalisateur, on se souvient des coulisses de chaque scène : « Là je me suis engueulé avec lui », « Là j’ai du faire un compromis », « Là il y avait les producteurs qui râlaient »… La première chose qui m’a frappé, c’est que l’intrigue fonctionne, l’enquête en particulier, qui nous conduit jusqu’à la révélation finale.

    On pense beaucoup au Chien des Baskerville.

    Oui, c’était vraiment la base du projet : un hommage au Chien des Baskerville et à Terence Fisher. En 2001, le côté arts martiaux et l’influence HK affichée à l’écran semblaient être les éléments les plus attirants du film. La maturité aidant, cette ambiance Hammer est aujourd’hui bien plus envoûtante. C’est Le Chien des Baskerville filtré par Le Dernier des Mohicans de Michael Mann. C’étaient mes deux références évidentes. J’ai une passion pour Fisher que j’ai de nouveau pu mettre en exergue dans La Belle et la Bête. Et Le Dernier des Mohicans avait été un choc en 1992. D’ailleurs je l’ai revu récemment, et j’ai été complètement bluffé par sa somptuosité. J’ai eu tellement de plaisir à le revoir que je l’ai relancé après le générique de fin. Je me suis dit : « Voilà exactement ce qu’est un chef-d’œuvre. ». C’est un film extraordinaire. Enfin bref, l’intrigue du Pacte des loups fonctionne, et c’est dû au script formidable de Stéphane Cabel. C’était un très bon scénario. Je me suis permis de travailler ou gonfler trois personnages. L’'Indien évidemment, qui à l’origine n’était qu’un porteur de valises. Ensuite, le personnage de Monica, l’espionne du Pape, que j’ai inventée — c’était ma façon de proposer une sorte d’Angélique Marquise des Anges pour les années 2000, Et enfin, j’ai aussi inventé la muette qui a des crises d’épilepsie. À travers ces trois personnages, on trouve ma signature.

    Quand on revoit Le Pacte des loups, on est justement frappé par la complexité des personnages féminins. On est d’ailleurs dans une dichotomie assez forte entre un libertinage très marqué - et presque inconcevable aujourd’hui -et une mise en avant de la force des femmes.

    Il y a même un moment qui n’est pas woke du tout: on a le point de vue de Vincent Cassel, et la caméra descend vers le sexe d’une prostituée. C’est incroyable ! (rires)

    Honnêtement, Monica Bellucci n’a jamais été aussi bien filmée.

    Je l’ai filmée comme Daliah Lavi dans Le Corps et le fouet. D’ailleurs il y a un plan, quand elle est couchée, qui est une reproduction à l’identique d’un plan de Mario Bava.

    L’égorgement à l’éventail est très marquant aussi.

    Ça évoque les héroïnes du cinéma japonais, évidemment, Junko Fuji, Meiko Kaji et les autres. Je suis un peu comme Quentin Tarantino à ce niveau-là. On s’est beaucoup fréquentés à l’époque où Samuel Hadida produisait True Romance, et on ne parlait que de ça! C’est vrai que d’une certaine manière, tout ce fétichisme autour des héroïnes japonaises, ou des héroïnes des films de cape et d’épée italiens, a été constitutif de la sexualité des fans de cinéma. C’est comme ça qu’on imagine les femmes. Dans Le Pacte des loups, il y a un côté érotomaniaque.….

    … qui ressort notamment avec ce plan sublime sur la poitrine de Monica Bellucci qui se transforme en paysage.

    Certains me disaient à l’époque : « Il ne faut pas faire ça. ». Quand j’ai montré le film à des amis américains, ils m’ont dit que c’était dément. « Personne n’a jamais osé faire ça ! » Mais en France, plein de gens ont essayé de me faire douter à ce propos.

    C’est l’une des images les plus fortes du film.

    J’ai une passion pour la peinture et la photographie surréalistes, et j’ai trouvé que c’était très beau d’avoir un corps de femme qui devienne un paysage. C’est un peu comme ces très beaux dessins de Belinski ou Caza qu’on trouvait en couverture des recueils de la collection « Fiction ». On voyait des corps de femmes qui ressemblaient à des paysages, avec dessus des cathédrales. (rires) C’était mon trip total ! Je me souviens de la façon dont ce plan a été tourné. On a fait ça avec une caméra endoscopique, sur une table dans un hangar en briques où il faisait très froid. Monica est arrivée, elle s’est mise nue, elle s’est tournée vers les techniciens et leur a dit avec son accent italien : « Regardez bien parce que c’est la dernière fois que vous verrez ça. ». (rires) J’ai ensuite bougé la caméra endoscopique sur les vallons du corps de Monica. Il faut savoir que de par sa formation de mannequin, elle est capable de projeter un résultat. Elle arrive à imaginer ce que donnera le plan. Je lui ai expliqué mon idée et elle m’a dit : « Oui, il faut le faire, c’est vachement bien ! ». Pour revenir sur une autre chose qui m’a frappé en revoyant le film, c’est le nombre de personnes qui sont parties.

    Nous n’osions pas l’évoquer… Et encore récemment avec Gaspard Ulliel et Jacques Perrin.

    Jean-François Stévenin, Jean Yanne, Samuel Hadida… Huit acteurs sont partis, sans compter ceux qui sont derrière la caméra.

    Comme Benoît Lestang

    J’ai forcément revu le film avec une certaine mélancolie, une sentimentalité à laquelle je ne m’attendais pas. Le Pacte des loups a toujours été difficile à porter pour moi, car à l’époque, il a d’abord été reçu à travers l’événement qu’il représentait. Je sortais d’une expérience heureuse qui était Crying Freeman. C’est le premier film que je souhaite à tous les cinéastes. Tu arrives avec un long-métrage original que tout le monde trouve sympa, personne n’a rien à redire, il fait 900.000 entrées, joli petit succès, mais en même temps pas un triomphe qui peut jeter de l’ombre sur quiconque… Ça ne remet rien en question. Quand j’ai fait Crying Freeman, je me suis dit : « Oh putain, L’est sympa le cinéma ! ». Tout le monde était content, j’entendais : « C’est cool, il a fait son film avec des yakuzas dans les forêts du Canada, ça a fonctionné. ». Mais quand Le Pacte des loups est sorti, il y a des gens qui ne m’ont plus jamais adressé la parole. J’ai aussi su ce jour-là que ma tranquillité de cinéaste, c’était fini. J’étais le mec qui avait fait ce machin, et les gens le regardaient à travers le prisme de l’événement : c’était le film de tous les excès. Tout le monde avait un avis extrêmement tranché et parfois violent.

    Même Mad Movies à l’époque.

    Absolument. C’est donc un film que j’ai dû mettre de côté. Les seuls endroits où je pouvais en parler tranquillement, c’était à l’étranger. Là, les gens le prenaient pour ce qu’il était, c’est-à-dire un blockbuster français, qui s’amuse avec l’Histoire de France et plein de genres différents. Ici, j’ai entendu des trucs du style : « Ça a volé le succès à des films plus exigeants. ». C’est la vieille problématique française, du genre : « L’As des as a volé le succès d’'Une chambre en ville. ». Ça n’a aucun sens ! Je me suis toujours protégé en disant que Le Pacte des loups a été un coup de bol monstrueux. Six mois plus tôt ou plus tard, ça aurait pu ne pas du tout marcher.

    Étrangement, ce succès n’a pas débouché sur une nouvelle vague de Superproductions françaises.

    C’est dû à la manière dont le business fonctionne en France. Un film comme ça est difficile à faire, et ça se voit. Je ne veux pas faire de généralités, mais beaucoup de personnes que j’ai croisées dans ce business ne veulent pas se faire chier. On a souvent dit de manière très injuste que ce qui avait tué le cinéma de genre en France, c’était la Nouvelle Vague. C’est une aberration. Ce qui a tué le cinéma de genre en France, malgré l’amour que j’ai pour Louis de Funès, c’est Le Gendarme de Saint-Tropez. Pour les producteurs, tout devient clair : on peut tourner pour trois francs six sous sur une plage avec une bande de comiques et faire un carton monstrueux. À quoi bon se faire chier à aller faire des costumes, des décors, des cascades, des explosions, à employer plein de corps métiers différents ? C’est ça, le vrai tournant du cinéma français. À partir de ce jour-là, tout le monde a rêvé de refaire Le Gendarme de Saint-Tropez, c’est-à-dire un film que tu fais les doigts de pied en éventail, tranquille, pour un investissement mineur, et qui rapporte énormément. Nous sommes encore dans ce règne là, et je crois que nous n’en sortirons pas.

    Ce qui frappe en revoyant Le Pacte des loups, au-delà de tout ce que le film revendique dans son rapport au genre, c’est l’exigence de chacun de ses costumes et décors. La caractérisation des personnages passe à travers leur tenue, les accessoires, le production design, la lumière, leur place dans le cadre… C’est presque maladif.

    Oui, c’est même fétichiste. Je suis fétichiste dans mon rapport au cinéma. Pas seulement le mien, mais aussi celui des autres. Pour moi, tout fait sens. Sur Le Pacte des loups, je faisais en sorte que la crinière de chaque cheval soit en harmonie avec les cheveux de l’acteur qui le montait. Il y a des détails qui réapparaissent dans la version 4K et qui avaient disparu dans l’étalonnage numérique d’origine. Notamment le fait que Monica Bellucci change de couleur d’yeux à chaque scène.

    C’est pour moi un personnage changeant, multifacettes, et j’ai repris un truc que j’avais déjà utilisé sur Crying Freeman, où le héros change de couleur d’yeux quand il est en état d’hypnose. Monica a donc des yeux argent, des yeux sombres, même des yeux vaguement rouges dans certaines scènes, pour lui donner un aspect vampirique. Je me suis souvenu de ça en revoyant le film : j’avais commandé un jeu de six paires de lentilles de contact à l’époque. C’est un détail qui a son importance, et qui montre que pour moi, tout devait faire sens, même d’une manière totalement subliminale. Mes films sont très volontiers ce que j’appellerais « anti-psychologiques ».

    J’aime bien le cinéma psychologique, mais je préfère le cinéma pur, c’est à-dire le cinéma où tout est transmis par l’image. Les détails, les couleurs, les costumes véhiculent donc, comme tu l’as dit, l’état d’esprit du personnage. Donc si l’état d’esprit change, la couleur d’yeux change. Évidemment, le cinéma français est largement bâti sur la « psychologisation », et ce jusqu’à ia névrose et la Caricature.

    Grégoire de Fronsac est vraiment un homme de la Renaissance: il s’intéresse à la science, à l’art, à la littérature… Ce personnage est en totale adéquation avec le film. Le Pacte des loups serait d’ailleurs stylistiquement incohérent sans ce protagoniste, et sans cette bête protéiforme.

    Oui et l’une des scènes emblématiques est celle de la truite velue, De Fronsac y montre une fabrication. Il est déjà sur la piste, déjà dans la bonne direction. Effectivement, la bête est un assemblage hétéroclite d’éléments rapportés composant une espèce d’animal mythique qui n’existe que parce que les gens ont l’intention d’y croire. Mais en fait, ce n’est qu’un lion martyrisé enfermé dans une carapace. Ce qui a le plus de prix dans le film, et ce qui montre le plus où va ma sympathie, c’est le plan sur l’œil de la bête, et la langue qui vient lécher la main de Fronsac juste avant que celui-ci ne lui donne le coup de grâce.

    Ces deux plans, maïs aussi l’extraordinaire performance de Philippe Nahon, qui projette dans la scène quelque chose de sublime. On en a fait un ogre, maïs il était tout le contraire. Il y a toujours un truc qui fonctionne dans le cinéma de genre : tu prends un mec connu pour des rôles de salauds, et tu lui fais jouer un type sympa ; tu prends un mec qui joue toujours des héros, et tu en fais une ordure ! Ça marche à tous les coups ! (rires) J’aime vraiment cette scène parce qu’elle résume parfaitement le message que je voulais faire passer, c’est-à-dire que l’homme peut être ignoble, mais la nature et les animaux ne le sont jamais. Pendant le tournage, je parlais beaucoup de Dressé pour tuer de Samuel Fuller, qui est le film qui raconte parfaitement Ça ! On a pris une bête, on l’a martyrisée, on en a fait ce monstre.

    On a souvent dit de manière très injuste que ce qui avait tué le cinéma de genre en France, c’était la Nouvelle Vague. C’est une aberration. Ce qui a tué le cinéma de genre en France, malgré l’amour que j’ai pour Louis de Funès, c’est Le Gendarme de Saint-Tropez

    Le design de l’armure de la bête est intéressant, car même en voyant la créature en plan large, on ne comprend pas totalement sa physionomie. La carapace de la bête reflète la vulgarité de l’homme.

    Oui, c’est fait de bric et de broc ! C’est une chimère fabriquée dans un magasin de bizarreries. D’ailleurs, le héros lui-même est condamné à un moment à reproduire ça.

    ll crée une version romantique de la bête.

    Oui, une espèce de loup avec un masque rouge. La bête qui est exposée au roi est une fabrication d’un vrai taxidermiste, qui d’ailleurs était passionné par l’idée que la bête du Gévaudan ait été une fabrication humaine.

    On peut détecter là un commentaire extradiégétique sur le métier de creature designer…

    Oui, le héros dessine des monstres tout le temps ! Dans mes films, il y a toujours des peintures, des artistes… Même dans le film sur lequel je travaille actuellement, le héros est un peintre. (rires) C’est une façon de parler de mon travail, car tout est toujours dessiné à l’avance, tout est en 2D avant d’être transposé à l’écran. C’est la phase que je préfère dans la fabrication d’un film. Quelqu’un dessine quelque chose, puis quelqu’un ajoute un détail, quelqu’un enlève autre chose pour clarifier les lignes. Et au final, on obtient un design qui donne sa personnalité au long-métrage. Il doit y avoir des chocs picturaux à l’intérieur d’un film ; le cinéma est à la croisée de pas mal d’arts, mais l’art pictural est très important.

    Restauration 4K: Retour en Gévaudan !

    Vendu par Samuel Hadida sur les marchés internationaux comme le « Matrix en costumes », Le Pacte des loups appartient effectivement à la même famille cinéphitique que les essais des Wachowski ou de Quentin Tarantino. Mais cette anomalie majeure dans l’Histoire du cinéma français a toutefois une carte à faire valoir sur le plan narratif : la nature protéiforme et bricolée de sa bête tragique justifie pleinement sa pluralité stylistique et tonale, tout comme le fait que le héros (Samuel Le Bihan en successeur évident de Belmondo) est décrit comme un véritable homme de la Renaissance, passionné à la fois par la science, la littérature, l’art et les femmes.

    Affichant un érotisme rafraîchissant par les temps qui courent, des tableaux horrifiques puisant autant chez Spielberg, Bava et Fisher que chez les frères Grimm (cf la superbe séquence de la bergère), un sens de la chorégraphie hérité de The Blade de Tsui Hark et du 13ème guerrier de John McTiernan (références confirmées par Gans) et même quelques idées connectées aux cultures du manga et du jeu vidéo (le combat final, entre Kawajiri et Soulcalibur), Le Pacte des loups tient étonnamment bien la route deux décennies après sa sortie, à plus forte raison dans sa nouvelle copie 4K.

    En 2001, le long-métrage s’était prêté à un étalonnage numérique encore au stade expérimental. La seule copie HD disponible depuis lors n’était qu’un gonflage artificiel d’un intermédiaire basse définition, Gans ayant peur de se confronter au matériau d’origine. Metropolitan aura réussi à l’en convaincre, et on les remercie : facilité par la photographie somptueuse de Dan Laustsen (Crimson Peak, Silent Hill) le travail de restauration est exemplaire et guide le spectateur vers des détails jusqu’ici seulement effleurés, comme la couleur d’yeux changeante de Monica Bellucci, les dessins de Grégoire de Fronsac ou le soin apporté à chaque costume, chaque draperie et chaque accessoire. Le nouveau mixage Dolby Atmos est à la hauteur de ce spectacle visuellement foisonnant.

    Notons pour finir que la copie remasterisée correspond bien au directors cut, dont les huit minutes supplémentaires développent les personnages de Jean-François, Marianne et Sylvia, sans toutefois modifier le sens global ni gommer l’ambiguïté de l’épilogue.

    Propos recueillis par Alexandre PONCET
    Merci à Zvi David Fajol

  • 0 Votes
    1 Messages
    123 Vues

    Robert Eggers n’est pas seulement un cinéaste fascinant, c’est aussi un interlocuteur passionnant, dont le franc-parler tranche avec les conventions de la promotion hollywoodienne. Rencontre avec un auteur visiblement torturé et en constante remise en question, qu’on ne reverra probablement pas de sitôt à la tête d’un blockbuster…

    Dans The Northman, vous associez constamment vos personnages à des animaux. Il y a d’ailleurs une évolution dans leur animalité. Le héros enfant est décrit comme un dangereux louveteau, puis il devient un croisement entre un loup et un ours. C’est presque Cronenbergien, comme idée !

    C’est un élément qui fait partie intégrante de la mythologie et de la culture des Vikings et qui m’intéressait beaucoup. Il y a bien sûr des histoires de Vikings qui ne s’attardent pas sur cet aspect autant que je l’ai fait dans le film. Tout ce qui touche à l’âge chrétien, notamment, se détourne de ce thème. Mais oui, les guerriers loups et ours de mon film canalisent leurs instincts bestiaux pour commettre leurs atrocités. Au XXI° siècle, nous associons sans doute des valeurs bien plus positives aux animaux et à la nature.

    Comment avez-vous pitche ce film à Focus Features et Universal ?

    Je leur ai dit que j’allais réaliser un film de vengeance viking et la version la plus commerciale et divertissante d’un film de Robert Eggers. Je leur ai présenté le récit comme un mélange de Conan le Barbare et de Hamlet.

    Parlons de Conan le barbare. La structure de The Northman est très proche de celle du chef-d’œuvre de John Milius, en particulier dans le premier acte.

