Penser des datacenters moins énergivores
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Un datacenter de la société Alibaba, un des géants du commerce électronique, dans le district de Zhangbei (Chine).
Alors que le volume de données numériques croît à une vitesse vertigineuse, le projet Genesis explore de nouvelles pistes pour réduire leur impact énergétique.
La quantité de données numériques créées ou répliquées dans le monde ne cesse de gonfler. Entre 2010 à 2020, elle est passée de deux zettaoctets (Zo) – soit 2 000 milliards de gigaoctets (Go) – à 64 Zo. Pis, les prévisions annoncent 181 Zo en 2025 (étude Statista, 2021). Cette hausse a des répercussions sur la consommation énergétique : les services numériques représentent entre 6 % et 10 % de la consommation électrique mondiale. En France, elle est estimée à 10 %. « Cela équivaut à la consommation électrique d’un radiateur de 1 000 watts qui serait alimenté sans interruption pendant 30 jours par chaque Français, d’après l’Ademe1 », souligne Abdoulaye Gamatié, directeur de recherche au Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier2 (Lirmm).
Au cœur de cette économie numérique, il est donc pertinent d’interroger la place qu’occupent les datacentersFermerLes datacenters de services gérés appartiennent à des fournisseurs de services qui proposent l’équipement ou l’infrastructure en location pour le compte d’une entité. Les datacenters en colocation hébergent quant à eux l’infrastructure (bâtiment, refroidissement, bande passante, sécurité), tandis que l’entité qui loue l’espace fournit et gère les composants (serveurs, stockage, pare feux, etc.). Enfin, de gros datacenters gèrent les données et applications des géants du numérique - comme Amazon, Microsoft ou IBM - dans les clouds. Une pratique consistant à utiliser des serveurs informatiques à distance et hébergés sur Internet pour stocker, gérer et traiter des données, plutôt qu’un serveur local ou un ordinateur personnel… Ces centres de données équipés de serveurs, de commutateurs, de systèmes de stockage et de refroidissement, fournissent des services de stockage et de calcul à destination, le plus souvent, d’entreprises ou d’organisations. « La centralisation des données en ces lieux permet de fiabiliser l’accès à ces données à moindres coûts pour les entités qui y accèdent », explique le chercheur. Si des efforts sont consentis en termes d’efficacité énergétique, cela n’empêche pas la croissance de la consommation.
Pourquoi ? « D’abord, les datacenters ne sont en moyenne utilisés que 30 % du temps, alors que ceux-ci restent alimentés en permanence », précise Abdoulaye Gamatié. Comment expliquer cela ? « Il faut assurer une qualité de service tout en maximisant le taux d’usage. Ce qui s’avère délicat à cause de la fluctuation de la demande. Un site de e-commerce est ainsi plus sollicité en décembre qu’en août, par exemple. Pour répondre aux pics, il doit donc consentir à allouer un nombre de ressources supérieur à sa moyenne », déclare Gilles Sassatelli, directeur de recherche au Lirmm.
Vidéo à la demande et objets connectés
Cette hausse constante s’explique aussi par l’émergence de nouveaux services. Ceux de vidéo à la demande, en premier lieu. « Une vidéo sur Netflix pèse quelques gigaoctets, ce qui est peu. En revanche, elle peut être visionnée des millions de fois. Ainsi, en transitant à chaque fois dans ces réseaux, elle génère une consommation énergétique et donc une empreinte carbone significative », détaille le chercheur. La multiplication d’objets connectés joue aussi un rôle. « Tous ces objets sont en effet dépendants d’un service qui est, en général, hébergé sur un serveur », explique Gilles Sassatelli. Qu’en est-il de l’impact de la 5G ? « Le degré actuel de son déploiement n’est pas suffisant pour expliquer les hausses du trafic », estime-t-il. « Néanmoins, un déploiement accru de cette technologie contribuerait à augmenter le trafic des données, avec un effet rebond sur la consommation énergétique », poursuit Abdoulaye Gamatié.
Des mini datacenters sur le toit de l’école Polytech Montpellier. Chaque boîtier noir et son panneau solaire sont appelés « modules » ou « nœud ». Le prototype du Lirmm comprend 4 modules. Un « système » Genesis est vu comme un ensemble de modules interconnectés qui coopèrent, en échangeant des données et de l’énergie, pour réaliser une tâche donnée.
Sachant que l’augmentation du nombre de services va automatiquement entraîner une hausse du trafic, de quels leviers dispose-t-on ? « Les tendances actuelles poussent vers le déploiement du service au plus près de l’usage (edge computing_Fermer_Edge computing (« informatique en périphérie ») : ce système permet de réaliser des calculs à proximité sans aller solliciter les serveurs centralisés et distants des clouds. Le edge computing permet d’avoir un mode de calcul réactif et moins énergivore, car il occasionne moins de trafic réseau à large échelle. De plus, le traitement localisé assure plus de sécurité dans la confidentialité et la gouvernance des données.), qui réduit le trafic des données sur l’infrastructure globale », annonce Gilles Sassatelli. Les sources d’énergie renouvelable, notamment le solaire et l’éolien, sont également intégrées dans les schémas des datacenters depuis plusieurs années. Ceci se fait souvent dans une approche comptable, en créant un parc photovoltaïque sur un site arbitraire censé compenser la consommation annuelle des datacenters. Il y a aussi le levier technologique : « On peut concevoir des architectures de calcul ainsi que des technologies de mémoire non exclusivement basées sur le silicium, qui vont consommer moins d’énergie tout en offrant une performance de calcul accrue_. D’autres leviers étudiés sont le contrôle de la fréquence de fonctionnement des serveurs, l’allocation intelligente des tâches aux serveurs en fonction de leur nature, ou encore la virtualisation3_ », précise le chercheur.
