Nutella, le revers de la tartine ou le désastre écologique
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Comment Nutella a grignoté mon village
Pour répondre à la demande mondiale en Nutella, la belle région du nord de Rome s’est couverte de champs de noisette à perte de vue. La narratrice relate l’histoire de son village, entre cultivateurs acquis à Ferrero et habitants à qui soudain, on déconseille formellement de se baigner dans le lac d’à côté…
Tout a commencé il y a une dizaine d’années. Tout à coup, dans mon village italien dont je tairai le nom, un sujet s’est imposé: il veleno (le poison), ces pesticides pulvérisés chaque année sur les noisetiers alentour en mai, juin et juillet. L’ennemi à détruire s’appelle cimice en italien – la punaise verte en français, Palomena prasina de son nom scientifique –, un ravageur des cultures à la carapace vert vif. Avec les stylets acérés, la punaise perce au printemps des trous dans la coque encore molle des jeunes noisettes et en aspire la sève. Elle peut se nourrir des graines de plantes les plus diverses, mais c’est la noisette qu’elle préfère. Cela tombe bien: il n’y a presque plus que des noisetiers dans ma région, le haut Latium, à une soixantaine de kilomètres au nord de Rome.
Des noisettes à perte de vue
C’est une monoculture toujours plus avancée, avec des rangées interminables d’arbustes de plusieurs mètres de haut, qui a presque entièrement fait disparaître la mosaïque italienne de champs de blé, de coquelicots et de bleuets, de vignobles et d’oliveraies clôturés, de bocages ponctués de haies et de taillis, de plantations de tabac, de moutons en transhumance, de jardins potagers, de terrains avec de vieux cerisiers et de fermes orangées éparses. C’est comme si un tapis de noisetiers avait été déroulé sur la magnifique campagna romana.
Tous, vraiment tous les moyens étaient permis dans la lutte contre la cimice, nous expliquait-on d’un air grave à nous, les ignorants – c’est-à-dire les quelques habitants du village qui ne sommes pas cultivateurs de noisettes. La cimice était l’ennemi juré qui menaçait l’or brun de notre région. La moindre noisette sur laquelle la punaise diabolique se posait est soudain devenue une calamité. Cela donne une tache sombre sur lacoque et un goût amer désagréable , ça, personne ne le conteste. Mais il en a toujours été ainsi et cela ne se sentait pas, dans l’avalanche de noix qui sont mélangées, hachées, moulues, pressées et transformées en gourmandises traditionnelles à base de noisettes dans toute l’Italie – tozzetti que l’on trempe dans le vin, biscuits, gâteaux, crèmes glacées, torrone à Noël, crèmes aux noisettes, pâtes à tartiner au chocolat et bien d’autres choses encore.
«La» Ferrerro, institution nationale
Mais depuis que «la» Ferrero porte un intérêt brûlant aux noisetiers de notre région, une noisette percée semblait être la plus grande catastrophe qui puisse se produire. Oui, le nom du géant du nord du pays qui produit le Nutella est précédé ici d’un «la» de déférence, comme s’il s’agissait de «la» Loren, l’actrice nationale (Sophia Loren, ndlr.). De fait, le petit insecte vert est devenu une obsession. Car la Ferrero a ses méthodes brutales de contrôle par échantillonnage à l’aide d’un appareil qui ressemble à une guillotine. Bam! Une ou deux noisettes avec une tache sombre et tout votre lot, pour lequel vous avez trimé dans les champs pendant des mois et engagé des dépenses importantes, perd d’un coup sa valeur. Des milliers d’euros partis en fumée.
Ce sont les règles implacables de la Ferrero, et personne ne songe à s’y opposer. Il est ainsi devenu «nécessaire», disent les agriculteurs, de pulvériser au printemps d’énormes quantités de poison sur les noisetiers en cours de bourgeonnement, sans quoi la Ferrero refuse ces noisettes. Le poison s’ajoutait aux engrais et aux herbicides déjà utilisés en abondance, dont l’effet était manifeste au pied des buissons. L’herbe a presque complètement disparu et la terre nue était dure comme du béton – des conditions idéales pour la récolte, car les noix mûres tombées au sol peuvent ainsi être facilement aspirées. Cela se fait à l’aide d’aspirateurs géants, et les nuages de poussière qu’ils soufflent dans l’air restent suspendus au-dessus du paysage comme des champignons atomiques pendant les mois de récolte, en août et septembre.
«Ah, ils ont encore pulvérisé»
L’utilisation d’herbicides a certes été interdite à un moment donné, mais qui contrôle cela? «Ah, ils ont encore pulvérisé», disaient les habitants du village. Aucune désapprobation ne transparaissait dans ces propos, la plupart cultivaient eux-mêmes des noisetiers ou avaient des parents qui le faisaient.