    Conan a été un vrai choc pour moi pendant mon adolescence. Pendant la préproduction, ou juste avant le tournage, je l’ai revu. Pas pour me préparer, mais j’avais besoin de me repencher dessus. Je dois avouer que j’ai glissé une citation directe, qui est très visible pour les fans.

    Quand il trouve son épée…

    Oui, le casque du squelette tombe. C’était un vrai hommage. Ce qui est intéressant, c’est que mon superviseur des effets spéciaux pratiques Sam Conway a mis au point le trucage pour cette scène où Amleth prend l’épée et provoque l’effondrement de la momie. Or c’est son père, Richard Conway, qui avait conçu cet effet pour Conan le barbare ! (rires)

    C’est un moment très marquant dans The Northman. On comprend immédiatement que vous êtes fan de Conan.

    C’est aussi un pur moment de mythologie viking, et Robert Howard s’est de toute façon énormément inspiré de tout ça.

    Il y a toutefois une énorme différence entre Conan et votre film: John Milius a demandé à Basil Poledouris une partition très opératique, portée avant tout sur l’émotion. Avec vos compositeurs Robin Carolan et Sebastian Gainsborough, vous vous êtes plutôt dirigé vers un score atmosphérique, abrasif et brutal. L’ambiance n’est pas du tout la même.

    Je pense que The Northman est très opératique. On peut même difficilement faire plus opératique, mais effectivement la musique a été un aspect très « difficile ». Quand on travaille sur un film pareil, avec très peu de coupes au montage, on a besoin de beaucoup de musique. Le score est donc beaucoup plus long que sur mes films précédents… et le film est beaucoup plus long lui aussi.
    La musique n’arrête presque jamais, et ce n’est pas quelque chose que j’apprécie généralement. Sur deux heures et quinze minutes de projection, il y a presque deux heures de musique.

    Je ne voulais pas d’un score de série télévisée, qui allait expliquer en permanence au spectateur ce qu’il devait comprendre ou ressentir. La musique nous guide un peu, mais elle crée surtout une pression et une énergie. Les nerds seront quand même contents d’entendre des instruments traditionnels nordiques, accompagnés par des chœurs et un orchestre hollywoodien. Tous les solistes se sont montrés respectueux du style hérité de l’ère viking, et les mélodies sont basées sur cette culture.

    The Northman est en effet très opératique, voire même par moments très théâtral. Lorsque le jeune Amleth quitte son pays en répétant « / will avenge you Father, | will Save you Mother, | will kill you Fjolnir », on se croirait presque sur les planches.

    Contrairement aux romances arthuriennes et aux récits liés à la quête du Graal, qui sont plus portés sur le mysticisme et peuvent être bizarres et difficiles à suivre, les sagas vikings ressemblent au cinéma d’action américain des années 1980. Il existe une histoire où le héros perce une mêlée sur la glace et finit par planter sa hache dans le crâne de son ennemi juré, en lançant l’équivalent nordique de « Voilà ce que j’appelle une migraine. ». On a essayé de trouver un certain équilibre au niveau du ton, mais l’histoire de The Northman devrait divertir pas mal de gens. Ce n’est pas du tout comme The Lighthouse. Pendant l’écriture de ce dernier, j’ai délibérément supprimé des scènes et des détails pour que les spectateurs aient un peu plus de mal à saisir l’intrigue.

    Avez-vous évoqué l’idée de tourner The Northman entièrement en langue viking, dans un esprit proche de ce que Mel Gibson avait pu faire sur Apocalypto ?

    Oui, bien sûr, mais je ne suis pas Mel Gibson et je ne peux pas autofinancer un projet comme celui-là. Les discussions ont donc tourné court. Mon choix de cœur aurait été de tourner tout le film dans une langue ancienne, mais j’ai dû me contenter d’utiliser l’old norse dans le contexte de certains rituels. J’aurais vraiment préféré aller jusqu’au bout, d’autant qu’écrire des dialogues anglais qui puissent évoquer un texte mythologique viking n’a pas été chose aisée.

    Au bout du compte, tous les acteurs parlent en anglais avec un accent nordique, et je n’aime pas particulièrement ce choix. Ça peut sonner un peu absurde, mais c’était la seule solution possible compte tenu des enjeux de la production. C’était soit ça, soit les faire parler avec leur vrai accent, et se retrouver avec des Vikings américains ou britanniques. Dans les années 1970, on se posait moins de questions : tous les acteurs parlaient comme ils le voulaient.

    Sur The Northman, cet accent commun était à mon avis le choix le moins problématique. Cela rappelle John McTiernan, qui a beaucoup joué avec les langues étrangères, notamment dans Le 13ème guerrier, qui est un autre sacré film de Vikings.

    J’ai choisi de ne pas revoir Le 13ème guerrier pendant ma préparation. J’ai tout de même revu Les Vikings de Richard Fleischer, car c’est une œuvre très iconique. Je pense que c’est un vrai bon film, même si voir Kirk Douglas sans barbe est un peu ridicule.

    Parlons un peu technique. Certains plans sont de véritables tours de magie, notamment le plan-séquence sur le volcan en éruption.

    Dans la plupart des plans les plus longs, il y a bien sûr des coupes savamment cachées, en particulier dans la scène du volcan. La fumée nous a beaucoup aidés à les couvrir. Nous avons tourné cette séquence dans une carrière à l’aide d’une énorme grue. Il y avait beaucoup de flammes et de fumée sur le plateau. Pour la lave, ils ont enterré des LED dans le sol, et ces LED bougeaient, nous offrant ainsi des effets de lumière crédibles. On a ensuite remplacé les LED par de la lave en synthèse. Le superviseur des effets visuels est parti observer une véritable éruption volcanique en Islande et a photographié de nombreuses références.

    Le raid sur le village est lui aussi très impressionnant. Amleth rattrape une lance au vol, la renvoie à l’expéditeur, l’armée fonce vers les parois, les escalades, et on suit le massacre sans coupure.

    Cette séquence est l’une des rares choses dans The Northman dont je sois vraiment fier. J’ai revu The Witch il y a peu, à l’occasion d’une ressortie en Blu-ray, et j’ai été profondément déçu par ce que j’ai redécouvert. C’était loin de ce que j’avais imaginé au départ. The Lighthouse, en revanche, correspond à mes attentes. J’ai rarement envie de revoir mes films, mais je peux me poser devant The Lighthouse sans honte.

    Après The Witch, c’était un projet qui proposait une échelle de production idéale. L’échelle de The Northman était à côté de la plaque pour moi. Je n’avais pas l’expérience nécessaire pour tourner un film de cette ampleur. Je suis donc fier de certains aspects, mais comme pour The Witch, je n’arrive pas à me montrer réellement satisfait. Mais oui, la séquence du raid est vraiment réussie.

    Vous paraissez très humble dans votre approche. Vous êtes en train de dire que vous êtes déçu du résultat global ?

    Il faut avoir certaines aspirations.

    Certes, mais on n’entend jamais ce type de discours dans le cadre d’une énorme promo.

    Je ne devrais peut-être pas vous dire tout ça, alors. (rires) Je ne dis pas que The Northman est mauvais, je dis qu’il n’est pas à la hauteur de mes espérances.

    Pourtant, ça ressemble vraiment à un film de Robert Eggers. Il y a même une pointe de sorcellerie dedans.

    Oui, il y a sept sorcières, je crois ! (rires)

    Vous avez pitché la version la plus « divertissante » d’un film de Robert Eggers, mais vous ne pouvez pas vous empêcher d’ajouter de la sorcellerie.

    En effet. Je dois vous avouer : le tournage a été difficile. Vraiment difficile ! Mais la postproduction a été pire. Je n’avais pas le final cut. Mon co-auteur Sjén m’a dit :

    «On est des créatifs intelligents, et si on est incapables d’interpréter les notes du studio de manière à rester un peu fiers du film, c’est qu’on ne travaille pas assez. ».

    Je dois donc le remercier, car il nous a permis d’atteindre la ligne d’arrivée… mais c’est ce que j’ai fait de plus difficile dans toute ma carrière. Je suis fier de The Northman, c’est effectivement un film de Robert Eggers, mais à bien des moments, j’ai cru que je n’allais pas y arriver.

    Vous n’aviez pas le final cut, mais vous avez tout de même réussi à vous écarter autant que possible d’un quelconque style hollywoodien. Le niveau de violence, par exemple, est inouï.

    Je ne suis même pas sûr que le studio ait compris au départ ce que j’allais faire. Sans le COVID, on ne m’aurait sans doute pas autorisé à tourner un film aussi énorme que celui-là avec une seule caméra. Mais ils ont accepté ! (rires) Des films d’action tournés avec une seule caméra, ça n’existe quasiment plus.

    Avez-vous story-boardé l’ensemble du film ?

    Oui, mais je ne crois pas qu’on ait fait de la prévisualisation 3D. Peut-être pour la scène de la tempête en mer, qui est entièrement réalisée en images de synthèse… D’ailleurs, je suis très satisfait du rendu. Je suis généralement allergique aux grands spectacles numériques, j’essaie de filmer le plus d’éléments réels pour ensuite les assembler à l’image. Je crois qu’on a créé des animations 2D assez primitives pour la séquence de la Valkyrie et pour le plan d’ouverture.

    Ce qui est intéressant dans The Northman, c’est que vous laissez planer le doute dans une certaine mesure sur les éléments fantastiques. On peut les voir comme des visions oniriques… mais vous égrenez des détails qui font pencher la balance du côté de la fantasy p**e. Au début du dernier acte, un personnage secondaire ne parvient pas à retirer l’épée de son fourreau, donc le maléfice semble bel et bien réel.

    Je suppose que ce plan sur l’épée rompt l’ambiguïté. Oups ! (rires) Ce que je veux dire au spectateur, c’est : si vous y croyez, c’est que c’est vrai. Le héros y croit, de toute façon, donc pour lui c’est vrai. Même si c’est une hallucination qui se manifeste dans la psyché d’un personnage, est-ce que ça rend les choses moins réelles ?

    Le procédé installe en tout cas une atmosphère très étrange, qui culmine avec ce combat final. David Cronenberg avait déjà tourné un combat entre deux adversaires complètement nus dans Les Promesses de l’ombre. Quel est votre rapport à son cinéma ?

    Je ne suis pas forcément son plus grand fan, mais son regard d’auteur m’inspire beaucoup. Il a une voix très puissante. Je ne sais pas. Poussez-moi un peu plus. Allez-y, ne prenez pas de gants.

    Vos combattants sont nus, mais vous semblez vous autocensurer. Une nudité frontale était-elle interdite par le studio ?

    À cause de l’ampleur de la production, je n’avais pas le droit de tourner en nordique ancien, ni de montrer un pénis. Si vous montrez un pénis, vous ne pouvez pas vendre votre film à une compagnie aérienne. Or c’est un marché très important. Je n’étais pas très content quand on m’a annoncé ça, mais j’ai dû ravaler ma fierté. Je crois qu’au final, on ne perd pas grand-chose. Je n’aurais pas voulu que les spectateurs soient constamment tentés de regarder l’anatomie des acteurs. On ne va pas se mentir : on est tous comme ça, et on aurait regardé les pénis plutôt que le combat. Pour le raid avec les berserkers en revanche, j’aurais apprécié que certains agresseurs soient entièrement nus. Ça aurait été vraiment terrifiant.

    La violence dans The Northman n’est jamais glamorisée ou glorifiée. Quand les femmes ou les enfants sont pris pour cible, c’est très factuel, même si vous évitez de vous attarder sur leurs cadavres. C’est presque moral…

    C’est le genre de réactions que j’espérais. Je ne sais pas où se situe The Northman au niveau de la ligne morale. Je suis mal placé pour le dire. J’ai fait au mieux, mais Ç’a été très difficile. Par moment, la violence doit être divertissante ou excitante dans un film comme celui-là, mais on ne veut pas que le public ressorte avec l’envie de tuer son voisin. Avec le raid, mon intention était de créer un contraste avec l’attaque très excitante des berserkers et la séquence suivante, où on a presque honte d’avoir été diverti. Parce que cette violence n’a rien de cool.

    Ce qui nous amène à votre travail sur le point de vue. Cette scène n’est pas la seule à fonctionner à travers un prisme particulier. Il y a ce face à face entre Skarsgärd et Claes Bang entièrement tourné en regards caméra.

    La plupart du temps, on adopte le point de vue du personnage d’Alex, mais j’ai parfois essayé de me projeter dans d’autres protagonistes avant de revenir vers lui. Après tout, le 7° Art est une affaire de point de vue ! J’espère que The Northman sera bien reçu… et surtout que les gens iront le voir sur grand écran, dans un vrai cinéma.

    PROPOS RECUEILLIS PAR Alexandre PONCET.
    Merci à Cédric LANDEMANNE.

    SOURCE: MAd Movies papier

  • 0 Votes
    1 Messages
    113 Vues

    Frank Henenlotter, le réalisateur new Yorkais du trash urbain, des cultissimes Basket Case, Brain Damage et Frankenhooker, visibles sur la plateforme Shadowz, nous raconte sa vie, son œuvre dans une longue interview carrière fleuve.

    Enfant, vous regardiez quel genre de fims?

    J’ai commencé à regarder des films à le télévision. J’étais un mauvais garçon, j’avais pas d’amis, Même mes parents me détestaient (il rit). Je me demande encore pourquoi lis ne m’ont pas tué. Mais je regardais tout ce qui passait à la télévision, n’importe quel film. Parce que je trouvais ça trop bizarre, je me foutais de ce que je regardais mais j’étais fasciné par ce que je découvrais. Tout était inhabituel. Quand deux personnages marchaient dans un film, ils ne marchaient pas comme dans le vraie vie. J’étais fasciné aussi par la manière dont ils s’exprimaient, ou encore la manière dont ils se faisaient tirer dessus dans les westerns et tombaient de cheval.

    Évidemment, je ne comprenais rien des artifices. Je crois que le premier film que j’ai vu à la télévision était Le roi des zombies (Jean Yarbrough, 1941). Je n’aimais pas du tout à l’époque, je trouvais les zombies trop nazes. Aujourd’hui, J’adore le film, mais à l’époque, je détestais ça. J’ai grandi à Long Island. Là-bas, il y avait deux cinémas et l’un de deux était un immense cinémas, comme il n’en existe plus aujourd’hui. A l’époque, quand vous étiez enfant, Il était possible d’aller au cinéma tout seul le week-end, le temps de séances spéciales.

    Ah bon?

    Oui, Tous les enfants étaient parqués aux mêmes rangs et ne pouvaient pas s’en échapper, A l’époque, te cinéma en question encourageait les parents à laisser leurs enfants seuls et, pour je ne sais quelle raison, il passait des films d’épouvante. Ne me demandez pas pourquoi, ni comment, je ne sais pas du tout (il rit). N’empêche, c’était merveilleux.

    Alors j’ai pu découvrir d’autres films du même acabit qui ont su créer un impact fantastique comme Le cirque des horreurs (Sidney Hayers**, 1960**). Je n’arrivais pas à croire ce que je voyais, je n’arrêtais pas de crier «Nom de Dieu». Je ne savais rien du sexe mais je savais que des choses étranges se tramaient dans ces films. A cet âge-là, on comprend rapidement les sous-entendus, les ellipses.

    Je reste très marqué par la vision des Maîtresses de Dracula (Terrence Fisher, 1960). À une époque où la télévision ne diffusait que les films avec Rock Hudson et Doris Day, ça détonnait. Le cinéma apportait un intense contraste avec le fait de grandir à Long Island. Par la suite, j’ai connu l’époque des drive-in. Dans les années 90, tous ces cinémas ont commencé à disparaître mais à l’époque, il ÿ en avait partout, absolument partout. Ainsi, je pouvais découvrir des films qui ne passaient pas à la télé. Vous pouvez imaginer l’excitation de découvrir un film comme En quatrième vitesse (Robert Aldrich, 1955) sur grand écran?

    Avant de me rendre dans la salle, je me suis dit: «oui, c’est le film du mec qui a réalisé Qu’est-il arrivé à Baby Jane? Alors ça doit être pas mal.» Une fois dans la salle, wow, j’ai découvert le plus grand film noir jamais réalisé. En sortant, je tremblais presque. Rien vu de semblable. Et ensuite, jeune adulte, j’ai arpenté les cinémas de la 42e rue, un endroit merveilleux quand vous êtes cinéphile.

    Toutes les légendes que l’on raconte sur la 42e rue sont réelles, exagérées ou fausses?

    Il y a évidemment une bonne part de fantasme. On a beaucoup exagéré sur le côté malfamé, moi le premier. Croyez moi, il ne faut pas croire tout ça. Le seul problème que vous aviez lorsque vous alliez dans ces cinémas, c’était l’impossibilité de voir tous les films à l’affiche. Et donc la peur qu’ils disparaissent,

    Qui pouvaient prédire que des décennies plus tard ces films seraient retrouvés? À l’époque, ses films étaient en face de moi et j’avais peur de manquer un chef-d’œuvre. On pouvait voir tout ce qu’on voulait. Mais à l’époque, on était rapidement floués sur la marchandise. Souvent, le contenu ne ressemblait pas à ce qu’il y avait sur l’affiche. Je me souviens m’être rendu sur la 42e rue avec un pote et on avait été attiré par la magnifique affiche d’un film de Jess Franco. En sortant, mon pote s’est exclamé: «Putain, j’ai claqué 2 dollars 50 pour voir ça». Je voyais tous les films à l’affiche et je n’en avais jamais assez. Vous deviez être très attentif car parfois les films restaient à l’affiche un jour.

    Les deux films que j’ai vu pendant longtemps en salle pendant cette période d’euphorie, c’était La vallée des plaisirs (Russ Meyer, 1970) et Le Conformiste (Bernardo Bertolucci, 1970), deux films que j’adore mais qui sont très différents. On considère souvent Citizen Kane comme le meilleur film de l’histoire du cinéma et La Dolce Vita en second et Boulevard du crépuscule etc. Je suis fan de Otto Preminger comme je suis fan de Jess Franco, vous avez besoin de deux. Après tout, vous pouvez manger des légumes et de la viande.

