[Rencontre] Terry Gilliam : Après la bataille des 12 singes
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À l’occasion de la ressortie de L’Armée des 12 singes restauré en 4K en salles et en combo Blu-ray/UHD chez L’Atelier d’images, nous avons pu nous entretenir avec son réalisateur. Toujours aussi jovial et bavard , il revient sur l’aventure du film et sur le reste de sa carrière avec la franchise politiquement incorrecte qu’on lui connaît.Comment diable avez-vous réussi à convaincre Universal de vous donner le final cut sur L’Armée des 12 singes ?
En réalité, ce sont eux qui ont dû me convaincre de faire le film ! Ils avaient dépensé un million de dollars pour le scénario, donc ils avaient absolument besoin d’un retour sur investissement. Si j’ai reçu le script, c’est probablement parce qu’il avait été envoyé à d’autres réalisateurs qui se sont dit « Mais qu’est-ce que c’est ce truc ? » et qui ont refusé. Il se trouve que moi, j’ai aimé. Et puis, j’ai eu Bruce!
Le studio n’a exercé aucune pression pour avoir un droit de regard, ne serait-ce que sur le montage ?
Non, on m’a foutu une paix royale. Ils étaient trop contents d’avoir trouvé quelqu’un, en fait. Il faut savoir qu’ils étaient vraiment désespérés, car tous ceux à qui ils avaient proposé le script le trouvaient trop compliqué. Je crois me souvenir que David et Janet Peoples l’avaient écrit environ un an avant que j’arrive sur le projet. Une fois que Bruce Willis et Brad Pitt ont été engagés, on m’a laissé faire exactement ce que je voulais.
Bruce Willis était réputé être un acteur difficile à gérer à l’époque. Comment avez-vous fait pour vous le mettre dans la poche ?
La première fois qu’on s’est rencontrés, je lui ai dit : « Bruce, je ne veux pas travailler avec la star Bruce Willis. Ce que je veux, c’est travailler avec l’acteur Bruce Willis. Je ne veux pas que tu amènes ton entourage avec toi, je veux que tu viennes tout nu, en quelque sorte. »
Et c’était plié. Il voulait vraiment faire le film, parce qu’il n’avait jamais tenu ce genre de rôle avant. Pour lui, c’était l’occasion de prouver qu’il pouvait être un véritable acteur, pas seulement une star de films d’action. En fait, on s’était déjà croisés un an plus tôt sur le plateau de Fisher King. Il était venu nous saluer, et je lui avais dit : « Dans Piège de cristal, il y a une scène qui m’a vraiment frappé, c’est celle où tu as des morceaux de verre enfoncés dans le pied : tu parles à ta Jemme au téléphone et là, tu te mets à pleurer. »
Venant d’un tel personnage, d’un grand gaillard comme John McClane, ça m’avait vraiment cueilli. Et là, Bruce me répond que l’idée était de lui, que le fait qu’il se mette à pleurer n’était pas dans le script. Cette histoire m’est restée dans la tête. Je me suis dit que Bruce Willis était bien plus que John McClane, que c’était un type intéressant.
– Terry Gilliam sur le tournage de l’armée des 12 singes. Derniers préparatif avant une scène de James Cole en scaphandreIl n’y a pas eu de guerre d’égo entre lui et Brad Pitt ?
Non, car à l’époque Brad n’était pas encore une star, c’était juste une étoile montante. Je pouvais me promener dehors avec lui, personne ne venait lui parler. Il est venu me voir à Londres, car il tenait vraiment à être dans le film. On s’est tout de suite très bien entendus et je lui ai demandé quel rôle il aimerait jouer. Et bien sûr, il m’a répondu : «James Cole!» « Trop tard ! » je lui ai dit, «je l’ai déjà donné à Bruce Willis ! Mais écoute, tu devrais jouer celui de Jeffrey Goines, car dans ce cas, Bruce et toi jouerez tous les deux des rôles totalement opposés à ceux que vous tenez d’habitude. »
Brad avait jusque là toujours joué le gars cool, décontracté, et là, il devait se transformer en vrai moulin à paroles ! L’idée lui a plu et bien entendu, le studio était surexcité d’avoir deux têtes d’affiche sur le projet. Moi, par contre, j’ai commencé à me demander si je n’avais pas fait une erreur en engageant Brad, car je l’avais mis entre les mains du coach vocal qui avait travaillé avec Jeff Bridges sur Fisher King pour lui apprendre à parler très vite et celui-ci est venu me voir pour me dire : « Le gamin n’y arrive pas. » Mais Brad a bossé très dur et il y est arrivé. Il nous a tous surpris. Le truc, c’est que Légendes d’automne est sorti au moment où nous avons commencé à tourner et ça a fait de lui une superstar. D’un seul coup, plein de filles ont débarqué, prêtes à se suicider pour lui, de sorte qu’on a été obligés de recruter un service de sécurité supplémentaire pour pouvoir travailler tranquillement. En dehors de ça, tout s’est merveilleusement bien passé.Vous n’avez pas eu besoin de couper des scènes au montage ?
