Ils ont une haine de la langue, de l’effort de réflexion»: Sylvie Germain répond aux lycéens qui la harcèlent
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ENTRETIEN - Un texte de Sylvie Germain, tiré de son ouvrage Jours de colère (Gallimard), a été proposé aux candidats du bac de français 2022. Sur les réseaux sociaux, les élèves se sont déchaînés sur l’extrait qu’ils ont jugé trop difficile à analyser et ont insulté l’auteur.
LE FIGARO. - Qu’avez-vous ressenti en apprenant que votre texte avait été choisi au bac de français?
Sylvie GERMAIN. - Je n’avais pas été prévenue, pour préserver la confidentialité de l’épreuve. Lorsqu’on accepte d’être publié et que notre texte devient public, on doit s’attendre à des surprises, bonnes ou mauvaises. J’ai été étonnée, et touchée par le choix d’un de mes livres, et aussi légèrement perplexe devant cet extrait peut-être peu évident hors contexte. Et puis, dès le lendemain, la polémique est arrivée, des lycéens mécontents ont déversé leur colère.
Comprenez-vous ce déferlement de haine sur les réseaux sociaux ?
Je ne suis qu’un prétexte, je ne me sens pas concernée personnellement. Je suis plutôt inquiète du symptôme que cela révèle. C’est grave que des élèves qui arrivent vers la fin de leur scolarité puissent montrer autant d’immaturité, et de haine de la langue, de l’effort de réflexion autant que d’imagination, et également si peu de curiosité, d’ouverture d’esprit. Le passage à analyser n’était pas délirant, le vocabulaire était accessible, mais certains se contentent d’un vocabulaire si réduit, riche seulement en insultes et en invectives, que tout écrit un peu élaboré leur est un défi, un outrage.
Les plus «vénères» se sont donc défoulés (propos grossiers, goguenards, agrémentés parfois d’intimidations…, et montages photos et vidéos visant à me ridiculiser). Je n’éprouve même pas de colère, seulement de la désolation devant tant d’aveuglement et d’absence de remise en cause (s’ils ratent leur épreuve de français ce sera à cause de mon texte «de m… qui va niqué leur bac» (sic), pas du tout à cause de leur manque de travail et de réflexion), devant aussi leur rejet hargneux de la culture qui leur est dispensée au lycée. Ils veulent des diplômes sans aucun effort, se clament victimes pour un oui pour un non et désignent comme persécuteurs ceux-là mêmes qu’ils injurient et menacent. Quels adultes vont-ils devenir?.. J’espère que cette flambée de rage, où comme toujours le mimétisme et le goût de la surenchère électrisent la meute, va retomber aussi vite qu’elle a éclaté. Tout cela est aussi absurde qu’affligeant.
Quels conseils auriez-vous pu donner aux élèves pour analyser votre texte ?
Je n’ai pas de conseils à donner pour étudier ce texte, je n’écris pas pour proposer des analyses, juste des histoires susceptibles de faire rêver, imaginer, penser. Je ne peux que souhaiter aux élèves d’apprendre à lire, à s’efforcer de penser par eux-mêmes, et à aimer les mots, et aussi à en peser le poids, la justesse et les possibles conséquences quand ils les utilisent.
Pour les curieux, le texte que devaient commenter les lycéens
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Quand on sait que les mots structurent la pensée, je me dis qu’il y a du soucis à se faire sur les capacités des générations futures à développer une pensée cohérente, et je me dis de plus en plus également que le scénario du film “Idiocracy” est prémonitoire.
Le simple fait par exemple de s’en prendre à l’auteure du texte plutôt qu’à ceux qui l’on choisis est déjà révélateur.
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@pollux a dit dans Ils ont une haine de la langue, de l’effort de réflexion»: Sylvie Germain répond aux lycéens qui la harcèlent :
Quand on sait que les mots structurent la pensée
Ça s’appelle l’Hypothèse de Sapir-Whorf, et elle a été largement réfutée, du moins dans sa version radicale. Non, la langue ne structure pas la pensée, c’est la pensée qui structure la langue.