    J’ai rencontré Jess Franco à de nombreuses reprises, il a tout fait, notamment des remakes. Mais jamais il ne copiait pas en faisant ses remakes, il faisait tout à sa sauce avec cette étincelle qui faisait la différence. Je pense aussi à un réalisateur comme Herschel!l Gordon Lewis. Ça n’a pas besoin d’être bon, il suffit qu’il y ait quelque chose de passionnant à prendre.

    Quelles ont été vos grandes découvertes au moment où vous avez créé la collection «Something weird video»?

    Tout ce qui tient de la sexploitation. Je n’ai pas grandi avec ses films et en fouillant dans les archives, j’ai découvert des choses hallucinantes. Pour commencer, ces films n’étaient pas réalisés par des cinéastes mais par des mecs qui louaient une caméra et qui se persuadaient que des filles seraient prêtes à montrer leurs seins. Ils ne faisaient pas ça pour l’art mais pour le vendre. Et puis, c’est rudimentaire.

    L’intrigue d’une sexploitation est simple, ça consiste à montrer des nichons à l’écran. Il y avait à chaque fois quelque chose qui me faisait halluciner et j’avais envie de demander aux gens autour de moi s’ils hallucinaient eux-aussi devant ces films.

    Je pense par exemple à un film homophobe de Floride qui disait du mal des homos mais qui, en même temps, s’avérait quelque peu attiré par le personnage masculin joué par un acteur efféminé. Dans une scène, il se faisait violer à l’arrière d’une voiture et perdu sur la route, il se trouvait près d’un culte démoniaque qui le rejetait parce qu’il avait été violé par des homos et que grosso modo ça pouvait les contaminer. Clairement, le mec qui a fait ce film avait un problème. Le personnage masculin s’échappait du culte comme une femme s’échappant dans les marchéages dans les films d’horreur. Sauf qu’ici, c’est un mec se roulant dans la boue dans un petit short blanc. Non seulement l’acteur l’a fait délibérément mais le cinéaste a pris plaisir à le filmer. Ce qui est très bizarre pour un film anti-gay. Et évidemment, dans le groupe satanique, figure une lesbienne repentie. Ce sont les joies de l’exploitation. le prie pour retrouver d’autres films comme ça.

    Aussi, les films rares ne le sont plus tellement, non?

    Aujourd’hui, n’importe qui peut les télécharger via un fichier torrent. Mais personnellement, je ne sais pas comment font les jeunes cinéphiles. Je ne conçois pas de regarder un film sur un ordinateur,

    D’autant que la frontière est beaucoup plus ténue en ce qui concerne l’exploitation. Lorsque Hollywood fait un film de super-héros, c’est de l’exploitation à gros budget. Quand je cherche un film, j’ai simplement besoin d’une année. C’est très important pour moi afin de savoir si c’est un film pré-code ou post-code. C’est là que l’on réaliste à quel point il est Impossible de faire des remakes de vieux films, tout simplement parce que les enjeux et le contexte social étaient très différents. Tout est lié à l’année où ça a été fait.

    Regardez Frankenhooker, un film sur le crack. À la fin des années 80, le crack était partout à Manhattan. Aujourd’hui, ce n’est plus trop le cas. je reste très curieux de savoir ce que les jeunes spectateurs pensent de l’addiction au crack par exemple, Pour être franc, je reste étonné que mes films soient encore montrés et cela me rend extrêmement humble. A l’époque, j’ai réalisé Basket Case, Elmer le remue-méninges, Frankenhooker pour une durée de vie extrêmement limitée, je pensais qu’ils ne resteraient que six mois à l’affiche d’un cinéma et que tout le monde oublierait ensuite.

    Au générique de Basket Case, on retrouve Jim Muro, le futur réalisateur de Street Trash, crédité comme assistant son.

    Oui, c’est sur Basket Case que nous avons commencé à travailler ensemble, mais nous nous connaissions depuis longtemps. Bien avant que je fasse des films. J’ai connu Jim Muro à l’âge de 14 ans et j’ai très bien connu sa mère. Nous étions tout le temps fourrés au cinéma. A l’époque de Basket Case, je l’ai laissé faire tout ce qu’il voudrait faire et surtout tout ce qu’il voulait apprendre. La force de Jim a toujours été la curiosité, la soif d’apprendre.

    Je me souviendrais toujours de la première fois où je l’ai vu se ramener sur le plateau de tournage avec une steadicam. Au lieu de me réjouir de sa découverte, je lui ai demandé pourquoi il avait dépensé tout son argent dedans. Ce genre d’anecdote prouve à quel point je n’étais pas malin et à quel point il l’était infiniment plus que moi. C’est sans doute pour cette raison qu’il a fait une bien meilleure carrière (il rit).

    Son autre qualité, c’est d’être visionnaire, il savait à quoi allait ressembler le futur du cinéma. Ce qui est drôle, c’est que Street Trash, son premier long métrage, a été réalisé exactement au même endroit où nous avions tourné Brain Damage: chez son père. Puis, au début des années 90, il est parti sur la côte ouest pour devenir steadicamer et il a eu raison, c’est le meilleur steadi-camer au monde.

    Vous vous rendez compte, il a bossé avec James Cameron sur des films comme Abyss, Titanic. Pourquoi voudriez vous qu’il revienne à la réalisation de films? Il n’a plus à se plaindre, il n’a aucun besoin de reconnaissance, il a d’ores et déjà une carrière que la plupart des artistes trouveraient enviable. Bref, je suis très fier de lui et de son parcours.

    Vous n’en avez pas marre d’être considéré comme le parangon du cinéma new-yorkais underground des années 80?

    Chaque journaliste qui m’interviewe me demande comment c’était le cinéma underground new-yorkais des années 80. C’est la question que l’on m’a plus souvent posée. Le mythe a bien été entretenu, j’imagine. Tout le monde souhaite que le New York des années 80 sait un lieu hautement culturel où tout le monde se connaissait et vivait des expériences intenses.

    Si je cherchais à vous embobiner, je vous donnerais la réponse la plus romantique qui soit, en vous assurant droit dans les yeux: «Oh oui, on sortait ensemble, c’était super les concerts du Velvet Underground avec Richard Kern etc.» Je vais donc être honnête avec vous: je ne connaissais personne, Les artistes d’alors étaient conscients qu’il y avait une effervescence, mais c’est tout. Par exemple, contrairement à ce que l’on peut lire à gauche et à droite, Abel Ferrara et moi ne nous connaissions pas dans le New York des années 80. Nous nous sommes rencontrés des années après. C’était cool mais furtif, à chaque fois. Essayez d’avoir une conversation avec Abel et vous comprendrez ce que je veux dire (il rit).

    Je me souviens juste qu’au moment de réaliser Basket Case, un ami m’a dit qu’un autre réalisateur tournait Driller Killer. C’était évidemment Abel Ferrara et je me souviens juste avoir été très très jaloux du titre de son film. Driller Killer, ça sonne si excitant. Maintenant, il se peut qu’une autre hypothèse soit possible : ils se connaissaient tous, eux, et je ne faisais pas partie du groupe ( il rit).

    En revanche, oui, nous faisons du pur underground au moment de tourner Basket Case. Nous n’avions pas de moyens, nous devions juste veiller à ne pas se faire voler le matos pour qu’on nous le revende ensuite. Sur le tournage, nous avions quelques éclairages, quelques chaises, une caméra 70mm… Que j’ai paumé d’ailleurs. En plein pendant le tournage, j’avais posé la caméra et oublié de la récupérer. Faut jamais me confier quoi que ce soit, je paume toujours des trucs.

    Quel est votre regard sur le cinéma Hollywoodien?

    Pessimiste, évidemment. J’ai le sentiment que ces grosses productions ne sont plus calibrées pour le public américain mais pour le public chinois, C’est fou, Il y a encore dix ans, Hollywood ne pensait qu’aux Américains; désormais, Hollywood drague la Chine. La première idée de l’industrie Hollywoodienne aujourd’hui, c’est de toucher un public à l’autre bout du monde pour vendre plus de billets. Cela fait maintenant des années qu’il n’y a plus rien de neuf. A part des films super-héros, il reste quoi? Est-ce qu’il y a eu un classique Hollywoodien récent? Est-ce que le cinéma américain actuel s’adresse à un public adulte? Combien proposent des idées?

    Savoir comment les super-héros vont nous sauver des super-méchants, je ne pense pas que ce soit franchement l’enjeu le plus excitant du moment. Prenez les films de monstre des années 50. Ce qui m’a toujours attiré avec ces films-là, c’est le surréalisme, l’incroyable surréalisme qui en émanait. Aujourd’hui, ce sont des produits. Hollywood exploite un genre jusqu’à l’épuisement: les slasher il y a dix ans, les films de zombies maintenant. Jusqu’à quand on va encore bouffer du zombie? Les films actuels m’ennuient. Les seuls qui me passionnent sont ceux en 3D. Chaque fois qu’un film sort en 3D, je me rends au cinéma. C’est pourquoi je tombe dans le panneau des films de super-héros. J’ai toujours aimé les films en 3D, précisément ceux qui ont été fait entre 1953 et 1954. Il n’y avait pas d’effets CGI donc pas de manipulation visuelle. J’adore Le crime était presque parfait, L’Homme au masque de cire et Kiss me Kate. Particulièrement le dernier.

    Ce n’est pas le film musical que vous imaginez, au prime abord. C’est drôle, audacieux et, des acteurs à l’équipe technique, ils se sont éclatés à faire ça. Après, il reste beaucoup de mauvais films en 3D. Je reste aussi très bluffé par la manière dont ils ont converti d’anciens films en 3D. Le Magicien d’Oz en 3D, c’est superbe. Jurassic Park, Titanic, aussi.

    C’est grâce au rappeur R.A. The Rugged Man Thorburn que vous avez pu réaliser votre dernier film, Bad Biology (2008)…

    Oui, c’est l’un de mes meilleurs amis. le l’ai connu au moment où je travaillais pour Something Weird Video, où j’avais laissé tomber la mise en scène. Quand j’ai connu R.A. The Rugged Man Thorburn, il n’était pas bien. Maintenant, il va super bien. je l’ai récemment revu avec sa fille qui avait alors six mois. Adorable. Elle n’arrête pas de crier.

    Nous venions d’univers très différents, je lui ai partagé mon amour du cinéma, je l’ai introduit au cinéma de Buster Keaton. Comme ceux qui découvrent Buster Keaton pour la première fois, il a adoré, il m’a demandé à en voir plus. Pareil pour Fellini, Je lui ai montré Satyricon. Lorsque je l’ai revu, des années après la découverte, il m’a confié: «Plus je revois Satyricon, plus j’adore».

    Ainsi, à l’époque où j’étais chez Something Weird Vidéo, il m’a accosté: «si j’ai un peu de pognon, ça t’intéresserait de refaire un film?» Je lui ai répondu «oui» sans y croire réellement. Et finalement, si. En fait, la vraie réflexion derrière Bad Biology, c’était de dire: «que pourrions nous proposer comme film unique?»

    Du genre un film que le spectateur ne puisse pas découvrir de meilleure version si un jour un remake a lieu. Dans ce cas, vous revenez au sexe parce qu’il faut de l’audace pour l’aborder frontalement. On voulait faire un film de sexploitation contemporain. A chaque fois que je racontais ce que l’on pouvait faire, R.A, The Rugged Man Thorburn n’arrêtait pas de rire et comme il connaissait mes goûts en cinéma, il voulait absolument voir ce que ces délires allaient donner sur grand écran. C’était assez excitant à faire.

    Ce qui a coûté le plus cher, c’est de louer la caméra. J’ai tourné avec une équipe réduite et je pense que c’est la meilleure façon de tourner, je ne vois pas l’intérêt de tourner avec une grande équipe. Quand j’ai fait Basket Case 2, nous étions 65 sur le plateau. Les questions quand on fait du cinéma restent toujours les mêmes: où est-ce que je pose la caméra et comment je compose mon plan? Sur Bad Biology, nous étions 11 sur le tournage, en incluant le casting.

    »* Selon vous, à quoi ressemblera le cinéma en 2050?]**

    Bonne question, je n’y ai jamais pensé. Je m’en fous un peu car, en 2050, je serai mort. Il y aura probablement moins de films et je ne sais pas si on continuera à réaliser les films restants avec des budgets aussi exorbitants. C’est dégueulasse hein cet argent que les équipes de films dépensent dans des superproductions, non?

    Interview par Thomas AGNELLI

    SOURCE: chaosreign.fr

  • 0 Votes
    1 Messages
    117 Vues

    Chasseur de nuit

    Avec l’ensorcelant Zeros and Ones (édité en Blu-ray par Metropolitan) le New Yorkais exilé à Rome poursut l’exploration de ses thèmes fétiches : goût pour là QUIL. métamorphoses de l’image, ambiances paranoïaque… || passe aux aveux sur son besoin irrépressible de tourner, même en plein confinement.

    Comment est né Zeros and Ones ?

    Cela faisait longtemps que je réfléchissais à une histoire parlant de contre-espionnage, avec des agents secrets et des soldats américains présents en Europe. Je pensais à quelque chose qui serait presque dans le genre de L’Armée des ombres de Melville : vous savez, un film sur les résistants pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Il y avait aussi l’idée d’un complot terroriste visant le Vatican, semblable à l’attaque contre le World Trade Center. Mais je n’arrivais pas à réunir ces éléments dans ma tête, jusqu’à ce que la pandémie survienne. Nous étions alors en train de tourner le documentaire Sportin’ Life, où il y a pas mal de plans nocturnes de Rome. En faisant des allers et retours à la salle de montage, je marchais moi-même dans ces rues la nuit, et c’est là que l’histoire de Zeros and Ones s’est mise en place.

    Quel est le sens du titre ?

    Les personnages sont dans une guerre, et il y a des gagnants et perdants, comme lors d’un match de football . De plus, les O et les 1 sont les constituants du numérique. Vous voyez donc une compétition au sein d’une image qui résulte d’une équation mathématique.

    Et justement, le numérique vous permet de montrer la nuit, que vous avez toujours filmée de manière incroyable…

    Écoutez, nous avons tourné dans le quartier de Rome où je vis depuis huit ans : je me rendais toujours à pied sur le plateau. Je connais donc très bien ces rues. Bien sûr, chaque nuit était différente, chaque endroit était différent. Mais avec le directeur photo Sean Price Williams, qui avait déjà éclairé Sportin’ Life, nous avons laissé l’atmosphère venir à nous. Nous nous sommes ouverts aux lieux et aux situations, pour pouvoir exprimer leur nature, ce que nous y trouvions de beau et de cinématographique.

    De toute façon, c’est l’Europe. À Rome comme à Paris, il y a eu de super architectes, qui se sont appliqués à ce que les immeubles aient un bel aspect dans la lumière de nocturne. C’est pareil pour la nourriture: ici, même avec la mauvaise volonté, vous ne pourrez jamais faire un mauvais repas. Que ce soit dans une gare ou un aéroport, la lumière de Rome est à nulle autre pareille. Bien sûr, tu l’utilises en y mettant ta propre vision. Mais, mec, tu as déjà beaucoup de matière avec quoi travailler.

    Vous avez voulu avoir un principe de mise en scène nouveau pour chaque nouvel endroit ? Par exemple, le club de boxe est filmé avec des grands-angulaires…

    Ah, vous parlez de la torture du waterboarding ? En fait, il y a deux caméras dans le film, la seconde étant celle tenue par le personnage principal. Il shoote aux deux sens du terme, car il a à la fois un flingue et une caméra. Avec cette dernière, il tourne des images de surveillance, qui ont par définition un champ très large, car il s’agit de rassembler le maximum d’informations. Nous n’avons pas eu peur d’inclure dans le montage ces images dénuées de stylisation.

    Je comprends qu’on abandonne beaucoup de choses quand on ne tourne plus en pellicule, mais l’avantage du numérique est la possibilité de manipuler les images. Ici, nous avons employé tous les outils disponibles, comme cette mini-caméra vidéo Bolex que Sean a choisie pour des raisons précises. En effet, il connaît son affaire pour rendre la nuit magique.

    Les plan généraux sur la ville font penser à ceux de votre film New Rose Hotel

    Vous savez, Sean a débuté dans l’équipe de Ken Kelsch, le directeur photo de New Rose Hotel. Ce dont vous parlez fait donc partie de son répertoire, de son histoire. Lorsque nous avons fait New Rose Hotel, c’étaient les débuts de la vidéo. Nous avons néanmoins tourné en pellicule, mais nous avons ajouté une sorte de conscience vidéo. En effet, les thèmes étaient la surveillance, l’espionnage comme façon d’outrepasser la loi. « Thèmes » n’est pas le bon mot, mais vous voyez ce que je veux dire.

    New Rose Hotel parle d’espionnage industriel, tandis que Zeros and Ones évoque le terrorisme et les fake news. Pour vous, cela résume l’évolution du monde pendant les 25 ans qui séparent les deux films ?

    New Rose Hotel racontait clairement une opération capitaliste, mais quand le personnage joué par Christopher Walken parle de l’« edge », c’est un truc politique qui va au-delà de l’argent. Il s’agit de pouvoir, de contrôle, de manipulation, tout comme dans Zeros and Ones. Nous vivons cela en ce moment même, avec la guerre en Ukraine. Quelle stratégie y a-t-il derrière le fait de tuer des femmes et des enfants ? Ce type est-il un mégalomane comme dans la nouvelle de William Gibson qui a inspiré New Rose Hotel ?

    En concevant Zeros and Ones , vous avez aussi pensé à votre film Body Snatchers, l’invasion continue ?

    À quel niveau ?

    Pour l’ambiance de paranoïa dans un contexte militaire…

    Ah oui, j’ai beaucoup pensé à ce que j’avais fait dans Body Snatchers pour recréer la vie dans l’armée. C’est marrant car Phil Neilson, qui joue le partenaire d’Ethan Hawke dans Zeros and Ones, est un ancien Marine. Il avait déjà été très impliqué dans Body Snatchers, car si vous voulez montrer le contexte militaire, c’est comme pour tout : vous devez le dépeindre correctement. Les uniformes et comment les soldats les portent, comment ils tiennent les armes, comment ils se comportent les uns envers les autres.

