Surtourisme : Instagram va-t-il tuer les derniers paradis terrestres ?
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La jeune photographe utilise la technique du « timelapse » qui concentre en une image une heure de fréquentation. Ici le pont d’Arc, dans les gorges de l’Ardèche. Photo Natacha de Mahieu
L’appli contribue à l’explosion de ce tourisme de masse extrême qui abîme des sites naturels. La photographe Natacha de Mahieu a illustré ce fléau qui touche les paysages “instagrammables”, des gorges de l’Ardèche jusqu’au désert des Bardenas, en Espagne.
Un embouteillage sous le pont d’Arc, en plein cœur des gorges de l’Ardèche ? Cet été, la grande arche de pierre a vu défiler des touristes à pied, en canoë ou en kayak. Au point de ressembler au périphérique parisien à l’heure de pointe. Une fréquentation à l’extrême, difficilement croyable sur la petite rivière encaissée ardéchoise dont les images de Natacha de Mahieu apportent la preuve. Dans sa série Théâtre de l’authenticité, la jeune photographe belge utilise la technique du timelapse – sur une durée qui s’étend de quelques minutes à une heure et demie, elle répète puis superpose les photos prises au même emplacement afin de matérialiser le flux de visiteurs sur une seule et même composition. « Nous n’avons pas conscience que nous sommes parfois des milliers à passer sur un sentier, analyse-t-elle. Cette pression reste invisible, d’autant que nous prenons soin de l’effacer des photos que nous postons sur les réseaux sociaux… La bonne photo, c’est celle où il n’y a personne ! »
Le plateau de Valensole, dans les Alpes-de-Haute-Provence, en juillet 2021. Photo Natacha de Mahieu
Calanques, gorges du Verdon ou de l’Ardèche : en France, première destination touristique mondiale (90 millions de visiteurs internationaux en 2019), de plus en plus de sites sont malades de « surtourisme » – autrement dit de surfréquentation, stade ultime du tourisme de masse. Parmi les victimes de ce fléau 2.0, les paysages « instagrammables » se retrouvent en première ligne. Sur les réseaux sociaux, les internautes cherchent en effet à publier l’image au décor enchanteur, celle qui va remporter l’adhésion et les « like ». Or dans la vraie vie, l’arbre au tronc courbe et bucolique, la vue idyllique sur un champ vallonné attirent une foule bien réelle en quête du même cadrage, du même point de vue. Un mimétisme qui questionne Natacha de Mahieu : « Dans le désert des Bardenas, en Espagne, le rocher photographié est toujours le même, sous le même angle… Sur le plateau de Valensole, c’est en général le premier champ de lavande. Vu de haut en drone, on dirait même un parking. Mais quelques kilomètres plus loin, la campagne est déserte. »
La fin des sites confidentiels
Autre risque des réseaux sociaux, ils peuvent entraîner du jour au lendemain une attention pour des sites à la renommée jusqu’alors locale. À l’instar des calanques, autre lieu photographié par Natacha de Mahieu. « Nous nous trouvons sur la Côte d’Azur, proche de Marseille, deuxième ville de France. C’est dire si nous n’avions pas besoin d’Instagram pour attirer les visiteurs, constate Nicolas Chardin, directeur du parc national des Calanques. Mais les réseaux sociaux exacerbent les tensions : ils peuvent générer subitement une fréquentation massive sur un espace restreint. » Il a suffi de quelques photos pour que les jeux de lumière azuréens de la grotte bleue, connue jusqu’en 2019 que par les habitants du coin, se diffusent à grande échelle sur Instagram. « Deux ans plus tard, elle vient d’être classée numéro deux des lieux "secrets « à découvrir autour de Marseille ! »
Les calanques de Marseille, en France, subissent de plein fouet les conséquences du tourisme de masse. Photo Natacha de Mahieu
Or ces sites confidentiels, devenus « selfie spots »,ne sont souvent pas dotés d’infrastructures pour accueillir une affluence aux conséquences parfois dramatiques. Ainsi dans la calanque de Sugiton. Le piétinement a entraîné l’érosion de la garrigue et la mise à nu des racines de grands pins, au risque de voir apparaître un panorama lunaire sous les serviettes de plage. « Nous avançons toujours sur une ligne de crête pour concilier accueil du public et protection de l’environnement. Mais ici, on risquait de perdre un paysage de façon irréversible, ce qui nous a convaincus de tester, cet été, des mesures innovantes pour faire baisser le nombre de visites de 2 500 à 400 par jour. » Soit la mise en place d’un site Internet dédié, d’une surveillance à l’entrée par une société de gardiennage et des vigiles, de rondes de la police de l’environnement. Et une première en France : du 10 juillet au 21 août, il fallait s’inscrire pour accéder à la calanque. « Les visites affichaient en général complet trois jours avant. De nombreuses personnes nous ont dit combien elles étaient heureuses de redécouvrir les lieux sans la foule. » Réservera-t-on bientôt sa place en forêt comme au spectacle ? « C’est une problématique universelle qui nous touche tous, en Espagne ou en Norvège, à 20 ans comme à 60, conclut Natacha de Mahieu. Reste une question : pourquoi a-t-on tant besoin de rapporter une photo parfaite comme preuve d’un voyage réussi ? »
Le désert des Bardenas, en Espagne. Photo Natacha de Mahieu
À consulter
Le site de Natacha de Mahieu.Source : telerama.fr
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en plus de ruiner le cerveau des gens ça ruine la nature, vraiment des applis du démon ces merdes
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