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    @Siegfried

    Ce topic va à ravir avec ton avatar 😆

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    À l’heure où le documentaire Ennio célèbre la mémoire d’ Ennio Morricone en évoquant les plus grandes heures de sa carrière, Il nous a paru indispensable de nous pencher sur les zones d’ombre de sa filmographie, ses escapades dans les « Mauvais genres » qui nous tiennent tant à cœur.

    De par la longévité du bonhomme, nous avons tous une histoire avec Ennio Morricone. Une histoire qui touche à l’intime, où sa musique devient un peu la compagne de notre vie, de certains de ses moments les plus marquants. Pour l’auteur de ces lignes, elle commence au tout début des années 1970, avec le 45 tours d’Il était une fois dans l’Ouest qu’écoute en boucle un oncle fan de western. Suivront une compilation interprétée par Geoff Love et son orchestre, parallèlement à la découverte des films de Sergio Leone à la télévision, puis de la série Marco Polo, de Peur sur la ville, de Queimada, de 1900

    Puis vint le déferlement émotionnel ressenti à la vision d’Il était une fois en Amérique en salle, puis l’exaltation procurée par l’incroyable ouverture des Incorruptibles et le plaisir éprouvé bien des années plus tard en plongeant tardivement dans les premières œuvres de Dario Argento. Avec le recul, on se dit qu’on a eu une chance folle d’avoir été initié aux délices de la musique de film par un tel mastro, et on plaint ceux qui l’ont été par Pirates des Caraïbes… Mais la musique de Morricone a ceci de particulier qu’elle embrasse plusieurs générations et a su créer un lien presque organique avec chacun de ses auditeurs : ce n’est pas un hasard si les fans du compositeur sont aussi passionnés, aussi complétistes, au point d’acheter dix fois de suite la même B.0. parce que chacune de ses rééditions propose une nouvelle variation sur le thème principal. Mais si l’artiste est connu dans le monde entier pour certains de ses chefs-d’œuvre absolus, l’exploration des zones plus obscures de sa discographie permet de mettre en lumière un corpus rarement évoqué, celui du Morricone du bis italien et autres trésors furieusement mad !

    Au delà des Dollars

    Sergio Corbucci, Giulio Petroni, Sergio Sollima, Duccio Tessari : lorsqu’il ne collabore pas aux westerns de Sergio Leone, Morricone ne s’associe qu’avec les ténors du genre. Et si aucun des scores signés pour les réalisateurs précités n’atteint la puissance de la trilogie des dollars, d’Il était une fois dans l’Ouest ou d’Il était une fois la révolution, il n’en demeure pas moins que Morricone reste, y compris dans ses œuvres mineures, le maître du western italien. Comme chez Leone, il déploie des instrumentations singulières : carillons, klaxons, célesta, harmonium, guimbarde sicilienne, crépitements de guitares, sifflements le plus souvent assurés par Alessandro Alessandroni, vocalises célestes d’Edda Dell’Orso (venus l’un comme l’autre de l’ensemble choral I Cantori Moderni), cris gutturaux…

    Dans une atmosphère évoquant la sauvagerie de l’Ouest, la solitude de grands espaces et les voyages vers des horizons inaccessibles, la musique est là pour parler à la place des héros taiseux chers au genre. Un opéra de la violence aux thèmes mémorables qui passent par toutes les émotions, toutes les couleurs de la poussière et du sang. La complainte à la Dimitri Tiomkin de Mon colt fait la loi, la beauté poignante et tragique du Retour de Ringo, les envolées à la Leone de Colorado, le chœur à l’indienne et les guitares roucoulantes de Navajo Joe, les sifflements sépulcraux du Mercenaire, l’ambiance funéraire du Dernier face à face, la guitare démoniaque et les psalmodies chorales de La Mort était au rendez-vous, les accents presque médiévaux du méconnu mais prodigieux Ciel de plomb, la froideur envoûtante et pourtant nostalgique du Grand silence avec son sitar indien…

    Lorsque Morricone se fait plus épique, cela donne La Bataille de San Sebastian, dont le love theme est, avec L’Estasi dell’oro du Bon, la brute et le truand, l’une des pièces les plus sublimes de l’œuvre du compositeur. Le grotesque s’invite dans la dinguerie liturgique d’On m’appelle Providence ou dans le thème irrésistible de Sierra torride (western américain mais avec Clint en mode Leone) et de son cousin 5 hommes armés, et vire au burlesque dans On m’appelle Malabar. Mais l’humour musical, chez Morricone, n’est jamais synonyme de facilité ou de ridicule : c’est encore une fois pour lui l’occasion de signer des mélodies accrocheuses, comme dans Far West Story, où il retrouve les accents d’Il était une fois la révolution avec le thème de Sonny associé à l’affolante Susan George ou dans Un génie, deux associés, une cloche.

    Et quand il s’attaque à un hommage quasi parodique tel que Mon nom est personne, Morricone livre l’un de ses thèmes les plus séduisants, plein de tendresse, de jeunesse et de malice (il en reprendra la formule en France pour Le Ruffian), tandis que le reste du score navigue entre emprunts bien sentis à Wagner et musiques de duels n’ayant rien à envier à celles composées pour Leone, d’ailleurs producteur du film. Avec Elmer Bernstein et Jerry Goldsmith, Morricone forme ainsi la Sainte Trinité du western et sa musique transcende les images plus qu’elle ne les accompagne, grâce à un style à la fois romanesque et solaire, viril et tourmenté, agressif et ricanant, aussi révolutionnaire que les westerns zapatistes qu’il illustra avec un entrain de sale gosse indiscipliné.

    Mio caro Giallo

    Si les partitions composées par Ennio Morricone pour la « trilogie animale » de Dario Argento ne constituent que le sommet de l’iceberg de son œuvre giallesque, elles n’en sont pas moins très représentatives de l’approche qu’il utilisera sur les autres représentants du genre présents dans sa filmographie : un thème pourvu d’une très belle mélodie (faisant à l’occasion intervenir Edda Dell’Orso) maïs rarement repris au sein même du score, lequel déploie quant à lui un style expérimental, atonal et presque bruitiste, avec parfois des accents free jazz. Une musique difficile d’accès, voire pas forcément agréable à écouter sans les images, où percussions, instruments à vent, cordes pincées et claviers désaccordés s’affrontent et se chevauchent, parfois rejoints par des sons électroniques.

    La musique est ici uniquement destinée à traduire la peur et la paranoïa, le sadisme et la violence. Elle parle à la fois pour les victimes et pour leurs agresseurs, créant une atmosphère suffocante en contraste total avec les caresses émotionnelles et sensuelles prodiguées par les thèmes principaux. Difficile de ne pas être saisi par la profonde mélancolie des thèmes du Chat à neuf queues et de Mais… qu’avez-vous fait à Solange ?, avec son chant quasi leonien, ou par l’insondable tristesse, presque bertoluccienne, de Je suis vivant !, sommet de la collaboration du compositeur avec le réalisateur Aldo Lado. Morricone retrouvera notamment ce dernier sur Qui l’a vue mourir ?, où le compositeur opte cette fois pour une autre de ses figures de style giallesques favorites : l’air de comptine (également présent dans L’Oiseau au plumage de cristal et Folie meurtrière), histoire de marquer les traumas d’enfance des tueurs ou la mort de fillettes innocentes.

