Gilets jaunes : "Beaucoup y ont laissé des plumes"
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Cinq ans après, le mouvement des “gilets jaunes” ne mobilise plus les foules malgré la crise.
Les causes de la mobilisation de 2018 n’ont pas disparu, mais les porteurs de gilets jaunes ne sont plus très nombreux dans les manifestations ou sur les ronds-points. Franceinfo a cherché à comprendre les raisons de l’essoufflement de ce mouvement de contestation.
Tous les samedis matin (ou presque), Brigitte vient au rassemblement de “gilets jaunes” près du rond-point d’Allonne, en périphérie de Beauvais, dans l’Oise. “On ne s’est jamais arrêtés, même pendant l’épidémie. Mais on n’a plus le droit de se mettre sur le rond-point”, regrette cette femme de 60 ans en invalidité. Autour d’une table improvisée et d’un thermos de café, ils sont une douzaine à se tenir chaud, samedi 28 octobre, en évoquant les prix de l’essence
, la difficulté à remplir le panier de courses ou encore l’espoir d’une réforme démocratique. “On est en dictature”, tonne Kléber*, qui ne masque pas sa colère envers Emmanuel Macron.
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“Nous ne sommes pas nombreux, car la lassitude a fait son travail, constate Brigitte. Mais on espère encore que d’autres nous rejoindront et on veut montrer aux gens qui passent devant le rond-point qu’il reste des ‘gilets jaunes’, qu’on est là.” Régulièrement, des coups de klaxon de soutien surgissent de l’ancienne route nationale 1, salués par les vivats de la petite troupe de jusqu’au-boutistes. “Bon, on a aussi parfois quelques insultes”, reconnaît Brigitte.
L’optimisme de ces irréductibles ne masque pas la démobilisation, tant dans la rue que sur les groupes Facebook, en comparaison des dizaines de milliers de personnes
qui ont battu le pavé en 2018 et 2019. Parti de plusieurs appels à manifester contre l’augmentation du prix des carburants à l’automne 2018, le mouvement des “gilets jaunes” avait su agréger une multitude de revendications et de colères exprimées notamment sur les ronds-points de la France rurale et périurbaine. “Les actions des ‘gilets jaunes’, soyons honnêtes, il n’y en a presque plus”, se désole Gaylord, un ancien participant de 41 ans joint par franceinfo. “Il reste quelques manifestations, mais l’idéologie de partage, d’entraide, selon moi, ça a disparu.”
“Les gens sont épuisés”
Comment expliquer cet effacement de l’espace public, alors même que l’inflation plonge actuellement une partie de la population française dans la précarité ? “D’abord, il n’existe pas de lien mécanique entre la dégradation des conditions d’existence et l’intensité d’une mobilisation sociale”, répond Brice Le Gall, sociologue à l’Observatoire du travail social et des inégalités. Autrement dit, un mouvement de contestation ne répond pas uniquement à des logiques socio-économiques. “S’il existe un lien entre précarisation et mobilisation, il est plutôt négatif, car cela demande du temps disponible et des ressources”, note le chercheur, qui a suivi plusieurs “gilets jaunes” de l’Oise au début du mouvement. Présente pour la première fois au rassemblement d’Allonne ce 28 octobre, Martine confirme qu’elle n’a pas les moyens de se mobiliser tous les week-ends. Cette femme de 71 ans raconte notamment qu’elle ne peut plus se rendre tous les jours à l’hôpital pour voir son mari en raison du prix de l’essence.
