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    Si vous aimez Beddiar, Du Welz & Pasolini, cette annonce est pour vous:

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    Pier Paolo Pasolini aurait eu 100 ans le 5 mars 2022. Demeure l’œuvre protéiforme de l’enfant terrible des lettres et du cinéma italiens, dont le meurtre jamais élucidé en 1975 continue de nourrir la légende.

    Vous aurez beau lire tous les livres, toutes les analyses, toutes les gloses sur le cinéma de Pier Paolo Pasolini, on oublie souvent de dire à quel point ce cinéma là est bandant. Parce que dans l’interdit, dans la transgression, dans la pagaille, dans le vertige, dans le mystérieux, dans l’incongru, et aussi parce qu’il fait ce qu’il veut.

    C’est du cinéma offensif et libre, comme le veut la formule et, surtout, c’est du cinéma comme on n’en fera jamais plus. Ces films là appartiennent à leur époque, à cette décade prodigieuse des années 70, ils marquent parce qu’ils prennent pas de gants. Du cinéma adulte qui ne correspond qu’aux désirs de son auteur et qui se fout de savoir si ça vous envoûte ou déplait, séduit ou répugne.

    Et l’on souscrit volontiers à la phrase prononcée par Gaspar Noé lors de l’édition DVD du sulfureux Salo ou les 120 journées de Sodome:

    Si Pier Paolo Pasolini n’était pas mort, on l’aurait tué pour avoir fait ça.

    Faites le test en 2022 et les fonctionnaires de la pensée unique lui tomberont dessus. Mais le corps profus laissé par ce poète, écrivain, cinéaste, dramaturge, critique, acteur, journaliste, qui a marqué par la recherche formelle et l’engagement politique, sera plus fort qu’eux.

    C’est avant tout un poète que nous perdons, et les poètes ne sont pas si nombreux dans le monde

    Tels sont les mots de son ami Alberto Moravia, auteur du Mépris, lors des funérailles officielles le 5 novembre 1975, trois jours après sa mort. En une vingtaine d’années d’activité artistique, Pier Paolo Pasolini aurait eu 100 ans le 5 mars 2022. Demeure l’œuvre protéiforme de l’enfant terrible des lettres et du cinéma italiens, dont le meurtre jamais élucidé en 1975 continue de nourrir la légende.

    En une vingtaine d’années d’activité artistique, Pasolini, souvent comparé à Jean Cocteau ou Jean Genet, aura provoqué de violentes controverses face à la critique bourgeoise, la censure chrétienne et la menace néo-fasciste. Ses vers, sa prose, son théâtre, ses films et ses diverses chroniques constituent une poétique sombre dans laquelle ce proche de Godard et Fellini interroge la modernité d’une Italie à la fois millénaire et adolescente.

    Après avoir vu SALO, j’étais choqué. Pendant deux semaines, j’étais malade. Ça m’a bouleversé.
    Michael haneke

    Encore rural et laborieux, le pays découvre l’électroménager, la télévision, la voiture individuelle, mais aussi le chômage, les bidonvilles, le sous-prolétariat.

    Lincoln a aboli l’esclavage, l’Italie l’a rétabli.

    fait dire Pasolini au protagoniste de l’Accattone (le mendiant), son premier film réalisé en 1961 qui traite du «miracolo economico» du point de vue des laissés-pour-compte.

    Pasolini jouit déjà d’une certaine notoriété dans son pays pour ses recueils poétiques (Le rossignol de l’Église catholique, La meilleure jeunesse et surtout Les cendres de Gramsci) quand le cinéma le fait connaître à l’étranger. Passant du réalisme (Accattone, Mamma Roma) à l’adaptation symboliste (Boccace, Sophocle, Sade), il réalisera au total 23 films jusqu’au dernier, Salò ou les 120 jours de Sodome en 1975, qui sortira après sa mort.

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    Sur ce film, un maître en rencontre un autre. Après avoir célébré la jeunesse et l’amour de vivre avec sa Trilogie de la vie (Le Décaméron, Les Contes de Canterbury et Les Mille et Une Nuits), Pasolini fait tout l’inverse dans Salo, ou les 120 journées de Sodome. Non seulement le poète restitue amplement la décadence sadienne jusque dans ses pires recoins, mais son incroyable délocalisation temporelle dans la république de Salo lui sert pour dénoncer la puissance fasciste, où le malheur des uns fait le plaisir des autres.

    Plus que les concours de cul, les polenta qui picotent et les dégustations d’excréments sur porcelaine, le malaise n’est jamais aussi prégnant que lorsqu’il exulte à l’oral dans les scènes d’élocutions des bourreaux, où Sade, du bout de la langue, semble revivre dans une valse immonde. Dans une interview réalisée par nos soins, Michael Haneke n’a jamais oublié sa découverte:

    Je me souviens bien du jour où je l’ai vu. C’était à Munich. Le film était annoncé comme quoi il allait être censuré. Il était diffusé dans sa version originale et c’était un scandale dans la presse. Le soir, tout le monde est entré dans une grande salle de 800 places.
    C’était presque plein au début. Une demi-heure plus tard, la moitié de la salle était partie. Après une heure trente, il y avait trente personnes. A la fin du film, je pense qu’on était cinq ou six.
    Après avoir vu le film, j’étais choqué. Pendant deux semaines, j’étais malade. Ça m’a bouleversé. Et c’est à partir de là que j’ai compris ce qu’était vraiment la violence, la souffrance physique et mentale.
    Naturellement, cela m’a donné envie d’arriver à provoquer cette même décharge. J’ai le DVD de Salo chez moi, je n’ai pas osé le revoir.