    Le travail du m*****o dans le giallo est donc habité par le deuil, la mort et la folie, mais pas que. Élément essentiel du genre, l’érotisme est également de mise à travers des mélodies chaloupées à la volupté troublante (Le Venin de la peur, La Tarentule au ventre noir, Photos interdites d’une bourgeoise) où trompette, soupirs de plaisir et clavecin épousent à merveille les formes généreuses des actrices et leurs regards humides. Parfois, sensualité et tristesse s’étreignent, comme dans Frissons d’horreur. Ailleurs, comme dans Spasmo, un lyrisme presque sacré domine la partition. Versatile dans ses approches, le M*****o peut aussi bien flirter avec son style polar (Journée noire pour un bélier est assez proche de Sans mobile apparent) ou délivrer un score entièrement avant-gardiste (Gli occhi freddi della paura).

    On l’aura compris, le giallo chez Morricone est à la fois cérébral et frontal. Le compositeur se consacre au genre de la fin des années 1960 au milieu des années 1970, n’y revenant que vingt ans plus tard à l’occasion du Syndrome de Stendhal pour Dario Argento. Il livre un thème ensorcelant qui ranime les grandes heures de leur collaboration avec ses allures de comptine déviante, son lamento vocal et ses violons tourmentés. Mais cette fois, le thème irrigue toute la partition. Terminons non pas avec un giallo mais avec un fumetti, à savoir Danger Diabolik, merveille de pop psychédélique dont l’espièglerie et la légèreté possèdent un charme enivrant. De quoi regretter que Morricone n’ait pas plus souvent collaboré avec Mario Bava.

    French Connection

    Très inspirés par le giallo, les polars français Peur sur la ville et Sans mobile apparent permettent à Morricone de prolonger son travail sur les productions italiennes du genre, signant pour l’occasion deux pépites en or massif. Dans Peur sur la ville, il traduit admirablement le mélange de genres auquel se livre Henri Verneuil, avec un inoubliable thème sifflé et l’harmonica pour le côté western du flic tête brûlée joué par Jean-Paul Belmondo, et un staccato rythmique obsédant pour marquer le suspense cher au polar urbain. Le personnage du tueur Minos, lui, se voit associé à des cordes lancinantes et à un air de carrousel.

    À l’inverse des giallos purement italiens, le thème principal est souvent repris et soumis à de multiples variations. Même chose pour celui de Sans mobile apparent avec son atmosphère de chaleur écrasante, ses cuivres tordus, sa trompette et son sifflement liés au caractère solitaire du policier cette fois interprété par le regretté JeanLouis Trintignant. Une sorte de ballade languissante et torride qui s’éveille lentement pour évoluer vers une musique plus proche de Peur sur la ville. Lui aussi très marqué par l’influence du thriller transalpin, I… comme Icare met en avant un clavecin et un orgue dans un thème au parfum de pouvoir corrompu et de menace implacable. Si étrangement, Morricone n’a que très peu œuvré dans le poliziottesco, il aura tout de même offert au genre une poignée d’œuvres séminales.

    Pour La Cité de la violence de Sergio Sollima, son style se teinte de rock grâce aux wah-wah d’une guitare électrique en feu et à des percussions déchainées. Le compositeur retrouve Sollima à l’occasion de La Poursuite implacable (plus connu sous son titre original Revolver), dont la rythmique très appuyée et les sursauts de cuivres auront une grande influence non. seulement sur La Rançon de la peur, mais aussi et surtout sur le thème d’ouverture des Incorruptibles (William Friedkin, pour sa part, reprendra le thème tel quel dans son téléfilm Les Hommes du C.A.T.).

    L’agressivité est donc au cœur des partitions polardeuses de Morricone, mais elle peut aussi céder la place à l’ironie, comme avec la guimbarde d’Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon ou, de façon encore plus assumée, dans Le Carnaval des truands de Giuliano Montaldo, où les coin-coin de la trompette, la batterie et des vocalises écervelées se livrent à une sarabande endiablée pleine d’humour et de soleil. Le Marginal, le plus bis des Bébel des années 1980, fait appel à une guitare basse presque funky et des percussions pop pour sonner plus moderne, tandis que La Proie de l’autostop s’oriente vers le blues avec une couleur typiquement western s’inscrivant dans la lignée de La Bête tue de sang-froid d’Aldo Lado, qui utilisait quant à lui un harmonica sous acide. On est bien loin de la partition terriblement sombre composée par Morricone pour Le Sang du châtiment de Friedkin, ou renaît la profonde tristesse de certains de ses thèmes glallesques avec une sensation de deuil qui contamine l’ensemble du score,

    Nous sommes légion

    Inutile de se voiler la face : ce n’est pas dans le cinéma fantastique que Morricone s’est montré le plus à l’aise. Déjà, en 1965, sa musique pour Les Amants d’outretombe, avec son romantisme morbide suranné et sans saveur, ne se distingue guère du tout-venant gothique. Ses réussites dans le genre se comptent donc sur les doigts d’une main. Dans L’Exorciste II : l’hérétique, le magnifique thème pour chant et guitare associé à Regan, auquel vient répondre le chant tribal païen du démon Pazuzu, fait preuve d’une telle empathie pour sa jeune héroïne qu’il élève le film bien au-delà du statut de simple séquelle. Son cousin Holocaust 2000 teinte son ambiance de polar d’accents sataniques et sentimentaux.

    Pour The Thing, Morricone crée un score minimaliste et angoissant qui épouse la parano ambiante et l’immensité glacée du décor, en symbiose avec la musique de John Carpenter lorsqu’il teinte son orchestre de sonorités et de rythmes synthétiques. Pas assez semble-t-il, puisque le réalisateur de The Fog éjecte la majorité du travail de Morricone, ne conservant que quelques morceaux essentiels pour remplacer le reste par les siens. « Je n’ai eu que très peu de contacts avec John Carpenter » confiait Morricone au magazine Soundtrack ! dans les années 1990, « de sorte que j’ai accepté d’écrire différents types de musiques afin qu’il puise dedans celles qui lui semblaient le mieux convenir à sa conception du film. En réalité, mes morceaux synthétiques n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’il fait. Le seul point commun, c’est qu’ils font appel à du synthétiseur, que j’ai dû utiliser parce que je n’avais jamais travaillé avec lui et que je devais prendre en compte ce qu’il avait fait sur ses autres films. »

    Beaucoup moins connu, Wolf prend le risque de mélanger un style très film noir avec saxophone, trompette et accents glamour à une sensation de danger permanent apportée par les violons et des cuivres bestiaux traduisant l’animalité des personnages, le tout rehaussé par un motif synthétique malheureusement un peu à côté de la plaque. Il n’empêche : Wolf reste l’un des scores les plus intéressants de la période nineties de la carrière hollywoodienne de Morricone. C’est aussi à cette époque qu’il signe sa dernière B.0. en date pour Argento, à savoir Le Fantôme de l’Opéra, dont le romantisme plaintif tente de donner un peu de consistance à l’histoire d’amour impossible du film.