“Les manifestations, ça nous a coûté beaucoup d’argent pour nous déplacer dans les villes”, ajoute Tifenn, une mère de famille. “L’inflation fait que tout est plus difficile aujourd’hui”, renchérit Virginie, qui peine à garder le lien avec ses anciens camarades de lutte. “S’inviter les uns les autres, aller au restaurant, tout ça coûte cher.” Aujourd’hui, les “gilets jaunes” organisent des actions ciblées, mais peinent à reconstruire de nouveaux lieux de contestation, après la destruction des campements sur les carrefours. “Les ronds-points, ce n’était pas simplement une invention géniale du point de vue politique, c’était aussi un endroit qu’ils connaissaient parfaitement puisqu’ils traversent de nombreux ronds-points chaque jour”, observe le professeur de science politique Laurent Jeanpierre, auteur d’In Girum, les leçons politiques des ronds-points (La Découverte, 2019). “Et puis, ça ne prend plus, parce que les gens qui ont participé au mouvement sont épuisés. Cet investissement a été tellement fort ! Beaucoup y ont laissé des plumes.”
“Tout cela a fini par sacrifier mon histoire avec la mère de mes enfants. Il n’y a pas que ça, mais c’est lié”, admet Tanael*, actuellement “gilet jaune” en Eure-et-Loir. Le mouvement lui a pris tout son temps, au détriment de sa vie de famille. “Le samedi, on était en manif. Le dimanche, je participais à un groupe de réflexion sur le RIC [référendum d’initiative citoyenne].” Gaylord a noué beaucoup de liens grâce aux “gilets jaunes”. Il a rencontré la mère de son fils, avec laquelle il est resté quatre ans, mais aussi des gens moins bien intentionnés. “Une personne a décidé de s’en prendre à moi, ce qui a créé un climat d’insécurité autour de ma famille.” Selon lui, cela a même contribué à l’éclatement de son couple.
“Tout ça n’a servi à rien”
Plusieurs témoignages évoquent aussi la violence en marge des cortèges, qui a éloigné de nombreuses personnes de la contestation. “Tout ça n’a servi à rien, sauf à prendre des coups et du gaz”, souffle Brigitte, en référence aux nombreux manifestants blessés au cours de cette période. “Il faut reconnaître qu’on a eu peu de victoires et on a vécu une répression sans nom. On a eu des éborgnés, des mains arrachées…”, lâche aussi Tanael. “La répression policière a probablement été sans précédent depuis la guerre d’Algérie, cela a produit un très grand découragement”, analyse Laurent Jeanpierre. “La répression s’est poursuivie dans les tribunaux et s’est traduite par des peines de prison, et parfois des amendes extrêmement lourdes à supporter pour les ménages modestes”, ajoute Brice Le Gall. En une année de contestation, 3 204 condamnations ont été prononcées, dont 2 282 peines de prison ferme ou avec sursis, selon un bilan établi en 2021.
Ils sont plusieurs à regretter au fil du temps les dissensions internes. “On avait beau nous dire que c’était un mouvement apolitique, on a quand même vu beaucoup de divisions”, regrette Tifenn. “A chaque élection, il y avait une polarisation, car même si le mouvement se voulait transpolitique, les différentes tendances s’exprimaient et cela créait des tensions, estime Brice Le Gall. Il faut aussi évoquer les effets de la crise sanitaire et des confinements successifs qui ont rendu impossibles les regroupements et qui ont probablement attisé les divisions entre certains ‘gilets jaunes’, notamment en raison de la mouvance des ‘antivax’.” La pandémie a marqué un coup d’arrêt pour beaucoup. “Pendant longtemps, on a fait des maraudes, on a récolté des vêtements qu’on allait donner aux sans-abri, mais le Covid a cassé tout ça”, raconte Virginie.
“On a fait notre part”
Beaucoup attendent désormais que d’autres franges de la population se mobilisent. “Les ‘gilets jaunes’ en ont ras-le-bol d’entendre des personnes se demander pourquoi ils ne se mobilisent plus. Les gens qui disent ça, ils font quoi en ce moment pour protester ?”, interroge Virginie. “Nous, on a fait notre part : on a sacrifié nos vacances, nos week-ends, parfois notre famille… A d’autres de prendre le relais”, ajoute Tanael. “La réélection d’Emmanuel Macron et les revers essuyés par les syndicats, notamment sur la réforme des retraites, se chargent de convaincre certains qu’il n’y a plus rien à attendre de la grève ou de la manifestation”, analyse Brice Le Gall.
