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    Les adolescentes délurées de Mate-me por favor, le premier long-métrage d’Anita Rocha da Silveira, ont laissé place à de jeunes mères et pères la morale dans Medusa, drôle d’objet pop et arty rescapé in extremis des bouleversements ayant frappé le Brésil ces dernières années. Sa réalisatrice revient sur sa confection.

    Comment le cinéma brésilien se relève-t-il de la crise sanitaire et des assauts de Jair Bolsonaro contre le monde de la culture depuis son élection en 2018 ?

    Le mélange des deux a rendu les choses très compliquées. Bolsonaro a pris l’habitude de stigmatiser le monde de la culture, d’affirmer que ses artisans n’ont pas de vrai travail, et une part importante de la société souscrit à cette vision. Sa première action en ce sens a été sournoise : il ne s’est pas attaqué aux systèmes d’aides à la création, mais il a bloqué les fonds. Et juste après, le COVID a frappé le Brésil de façon particulièrement brutale.

    Heureusement, on avait sécurisé le budget et on a pu tourner Medusa fin 2019. Si on avait attendu quelques mois, ça n’aurait pas été possible. La plupart des productions brésiliennes qui arrivent à se tourner en ce moment sont dotées de petits budgets, et respecter les mesures sanitaires, ne serait-ce que les tests quotidiens, est quasiment impossible.

    Avez-vous ressenti un impact sur la liberté d’expression ?

    Pas vraiment. Le film Marighella a braqué le gouvernement de Bolsonaro, d’une part parce que ce nom est très connoté politiquement, et parce que
    Wagner Moura et d’autres superstars brésiliennes y ont participé. Pour ce qui est de Medusa, même si le film a tourné dans des festivals internationaux, son titre, son synopsis ou son amplitude ne le positionnent pas sur les radars de l’extrême droite, ces personnes ne se doutent pas que ce film existe. Ils ne vont pas au cinéma, encore moins pour aller voir des films brésiliens, ça ne les intéresse pas.

    Comment se prépare la sortie du film au Brésil ?

    Peu de villes brésiliennes comptent encore des cinémas, et la pandémie s’est chargée de fermer bon nombre de salles survivantes. On est désormais dans un marché où quand le dernier Spider-Man sort, il occupe quelque chose comme 85 % du parc.

    Un film comme Medusa ne vise pas tant une sortie en salles que la VOD. L’un des partenaires financiers du film est une chaine du câble brésilienne, donc ce qui va sûrement se passer, c’est qu’il y aura une sortie cinéma puis une diffusion VOD un mois plus tard. Quand Mate-me por favor est sorti en VOD, j’ai reçu beaucoup de messages d’adolescents, de jeunes adultes, en provenance de villes sans cinémas, et ils étaient ravis d’avoir pu voir le film.

    Mate-me por favour et Medusa ont anticipé avec beaucoup d’acuité la situation de la société brésilienne

    On a vu les choses arriver depuis plusieurs années, depuis 2013, quand les manifestations d’extrême droite ont commencé à se multiplier. Depuis que je suis adolescente, j’ai observé l’expansion de l’église évangéliste à Rio de Janeiro, sous toutes ses formes. Dans Medusa, je ne voulais pas stigmatiser l’Église en elle-même ou la foi, mais des groupes spécifiques, qui se servent des écritures dans un sens précis.

    Dans ce microcosme ou celui de Mate-me por favor, vous avez une façon bien particulière d’observer le fonctionnement du groupe.

    Je suis fascinée par ces dynamiques, comment on peut changer de personnalité dans ce contexte. C’est quelque chose que j’ai beaucoup observé dans mon adolescence, et dans Medusa, c’est particulièrement patent. Comment on contrôle les autres, soi-même. Les garçons du film s’inspirent d’un authentique groupe militaire évangéliste brésilien, pour qui il est très important d’être vu, de rester connecté ensemble - ils n’ont pas besoin des filles, ils sont très bien entre eux, mais il faut bien qu’ils se marient et qu’ils fassent des enfants.

    Spoiler

    Et c’est dans ce cadre que Medusa s’achève sur une note cathartique, qui va à l’encontre d’un fatalisme qui traverse actuellement le cinéma d’auteur mondial.

    Ce n’est pas la première fin que j’ai écrite. Avant l’élection de Bolsonaro, le Brésil a été secoué par la procédure de destitution de Dilma Rousseff, qui m’avait inspiré une fin plus triste. Mais la suite des événements m’a poussée vers cette résolution, qui est ma version d’un happy end. Et ça vient aussi des représentations picturales de la figure mythologique de la Méduse, en train de hurler non pas de douleur, mais de colère. Il fallait que ces filles restent unies à ce moment, qu’elles ne se replient pas vers les hommes ou vers l’Église, qu’il y ait une sororité et avec elle, la chance de pouvoir recommencer à Zéro. ||

    Dans quelles conditions avez-vous tourné ?

    Le budget était vraiment serré, on a tourné en 28 jours. Il fallait faire vite, on ne pouvait pas se permettre de commettre des erreurs. On a préparé le cast pendant trois mois, en multipliant les répétitions, on a planifié tout le découpage avec le premier assistant et le directeur de la photographie. On tournait parfois jusqu’à sept scènes par jour.

    Votre film et d’autres productions brésiliennes tournant dans les festivals internationaux donnent un sentiment de vitalité et de résistance aux politiques en vigueur dans le pays. Diriez vous que le cinéma brésilien est suffisamment soutenu à l’international?

    Plus ou moins. En fait, je ne constate pas véritablement d’évolution à proprement parler depuis l’élection de Bolsonaro. Les mêmes programmateurs soutiennent cette cinématographie, et gardent surtout les mêmes attentes envers le cinéma d’Amérique latine en général: il faut que les films traitent de certains thèmes sociaux, qu’il y ait un certain type de narration, une approche naturaliste ou réaliste. Et les œuvres qui sortent de ces schémas sont laissées de côté. Il y a beaucoup de films de genre produits au Brésil aujourd’hui, qui ne rentrent pas forcément dans ces cases mais méritent l’attention. J’espère que ces nouvelles propositions seront bientôt prises en considération.!

    – Propos recueillis par François CAU

    Source: Mad Movies

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    Même pour ses fans les plus ardents, reconstruire l’énigme Sono Sion à travers ses oeuvres s’avérait mission quasi impossible. Le livre de Constant Voisin paru chez Rouge Profond, Sono Sion et l’exercice du chaos, réussit l’exploit de répondre à toutes les questions posées par la filmographie la plus génialement branque de ce siècle, et sans doute du précédent.

    Ces dernières années, tu es devenu un proche de Sono Sion, tu as collaboré à certains de ses films récents… Cette proximité a-t-elle changé ton rapport à son oeuvre ?

    C’est le moins qu’on puisse dire. Sono Sion était déjà, à la base, mon « dieu » du cinéma. J’ai découvert sa filmographie quand j’étais au lycée, en seconde. Je l’ai idéalisé comme pas possible. J’avais fantasmé énormément d’histoires sur ses films : comment ils avaient été faits, pourquoi ils étaient si différents les uns des autres…

    Je réfléchissais surtout sur la question de la forme : qu’est-ce qui avait pu le pousser, lors de certaines périodes de sa vie, à privilégier l’une ou l’autre ? Du coup, je m’étais fixé comme but de le rencontrer, pour pouvoir l’humaniser, on va dire. Ça a fini par arriver, puis j’ai connu avec lui mes premières expériences sur des plateaux de cinéma, une première pour moi.

    Tu vivais déjà au Japon à l’époque ?

    Non, j’ai rencontré Sono Sion à l’Étrange festival, il y a cinq ans. Puis je suis allé trois mois au Japon, en sa compagnie justement, et je m’y suis installé un an plus tard. J’y avais toujours songé, et le fait que Sono Sion y vive a clairement penché dans la balance.

    Comment se sont passées les premières rencontres ?

    Je l’ai attendu à la sortie d’une salle du Forum des images où il présentait French Connection, je lui ai proposé d’aller boire un café, il m’a dit qu’il avait plein de temps devant lui, on a passé deux ou trois heures à discuter au bar à l’entrée. Il m’a dit : « La prochaine fois que tu viens au Japon, envoie-moi un mail et tu pourras dormir dans mon atelier. ». C’est ce que j’ai fait, et trois jours après mon mail, il m’a dit : « OK, mais je ne serai pas à Tokyo. En revanche, tu peux rejoindre l’équipe de mon film. ». Le film en question, c’était The Virgin Psychics.

    Dans le livre, Sono Sion dit qu’il n’aime pas beaucoup ce film, mais pour toi, ç’a plutôt été une bonne expérience, non ?

    Ce que je ne savais pas encore à l’époque, c’est que sur un tournage, plus Sono Sion est attaché au film, plus il est dans un état dépressif, où il se fait bouffer par tout et n’importe quoi. Et pour les films de commande, pour oublier qu’il n’est pas aussi libre, il adopte un comportement plus serein sur le plateau. Le tournage de The Virgin Psychics, c’étaient des vacances d’été. De loin le tournage de Sono le plus amusant que j’ai pu faire jusqu’ici.

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    Antiporno, par exemple, a été tourné dans une ambiance plus sombre…

    Il y avait plus de tension, oui. C’est là que j’ai vu Sono Sion piquer ses plus grosses colères envers un producteur. Tu sentais vraiment qu’il ne voulait faire aucune concession. De leur côté, les cadres de la Nikkatsu n’ont pas vraiment apprécié qu’il torde à ce point les règles du roman porno… J’ai dû attendre un an avant de voir le film à froid, d’un point de vue extérieur. Les souvenirs du tournage étaient encore trop vifs.