    Epic Ennio

    S’il est préférable d’oublier poliment les expérimentations électroniques du compositeur dans la science fiction (L’Humanoïde, la version italienne de la série Cosmos 1999 dont trois épisodes sont assemblés pour une diffusion en salles), il s’illustre en revanche avec superbe dans l’heroic fantasy avec Kalidor : la légende du talisman : un thème principal propulsif, un motif d’action épique directement hérité de Conan le barbare (et pour cause, le film est une suite non officielle de Conan le destructeur), pour une partition dont le lyrisme renversant épouse à merveille la force et la beauté de son héroïne Red Sonja.

    Morricone essaiera sans grand succès de retrouver cette formule magique sur Hundra, amusante bisserie où Brigitte Nielsen cède la place à la non moins sculpturale Laurene Landon, mais la musique se borne à du recyclage bas de gamme de Kalidor auquel vient s’ajouter un thème pseudo classique qui ne semble être là que pour rehausser la pauvreté esthétique du film. Enfin, même si le film appartient plus au cinéma d’aventure qu’à l’imaginaire, impossible de ne pas évoquer la beauté nautique d’Orca, dont le thème résume admirablement la splendeur de l’océan et la souffrance de son personnage principal, une orque lancée après un pêcheur pour venger la mort de sa compagne et de sa progéniture.

    De la mer au désert, il n’y a qu’un pas que Morricone franchit allègrement dans la production Cannon Sahara et la série Le Secret du Sahara. Malgré des intrigues ouvertement inspirées par les aventures d’Indiana Jones, le M*****o préfère évoquer la chape de plomb du soleil, les dunes à perte de vue et les sentiments amoureux des personnages plutôt que de célébrer l’action et les péripéties à outrance. Ces partitions hypnotiques aux mélodies puissantes, baignant dans de discrètes couleurs locales, n’ont donc pas grand-chose à voir avec du John Williams. Le Trésor des quatre couronnes et L’Île sanglante se montrent bien plus paresseux avec leurs thèmes passe-partout interchangeables même si, entendons nous bien, la musique reste fort agréable à l’oreille.

    Si on ne devait garder qu’une seule musique d’aventure d’Ennio Morricone, ce serait sans aucun doute celle de Marco Polo, qui enchaîne les morceaux stupéfiants de beauté et de souffle épique dans un long poème symphonique surgi tout droit de la Renaissance. Avec John Barry et John Williams, Morricone reste l’un des plus grands mélodistes de l’Histoire de la musique de film et son œuvre immortelle n’a pas fini de conquérir les cinéphiles mélomanes. On envie ceux qui ne l’ont pas encore découverte…

    Par Cédric DELELÉE

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    @violence je te suis complètement pour Battle Royale :bisou:

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    Critique Mad Movies

    Comment écrit-on la suite du plus gros succès de l’Histoire du cinéma ? « En prenant son temps pour faire les choses bien » nous répondait il y a quelques mois Jon Landau. Alliant une fresque familiale intimiste à un spectacle aux proportions inédites, La Voie de l’eau justifie largement les treize années qui le séparent du film original, et pave la voie à une saga qu’on peut déjà qualifier de colossale…

    Le modèle de James Cameron pour la saga Avatar, comme il l’explique à longueur d’interviews, a toujours été Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Tournés simultanément et complétés par des prises de vues additionnelles en 2002 et 2003, La Communauté de l’Anneau, Les Deux tours et Le Retour du roi étaient toutefois partis avec un avantage : le réalisateur néo-zélandais avait pu s’appuyer sur les romans de J.R.R. Tolkien pour expliquer aux comédiens l’arc complet de leurs personnages.

    Les performances obtenues, superbement incarnées, étaient surtout cohérentes avec le projet d’ensemble, ce qui, dans une œuvre de fantaisie, est une nécessité souvent négligée. Souhaitant adopter la même approche créative à long terme, Cameron a décidé de rédiger toutes les suites d’Avatar en même temps, avec la collaboration de Rick Jaffa, Amanda Silver, Josh Friedman et Shane Salerno.

    Bien avant d’arpenter le plateau des opus 2 et 3 (ce dernier devrait mettre en scène un clan na’vi belliqueux, le peuple des cendres, face à des humains moins manichéens que prévu), les acteurs auront ainsi été mis dans la confidence vis-à-vis des épisodes 4 (qui devrait se dérouler en partie dans l’espace) et 5 (qui posera ses caméras sur Terre).

    Souhaitant exploiter tout le potentiel esthétique et thématique de son nouvel univers, Cameron avait promis d’aborder chaque long-métrage comme un récit autonome, proposant ses propres défis technologiques et son atmosphère bien spécifique. Fait rare, La Voie de l’eau confirme ce discours tenu durant depuis le début de la tournée promo tout en posant avec un sens impressionnant du dosage les bases d’une mythologie inépuisable.

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    – Jake Sully (Sam Worthington) et sa famille en pleine transhumance.

    LE TOUR DE LA QUESTION

    En 1986, Cameron s’était déjà prêté au délicat exercice de la « séquelle », mais son cultissime Aliens, le retour reposait sur un univers imaginé par d’autres. Coécrit par William Wisher, Terminator 2 : Le jugement dernier avait de son côté transcendé l’intrigue de son modèle et élargi ses frontières thématiques, mais il avait aussi fait le tour de son sujet, de la guerre futuriste aux affrontements entre les deux cyborgs en passant par des réflexions kubrickiennes sur l’humanisation potentielle des machines.

    Il est d’autant plus intéressant de comparer le world building de T2 à celui de La Voie de l’eau, dont le premier quart d’heure ouvre une infinité de pistes narratives impossibles à digérer en « seulement » trois heures. La brève visite de la capitale humaine évoque la manière dont Peter Jackson filmait Minas Tirith dans La Communauté de l’Anneau : les plans d’établissement sont suffisamment spectaculaires pour poser les enjeux industriels du décor, et suffisamment frustrants pour attiser la curiosité du public, en attendant que Cameron s’y attarde plus posément dans les épisodes à venir.

    Difficile également de ne pas penser à la façon dont George Miller cadrait la « Bullet Farm » dans Mad Max: Fury Road : Furiosa dirigeait sa machine de guerre vers la cité lointaine avant de braquer soudainement, faisant ainsi pivoter le récit à 90 degrés. Dans le même ordre d’idée, tout le monde attendait de Cameron qu’il prolonge son œuvre de façon rectiligne, comme engoncé dans le confort d’un train lancé à vive allure. Le fait que l’aventure démarre justement par le sabotage d’un chemin de fer est une déclaration en soi, le cinéaste dynamitant le carcan créatif que Hollywood aurait sans doute aimé lui imposer.

    MICRO ET MACRO

    L’ambition narrative de Cameron se reconnaît dans l’arbre généalogique des Sully, magnifiquement tracé au fil du prologue. Cette famille nombreuse aurait pu « disneyiser » le propos ; elle l’aide au contraire à optimiser son impact, chaque enfant apportant ses propres problématiques à une macro-dramaturgie d’une densité remarquable.

    Assumant son rôle de chapitre de transition sans que jamais cela n’entame la précision de sa structure (il s’agit bien d’un film, et non d’un épisode de série TV), La Voie de l’eau cultive les contrastes et les paradoxes, comme celui de proposer une aventure beaucoup plus resserrée et intime que la précédente, et dans le même temps des visions encore plus grandioses. Un plan du premier acte résume cette ampleur nouvelle : on y voit la gigantesque navette Valkyrie, autour de laquelle s’articulait le climax du premier opus, fendre le désert creusé par les envahisseurs humains.