Longtemps, le poison n’a pas été un sujet dans le village: il en faisait partie, tout simplement. Les hommes sortaient le matin et, du haut de leurs tracteurs cahotant, saluaient joyeusement les passants en traversant la place. Une remorque était attachée, d’où s’échappaient les pesticides dilués à l’eau. «Ciaoooo!», criaient les passants, et nous avec, en les saluant de la main. Gianni, Romoaldo, Augusto ou Cesare étaient assis là-haut, sur leur engin, sans aucune protection, en tee-shirt, avec tout au plus un bandana autour de la tête. Dans les plantations, ils pulvérisaient toute la journée, et nous nous promenions entre les rangées d’arbustes, c’était le printemps pour tout le monde. Parfois, un coucou s’échappait malicieusement des branches et des jeunes feuilles, et l’un des paysans envoyait une nouvelle pulvérisation. Nous lui faisions un signe amical en respirant l’air printanier, même si notre langue et notre palais étaient secs et collants – on appelait cela lappo, au village.
Une armée d’astronautes
Mais qu’est-ce qui pouvait arriver de mal? Après tout, ces hommes souriants étaient là toute la journée. Sauf qu’il y a dix ans, les choses ont commencé à changer. Cela a cessé d’être considéré comme allant de soi. On ne voyait plus les hommes traverser la place du village à neuf heures du matin avec leurs citernes de poison. Soudain, ils se sont vêtus de combinaisons de protection et ont mis des casques d’astronautes avec la visière rabattue – une vision fantomatique lorsqu’ils venaient à votre rencontre dans la pénombre de l’aube après les épandages de la nuit, vite, vite, pour ne pas être vus.
«Ils ont encore arrosé cette nuit!», s’est mise à maugréer une mère dont la terrasse sur le toit jouxte directement une plantation de noisetiers.
Au village, il avait toujours été normal de cultiver des noisettes sur chaque parcelle de terrain qui s’y prêtait, jusqu’à la limite des habitations, parfois même à l’intérieur de celles-ci. Avant l’époque du poison, des engrais et des désherbants, personne n’y trouvait rien à redire. Les plants étaient plantés, ils grandissaient et devenaient de petits arbres et au bout de cinq ou six ans, on pouvait récolter les premiers fruits. Pendant les mois d’hiver, on les taillait. Tout était fait à la main, on n’utilisait pas d’engrais et la plupart des petits paysans gagnaient bien leur vie avec leurs deux ou trois hectares.
On pouvait facilement gagner de 7000 à 10’000 euros par an, sans forcément payer d’impôts, ce qui rendait la chose d’autant plus attrayante. Dans notre région, les noisettes ont servi à financer un grand nombre de maisons, de mariages et de 4x4 ostentatoires.
Une lente réalisation
Le meilleur terrain que l’on puisse imaginer pour la noisette se trouve ici, dans les collines verdoyantes du haut Latium. Dans les Monti Cimini, le poumon vert de Rome, les conditions sont optimales: des sols volcaniques fertiles, des terrains pas trop pentus et faciles à travailler, à une altitude idéale pour la culture des noisettes, entre 300 et 700 mètres au-dessus du niveau de la mer. Des températures parfaites, un ensoleillement et des précipitations parfaits, sans oublier le savoir-faire des personnes qui s’occupent de la noisette depuis un siècle. C’est le paradis de la noisette. Ou plutôt, c’était.
En effet, depuis une dizaine d’années, notre région s’est transformée en secret, en silence, en un dépotoir de poison qui dégrade et détruit tout: les sols, la biodiversité et l’eau. Personne ne s’en est aperçu. La nature envoyait des signaux de détresse depuis longtemps, mais il a fallu des années à des humains ignorants – des humains sans noisettes – pour additionner tous ces symptômes et parvenir à une conclusion irréfutable: la cause de tout cela était la culture intensive et toujours plus étendue des noisettes, qui domine la campagne vallonnée.
La légende des larves qui tombées du ciel
Pourtant, cela fait un moment que l’on dit qu’il vaut mieux ne pas se baigner dans le lac de Vico «en été», comme si cela était tout à fait recommandé en automne ou en hiver. Ce «en été» était lié à la fable des «larves qui tombent des arbres». On les rendait responsables du fait que les nageurs sortaient parfois de l’eau plein de pustules rouges sur la peau et devaient ensuite se rendre aux urgences, à moitié fous de démangeaisons, torturés par les nausées jusqu’aux vomissements. Personne ne les avait jamais vues, ces larves, mais nous acceptions leur existence.
Personne ne disait que la vraie raison était autre, à savoir la forte prolifération des algues rouges lorsque, suite à un mélange d’engrais et de pesticides, d’énormes quantités d’orthophosphate, un nutriment pour les plantes, se retrouvait dans l’eau. Les gens du village ne se baignent pas dans le lac – ils ne savent de toute façon pas nager –, ils n’ont donc aucun problème avec cela. On pouvait toujours manger dans les restaurants de la rive et on racontait aux touristes l’histoire des larves.