    Car Zeros and Ones ne montre pas une guerre entre espions, c’est du putain de meurtre au sens propre. Ces gens ne sont pas des gangsters, ce sont des mercenaires, ou même des soldats américains qui agissent sans couverture. Ils marchent dans la rue la tête haute, et font ce qu’ils veulent. Car la police n’est pas là, et personne ne va garder trace de leurs agissements. Ainsi, s’ils décident de tuer des nanas ou de passer un type au waterboarding, ils le font. Jusqu’à faire exploser le putain de Vatican ! Même chose dans le film que je fais en ce moment, Padre Pio, qui parle d’une autre guerre.

    De quoi s’agit-il ?

    Padre Pio est un saint italien, un prêtre qui a reçu des stigmates. Cela s’est passé au début du XXème siècle, juste après la Première Guerre mondiale, au même moment que l’émergence du régime fasciste. Le film est une combinaison de choses politiques et de choses religieuses. Shia LaBeouf joue le rôle de Padre Pio.

    C’est intéressant car dans Zeros and Ones, le frère jumeau terroriste peut apparaître comme un marxiste ou un anarchiste, mais il se réfère aussi à Dieu…

    Vous savez, c’est un révolutionnaire, un rebelle. Il est contre l’armée, il est un libre penseur, il prêche pour l’égalité, la liberté, la poursuite du bonheur. C’est comme ce qui arrive dans le monde en ce moment même. L’Ukraine voulait sa liberté, et l’autre type a immédiatement riposté. C’est aussi simple que cela : quand on tue des femmes et des enfants, que ce soit au nom de la droite ou de la gauche, c’est du fascisme. Je pense donc qu’à présent, tout le monde doit prendre position. Je ne vais pas prendre les armes et aller là-bas, même si c’est une option possible. Mais c’est LE moment de vérité. Ne vous inquiétez pas de la Troisième Guerre mondiale : elle est déjà là, il est trop tard pour l’empêcher.

    Ethan Hawke joue le double rôle du soldat US et du jumeau révolutionnaire, mais au début et à la fin du film, il donne aussi un témoignage personnel par webcam, disant notamment qu’il n’avait rien compris au scénario. À l’inverse, dans le livret du Blu-ray, l’actrice Dounia Sichov assure que le script était très précis.

    Dounia avait déjà été actrice dans plusieurs de mes films, et comme elle est aussi monteuse, elle m’avait servi de guide pour le montage. Elle est donc plus proche de ma démarche. Quant à Ethan, j’avais travaillé avec lui à la préparation de 4h44 dernier jour sur Terre, car il devait jouer dedans à l’origine.

    Ce que j’aime dans son discours, c’est qu’il a totalement adhéré à l’effort de groupe. Qu’importe ce qu’il a compris ou pas, du moment qu’il aime l’idée du film et les gens qui le font. Par un hasard fou, son propre frère est un militaire des forces spéciales, et cela lui a permis de saisir son double rôle. Nous avons parlé de cet aspect, mais au fond, je ne l’ai pas dirigé. En fait, même si je suis ce qu’on appelle en anglais un « director », je ne dirige jamais les acteurs. (rires) Mais Ethan a été très généreux et ouvert avec les autres comédiens, dont certains ne sont pas des professionnels.

    Par exemple, l’un des rôles est joué par la femme qui était chargée des repérages des extérieurs. Enfin, Ethan était d’accord avec moi pour dire que, comme nous allions être en confinement pendant un bon moment, il fallait commencer à tourner. Je crois que c’est ce qui a concrétisé le scénario. Je sais d’instinct quand il est temps d’arrêter d’écrire, pour sortir dans la rue et se mettre à tourner.

    Mais ces adresses de Hawke à la caméra étaient prévues dès le départ ?

    Pas de un tout. Ethan a enregistré le premier clip pour aider a réunir le budget du film. Or, cela collait bien avec la période de la pandémie, pendant laquelle beaucoup de choses se sont faites par vidéoconférence. J’ai donc réutilisé ces images, car je cherche toujours des biais. Dans chacune de mes œuvres, j’ai employé des tas de matériaux : des images sorties d’Internet, des bouts de prises situés après le mot « Coupez ! », des répétitions enregistrées par hasard…

    Tout ce qui peut apporter une putain de contribution au film ! Et plus tard, j’ai pensé que nous pouvions terminer Zeros and Ones avec Ethan qui donne sa vision de ce que nous venons de voir. En effet, il y a en quelque sorte trois personnages : le soldat, le frère rebelle, et Ethan lui-même. Le frère s’exprime, maïs pas le soldat, car il est justement entraîné à ne pas révéler d’informations, faute de quoi il se ferait tuer. J’avais ainsi envie de voir Ethan parler une dernière fois. Directement, sans foutaises.

    Il parle notamment de son rapport aux réalisateurs, lesquels ont perdu de l’influence dans le Hollywood actuel. Le temps paraît loin où un grand studio pouvait produire un film comme votre Body Snatchers…

    De toute façon, Hollywood a toujours été la capitale mondiale du divertissement. Ils ne pensent qu’à l’histoire racontée. Mais une histoire peut être trompeuse, se mettre en travers du chemin. C’est très bien d’être un narrateur, mais je m’intéresse moins à ce qui va arriver dans la séquence suivante qu’à ce qui arrive a l’instant présent. Tout comme la lumière de Rome, j’Europe est ainsi devenue un abri pour moi. Je n’ai pas envie de dépenser de l’énergie à me battre pour avoir le droit de faire des films, à expliquer à tout le monde ce qu’est le boulot de réalisateur.

    C’est aussi simple que cela : je veux vivre dans une culture où le cinéma est jugé important, où ce que je fais est soutenu. Je n’aurais pas cela à New York, où c’est chacun pour soi. Mon pays est jeune, il a 350 ans. La ville de Rome, elle, a 3000 ans. Elle est donc naturellement plus évoluée en termes de culture. Cela ressent dans l’air que tu respires, la nourriture que tu manges.

    Vous parliez tout à l’heure d’effort de groupe. Joe Delia est encore et toujours votre compositeur…

    Et Joey est présent du début à la fin de la création de chaque film. Non pas qu’il écrive à proprement parler, mais il est là au moment de la première idée, à l’étape du scénario… Il est aussi l’une des rares personnes qui regardent les rushes : nous les lui envoyons chez lui à New York.

    À partir de là, nous n’avons aucun plan préétabli. Joey joue en toute liberté, avec Tony Garnier, un bon ami à nous qui est le bassiste de Bob Dylan, et Danny Toan, un guitariste au style inimitable. Fondamentalement, la bande originale est l’œuvre de trois musiciens. Je n’utilise pas tous les morceaux qu’ils m’envoient, mais ils sont vraiment à la source du montage. Parfois, je décide du placement de la musique avant même de m’occuper des images.

    Delia était déjà là sur le film que vous avez réalisé avant votre premier long-métrage officiel : le porno 9 Lives of a Wet Pussy. Cela vous fait quel effet qu’il soit ressorti en Blu-ray aux États-Unis ?

    Déjà, c’est fou que des gens s’y intéressent encore. Ensuite, eh bien nous avons fait ce film, et il appartient à mon œuvre. Je dois assumer mon travail, frère, que puis-je te dire ? Le problème avec 9 Lives…, c’est que les deux meilleures scènes n’y sont plus. À l’époque, la copie d’un film porno passait de ville en ville. Celle de la côte Est jouait à New York, puis à Philadelphie, Washington, Charleston, Savannah, Miami… Et les projectionnistes coupaient souvent des scènes pour les mettre dans leur collection personnelle — ils se seraient fait choper s’ils l’avaient fait avec un film hollywoodien, mais là, ils pouvaient. Naturellement, ils coupaient les meilleurs moments, et c’est ainsi que deux scènes de 9 Lives… ont été perdues pour toujours.

    Je ne dirai pas ce qu’étaient ces séquences, sinon qu’il s’agissait d’extérieurs nuit. Le truc, c’est qu’une révolution s’est produite avec Barry Lyndon. Kubrick a inventé des objectifs à très grande ouverture permettant de tourner à la lumière des bougies, sans éclairage électrique. Et les laboratoires ont aussi créé une technique de développement de la pellicule à basse exposition.

    Avant cela, vous ne pouviez pas tourner de nuit dans les rues de New York Sans éclairage d’appoint. Mais après 1975, c’est devenu possible, grâce à ces objectifs et à ce traitement du négatif en laboratoire. Cela a alors été le début du Cinéma indépendant à New York, et ailleurs.

    Propos recueillis par Gilles Esposito
    Merci à Nicolas Rioult et Diana Phillips

    Source: Mad Movies (magazine papier)

  • 0 Votes
    1 Messages
    98 Vues

    Pour qui n’as pas vu Onoda - 10 000 nuits dans la jungle, je vous conseille chaudement de vous jeter dessus rapidement 😉
    En attendant, petite interview fort intéressante de son réalisateur: Arthur Harari

    Présenté en ouverture d’Un certain regard au Festival de Cannes, Onoda raconte l’histoire ahurissante d’un soldat japonais qui passe trente ans dans la jungle en se persuadant que la guerre n’est toujours pas finie. A travers les thèmes qui traversent son film: l’héroïsme, l’idiotie, la mort, le temps qui passe, la quête de sens, le réalisateur Arthur Harari évoque aussi ses influences et sa conception du cinéma.

    On savait qu’il existait plusieurs cas de soldats japonais qui n’ont pas arrêté de faire la guerre. Qu’est-ce qui vous a intéressé précisément dans le cas d’Onoda?

    C’est la pureté avec laquelle on peut raconter cette histoire, même en une phrase, qui me semblait parler à la fois à tout le monde et aussi à moi de manière très intime. Notamment sur la question de l’intégrité, même si je n’avais pas ce mot-là en tête. Ce qui me fascine, c’est la capacité du personnage à s’accrocher de manière presque absurde, au-delà de la raison. Tel que je l’ai imaginé, on peut se demander si Onoda n’est pas atteint d’une forme d’idiotie presque philosophique. Et dans cet acharnement, dont il est impossible de dire si c’est bien ou mal, il y a quelque chose qui met en arrêt. Je crois aussi que ça ramène à des choses un peu mythologiques, mais aussi à Becket, dans ce qui relève de l’absurde. Le film ne traite pas tellement l’histoire du point de vue de l’absurdité, mais c’est là quand même. Il y a quelque chose de l’ép**e de la condition humaine peut-être. Tout ça se mêlait pour aboutir à l’évidence que c’était une histoire pour le cinéma.

    Il est tentant de penser que vous avez trouvé de quoi réaliser votre version très personnelle d’Au coeur des ténèbres.

    Même si je n’y ai pas pensé en ces termes-là, le roman m’a énormément marqué, indépendamment de la version de Coppola qui est extraordinaire. Dans l’édition que j’ai lue, l’histoire était couplée avec un texte court de Conrad qui s’intitule Jeunesse. C’est un récit de marin qui raconte sa première traversée, c’est profondément nostalgique et mélancolique, mais avec une vigueur très forte. Et comme toujours chez Conrad, on ne sait jamais s’il est question d’illusion ou de désillusion. Il y a une phrase sublime qui exprime la prise de conscience que notre jeunesse ne reviendra plus et que c’était la plus belle des choses, même si elle reposait sur le pouvoir absolu de l’illusion sur nous.

    Mais il n’y a aucun regret à s’être illusionné. Il y a quelque chose de ça dans Onoda: le temps, ou l’expérience du temps produit cet effet-là. Onoda reste fidèle à une forme d’illusion, une fois pour toutes, et sans doute, quand il finit par partir, il ne sortira jamais du sentiment que c’était mieux de s’illusionner. Ça a à voir aussi avec l’expérience du cinéma: on suspend notre âge adulte, notre savoir, le temps d’un film. Je pense réellement qu’aller au cinéma, c’est suspendre sa maturité. On en fait toujours usage en tant qu’adulte, parce qu’on voit les films différemment, en faisant appel à son intelligence, à son esprit critique. Mais on fait plusieurs expériences, et la première d’entre elles, c’est de redevenir un enfant. Voir ce qui arrive en voulant être mystifié. Vouloir croire en quelque chose. Certains n’aiment pas ça, mais personnellement, je reviens toujours vers ce que j’aimais quand j’étais gamin. Et chez Onoda, il y a quelque chose de l’enfance.

    Il y a quelque chose d’intemporel dans le film. Sans trop dévoiler, il commence dans les années 70, et on se dit qu’il aurait très bien pu être tourné il y a 50 ans.

    Onoda et ses camarades sont les sujets d’une histoire de l’humanité qui dépasse à la fois le moment et le lieu où ils sont. Je n’ai pas du tout cherché à recréer quelque chose de vintage, mais au contraire de donner cette impression de ne plus savoir d’où vient le film, ni même qui l’a fait. Je voulais qu’il n’y ait pas de signe de contemporanéité affirmée. Mais quand on écoute la musique, il y a des sonorités qui n’auraient pas pu exister avant, parce qu’elles sont électroniques, même si discrètes. Ce qui peut paraître classique, c’est le recours à la mélodie, à des thèmes identifiables. D’ailleurs un des ces thèmes est médiéval et un autre est emprunté à Glück. De même, le traitement de l’image, qui est numérique, doit beaucoup aux outils d’aujourd’hui.

    Vous décrivez une réalité très japonaise tout en suggérant que l’histoire aurait pu se passer ailleurs.

    C’était délibéré. Je ne voulais pas expliquer cette histoire par le fait qu’ils sont japonais et qu’ils ont le sens de l’honneur et du sacrifice, et qu’il n’y a que des Japonais pour agir ainsi. Représenter cette histoire à travers un prisme japonisant est un piège qui aurait empêché d’ouvrir le film. Par ailleurs, je ne sais pas ce que c’est qu’un Japonais. Je suis allé au Japon pour les besoins du film, mais je ne connais toujours pas la société japonaise. Je ne me considère absolument pas légitime pour porter un discours sur ce sujet. Une des choses qui m’a excité, c’est que les valeurs, ou les motivations d’Onoda, sont transversales, transnationales et même transhistoriques: le courage, la valeur, la parole donnée, la croyance, l’illusion ne sont pas des inventions japonaises. Elles sont là. Je n’imaginais pas raconter l’histoire autrement.

    AU FOND, ONODA SE PIÈGE LUI-MÊME POUR TROUVER QUELQUE CHOSE DE BEAU, UNE AVENTURE ESTHÉTIQUE, PRESQUE TRANSCENDANTE, DANS LAQUELLE IL TROUVE UN NOUVEAU RAPPORT AVEC LE MONDE. PARCE QUE LA RÉALITÉ N’EST PAS SUFFISANTE, DU COUP IL FAUT L’AUGMENTER. JE ME SENS PROCHE DE LUI EN CE SENS. POUR MOI, LA RÉALITÉ N’EST JAMAIS SUFFISANTE. LES FILMS PERMETTENT DE TROUVER CE QUI MANQUE.

    Le film pose la question de l’héroïsme, mais d’une façon pas tout-à-fait classique. Contrairement aux héros de tragédie qui doivent passer par la mort pour entrer dans la légende, Onoda ne meurt pas, mais il accède quand même a cette dimension de façon oblique. Son rapport à la mort est très particulier, puisqu’il n’a pas le droit de mourir.

    Oui, c’est un rapport complètement tordu! Là, pour le coup, la tradition japonaise valorise le sacrifice par la mort dans un certain nombre de cas et en particulier quand l’honneur est perdu. Lui est héritier de cette tradition et en même temps, il découvre quelque chose de totalement nouveau et opposé, c’est-à-dire se sacrifier sans mourir. Donc survivre coûte que coûte, ce qui va non seulement faire de lui un vieux héros, parce qu’il ne peut que vieillir, mais aussi quelqu’un qui fait des choses pour des raisons qu’il est seul à connaître. Il envoie ses amis à la mort, il tue des gens qu’il ne devrait pas tuer. Il a subi une espèce d’envoûtement, dont il faut le délivrer à la fin. Donc il est forcé à une forme d’héroïsme absurde, qui l’empêche de prouver sa valeur autrement qu’en échappant à la mort, donc en la fuyant. Il n’est héroïque que parce qu’il est encore là trente ans après. C’est très discutable cette question de l’héroïsme. Et très gênant.

    C’est particulièrement gênant quand on sait que les nationalistes ont fait d’Onoda un héros à son retour au Japon.

    Oui, dans un contexte extrêmement complexe. C’est vrai qu’il s’est laissé récupérer, et qu’il a fini par être assez d’accord avec ça. Mais il a aussi impressionné beaucoup de gens au Japon et en dehors du Japon, qui n’étaient pas nécessairement nationalistes ou nostalgiques de la guerre. L’année dernière, bien après avoir fini Onoda, j’ai découvert Le Crabe Tambour de Pierre Schoendoerffer, et j’ai été stupéfait en découvrant que le film s’ouvre sur un écran de télé qui montre Onoda débarquant au Japon à l’aéroport. Le film est magnifique, il parle de la mélancolie désespérée de ce que c’est qu’être un militaire, et quand on voit Rochefort découvrant Onoda à la télé, on a l’impression qu’il assiste au retour d’Ulysse, ça va bien au-delà de l’idéologie. Mais il ne faut pas être naïf non plus, il y a vraiment une part d’idéologie chez Onoda.

    Pour revenir à la mort, est-ce que ça ne l’arrange pas, cette injonction de ne jamais mourir? Il a raté sa vocation de pilote, mais lorsqu’on lui donne l’occasion de se rattraper en tant que kamikaze, il refuse!

    Parce qu’il est humain! Personne, qu’il soit japonais ou autre, n’a envie de mourir. Donc oui, ça l’arrange. Avec l’aide de son mentor, qui a très bien compris à qui il a affaire, Onoda trouve un endroit où il peut essayer d’être un héros. Ce qu’il veut, c’est atteindre une certaine hauteur, voire la dépasser, mais si possible sans mourir. Et on lui donne cette possibilité, donc il fait preuve d’un mélange de courage et de lâcheté, même si ne pas vouloir mourir n’est pas vraiment une lâcheté, c’est naturel. Encore une fois, rien n’est pur.