    Filmé au loin, l’aéronef arrive aux portes d’une titanesque mégalopole imprimée en 3D (belle métaphore, qui mériterait une analyse entière), ce qui le fait ressembler à un vulgaire insecte. Cette remise à plat de l’échelle de grandeur est également soulignée par une scène d’invasion tétanisante, écrasant elle aussi les repères originaux.

    Point de basculement du premier film, la mort du grand arbre des Na’vi faisait l’objet d’une lente et douloureuse scène de mise à mort en 2009 ; une forêt entière et trois arbres comparables au « Home Tree » sont ici pulvérisés en quelques secondes, avant le débarquement de centaines d’AMP Suits et de Bulldozers cadrés dans une lumière brûlante. S’ils obéissent évidemment à un besoin de surenchère, ces tableaux techno-futuristes dignes de l’animation japonaise soulignent surtout la vexation et l’arrogance de l’espèce humaine suite à la défaite de la RDA.

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    – L’avatar de Quaritch (Stephen Lang) revisite le lieu de sa propre mort.

    RÉINVESTIR LE MONOMYTHE

    La vexation et l’amour propre sont ici des questions centrales. Elles conditionnent autant la trajectoire de Quaritch que celle de Jake et Neytiri, héros de légende obligés de ravaler leur orgueil face à des obstacles devenus insurmontables. Ici s’impose l’un des plus grands aboutissements de La Voie de l’eau : le script conjugue plusieurs relectures très originales du monomythe de Joseph Campbell et les entrelace organiquement, là où le cheminement dramatique d’Avatar restait globalement centré sur l’ascension programmée de Toruk Makto.

    En 2009, Cameron s’était volontairement plié aux fondamentaux d’une forme narrative plusieurs fois millénaire. Treize ans plus tard, il semble questionner sa propre capacité à décomposer et renouveler la formule tout en la célébrant, si l’on en juge par une architecture dramatique obéissant au principe des poupées russes.

    Répondant à une réplique clé du premier film (« Une vie s’achève, une autre commence »), le prologue réinstalle le « monde ordinaire » de Campbell de façon audacieuse, Cameron crédibilisant ses personnages extraterrestres par une accumulation de moments volés et d’échanges on ne peut plus quotidiens. Faisant un sacré pas en avant dans sa quête de suspension d’incrédulité, le réalisateur fait de ses Na’vi bleus de peau les points de repère du public et utilise un procédé hérité de John McTiernan pour traduire implicitement leurs dialogues (1).

    Lorsque « l’appel à l’aventure » (seconde étape du monomythe) intervient quelques minutes plus tard, les spectateurs sont appelés à partager leur déracinement et leur exil. La bravoure exhibée durant la bataille finale d’Avatar est clairement de l’histoire ancienne.

    À l’instar des Tulkans introduits en milieu de projection, une espèce de cétacés douée d’une philosophie raffinée et d’une intelligence supérieure, Jake tente par tous les moyens de limiter des pertes qu’il juge inévitables ; en lieu et place du discours belliciste qu’il prononçait jadis aux côtés de Tsu’tey, il essaie cette fois-ci de calmer les ardeurs du peuple Metkayina suite aux attaques ignobles de la flotte terrienne.

    Ce « refus de l’appel », qui constitue l’étape 3 définie par Joseph Campbell, s’étirera finalement sur deux actes entiers – de quoi ravir les fans du traitement de Luke Skywalker dans le formidable Les Derniers Jedi. Le fils adolescent de Jake, Lo’ak, hérite au contraire d’un arc très proactif : c’est en effet lui qui rencontre un mentor (étape 4 du monomythe).

    Ce guide, un Tulkan dont on comprend l’importance grâce à l’emploi de vues subjectives déstabilisantes, se trouve être lui-même à l’étape 6 de son voyage initiatique (« épreuves, rencontres des alliés et ennemis »). La jeune Kiri (fille adoptive de Jake et Neytiri née de l’Avatar de Grace) sera la première à passer le « seuil de l’aventure », son appétit d’exploration étant assez tôt souligné par une séquence la voyant contempler l’infini dans un trou de ver.

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    – Un échange par-delà la mort entre Quaritch et son avatar.

    UN RÉSEAU SENSORIEL

    Le long et éprouvant climax reflète les choix de structure inhabituels de Cameron. Alors que la bataille finale d’Avatar, introduite par une impressionnante phase de préparation des troupes, était motivée et organisée méticuleusement, la dernière heure de La Voie de l’eau naît d’une succession de péripéties accidentelles empêchant définitivement Jake et son clan de fuir le combat.

    La double structure respecte certes le modèle cameronien (enveloppé par un prologue et un épilogue très denses, le récit est divisé en trois phases distinctes, et le grand final est un film « miniature » en trois temps), mais la progression du spectacle allie plus que jamais une intimité extrême à des tableaux d’un gigantisme sidérant.

    Déclinant sur l’eau le style d’affrontement vu dans le premier volet, avec un degré de violence étonnamment rehaussé, ce morceau de bravoure renvoie tout autant à Abyss et Titanic, jusque dans une scène de naufrage donnant lieu à des expérimentations inédites sur l’immersion et le point de vue. Retournant le drame sur lui-même en même temps qu’un gigantesque navire, l’auteur divise sa galerie de personnages en plusieurs groupes malléables, qui s’entrechoquent au gré de montages parallèles complexes.

    Cameron exploite chaque possibilité d’interaction au risque de faire basculer ses personnages de l’autre côté de la barrière morale (cf. la relation tendue entre Neytiri et Spider), et son approche arachnéenne de la caractérisation rejoint l’un des plus importants concepts posés par le film original. Comme expliqué par Grace, la nature de Pandora est un réseau, au sein duquel les informations, les émotions et les pensées se téléchargent, s’échangent, se stockent et s’éprouvent (toute similitude avec Strange Days, lui aussi écrit par Cameron, est tout sauf accidentelle).

    De même qu’Avatar intégrait dans son récit un module d’interface neuronale pour discourir sur l’évolution de la perception cinématographique (les lunettes 3D envahissaient alors les salles obscures), La Voie de l’eau médite sur les songes et la mémoire, notamment lorsque Kiri, Neytiri, Jake et Lo’ak se connectent à Eywa ou au système limbique de diverses créatures.

    Cette thématique se marie parfaitement aux enjeux technologiques et sensoriels du long-métrage qui, en écrivant une nouvelle grammaire liée au HFR 3D, donne l’impression d’avoir vécu un rêve lucide et laisse derrière lui des souvenirs anormalement palpables.

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    Jake Sully en pourparlers avec les chefs du clan Metkayina, Tonowari (Cliff Curtis) et Ronal (Kate Winslet).

    L’ÉCLIPSE DES MYTHES

    La notion de souvenir amène enfin Cameron à revisiter des pans entiers de sa propre filmographie, d’une scène d’interrogatoire issue de True Lies à des noyades venues d’Abyss. Tout comme T2 reproduisait des pans entiers de Terminator, ce miroir créatif se tend tout particulièrement vers des scènes clés du premier Avatar, le plus souvent pour développer le « recombinant génétique » de Quaritch.