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    Pasolini a aussi signé L’évangile selon saint Matthieu (1964), grand prix du jury à la Mostra de Venise, Théorème (1968), Médée (1969) avec Maria Callas, Le Décaméron (1971), primé à Berlin. Ses romans (Les ragazzi, Une vie violente) racontent sa fascination, son attirance pour les jeunes hommes, petites frappes des faubourgs romains au parler si particulier qui lui rappelle la langue du Frioul maternel et ses débuts de poète dialectal. Dans le parabolique Théorème (1968), il pervertit une famille bourgeoise.

    Son cycle romanesque s’achève avec l’inachevé Pétrole dont les révélations contenues dans un chapitre prétendument disparu auraient pu lui valoir sa mort, selon une théorie parmi cent autres. Dans son ultime interview télévisée, accordée le 31 octobre 1975 à Paris, Pasolini résume ainsi une partie de son credo:

    Scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir.

    Pasolini est assassiné dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975 sur une plage d’Ostie, près de Rome. Il a été roué de coups, puis une Alfa Romeo GT, la sienne ou une autre, est passée sur son corps. Le même jour, Giuseppe “Pino” Pelosi, un prostitué de 17 ans, est arrêté au volant de la voiture de la victime. Il se dit seul coupable, affirmant s’être défendu d’une tentative de viol de la part du réalisateur. Pino Pelosi est condamné l’année suivante à neuf ans et sept mois de prison.

    Pasolini est la victime de ses personnages, une tragédie parfaite, prévue dans ses divers aspects
    Michelangelo Antonioni

    Une dispute qui tourne mal? Un chantage? La main de la pègre ou de l’extrême droite? Près d’un demi-siècle après le meurtre de Pier Paolo Pasolini, cinéaste et écrivain provocateur qui ne manquait pas d’ennemis, le mystère demeure.

    Saura-t-on jamais ce qu’il s’est passé? Probablement pas. Dès le départ, l’enquête a été bâclée, la scène du crime piétinée, les témoins ont perdu la mémoire ou sont passés de vie à trépas. Pour la journaliste et criminologue Simona Zecchi, qui a publié deux livres d’enquête sur cette affaire, les autorités italiennes n’ont jamais eu vraiment la volonté de faire la lumière.
    “L’Italie a un problème avec la vérité, parce que cette vérité a souvent traversé la partie obscure de nos institutions”, estime-t-elle.

    Mis à mort par un jeune homosexuel, le corps de Pasolini retrouvé dans un quartier misérable de la capitale, Pasolini est la victime de ses personnages, une tragédie parfaite, prévue dans ses divers aspects, dira le cinéaste Michelangelo Antonioni.
    Pino Pelosi reviendra en 2005 sur ses aveux, incriminant, sans les identifier, trois inconnus à l’accent sicilien. Il affirmera avoir tu la vérité pour protéger sa famille.

    En 2010, une enquête est rouverte: cinq ADN prélevés sur les vêtements de Pasolini sont exploitables. Mais en 2015, le juge prononce un non-lieu. Sur les cinq profils ADN, un seul a pu être attribué, celui de… Pino Pelosi.
    La présence sur place d’autres voyous la nuit du drame ne fait pourtant aujourd’hui aucun doute. Le nom des frères Borsellino, entre autres, apparaissait déjà en 1975 mais ils n’avaient pas été jugés et sont morts depuis.

    Pour la justice, le dossier est classé. Pour d’autres, amis ou journalistes, l’affaire Pasolini est un «Cold Case». Pino Pelosi n’aurait été que l’instrument d’un complot. Mais un complot ourdi par qui? Pourquoi?

    La grande difficulté, c’est que personne n’était au courant de tout sur toute la chaîne, des exécutants aux commanditaires, il y a eu probablement plusieurs strates,

    explique l’écrivain français René de Ceccatty, son biographe.

    À partir du moment où on accepte que c’était un crime politique, on ne s’étonne pas qu’il y ait autant de brouillard».

    En 1975, l’Italie est plongée dans une vague de violence sans précédent depuis la guerre. Ce sont les années de plomb. Les groupes armés d’extrême gauche pratiquent l’assassinat, des groupuscules néo-fascistes commettent des attentats sanglants. Pasolini est proche du Parti communiste italien, le PCI, qui fera 35% aux législatives de 1976.

    Peu avant sa mort, le réalisateur avait reçu des menaces pour son ultime film Salò ou les 120 journées de Sodome, qui dénonçait de façon féroce la «République sociale italienne» (1943-1945), dernier avatar du fascisme en Italie. Autre hypothèse: dans un chapitre disparu de son livre posthume et inachevé Pétrole, Pasolini devait accuser le patron du groupe énergétique ENI, Eugenio Cefis, d’avoir assassiné son prédécesseur, Enrico Mattei, mort dans un accident d’avion causé par un explosif.

    Là encore, il n’existe aucune preuve formelle. Pour Simona Zecchi, le poète a bien été tué pour ses activités de journaliste. La piste la plus sérieuse, selon elle, est celle de la piazza Fontana, l’attentat néo-fasciste commis à Milan le 12 décembre 1969 et qui avait fait 17 morts et plus de 80 blessés. Le 14 novembre 1974, Pasolini faisait paraître une tribune atomique dans le quotidien Il Corriere della Sera:

    Je connais les noms des responsables< (…) mais je n’ai pas de preuves.

    Reste l’hypothèse d’un chantage. Au mois d’août 1975, des bobines de Salò sont volées à Rome. Pelosi aurait été l’intermédiaire. Les enquêteurs n’y croient pas. Le film était quasiment monté.

    «Le vol n’avait pas représenté un préjudice significatif», conclut l’arrêt de non-lieu de 2015.

    SOURCE: Chaos