    C’est l’un de ses films les moins évidents à aborder, une sorte de double négatif de I Am Keiko.

    Oui, le traitement des couleurs représente un retour aux sources. La plus grosse différence, c’est que Sono Sion ne sort pas avec l’actrice d’Antiporno. Et il n’entretient pas le même rapport avec le film.

    À ce sujet, le livre met grandement en avant l’importance de ses actrices, ses muses, ses anciennes petites amies, qui sont parfois les trois en même temps. On aurait pu penser que son mariage avec Megumi Kagurazaka allait le pousser à se poser, mais ce n’est pas vraiment le cas.

    Non, il faut dire que cette notion de « se poser » est très relative… Cet enjeu se retrouve dans Tag. Il y a forcément une part d’interprétation dans ce que j’ai pu écrire à ce propos dans le livre, mais à la fin du film, il revient vers la figure de Mitsuko, son amour perdu de l’école primaire, qui traverse son œuvre alors qu’il ne l’a jamais vraiment connue.

    Tag est peut-être le film avec lequel tu es le plus en désaccord avec Sono Sion. Toi, c’est une œuvre qui t’obsède.

    Sono Sion a un côté « éponge » qui ne ressort pas spécialement en interview, mais il fait très attention à ce qu’on dit de lui. Quand un de ses films sort, il peut passer des journées entières sur Twitter à guetter l’avis des gens. Mine de rien, ça l’affecte beaucoup quand le public n’adhère pas totalement à son travail. Au Japon, quand on adapte une œuvre, il faut que ce soit fait dans les règles, avec un maximum de fidélité.

    Dans le cas de Tag, il n’avait même pas lu le livre original, donc les fans se sont énervés, contrairement au public des festivals qui en a fait un film culte. Mais je ne pense pas qu’il s’attendait à être détesté dans son propre pays. Au fond, il a plutôt envie d’être aimé. Se détacher de ses films est un moyen de se protéger. En vérité, il aime beaucoup Tag et, pour le défendre face aux Japonais, il dit toujours : « Le problème, ce n’est pas le film, ce sont les Japonais, car les étrangers adorent. ».

    Dans le livre, les problèmes de distribution de ses films et ses coups de malchances successifs reviennent presque comme un leitmotiv…

    Oui, même si l’un de ses premiers films, Bicycle Sighs (1990), a été une réussite inattendue. Il l’a ressorti plusieurs fois, sur plusieurs années, pour avoir des rentrées d’argent qui lui ont permis de faire ses projets suivants.

    Ton livre donne un aperçu étonnant du cinéma japonais, à la fois figé dans des codes très stricts, mais dans le même temps suffisamment perméable pour qu’un trublion punk comme Sono Sion puisse s’y infiltrer.

    C’est vraiment comme ça que je vois ce cinéma. Un bon exemple de cette situation serait Katsuya Tomita. Avec très peu de budget, il fait des films un peu alternatifs, pas vraiment anarchistes mais plutôt contre l’État et les bonnes mœurs. Et mine de rien, dans la même configuration budgétaire, il n’aurait pas pu sortir ses films en France, obtenir un visa d’exploitation… Au Japon, il n’y a pas besoin de ça, n’importe qui peut s’exprimer.

    Sono Sion a un vécu tellement dingue qu’il s’emmêle un peu les pinceaux dans ses interviews… et ça se retrouve d’ailleurs dans vos entretiens.

    Oui, mais il a vraiment vécu tout ce qu’il raconte. Mon rapport à ses films a d’ailleurs beaucoup évolué à cause de ça. En les découvrant, je me suis dit qu’il avait un imaginaire de dingue, mais en fait, plus j’apprenais à le connaître, plus je me rendais compte qu’il ne faisait « que » restituer sa propre expérience.

    Est-ce ce vécu un peu particulier qui lui donne sa singularité dans le cinéma japonais ?

    Il n’y a aucun doute là-dessus. Dans les années 1960, il y avait une avant-garde japonaise assez folle, avec des meneurs comme Shûji Terayama, une figure importante du cinéma expérimental de cette époque, qui avait une troupe de théâtre et faisait des performances de rue. Sono est arrivé après tout ça. Il a commencé au milieu des années 1980, durant la bulle économique, mais le temps qu’il devienne un réalisateur plus installé, le climat s’était assombri. La société japonaise s’est beaucoup rigidifiée à cette époque. Il y a une formule qui revient plusieurs fois dans le livre : entre criminel et artiste, il n’y a pas vraiment d’autres issues.

    On peut établir un parallèle entre le cinéma de Sono Sion et celui de Kôji Wakamatsu, notamment par leur côté guérilla. Mais Sono semble être plus solitaire, il s’inscrit moins dans une dynamique collective, non ?

    C’est vrai et faux à la fois. Sono reste un animal social. Il a toujours eu des ateliers où il faisait des réunions jusqu’à pas d’heure, avec des jeunes. Il est solitaire mais pas seul pour autant. Il cultive l’esprit de la génération précédente, celui des années 1960, incarné par de gens comme Wakamatsu ou Nagisa Ôshima picolaient ensemble et faisaient des films entre potes. Il y a, de même, une famille Sono Sion, dont fait partie Tak Sakaguchi par exemple.

    Comparés aux films de Wakamatsu, les films de Sono Sion semblent tout de même moins politisés, moins révolutionnaires ?

    C’est l’époque qui a changé, on ne peut rien y faire. De toute façon, les Japonais ne veulent plus voir ce genre de films. Les mœurs ont changé. Il n’y a plus de manifestations étudiantes dans les facs, comme à l’époque de Mishima.

    Dans le livre, Sono Sion répète souvent qu’il y a eu une immense restriction des libertés au Japon depuis ses débuts au milieu des années 1980.

    Il y a un net déséquilibre entre liberté et sécurité. La balance penche plus du second côté. La jeunesse actuelle est née au moment de l’éclatement de la bulle économique et a toujours connu ce climat dépressif. Ils ne se disent pas qu’ils vivent dans une sorte d’état sécuritaire, avec énormément de règles imposées, ils ne réfléchissent pas à leur propre liberté. Ce qui explique le manque total d’engagement politique de la génération actuelle.

    Le livre révèle que les images de manifestation devant la Diète que les personnages d’Antiporno regardent à la télévision ont été filmées par Sono Sion lui-même, sur place…

    C’était une manifestation du SEALDs (Students Emergency Action for Liberal Democracy – NDR) pour la conservation de l’article 9 de la constitution japonaise, qui empêche le Japon d’avoir une armée. Mais cela aurait pu être pour n’importe quelle raison, contre le nucléaire par exemple. Sono aurait voulu être de la partie quoi qu’il arrive. Il s’est reconnu dans cette cause, mais n’importe laquelle aurait fait l’affaire. Ce qui l’a motivé, c’était de voir enfin des gens élever la voix pour leurs convictions.

    Après les événements de Fukushima, il a voulu s’engager sur le sujet en incorporant la catastrophe dans ses oeuvres. Dans ton livre, il raconte que les Japonais lui en ont voulu.

    C’est un problème récurrent, qui explique pourquoi, en 2019, il y a aussi peu de films qui traitent de Fukushima. C’est vers 2011/2012 qu’il y a eu le plus d’œuvres sur le sujet. Le tabou n’est pas vraiment levé. On essaie de ne pas en parler de façon à oublier le plus rapidement possible. Et quand on en parle, on ne fait jamais référence à un accident nucléaire. Lors de la date commémorative, le 11 mars, quelques articles sont publiés, mais on a l’impression que ça s’est passé il y a 50 ans.

    Non seulement Himizu évoque l’événement, mais en plus, il n’est pas fidèle au manga dont il est tiré, donc ça ne pouvait pas marcher. Même si c’est peut-être le film le plus connu de Sono Sion au Japon avec Cold Fish. En dehors de ses deux blockbusters, les Shinjuku Swan, évidemment.

    Suicide Club a été oublié au Japon ?

    Le film a fait parler de lui à sa sortie, mais il n’est pas passé à la postérité. Alors qu’en Occident, c’est devenu une référence à la Battle Royale, avec une image de film un peu subversif.

    Le troisième volet américain est-il toujours d’actualité ?

    Les producteurs avaient tendance à dire que le film était trop violent pour le Hollywood actuel. Sono aurait dû le faire bien avant.

    Sono Sion t’a demandé d’attendre dix ans avant de traduire ton livre au Japon, parce que certains sujets sont encore tabous. Mais même pour la France, il y a tout de même quelques trucs assez salés…

    Les éléments problématiques ne sont pas du tout les mêmes en France et au Japon. Pour un Japonais, le tabou numéro un serait de découvrir que Sono est sorti avec Hikari Mitsushima, l’actrice de Love Exposure. Le nucléaire, la drogue, ça va, mais ça, ça pourrait créer des contentieux. Ce genre de relations ne doit pas s’afficher, c’est du concubinage. S’ils étaient mariés, à la limite… Mais le fait que ce soit en plus Sono Sion – qui a sa petite réputation –, ça ne passe pas.

    Justement, quelle est sa réputation au Japon ?

    Il est plutôt connu pour être un tyran sur les tournages. Il y a cette anecdote qui revient très souvent, où il aurait balancé un cendrier sous l’emprise de la colère… Le milieu du cinéma japonais le voit un peu comme un réalisateur qui aime les femmes et qui, de fait, cherche systématiquement à sortir avec ses actrices – mais ça reste vraiment circonscrit au milieu du cinéma.