Personnellement, je ne goute guère ce genre de texte au style inutilement ampoulé, et je suis bien plus inquiet du niveau en maths et en sciences. Je pense notamment à cette affaire de contestation sur les réseaux sociaux d’un sujet de maths du brevet il y a quelques années. Les élèves n’étaient pas contents qu’on leur demande de penser par eux-mêmes au théorème de Pythagore pour résoudre un problème. Le théorème, ils le connaissaient par cœur, mais ils n’ont même pas pensé à l’appliquer. Et ce n’étaient pas des élèves médiocres de quartiers défavorisés, mais aussi de “bons” élèves, bons pour réciter leur cours, mais pas pour réfléchir. Voilà où ça mène un enseignement centré sur l’apprentissage “par cœur” où l’on néglige d’apprendre aux élèves à penser par eux-mêmes.
Après, concernant les réseaux sociaux, il ne faut pas oublier que ces réseaux, et plus encore les articles de journaux qui en parlent, amplifient toujours les propos “choquants” de petits groupes minoritaires. Il est très probable que la majorité des élèves aient composé sans faire d’histoire. Dans le temps, la contestation se serait limitée à quelques discussions à la sortie du lycée, et on n’en aurait jamais entendu parler. Les réseaux sociaux ne rendent pas idiot, mais ils rendent trop visible la bêtise, et plus encore les journaux et leurs articles clickbait (en anglais, parce que je n’apprécie guère la traduction française impropre et vulgaire de ce terme ; ils auraient pu choisir “appâclique”, mais non, les Français si fiers de leur belle langue ne connaissent que la vulgarité).
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L’Hypothèse de Sapir-Whorf va plus loin puisqu’elle soutient que le langage détermine la perception du monde.
Même si le langage à lui seul ne suffit pas à structurer une pensée et que l’on peut aisément admettre que d’autres mécanismes entre en jeu, on peut au moins affirmer qu’un vocabulaire riche et une syntaxe correcte permettent d’exprimer clairement cette pensée dans toutes ses nuances et subtilités.
La novlangue de G.Orwell dans “1984” en représente un bel exemple.
Je te rejoins sur le reste de ce que tu écris, que se soit à propos des math, de la science, des RS et des journaux.
J’aime bien ton “appâclique” mais de mon point de vue “putaclic” pousse le concept un peu plus loin
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C’est vrai que c’est inquiétant ce déferlement de haine amplifié par l’effet de meute des réseaux sociaux,juste pour un texte pas compris à cause de leur ignorance.
J’avais vu aussi qu’un grand nombre de bacheliers avait foiré l’épreuve de philo à cause du simple mot “ludique” dans l’énoncé dont ils ne connaissaient pas le sens,pour des lycéens en terminale,c’est pas possible.Ils auraient surement du remplacer ce mot par “fun” car la multiplication des anglicismes dans la langue française est peut-être l’une des raisons du manque de vocabulaire de certains ?
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@nick2
Pour “ludique”, c’était la filière pro aussi (d’ailleurs un moment, j’ai cru que tout l’article concernait les pro, alors que c’était seulement “ludique”, le texte de Sylvie Germain était en générale ; et c’était du coup en français, pas en philo). Il faut bien dire ce qui est, elle est très en dessous la filière générale.Mon père est justement enseignant dans cette filière, lui se désole de voir que ces élèves d’électrotechnique sont tout juste capables de retenir la loi d’Ohm, pour les autres règles de calcul en électronique (genre résistance d’un montage en parallèle, Thévenin, Norton), ce n’est pas la peine. Et je dirais que c’est quand même plus inquiétant de penser qu’un électricien ne maitrise pas ces principes que de savoir qu’il ne connait pas le sens du mot “ludique”.
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Pour info, l’article concernant “ludique” est en lien en bas de mon premier message