D’autant que le mouvement a tout fait pour ne pas se structurer, en refusant l’émergence de représentants ou de porte-parole. “L’hétérogénéité s’est révélée être une fragilité et c’est apparu comme un regroupement de mécontentements individuels”, constate Christian Le Bart, professeur en science politique.
D’autant que les politiques n’ont pas fait grand-chose pour intégrer cette nouvelle force. Le pouvoir n’a pas donné suite aux milliers de revendications contenues dans les cahiers de doléances
, qui “sont allés mourir dans les sous-sols d’on ne sait quel ministère”, regrette Christian Le Bart. “Je pense que les questions posées étaient adressées d’abord à la gauche et que celle-ci a été incapable d’y répondre, ajoute Laurent Jeanpierre. Cela explique en grande partie que le mouvement apparaisse comme n’ayant pas d’héritage.”
“Le calme avant la tempête”
A Paris, une petite centaine de manifestants n’ont en tout cas pas renoncé. Comme toutes les semaines, samedi 7 octobre, ils se sont donné rendez-vous pour défiler à travers les rues de la capitale. Les “gilets jaunes” se mélangent aux drapeaux dans une ambiance festive, avec Patrick Sébastien en fond musical. “Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère (…) : de cette société-là, on n’en veut pas”, entonne une femme dans un mégaphone. Un peu plus loin, Nadia, 58 ans, mobilisée “depuis le premier jour”, interpelle les passants avec sa pancarte “Réveillez-vous !”. “Je pense qu’il y a beaucoup de défaitisme, c’est comme si on avait lobotomisé les gens, le pouvoir tient le peuple par la peur, estime-t-elle. J’utilise la manif comme une arme pédagogique et je constate que beaucoup nous soutiennent.”
Plusieurs anciens “gilets jaunes” se disent d’ailleurs prêts à se remobiliser le moment venu. “Si on me demande de retourner dans les manifs, j’y vais”, assure Brigitte. “Personne ne sait où sont passés les ‘gilets jaunes’, mais ils n’ont pas disparu. Et les causes de mécontentement se sont aggravées, donc ce mouvement est toujours potentiellement présent”, analyse Christian Le Bart. “Avant une tornade, il y a un temps mort, le calme avant la tempête”, prévient pour sa part Michel, un “gilet jaune” à la retraite.
D’autant que le mouvement a permis à nombre d’entre eux de se politiser. Virginie a été élue conseillère municipale avant d’être contrainte de démissionner pour raisons personnelles. Tanael s’est procuré une édition de la Constitution pour avoir “une connaissance plus fine de nos institutions”. Enfin, Gaylord regarde parfois les séances parlementaires à la télé, “pour voir ce qu’il se vote” : “Avant, je n’avais aucune connaissance politique, aujourd’hui, j’ai appris à regarder, à m’intéresser.”
- Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.
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La prédiction est un art difficile, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir, comme dirait l’autre, mais de mon point de vue, l’histoire n’est pas finie et il se pourrait bien que la suite soit bien plus violente.
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c’est surtout qu’à force d’être pris pour des vaches à lait … ça va péter !
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Vu qu’on a plus massacré les gilets jaune que la racaille ça se comprends
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Aerya Seeder Geek Gamer Torrent user GNU-Linux User Useneta répondu à Mister158 le dernière édition par
J’en doute. ça n’a jamais pété depuis qu’on se fait presser dans tous les sens (depuis Mitterrand ?). Et les plus jeunes s’en tapent complètement, ils vivent pour les plaisirs et les loisirs, à crédits. Enfin c’est que je vois au boulot et autour de moi, dans la grande majorité.
Pour moi c’est pas de l’insouciance mais tout simplement que pour eux un job = un salaire et rien de plus et qu’ils vivent plus à court terme que nous qui pensions à long terme.