    Dans le livre, tu parles de Pour en finir avec le jugement de dieu d’Antonin Artaud, et c’est vrai qu’il y a dans le cinéma de Sono Sion cette même sensibilité à fleur de peau…

    C’est un autre point commun avec les artistes japonais des années 1960 : ils ont tous une racine commune en la personne de Tatsuhiko Shibusawa, un romancier et traducteur japonais qui a importé au Japon Artaud, Jean Genet, Georges Bataille, Sade… Il avait Mishima comme disciple. Toute la culture alternative du Japon est partie de là, de ces artistes underground et de leur découverte de cette littérature française déviante, qui a totalement modifié leur perception du réel. Sono aussi vient de là. Ces artistes des années 1960 aimaient également beaucoup transformer les choses en farce, moquer les habitudes de leurs semblables…

    À cet égard, Tokyo Vampire Hotel est une œuvre un peu triste. On a l’impression de voir quelqu’un qui jongle avec ses obsessions adolescentes et se dit d’un coup : « À quoi bon ? ».

    Cette question, « À quoi bon ? », résume très bien Tokyo Vampire Hotel. Sono était très déprimé qu’une œuvre qui lui tenait autant à cœur n’ait pas rencontré son public au Japon. La version drama s’est retrouvée sur Amazon Prime et a fait un flop, et du coup, personne n’a voulu sortir la version film en salles. Les spectateurs aiment voir le chaos à l’écran, mais n’aiment pas quand le film lui-même est chaotique. Et Tokyo Vampire Hotel est un film à l’image de Sono. Il retranscrit son état d’esprit chaotique d’alors, l’ambiance aussi d’un tournage éprouvant de 3/4 mois, ce qui est rare pour lui… Chaque fois que j’allais sur le plateau, Sono était au plus bas, ça a beaucoup influé sur le film.

    Depuis l’année 2015, où il a signé pas moins de six réalisations, on aurait pu craindre que Sono Sion prenne un virage similaire à celui du Sud-Coréen Kim Ki-duk, qu’il se lance dans une sorte de surenchère cynique capitalisant sur ses films emblématiques…

    Cette période se termine avec Tokyo Vampire Hotel. C’est un témoignage du chaos politique à l’échelle mondiale – la crise, la montée de l’extrême droite… Ce n’est pas pour rien que dans le film, le bâtiment de la Diète est un Vampire Hotel. Le gouvernement suce le sang du peuple. C’est une représentation du ras-le-bol ambiant, et pas forcément de l’état dépressif de Sono à ce moment précis.

    Ça doit sortir. Une fois que c’est fait, il se calme pendant quelques années, puis ça revient. Ça donne des Suicide Club, des Cold Fish, des Tokyo Vampire Hotel, et je trouve ça assez sain. Le passage de Sono à Hollywood ne sera qu’une parenthèse. Là, il est plutôt dans une phase un peu « retour aux sources ». Il a envie de revenir à cette période bon enfant où il tournait en Super 8 avec ses amis, sans avoir de comptes à rendre à ses producteurs. Il veut raviver son amour pour la fabrication des films. Pour l’occasion, il a décidé de se mettre au montage, pour la première fois de sa carrière. L’année prochaine, il veut tâter de la caméra – en gros, il veut en profiter pour approcher et maîtriser tous les outils. Pour l’avoir vu monter, j’ai vraiment senti la différence.

    À travers ses films, on imagine Sono Sion à la fois très extraverti et très pudique, ce qui rend assez surprenantes les révélations du livre.

    Si son cinéma est aussi démonstratif, c’est justement parce qu’il est pudique. C’est une façon de détourner l’attention. C’est quelqu’un de très réservé, qui ne se dévoile pas dans la vie de tous les jours. On m’interroge souvent sur la nature de mes relations avec lui, et c’est dur de répondre, car ça évolue. Il a été une sorte de « père japonais », puisqu’il m’a hébergé pendant je ne sais combien de mois dans son atelier, s’est montré très prévenant à mon égard… Maintenant, nous sommes surtout devenus des amis qui s’appellent pour aller boire un coup, ou alors il m’appelle pour me demander des avis sur tel ou tel scénario… Je me sens très chanceux.

    SOURCE: MADMOVIES - 08/11/2019

    SONO SION ET L’EXERCICE DU CHAOS LE LIVRE De Constant Voisin Éditions Rouge Profond

    Il y a clairement un rapport de maître à élève entre Sono Sion et Constant Voisin (partant, les analyses des deux hommes se rejoignent souvent). Il y a surtout une relation de confiance évidente, qui donne à l’auteur l’opportunité de livrer une oeuvre somme qui solderait les comptes d’une filmographie démentielle à un instant charnière. Le livre arrive au moment idéal, à l’initiative de la personne idéale. Sono Sion s’y livre donc sur chacun de ses films, avec une franchise et une sincérité inédites.

    À la suite de ces entretiens à longueur variable, Constant Voisin plonge tête baissée dans l’analyse des longs-métrages concernés, avec une précieuse recontextualisation, dans des proportions synchrones à l’intérêt porté – aux envolées lyriques sur Tag répond un silence poli sur l’anodin Shinjuku Swan II. Comme dans un film de Sono Sion, l’auteur et son sujet s’autorisent des digressions essentielles pour la compréhension de l’ensemble, notamment sur l’expérience fondatrice au sein du collectif Tokyo GAGAGA (illustrée par de nombreux éléments iconographiques de première bourre).

    À la fin d’une lecture passionnante et harassante vient un sentiment troublant, celui d’avoir élucidé l’énigme Sono Sion. Pour définitif qu’il soit, le livre ne se termine pas sur un baby blues : il pousse au contraire à replonger dans les moindres détails de la filmographie sionesque pour en redécouvrir les merveilles cachées. Que vous soyez amateur plus ou moins illuminé ou novice intimidé par l’aura culte du cinéaste, L’Exercice du chaos s’attache à vous embringuer dans les montagnes russes de ce parcours hors normes porté par une soif d’en découdre jamais entravée par l’amertume.

    Comme dans un film de Sono Sion, les certitudes sont emportées dans un tourbillon sensoriel où musique, écriture, peinture et mise en scène deviennent des armes de poing.

    THE FOREST OF LOVE: LE LABYRINTHE DE SION

    Il y a les pervers narcissiques, armés de leurs manipulations psychologiques aux effets désastreux. Et puis il y a Futoshi Matsunaga. Un joli cœur, adepte de la séduction de ces dames, de l’extorsion de fonds, de la torture physique et mentale, puis du meurtre le plus crapuleux possible une fois le fun tari. Arrêté en 2002, il fut jugé pour sept assassinats, en a sûrement commis bien plus. Dans la transposition made in Sono Sion de ce glaçant fait divers, Matsunaga devient Murata, un chanteur de variétés au charisme sidérant. Les femmes l’adorent, se déchirent par adoration pour lui ou par dégoût d’elles-mêmes, les garçons veulent lui ressembler.

    Le nom « Murata » résonne immanquablement aux oreilles des fans de Sono Sion, et pour cause : c’était déjà le patronyme du terrifiant tueur nihiliste interprété par Denden dans Cold Fish, lui aussi inspiré d’authentiques meurtres en série survenus au Japon. On retrouve d’ailleurs Denden dans The Forest of Love, cette fois dans un rôle de victime, et c’est loin d’être le seul écho tordu à la filmographie de Sono Sion.

    Des écolières tentées par le suicide, des références littéraires et un découpage en chapitres, une durée conséquente qui lorgne du côté des plus magnum de ses opus… Néanmoins, The Forest of Love ne se contente pas de jouer les plus grands hits de son auteur. Ce dernier macère ses obsessions dans un hurlement désaxé qui aurait fait la fierté tonitruante d’Antonin Artaud.

    Le grotesque s’épanche avec une énergie mieux canalisée et plus adaptée à l’image haute définition que dans Tokyo Vampire Hotel, le pessimisme rampant dialogue frénétiquement avec ce culte de l’amour fou que Sono Sion n’a décidément pas fini d’explorer. The Forest of Love rejoint illico les rangs des grands films de son auteur à la grâce de son allant baroque, vachard, fascinant et sale. Très sale.

    SONO SION EN 5 FILMS THE ROOM (1993)

    La renommée internationale de Sono Sion s’est cristallisée autour de Suicide Club (2001) et de sa scène d’intro pandémoniaque. Suicide Club mène à Noriko’s Dinner Table, Strange Circus, la trilogie de la haine, puis c’est l’engrenage de l’addiction.

    Il est assez régulièrement oublié qu’en 2001, Sono Sion a déjà 17 années d’expérience derrière la caméra ; les longs et courts-métrages de cette prolifique période se trouvent dans un rare coffret import DVD japonais nommé « Before Suicide ». À la croisée décisive de cette première partie de sa carrière, se trouve The Room, et son jeu ambigu avec la temporalité, son rythme contemplatif sur lit d’images noir et blanc sublimes, ses motifs qui n’auront de cesse de revenir dans les décennies suivantes.

    I AM KEIKO (1997)

    Tout aussi fondamentale, cette autre digression sur le temps, à la durée d’une heure, une minute, une seconde, comme le rôle-titre le répète souvent entre deux inserts déroutants. Pour la première fois, Sono Sion s’abandonne totalement à une muse, la comédienne Keiko Suzuki, seule à l’écran, dans des plans à la composition picturale hypnotique.

    Pour la première fois, il succombe aux charmes d’une narration en voix off, aux dialogues dont la poésie finit par éclater dans une grâce infinie. Sono Sion prend enfin conscience qu’il doit filmer des femmes. Et pour la première fois, en dépit de toute l’affection légitime que l’on peut avoir pour The Room ou Bicycle Sighs (1990), il accouche d’un authentique chef-d’œuvre.

    NORIKO’S DINNER TABLE (2005)

    Autre chef-d’oeuvre indiscutable, inaliénable, indémodable en dépit de sa patine numérique un peu dégueu. Sono Sion se lance dans des épopées cinématographiques ambitieuses malgré elles, par delà le dénuement de la production, les contraintes aliénantes d’un tournage serré.