    Le mentor est génial, parce qu’il repère les faiblesses du personnage et les exploite en lui donnant des injonctions paradoxales: «Tu dois obéir aveuglément, et en même temps tu ne dois obéir qu’à toi-même». Et Onoda dit oui, sans réfléchir, et il est parti pour 30 ans…

    Onoda intériorise complètement cette dualité, ce paradoxe, et le plus fou, c’est qu’il y arrive. Par exemple, la croyance que l’armée japonaise va revenir le chercher, parce qu’on le lui a dit, cette croyance finit par se concrétiser. Il y a donc une espèce de fable sur la croyance et la ténacité, et aussi l’idiotie, en tant que suspension de l’esprit critique et de l’intelligence. On ne peut pas exactement dire qu’il a eu tort. Il finit par tordre la réalité selon sa croyance. Ce qui m’avait intéressé c’est que le supérieur hiérarchique, quand il a été contacté par le jeune touriste, a dit: «Mais je ne crois pas lui avoir donné cet ordre!». C’est compliqué de juger de sa bonne ou de sa mauvaise foi, le contexte japonais étant très compliqué: il n’y avait plus d’autorité militaire, lui en plus avait été lié à une école secrète qui avait disparu, donc personne n’avait voulu assumer la responsabilité de ces dernières formations, N’empêche, Onoda est le seul de cette école qui est resté trente ans. Pourquoi? Il y avait peut–être effectivement quelque chose qui l’arrangeait. Il ne voulait peut-être pas être au Japon. Il voulait être le maître quelque part. Ce sont des pistes possibles. Je n’ai pas de réponse.

    Quand on revient le chercher une première fois avec son père et son frère, non seulement il n’y croit pas, mais il croit déceler un code secret pour lui donner de nouvelles directives. Cette façon de donner du sens ressemble beaucoup à de la paranoïa.

    C’est un rapport à la réalité qui est de l’ordre du refus, et en même temps ça le rend extrêmement inventif. Les choses n’étant pas ce qu’elles ont l’air d’être, il faut réinventer en permanence des manières de s’illusionner. Et comme il est autonome, puisqu’il est son propre officier, il donne les ordres et il les exécute. Et comme ils sont deux, il y a une sorte d’amplification de la folie. Il ne croirait pas autant s’il n’y avait pas quelqu’un pour l’accompagner. Quand il décortique le haïku, il trouve une forme de stimulation intellectuelle dans cette façon de créer du sens là où il n’y en a pas assez. Ça entretient leur vitalité.

    Et ce moment où ils réinventent la géopolitique, avant d’aller sur la plage, c’est un moment de plénitude. Ils ne se sont jamais sentis aussi bien. Au fond, Onoda se piège lui-même pour trouver quelque chose de beau, une aventure esthétique, presque transcendante, dans laquelle il trouve un nouveau rapport avec le monde. Parce que la réalité n’est pas suffisante, du coup il faut l’augmenter. Je me sens proche de lui en ce sens. Pour moi, la réalité n’est jamais suffisante. Les films permettent de trouver ce qui manque. Si j’ai voulu faire des films, c’est parce que les voir ne me suffit pas, j’ai besoin de faire partie du processus qui consiste à augmenter la réalité.

    Il y a chez vous un motif récurrent, c’est celui de la dualité, mais vous ne l’utilisez pas pour séparer artificiellement ce qui devrait être uni, mais pour rassembler ce qui est apparemment opposé.

    Je crois que c’est ce qu’on appelle la dialectique. Une chose n’est pas opposée à une autre, il n’y a que des combinaisons. Le fait de séparer les choses et de les opposer ne rend pas compte de la réalité. Il y a un principe de dualité dans chaque chose, mais les éléments ne sont pas opposés, ils sont en permanence en train de se redéfinir pour permettre de former un tout. Après avoir fait Diamant noir et Onoda, je pense que c’est de cette façon que le monde fonctionne.

    Ça se traduit à tous les niveaux de la fabrication du film, pas seulement au stade de l’écriture. Il s’est passé quelque chose de cet ordre-là avec les chansons dans le film. Au départ, il y avait seulement une chanson, celle que le major Taniguchi commente comme étant une métaphore de la guerre secrète, où il s’agit de réinventer en permanence les paroles. Et donc c’est la chanson matrice de la thématique. Mais il y a aussi cette autre chanson qui lance le film, que le jeune homme diffuse dans la jungle et qui va finir par faire revenir Onoda.

    Cette chanson n’avait pas ce rôle dans le scénario, mais au montage, on s’est rendu compte qu’on pouvait s’en servir de manière excitante entre les mains de ce jeune touriste qui est assez malin puisqu’il trouve un moyen de communiquer avec Onoda d’une façon sensible plutôt qu’intellectuelle. Cette trouvaille nous a permis aussi d’équilibrer comme il fallait la structure du film: Onoda et le jeune homme sont complémentaires. Le premier a besoin du second pour se libérer et le second a besoin du premier pour devenir lui-même une sorte de héros. Cette figure de la dualité ou du paradoxe est un outil assez excitant et riche.

    Parmi les films que vous citez comme influences, Feux dans la plaine (Kon Ichikawa, 1959) paraît essentiel. On peut se demander si vous ne l’avez pas délibérément cité pour certaines scènes.

    En fait, j’ai vu Feux dans la plaine après avoir écrit le scénario. Ce qui ne m’a pas empêché d’être frappé non seulement par le film, mais effectivement par des points de convergence, notamment une des scènes les plus dingues du film d’Ichikawa: le personnage arrive dans un village a priori déserté, il trouve du sel, et il tombe sur un couple et il tue la femme.

    Ça m’a stupéfait parce que j’avais écrit une scène similaire où Onoda tue une femme. Mais ce n’est pas une citation. Si quelque chose a pu infuser dans la mise en scène, c’est une proposition graphique comme on en voit trop peu. Dans Feux dans la plaine, il y a cette alliance presque gênante de beauté et d’horreur. Je n’ai jamais fait l’expérience de le violence, mais j’ai l’impression que lorsqu’elle surgit, c’est extrêmement rapide, incisif, bordélique, incontrôlable, et parfois c’est nous qui la commettons. On trouve ça aussi chez Samuel Fuller que j’adore, et dont l’influence est plus consciente. Avec mon frère qui est chef op du film, on a vu beaucoup de films de Fuller, parce qu’on se posait la question de savoir comment mettre en scène la guerre étant donné que nous ne l’avons pas vécue. Il y a donc quelque chose à prendre chez eux qui l’ont connue, même si c’est sublimé. Fuller a beau être très réaliste, c’est un grand esthète aussi.

    Fuller disait que si on voulait filmer la guerre de façon réaliste, ce serait anti cinématographique parce qu’à la guerre, on ne fait qu’attendre! Alors que dans Onoda , on a beau savoir que les décennies vont s’écouler, on ne s’ennuie pas.

    De ce point de vue, j’ai été très aidé par l’histoire réelle, parce qu’il se passait souvent des choses, et Onoda n’était pas tout seul. Mais c’est vrai que le défi du film a été d’incarner la durée ahurissante, tout en évitant la contemplation et l’ennui, et essayer de surprendre sans arrêt. Pour finir par arriver à rien, puisque Onoda reste tout seul à pouvoir provoquer les évènements. Seule l’arrivée de ce jeune homme finit par lancer la libération et la dernière partie, mais il y avait cette idée que l’histoire était remplie par la réinvention permanente des choses. Il fallait quand même figurer l’attente en tant qu’élément de l’histoire, mais pas en faire la matière du film.

    Pour revenir à Feux dans la plaine , avez-vous vu la version de Shinya Tsukamoto en 2014?

    Oui, je l’ai vu avant de tourner Onoda, après avoir écrit le scénario. J’avais été alerté par un site internet et c’était le premier film de lui que je voyais alors qu’il en a fait des assez dingues. Passer après le film de Kon Ichikawa est très courageux de sa part, surtout quand on connaît les conditions de tournage. J’ai rencontré à Paris un Japonais qui avait bossé sur la version de Tsukamoto. Et le film a pu se faire grâce à une armée de jeunes bénévoles qui bossaient comme des dingues et n’avaient jamais pour la plupart mis les pieds sur un plateau de cinéma. Ils faisaient les prothèses de bras qui sautent, ils maquillaient, c’était une entreprise participative un peu libertaire.

    Et les conditions étaient vraiment dures: Tsukamoto a tourné sur une île équatoriale, c’est-à-dire sous un climat vraiment pénible, étouffant, moite, rempli d’insectes. D’ailleurs sa jungle est vraiment impressionnante, et correspond beaucoup plus aux Philippines et aux îles de l’Asie du Sud Est. Nous, on a tourné au Cambodge, sous un climat tropical beaucoup plus clément. Le paysage n’est pas exactement conforme à l’endroit où s’est passée l’histoire. Mais de même que j’ai essayé de m’approprier l’histoire du personnage, on a réinventé un paysage, une île, parce que le cinéma, c’est toujours faire avec ce qu’on choisit.

    Il y a dans Onoda quelque chose d’impressionnant qui rappelle Eastwood , quand il a filmé la partie japonaise de Iwo Jima , les acteurs sont justes alors qu’Eastwood ne parle pas japonais. De votre côté, comment avez-vous fait pour diriger des acteurs japonais?

    Je suis d’accord sur Eastwood et ce film en particulier, il dirige bien ses acteurs. De mon côté, je ne parle pas du tout japonais, et j’étais un peu terrorisé à l’idée de diriger des acteurs sans savoir s’ils jouaient faux ou non. Donc on a pris beaucoup de temps pour travailler, déjà sur le scénario, et sur la traduction.

    Ensuite on a beaucoup répété avec les acteurs. Je les avais choisis pour qu’ils ne jouent pas de manière codée, pour leur capacité à ramener les personnages à eux. Je leur disais tout le temps de jouer avec leur propre voix, et ils ont très bien saisi ça. Je leur avais montré quelques films, notamment les westerns de Monte Hellman. Il y a un dépouillement qui donne l’impression de voir des gens et non pas des personnages. C’était un modèle.

    Dans un registre complètement différent, un film me vient à l’esprit, Sous les drapeaux, l’enfer de Kinji Fukasaku. Il date de 1974, l’année où termine Onoda, et il est construit sur deux temporalités, 45 et 74, donc c’est très troublant par rapport à mon récit. C’est l’histoire d’une femme, veuve d’un homme qui n’est jamais rentré de la guerre, et qui ne comprend pas pourquoi elle ne bénéficie pas de la pension à laquelle elle a droit. Donc elle fait son enquête, et finit par aller interroger tous les survivants du bataillon de son mari pour découvrir qu’il était un déserteur.

    A travers une construction hyper moderne et une mise en scène ahurissante, Fukasaku arrive à représenter à la fois la guerre dans des flash-backs incroyables, et la société japonaise des années 70, avec la misère, la saleté le mal-être, et cette femme qui fait le lien entre tout. Le film est génial, mais tellement excessif que je ne pouvais rien y puiser. En terme de ton, je suis plus proche de Mizoguchi, pour l’équilibre, la sobriété, et le lent mouvement vers les bouleversements. Il était un modèle pour moi, mais je n’ai pas demandé aux acteurs de jouer comme ça, je leur ai demandé plutôt de jouer comme des occidentaux. C’était aussi une manière pour moi de jeter un pont avec eux pour les amener vers ce qui me tenait à cœur.

    Interview par Gérard DELORME

    Présenté en ouverture de la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2021

    SOURCE: chaos.fr

  • 0 Votes
    1 Messages
    99 Vues

    Un film en train de se faire : c’est ainsi que Climax est décrit par son auteur, qui insiste sur la part croissante d’improvisation et de travail collectif qui entre dans sa méthode.

    Quelle a été la genèse de Climax , que la rumeur a d’abord annoncé comme un documentaire sur la danse ?

    Au départ, je pensais que ce serait davantage un docu-fiction, un film peut-être plus godardien, plus libre, avec des changements de style permanents. Car nous avions très peu de temps de tournage, et en outre, je savais que nous allions énormément improviser. Mais finalement, je me suis laissé prendre par la narration elle-même.

    Pourtant, même si j’adore voir les gens danser en boîte de nuit – quand ils dansent bien –, je ne suis pas du tout porté sur la comédie musicale. Bon, quand je vais dans un restaurant indien du 10e arrondissement, je reste souvent scotché sur les extraits de film qui passent toujours sur les écrans, tellement les mouvements sont inhabituels pour un Occidental. Mais par exemple, je trouve que la danse contemporaine est très conceptuelle, ce qui peut devenir assez chiant. Les danses de rue me parlent beaucoup plus.

    Tu connaissais déjà les styles pratiqués par tes danseurs ?

    Mal. Je connaissais un peu le krump, car on en voit dans le film Rize de David LaChapelle. Mais j’ai surtout découvert le voguing en allant dans un ballroom à Ivry. En voyant tous ces gens qui étaient en grande majorité noirs, presque tous homos ou lesbiennes, et qui hurlaient de joie et se déguisaient, je me suis dit : « Putain, cela faisait des années que je n’avais pas été dans une fête aussi joyeuse et aussi drôle que celle-là. ».

    C’était à la fois bon enfant et très transgressif. Or, je crois que pour réussir un film, il faut que tu t’amuses avec les membres de ton équipe, et aussi que tu aimes les gens que tu as devant ta caméra. J’ai donc eu envie de prendre ces artistes, et de les mélanger à des représentants d’autres écoles, comme le waacking, l’electro, le hip-hop ou la danse acrobatique. Pendant les répétitions, ils se sont observés mutuellement, et une émulation s’est ainsi créée. De fait, je n’ai jamais eu aussi peu de conflits professionnels sur un tournage.

    En plus de cette diversité de styles de danse, il y a un mélange d’orientations sexuelles qui, pour une fois, n’est pas m’as-tu-vu. Au contraire, c’est donné comme une évidence…

    Je trouve qu’en termes de liberté d’expression, la société n’a pas fait seulement qu’avancer. Par exemple, des magazines comme Hara-Kiri ne pourraient plus exister aujourd’hui. En revanche, oui, la société a avancé du côté de l’homosexualité, la bisexualité, la pansexualité, etc. Mais si Climax reflète cela, c’est parce que les acteurs ont eux-mêmes créé leur personnage. Ils ont décidé des vêtements qu’ils porteraient à l’écran, et aussi de leur nom – à l’exception d’une dont je voulais qu’elle s’appelle Psyché.

    Ainsi, quand j’ai tourné les propos face caméra qui ouvrent le film, je leur ai dit que ce n’était pas une interview d’eux, mais une interview de leur personnage. Ma seule indication, c’était que l’action se passait en 1995, et qu’ils ne pouvaient donc faire référence à un morceau de musique ou à un film sorti après. Bref, quand ils parlent de leur rapport à la danse, ils le font à la première personne. Mais pour le reste, ils ont inventé tous les détails.

    Par exemple, alors que la plupart étaient en couple dans la vie, certains ont décidé que leur personnage ne le serait pas. J’ai ainsi tourné 10 ou 15 minutes d’interview avec chacun, puis, au montage, j’ai sélectionné les phrases les plus drôles ou les plus touchantes, et celles qui correspondaient le mieux à l’histoire globale. Même chose pour les scènes d’aparté entre deux ou trois acteurs. Je leur disais : « Vous allez discuter des autres danseurs du groupe – comment vous les voyez, à qui vous voulez fracasser la tête, qui vous voulez baiser… ».

    Par exemple, quand Kiddy Smile parle de cul au jeune puceau, c’est lui qui a inventé le texte. D’ailleurs, jusqu’au milieu du tournage, je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire faire à Kiddy à la fin. Mais il s’entendait tellement bien avec l’autre que je lui ai dit : « Lui, c’est le petit, et toi le Daddy. Tu vas le protéger et le ramener dans la chambre. ».

    Voilà, Climax comporte des tas de choses qui se sont imposées naturellement pendant le tournage. Et souvent, j’ai juste demandé aux acteurs ce qu’ils voulaient faire. Notamment, je savais qu’à un moment, un danseur allait être tellement lourd que Sofia Boutella allait devenir odieuse avec lui et partir avec d’autres. Initialement, je pensais qu’elle partirait avec un ou deux potes à lui.

    Mais bien qu’elle soit très portée sur les hommes, Sofia m’a dit : « Hum, non, ce ne serait pas plus drôle si je m’enfermais avec une fille ? ». Je lui ai demandé laquelle elle voulait, elle m’en a désigné une, et nous sommes allés la voir pour lui demander : « Ça te dit de finir au lit avec Sofia ? ». Comme elle est très, très lesbienne, elle s’est écriée : « Ouais, ouais ! ». Elle avait gagné le gros lot. (rires) Initialement, je n’avais pas du tout prévu cette conclusion.

    Pourquoi avoir mis, au milieu d’une troupe d’anonymes, une actrice assez connue comme Sofia Boutella ?

    À vrai dire, je n’avais jamais vu aucun de ses films au moment où nous avons commencé le tournage. Je savais juste qu’elle me fascinait en tant que personne, car je l’avais rencontrée à l’époque où elle était danseuse, et elle était super sympathique. Je ne pouvais donc pas préjuger de ses talents d’actrice. Mais franchement, elle m’a ébloui, notamment pour l’état dans lequel elle se met quand l’autre fille lui annonce qu’elle est enceinte.

    Nous avons tourné 16 prises, et Sofia a été géniale de la première à la dernière. Pourtant, au départ, elle ne comprenait pas ce que je voulais lui faire jouer, puisqu’elle est habituée à avoir un scénario, à apprendre des dialogues… Mais il faut accepter cela si tu veux tourner avec moi, car je crois que plus jamais de ma vie, je n’aurai des dialogues à faire respecter à la lettre. Si j’en écris, c’est uniquement pour trouver des financements. Finalement, Sofia a sauté dans l’avion pour venir sur le plateau, et Dieu merci.

