Peu de monde en a entendu parler mais des négociations majeures pour le climat et la biodiversité s’ouvrent aujourd’hui au siège de l’OMC à Genève. Les enjeux sont immenses.
Ce dimanche 12 juin à Genève, les négociateurs de 164 pays membres de l’Organisation mondiale du commerce se réunissent pour discuter, parmi d’autres sujets, d’un accord sur les subventions publiques accordées au secteur de la pêche.
L’enjeu est IMMENSE car il s’agit de couper le robinet financier qui alimente de façon irrationnelle et contre-productive la destruction de l’océan et des pêcheurs artisans par les flottes de pêche industrielles.
Un fléau qui n’épargne aucun État côtier dans le monde mais qui est particulièrement dévastateur pour les pays les moins développés.
Les aides publiques ont été identifiées comme la principale cause de la tragédie des communs qui frappe l’océan mondial.
BLOOM a participé, avec le professeur Rashid Sumaila et d’autres chercheurs, à la plus récente évaluation globale des aides publiques allouées au secteur de la pêche.
Nos estimations, utilisées par les décideurs publics, montrent que :
• 35,4 milliards de US$ d’’argent public ont été alloués au secteur de la pêche au niveau mondial (année de référence 2018)
• Plus de 80% de ces aides ont été accordées au secteur de la pêche industrielle, et seulement 19% à la pêche artisanale.
• L’immense majorité des aides (>18 milliards) sont des subventions néfastes qui encouragent la capacité de pêche, ce qui mène en droite ligne à la surexploitation et destruction de l’océan.
Nos évaluations scientifiques révèlent que les pêcheurs industriels reçoivent en moyenne 3,5 fois plus de subventions que les pêcheurs artisanaux.
A la disparition des pêcheries artisanales dans les pays qui en ont le plus besoin pour des raisons vitales de sécurité alimentaire et d’équité économique, s’ajoutent désormais la disparition accélérée des espèces marines et la dégradation inexorable du milieu marin qui agit comme un gigantesque puits de carbone indispensable à la régulation du climat de la Terre.
Les ministres n’ont que d’excellentes raisons pour aboutir à un accord ambitieux, clair, efficace qui permettra d’interdire les subventions encourageant la pêche illégale, la surpêche et la surcapacité de pêche dans le monde, y compris les subventions directement nuisibles pour le climat : les aides au carburant qui représentent 7,2 milliards de dollars par an et profitent aux pêches les plus destructrices.
Mais nous ne sommes pas naïfs.
Nous connaissons les processus politiques.
Les lobbies industriels « respirent dans le cou » des négociateurs comme des dragons qui influencent les décisions publiques à leur avantage, contre l’intérêt des citoyens, pour leurs profits individuels court-termistes.
Les industriels de la pêche sont financés par l’argent public pour exploiter des animaux sauvages dans un milieu océanique qui forme le plus grand bien commun du monde.
Les industriels DEPENDENT des subventions publiques : sans elles, la majorité des pêches industrielles seraient déficitaires et cesseraient leurs activités.
C’est pour cette raison que les négociations durent depuis plus de 20 ans à l’OMC…
En mai 2008, pleine d’espoir, j’y plaidais, avec l’ONG et Pascal Lamy, alors directeur général de l’OMC, en exposant les photos de la splendide diversité de la faune abyssale pour montrer concrètement le tort que faisaient les subventions publiques à l’océan en encourageant d’énormes chalutiers industriels à détruire des écosystèmes fragiles en allant pêcher et racler les fonds jusqu’à 2000 mètres de profondeur.
En 2015, regain d’espoir : l’ONU adopte les objectifs de développement durable dont l’objectif 14.6 visant à « interdire, d’ici 2020, les subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche ».
En 2017, je plaide de nouveau en personne auprès des représentants des nations lors du « Forum Public » de l’OMC à Genève. Faits et chiffres sont accablants. Il n’existe pas une seule bonne raison de maintenir ces subventions destructrices.
Fin 2017, on y croit. BLOOM se rend à Buenos Aires en Argentine pour la 11ème Conférence ministérielle de l’OMC en se disant que la date-butoir de l’objectif onusien de 2020 va mettre la pression aux États, qu’ils vont au moins interdire les aides encourageant la pêche illégale. Mais l’organe de régulation du commerce mondial entre dans une phase de paralysie qui va durer plusieurs années et les États ratent l’occasion de mettre en œuvre l’engagement de l’ONU.
Ce dimanche 12 juin 2022, les ministres se remettent au travail lors de la 12ème conférence officielle de l’OMC. La volonté semble réelle d’atteindre un résultat concret sur les subventions à la pêche.
Le texte de négociation est une base excellente
(voir ici : https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=q:/WT/MIN21/W5.pdf&Open=True&utm_source=CUTS+Updates&utm_campaign=beaaccf87a-&utm_medium=email&utm_term=0_0b1c315a62-beaaccf87a-146506909
)
Mais qu’en restera-t-il à l’issue des 4 jours ?
Source : post FB de Claire Nouvian