    Cette fausse préquelle/séquelle de Suicide Club adresse un coucou assez bourrin au film précédent, puis trace sa propre route narrative. D’une anecdote pas encore entrée dans le domaine du fait divers – des particuliers engageant des comédiens pour interpréter des membres de leur famille lors de dîners ou autres occasions –, Sono Sion tire le film choral absolu, après lequel aucun autre film choral ne pourra être tourné avant trois bonnes années.

    LOVE EXPOSURE (2008)

    Voici donc le film choral terminal, le feuilleton monstre qui chope instantanément par le col et gagne en intérêt, en profondeur et en audace à chaque épisode. La prudence conseillerait de ne pas recommander un film de quatre heures pour débuter son initiation à Sono Sion, mais que la prudence aille bien se faire foutre.

    Love Exposure reste à ce jour le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre du cinéaste, sa Sagrada Familia, son Boléro. L’histoire transcende une nouvelle fois des anecdotes tirées du vécu de l’auteur, lequel infuse son récit d’une vigueur cinématographique grandiloquente, d’une sensibilité à fleur de peau à même de déplacer des montagnes. Love Exposure forme la « trilogie de la haine » avec Cold Fish et Guilty of Romance, deux films plus monstrueux l’un que l’autre.

    ANTIPORNO (2016)

    Constant Voisin confesse et analyse goulûment son obsession pour Tag (2015) dans son ouvrage, et il a bien raison, c’est un film absolument fou, mais la tentation est plus forte de revenir sur ce piratage expérimental hardcore d’une commande de la Nikkatsu.

    Le studio souhaitait lancer une collection estampillée prestige en demandant à quelques réalisateurs de renom de ressusciter le genre roman porno, cahier des charges et flopée de règles à respecter à l’appui. Comme le titre de son opus le laisse deviner, Sono Sion s’acquitte de la tâche avec la plus grande des mauvaises fois.

    Antiporno est un manifeste, un pamphlet bien énervé contre la marche du monde en général et une société japonaise amorphe en particulier. Son film le plus ouvertement sexuel, et le moins érotique.

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    Auteur du pétaradant Versus, l’ultime guerrier, du délirant Godzilla: Final Wars et du cauchemardesque Midnight Meat Train d’après Clive Barker, Ryûhei Kitamura s’est construit en 20 ans une carrière terriblement atypique, ponctuée de délires expérimentaux en tout genre. Le cinéaste retrace ce parcours hors-norme, de ses débuts DIY nippons aux plateaux hollywoodiens plus ou moins argentés.

    Vous avez été révélé par Versus, l’ultime guerrier, un film 100 % indépendant mélangeant de façon expérimentale action et horreur.

    Effectivement Versus n’est pas un film d’horreur basique. Au début des années 2000, il a été projeté au festival de Yubari, qui est l’une des plus grosses manifestations cinématographiques du Japon. On n’avait même pas de distributeur ! L’un des membres du jury était Mataichirô Yamamoto, le seul producteur nippon à avoir travaillé avec George Lucas. Ils ont fait ensemble un excellent film intitulé Mishima – une vie en quatre chapitres en 1985 (réalisé par Paul Schrader – NDLR), puis en 1992, il a collaboré avec Francis Ford Coppola pour produire Wind de Carroll Ballard.

    C’était une légende vivante, et il est venu voir Versus ! Je l’ai rencontré après la projection, et on a discuté dans un tout petit bar jusqu’à trois heures du matin. Il a pointé du doigt une chose que personne d’autre n’avait remarquée. Tout le monde me parlait de l’action, des zombies, des samouraïs, etc. Oui, tout ça m’amusait aussi, mais Yamamoto s’est concentré sur autre chose. Pendant le Q&A, j’avais expliqué le financement complètement fou du film : mon enveloppe de départ de 15.000 dollars s’était épuisée en dix jours, et j’avais dû emprunter de l’argent supplémentaire à tous mes amis et mes proches. Yamamoto m’a dit :

    «Tu n’as jamais abandonné, alors qu’il n’y avait aucun producteur, aucun sponsor, aucun distributeur. Mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est ton obstination à tourner la plupart de tes plans en Dolly ! Quand on est un amateur avec zéro budget, on opte pour la caméra portée. C’est beaucoup plus facile, mais tu as pris la peine d’installer des rails de travelling dans la jungle ou sur une colline ! »

    J’étais tellement content d’entendre ça. Quelqu’un avait enfin remarqué ! Je l’ai remercié de tout mon coeur et lui ai dit :

    «Je voulais faire un putain de film, pour un gigantesque écran de cinéma ! Et ce n’est pas parce qu’on n’a pas d’argent qu’on doit avoir l’air fauché ! »

    Je le pense toujours. Le public se fout totalement du budget. Il paie le même prix, donc on doit lui en donner pour son argent. En entendant ça, Mataichirô a répondu :

    «Je veux que tu fasses mon prochain film.»

    Et c’était Azumi !

    Après Azumi, vous avez tourné Godzilla: Final Wars, en rupture totale avec les épisodes un peu obsolètes de l’époque.

    Godzilla: Final Wars est un peu arrivé de nulle part. Yamamoto avait dû se battre pour que j’obtienne le job sur Azumi, car je n’étais personne ! Versus n’était même pas encore sorti, donc tout le monde lui demandait :

    « Qui est ce type ? Tu veux lui confier notre plus gros budget de l’année ? Tu es devenu cinglé ? ».

    Je lui dois vraiment beaucoup, et au final je reste très fier d’Azumi. Quand on fait un film, il y a un million de choses qui peuvent vous mettre dans une merde noire, un million de raisons de se planter, et j’ai toujours tendance à chercher l’ennemi qui se cache à l’intérieur. S’agit-il d’un producteur, d’un technicien ? Il y a toujours quelqu’un pour essayer de vous mettre des bâtons dans les roues. Mais quand le film sort enfin en salles, il est ce qu’il est et il faut l’assumer comme tel. Il faut vivre avec jusqu’à la fin de ses jours.

    Heureusement, je n’ai jamais eu honte d’aucun de mes films. Azumi a été mon premier long-métrage professionnel, et il m’a permis de rendre hommage à l’univers d’un manga que j’adore. C’était une adaptation, contrairement à Versus qui était mon bébé à 100 %. Adapter l’œuvre d’un autre est un processus très difficile. C’est une responsabilité plus grande, car il y a une histoire et un vécu derrière tout ça. J’ai donc mis toute mon énergie dans Azumi, et ça m’a fait passer au niveau supérieur.

    Le jour de la première, j’ai rencontré le big boss de la Toho, Yoshishige Shimatani. Nous avons pris un café à Tokyo et il m’a dit :

    « J’aime beaucoup ce que vous avez fait. Nous avions beaucoup de doutes à votre égard, mais vous nous avez convaincus. Toho veut que vous fassiez le prochain Godzilla. ».

    Je l’ai remercié de tout mon cœur ! Ils m’ont appelé quelques jours plus tard, et j’ai rencontré le producteur Shôgo Tomiyama. Il m’a demandé :

    « Voulez-vous entrer dans le ring et vous battre avec Godzilla ? »

    J’ai essayé d’être respectueux et honnête à la fois. Je lui ai répondu :

    « J’adore Godzilla, évidemment, pour un réalisateur japonais, c’est un grand honneur. Et en plus, ce film marquera le cinquantième anniversaire de la saga, et vous me dites qu’il n’y aura pas de nouvel épisode avant un moment ! Donc oui, je suis un grand fan de Godzilla, mais je dois avouer que je n’aime pas les films qui sont sortis après le nouveau millénaire. ».

    Et c’est vrai : visuellement, je n’aime pas ce qu’ils ont fait. Les effets visuels avec les costumes de monstres et les miniatures fonctionnaient il y a quelques décennies, mais les temps ont changé. Independence Day avait ringardisé les vieilles techniques, et on ne pouvait plus tourner des scènes de destruction massive comme dans les années 50 ! Et il ne fallait pas non plus sur-éclairer chaque parcelle du plateau, sinon le spectateur devient conscient plan après plan qu’il est face à des miniatures et des types en costume !

    À l’époque, Godzilla était en train de perdre son influence au Japon. Ils produisaient un nouveau film presque chaque année, mais le département animation de la Toho était le seul à rapporter de l’argent. Ils faisaient souvent des projections de type « double feature », en combinant le dernier Godzilla avec un animé pour les gosses. Les gens venaient pour l’animé, et partaient au début de Godzilla ! J’ai donc dit à Tomiyama :

    « Franchement, Godzilla n’est pas une face B. Godzilla est le roi ! ».

    Il m’a alors répondu qu’ils étaient bien conscients du problème, et c’était d’ailleurs pour cette raison qu’ils voulaient faire une pause avec la franchise. Ils m’ont engagé, Il y a une scène très drôle où Godzilla annihile Zilla, la version de Roland Emmerich.

    Tomiyama avait déjà un concept assez brut de Final Wars quand je suis arrivé : il voulait réanimer quelques monstres célèbres de la saga. Un jour, pendant l’écriture du script, on a amené toutes ces figurines de kaijus dans les bureaux de la Toho et on les a posées sur la table. On a choisi nos protagonistes comme ça ; je voulais en inclure le plus possible, mais on ne pouvait pas avoir tout le monde. À un moment, Tomiyama s’est tourné vers moi et m’a dit :

    « Tu sais, on a même les droits du Godzilla hollywoodien ! »

    « Quoi ? OK, on va inclure un combat entre lui et Godzilla, et le nôtre va défoncer la gueule de l’Américain ! Il faut absolument faire ça ! ».