    Se prêtant à un exercice de mise en scène digne de Retour vers le futur 2, Cameron commence par confronter ce clone aux derniers moments du film original, avec un souci du détail contribuant à asseoir la réalité de son environnement (l’emplacement de l’AMP Suit, la disposition des flèches, la vitre brisée de la cabane, le module de liaison enfoncé par le robot ; tout est absolument parfait, y compris les mouvements de Jake et Neytiri rejoués ici en vue subjective).

    Quand, par la suite, le « recomb » est soumis aux épreuves que Jake avait dû surmonter lors de son apprentissage des coutumes Omaticaya, le réalisateur puise dans les cadrages de 2009 pour mieux différencier les actions et les choix des deux personnages. Il ressort toutefois de ces moments un rapprochement subtil et insidieux entre ces deux antagonistes, Quaritch se retrouvant lui-même embarqué dans son propre monomythe. Chacun, dans La Voie de l’eau, se révèle à travers l’autre, y compris Neytiri et Ronal, deux femmes de pouvoir décrites à tour de rôle en train de brandir un arc au pic de leur grossesse (2).

    Toutes ces figures se superposent alternativement, projetant leur ombre sur le récit avec la force de cette éclipse qui se reproduit de façon métronomique dans le ciel de Pandora. Usant du principe des cycles, à la fois de façon intradiégétique (voir le retour des Tulkan chez le peuple Metkayina, après être venus au terme du « cycle » de leur voyage) et au sens littéraire, James Cameron a déjà gagné son pari : Avatar et La Voie de l’eau forment à eux seuls un sommet de science-fiction comparable au Dune de Frank Herbert et à 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.

    (1) Alors que ses enfants se disputent en na’vi, Jake explique en voix off que ses problèmes avec le langage sont de l’histoire ancienne. Au moment où il prononce les mots « Désormais, j’ai l’impression d’entendre de l’anglais », le dialogue est soudain traduit en langue anglaise.

    (2) Symbolisée par la déesse Eywa, la maternité est l’un des thèmes les plus passionnants de La Voie de l’eau et revêt des aspects inattendus, comme en témoignent les Tulkan et les personnages de Kiri et Grace…

    Par Alexandre Poncet.

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    Si vous aimez Beddiar, Du Welz & Pasolini, cette annonce est pour vous:

    https://smartlink.ausha.co/obsession-le-podcast-de-carlotta-films

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    Ben moi, c’est pas plus de 2 épisodes par jour, pour garder le suspense :colgate:

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    En restant dans les Coréens, on pourrait citer le twist de J’ai rencontré le diable en première partie de film qui est excellent. Ou quand la revanche prends un air jamais vu ailleurs

    Celui de The Strangers aie aie aie

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    Étant un ultime fan de cette légende de la japanimation (je me souviens encore faire mes copies de cassettes vidéos avec 2 magnétoscopes 😆 ), je ne pouvais que vous faire partager ce dossier, qui même datant de 2019, est extrêmement bien écrit et juste.

    Enjoy !

    Netflix à mis en en ligne en 2019, la version remasterisée de Neon Genesis Evangelion, la série animée dépressive et légendaire de Hideaki Anno vers laquelle son auteur n’a de cesse de revenir.

    Les fans de Game of Thrones n’ont rien inventé. En mars 1996, la conclusion précipitée d’un jalon crucial de la pop culture déclenche déjà les foudres de son auditoire. Le dernier épisode de la série animée Neon Genesis Evangelion, avec son design épuré, ses plans manifestement finis à la hâte et son propos à la fois évanescent et très littéral, laisse plus d’un spectateur sur le carreau.

    Les promesses gigantesques de la série semblent s’évacuer dans un déconcertant exercice de catharsis, dans un entre-deux entre le coaching motivationnel et la psychanalyse. Son auteur, Hideaki Anno, reçoit à la suite de la diffusion un nombre invraisemblable d’insultes et de menaces de mort manuscrites, ère pré-digitale oblige.

    De fait, le créateur et son équipe se sont pliés à une cadence intenable pour boucler l’intrigue dans les délais impartis par son calendrier de diffusion télévisuelle, ce qui explique en partie l’allure minimaliste de cet épilogue. Pour calmer la déception criarde des fans et capitaliser un peu plus sur la franchise, le studio Gainax met en chantier une nouvelle fin sous forme de deux films sortis l’année suivante.

    Hideaki Anno s’acquitte de la tâche dans ce qui reste le plus impressionnant doigt d’honneur créatif de la fin de siècle. Dans un premier temps, Neon Genesis Evangelion : Death & Rebirth condense en un peu plus d’une heure l’intrigue des 24 épisodes de 20 minutes de la série dans un montage cut, collage épileptique truffé de panneaux et de répétitions sursignifiantes, capable dans le même temps de s’offrir des pauses contemplatives jusqu’au malaise (le moment précédant la mort de Kaworu s’y éternise le temps de décupler son impact).

    Death & Rebirth utilise des scènes inédites comme pour tordre le souvenir du show, triture le matériau de base pour donner un nouveau sens souvent destructeur aux images originales – le plus fameux et redoutable exemple étant sans aucun doute la séquence où Gendo Ikari reprend les commandes de l’EVA 01 des mains de son fils pour le forcer à anéantir son camarade : le montage plus ramassé, au gré duquel Shinji supplie son père d’arrêter dans une série de soubresauts, transforme presque la scène en viol incestueux.

    Et parce qu’a priori, le ton est encore un peu trop à la déconne, Hideaki Anno entame Neon Genesis Evangelion : The End of Evangelion, sa nouvelle conclusion alternative, avec une scène atroce où Shinji, toujours plus extrême dans la haine de soi, se masturbe sur le corps inanimé d’Asuka à l’hôpital. Ce prologue dérangeant et dérangé trouvera un écho dans la toute dernière réplique prononcée par le même Shinji après une apocalypse de visions traumatiques :

    « Ça me dégoûte » ou « Je me dégoûte » selon les traductions. Bonne ambiance. Un seul message demeure limpide à l’éclairage de cette deuxième conclusion : parfois, les fans devraient se méfier de ce qu’ils désirent, surtout avec un artiste aussi entier que Hideaki Anno et une œuvre aussi complexe et insaisissable que Neon Genesis Evangelion.

    LA DÉPRÉSSION COMME UN MECHA

    En 1991, Hideako Anno termine la production de la série animée Nadia, le secret de l’eau bleue. Ce fabuleux hommage à Jules Verne, initialement développé par Hayao Miyazaki, est le genre d’accomplissement artistique dont rêvent tous les réalisateurs.

    La période post-partum vire à la sinistrose, la sinistrose laisse place à un colossal épisode dépressif, accompagné de plusieurs tentatives de suicide. Les troubles dont souffrait Hideaki Anno depuis plusieurs années s’abattent sur lui en nuées, et le réalisateur ne sort de son état qu’au terme de quatre ans de soins et de lutte acharnée pour reprendre le dessus.

    Neon Genesis Evangelion est le produit direct de sa maladie, laquelle reviendra pointer le bout de son nez souffreteux aux deux tiers de la production. Dans ses seize premiers épisodes, Evangelion a des airs de série mecha quasi lambda, à l’animation particulièrement léchée. La maladresse sociale du personnage principal le rend vaguement attachant, les personnages secondaires intriguent autant qu’ils amusent – Shinji partage sa colocation avec une semi-alcoolique et un pingouin domestiqué, sources de gags de promiscuité et autres quiproquos rigolos.