Ne vous baignez jamais dans le lac
Il y a quelques années, j’ai demandé au maire du village, un grand propriétaire terrien avec d’immenses plantations de noisetiers et de châtaigniers, s’il était possible d’emmener mes nièces au lac cet été. Il a rapidement fait le tour de la place du village, puis s’est penché vers moi et m’a dit à l’oreille: «Non, allez plutôt à la mer. Ou allez à la piscine. Mais ne vous baignez pas dans le lac. En aucun cas, vous m’entendez?»
Se baigner dans la mer ou dans une piscine? La raison principale pour laquelle nous avions acheté notre petite maison dans ce village à la fin des années 1980 avait été le Lago di Vico, le lac volcanique le plus haut d’Italie, un cratère d’eau de source et de pluie cristalline à 500 mètres d’altitude, niché entre des pentes vert foncé, un fourré de roseaux où nichaient des oiseaux rares, et des plantations de noisetiers qui descendaient jusqu’à l’eau. Mais ces plantations à perte de vue, c’était aussi de la nature, n’est-ce pas?
Source: https://www.heidi.news/explorations/nutella/comment-nutella-a-grignote-mon-village
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Saisissant et navrant, mais hélas tellement le reflet de la réalité. Et encore, cet article ne parle pas du désastre écologique que “la” ferrero conduit sur le continent africain à coup de plantationd de palmiers à huile.
Le problème des pesticides n’est pas près d’être réglé, en Italie ou ailleurs, malheureusement.
Si ces produits n’étaient pas efficaces, qu’ils ne tuaient pas les “ravageurs” des cultures, ce serait plus facile de s’en défaire, cela serait plus facilement accepté par les agriculteurs et les agro-industriels.
Si ces produits n’étaient pas efficaces, ils ne seraient pas non plus un si gros problème pour la santé des personnes ou pour l’environnement, la bio diversité.
Mais, ils sont terriblement efficaces. C’est d’ailleurs le paradoxe: plus ils sont efficaces, plus d’une part on ne parvient pas à s’en défaire, et plus les problèmes de santé et d’environnement qu’ils posent sont importants d’autre part.
On entend souvent “ok pour arrêter les phytos, mais quand on aurra une alternative”…
Enfin, soyons réalistes, les alternatives à efficacité et coûts égaux, il n’y en a pas. Soit on décide de se passer des pesticides, soit non. C’est aussi simple que cela.Est-ce un si gros problème pour la santé, d’ailleurs ? Ne dramatisons-nous pas un peu les choses ? Hélas, sur ce sujet comme dans d’autres, nous n’avons pas vraiment d’étude scientifique sérieuse et probante. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai, il existe des études sur le glyphosate (pas rassurantes quand elles ne sont pas commanditées par Bayer-Monsanto).
Il faudrait des études sur la part des produits épandus qui s’infiltre, ruissèle, contamine les nappes et les cours d’eau… Je n’ai jamais vu de telles études.
Il faudrait des études sur l’impact sur la santé humaine de chaque produit épandu dans la nature. Là encore, hélas, seuls les médicaments ont l’obligation de disposer d’une preuve d’inocuité avant d’avoir une autorisation administrative de commercialisation. Bon, c’est vrai que dans le cas des pesticides … une preuve d’inocuité reviendrait à une preuve d’inefficacité, mettre en place une telle mesure reviendrait en fait à faire le choix de se passer de ces produits. Ce n’est pas pour demain.
Une étude sur l’inocuité de tel ou tel produit est-elle d’ailleurs vraiment nécessaire ? Soyons logiques! Un produit “phyto-sanitaire” est fait pour tuer le vivant. C’est son rôle. Et il est efficace dans cette tâche. Comment penser qu’un tel produit serait anodin pour le monde vivant à côté de sa cible: la bio-diversité, l’humain ?
“ha mais non, un herbicide ne tue que les herbes, pas les hommes”. Ben voyons. Le glyphosate est un génotoxique, qui bloque le mécanisme de réplication cellulaire en perturbant la réplication de l’ADN. C’est exactement le même mécanisme dans une cellule végétale que dans une cellule animale, humaine par exemple.Par curiosité, j’ai pris ma facture d’eau (du robinet) et l’analyse qui l’accompagne. Pour chaque analyse, exemple bactériologique, traces d’aluminium, etc, on m’annonce fièrement un chiffre très bas (ex. pour l’aluminium, moyenne 0.007 mg/l, maximum 0.033 mg/l) comparé au maximum administratif (ex. pour l’aluminium 0.200 mg/l). Sauf pour un critère: les résidus de pesticides. Là, on me dit “conforme à la règlementation”. Ah ben ouf, je suis rassuré !
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Ça pollue et en plus c’est dégueulasse, bravo