À la rencontre des plus gros contributeurs francophones de Wikipédia
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Wikipédia est beaucoup plus qu’une simple encyclopédie aux yeux des contributeurs francophones les plus actifs, dont certains ont déjà dépassé le million de modifications.
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Florence Devouard, alias Anthere, à son domicile, le 17 janvier 2007. | Thierry Zoccolan / AFPIls n’aiment pas trop qu’on les présente ainsi, mais difficile de faire autrement. Sur Wikipédia, il existe des «gros» contributeurs qui frôlent ou dépassent le million de modifications apportées à l’encyclopédie. Le tiercé, dans l’ordre, est composé de OrlodrimBot, Loveless et HerculeBot. À eux trois, ils cumulent plus de 10 millions de contributions. Un chiffre qui paraît tout de suite moins élevé quand on sait qu’il s’agit de trois «bots», des programmes qui corrigent des fautes d’orthographe, de syntaxe ou accueillent les nouveaux wikipédiens.
Derrière ces «bots», des humains en chair et en os sont aussi de gros et d’anciens contributeurs. En tirent-ils une fierté? «Absolument pas», tranche sans hésiter Polmars, qui est l’utilisateur francophone le plus actif avec plus de 1,2 million de contributions*. «Je ne m’investis pas dans Wikipédia pour faire le plus de modifications possibles. Je m’en moque de ce chiffre, je le répète d’ailleurs souvent sur les pages de discussion de l’encyclopédie. Je préfère qu’on parle de la qualité de mon travail.»*
Vlaam, 1,11 million de contributions au compteur, abonde dans le même sens: «C’est quelque chose que je ne mets pas en avant et dont j’évite de parler même en dehors de Wikipédia, parce que ça peut donner un côté “no life”.» Si autant de zèle peut être difficile à comprendre pour qui ne connaît pas l’encyclopédie, en interne, cet investissement permet-il d’être plus écouté par les autres utilisateurs?
«Je ne pense pas que ce soit si impactant pour les wikipédiens», répond Vlaam. «Mais d’une certaine façon, il est possible que cela induise un biais. Dans une salle de classe, on croira plus le professeur que l’élève, peu importe qui a raison. De la même façon, il peut arriver que l’on accorde plus de crédit à quelqu’un dont le nom est connu dans une communauté.»
Correcteurs plus que créateurs
Polmars admet que dépasser le million de contributions est d’autant moins impressionnant qu’une partie de ce million a été réalisée avec l’aide de programmes semi-automatisés, qui lui permettent de repérer les erreurs à modifier, gonflant un peu le bilan final. Le million de modifications ne représente évidemment pas un million d’articles créés. Polmars et Vlaam se concentrent largement sur de la maintenance, un travail constitué de micro-tâches un peu ingrates mais particulièrement nécessaires à l’homogénéisation de l’encyclopédie.
«C’est le gros de mon chiffre», détaille Vlaam.* «Comme je n’ai plus autant de temps à consacrer à Wikipédia, je ne rédige plus beaucoup d’articles depuis quelques années. C’est plus agréable de reprendre des erreurs, car ce sont des tâches que je peux terminer. Il y a un aspect jeu vidéo: j’ai un stock d’anomalies à corriger, comme dans un jeu où il faudrait détruire des choses.»*
Si les créations d’articles et les ajouts liés à la maintenance sont quantifiables, le temps consacré à la gestion des conflits ne l’est pas.
Et puis, en creux, il est aussi difficile pour ces anciens et actifs wikipédiens de renouveler leur stock d’expertise. «On met souvent un premier pied sur Wikipédia parce qu’on estime connaître un domaine, mais c’est difficile de trouver un nouveau thème sur lequel écrire quand on est arrivé au bout du sujet après des années d’investissement», rappelle Anthere, de son vrai nom Florence Devouard.
L’ancienne présidente de Wikimédia France, association accompagnant les projets liés à Wikipédia, n’a pas autant de contributions que ses deux confrères, mais elle est l’utilisatrice francophone ayant passé le plus de mois différents avec au moins une action sur la plateforme. Son nombre de contributions est également plus faible, car une partie d’entre elles n’ont tout simplement pas été prises en compte.
Et pour cause: Florence Devouard est un dino. Ce surnom a été donné aux dix membres inscrits depuis 2002, alors que Wikipédia n’en était qu’à sa préhistoire, et que les modifications apportées n’étaient pas comptabilisées.
Comme le rappellent les wikipédiens, la taille des contributions ne fait pas tout. Si les créations d’articles et les ajouts liés à la maintenance sont quantifiables, le temps consacré à la gestion des conflits sur les articles ne l’est pas. Faut-il opter pour l’orthographe «Kiev» ou «Kyiv»? Ce genre de question peut donner lieu à de nombreux échanges plus ou moins courtois, dont la gestion chronophage n’apporte, par exemple, aucune contribution supplémentaire au classement des plus gros contributeurs.
Une dizaine d’années de bons et loyaux services
S’il est gonflé par des micro-tâches, le total de contributions de Polmars est, comme celui d’Anthere, également un peu sous-estimé. Quand il découvre Wikipédia en 2004 à la suite de recherches Google qui le mènent inlassablement vers l’encyclopédie, il ne crée pas tout de suite un compte. Dans un premier temps, il préfère apporter des modifications sous son adresse IP, comme l’encyclopédie le permet. «J’ai longtemps hésité à écrire sous pseudo, peut-être un peu par timidité», admet-il. «Ça m’a pris un an et demi avant de créer un compte.»