    Je voulais tourner une séquence beaucoup plus longue, mais on n’avait plus assez de budget. Je reste très content de cette scène. Elle a d’ailleurs été filmée à Sydney en Australie, où j’ai fait mes études de cinéma. C’était sympa de retourner là-bas : c’est presque mon second chez-moi.

    Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans l’adaptation de Midnight Meat Train ?

    Avec Versus et Azumi, je suis devenu du jour au lendemain une sorte de vedette, et ça m’a donné des ailes. J’ai tourné Aragami, Sky High, je me suis éclaté comme un dingue. Mais après avoir travaillé pendant plus d’un an sur Godzilla, je me suis dit que j’avais besoin de m’éloigner de la production japonaise pendant un temps.

    Mes proches m’ont dit que j’étais devenu fou. Après tout, je venais d’enchaîner trois cartons au box-office local. On m’a dit :

    « Tu veux abandonner ça et aller à Hollywood, où personne ne te connaît ? »

    Mais j’ai toujours vécu ma vie ainsi. Donc, après Final Wars, j’ai pris six mois de vacances, et j’ai engagé un agent aux États-Unis. C’est comme ça que ça se passe là-bas, on doit être représenté soit par un manager, soit par un agent. Cette personne vous envoie un script et si vous l’appréciez, vous le lui faites savoir. Vous êtes alors propulsé dans une sorte de compétition infernale : un producteur sélectionne en général une vingtaine de réalisateurs potentiels, via les agents, et vous devez pitcher ce que vous voulez faire avec leur film. La route est très longue. On commence à vingt, puis on passe à cinq, puis à trois, et ensuite à un. Je vivais encore au Japon quand mon agent m’a parlé d’un projet.

    Il m’a envoyé le scénario, et ça s’appelait Fast and Furious 3. Il insistait vraiment pour que je le fasse, car c’était un très gros budget. Et comme ça allait se tourner au Japon, j’étais le candidat idéal ! J’ai passé quelques entretiens avec les exécutifs, et je leur ai envoyé toute une liste de notes pour modifier le script. Je suis quelqu’un de très direct, et je leur ai dit que ça ne me gênait pas forcément qu’un film américain puisse offrir une vision un peu caricaturale du Japon. En revanche, je ne pouvais pas faire ça moi-même ! Le scénario ne semblait pas du tout se dérouler au Japon, et je ne voulais pas manquer de respect à mon propre pays. Je leur ai donc suggéré plein de changements et j’ai même travaillé sur quelques story-boards, notamment pour la séquence finale. Je pensais avoir obtenu le job, mais il faut savoir qu’à Hollywood, il y a toujours plusieurs chevaux. Le studio a son réalisateur préféré, le producteur a le sien. Parfois, la star a son réalisateur préféré ! Tout cela est très politique. Au bout du compte, quelqu’un a tranché, et pas en ma faveur. Ils ont dit :

    « On a un script prêt à tourner, l’argent est à la banque, pourquoi devrions nous écouter les idées de ce metteur en scène ? »

    Mon agent a été très déçu, mais je lui ai dit :

    « Franchement, il doit bien y avoir quelque chose qui me corresponde davantage ! »

    Et juste après, j’ai décidé de quitter cette agence. Ce n’était pas la bonne adresse pour moi : ils m’avaient fait tourner en rond pendant un an, pour rien. Or à Hollywood, on ne quitte pas son agence comme ça ! Ça ne se fait pas. C’était sans doute une mauvaise décision, mais tant pis. Et entre nous, personne n’imaginait que Fast and Furious allait devenir un phénomène mondial quelques années plus tard. Si j’avais su, j’aurais accepté le job sans négocier ! J’aurais dit :

    « Oui bien sûr ! Aucune note ! Je filme ce script tel quel ! »

    Au lieu de ça, je me suis retrouvé tout seul. Une amie américaine m’a engueulé :

    « Tu es barge ? Qui va t’envoyer des scripts ? Qui va organiser les rencontres ? »

    Je lui ai dit que je trouverais un moyen… et c’est ce qui s’est produit quelques semaines plus tard. Je devais me rendre au Comic-Con de San Diego pour présenter une projection d’Azumi. Là-bas, je rencontre un gars qui est fan de mon travail. Il se présente en me disant qu’il est l’un des producteurs de la série Afro Samurai. Wow ! Génial ! Il me dit qu’il veut me présenter au créateur de la série Takashi Okazaki. Il poursuit :

    « Vous savez, Samuel L. Jackson ne devrait pas tarder à arriver, ce serait super que vous puissiez le rencontrer. »

    Il passe un coup de fil à la manageuse de Jackson, qui lui demande de lui répéter mon nom. Elle dit :

    « Très bien, je vais en parler à Sam »,

    et elle raccroche. Mais quelques secondes plus tard, elle rappelle :

    « Est-ce bien le réalisateur de Versus, Azumi et Godzilla: Final Wars ? Sam arrive tout de suite ! »

    Incroyable. On nous présente et Sam me pose un million de questions.

    « Comment avez-vous fait ce plan à 360 degrés dans Azumi, comment avez-vous réalisé telle ou telle scène dans Versus ? »

    On passe une super soirée, et à la fin, Sam dit à sa manageuse :

    « Il faut que tu regardes les films de ce type. Ce week-end ! »

    Elle l’a fait et m’a appelé le lundi matin. En fait, elle représentait la société Anonymous Content, qui m’a ouvert ses portes. J’ai signé avec eux et je suis rentré à la maison. Deux mois plus tard, je suis retourné à Los Angeles, et pas du tout pour des raisons professionnelles. Je suis un grand fan de rock, en particulier du groupe Asia. Ils ont organisé une tournée pour la première fois en 23 ans, et j’ai décidé de les suivre le long de la côte californienne pour assister à tous leurs concerts ! Un jour, j’ai appelé ma nouvelle manageuse et je lui ai dit que je suivais Asia jusqu’à dimanche. En gros, je lui ai donné du lundi au vendredi pour m’organiser des rendez-vous ; le samedi, j’ai réservé une place dans un parc d’attractions, et j’ai booké mon avion pour le soir. Le lundi matin, elle a réussi à me caler un premier rendez-vous chez Lakeshore, où j’ai été reçu par le producteur Gary Lucchesi. On a parlé de pas mal de choses, pas d’un projet en particulier, et à la fin il m’a dit :

    « Je crois que j’ai quelque chose pour vous. ».

    Là, il me tend un script et je lis le titre « Midnight Meat Train ». Je lui rends aussitôt en disant :

    « Il s’agit bien de la nouvelle de Clive Barker, tirée des Livres de sang ? Je ne veux même pas lire ça. Je ne peux pas croire que vous ayez un scénario digne de ce monument. C’est un classique, c’est l’Arche, ce n’est même pas la peine d’essayer, vous allez tout dégueulasser, et ensuite vous ferez des remakes, des suites… Je ne veux pas le faire, et je ne veux pas que vous le fassiez. ».

    Il a explosé de rire :

    « Vous savez quoi, on développe ça avec l’équipe de Clive, on est très proches, donc prenez le quand même, lisez le à l’hôtel, et revenez mercredi. Si ça ne vous plaît pas, on trouvera autre chose. ».

    Je l’ai lu le soir même… et effectivement, il y avait du potentiel. Certaines choses ne fonctionnaient pas, mais on pouvait les améliorer. Adaptée littéralement, la nouvelle aurait donné un court-métrage de 20 minutes, et le scénariste Jeff Buhler avait réussi à étirer l’histoire jusqu’à 90 minutes de façon convaincante. Je suis donc retourné voir Gary le mercredi, et je lui ai dit qu’il y avait peut-être quelque chose. Lakeshore était alors une compagnie en pleine ascension. Ils venaient de remporter l’Oscar du Meilleur Film avec Million Dollar Baby et avaient fait fortune avec Underworld.

    J’ai dit que j’étais partant, et Gary m’a invité à revenir deux jours plus tard. Me voici donc de retour le vendredi, et là je dois rencontrer Tom Rosenberg, le grand patron. C’est l’archétype du boss de studio hollywoodien : il a l’air cool et riche. C’est le type qui n’a jamais perdu depuis sa naissance. Tom ne m’a même pas adressé un sourire. Il m’a regardé en silence et Gary, assis à ses côtés, m’a lancé :

    « Peux-tu lui expliquer ce que tu veux faire avec le film ? »

    J’étais un peu vexé par l’attitude de Tom, un peu agacé aussi, donc j’ai répondu froidement :

    « La raison pour laquelle je suis devant vous, c’est que je suis très bon, surtout dans l’horreur, l’action et l’inventivité visuelle. Mais faire juste de l’action et juste de l’horreur ne m’intéresse plus. Ce qui compte le plus pour moi, ce sont les personnages. Ce que j’aime vraiment dans ce script, c’est ce jeune photographe qui veut devenir quelqu’un à tout prix. Ça, c’était moi il y a dix ans. Je n’étais personne, je n’avais pas d’argent, et je disais à tout le monde qu’un jour, je réaliserais des films à Hollywood. Si un gros producteur comme vous m’avait demandé il y a dix ans de tuer un connard et d’enterrer son corps dans le désert en échange d’un poste de réalisateur, je l’aurais fait ! Je comprends ce personnage, et donc je peux faire en sorte que sa trajectoire dramatique fonctionne. »

    Je n’ai rien dit d’autre. Les pitchs à Hollywood, c’est tout une histoire, il y a beaucoup de baratin. Il faut parfois tourner un teaser, montrer des artworks… Moi, je n’avais rien à montrer. Je leur ai dit :

    « Merci pour votre temps, au revoir »,

    et je suis parti. J’étais encore en colère quand j’ai atteint ma voiture. Pourquoi ce type ne m’avait-il pas souri ? J’allais quitter le parking quand ma manageuse m’a appelé :

    « Tu as le job, fais demi-tour. Je n’ai jamais vu un client de passage à Los Angeles pour voir un concert et qui soit reparti avec un contrat en cinq jours ! ».