    **Comment doit-on prendre la mention « Un film français et fier de l’être » au générique ?

    Au premier degré. Cela souligne que Climax n’aurait pas pu être fait ailleurs, de même que Hara-Kiri n’aurait pas pu exister dans un autre pays. Car en France, on a quand même un espace de liberté un peu plus grand qu’ailleurs, pour faire des films… avec un peu d’humour noir. Ce n’est donc pas le réalisateur qui se dit « français et fier de l’être » – en outre, je ne suis pas français.
    En revanche, le film l’est, et à trois exceptions près, les gens à l’image le sont aussi.

    Toutefois, ces derniers sont avant tout des électrons libres qui s’amusent, et Climax ne recèle ainsi aucun discours sur la race, l’immigration, etc. Si des personnages sont identifiés comme musulmans, c’est seulement parce que l’histoire nécessitait que certains protagonistes ne boivent pas d’alcool.

    Bon, effectivement, le film pose d’une certaine manière la question : « C’est quoi, la maison France ? Ou la maison Europe ? ». Mais on peut aussi le lire comme l’histoire de gens qui ont peur de sortir de l’utérus de leur mère. En fait, toute la partie symbolique de Climax s’est mise en place de manière un peu inconsciente, pendant le tournage.

    Par exemple, ce n’était pas du tout prévu qu’y ait de la neige dehors. Au départ, ce devait être un orage, et nous avions commandé des machines à pluie et à vent. Or, il a neigé au troisième jour du tournage, et j’ai donc vite demandé à l’interprète de la fille enceinte si elle était d’accord pour ramper dans la poudreuse. Comme elle a accepté, nous avons récupéré un drone à la dernière seconde, et improvisé ce plan qui est encore plus joli que prévu. Car visuellement, la neige, c’est super.

    Ce plan inaugural dans la neige annonce que tout finira mal. Quel est exactement ce fait divers dont tu dis t’être inspiré ?

    J’ai choisi de ne pas rentrer dans les détails, car cette affaire n’a pas été jugée et personne ne sait qui était le responsable du dérapage collectif. Cela aurait donc été difficile de la traiter directement, car nous aurions alors joué avec la vie des gens ayant subi les conséquences néfastes de ces événements.

    Disons que je me suis librement inspiré de l’affaire, pour en tirer un de ces films situés dans un lieu clos idyllique qui part en couille et devient l’enfer sur Terre, comme Airport ou La Tour infernale. Ouais, Climax est comme un film de danse qui serait aussi un film-catastrophe, ou encore un suspense ultra réaliste à la Cristian Mungiu ou à la Farhadi.

    Car dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Baccalauréat, Une séparation ou Le Client, les personnages prennent à chaque fois la mauvaise décision malgré leurs bonnes intentions, si bien que toutes les cinq minutes, la situation devient dix fois pire !

    Ici, les deux ambiances sont départagées en deux parties distinctes, séparées par un morceau de générique…

    Comme j’avais besoin de marquer une ellipse le temps que la substance produise son effet, j’ai mis le générique au milieu du film. D’autant qu’au départ, je comptais traiter chacune des deux parties en un seul plan-séquence. J’avais en effet l’idée de deux blocs assez similaires au niveau cinématographique, mais très différents dans le contenu.

    Le second est une histoire de destruction collective, inspiré de films d’horreur des années 70-80 comme Zombie de Romero ou Frissons de Cronenberg, où tout le monde devient fou et se met à attaquer les autres par paranoïa ou par désir de domination.

    Comment es-tu passé de l’idée des deux plans-séquences à la forme définitive ?

    Tant qu’on n’est pas obligé de marquer une ellipse, c’est mieux de faire des longs plans, car il y a un grand plaisir à avoir une continuité temporelle. Mais à un moment, je me suis dit que si je voulais choper les danses libres et les improvisations dialoguées des acteurs, pour en garder ensuite les meilleurs moments, il allait falloir que je fasse du montage.

    Bref, ce que je voyais à l’image est passé avant le parti pris conceptuel, car quand la réalité émotionnelle ressurgit pendant le montage, tu dois te rendre à l’évidence. À l’arrivée, le film a ainsi l’air très construit, alors que l’idée de départ tenait beaucoup plus du foutoir godardien. Par ailleurs, aujourd’hui, plus personne n’est impressionné par les longs plans-séquences comme à l’époque où Hitchcock a fait La Corde.

    En revanche, beaucoup de gens me félicitent pour la première chorégraphie, où les danseurs sont super synchronisés. Mais je leur réponds que cette prouesse est due à la chorégraphe Nina McNeely, pas à moi. Là, j’étais juste un technicien de grue.

    Euh… c’est quand même excellent filmé. Concrètement, comment étaient tournées les séquences de danse ?

    C’était moi qui tenais la caméra, tandis que Benoît Debie faisait la lumière. Ensuite, nous analysions le plan ensemble, avec aussi mon assistant, la chorégraphe, et enfin les danseurs eux-mêmes qui étaient tous collés au moniteur après chaque prise. Chacun faisait des suggestions pour améliorer les choses : « Là, il faut aller plus vite », « Là, il vaudrait mieux que tel danseur ou danseuse passe plus près de la caméra », « Là, tu n’as pas assez l’air défoncé », etc.

    Nous avons ainsi tourné jusqu’à 16 prises d’un plan. Au bout d’un certain nombre, les choses étaient en place, mais bizarrement, c’était là que le temps commençait à être indispensable, car tu peux alors pousser les gens jusqu’à l’épuisement. En effet, c’était souvent quand les gens étaient fatigués, par le manque de sommeil, par l’heure qu’il était ou par l’effort de la danse, qu’ils devenaient vraiment bons pour jouer quelqu’un de complètement déboîté.

    Quand un acteur fait une fausse crise de crack ou de LSD à 19h, ce n’est pas crédible. Filme la même personne plus tard et cela marchera, car les comportements illogiques semblent beaucoup plus naturels à une ou deux heures du matin.

    Parlons de la drogue…

    D’abord, je reste assez abstrait quant à ce qu’il y a réellement dans la sangria. On suppose que c’est du LSD, mais on ne le sait pas au juste. De la même manière, on ne sait pas dans quelle mesure les gens ont bu ou pas. Car dans les cas de transe collective, tu as souvent des gens qui n’ont rien pris et qui se mettent dans le même état de psychose que ceux qui ont absorbé la substance. C’est un grand classique : au niveau comportemental, la folie est contagieuse.

    Tu as effectué des recherches sur ces états de transe ?

    Oui, et ce que j’ai filmé peut effectivement ressembler à des transes collectives du genre champignons hallucinogènes, ou à des rituels chamaniques. Mais cela rappelle aussi beaucoup ces fêtes où les gens sont vraiment bourrés, et deviennent plus lourds et odieux à chaque minute qui passe.

    Comme je sors beaucoup, j’ai parfois vu certains de mes meilleurs amis ou copines se comporter très mal. Le lendemain, ils ne se souviennent de rien, car le cerveau humain est très fort pour effacer les moments te donnant une mauvaise image de toi-même.

    Du coup, j’ai préparé une compil’ des plus bizarres des vidéos circulant sur le Net montrant des gens totalement bourrés ou défoncés en train de faire les plus grosses conneries, de façon joyeuse ou cauchemardesque. Avant le tournage, j’ai montré cela à tous les danseurs, et chacun à sa manière, ils ont imité ces vidéos pour représenter un état de psychose induite.

    On regarde ces danseurs hallucinés avec une étrange distance…

    Avec Enter the Void, j’avais déjà adopté le point de vue subjectif d’un mec défoncé et qui fait des hallucinations, et je n’allais pas refaire le même film. Du coup, je savais très clairement que pour Climax, je ne voulais pas d’effets reproduisant des états altérés de la perception, qu’elle soit visuelle ou sonore.

    En revanche, je tenais à ce qu’il y ait de la musique non-stop du début à la fin. Mais c’est justifié, puisque cette musique provient du décor. Voilà, c’est comme si Climax était un documentaire. Vu de l’extérieur, mais au plus près possible.

    En même temps, les mouvements de caméra se font plus frénétiques à mesure que le chaos se répand…

    Oui, mais une caméra qui tourne à 360 degrés n’est pas un état altéré de la conscience. Je n’ai pas fait de dédoublements de l’image, je n’ai pas joué sur le flou/net. Et on ne voit à aucun moment le visage d’un personnage se transformer en insecte, comme cela t’arrive souvent quand tu prends du LSD.

    Prends le moment où, après avoir effectué sa danse psychotique, Sofia court dans la salle de bain et pousse un cri en se regardant dans la glace : c’est clair qu’elle a aperçu un monstre, mais tu ne sais pas exactement quelle vision elle a eue. On se doute juste que ce ne doit pas être très joli !

    SOURCE: Mad Movies

  • 0 Votes
    1 Messages
    108 Vues

    À en croire l’accueil dithyrambique réservé à son premier long Hérédité, Ari Aster (Hérédité, Midsommar) s’impose comme un cinéaste dont on n’a pas fini d’entendre parler.

    Un succès que l’Américain prend avec un certain recul, puisqu’il aurait d’ores et déjà refusé tous les projets que Hollywood lui a présentés afin de se consacrer à des travaux plus personnels.

    Ironiquement, la plus grande force d’ Hérédité est aussi une enclave d’un point de vue commercial, puisqu’il s’agit d’une oeuvre en marge des canons hollywoodiens, surtout dans le genre horrifique où pullulent des films, disons, plus spectaculaires et calibrés. N’aviez-vous pas peur d’avoir du mal à trouver des producteurs ?

    Pour être honnête, je m’attendais à ce que ce soit plus difficile. La raison pour laquelle j’ai décidé de me frotter au film d’horreur, c’est que j’ai essayé de développer tout un tas de scripts qui étaient trop ambitieux pour me permettre de trouver le budget nécessaire en tant que réalisateur débutant. J’ai eu le sentiment qu’il me serait plus facile de faire avancer les choses en m’essayant à l’horreur.

    Cela faisait longtemps que je cherchais à réaliser un film, et il m’a toujours paru essentiel de livrer quelque chose de plus singulier et pertinent que le type de productions horrifiques que vous avez mentionné. Ce sont souvent des œuvres cyniques qui se contentent de respecter une formule connue de tous, souvent faite de jump scares…

    Mon but était donc de raconter une histoire capable de résonner dans l’esprit des gens, et dont l’aspect horrifique se nourrirait des personnages. En gros, faire un film d’horreur minimaliste sur le thème de la tristesse.

    Sans dévoiler la fin, on a l’impression que tout découle du dernier plan, que le concept initial provient de cette seule image.

    Eh bien oui, en quelque sorte. Je désirais conclure le film d’une manière un peu symétrique. Mais oui, tout mène à cette fin, d’autant que je voulais que, lors d’un second visionnage, le spectateur constate que les choses étaient inévitables, que chaque événement menait inéluctablement à un autre événement. C’est ce que souligne le premier plan, ainsi que l’image finale.

    En effet, vous montrez souvent vos personnages comme des marionnettes dépourvues de libre arbitre ou, du moins, privées de la capacité de changer leur destin. C’est pour ça que la mère trouve refuge dans l’élaboration de poupées qu’elle manipule à loisir ?

    Tout à fait. Le thème récurrent de la maison de poupées sert de métaphore aux événements. Les membres de la famille sont tous comme prisonniers d’une maison de poupées. Le film parle aussi d’hérédité et de la difficulté de contrôler sa vie, surtout lors du dernier acte.

    Parlez-nous de la façon dont vous avez choisi vos acteurs. Visiblement, il n’était pas dans vos intentions de décrire une famille hollywoodienne typique…

    Lors de l’écriture du scénario, je cherchais vraiment à créer une dynamique familiale forte avant même de m’attaquer à l’aspect horrifique. D’ailleurs, le premier montage du film durait une heure de plus, et nous avons dû couper beaucoup de moments dramatiques liés aux intrigues parallèles.

    Lorsqu’il a fallu trouver les acteurs pour incarner ces personnages, les gens d’A24 ont proposé Toni Collette car ils voulaient vraiment travailler avec elle. Quand je l’ai rencontrée, je lui ai donné une biographie d’une trentaine de pages sur son personnage, qui commençait au moment de sa naissance et se terminait lorsque le film débute.

    Je pense que ça m’a d’ailleurs aidé moi aussi à mieux comprendre mon héroïne. Gabriel Byrne est arrivé ensuite, ce qui m’a fait extrêmement plaisir, car il apporte une vraie présence, un vrai poids. Il donne du réalisme aux choses.

    Il représente un peu le point de vue du public.

    Oui. Il tente de maintenir le cap alors que tout s’effondre autour de lui. Les enfants étaient un vrai défi pour moi, car beaucoup d’acteurs auraient rendu ces rôles trop « joués ». C’est facile d’en faire des tonnes quand on interprète quelqu’un qui souffre d’un trouble mental. À ce titre, Alex Wolff, qui joue l’aîné Peter, possède un vrai don. Je n’étais pas certain que nous réussirions à dénicher les comédiens adéquats pour les rôles des deux enfants, mais lorsque Milly Shapiro a débarqué, elle m’a également bluffé. C’est une comédienne dotée d’une vraie expérience, puisqu’elle a fait ses armes à Broadway, et en tant qu’actrice venue du théâtre, elle a vraiment assuré.

    Quelles étaient vos lignes directrices, d’un point de vue artistique, pour vous différencier des productions horrifiques commerciales dont nous parlions ? L’un de vos « trucs » est notamment l’utilisation d’un bourdonnement lourd qui donne un aspect anxiogène à de simples scènes de dialogues.

    Je suis très fier de l’aspect « sonore » du film. J’ai collaboré de façon très étroite avec le sound designer. Ce bruit sourd dont vous parlez est une trouvaille du compositeur Colin Stetson, et que l’on a appelé le « contre-pouls ».

    Je crois que ce son provient d’un saxophone, mais je n’en suis pas sûr. C’était une bonne manière d’intensifier et de prolonger le sentiment de malaise ressenti par le spectateur. Je suis donc content que vous l’ayez remarqué ! (rires) Sinon, pour ce qui est de sortir des sentiers battus, j’ai fait tout mon possible pour proposer un film original. D’abord, je ne l’ai jamais considéré comme un film d’horreur. Quand je pitchais le projet, au tout début, je disais qu’il s’agissait d’un drame familial virant au cauchemar. Ce que je voulais, c’était privilégier les personnages afin que l’horreur naisse de leur personnalité et de ce qu’ils vivent.

    D’un point de vue visuel, la photographie du film est extrêmement travaillée. On n’est pas très loin d’un rendu « velouté » typique de la pellicule.

    Merci. Nous avons tourné en numérique avec la ALEXA. Je pense que ce « velouté » est le résultat des teintes vertes que nous avons ajoutées durant l’étalonnage. En tout cas, je peux vous dire que nous avons eu des objectifs faits spécialement pour nous !

    Avec mon chef-opérateur Pawel Pogorzelski, nous voulions utiliser des focales fixes, mais chaque lot d’objectifs comportait des qualités et des défauts. Nous avons donc demandé la fabrication de nouveaux objectifs qui combinaient les qualités des différentes optiques que nous avions essayées. Et nous sommes vraiment satisfaits du rendu que nous avons obtenu.

    J’adore les capacités des caméras numériques, mais je déteste leur rendu. Aujourd’hui, il est possible de l’éviter tout en profitant des capacités très poussées de ces caméras. De plus, je suis quelqu’un qui aime tourner beaucoup de prises, souvent très longues, et c’est agréable de ne pas avoir à se trimballer des tonnes de pellicule toute la journée.

    L’avantage avec un film d’horreur ou une comédie, c’est que l’on sait tout de suite si le public accroche ou non. Comment s’est déroulée la première projection à Sundance ?

    C’était vraiment très surprenant, car les scènes qui ont beaucoup secoué le public n’étaient pas forcément celles auxquelles je m’attendais. J’avais très peur que les gens détestent le film lorsque je l’ai présenté à Sundance, mais au moment de la seconde projection, j’étais bien plus détendu, car la première m’avait retiré tout ce poids des épaules.

    L’expérience a donc été formidable. Il est vrai qu’avec un film d’horreur ou bien une comédie, on sait immédiatement si le film fonctionne ou pas, car le public se manifeste immédiatement. Pour la comédie, c’est simple : soit le public rit, soit il ne rit pas. Avec un long-métrage comme Hérédité – où il y a beaucoup de tension –, les réactions du public sont également assez évidentes lors des passages les plus horrifiques, ce qui est vraiment satisfaisant pour un cinéaste.

    Parlons de vos courts-métrages. Sont-ils différents de ce que vous avez fait sur Hérédité ?

    Eh bien, j’ai tourné des courts pendant près de dix ans. J’étais inscrit à l’AFI (American Film Institute – NDR), où j’ai appris le métier de réalisateur. Tous mes courts ont été faits avec la collaboration du même chef-opérateur, Pawel Pogorzelski donc, qui est également l’un de mes plus proches amis. Je les décrirais comme malicieux, car ils se frottent à certains tabous.

    Certains sont plus des « films », dans le sens où ils racontent une histoire, comme The Strange Thing About the Johnsons, qui est une déconstruction de la cellule familiale américaine… D’une manière ou d’une autre, je dirais que tous ces courts sont liés au cinéma de genre, car je voulais jouer avec les conventions, et j’espère qu’Hérédité s’impose comme la continuité de cette démarche. En tout cas, je sais que certains comme The Strange Thing… ou Munchausen sont visibles en ligne, si jamais cela intéresse quelqu’un de voir les courts par lesquels j’ai commencé.

    08/06/2018
    Merci à Michel Burstein
    Source: mad Movies

  • 1 Votes
    1 Messages
    103 Vues

    Grand Prix de Gérardmer 2020, Saint Maud suit le parcours très dérangeant d’une infirmière mystique jusqu’à l’extrême. La réalisatrice Rose Glass nous raconte les coulisses de ce très prometteur premier long métrage, visible sur MyCanal.