    Quelques indices épars sèment le trouble sans trop révéler pourquoi, comme si la série avançait masquée. De la nature incertaine de la menace (des kaijus protéiformes affublés du sobriquet d’« anges », liés à une cosmogonie à haute teneur mystico-symbolique) à l’appréhension pour le moins trouble du refoulement hormonal de son héros adolescent, quelque chose ne va pas dans cette mécanique narrative pourtant largement familière des consommateurs d’anime.

    Les EVA, ces étranges robots géants, ne sont pas tant des habitacles que les prolongements monstrueux de leur pilote, et les AT-Field, les champs de protection des golgoths, des projections de leurs peurs et insécurités. Parfois, la seule façon de se débarrasser d’un ange est de s’abandonner à la démence et de déclencher ce faisant le mode « berserk » des EVA, au gré duquel les géants de fer deviennent des créatures plus organiques, avides de dévorer leur proie dans une orgie sanguinolente.

    Rey, Asuka et Shinji vivent dans le monde clos de l’enclave de l’agence paramilitaire NERV, au cœur d’une cité tokyoïte réaménagée en champ de bataille fonctionnel et dénuée de toute âme qui vive – plus tard, dans les longs-métrages du cycle Rebuild of Evangelion, Hideaki Anno y matérialisera la population de la mégalopole japonaise, signe d’une (petite) ouverture au monde.

    Neon Genesis Evangelion décrit les interactions gênées entre ses différents protagonistes, les isole de plus en plus, compense chaque moment de complicité entre ses héros par un drame ou une vision cauchemardesque. Peu à peu, le poids de leur mission les écrase sans laisser place à la plus petite respiration. Le show abandonne ses oripeaux de production mecha classique pour virer au requiem de passions tristes, où l’ennemi revient à chaque fois sous une forme différente pour mieux tromper les moyens de le combattre, où les relations sont foutues d’avance et tout doit crever pour espérer renaître.

    SOUDAIN LE VIDE

    À l’entame du dernier tiers, quand chacun a pris ses aises dans cet univers sériel, quelque chose se brise lorsque Shinji tient enfin tête à son géniteur, sérieux candidat au titre de pire père de fiction, et lui annonce son (faux) départ. Cette contestation de l’autorité remet toute la logique dramaturgique de la série en cause, et surtout, elle nous confronte brutalement à son absurdité. Ce faisant, Neon Genesis Evangelion colle au plus près de son pitch : la survie du monde dépend d’adolescents de 14 ans, les seuls a priori capables de piloter ces engins de mort à l’origine aussi nébuleuse que les anges qu’ils combattent. Des êtres par nature fragiles, en proie au doute, aux responsabilités beaucoup trop grandes pour leurs frêles épaules. Ainsi de Rey, et de sa pleine conscience d’être interchangeable et sacrifiable à merci, d’Asuka, la forte tête à la déchéance cruelle, et bien évidemment de Shinji, cet enfoiré de geignard contraint de sauver le monde et de « ne pas reculer », pour citer son mantra répété dans les pires situations.

    Venez pour les joutes de créatures géantes, restez pour la torture bien retorse de personnages dépouillés de leur libre arbitre. Pour qui s’investit émotionnellement dans le parcours de ses personnages, Neon Genesis Evangelion est un vampire psychique capable de détruire toute stabilité mentale sur son passage.

    Pour qui reste en surface, hermétique à cet univers volontiers abstrus, le choc sera purement graphique. Certaines images de la série se gravent dans le cortex pour n’en plus sortir, à la fois pour leur extrême violence diégétique et pour leur beauté obscène. Ainsi de la mort du bienveillant Kaworu Nagisa, de la destruction des clones de Rei, mais aussi de ces plans de Shinji dans le métro, tête baissée, casque sur les oreilles.

    Restez vigilants : le spleen de la série cueille à la moindre baisse de garde. Non par une quelconque complaisance dans des abîmes ténébreux, entre le théâtre de la cruauté et la mélancolie adolescente, mais par sa faculté à viser émotionnellement juste sur des détails inattendus, des valeurs de plan et des changements de perspective à même de capter l’intime et l’aliénation dans un même mouvement.

    C’est sans doute ce qui a désarçonné dans le dernier épisode diffusé originellement, au-delà de ses partis-pris graphiques en rupture profonde avec l’identité visuelle du show. Après moult tergiversations qui ont participé à la confection précipitée de cette ultime livraison, Hideaki Anno s’était décidé à délivrer une métaphore sur les voies qui l’avaient sorti de son état dépressif. Le public lui a opposé une fin de non-recevoir. Il lui a donc répondu avec le stupéfiant The End of Evangelion (lui aussi disponible sur Netflix).

    L’HISTOIRE SANS FIN

    Selon la production, le film transpose avec un surcroît d’ambition la première version des épisodes 24 et 25 que l’équipe n’avait pu fournir pour les diffusions finales, faute de temps et de budget. En l’état, le long-métrage a tout de même de gros airs de réaction épidermique au rejet du public.

    Anno va jusqu’à inclure subrepticement des messages de protestation et de menaces dans un montage mêlant plusieurs prises de vues réelles d’environnements urbains anxiogènes. The End of Evangelion est le double maléfique du 25e épisode de la série : infiniment plus abouti au niveau visuel, il marque l’aboutissement du détournement profane de l’iconographie religieuse de la saga pour la porter vers des sommets graphiques à peine croyables. Et dans le même temps, il souille le peu d’innocence dont le show pouvait se prévaloir.

    Les personnages sont résignés à l’issue funeste de l’Humanité. Shinji prend in fine la décision inverse à celle du 25e épisode, qui s’achevait sur une séquence lumineuse, et se retrouve prisonnier d’un sort alternatif désespéré. Les anges s’empalent le cœur jusqu’à se faire exploser, le corps d’une Rei géante se disloque, la planète Terre se vaporise dans le cosmos. Shinji se réveille sur une plage, sous les cadavres des anges flottant dans un ciel couleur sang. À ses côtés, le corps inerte d’Asuka, qu’il commence à étrangler. Lorsqu’elle lui caresse le visage, il s’interrompt et éclate en sanglots. Vous vouliez une autre fin ? La voici. Démerdez-vous avec et faites de beaux rêves.

    Et oui, pardon, c’est un spoiler, quand bien même cette courte description ne vous prépare en rien au choc suscité par cette dérive métaphysique et sensorielle. The End of Evangelion s’empare des attentes des spectateurs qui ont engendré sa création pour entrer en mode berserk et dévaster le paysage beaucoup trop tranquille de l’animation mondiale dans un hurlement désespéré.

    Que reste-t-il de ce geste inédit aujourd’hui ? Une poignée de leçons que le landernau pop culturel s’empêche de retenir de toutes ses forces, avec la même obstination qui l’a poussé à rejeter la fin initiale de la série. Un auteur a tout à perdre à se plier aux vœux de la majorité. Un objet plus esthétiquement léché ne s’avérera pas plus satisfaisant pour autant. Il faut apprendre à vivre avec la déception de ne pas voir toutes ses attentes honorées. Et si vous rejetez la conclusion d’une œuvre, c’est peut-être qu’elle n’était pas faite exclusivement pour vous.