    Avez-vous eu du mal à vous adapter aux contraintes de la production hollywoodienne ?

    Disons que je me suis vraiment battu pour toutes mes idées, séquence après séquence. Les producteurs n’arrêtaient pas de me dire :

    « Il faut que tu fasses davantage de coverage. Fais des gros plans, fais des plans larges, comme ça on ne sera pas surpris quand il faudra monter. »

    Mais je ne voulais pas découper mon film de cette manière. Voilà pourquoi la première séquence de meurtre est tournée en plan-séquence : au montage, je n’avais pas de plan de coupe pour modifier quoi que ce soit ! Quand j’ai commencé à travailler à Hollywood, j’ai vite compris qu’on était dans un système proche de celui de McDonald’s. Partout dans le monde, vous trouverez une qualité similaire dans tous les McDo. Ce n’est certainement pas de la cuisine cinq étoiles, mais ça se mange. Hollywood, c’est exactement ça. Leur système est formaté, et vous pousse à travailler d’une façon bien précise, en vous couvrant le plus possible.

    Et à la fin, les producteurs peuvent virer le réalisateur sans problème et monter le film comme ils l’entendent, parce qu’ils ont le choix dans les angles de prises de vues ! Je comprends le procédé. Mais sincèrement, qui a envie de connaître l’identité du putain de chef dans la cuisine d’un McDonald’s ? Je me considère comme un « Sushi Chef », et je veux proposer des recettes uniques. Il faut trouver un équilibre quand on bosse là-bas, sinon on a vraiment l’impression d’être à l’usine. Heureusement, les producteurs de Midnight Meat Train m’ont écouté et soutenu. J’ai eu une vraie liberté créative, ce qui est formidable pour une première expérience américaine.

    Bradley Cooper est aujourd’hui une star, mais il était encore relativement inconnu à l’époque de Midnight Meat Train…

    Chez Lakeshore, on m’avait installé dans un grand bureau avec plein de vitres donnant sur un open space. Là-bas, ils appellent ça un « fish tank » : il y a du verre sur 360 degrés ! Au Japon, on n’apprécie pas les lieux trop grands ou trop ouverts. On aime respecter l’espace de chacun. Aux États-Unis, tout le monde peut ouvrir votre porte et venir vous parler. Je n’aime pas ça ! Mais je dois dire qu’un jour, ça m’a quand même aidé. J’étais en train de travailler sur le script dans ce grand aquarium, et j’ai aperçu un type super beau passer dans le couloir. Je suis allé voir la réceptionniste et je lui ai demandé qui était ce putain de bel homme. Elle m’a répondu :

    « Bradley Cooper. C’est un jeune acteur et il a rendez-vous avec Gary. »

    J’ai rencontré Bradley ce jour-là. J’ai tout de suite su qu’il avait un avenir. Après quelques minutes de discussion, Gary et moi l’avons engagé pour Midnight Meat Train.

    Vous avez réalisé en 2018 l’un des segments de l’anthologie Nightmare Cinema, supervisée par Mick Garris.

    Tout est connecté dans ma vie. Quand on a fini Midnight Meat Train, on pensait que le film allait avoir droit à une sortie majeure. Mais il y a eu un scandale chez Lionsgate et la direction a changé du jour au lendemain. Le nouveau patron a tué le film. On était vraiment déprimés : l’ancien distributeur nous avait promis plus de 3000 écrans, à la meilleure période de l’année pour un film d’horreur… On a quand même décidé d’organiser une projection pour l’équipe et les amis. J’ai demandé à mon agent de réserver une belle salle et on a invité tout le monde. Et je crois que c’est Clive qui a invité Mick Garris. Samuel L. Jackson est venu lui aussi, tout le monde a adoré, et à la fin, j’ai donné un petit discours. J’ai dit :

    « Le film aura une vie, et il parlera pour lui-même. »

    On était vraiment très émus. Depuis la scène, j’ai salué tout le monde, un spectateur après l’autre. Et mon regard est finalement tombé sur Mick Garris ! Il a une chevelure très reconnaissable, un look très rock’n’roll. Quand je me suis penché vers lui, il a fait de même, en m’adressant un énorme sourire. Plus tard, je suis allé le voir et je lui ai dit que j’étais un grand fan de son travail. Il m’a répondu :

    « À partir de maintenant, vous faites partie intégrante des Masters of Horror. »

    C’était un honneur ! Nous nous sommes revus assez régulièrement. C’est l’une des rares personnes vraiment gentilles et honnêtes en activité à Hollywood. Je l’adore. À cause de magouilles hollywoodiennes, il a dû arrêter ses séries Masters of Horror et Fear Itself. Il a donc commencé à développer un long-métrage anthologique il y a dix ans, mais le budget a été très difficile à réunir. Les réalisateurs attachés au projet à l’époque n’étaient pas du tout les mêmes. C’est fou de voir à quel point il est difficile de monter un film indépendant, surtout quand on voit tous les étrons préformatés qui arrivent sur Netflix chaque semaine ! Sérieusement, qui finance cette merde ? Bref, le temps a passé, on a eu plein de faux départs, et un jour Mick m’a dit :

    « On le fait enfin, avec Joe Dante, David Slade, Alejandro Brugués et toi ! »

    Il m’a mis en contact avec une scénariste, Sandra Becerril, qui m’a envoyé quelques idées. Une en particulier était complètement folle. Ça commençait dans une ambiance très naïve, et ça partait totalement en couille à la fin ! On formait une sorte d’équipe de baseball ou de football avec les autres réalisateurs. Mick était le coach et moi, j’étais l’attaquant ! Sur Nightmare Cinema, chacun a eu droit à cinq jours de tournage et un budget identique. J’ai proposé d’ouvrir le bal. L’assistant réalisateur était le même pour tous les segments et à la fin, il m’a dit :

    « Ce n’est pas juste. Ton sketch est différent, il y a beaucoup trop d’action et de gore par rapport aux autres ! »

    Justement, c’est pour ça que Mick m’avait engagé. Je ne voulais surtout pas le décevoir ! Effectivement j’avais une énorme scène de combat, et en plus, je devais diriger des gosses et les démembrer à l’écran !

    Or, à Hollywood, il y a une régulation très stricte quand on travaille avec des enfants. Chaque tranche d’âge a le droit de travailler un certain nombre d’heures avant de reprendre les cours. Un jour, je tournais des inserts gore avec l’équipe de KNB. Je leur avais demandé de ramener tous les membres tranchés qu’ils avaient créés pour Kill Bill. Je voulais du sang partout !

    On filmait donc de vraies scènes de cauchemar, dans l’église où John Carpenter avait tourné Fog. À un moment, je suis sorti de l’église remplie de barbaque pour prendre un café, et il y avait tous ces gosses en train de suivre un cours. Sang d’un côté, école de l’autre. Du délire total !

    Votre dernier film, The Doorman, vient de sortir en VOD aux États-Unis.

    Oui, c’est un film d’action à la Piège de cristal, avec Ruby Rose dans le rôle d’une ex-marine qui doit combattre un gang mené par Jean Reno dans un grand hôtel. C’est un concept très simple et une excuse pour réaliser des scènes d’action excitantes.

    À cause de Midnight Meat Train, les producteurs hollywoodiens ont eu tendance à croire que je ne suis qu’un réalisateur d’horreur. J’ai donc voulu leur montrer autre chose. On m’a proposé The Doorman il y a cinq ans, juste après la sortie de Lupin the Third. À l’époque, c’était Katie Holmes qui devait tenir le rôle principal. On a construit les décors, mais comme souvent à Hollywood, le budget s’est effondré juste avant le tournage. Un an plus tard, le producteur est revenu vers moi en me disant qu’il relançait la machine, mais Katie Holmes n’était plus disponible, et on a dû de nouveau attendre. L’année dernière, j’ai casté Ruby Rose, et ça a débloqué la situation.

    On a filmé à Bucarest, dans une ambiance très différente des tournages habituels. Ruby a été incroyable, et j’ai eu la chance de travailler avec Jean Reno, qui est une légende au Japon. Je me suis aussi entouré de techniciens qui me suivent depuis mes débuts ; par exemple, le caméraman principal était déjà présent sur Versus, Azumi et Godzilla: Final Wars. Manque de pot, la sortie en salles de The Doorman a été annulée en raison du coronavirus… Faire du cinéma, c’est un défi sans fin.

    SOURCE: Alexandre Poncet (Mad Movies) 14/10/2020

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    INTERVIEW & PHOTO: JEREMIE MARCHETTI

    Western psyché qui aurait chuté dans un pot de peinture, odyssée femme/femme qui patauge dans la gadoue et dark fantaisie aux couleurs du crépuscule, After Blue de Bertrand Mandico (en salles le 16 février) se fraye enfin un chemin dans les salles à pas de loup. Et comme il est de coutume, nous avons voulu tout savoir ou presque sur ce qu’il y avait avant le bleu… et après.

    After Blue et Conan la Barbare (toujours en cours) ont traversé deux années très mouvementées. Tout cela a t-il pu se passer comme prévu ou as-tu rencontré quelques embûches?

    Des embûches inhérentes au cinéma, mais j’ai tourné After Blue in extremis juste avant le premier confinement. Cela correspondait à ma période de montage, on a plongé en apnée dans les images, sur une autre planète. Ça n’a pas empêché certaines péripéties humaines durant le montage.

