L’archéologie devient galactique
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Reconstituer l’histoire de notre Voie lactée, du Big Bang à nos jours : c’est l’objectif, désormais à portée d’instruments, de l’archéologie galactique.
« Une nouvelle page de l’astronomie s’ouvre. » C’est ainsi qu’en 2016, l’astronome François Mignard, responsable scientifique de la mission Gaia, commentait la publication de son premier catalogue de résultats. À l’époque, le télescope spatial Gaia avait déjà permis d’établir avec une précision inégalée la luminosité, la distance et la vitesse relative d’environ 1 milliard d’étoiles. Lors du dernier catalogue, publié en juin 2022, l’inventaire ne comprenait pas moins de 1,8 milliard d’étoiles.
Mais à quoi servent toutes ces données ? À se repérer dans la Voie lactée, certes, mais aussi à comprendre pourquoi ces étoiles sont là. « Notre galaxie, telle qu’elle est aujourd’hui, a commencé à se former il y a environ 13 milliards d’années, raconte Alejandra Recio-Blanco (1), astronome à l’Observatoire de la Côte d’Azur. Ce que nous voulons savoir avec Gaia, c’est ce qu’il s’est passé au cours de son histoire, comment nous en sommes arrivés là. » À l’instar de l’archéologie terrestre, l’archéologie galactique se fixe ainsi pour but de remonter le temps pour comprendre l’évolution de la Voie lactée et reconstituer l’apparence qu’elle avait il y a des milliards d’années.
De la cosmologie à l’archéologie galactique
Les grands télescopes comme l’observatoire W. M. Keck, Hubble, ou plus récemment le James-Webb, qui parviennent à observer des galaxies très lointaines, ont commencé à donner un aperçu de ce à quoi ressemblait l’Univers peu de temps après le Big Bang.
Le modèle cosmologique standard propose quant à lui le scénario d’un Univers à l’origine très dense, en expansion et à l’intérieur duquel la matière se serait condensée sous l’effet de sa propre gravité, finissant par former étoiles et galaxies. Mais ce tableau général ne permet pas d’expliquer comment on en est arrivé à des galaxies spirales semblables à la nôtre.
« Ces modèles ne sont pas suffisamment précis, et l’archéologie galactique, notamment via les découvertes de Gaia, a ajouté de la complexité à cette image simpliste, précise Alejandra Recio-Blanco. Dorénavant, nous pouvons étudier l’évolution d’une galaxie, la Voie lactée, avec une grande précision. »
Et Gaia a quelque peu chamboulé ce que l’on pensait savoir. « Le satellite a un tel degré de précision que nous pouvons retracer les mouvements des étoiles, explique Nicolas Martin, de l’Observatoire astronomique de Strasbourg (2). Nous pouvons ainsi identifier des groupes d’étoiles qui vont dans la même direction, ce sont des courants stellaires. Ensuite, il faut tout un travail d’orpaillage, de modélisation, pour savoir d’où viennent ces courants et retracer la formation de la Voie lactée. »
Reconstituer l’écheveau des courants stellaires
Les résultats de ces travaux ont montré qu’il n’y a pas eu une bouillie post-Big Bang suivie de quelques milliards d’années de calme, mais une évolution constante qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. Bref, la Voie lactée connaît encore des transformations subtiles au gré des courants stellaires. Pour réussir à reconstituer cette histoire galactique, il faut étudier un nombre considérable d’étoiles. « On ne pourrait pas retracer l’histoire de France en ne s’intéressant qu’à une dizaine de personnes ! », plaisante Alejandra Recio-Blanco. Gaia, qui a déjà pu observer 2 % des étoiles de la Voie lactée, est ainsi capable de révéler des événements et des structures du passé qui avaient jusqu’à présent échappé aux astronomes.
Parmi eux, la découverte en 2018 de la galaxie Gaia-Enceladus. D’une masse similaire à celle du Petit Nuage de Magellan, elle s’est mélangée à la Voie lactée il y a une dizaine de milliards d’années, ce qui a bouleversé l’architecture et l’évolution de notre galaxie. « Cela a constitué un événement majeur dans l’histoire de la Voie lactée, affirme Alejandra Recio-Blanco. Sans savoir ça, nous ne pouvons pas comprendre notre propre galaxie. » Plus de dix ans après la mise en orbite de Gaia, le nouveau portrait biographique de notre galaxie demeure imprécis, mais on y discerne de mieux en mieux les différents courants stellaires qui s’y sont amalgamés pour former la Voie lactée telle que la connaissons.