    YOU CAN (NOT) REBUILD

    Une décennie s’écoule. Hideaki Anno revoit l’intégralité de la série en 2006 et décide de revisiter son monde dans une tétralogie de films baptisée Rebuild of Evangelion. Le premier épisode, Evangelion : 1.0 You Are (Not) Alone (2007), coréalisé comme le suivant par Kazuya Tsurumaki et Masayuki, remake les six premiers épisodes de la série sans grande sortie de route, place quelques pions stratégiques pour les bifurcations à venir.

    La mise en scène, brillante et froide, s’accorde à la splendeur des images, venge Anno des frustrations limitatives rencontrées durant la production de la série. Les caractérisations de personnages apparaissent plus sèches, et ces derniers moins aimables – l’auteur ne dévoile pas encore son jeu.

    Evangelion : 2.0 You Can (Not) Advance (2009) et Evangelion : 3.0 You Can (Not) Redo (2012) s’affranchissent de la tutelle du show et partent dans leurs propres directions narratives, greffent de nouveaux personnages, en réinventent d’autres.

    Le troisième film démarre quatorze années après le Troisième Impact, le cataclysme retardé par la série jusqu’aux derniers épisodes. Il fige néanmoins ses héros dans leur apparence et leur âge adolescents, une astuce dialectique visant à la fois à rassurer les fans et à leur renvoyer une image d’éternelle stagnation. Assez proche dans son lyrisme singulier de The End of Evangelion, ce troisième volet du récit alternatif reflète la maturation de Hideaki Anno par rapport à sa maladie, une forme d’acceptation diffuse qui pourrait être remise en question dans l’ultime film, mis en hiatus le temps de la production de Shin Godzilla (2016) coréalisé par Anno et son comparse Shinji Higuchi.

    En attendant cette troisième conclusion, la vision de Neon Genesis Evangelion avec l’œil de l’année 2019 s’impose, comme elle devrait s’imposer tous les cinq ans ou à chaque nouvelle étape décisive de sa vie pour la redécouvrir à chaque fois sous un jour différent.

    La série et ses prolongements alternatifs offrent un spectre de lectures aussi large que celui de vos changements d’humeur. Ses multiples refontes et relectures permettent à chacun d’y trouver son compte en préférant telle version ou interprétation.

    Evangelion ne demande qu’à être redécouvert et réapproprié. N’y allez pas en vous attendant à un divertissement de première légèreté, bien calé dans votre zone de confort netflixienne. Plus chafouin que Black Mirror, plus perché que The OA, plus singulier que l’intégralité des catalogues animés des services de VOD, Neon Genesis Evangelion boxe seul dans sa catégorie.

    Son influence se ressent encore aujourd’hui, dans l’émotion graphique à fleur de peau d’un jeu vidéo comme Gris, dans la profonde tristesse des fans de la première heure quand de nouvelles générations bouffent leur madeleine de Proust sans vergogne et rejouent des matchs dont tout le monde est déjà sorti à la fois perdant et gagnant. C’est l’une des autres grandes leçons de la série, peu appliquée par les communautés de fans : une madeleine, c’est fait pour être partagé et boulotté à plusieurs.

    SOURCE: Mad Movies

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    No problemo @Psyckofox, je suis friand de tout ses trucs.

    J’ai d’ailleurs acheté l’édition de Memories of Murder il y a peu avec tout le story board inclus, c’est juste un truc de fou…

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    Perso je m’étais fait direct au format contrairement à un de mes potes qui avait mal au crâne lol (les hobbit et Gemini man au cinoche, c’était niet pour lui :smile: )

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    Pier Paolo Pasolini aurait eu 100 ans le 5 mars 2022. Demeure l’œuvre protéiforme de l’enfant terrible des lettres et du cinéma italiens, dont le meurtre jamais élucidé en 1975 continue de nourrir la légende.

    Vous aurez beau lire tous les livres, toutes les analyses, toutes les gloses sur le cinéma de Pier Paolo Pasolini, on oublie souvent de dire à quel point ce cinéma là est bandant. Parce que dans l’interdit, dans la transgression, dans la pagaille, dans le vertige, dans le mystérieux, dans l’incongru, et aussi parce qu’il fait ce qu’il veut.

    C’est du cinéma offensif et libre, comme le veut la formule et, surtout, c’est du cinéma comme on n’en fera jamais plus. Ces films là appartiennent à leur époque, à cette décade prodigieuse des années 70, ils marquent parce qu’ils prennent pas de gants. Du cinéma adulte qui ne correspond qu’aux désirs de son auteur et qui se fout de savoir si ça vous envoûte ou déplait, séduit ou répugne.

    Et l’on souscrit volontiers à la phrase prononcée par Gaspar Noé lors de l’édition DVD du sulfureux Salo ou les 120 journées de Sodome:

    Si Pier Paolo Pasolini n’était pas mort, on l’aurait tué pour avoir fait ça.

    Faites le test en 2022 et les fonctionnaires de la pensée unique lui tomberont dessus. Mais le corps profus laissé par ce poète, écrivain, cinéaste, dramaturge, critique, acteur, journaliste, qui a marqué par la recherche formelle et l’engagement politique, sera plus fort qu’eux.

    C’est avant tout un poète que nous perdons, et les poètes ne sont pas si nombreux dans le monde

    Tels sont les mots de son ami Alberto Moravia, auteur du Mépris, lors des funérailles officielles le 5 novembre 1975, trois jours après sa mort. En une vingtaine d’années d’activité artistique, Pier Paolo Pasolini aurait eu 100 ans le 5 mars 2022. Demeure l’œuvre protéiforme de l’enfant terrible des lettres et du cinéma italiens, dont le meurtre jamais élucidé en 1975 continue de nourrir la légende.

    En une vingtaine d’années d’activité artistique, Pasolini, souvent comparé à Jean Cocteau ou Jean Genet, aura provoqué de violentes controverses face à la critique bourgeoise, la censure chrétienne et la menace néo-fasciste. Ses vers, sa prose, son théâtre, ses films et ses diverses chroniques constituent une poétique sombre dans laquelle ce proche de Godard et Fellini interroge la modernité d’une Italie à la fois millénaire et adolescente.

    Après avoir vu SALO, j’étais choqué. Pendant deux semaines, j’étais malade. Ça m’a bouleversé.
    Michael haneke

    Encore rural et laborieux, le pays découvre l’électroménager, la télévision, la voiture individuelle, mais aussi le chômage, les bidonvilles, le sous-prolétariat.

    Lincoln a aboli l’esclavage, l’Italie l’a rétabli.

    fait dire Pasolini au protagoniste de l’Accattone (le mendiant), son premier film réalisé en 1961 qui traite du «miracolo economico» du point de vue des laissés-pour-compte.

    Pasolini jouit déjà d’une certaine notoriété dans son pays pour ses recueils poétiques (Le rossignol de l’Église catholique, La meilleure jeunesse et surtout Les cendres de Gramsci) quand le cinéma le fait connaître à l’étranger. Passant du réalisme (Accattone, Mamma Roma) à l’adaptation symboliste (Boccace, Sophocle, Sade), il réalisera au total 23 films jusqu’au dernier, Salò ou les 120 jours de Sodome en 1975, qui sortira après sa mort.