    Comme tout le monde, j’ai mal vécu le confinement, du moins j’ai été oppressé par le contexte mortifère et l’autoritarisme qui s’est mis en place. Je m’évadais dans ma fantaisie d’anticipation: surpris de voir des liens assez forts entre ce qu’on était en train de traverser et le sous-texte de mon film (virus, écologie, repli communautaire etc.). La vague suivante, c’était durant les finitions d’After Blue et… la gestation du projet Conan la Barbare.

    Là, malgré des répétitions et la construction de décors au Théâtre des Amandiers, sa représentation théâtrale – l’acte 1 du projet, avant le film – a été finalement rendue impossible (en plein 2ᵉ confinement). Le projet s’est transformé en corpus de films. Avec toujours d’étranges échos avec «l’actualité». Je viens de finir de tourner la partie long-métrage de Conan la Barbare et je suis à nouveau en montage, pour un long moment. Donc on peut dire que j’ai eu la chance de pouvoir m’enfouir dans le travail de manière compulsive, dans des mondes fantaisistes qui rentraient étrangement en résonance avec ce que l’on vivait.

    Tu évoques le tournage de After Blue un peu comme ton Apocalypse Now…

    Les lieux de tournages étaient très complexes: on a pourtant tourné en France, en Aquitaine, mais en hiver, en extérieur, dans les endroits les plus sauvages que j’ai pu trouver à une période où la météo était vraiment déchainée. Sur des plages balayées par des fortes intempéries, des forêts avec des pluies diluviennes, dans des anciennes carrières d’ardoises tranchantes jonchées de fosses abyssales, dans des gorges englouties par les eaux; bref, là où on évite de mettre une caméra, une équipe et surtout des actrices…

    On s’appuyait sur des décors préexistants difficiles d’accès, pour y ajouter des constructions extra-terrestres. Nous étions comme sur un bateau ivre pris dans notre océan filmique. Il y a eu aussi les difficultés financières inhérentes à un film d’auteur qui a obtenu des financements de films d’auteurs, et il a fallu alors démultiplier les idées, décupler l’énergie des interprètes, des équipes techniques pour être à la hauteur de nos ambitions. Inventer un prototype onirique. La prise de risque fut énorme pour tout le monde.

    Et justement par rapport à ces restrictions, est-ce que tu as dû sacrifier un peu certaines visions d’After Blue, qu’il s’agisse de paysages ou de créatures, ou au contraire tu as choisi d’aller plus du côté de l’évocation?

    J’ai fait des arrangements avec mon imaginaire et j’ai surfé sur l’impossible. Vu que je n’aime pas recourir à de la post-production pour les effets, tout devait se matérialiser au tournage, sans gommer les fils ou autres coutures. Il a fallu faire en sorte que ça fonctionne, que la sauce prenne, que l’univers s’incarne de façon viscérale. Je me suis contraint par endroits et déployé par ailleurs. J’ai créé un dogme esthétique et ça m’a aidé à trouver la teneur et le rythme du film.

    After Blue a pris le contrôle sur nous tous, le film nous dictait sa loi, il nous a englouti. Nous étions tous sur comme une autre planète. Je suis passé par des moments de doute absolu et des états seconds étourdissants durant la fabrication, surtout la première partie, de tournage en extérieur. Le travail était intense, exigeant. Lorsque l’on est passé en studio (des entrepôts dans la campagne briviste, que l’on surnommait Ecce-citta), il a fallu reproduire et prolonger des extérieurs, les raccorder avec ce que l’on avait filmé, comme le village par exemple…

    Le jeu étant de créer un univers cohérent, exubérant, singulier et jamais parodique. Le film ne cesse de jongler entre studio et décors naturel travaillé, le tout dans la recherche d’une fluidité…

    Après Living Still Life et Ultra-Pulpe, c’est la troisième fois que tu tournes en Scope.

    Pour Living Still Life, c’était un vrai Scope anamorphique, là, c’est ce qu’on appelle le Scope du pauvre, on utilise la moitié du photogramme 35mm, deux perforations, comme le faisaient les Italiens. Format que j’avais utilisé pour Ultra-Pulpe, Extazus et ensuite pour Conan. C’est un format que j’ai appris à aimer, même s’il me donne du fil à retordre pour cadrer. Orson Welles disait que le Scope était juste bon pour filmer les serpents, il avait raison…

    Et je m’évertue à chercher la part reptilienne qui sommeille dans les personnages, les visages, les corps, j’aime les filmer qui glissent et rampent dans les décors, les voir perdre leur mue… C’est le format du sommeil, du rêve et de l’érotisme: ça oblige les acteurs et les actrices à se coucher pour être de plain-pied.

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    Il y a les renvois à Zulawski, et plus particulièrement à son film de SF Sur le globe d’argent, aux peintures de Beksiński, la nationalité des personnages de Roxy et de Kate qui est mise en avant… Est-ce qu’After Blue était pensé comme une lettre d’amour à la Pologne et à sa culture?

    Ce fut surtout le cas avec Boro in the Box, la Pologne irriguait le film. Mais pour After Blue (Paradis Sale), ça reste inconscient. J’ai bien sûr invoqué le fiévreux Sur le Globe d’argent, le cinéma de l’Est et ses visions, en poussant l’Est jusqu’au Japon… Ce qui m’intéresse, c’est la convocation d’une imagerie fantaisiste atypique. Oublier l’académisme nord américain et les lieux communs de la SF qui sclérosent l’imaginaire. Je suis allé voir ailleurs pour m’ouvrir l’esprit, chez Zulawski et Has en Pologne, Fassbinder en Allemagne, Tarkovski et Klimov en Russie, Kobayashi et Miyazaki au Japon…

    De la même façon, je trouvais primordial qu’il y ait des personnages, venus d’ailleurs, assumant leurs accents pour éviter l’idée d’une autarcie française, rance et malvenue. Rien de plus beau qu’un accent, il témoigne d’une non-appartenance, d’un déracinement. Les déracinés font avancer le monde, les enracinés l’empoisonnent. Et sur une autre planète le déracinement est absolu.

    Ce qui me fait penser à une référence pour After Blue: un film tchèque, Fin Août à l’Hôtel Ozone (Jan Schmidt, 1967)
    Il y est aussi question de femmes déracinées, errant dans un monde apocalyptique, dans la nature sauvage, sans hommes, avec une esthétique proche du western. Un très beau film en noir et blanc, malheureusement méconnu. J’avais aussi en tête deux cinéastes anglais, John Boorman et Nicolas Roeg, qui sont des cinéastes que j’affectionne tout particulièrement et qui ont chacun dans leur style abordé la fantaisie et la science-fiction de façon panthéiste et iconique.

    Pour le personnage de Kate Bush, tu es allé chercher Agata Buzek, qui a une présence très forte, très étrange, presque reptilienne. Quel a été ton cheminement pour ce personnage, qui ne ressemble justement pas du tout à la chanteuse?

    Il fallait que ce soit un personnage aussi inquiétant que fascinant, que l’on puisse basculer dans son regard, comme dans un puits, qu’on comprenne l’attraction et la terreur que l’héroïne ressent pour elle. Je voulais un type de beauté vénéneuse : mon cahier des charges c’était Bowie, Kinski, Veruschka… J’ai beaucoup cherché, j’ai vu beaucoup d’actrices intéressantes: il a même été question que ce soit Julia Lanoë/ Rebecca Warrior (qui a fait des essais extras).

    Quant à Agata, je l’avais rencontré bien avant, je l’avais vue dans des pièces de Warlikowski, je n’avais plus de nouvelles et elle est revenue vers moi au moment où il fallait que je tranche, ç’a été une évidence au moment des essais, elle a une puissance extra-terrestre. Un jeu énigmatique avec un tempo très atypique. Elle fait d’ailleurs une «Conan» assez terrifiante dans Conan la Barbare.

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    C’est un personnage qu’on sent volontairement mystérieux, assez pour provoquer ce sillage de fantasmes qu’elle laisse derrière elle…

    Elle devait impressionner durablement. Le vrai patronyme du personnage est Katharina Buschkowsky… Kate Bush est un diminutif qui résonne de façon déroutante, dans l’esprit du spectateur, un résidu de la culture pop dans un monde lointain. Le personnage est une figure qui emprunte à des personnages de la mythologie ou des contes: la Sphinge vorace parlant par énigme ou le génie cruel accordant trois souhaits à qui le délivrera de son enfermement. Kate Bush se sent porteuse d’une mission, surnaturelle, mais dans le fond, son ambition destructrice la rend terriblement humaine.

    C’est un personnage composé de nombreuses strates, tout comme le film… dans lequel sommeille un film fantôme… Elle, elle a un pied dans le monde des morts. À l’origine, il y a quelques années (plus de 17 ans), j’avais écrit un western avec tous les personnages présents dans le film, la même intrigue, la même dynamique, mais à l’opposé du point de vue de la représentation sexuelle. Il n’y avait que des hommes et une seule femme, et celui qui devait incarner le personnage de Kate Bush était Guillaume Depardieu, intense et très engagé dans le projet. Il y avait aussi Katerina Golubeva, qui était une amie. Nous avions fait des essais, je voulais lui faire jouer le rôle principal d’un homme, elle était époustouflante en garçon. Il y avait également Tina Aumont, Maurice Garrel…

    Bref, mon projet a tardé à se faire, j’ai vu quasiment toute la distribution disparaitre, toutes ces personnes que j’aimais beaucoup. Il y a donc eu le deuil d’un projet, le deuil d’acteurs inspirants. Je pensais ne jamais réaliser ce film. Puis, après Les garçons sauvages, j’ai opéré une mutation du script, la transposition du récit dans un monde de fantaisie, de SF aux allures de western au féminin. Malgré le changement de sexe de tous les personnages, je n’ai pas modifié d’un pouce leurs personnalités, c’était très important pour moi ce côté transgenre, en conservant les mots et les caractères initiaux. La nouvelle strate du film, et non la moindre, fut la présence du monde des morts dans le film. Avec tous les fantômes de l’ancien projet, je ne pouvais pas faire autre chose que construire une Chambre verte.