À la poursuite des étoiles reliques
Les astronomes-archéologues ne s’intéressent pas qu’aux mouvements des étoiles, ils en traquent également les reliques les plus anciennes. Une quête que Nicolas Martin mène avec le projet Pristine. « Nous cherchons les plus vieilles étoiles de notre galaxie. Elles sont difficiles à trouver car très rares, mais elles ont quelques caractéristiques intéressantes. »
Pour repérer ces astres, Pristine s’appuie depuis une dizaine d’années sur le télescope Canada-France-Hawaï à Mauna Kea. En effet, celui-ci dispose d’un filtre bien particulier qui lui permet de connaître la métallicité des étoiles observées (soit leur teneur en éléments plus lourds que l’hélium), une donnée cruciale pour déterminer leur ancienneté. « Peu après le Big Bang, il n’y avait aucun atome plus lourd que l’hélium dans l’Univers. Les autres éléments ont été apportés plus tard, avec l’explosion des premières étoiles qui ont répandu ces matériaux formés dans leur cœur, détaille Nicolas Martin. Ce qui veut dire qu’une étoile apparue plus récemment aura un peu plus de métaux dans sa composition qu’une plus ancienne. C’est ainsi qu’on arrive, à peu près, à définir l’ancienneté d’une étoile. »
En dix ans d’activité, le programme Pristine a pu observer des millions d’étoiles parmi lesquelles plusieurs centaines affichent un taux de métallicité si faible qu’elles semblent être nées dans les deux premiers milliards d’années de l’Univers, ce qui en fait des reliques exceptionnelles.
Le but est de coupler ces trouvailles avec les données de Gaia pour retracer leur parcours et comment ces premiers ensembles ont fini par capturer d’autres courants stellaires. « Grâce à ces “fossiles”, nous avons une fenêtre sur ce lointain passé, ajoute Nicolas Martin. Nous commençons à dessiner les débuts de la Voie lactée, même s’il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir. »
Collision en cours
Retracer toute l’histoire de notre galaxie, des premières étoiles jusqu’à son architecture actuelle, reste en effet un horizon encore lointain en dépit des progrès impressionnants accomplis depuis le lancement de Gaia. « Ce que nous savons désormais, résume Alejandra Recio-Blanco, c’est que la Voie lactée n’est pas un espace fermé. Nous sommes en permanence influencés par notre environnement, même à l’échelle galactique. »
Dernière illustration de ce phénomène : le disque galactique qui oscille légèrement de haut en bas, comme une mare sur laquelle on a jeté un caillou. Cette oscillation, mise en lumière grâce aux données de Gaia, serait due au passage de la galaxie naine du Sagittaire, un ensemble large de 10 000 années-lumière qui est en train de « tomber » dans la Voie lactée. Chaque passage de cette galaxie satellite, découverte il y a à peine trente ans, perturbe le disque galactique et provoque des vagues de formation d’étoiles. Gaia est loin d’avoir fini sa mission, et le dernier catalogue de données paru en octobre dernier ne comprend que les 34 premiers mois de sa mission. Les archéologues galactiques ont encore des années d’observation d’étoiles à analyser, et la Voie lactée n’a pas fini de livrer les secrets de son histoire mouvementée.
- (1) Laboratoire Joseph-Louis Lagrange (CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur/Université Côte d’Azur).
- (2) Unité CNRS/Université de Strasbourg.
Source: https://lejournal.cnrs.fr/articles/larcheologie-devient-galactique
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J’admire ces gens qui essaient de cartographier l’univers, l’inventorier serait peut-être un terme un peu plus juste, et encore, vu que plus ce que nous voyons est loin, plus c’est ancien et faux, les étoiles que nous voyons ne sont plus à la même place, ont évoluées ou sont disparues, d’autres se sont formées…
La navigation intergalactique, si elle était possible, serait un vrai casse-tête, les anciens navigateurs se repéraient aux étoiles ou au champ magnétique de la terre, mais les galactonautes (si j’ose dire), comment feraient-ils ? Avec des cartes spatio-temporelles ?
Les futurs explorateurs de galaxy city ont du pain sur la planche, n’est-ce pas mon petit Valérian ?
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Ce sont les prémisses des premiers cartographes spatiaux. Comme nous somme tout à fait capable de savoir où étaient les étoiles dans les temps anciens, l’on peut imaginer que les cartes spatiales pourront aisément extrapoler l’emplacement des corps célestes de notre galaxie quand on en aura besoin, si on en a besoin un jour. Faut bien que l’Entreprise sache où aller
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j’étais gamin la première fois que je suis entré au planetarium du palais de la découverte
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J’adore les planétariums @Mister158 et les télescopes…
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Rien n’est certain, mais l’histoire de l’Univers telle qu’on pense la connaitre actuellement pourrait être remise en cause.
Les dernières observations effectuées par James Webb sèment un peu le trouble dans le milieu de la cosmologie.