Interroger les usages
Toutefois, la science ne permettra pas à elle seule de minimiser l’empreinte carbone du numérique. Il faut aussi intégrer la question des usages. Le fait que les ressources de calcul soient dématérialisées pousse à consommer sans se poser la question de leur impact concret sur les infrastructures physiques qui les hébergent. Ce volet sociétal peut trouver un prolongement dans des mesures politiques. Ces dernières années, les législateurs se sont penchés sur le sujet. Ainsi, la loi Chaise du 15 novembre 2021 vise notamment à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, y compris celle des datacenters. Les deux chercheurs, en collaboration avec d’autres collègues du Lirmm, ont intégré l’ensemble de ces problématiques dans le projet Genesis4, « en menant une réflexion globale prenant en compte la limite des ressources planétaires », explique Abdoulaye Gamatié. La genèse du projet remonte à 2013.
Affairés dans des projets de recherche collaborative européens, les deux chercheurs ont eu l’occasion d’observer et de comprendre les pratiques des datacenters. « Nous avons constaté qu’une partie significative de la consommation de l’infrastructure relevait de composants périphériques aux fonctions informatiques. Cela nous a amenés à réfléchir à la manière de diminuer drastiquement les pertes énergétiques tout en utilisant des énergies renouvelables », révèle Gilles Sassatelli. Après un dépôt de brevet, l’équipe a développé plusieurs générations de prototypes, avec le soutien de la Région Occitanie. Ainsi, le projet Genesis repose sur un système de panneaux photovoltaïques couplés à de petits datacenters.
La démarche scientifique de Genesis vise à intégrer l’énergie dans un système distribué ; comme une ressource finie et gérée au même titre que la capacité de stockage ou de calcul. Dans ce schéma, l’énergie est allouée et acheminée entre unités, comme les données. Ce concept a nécessité des recherches à l’interface de l’informatique, des systèmes embarqués et de l’électronique de puissance pour créer des objets logiciels et matériels dotés de ces capacités.
Panneaux solaires et justice sociale
En cours d’évaluation à petite échelle, Genesis obtient déjà des résultats très encourageants. « Grâce à une modélisation calibrée, à l’aide d’un prototype expérimental installé à Polytech Montpellier, nous avons remarqué que la possibilité de faire migrer à la fois de l’énergie et des données entre les unités de calcul permet de réduire l’énergie issue du réseau électrique de 22 à 27 %5 », note Abdoulaye Gamatié. « En période estivale dans le Sud, on pourrait même obtenir un surplus d’énergie pouvant bénéficier à certains usages locaux. Le déploiement d’un tel système à l’échelle d’un quartier de Montpellier pourrait générer une dizaine de milliers d’euros6 par semaine, favorisant une marge de valorisation pour la collectivité locale_. Cela pourrait ainsi renforcer une certaine justice sociale et la gouvernance locale_ », assure le chercheur.
Contenu d’un boitier ou « carter » partiellement assemblé. L’élément central se compose de la carte Genesis et des cartes filles verticales.
Au sein de Genesis, la dimension sociale s’avère très importante, notamment à travers la collaboration avec l’Unité mixte de recherche Ambiances, Architectures, Urbanités7 sur le déploiement du système en milieu urbain, en étudiant ses effets du point de vue de l’acceptabilité, de l’économie et de la gouvernance de données89. Un des scénarios développés par les scientifiques cible un quartier nantais de 2 600 résidents. En prenant en compte les contraintes architecturales, une couverture de 30 % des toits, par un dispositif de panneaux solaires qui alimentent directement les petits datacenters serait envisageable, ce qui répondrait partiellement à la consommation énergétique de l’activité numérique locale. Un autre scénario, dans un quartier montpelliérain, envisage de couvrir jusqu’à 50 % des toits, ce qui permettrait de répondre entièrement à la demande locale.
Vers un déploiement à grande échelle ?
Il reste toutefois des inconnues et des difficultés à prendre en compte. Notamment la question de l’analyse du cycle de vie des composants. « Nous menons des réflexions pour atténuer l’impact environnemental des panneaux solaires et des batteries que nous utilisons. Il faut pour chaque site et chaque usage trouver le dimensionnement optimal », rassure Gilles Sassatelli. De plus, les chercheurs privilégient l’utilisation de serveurs de seconde génération, disponibles lors des fréquentes mises à niveaux dans des datacenters classiques, ce qui favorise une meilleure efficacité carbone grâce à l’allongement de la durée de vie.
Le projet s’avère donc porteur de promesses. Mais pour les confirmer, l’équipe doit maintenant avancer vers un prototype à plus large échelle, permettant de valider les hypothèses de déploiement dans les scénarios étudiés. Cela implique de trouver des financements et un accompagnement adapté. En attendant, les chercheurs poursuivent leurs réflexions scientifiques. « L’idée que l’énergie puisse jouer un rôle central dans la fonction qui la requiert nous semble porteuse de perspectives », déclare Gilles Sassatelli. « Ce principe pourrait, par exemple, se décliner dans le cadre de la robotique mobile et modulaire. Les flux d’énergie, données et commandes pourraient transiter conjointement, avec des avantages à la clé en termes d’autonomie. » Une autre piste de réflexion s’inscrit dans l’interdisciplinarité, ajoute Abdoulaye Gamatié : « Il faut travailler en synergie avec les autres disciplines et acteurs, comme les sciences humaines et sociales, afin d’appréhender de façon systémique les problématiques sociétales et environnementales liées aux usages du numérique, dans une véritable optique de durabilité. »
Source : lejournal.cnrs.fr
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Un data-center peu énergivore ça s’appelle un scribe
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Data center sous l’eau ça sera déjà ça niveau énergie en moins pour les refroidir