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    Sur ce film, un maître en rencontre un autre. Après avoir célébré la jeunesse et l’amour de vivre avec sa Trilogie de la vie (Le Décaméron, Les Contes de Canterbury et Les Mille et Une Nuits), Pasolini fait tout l’inverse dans Salo, ou les 120 journées de Sodome. Non seulement le poète restitue amplement la décadence sadienne jusque dans ses pires recoins, mais son incroyable délocalisation temporelle dans la république de Salo lui sert pour dénoncer la puissance fasciste, où le malheur des uns fait le plaisir des autres.

    Plus que les concours de cul, les polenta qui picotent et les dégustations d’excréments sur porcelaine, le malaise n’est jamais aussi prégnant que lorsqu’il exulte à l’oral dans les scènes d’élocutions des bourreaux, où Sade, du bout de la langue, semble revivre dans une valse immonde. Dans une interview réalisée par nos soins, Michael Haneke n’a jamais oublié sa découverte:

    Je me souviens bien du jour où je l’ai vu. C’était à Munich. Le film était annoncé comme quoi il allait être censuré. Il était diffusé dans sa version originale et c’était un scandale dans la presse. Le soir, tout le monde est entré dans une grande salle de 800 places.
    C’était presque plein au début. Une demi-heure plus tard, la moitié de la salle était partie. Après une heure trente, il y avait trente personnes. A la fin du film, je pense qu’on était cinq ou six.
    Après avoir vu le film, j’étais choqué. Pendant deux semaines, j’étais malade. Ça m’a bouleversé. Et c’est à partir de là que j’ai compris ce qu’était vraiment la violence, la souffrance physique et mentale.
    Naturellement, cela m’a donné envie d’arriver à provoquer cette même décharge. J’ai le DVD de Salo chez moi, je n’ai pas osé le revoir.

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    Pasolini a aussi signé L’évangile selon saint Matthieu (1964), grand prix du jury à la Mostra de Venise, Théorème (1968), Médée (1969) avec Maria Callas, Le Décaméron (1971), primé à Berlin. Ses romans (Les ragazzi, Une vie violente) racontent sa fascination, son attirance pour les jeunes hommes, petites frappes des faubourgs romains au parler si particulier qui lui rappelle la langue du Frioul maternel et ses débuts de poète dialectal. Dans le parabolique Théorème (1968), il pervertit une famille bourgeoise.

    Son cycle romanesque s’achève avec l’inachevé Pétrole dont les révélations contenues dans un chapitre prétendument disparu auraient pu lui valoir sa mort, selon une théorie parmi cent autres. Dans son ultime interview télévisée, accordée le 31 octobre 1975 à Paris, Pasolini résume ainsi une partie de son credo:

    Scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir.

    Pasolini est assassiné dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975 sur une plage d’Ostie, près de Rome. Il a été roué de coups, puis une Alfa Romeo GT, la sienne ou une autre, est passée sur son corps. Le même jour, Giuseppe “Pino” Pelosi, un prostitué de 17 ans, est arrêté au volant de la voiture de la victime. Il se dit seul coupable, affirmant s’être défendu d’une tentative de viol de la part du réalisateur. Pino Pelosi est condamné l’année suivante à neuf ans et sept mois de prison.

    Pasolini est la victime de ses personnages, une tragédie parfaite, prévue dans ses divers aspects
    Michelangelo Antonioni

    Une dispute qui tourne mal? Un chantage? La main de la pègre ou de l’extrême droite? Près d’un demi-siècle après le meurtre de Pier Paolo Pasolini, cinéaste et écrivain provocateur qui ne manquait pas d’ennemis, le mystère demeure.

    Saura-t-on jamais ce qu’il s’est passé? Probablement pas. Dès le départ, l’enquête a été bâclée, la scène du crime piétinée, les témoins ont perdu la mémoire ou sont passés de vie à trépas. Pour la journaliste et criminologue Simona Zecchi, qui a publié deux livres d’enquête sur cette affaire, les autorités italiennes n’ont jamais eu vraiment la volonté de faire la lumière.
    “L’Italie a un problème avec la vérité, parce que cette vérité a souvent traversé la partie obscure de nos institutions”, estime-t-elle.

    Mis à mort par un jeune homosexuel, le corps de Pasolini retrouvé dans un quartier misérable de la capitale, Pasolini est la victime de ses personnages, une tragédie parfaite, prévue dans ses divers aspects, dira le cinéaste Michelangelo Antonioni.
    Pino Pelosi reviendra en 2005 sur ses aveux, incriminant, sans les identifier, trois inconnus à l’accent sicilien. Il affirmera avoir tu la vérité pour protéger sa famille.

    En 2010, une enquête est rouverte: cinq ADN prélevés sur les vêtements de Pasolini sont exploitables. Mais en 2015, le juge prononce un non-lieu. Sur les cinq profils ADN, un seul a pu être attribué, celui de… Pino Pelosi.
    La présence sur place d’autres voyous la nuit du drame ne fait pourtant aujourd’hui aucun doute. Le nom des frères Borsellino, entre autres, apparaissait déjà en 1975 mais ils n’avaient pas été jugés et sont morts depuis.

    Pour la justice, le dossier est classé. Pour d’autres, amis ou journalistes, l’affaire Pasolini est un «Cold Case». Pino Pelosi n’aurait été que l’instrument d’un complot. Mais un complot ourdi par qui? Pourquoi?

    La grande difficulté, c’est que personne n’était au courant de tout sur toute la chaîne, des exécutants aux commanditaires, il y a eu probablement plusieurs strates,

    explique l’écrivain français René de Ceccatty, son biographe.

    À partir du moment où on accepte que c’était un crime politique, on ne s’étonne pas qu’il y ait autant de brouillard».

    En 1975, l’Italie est plongée dans une vague de violence sans précédent depuis la guerre. Ce sont les années de plomb. Les groupes armés d’extrême gauche pratiquent l’assassinat, des groupuscules néo-fascistes commettent des attentats sanglants. Pasolini est proche du Parti communiste italien, le PCI, qui fera 35% aux législatives de 1976.

    Peu avant sa mort, le réalisateur avait reçu des menaces pour son ultime film Salò ou les 120 journées de Sodome, qui dénonçait de façon féroce la «République sociale italienne» (1943-1945), dernier avatar du fascisme en Italie. Autre hypothèse: dans un chapitre disparu de son livre posthume et inachevé Pétrole, Pasolini devait accuser le patron du groupe énergétique ENI, Eugenio Cefis, d’avoir assassiné son prédécesseur, Enrico Mattei, mort dans un accident d’avion causé par un explosif.

    Là encore, il n’existe aucune preuve formelle. Pour Simona Zecchi, le poète a bien été tué pour ses activités de journaliste. La piste la plus sérieuse, selon elle, est celle de la piazza Fontana, l’attentat néo-fasciste commis à Milan le 12 décembre 1969 et qui avait fait 17 morts et plus de 80 blessés. Le 14 novembre 1974, Pasolini faisait paraître une tribune atomique dans le quotidien Il Corriere della Sera:

    Je connais les noms des responsables< (…) mais je n’ai pas de preuves.

    Reste l’hypothèse d’un chantage. Au mois d’août 1975, des bobines de Salò sont volées à Rome. Pelosi aurait été l’intermédiaire. Les enquêteurs n’y croient pas. Le film était quasiment monté.

    «Le vol n’avait pas représenté un préjudice significatif», conclut l’arrêt de non-lieu de 2015.

    SOURCE: Chaos