    Pour votre premier long-métrage, était il évident que vous deviez à la fois écrire le script et réaliser le film ?

    Oui. J’ai aussi écrit les scripts de tous mes courts métrages. Je ne me considère pas comme une scénariste, je n’aime pas écrire particulièrement, mais si je le fais, c’est par obsession du contrôle.

    En France, le culte de l’auteur va très loin: il est fréquent que lorsqu’un producteur reçoit un script qui lui plaît, il demande au scénariste de le réaliser.

    Ça se comprend. Je crois que la plupart de mes films préférés sont écrits et réalisés par la même personne. Il y a aussi le fait que la nature de mes histoires est un peu particulière, et j’aurais donc du mal à la communiquer à quelqu’un d’autre. Mais pour Saint Maud, ce qui m’a causé le plus de difficultés, c’est bien l’écriture du scénario.

    Et le passage du court au long s’est révélé beaucoup plus complexe que je ne l’imaginais. Le fait d’écrire à temps plein a été un changement massif. Vous êtes seul avec vos pensées en permanence. C’est très éprouvant. A la fin, je m’étais jurée de ne jamais recommencer.

    Saint Maud raconte l’histoire de quelqu’un qui essaie de trouver sa place dans la société, malgré un comportement étrange, déterminé par ses croyances. Quelle est votre position vis-à-vis de la foi?

    Je ne suis pas du tout pratiquante, même si j’ai été élevée dans une école catholique. Donc cet environnement que je décris m’est très familier. Probablement par réaction, je me suis éloignée de la religion pendant longtemps.

    Lorsque j’ai recommencé à m’y intéresser, mon point de vue avait changé. Je pense que les religions organisées ont des effets bénéfiques tout comme elles sont potentiellement très dangereuses.

    Mais c’est moins la religion qui m’intéresse que la foi et la psychologie qui la sous-tend. A la fin du film, Maud accomplit un acte incroyable en disant “Dieu m’a poussé à le faire” et le spectateur normal a beau se dire “Je ne ferais jamais ce genre de chose”, je crois que le comportement de Maud est potentiellement en chacun de nous. C’est seulement une question de circonstances.

    D’autre part, pour que l’histoire soit vraisemblable, je n’ai pas voulu me référer précisément à une religion organisée. Maud a créé sa propre religion à base de christianisme et d’éléments de son invention. Il y a quelque de très universel à vouloir trouver en soi-même une part de transcendance. Le besoin de spiritualité est universel.

    Votre approche est d’autant plus crédible que la nature dogmatique de la religion ne laisse pas beaucoup de place à la réflexion personnelle.

    Les religions ont du mal à accepter que ce qui est à l’intérieur de chacun peut se manifester de toutes les façons possibles. Elles prétendent détenir la vérité, alors qu’elles ne font qu’aboyer devant le même arbre en exploitant cette idée d’une force universelle qui nous connecte tous. Leur force vient de ce qu’elles puisent dans quelque chose qui est à l’intérieur du cerveau humain, mais que nous n’avons pas encore compris.

    Le problème de la religion, c’est qu’elle est organisée par des hommes qui veulent contrôler d’autres hommes, alors que l’idée de Dieu, quand elle est laissée à l’appréciation de chacun, obéit à des sensibilités et à des motivations variées. Et il peut y avoir un conflit entre une vision et l’autre.

    A la base, il s’agit d’une jeune femme qui imagine des choses dans sa tête alors que son environnement est très banal. Je me suis donc sentie libre d’aller aussi loin que je voulais en termes d’intensité, de bizarrerie.

    Vous avez décidé du titre avant ou après l’écriture du script?

    Au milieu! Pendant longtemps, le titre de travail était juste Maud, jusqu’au moment où je me suis rendue compte qu’il y avait déjà un million de titres de film avec le nom d’une femme, et en plus c’était un nom pas facile à mémoriser. J’ai trouvé que Saint Maud exprimait ce que cherchait Maud, même si c’était d’une façon un peu abstraite.

    En France le distributeur n’a pas changé l’orthographe du titre, qui suggère un personnage masculin, mais ça peut aussi bien désigner le nom d’un lieu. C’est très mystérieux…

    En fait, Maud essaie de devenir une sainte et plus tard, elle agit littéralement dans ce sens. Mais il y a manifestement une large part d’ironie.

    **La mise en scène alterne entre le point de vue de Maud et un regard plus objectif. Comment avez-vous trouvé un équilibre?

    C’était un des principaux défis de trouver cet équilibre. Je voulais d’un côté qu’on soit très fortement connecté à elle à travers le style et l’écriture qui nous gardent à ses côtés tout le temps. Ces moments intimes sont filmés d’une façon assez subjective qui nous fait partager son sentiment qu’elle est en train d’accomplir une mission très importante.

    L’impression s’inverse lorsque nous apprenons ce qui lui est arrivé, et nous commençons alors à la voir comme les autres gens: une infirmière dépressive et assez instable. L’intérêt consiste à essayer de comprendre comment elle en est arrivée là.

    Par moments elle a des hallucinations. Vous êtes-vous demandé à quel point ces moments devaient être clairement perçus comme des illusions et non comme la réalité?

    Le problème de dosage s’est clairement posé à l’occasion de deux scènes clé. Dieu est-il réellement en train de lui parler ou alors est-elle en pleine crise psychotique ? Nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas être plus clairement objectif, mais le résultat aurait été trop mécanique. J’ai préféré garder son point de vue autant que possible. Ce que j’ai trouvé intéressant dans l’ambiguïté de ce qui lui arrive, c’est le contexte. Si cette histoire était arrivée au moyen-âge, peut-être que les gens auraient cru qu’elle entendait des voix et l’auraient canonisée.

    Aujourd’hui, des psychologues pourraient très bien diagnostiquer Jeanne d’Arc comme souffrant d’une sorte d’épilepsie. Quoiqu’il en soit, l’expérience subjective que traverse le personnage ne change pas. C’est pourquoi l’explication scientifique m’intéresse moins que la chaîne de causalité qui nous pousse à agir de certaine façon. Un esprit non cadré peut s’égarer dans des régions très dangereuses.

    Parmi les influences, vous citez Répulsion de Roman Polanski et Les diables]** de Ken Russell, mais aussi Persona de Bergman. Que vous a inspiré ce film en particulier ?

    Il y a un lien évident avec le fait que Maud, qui est infirmière, s’occupe d’une personne créative. Mais on peut étendre à quelques autres films de Bergman qui sont construits autour de l’idée de deux femmes dans une maison. De cette base très simple, il nous emmène dans des explorations passionnantes sur le sens de la vie en passant par des ambiances extrêmement étranges, excitantes, oniriques, ou surréalistes. C’est ce que j’aime dans ses films. Et aussi le potentiel de ces interactions entre des personnages coincés dans des espaces réduits comme dans des cocottes minute.

    L’endroit où habite un personnage est sensé refléter son propre état d’esprit. Aviez-vous ça en tête lorsque vous avez conçu le décor de l’appartement de Maud?

    Tout-à-fait, et c’est vrai pour tous les décors du film. Nous avons essayé de donner à chacun une identité spécifique en lien avec ce moment du récit. La maison d’Amanda, en tout cas dans l’esprit de Maud, est celle d’une sorte de déesse oubliée. L’appartement de Maud s’inspire des réduits qui servaient d’habitations à certains ermites et qu’ils ne quittaient jamais comme s’ils étaient cloîtrés. Cet appartement est un peu comme une cellule.

    Il fait peur. Vous n’hésitez pas quand il s’agit d’installer une ambiance.

    Je ne me retiens pas. Etant donné les limites de l’histoire, j’avais besoin d’accentuer ses aspects mélodramatiques. A la base, il s’agit d’une jeune femme qui imagine des choses dans sa tête alors que son environnement est très banal. Je me suis donc sentie libre d’aller aussi loin que je voulais en termes d’intensité, de bizarrerie.

    Y a-t-il une grande différence entre ce que vous avez imaginé visuellement et le résultat?

    Non, j’ai eu de la chance de ce point de vue. Je n’avais jamais auparavant travaillé avec aucun membre de l’équipe, ce qui était délicat au départ. Mais le directeur de la photo Ben Fordesman et la décoratrice Paulina Rseszowska ont apporté des suggestions brillantes. Je voulais tourner en pellicule et la production m’a dit que ce n’était pas possible, mais nous avons trouvé un moyen pour contourner l’obstacle et obtenir l’aspect granuleux que nous voulions.

    Le tournage lui-même a été plutôt agréable et s’est déroulé sans problème. Un facteur qui a joué en notre faveur, c’est que nous n’avons pas dépassé le budget, grâce ou à cause d’un script très court, presque trop. A la suite d’une erreur de formatage, le scénario qui devait faire 90 pages s’est retrouvé réduit à 80. Mais pendant le montage, la production nous a accordé deux journées supplémentaires pour tourner les plans qui manquaient.

    Votre prochain sera-t-il encore un film d’horreur?

    Non, mais ce ne sera pas un gentil film à voir en famille pour se sentir bien. Ce que je touche finit toujours dans un registre plutôt macabre. Ce sera une romance, mais pas très jolie.

    Propos recueillis par Gérard Delorme.
    Interview par Gérard DELORME

    Source: chaosreign.fr

  • 0 Votes
    1 Messages
    99 Vues

    Révélé par Requiem for a Dream de Darren Aronofsky, qu’il retrouvera en 2004 sur The Fountain, James Chinlund a croisé la route de Paul Schrader (Auto Focus) et Spike Lee (La 25ème heure) avant d’être propulsé dans les hautes sphères hollywoodiennes avec Avengers. La Planète des singes : l’affrontement et sa suite l’'amènent à développer un style visuel très singulier aux côtés du réalisateur Matt Reeves, mariant l’intimisme du cinéma indé avec les enjeux spectaculaires d’un blockbuster ; une approche que l’on retrouve dans The Batman.

    Quand avez-vous commencé à discuter du projet avec Matt Reeves ?

    C’était juste à la fin du dernier opus de La Planète des singes. The Batman a donc mûri dans mon esprit pendant près de trois ans. Matt et moi avons une relation très intéressante, et j’ai l’habitude de concevoir le visuel pendant qu’il écrit, ce qui est une manière très excitante et très rare de travailler dans mon métier.

    Tandis que Matt cracke le code de l’histoire, je propose des lieux, des décors, et il les intègre au récit. Ou parfois, il vient m’exposer des problèmes, et j’essaie de trouver où placer ses personnages. Nous avons collaboré ainsi sur les deux épisodes de La Planète des singes, et ça se ressent à l’écran, je pense. Au début de la production, je fais toujours ce qu’on appelle des « mood boards », qui rassemblent de nombreuses images servant d’inspiration au visuel du film. Matt et moi échangeons des images qu’on aime… Le production design fait donc partie intégrante du processus d’écriture.

    Matt est vraiment le propriétaire de chaque centimètre carré de son cinémascope. C’est lui qui prend toutes les décisions et crée cet univers à partir de zéro. Quand on a commencé à tourner, toute l’équipe s’est mise au service de ses idées et s’est assurée que sa vision soit retranscrite à l’écran de la façon la plus cohérente.

    Un projet comme The Batman est forcément très intimidant pour un production designer.

    Oui, il y a eu tellement d’itérations différentes, tellement de comics, c’est presque décourageant d’essayer de trouver des espaces nouveaux à montrer dans un film comme celui-ci. C’était tout de même notre ambition première : nous voulions, tout en restant fidèles à cet univers, raconter une nouvelle histoire en nous appuyant Sur une imagerie à la fois familière et novatrice. Toutes nos conversations étaient centrées autour de ça. La voiture a été un élément clé. On a pu voir des Batmobiles très différentes au fil des années, et nous avons donc commencé par elle. Le look du film est vraiment né de celui de la Batmobile.

    C’était déjà le cas avec Burton et Nolan , qui s’appuyaient respectivement sur la Batmobile d’ Anton Furst ou le Tumbler de Nathan Crowley . La Batmobile est profondément liée au look de Batman, et tout l’environnement doit lui correspondre.

    Absolument et au-delà de ça, la voiture était vraiment un bon élément de départ, car elle nous a permis d’éliminer plein de choses. On a fait en sorte que la voiture reflète au mieux Bruce Wayne et sa trajectoire dramatique, en tant que personnage et super-héros.

    Votre Batmobile ressemble à un visage.

    On s’est beaucoup inspirés de la cagoule, effectivement. J’aime particulièrement l’angle du dessus, qui reflète le visage de Batman. Et en même temps, on voulait vraiment que ce soit une vraie voiture, et non un tank ou une machine militaire ultra perfectionnée. C’est un véhicule fabriqué à la main par Bruce Wayne, on le voit travailler dessus. Ce choix s’est retrouvé dans le costume et dans les accessoires : on voulait que tout reflète l’univers de Batman et que le visuel soit intimidant, car le personnage veut susciter la peur chez les criminels.

    Ce n’est pas un énorme véhicule comme par le passé. Elle est puissante, mais pas disproportionnée. Elle ressemble en cela à Robert Pattinson , qui n’a pas la musculature de Captain America. Il a un physique très différent des standards hollywoodiens.

    À cette étape de son parcours, Bruce présente une certaine vulnérabilité, à la fois en tant que super-héros et en tant que personne publique. Il n’en est qu’au début. La physicalité de Robert Pattinson a été déterminante. On le voit dans le costume, dont beaucoup de pièces ont été visiblement cousues main. Ce Batman n’est pas invincible, il essaie juste de faire de son mieux comme Citoyen de Gotham : il veut chasser les démons de la ville et résoudre des problèmes comme le ferait « le plus grand détective de tous les temps ?. J’adore cette vulnérabilité, et je voulais qu’elle se retrouve dans le design de la voiture.

    On voit bien dans les scènes d’action que chaque geste ou chaque action pourrait le tuer. Avant de sauter en wingsuit, il sait qu’il va probablement mourir. Résultat, le public en est lui aussi convaincu. On ressent ça également dans la poursuite en voiture sur l’autoroute. il est au volant d’une voiture trop puissante pour lui.

    C’était tellement excitant de voir se construire cette séquence de poursuite. C’est la première fois depuis longtemps qu’on voit une vraie Batmobile lancée à vive allure dans des cascades en direct. L’équipe qui a fabriqué la voiture a fait un travail incroyable, Elle a réalisé absolument tout ce que vous voyez à l’écran !

    Ça se voit.

    Et quelle conception incroyable ! Ils en ont fabriqué quatre. Matt tenait dès le départ à ce que la voiture puisse être utilisée en conditions réelles, et qu’elle soit capable de réaliser toutes les cascades. Le design ne devait pas limiter ses performances. On a d’ailleurs été très méthodiques du point de vue du design, car Bruce n’est pas intéressé par l’idée de créer un véhicule super élégant. Il veut être capable de poursuivre ses ennemis avant tout.

    Cela guide tous ses choix, notamment celui d’installer une armature en acier trempé à travers toute la voiture. Une fois lancée, la Batmobile ne peut être arrêtée, elle peut même traverser des obstacles. On s’est donc dit : « Si j’étais Bruce Wayne, quels choix ferais-je ? ». Il y a donc des pièces provenant de différentes voitures, et le look global ne fait jamais preuve d’exubérance. C’est juste un outil surpuissant.

    Il a aussi une moto.

    Oui, et la première fois qu’on voit le personnage, C’est une sorte de silhouette errante qui se déplace en deux-roues. Pour nous, il était important d’établir Bruce Wayne comme un fétichiste de la mécanique automobile et un passionné de la culture moto. Bruce Wayne est au volant de véhicules différents la nuit et le jour, mais il y a une connexion sous-jacente. Par exemple, il conduit une Corvette le jour, et on s’est demandé comment ce choix affecterait le design de la Batmobile. Pareil pour la moto : il pilote une Cafe Racer le jour, donc le deux-roues de Batman ne devait pas en être trop éloigné.

    Quand il arrive aux funérailles dans sa Corvette, on a vraiment l’impression que le véhicule est une version « Bruce Wayne » de la Batmobile. Tout comme le héros, le véhicule a droit à son alter ego. Cela sert parfaitement le thème du double qui imprègne la mise en scène et l’intrigue.

    Je suis content que vous l’ayez remarqué, parce que c’était primordial pour nous ! On devait sentir son sens esthétique dans tous ses choix.

    Le costume de Batman est assez incroyable. Matt Reeves filme le personnage comme une force inévitable, qui avance envers et contre tout, souvent dans un ralenti extrême. Il peut se montrer rapide lors des combats, mais c’est globalement une créature lente, qui se dirige vers les criminels avec l’aplomb d’un croquemitaine. Le costume appuie parfaitement cette idée.

    Ce que j’adore avec le costume, c’est qu’il a été utilisé en conditions réelles dans absolument toutes les situations. C’est la première fois que Batman peut tourner la tête, et Robert Pattinson se battait vraiment dans son costume. Il y a eu très peu de retouches numériques. Robert a fait un travail incroyable avec les restrictions qu’il avait à gérer, mais de base, le costume était déjà très efficace. Il comporte du vrai cuir cousu à la main, des éléments en acier rappelant la Batmobile… Le costume et la voiture sont visuellement très compatibles.

    On voit enfin le maquillage noir autour des yeux de Batman. C’est quelque chose qui a toujours été utilisé dans la série, mais les réalisateurs préféraient tricher plutôt que de s’en servir. Même dans Batman, le défi, lorsque Michael Keaton arrache sa cagoule à la fin face à Catwoman, on peut voir un faux raccord, le maquillage disparaissant soudainement. Ici, cela devient une composante à part entière du personnage.

    Moi aussi j’adore ces moments où l’on voit les yeux maquillés de Bruce Wayne. Globalement, à moins d’avoir une bonne raison de ne pas prendre en considération certaines contraintes liées à un costume tel que celui de Batman, on a essayé de les intégrer au visuel et au récit. Si un homme faisait ça pour de vrai, il serait obligé de se maquiller le contour des yeux. Ça fait partie de son attirail, et ça l’aide à disparaître dans l’ombre. C’est une vraie fonction, pas juste de la décoration.