Non, on a gardé tout ce qu’il y avait dans le script, car il était vraiment très bon. La seule petite chose que j’ai changée après la projection test, c’est dans une scène avec Bruce Willis et Madeleine Stowe. Le public n’a pas bien réagi à la musique : elle était trop romantique par rapport à ce qui se passe sur l’écran et donc on a corrigé le tir en la rendant plus ambiguë pour qu’elle reflète mieux l’évolution de la relation entre leurs personnages. On était trop tôt dans le récit pour qu’elle soit romantique.
À propos de la musique du film, vous aviez travaillé avec George Fenton sur Fisher King, mais avant cela Michael Kamen était votre compositeur attitré. Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir Paul Buckmaster plutôt que lui ?
Nous avons été présentés, on s’est bien entendus et puis, j’aime bien rencontrer des gens, travailler avec de nouvelles personnes. D’ailleurs, j’ai collaboré avec d’autres musiciens que lui, par la suite. Rien n’est jamais figé. Ce qui s’est passé, c’est que j’ai découvert le morceau d’Astor Piazzolla presque par accident chez un disquaire, en cherchant un morceau de tango - Car j’adore le tango. On m’avait recommandé un autre musicien, mais j’ai craqué pour Piazzolla, que je ne connaissais pas du tout. J’ai amené le morceau à Paul et je lui ai demandé de travailler à partir de là, un peu comme je l’avais fait pour la chanson d’Ary Barroso dans Brazil avec Michael Kamen. Michael, je l’avais rencontré par l’intermédiaire de mon ami Ray Cooper, qui à l’époque était le percussionniste d’Elton John. Michael avait fait la musique de Venin, et je me souviens très bien que Ray me l’a fait écouter dans sa voiture alors que nous allions voir George Harrison. J’ai trouvé ça très bon, il m’a présenté Michael, et voilà ! D’ailleurs, c’est aussi Ray Cooper qui m’a presenté Paul Buckmaster.
Récemment, John Carpenter a déclaré qu’il était le seul à savoir qui est contaminé par la Chose a la fin de The Thing entre Kurt Russell et Keith David. Selon vous, ce qui arrive à James Cole dans L’armée des 12 singes, est-ce la réalité ou le fruit de son délire ? Parce qu’il y a plusieurs indices qui vont dans un sens ou dans l’autre.
Je n’en sais rien ! C’est volontaire si la fin est ambiguë, mais en fait, peu importe. Ce que j’aime dans le script, c’est que si on y regarde de plus près, il n’a aucun sens. Ça ne l’empêche pas d’être brillant, mais par exemple la scène où Bruce Willis disparaît de sa cellule comme par enchantement, c’est n’importe quoi ! Comment est-ce que la machine aurait pu le ramener à son époque alors qu’il est enfermé dans un asile ? Mais on s’en fout, parce que ça fonctionne.
Un peu comme cette idée qu’il suffit de passer un coup de fil et de laisser un message sur un répondeur pour se connecter avec le futur.
Mais oui, c’est ça qui est formidable avec ce script : on y croit ! Ça a l’air rationnel alors que ça ne l’est pas du tout. J’ai revu quinze minutes du film lorsqu’il a été projeté au Festival Lumière à Lyon. Je ne l’avais pas revu depuis vingt-huit ans, car je ne revois jamais mes films. Mais comme il était présenté, j’ai décidé de m’asseoir quelques minutes dans la salle pour voir ce que ça donnait sur un grand écran, avec un bon son et tout le reste. Et pour la première fois, j’ai vécu le film en tant que spectateur et pas comme celui qui l’avait fait. Ce soir, je vais le revoir en entier. Je ne me souvenais pas de ce qu’on avait fait avec le mixage et je me le suis pris en pleine poire ; c’est très calme et d’un seul coup le son explose et ça m’a cloué à mon fauteuil ! J’avais complètement oublié cet aspect et je me suis souvenu qu’on s’était inspirés de L’Exorciste pour ces explosions sonores. Le public ne s’attend pas du tout à ce que ce soit aussi fort. J’ai été bluffé par ces quinze minutes. Il n’y a rien de mauvais, tout est bon, à commencer par le jeu des acteurs. C’est pour ça que je veux le revoir en entier : je crois que c’est | la première fois que j’ai été impressionné par mon propre travail !