Polmars se souvient très bien de sa première contribution. Mordu de photos, il remarque qu’il y a une erreur sur le lieu de décès du photographe Cartier-Bresson. Détail amusant: sa correction était systématiquement supprimée et ne sera intégrée définitivement que deux ans plus tard.
«J’ai mis un an ou deux à maîtriser vraiment la syntaxe de Wikipédia, qui est un peu particulière.»
Polmars, contributeur
La rencontre entre Florence Devouard et Wikipédia est encore plus hasardeuse. En 2001, alors qu’elle cherche des astuces pour l’emporter dans un jeu vidéo, elle se rend sur un forum et échange avec un Canadien. En cette époque post-attentat du 11 septembre 2001, la discussion dévie sur la vague de lettres contaminées envoyées par des terroristes. Agronome en biotechnologie de formation, Florence Devouard donne quelques précisions… suffisamment intéressantes pour que son interlocuteur lui rétorque qu’il a copié-collé son explication sur une encyclopédie en ligne, Wikipédia.
«Et puis il a retiré le passage qu’il venait juste d’insérer, sûrement pour m’inciter à le faire moi-même», s’étonne encore aujourd’hui la wikipédienne chevronnée. Une méthode plutôt efficace, puisque c’est ainsi que l’ancienne présidente de la Wikimedia Foundation, structure gérant les questions juridiques, techniques et financières de l’encyclopédie, publia sa première contribution.
Mais de la première contribution à la millionième, Polmars admet qu’il y a eu un sacré chemin à parcourir: «J’ai mis un an ou deux à maîtriser vraiment la syntaxe de Wikipédia, qui est un peu particulière. Ce n’est pas si compliqué, mais il faut la connaître. Quand on apprend à écrire, on ne fait pas une dissertation du premier coup. Là, c’est pareil. Heureusement, il existe de nombreuses pages d’aide pour les nouveaux.» Des pages qu’il a lui-même consultées à ses débuts pour comprendre le fonctionnement de la plateforme.
Une passion chronophage
S’impliquer massivement dans la plus grande encyclopédie de tous les temps peut vite représenter un puits sans fond. Sur Wikipédia, il y a toujours un article à créer, un article à compléter ou un article à modérer. «Je pouvais y passer une deuxième journée de travail», explique Vlaam. «Ça m’arrivait de m’impliquer en dehors, en cherchant des livres, en allant faire des photos d’une course cycliste ou de monuments pour illustrer un article.»
S’il utilise le passé, c’est parce que Vlaam estime qu’il fallait «mettre un frein» à ce trop-plein d’implication pouvant représenter plusieurs heures par jour. Polmars va jusqu’à estimer que, fut un temps, il a pu passer douze heures d’affilée sur Wikipédia. «Bien sûr, je ne pouvais pas y passer autant de temps tous les jours, mais à une époque ça a pris une place énorme dans ma vie pour des raisons personnelles», détaille, sans trop en dire, le retraité. «Disons que contribuer à Wikipédia m’a permis d’oublier les problèmes.»
«Régulièrement, je prenais mon vendredi en RTT et je fonçais à l’aéroport direction les États-Unis.»
Florence Devouard alias Anthere, contributrice et ancienne présidente de la Wikimedia Foundation
Ça ne l’a pas empêché d’hésiter à arrêter, car il estimait que sa trop grosse participation avait fini par gêner certains wikipédiens pour qui cet investissement polluait leur «liste de suivi», un outil qui permet d’être au fait de chaque modification d’un article. «C’était reproché de manière très désagréable, alors je n’ai plus contribué pendant plusieurs mois», se remémore Polmars.
Peut-être est-ce parce que la passion est trop forte? Toujours est-il que Polmars a fini par se remettre à Wikipédia, même s’il a lui aussi ralenti la cadence à une à deux heures par jour en moyenne. «Je l’ai également vécu comme une passion, même si elle était trop obsessionnelle peut-être», confie Florence Devouard. «C’était plus “utile” que de passer des heures à jouer à des jeux vidéo, même si, avec du recul, c’était trop.»
Elle a même, un temps, fait de Wikipédia son jardin secret qu’elle ne partageait même pas avec son conjoint. Et encore moins avec ses collègues, pas au courant qu’elle était, bénévolement, à la tête de Wikimedia Foundation. «Régulièrement, je prenais mon vendredi en RTT et je fonçais à l’aéroport direction les États-Unis», narre Florence Devouard. «Pour le retour en France, j’atterrissais le lundi à 8h30, je me changeais et j’allais directement au boulot. Les collègues pensaient que j’avais pris du repos en posant mon vendredi, alors que ce n’était pas du tout le cas.»
Quand elle se replonge dans ce qui l’a motivée à autant s’investir, elle ne met pas en avant les fonctions honorifiques, le temps passé ou de la fierté d’avoir un certain nombre de modifications à son crédit, mais un détail bien plus insignifiant au premier regard: «Quand je me suis aperçue que mes articles Wikipédia étaient bien référencés sur Google, je me suis dit que ce que j’écrivais depuis l’Auvergne pouvait avoir autant que de visibilité que ce que pouvait écrire le gouvernement américain, et j’ai alors réalisé qu’avec Wikipédia, je pouvais avoir un vrai impact.»
Source : slate.fr