    Ce détail rappelle beaucoup The Crow , dont on retrouve la mélancolie dans le personnage de Bruce Wayne.

    J’adore The Crow. Il y a un aspect très goth dans la mythologie de Batman, donc c’est cohérent. C’est une coïncidence heureuse à mon avis, car je ne pense pas que Matt voulait forcément souligner cette parenté. C’est né du processus narratif, de la manière dont il a écrit le personnage et dont il a travaillé avec Robert.

    Bruce Wayne vit cette fois-ci dans une tour gothique au milieu de la ville. C’est une approche très différente du célèbre manoir des Wayne…

    Pour être honnête, on en a parlé dès le départ avec Matt. J’ai toujours été gêné par l’idée que Wayne vive dans une maison gigantesque à l’extérieur de la ville, et qu’il s’y rende uniquement pour combattre le crime. Et ensuite, il doit repartir chez lui à plusieurs kilomètres de là ?

    Ça m’a toujours paru un peu absurde. La tour Wayne a longtemps fait partie des comics, et je voulais à tout prix la situer au milieu de la cité. Bruce a tourné le dos aux enjeux financiers de l’entreprise Wayne, il se concentre uniquement sur sa mission, et il ne fait même plus semblant de s’intéresser à son héritage boursier. La tour, pour moi, était une formidable opportunité de raconter cette histoire sous un nouvel angle.

    Pareil pour la Batcave. Il y a eu des Batcaves incroyables par le passé, mais je tenais à proposer quelque chose d’original. Je me suis souvenu d’une histoire un peu folle : sous un hôtel new-yorkais, il y a une station de métro privée et un train. Grâce à un passage secret, le Président ou n’importe quel dignitaire peut fuir les lieux et quitter La ville. J’ai toujours adoré ce concept !

    Je me suis dit qu’une station de métro oubliée sous la Wayne-Tower serait une excellente idée pour une Batcave : ça lui donnerait un accès direct à toutes les artères de la ville, il pourrait travailler discrètement sur sa voiture, sortir par n’importe quel endroit. Encore une fois, on a puisé cette idée dans la réalité, et on l’a adaptée à la mythologie des comics.

    Les intérieurs de la tour sont incroyablement gothiques. C’est presque anachronique par rapport au reste de Gotham.

    Oui et non. Matt s’est beaucoup inspiré d’une visite du Hearst Castle, et a réfléchi à ce que serait la vie d’un milliardaire reclus. On a mêlé tout ça à l’architecture des années 20 et 30 aux États-Unis, où on a vu beaucoup de pastiches du style gothique. On a beaucoup joué avec ces formes, et on les a poussées au maximum avec la Wayne Tower.

    En voyant The Batman , on pense beaucoup à Se7en de David Fincher, Le Solitaire, Heat et Collatéral de Michael Mann … Avez-vous parlé de ces films avec Matt Reeves ? Car vous avez clairement créé un thriller, et non un film de super-héros.

    « Le plus grand détective au monde » : voilà ce que Matt voulait mettre en scène. Il ne voulait pas limiter Batman à une force implacable, il voulait qu’on le voie comme un personnage intelligent capable de résoudre les plus grandes énigmes. Matt a tissé une toile incroyablement complexe autour de son héros, le récit est d’une densité folle, je trouve le résultat incroyable !

    Et tout ça est fait au milieu d’un vrai film d’action. Donc oui, je pense qu’il a clairement été inspiré par les films que vous avez cités. La texture et le ton de Se7en nous ont à l’évidence tous affectés. C’est un honneur d’être comparé à une œuvre si iconique.

    Matt Reeves utilise beaucoup de plongées zénithales : durant les funérailles, dans la tour de Bruce Wayne, dans l’appartement à la fin, durant l’inondation… Cela a dû affecter votre manière de concevoir les décors.

    Très certainement dans la tour de Bruce Wayne, lorsqu’il examine tous les indices. Matt nous a dit très tôt qu’il allait filmer la scène de cette manière.

    – Propos recueillis par Alexandre PONCET.
    – Merci à Carole CHOMAND

    SOURCE: Mad Movies

  • 0 Votes
    1 Messages
    124 Vues

    Responsables des magnifiques images de Laisse moi entrer de Matt Reeves en 2010, le directeur de la photographie australien Greig Fraser a conquis Hollywood avec des films comme Zero Dark Thirty, Foxcatcher, Rogue One: A Star Wars Story et Vice. Alors qu’il s’apprête à repartir sur Arrakis avec Denis Villeneuve pour Dune: Part Two, il nous explique comment Matt Reeves et lui ont façonné l’univers visuel de The Batman.

    Quelle a été votre réaction lorsque Matt Reeves vous a offert de travailler sur The Batman ? Êtes-vous un fan du personnage ?

    Oui, depuis très longtemps. Mais l’histoire derrière le film est peut-être plus compliquée que vous ne le pensez. Matt est passé par tout un processus avant de faire The Batman. Je le connais depuis des années, nous sommes de très bons amis et nous sommes tout le temps en contact. Déjà durant la postproduction de son second La Planète des singes, il me parlait de The Batman.

    On a donc commencé à se pencher très tôt sur le sujet. Nous nous sommes mis à échanger sur les aspects du personnage que nous aimerions voir à l’écran et qui n’avaient pas ou peu été employés jusqu’alors. Et pendant que nous travaillions sur d’autres projets, nous ne cessions de développer des idées autour de The Batman.

    Le processus a été très « interactif », entre Matt et moi. Je lui parlais des avancées technologiques, de la façon dont il pourrait utiliser telle technique pour tourner telle scène… Du coup, quand il a été question pour lui de rassembler son équipe une fois les choses officiellement annoncées, je n’avais pas la surprise d’être engagé : je travaillais déjà dessus avec lui depuis longtemps. J’étais plutôt excité à l’idée qu’enfin, nous allions pouvoir nous mettre au travail.

    On trouve dans votre filmographie des films qui ont marqué par leur réalisme âpre, comme Cogan - Killing Them Softly, Zero Dark Thirty. Même Rogue One: A Star Wars Story et Dune approchent leur univers science-fictionnel avec un certain naturalisme. Pensez-vous que The Batman a d’une façon ou d’une autre bénéficié de ces expériences ?

    C’est drôle parce que l’année dernière, j’ai fait un Q&A avec des étudiants, et ils m’ont posé des questions sur mon « style ». Et j’ai répondu que j’espérais ne pas en avoir un, et que si c’était le cas, j’aimerais bien qu’ils le définissent. Car je n’aime pas vraiment l’idée que les gens puissent se dire que j’ai un style précis.

    Et l’un des étudiants a répondu : « Votre style est naturaliste. ». Exactement ce que vous venez de dire. Et en fait, je suis plutôt d’accord avec cette analyse, finalement. Je suis attiré par le naturalisme du monde réel, Sur The Batman, il y avait de toute évidence l’opportunité de développer une approche du type « film noir hollywoodien old school ».

    On pouvait se permettre de revenir quelques décennies en arrière en termes de look, en nous inspirant de films qui arboraient des noirs hyper profonds et des blancs surexposés qui venaient déchirer l’image. Mais après réflexion, nous avons aussi convenu que The Batman devait être un film contemporain, qui se situe dans un monde parallèle au nôtre. Il fallait donc trouver un équilibre.

    Alors pour répondre à votre question, oui, je pense que l’expérience accumulée sur mes films précédents — y compris sur des titres qui ne se distinguent pas par une stylisation poussée, comme Lion Bright Star ou Vice, m’ont permis d’affûter mon œil et mon sens esthétique afin de pouvoir livrer des images qui semblent vraiment exister dan notre monde, des images que le public peut instinctivement comprendre ainsi apporter cette sensibilité naturaliste dans des univers de science-fiction. Ou dans celui de Batman.

    Quelle était la nature de vos échanges avec Matt Reeves durant l’écriture du script ?

    Durant nos discussions sur le genre de Batman que nous voulions voir à l’écran, nous avons rapidement étendu notre vision à l’environnement dans lequel il allait évoluer, avec ce concept que je viens de mentionner d’un monde qui serait une version alternative du nôtre. J’envoyais donc à Matt des images susceptibles de lui donner des références visuelles qui pourraient l’aider à visualiser ce monde.

    J’ai fait beaucoup de recherches, notamment sur l’aspect ténébreux de Gotham, que nous voulions mettre en avant. Mais j’ai beau aimer les univers visuels sombres, je trouve que lorsque vous regardez un film qui baigne constamment dans les ténèbres, l’expérience peut devenir pénible. Les idées que j’envoyais à Matt avaient pour but de l’aider à comprendre comment il pouvait faire un film « sombre, mais clair ».

    C’est-à-dire sombre dans son ton et ses teintes, mais assez clair pour que le public puisse scruter les ombres et y trouver des informations. C’était assez fun de définir cette balance. On a aussi pas mal évoqué les possibilités techniques qui s’offraient à nous : les décors affichés via des murs d’écrans LED, l’utilisation de caméras digitales — il avait déjà tourné ses Planète des singes en numérique, mais on voulait cette fois utiliser des capteurs plus grands et des objectifs anamorphiques à large format. On a vraiment échangé sur énormément de sujets, c’était une opportunité fantastique d’avoir le temps de se poser toutes ces questions.

    Avez-vous revu les précédents films Batman pour préparer celui-ci ? Si oui, qu’avez-vous retenu du travail de Roger Pratt pour Tim Burton et de Wally Pfister pour Christopher Nolan ?

    Jai vu tous ces films Batman, et ils sont fantastiques , Roger et Wally ont fait un boulot extraordinaire. En revanche, je ne les ai pas revus avant de faire The Batman. La seule chose que j’ai un peu étudiée, ce n’est pas la façon dont ils ont éclairé les décors -ce qu’ils ont magnifiquement fait —, mais Batman en lui-même…

    Vous savez, c’est toujours délicat quand on commence à travailler sur un film. J’essaye pour ma part d’éviter de regarder des choses qui ne m’aideront pas à façonner le look du projet. Si ça risque de me pousser vers une direction qui ne conviendra pas, je m’abstiens. Parce que j’ai l’impression que notre « cortex visuel » — je ne suis pas sûr que ça existe vraiment ! — est ainsi fait qu’il ne peut retenir qu’un nombre limité d’informations conscientes.

    J’essaye donc ne pas remplir mon cortex visuel d’images qui ne me conviennent pas à un moment précis. Les œuvres qui me semblaient le mieux correspondre au ton recherché sont celles dont Matt m’a souvent parlé, comme Klute, Chinatown, Les Hommes du président, tous ces films noirs des années 1970.

    Vous êtes-vous penché sur certains comics Batman pour concevoir la lumière du film ?

    Aucun titre précis non. Mais du coup, je reviens au concept dont je parlais, qui est d’absorber seulement les informations visuelles les plus pertinentes. Je me suis très consciemment inspiré des certaines tendances globales issues des comics, car j’en ai lus pas mal dans ma vie. Je ne dirais pas que j’ai une mémoire photographique - en tout cas, mes profs au lycée vous confirmeraient que ce n’est pas le cas (rires) -, mais j’ai une certaine facilité à retenir le ton émotionnel d’une image, et à comprendre comment cette image projette cette émotion.

    Du coup, les comics Batman que j’ai lus dans ma vie m’ont beaucoup inspiré pour appréhender le look global des images du film. L’une des grandes qualités des comics, c’est leur capacité à faire immédiatement converger votre regard au bon endroit, à travers la couleur, les contrastes. Peu de réalisateurs ont une capacité similaire.

    Le look des films des 70’s qui ont influencé The Batman se caractérise bien sûr par l’utilisation de la pellicule. Paradoxalement, The Batman est le premier film de la franchise à être entièrement filmé en numérique. Quel a été votre processus créatif pour essayer de retrouver un cachet caractéristique du support analogique ?

    C’est intéressant, parce que le débat pellicule contre numérique peut parfois prendre des proportions tellement dramatiques ! Chaque camp a ses arguments. C’est un peu comme supporter une équipe de foot, et discuter inlassablement du mérite de chaque joueur…

    Pour The Batman, nous ne voulions pas spécifiquement un film sombre et granuleux, avec un look proche de l’argentique. Ce n’était pas notre intention. Ce que nous voulions, c’était retrouver le genre de sensations que vous éprouvez quand vous regardez Le Parrain, ou Klute.

    Il se trouve que ces films ont été shootés en pellicule. Mais s’ils avaient été tournés aujourd’hui, peut être que leurs chef-op’ auraient utilisé des caméras numériques. Qui sait ? La seule chose importante, c’est ce que dégagent les images. Quand on tourne en numérique, si le rendu est trop précis, trop clair, je trouve qu’on perd la magie qu’apportait la douceur de la pellicule.

    Mais on pourrait en débattre des heures, car d’aucuns pourraient vous répondre que la disparition de cette « douceur » est précisément l’un des grands atouts du numérique. Mais le sujet se focalise trop souvent sur le look des images. Alors que la seule chose qui compte, c’est l’émotion qui s’en dégage. C’est pour ça que j’adore travailler avec Matt, car cette question est toujours au centre de ses réflexions. Aujourd’hui, il existe plein de façons de tricher pour retrouver l’aspect de la pellicule. Mais pour moi, ça ne fonctionne jamais vraiment.

    Les ténèbres sont un élément visuel primordiale pour le personnage de Batman, encore plus dans le cas du long-métrage de Matt Reeves, qui s’inscrit dans la tradition du film noir. Comment avez-vous manié les contrastes pour modeler la psychologie des personnages ?

    Dans ce domaine, Batman est un personnage très intéressant. Durant une interview, Robert Pattinson a dit que nous avions beaucoup réfléchi à la façon dont nous allions éclairer le costume et le masque. Et c’était en effet un point de discussion crucial. Dans l’absolu, sa silhouette devrait être d’un noir uniforme, au sein duquel on ne pourrait pas voir de détails.

    C’est comme ça que les comics l’ont souvent montré. Mais avec une caméra, ce concept ne fonctionne pas. Quand vous braquez votre objectif sur quelque chose, vous captez forcément des détails, des textures. Il fallait trouver le bon équilibre : ne pas éclairer au point où on voit tout, mais juste assez pour que vous sachiez qu’il y a quelque chose dans cette masse noire. Et puis, il ne faut jamais oublier que derrière ce masque, il y a Robert Pattinson.

    On veut que le spectateur le ressente, voie ses yeux, pour comprendre les émotions qui l’habitent lorsqu’il est dans ce costume. C’est très dur pour un acteur : son visage est presque entièrement recouvert, et tout doit passer par ses yeux. Hors de question, donc, de le priver de son outil le plus précieux pour ces séquences. Le tout était donc de montrer la noirceur qui nimbe le personnage, mais d’avoir assez de lumière pour qu’on puisse ressentir ses émotions.

    La façon dont vous gérez l’intensité de vos contrastes dans The Batman rappelle le procédé ENR (un traitement chimique de la pellicule qui permet d’obtenir des images très contrastées aux couleurs désaturées - NDR) initialement conçu pour Vittorio Storaro par Technicolor. Darius Khondji a perfectionné cette technique et l’a beaucoup utilisée, notamment sur Se7en. Aviez-vous son travail en tête lors du tournage de The Batman ?

    Darius est un maître, et son travail est tout simplement incroyable. Mais sur The Batman, il n’a pas vraiment été une référence directe. Ce que je veux dire, que durant ma préparation, je ne me suis pas assis dans un canapé pour revoir tous les films sur lesquels il a œuvré. Ce que je peux vous dire en revanche, c’est que dans ma vie, j’ai vu tous les films sur lesquels il a œuvré ! (rires)

    Quand j’étais étudiant en cinéma, j’ai étudié très attentivement son travail, notamment pour comprendre ce qu’il cherchait à faire avec l’ENR. Le truc avec la pellicule, c’est qu’elle n’apportait pas naturellement le niveau de contraste que Darius voulait obtenir. Mais quand vous shootez en numérique, vous avez la possibilité de jouer avec les contrastes, de les pousser au-delà de ce que le celluloïd pouvait capturer, afin de retrouver le type de sensations que Darius arrivait à susciter avec l’ENR. Et c’est un outil merveilleux à utiliser pour raconter une histoire.

    Vous avez éclairé plusieurs épisodes de la série The Mandalorian, dont vous êtes également producteur. Ce show utilise la technologie des décors affichés directement sur des murs d’écrans LED, que vous avez également employée sur The Batman. Votre approche de la lumière est-elle la même lorsque vous travaillez avec ce type d’environnement virtuel, par rapport à un décor classique ?

    Ma philosophie est rigoureusement identique dans les deux cas. Le danger serait justement de se dire qu’il faut changer d’approche parce que la nature de la technologie est différente. Je ne fonctionne pas comme ça. L’une des raisons pour lesquelles je me suis impliqué dans The Mandalorian - au-delà de mes liens d’amitié avec les gens de Lucasfilm et d’ILM et de mon amour pour cet univers -, c’était justement la possibilité qui s’offrait à moi d’étudier les perspectives dramaturgiques qu’offre cette technologie.

    Je ne vois pas ces murs d’écrans LED comme des accessoires uniquement réservés à de gros projets de science-fiction ou de fantasy. Pour moi, ils permettent de mettre l’'emphase sur le drame qui se joue à l’image. J’ai travaillé avec l’équipe de The Mandalorian pour perfectionner cet outil, afin que des brillants artistes comme Matt Reeves, Denis Villeneuve ou Kathryn Bigelow puissent l’utiliser dans la création de leurs chefs-d’œuvre. C’est en cela que j’approche cette technologie comme n’importe quel autre aspect de mon travail.

    – Propos recueillis par Laurent DUROCHE
    – Merci à Carole CHOMAND

    SOURCE: Mad movies

  • 0 Votes
    5 Messages
    230 Vues

    @Psyckofox

    Absolument d’accord avec toi, le premier était bof bof, le deuxième une tuerie et le troisième un cran en dessous.

    Je l’ai vite oublié cette trilogie mis à part le 2ème opus pour les mêmes raisons que toi.