– Terry Gilliam, s star Bruce Willis et son étoile montante Brad Pitt sur le tournage de l’armée des 12 singesVous devriez aussi faire une exception pour Les Aventures du baron de Münchausen. Je l’ai revu il y a quelques mois pour la première fois depuis sa sortie. J’avais déjà aimé le film à l’époque, mais là, j’ai carrément pris une claque.
Je suis d’accord avec vous, parce que je l’ai revu récemment lorsque nous l’avons restauré en 4K et je me suis dit : « Mais c’est vachement bien ! » La sortie du film a été sabotée par le studio, mais j’en ai toujours été fier, et en le revoyant je n’arrivais pas à y croire tellement c’est réussi. À mon avis, c’est une des meilleures choses que j’aie jamais faites.
Pensez-vous qu’il serait possible de produire un film comme L’Armée des 12 singes dans le contexte actuel ?
Pour ça, il faudrait qu’il y ait une scène lesbienne, un couple d’hommes gay, beaucoup de Noirs… (rires) Aujourd’hui, tout est fait en pressant des boutons, c’est comme sur un menu dans un resto chinois. « Je prendrai ce truc-là, puis deux trucs comme ça… » Le cinéma actuel ne m’intéresse pas. Il est tellement… ennuyeux ! On a l’impression que tout ce qui compte, c’est de jouer la sécurité. Tout le monde doit être impliqué, tout le monde doit être représenté. Hier soir, j’en parlais avec Helen Mirren, mais j’en ai aussi parlé avec pas mal d’autres femmes qui me disent : « Maintenant, les gens peuvent voir des gens qui leur ressemblent sur l’écran, alors qu’avant ils en étaient exclus. Que ce soit les Noirs, les Asiatiques, les femmes, ou d’autres minorités, ils n’étaient pas représentés à l’écran et donc ils se sentaient marginalisés. » Je leur réponds : « C’est des conneries. Je n’ai jamais vu quelqu’un qui me ressemblait au cinéma. Je voyais Clint Eastwood, je voyais Henry Fonda. Le but, ce n’est pas de se voir soi-même sur l’écran, c’est de réagir à ce que vit un personnage. »
On n’a pas besoin de ressembler à un personnage pour s’identifier à lui, et c’est même là que réside la magie du cinéma. On peut s’imaginer être James Bond, ou Wonder Woman…
Absolument, mais cette idée se heurte de nos jours à une certaine forme d’activisme qui veut que par exemple qu’un personnage transgenre ne puisse être joué que par un transgenre. C’est n’importe quoi. Bon, cela dit, c’est mieux d’avoir un acteur noir pour jouer un Noir. (rires) Mais si on suit la logique de cet argument, dans un remake du Silence des agneaux, il faudrait que Hannibal Lecter soit joué par un vrai serial killer ! C’est le métier des acteurs de jouer des personnages qui ne leur ressemblent pas. Ils font ça depuis des milliers d’années. Mais aujourd’hui, il faut être « inclusif ».