    Il y a un autre personnage qui impressionne dès son entrée, tellement qu’on imaginerait presque un film bien à elle: c’est Veronica Sternberg (incarnée par Vimala Pons). Elle m’évoque beaucoup Sasori et Marilu Tolo dans le Barbe-Bleue de Dmytrik…

    Les vrais modèles sont Josef Von Sternberg et surtout Leonor Fini, peintre sorcière, diva croqueuse d’hommes, toujours affublée de tenues excentriques et de chapeaux surréels. Elle vivait ses étés recluse dans un ancien monastère corse, accessible qu’en bateau. C’est vraiment elle que j’ai convoquée pour créer le personnage de Vimala. La femme Scorpion aussi pour l’austérité de la grande silhouette noire et son chapeau porté comme une vague mortelle, mais aussi les manteaux en fourrure du Grand Silence.

    La fourrure me fait penser d’ailleurs aux westerns américains dépressifs et tardifs, qui m’ont marqués, avec ses beautiful losers, comme ceux dans McCabe & Mrs. Miller, mais c’était plus une référence pour le personnage d’Elina. Veronica Sternberg tient donc aussi son nom de Josef Von Sternberg. Comme lui, elle est artiste incandescente, insupportable pour certains, ambiguë pour d’autres. Von Sternberg enfermait ses héroïnes fatales aux destins brisés dans des décors baroques. Veronica enferme sa/son muse dans son monde. Vimala a su incarner ce personnage iconoclaste avec brio et émotion.

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    Chose assez rare au cinéma, il y a deux voix-off qui se chevauchent, celle de Paula Luna et celle, toujours très marquante de Nathalie Richard, qui est une actrice qu’on a toujours entendu/vu trop peu à mon sens.

    Pour moi, c’est une héritière de Delphine Seyrig, mais Nathalie reste unique. C’est une personnalité très forte, charismatique et c’était important d’avoir cette voix hypnotique en ouverture du film. Et construire le off sur la forme de l’interrogatoire, pour casser l’archétype usuel de la voix off. Dans le film, Nathalie, c’est «la vérité»: on ne sait pas d’où elle vient. Est-ce un juge dans le monde des morts, une intelligence extra-terrestre, une autorité terrienne, ou est-ce un produit de synthèse comme HAL?…

    Dans le choix de cette voix, il y a aussi le souvenir de Max Von Sydow au début de Europa, avec cette hypnose vocale et ferroviaire… Mais l’hypnose passe aussi par la succession de visages féminins, jusqu’à celui de Paula Luna. Qui va accrocher les esprits, par son jeu, sa candeur. Je voulais une actrice capable de regarder le spectateur dans les yeux, une actrice inconnue donnant l’impression d’avoir toujours existé. Paula a une énergie de vie et une jeunesse qui emportent le récit. Là où Elina joue dans un tout autre registre, mère courage/père lâche, engageant son corps dans l’aventure, nimbant son personnage d’humour désespéré, déroutant, marchant au bord du mélodrame, comme on marche au bord d’un précipice.

    Alors que la SF va toujours plus vers une représentation de plus en plus aseptisée, After Blue revient vers une vision plus organique qui était très répandue durant la génération Métal Hurlant. Déjà au moment de Ultra-Pulpe, tu parlais de revenir vers une SF sans ordinateurs.

    Donner des visions futuristes, sans les machines qui encombrent nos esprits, nos mains, nos yeux et nos oreilles. Les machines vont sans doute devenir obsolètes, parce qu’on sera passé à d’autres formes de technologies, on aura des données effervescentes, buvables ou à inhaler. Les jeux chimiques seront directement connectés à nos organes. La communication se fera sans avoir tenu un écran entre les doigts, mais juste en battant des paupières… Ou alors, on sera dans le rejet total des technologies.

    Qui sait, mais pourquoi se contraindre à imaginer une technologie encombrante. Je voulais m’affranchir de certains éléments qui alourdissent les films et font patiner la narration dans un encombrement de données, du techno-verbiage… Et puis il y a l’envie de revenir à l’origine de la SF, ou du moins la SF moderne des années 70. Et son formalisme qui découlait du surréalisme, de l’abstraction ou du symbolisme.

    On voit l’influence des paysages de Max Ernst chez Ballard ou des peintures de Gustave Moreau chez Druillet. Toute cette génération de dessinateurs, d’écrivains, s’est nourrie de l’imaginaire des avant-gardes pour faire exploser l’univers visuel de la SF et ouvrir la porte des visions oniriques. Tout cela a fini par se codifier, dériver se rétrécir et créer une doxa. Quand on voit des films de SF aujourd’hui, il y a toujours les mêmes vaisseaux spatiaux qui passent au-dessus de la caméra avec les mêmes réacteurs…

    Il y a souvent des variations dans le design, mais on reste sur les mêmes figures imposées. J’ai voulu jouer avec la SF, en la combinant avec des influences plastiques contemporaines, le western, l’heroic fantasy, fuir au maximum certaines figures de styles, renouer avec un cinéma trip sensoriel, émotionnel, sexué, le moins «netflixé» possible.

    Tes films sont essentiellement dominés par des actrices. Est-ce que, sans doute comme tu l’avais projeté pour ton western fantôme – T’imagines-tu ne diriger que des comédiens masculins?

    Je n’ai pas fait le vœu de filmer uniquement des actrices. Mais il est vrai que je me suis toujours rêvé, non pas comme un acteur, mais comme une actrice. J’en tire une fascination très Camp, mais un Camp romantique et 1er degré, pas le Camp de l’ironie grotesque. Ce qui me touche chez les actrices: c’est cette idée qu’il est inscrit dans leur ADN artistique, que tout sera toujours plus difficile pour elles que pour les hommes et que leur carrière sera peut-être plus éphémère, car les rôles intéressants proposés aux actrices murissantes se réduisent comme une peau de chagrin.

    Donc, il y a ce plaisir, pour moi, de leur offrir des rôles atypiques, autres, de jouer avec leur image, leur tragédie et autodérision, les transformer de film en film… Mais je ne veux pas faire de généralités, et il y a plein d’acteurs qui me touchent, que je considère d’ailleurs comme de grandes actrices !

    La BO des Garçons Sauvages avait quelque chose de vaporeux, magique et menaçant. Pour Ultra-Pulpe, on était un peu dans l’explosion mélancolique. Mais ici, il y a un sens de l’épique et du grandiose qui détonne totalement. Quelles étaient tes indications à ton compositeur Pierre Desprats?

    Chaque film est un prototype et l’idée avec Pierre était d’aller vers une musique qui pouvait supporter une fresque épique et ésotérique. Donner corps à la planète, au monde des morts, au désarroi des personnages, à leurs pulsions, magnifier les rencontres. On passe avec Pierre par des étapes contradictoires lorsque l’on travaille ensemble, il y a des fausses pistes, des recherches multiples, avant de s’accorder sur le style musical. Je vois la musique comme de l’eau, une rivière qui vient couler sur les roches que sont les plans et qui emporte le spectateur.

    Je donne à Pierre bien sûr des références musicales: musique de films, westerns, morceaux classiques et tubes pop. Ou des indications rythmiques pour certaines séquences: Boléro, montée des chœurs, percussions, le souvenir d’une intro sur un morceau italien… Je démonte sa musique au montage son et Pierre reprise ensuite, réorchestre le tout.

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    Tu joues pas mal avec la pilosité de tes personnages féminins, qui se rasent le cou comme on se taille la barbe. Il y avait une volonté de se moquer un peu du côté très hygiénique des films de sf ou de post-nuke? Des diktats actuels aussi?

    Le poil était très présent dans les western italiens, on peut même dire que le poil et la dilatation des séquences de duel, ont marqué la rupture formelle entre le western européen et le western made in USA. Je voulais que les personnages aient une pilosité extra-terrestre sur After Blue. J’ai eu l’idée de poils qui pousseraient à l’intérieur du corps des hommes (provocant leur mort) et ne pousseraient que dans le cou, ou de façon outrancière sur un bras, une épaule chez les femmes sans pouvoir y remédier.

    Il n’y a que les «porteuses d’ovaires» qui survivent sur cette planète aux règles arbitraires et injustes. J’ai commencé à réfléchir à une esthétique du poil inédite, presque comme un bijou, une ornementation… Les parures de poils viennent se perdre dans les fourrures que portent les personnages. L’alternance de glabre et d’îlots de poils est toujours très troublant, comme un jardin à l’anglaise. Je trouve le poil, beau, progressiste, vecteur de possibilités esthétiques et libertaires, tout autant notre part animale que végétale. Il irise la lumière alors que la peau boit la lumière. Et le corps doit pouvoir se montrer et être goûté, assumé dans tous ses états. Ce qui importe pour moi, c’est de casser les conventions esthétiques et les diktats du genre.

    SOURCE: Chaos Reign.fr

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    @Violence a dit dans [ARCHIVE WS][INTERVIEW ÉCRITE] Membre expérimenté de la scène Warez Underground :

    @Gerard a dit dans [ARCHIVE WS][INTERVIEW ÉCRITE] Membre expérimenté de la scène Warez Underground :

    Ça date de quand tout ça ?

    C’est noté au début du post 😉

    Oups sorry merci.

    Si en effet ça devait être la fin du monde. Les Mayas l’avaient prédit.
    Pas étonnant qu’ils soient éteint en fait … 😂