Récemment, une dame a écrit un livre très intéressant où elle me citait en utilisant un adverbe qui était à mon sens complètement à côté de la plaque. Je m’explique : il y a deux ans, le nouveau directeur de la BBC a annoncé qu’une émission comme le Monty Python’s Flying Circus ne pourrait pas être commandée ou programmée aujourd’hui, car elle était faite par six hommes blancs, et que maintenant, il faut de la diversité. À l’époque, j’étais à Munich pour la promotion de L’homme qui tua Don Quichotte et on me demande de réagir à cette déclaration, et je réponds : « Franchement, en tant qu’homme blanc, je n’en peux plus d’être accusé de tout ce qui ne va pas dans le monde. S’il vous plaît, à partir de maintenant, appelez moi Loretta. Je suis une lesbienne noire en transition. »
Toute la salle a éclaté de rire, mais le lendemain, en Angleterre, je me suis fait lyncher. Et donc, la femme qui a écrit ce livre relatait cette anecdote en disant que j’avais réagi « avec véhémence » à l’annonce de la BBC. Je lui ai écrit pour lui demander si elle pouvait changer le terme dans la prochaine édition parce que, tout de même, je n’étais pas véhément du tout ! Elle m’a répondu très gentiment en me disant que comme nous étions six hommes blancs, nous n’étions pas en position de comprendre que des gens différents de nous puissent se sentir exclus par nos sketches, que nous n’étions pas inclusifs. Je lui ai alors expliqué qu’à chaque fois que j’allais quelque part, il y avait toujours une foule de fans des Python et qu’elle était composée de toutes sortes de gens très différents. De tous les genres, de toutes les ethnies, des gros, des maigres, des nains, que sais-je, et ils n’avaient pas besoin de se reconnaître en nous pour rigoler à nos blagues!
Vous pouvez nous parler un peu de votre prochain film, The Carnival at the End of Days ? Vous avez trouvé un financement ?
(rires) Non !
– Anton (Andrew Garfiel) dans l’imaginarium du docteur parnassusVous avez envisagé qu’il puisse être produit par une plateforme telle que Netflix ou Amazon ? Celles-ci sont souvent prêtes à lâcher beaucoup d’argent pour des cinéastes qui ne réussissent pas à monter leurs projets ailleurs en leur laissant une certaine liberté artistique…
J’essaie de joindre Elon Musk sans succès, alors pourquoi pas ! J’aurais besoin de 25 ou 30 millions de dollars et pour Musk, ce n’est rien du tout.
Le souci, c’est qu’aujourd’hui, il est devenu presque impossible de faire produire un film si ce n’est pas un blockbuster à plusieurs centaines de millions de dollars ou un micro-budget. Il n’y a plus d’entre-deux.
Oui, et moi ça fait presque trente ans que je suis dans l’entre-deux ! Récemment, je discutais avec mon ex-agent, qui est devenu le producteur de Robert Zemeckis, et je lui confiais mes difficultés à trouver de l’argent, et que mes trois derniers films n’avaient rien rapporté. Il m’a répondu : « Tu sais, les cinq derniers films qu’a faits Bob Zemeckis n’ont rien rapporté non plus, mais la différence, c’est qu’il s’agissait de gros budgets. Si tu te plantes avec un gros budget, ce n’est pas grave. Par contre, si tu te plantes avec un plus petit… » C’est très bizarre, comme système. Résultat, Zemeckis continue à faire des films et pas moi!
De quoi parle The Carnival at the End of Days ?
En revoyant L’Armée des 12 singes, j’ai un peu eu l’impression que j’allais refaire le même film, mais bon… Pour vous la faire courte, Dieu décide d’anéantir l’Humanité, de détruire son beau jardin d’Eden, à savoir la Terre. Et il n’y a qu’une seule personne qui essaie de sauver l’Humanité, ou du moins qui essaie de préserver son avenir. Et cette personne, c’est Satan, parce que s’il n’y a plus d’Humanité, il se retrouve au chômage. Il essaie alors de trouver ceux qui seront les nouveaux Adam et Eve pour les amener devant Dieu et lui dire : « D’accord, détruis l’Humanité si Lu veux, mais essayons encore une fois avec ces gamins-là. »
Vous dites que le cinéma actuel vous ennuie. Il n’y a vraiment aucun réalisateur qui trouve grâce à vos yeux ?
Pas vraiment. Cela dit, je ne vais pas voir beaucoup de films, mais en tout cas, aucun de ceux que j’ai vus récemment ne m’a marqué. Ce qui m’a vraiment plu ces derniers temps, je l’ai vu en streaming : je parle de la série Babylon Berlin de Tom Tykwer, surtout la première saison. C’est ce que j’ai vu de mieux depuis Breaking Bad. J’aime aussi beaucoup Ozark et Fauda, qui est on ne peut plus d’actualité en ce moment (la série raconte la traque d’un terroriste du Hamas par une unité d’élite israélienne - NDR).
En parlant de Netflix, à mon avis, ils ont commis une erreur en offrant la possibilité à des réalisateurs renommés de faire des films de trois heures ou plus. D’abord, on a eu The Irishman, qui est beaucoup trop long. Ensuite, il y a eu Bardo d’Iñärritu : les vingt-cinq, trente premières minutes sont ce que j’ai vu de mieux en termes de mise en scène depuis très longtemps, mais, ce n’est pas du tout le cas de tout ce qu’il y a après, et ça dure pas loin de trois heures. Puis, au cinéma on a eu Babylon, qui encore une fois est beaucoup trop long. Pour moi, deux heures, c’est la durée idéale.On a l’impression que Netflix laisse les réalisateurs tourner sans producteur pour les épauler, de sorte qu’ils n’ont plus de regard extérieur sur leur film.
Le truc, c’est que comme il s’agit de grands réalisateurs, ils n’ont pas besoin d’un producteur et de toute façon, ils ne l’écoutent pas ! La liberté de création, c’est très bien, mais ça peut être dangereux. Je suis le premier à la vouloir et à l’apprécier, mais il faut aussi qu’elle ait ses limites. En ce qui me concerne, je ne travaille pas avec des budgets aussi importants que d’autres et ça crée parfois des contraintes. Je déteste ça, mais je fais avec, c’est la règle du jeu. Et on me laisse tranquille tant que je ne dépasse pas le budget.
Vous avez l’air d’aimer les séries. Ça ne vous tenterait pas d’en faire une ?
Non. J’aime bien faire un certain type de films et passer à autre chose. Ça ne me dit rien de faire la même chose en boucle. Et puis, le rythme de tournage à la télévision est trop intense.
Avec le recul, quel regard portez-vous sur votre carrière aujourd’hui ?
Quand je me rends à un festival comme celui de Lyon où on me rend hommage, j’ai la nette impression que j’ai fait du bon boulot ! (rires) C’est amusant, d’ailleurs, parce que je suis d’un naturel assez depressif à force d’avoir accumulé des échecs, et de se retrouver face à une foule qui vous acclame, c’est à la fois étrange et réconfortant. En tout cas, je suis fier d’une chose, c’est que j’aime tous les films que j’ai faits, il n’y en a aucun dont j’ai honte à cause de compromis que j’aurais dû faire. Et puis, je vais vous dire un truc : je suis fatigué d’avoir mené toutes les batailles que j’ai eu à mener durant ma carrière. C’était amusant quand j’étais jeune, mais aujourd’hui, quand j’en vois une qui se profile, ça m’angoisse. J’ai bien peur que L’homme qui tua Don Quichotte m’ait vraiment achevé. J’ai fini par gagner la bataille judiciaire contre Paulo Branco, mais il a fallu six ans pour qu’il soit débouté (le producteur réclamait des droits sur le scénario du film alors qu’il ne faisait plus partie du projet - NDR). L’ennui, c’est que personne n’a vu le film et ça m’a beaucoup attristé.
En revanche, L’Imaginarium du docteur Parnassus a plutôt bien marché.
Oui, et le film est plutôt réussi, je trouve. S’il a pu exister, c’est grâce à un véritable acte d’amour. Qu’on ait pu le finir après la mort de Heath Ledger relève du miracle, et il n’aurait pas pu être accompli sans l’aide de Johnny Depp, Colin Farrell et Jude Law (qui ont remplacé Ledger en jouant différentes incarnations de son personnage - NDR). Ils ont accepté de venir parce qu’ils aimaient Heath, alors qu’après sa mort, j’ai bien cru que le film était fini, car tous les investisseurs et les assurances partaient en courant. C’est ma fille Amy, qui travaillait sur le film, qui m’a conseillé d’appeler Johnny Depp. Je lui avais présenté Heath deux ans plus tôt et ils étaient devenus très amis. Il m’a répondu (imite sa voix de baryton) : « Quels que soient tes besoins, je suis la. »
Et soudain, tout l’argent qui était parti est revenu ! À partir de là, 1l y a des acteurs très connus qui ont essayé de se greffer au projet mais j’ai dit non, non et non. Je voulais que ce soit des proches de Heath, qu’on soit tous de la même famille. Je ne savais pas que Colin était un ami de Heath, mais il est venu me voir lors de la cérémonie qui a suivi son enterrement, puis ça a été au tour de Jude, et voilà. Bien sûr, j’aurais aimé voir ce qu’aurait donné le film si Heath avait pu aller au bout, mais je suis quand même ravi du résultat. Ils ont été parfaits.
– Jennifer Telly, mère décédée et reine rêvée dans TidelandEn fin de compte, j’ai un peu l’impression que vous n’avez jamais rien fait que vous n’ayez pas eu envie de faire.
Oui, si certains de mes films ne sont pas bons, c’est entièrement de ma faute ! Mais je suis crevé. Je ne sais pas ce qui est le plus fatigant : trouver de l’argent pour monter mes films, ou aller dans des festivals où on me dit que je suis le plus grand cinéaste de la planète et bla-bla-bla. Ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir pu garder le contrôle sur tous les films que j’ai faits. Pas forcément sur la distribution ou sur la promotion, mais pour le reste, ce sont exactement les films que j’avais en tête. L’air de rien, je crois qu’il n’y a pas beaucoup de réalisateurs qui peuvent en dire autant. Paul Verhoeven, peut-être. Martin Scorsese, sûrement. Steven Spielberg, bien sûr… C’est un immense réalisateur, mais je n’aime pas les histoires qu’il raconte. A.I., mon Dieu, c’est terrible… Je suis un adulte, et ce qu’il fait est trop enfantin, il y a trop de bons sentiments pour moi. Mais Les Dents de la mer, c’est fantastique, et j’aime beaucoup Sugarland Express.
Il y a un film dont on ne parle pas souvent, c’est Tideland.…
Et pourtant, c’est un de mes préférés. Il y a un an ou deux, j’ai donné une interview à Variety, et à la fin, le journaliste me chuchote : « Vous savez, votre film que j’aime le plus, c’est Tideland ! » Je lui ai répondu : « Mais c’est super ! » C’est mon film le plus dérangeant, la plupart des gens l’ont détesté, et ce dès la première scène où une fillette prépare un shoot d’héroïne pour son père. Ce serait impossible à faire aujourd’hui. Mais quand je vais dans les festivals, il n’est pas rare que des gens viennent me voir pour me dire à l’oreille qu’ils adorent le film, comme s’ils avaient honte de l’admettre en public. Alors que sous bien des aspects, c’est le film le plus innocent que j’ai fait.
C’est même un film assez romantique, quelque part. Mais vous êtes un romantique, non ?
Apparemment, oui ! Mais je ne sais pas si ma femme serait d’accord ! Disons que je cache mon romantisme en créant des univers pervers et dystopiques.
Mais justement, je crois que c’est là que réside la clé de votre cinéma. D’autant que dans vos films, il est toujours question de personnages en quête de quelque chose, et ce quelque chose, c’est en général l’amour ou un idéal. Mais cet aspect n’est jamais ostentatoire.
Non, ce n’est jamais sentimental. Je déteste le sentimentalisme. Si ça doit être romantique, il faut que ce soit avec difficulté, comme dans la vie. En tout cas, je crois que c’est la première fois que je suis accusé d’être romantique dans une interview, donc je vous remercie pour ça (rires)
– Propos recuelllis et traduits par Cédric Delelée.
– Merci à Thierry Videau et Hugues Peysson.
– Mad Movies #376 -
Interview géniale d’un type extraordinaire.
Et deux bonnes nouvelles, l’armée des 12 singes et Les Aventures du baron de Münchausen en 4K remastérisé…
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@duJambon a dit dans [Rencontre] Terry Gilliam : Après la bataille des 12 singes :
l’armée des 12 singes et Les Aventures du baron de Münchausen en 4K remastérisé…
Oui comme stipulé dans l’intro, la version de l’armée des 12 singes restaurée aura le droit a un passage cinéma. Je vais pouvoir le revoir dans des conditions optimales.
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Interview topissime, merci @Violence, tu as fait ma journée
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Bon interview j’ai kiffé l’ami.
En 2000, Don Quichotte ne s’est pas fait mais j’ai kiffé voir son “docu film” Lost in La Mancha, une pépite lol. -
Je me trompe peut être mais y’avait deja pas une version 4k ?
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@Ashura Oui, mais pas française et un remux 4K son VF 1080, mais l’image est assez bruitée, la remastérisation est peut-être mieux.
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Bon on en parlait du remaster 4k des 12 singes, il est dispo et comme je le pensait c’est pas fou, y’a beaucoup de grain ce qui fait que ça apporte pas un gros plus
Titanic par exemple lui est magnifique en 4k